dimanche 15 septembre 2013

"Mais resurgissent les questions oubliées auxquelles personne ne répond..." (Gérard Lenorman).

Eh oui, un extrait d'une chanson de Gérard Lenorman pour illustrer notre billet du soir, je sais, ça peut surprendre... Vous vous en doutez, le choix n'est évidemment pas un hasard, mais je ne vais pas vous dire de quelle chanson cette phrase est tirée, car elle vous en dirait trop tout en vous orientant vers une mauvaise piste... Mais, faites-moi confiance, il y a une certaine cohérence dans tout cela. Avec des retrouvailles quelques semaines après une découverte. Cet été, si vous êtes des fidèles, vous le savez, j'ai fait un session de rattrapage avec des romans que j'avais loupés à leur sortie et que j'ai lu dans leur version poche. Parmi eux, l'excellent "Back up", de Paul Colize. Une lecture qui m'a poussé à lire dès les premières semaines après les vacances à me lancer dans la lecture du nouveau roman de ce romancier belge, "un long moment de silence" (en grand format à la Manufacture de livres). Pourtant très différents, ces deux romans ont aussi des points communs flagrants, comme une filiation. Et plusieurs éléments de ce roman-ci (dont certains que je n'aborderai pas, et non !) devraient non seulement vous permettre de passer un bon moment de lecture, mais aussi de mouiller quelques mouchoirs...





Stanislas Kervyn est un chef d'entreprise belge au caractère bien trempé. Non, disons-le tout net, cet ancien hacker, devenu patron de sa propre boîte de protection informatique, est juste odieux. Et avec tout le monde. Il se comporte au bureau comme un tyran, semblant ignorer le mot "politesse" et n'hésitant pas à virer sans préavis sur un coup de tête celui ou celle qui n'a plus l'heur de lui plaire.

Dans sa vie privée, il en est de même. Pas étonnant de voir qu'il a peu d'amis, voire aucun. Avec les femmes, ce presque sexagénaire adopte un comportement tout aussi agressif. Et des conquêtes, il en a, beaucoup, énormément, le plus souvent éphémère. Elles soulagent une libido débridée dans laquelle Stanislas semble évacuer ses haines et ses frustrations. D'où un mode de séduction plus proche de celui du Marquis de Sade que de Casanova...

Non, vraiment, Stanislas Kervyn, que l'amabilité n'étouffe pas quelles que soient les circonstances, n'est pas l'homme le plus sympathique que la Terre ait porté... Et pourtant, il me faut prendre sa défense, là, devant vous... Car, je crois que si Stanilas Kervyn se comporte ainsi, c'est d'abord et avant tout parce qu'il est profondément malheureux.

Il n'avait pas 2 ans quand, en 1954, son père est décédé, criblé de balles au cours de ce que l'on va appeler ensuite "la tuerie du Caire". Trois hommes cagoulés, descendus d'une voiture et qui tirent sur un groupe de passagers qui venaient de poser le pied sur le tarmac de l'aéroport de la capitale égyptienne, après un vol venu d'Amsterdam.

Plus de 20 personnes sont tuées, dont Robert Kervyn. 20 autres sont grièvement blessées. L'enquête n'aboutira à rien, on se saura jamais qui étaient les tueurs du Caire ni quel but exact ils poursuivaient à travers cette fusillade meurtrière. Et c'est justement ces questions sans réponse qui hantent Stanislas depuis qu'il est en âge de comprendre l'absence définitive de son père et les circonstances de sa disparition...

il consacre même temps libre et moyens (il peut se le permettre, il a bien prospéré) à mener sa propre enquête à travers le monde. Il a rencontré les témoins connus, les survivants, toutes les personnes qui auraient pu l'éclairer. Il a examiné toutes les pistes possibles, des plus évidentes aux plus incongrues, il a envisagé la piste d'un attentat aveugle, gratuit, mais aussi celle d'un meurtre commandité maquillé en tuerie pour brouiller les pistes.

Il n'a rien laissé au hasard et a même rassemblé toutes ces investigations dans un livre qu'il vient de publier. On l'a même invité à la télé pour en parler, dans une émission littéraire, avec des écrivains de profession, lui qui ne fait que chercher à exorciser ses démons... Mais, ce passage télé ne sera pas inutile du tout... Dès la diffusion, la production reçoit un appel d'un inconnu qui veut parler à Stanislas...

Puis, ce même inconnu réussit à le joindre sur son téléphone personnel. Et là, il lui donne une information qui manque de faire défaillir le chef d'entreprise. Une information qui change tout, un nouveau témoignage inédit, de première main, sans doute difficile à vérifier, mais après tout, pourquoi pas... Un témoignage qui bouleverse aussi Stanislas...

Et s'il avait négligé la pire des hypothèses, de son point de vue ? Son père, cible principale de cet attentat...

Nous suivons donc la nouvelle enquête dans laquelle se lance Stanislas. Car, si on a tué et blessé 40 personnes pour abattre un homme, c'est qu'il doit y avoir une explication qui échappe à Stanislas, qui n'a jamais, au long de ses décennies de recherches, soupçonné son père d'avoir pu tremper dans des affaires louches...

En se lançant ainsi à la rencontre de ce père qu'il n'a pas connu et qui lui a tant manqué, il va alors découvrir bien des choses dont il ne se doutait pas dans ce passé désormais lointain. Et, au-delà de son père, c'est l'histoire de toute la famille Kervyn qui va lui apparaître sous un jour qu'il ne pouvait imaginer, le plongeant dans des événements terribles...

Mais, on découvre parallèlement la vie de Stanislas. Pas sa vie actuelle, dont je viens de parler, mais ses 60 années d'existence, années de solitude, de douleurs, de drames, aussi. Comme si la mort de son père avait été le premier coup du sort d'une vie affective jalonnée de moments difficiles, poussant, Stanislas dans cette espèce de misanthropie, d'aversion pour tout ce qui l'entoure, d'anesthésie des sentiments... Et d'autres moments difficiles l'attendent encore, indépendamment de ses découvertes...

Enfin, on apprend aussi à connaître un homme, dont on se demande un peu ce qu'il vient faire là. Cet homme s'appelle Nathan Katz et lui aussi, comme Stanislas, a consacré sa vie au drame qui a frappé sa famille. Dans un contexte tout autre, en agissant totalement différemment, mais en s'efforçant également, comme Stanislas, de se rendre imperméable aux sentiments...

Je n'en dis pas plus, à vous de découvrir l'agencement de tout cela dans un roman dont la construction m'a rappelé celle de "Back up" : trois trames qui s'entremêlent, deux autour d'un personnage central, la troisième, sans lien apparent. Et un passé qui revient hanter le présent, qui se dévoile en même temps que les secrets qu'il recèle...

Pour autant, ne croyez pas qu'on a un décalque du précédent roman. Pas du tout, car tout le contexte, les personnages et leurs situations différent, afin de nous offrir un roman tout à fait original, ce qui n'est pas évident, les thèmes choisis ayant été battus et rebattus par bien des romanciers. La touche Colize, c'est de brouiller admirablement les pistes, mais aussi, d'y ajouter une touche autobiographique qui est pour beaucoup (mais pas seulement) dans l'émotion qui s'empare de nous à la lecture des dernières pages du livre.

Ah, je vais nuancer ce que je viens d'écrire, tout de même. Pas sur le contexte, les événements, les secrets. Mais pour ce qui concerne le personnage, j'y ai vu comme un point commun. Oh, à ma manière de lecteur bien tordu dont le cerveau tourne à plein régime lorsqu'il s'agit d'examiner ses lectures... Dans "Back up", on a un personnage central emmuré dans son propre corps par un locked-in syndrome.

Stanislas Kervyn, lui, est emmuré dans le personnage qu'il s'est construit depuis sa tendre enfance, un personnage monolithique, dur et inaccessible, rejetant autrui, si possible après l'avoir essoré et utilisé jusqu'à la dernière goutte... Une armure anti-souffrance jusque-là redoutablement efficace. Elle a fonctionné comme l'arme d'un super-héros, absorbant la douleur pour la projeter sur les autres, indistinctement... Enfin, ça, c'est la théorie, parce que la souffrance a toujours été tapie en Sylvain, attendant son heure...

Et son heure, c'est la révélation sur son père... L'armure est fendue, dans tous les sens de l'expression, et la douleur va submerger Stanislas. Physiquement, mentalement, sans pour autant changer son caractère abominable dont il va continuer à faire profiter son entourage au grand complet, y compris quelques petits nouveaux, pas vraiment habitués à ce genre de traitement, qui surprend un peu, il faut le reconnaître...

Je serais bien en peine de vous dire si "un long moment de silence" est un thriller... J'aurais tendance à dire oui, la construction, le côté redoutablement efficace qui pousse à tourner les pages sans s'arrêter avant de voir où Paul Colize nous emmène, tout cela plaiderait pour ce classement. Mais, ce qui fait bouillir le lecteur, ce sont les multiples questions qui l'assaillent pendant les trois quarts du roman, quand on n'arrive pas à emboîter les éléments les uns avec les autres pour que ça tienne debout...

Ce n'est pas faute d'échafauder, cependant. Combien de fois ai-je pensé : "et si... ?" Un vrai leitmotiv ! Chaque hypothèse venant contredire la précédente, avant de s'effondrer à son tour comme un château de cartes... Si je reprends le sens premier de "thriller", on tremble parce qu'on redoute ce que va découvrir Stanislas. Il flotte sur ces secrets une odeur pas très agréables et l'on est sur le fil du rasoir, en plus des charbons ardents (c'est vous dire si c'est acrobatique !)...

En un mot comme en cent : Robert Kervyn était-il un salaud, à côté duquel son "charmant" fiston passerait pour un modèle d'amabilité ?

Un mot sur la quatrième de couverture du livre. Je ne le fais pas souvent, mais là, j'avais envie d'en parler. Lorsque le livre est arrivé dans mes mains, ces quelques lignes, 5 dates, accompagnés de quelques données événementielles bien floues, j'ai fait la moue... Eh bien oui, j'aime bien avoir tout de même avoir une vague idée d'où je mets les pieds... Même avec des auteurs auxquels je suis fidèle, ça m'agace d'avoir quelques mots qui ne disent rien...

Et puis, j'ai lu le roman. Les dates et les faits ont pris consistance. Surtout, j'y ai vu la logique qui m'échappait, forcément, quand je n'avais pas encore feuilleté les pages, et ma frustration en a été atténuée. Atténuée, seulement, parce que ces résumés qui ne racontent rien, ça m'horripile !! Si je n'avais pas déjà lu un roman de Paul Colize, peut-être serais-je passé à côté d' "un long moment de silence", faute d'informations...

Mais, refermons cette parenthèse, revenons un instant au livre. Il y a beaucoup de thématiques passionnantes abordées dans ce livre. Le hic, c'est qu'il est délicat d'en parler sans trop dévoiler l'intrigue globale. Alors, je dois faire l'impasse sur toutes ces choses pertinentes que je voudrais partager avec vous (mais non, je ne me pousse pas du col, enfin !) pour vous laisser découvrir ce roman réussi.

Tout de même, parce qu'il affleure à bien des moments, y compris dans la démarche de Stanislas, même si cela s'avère forcément plus complexe, du fait du temps passé : la frontière toujours si fine, entre la justice et la vengeance. Et l'on se rend compte encore une fois au combien il est difficile de résister à la tentation de passer de la première, pas toujours satisfaisante, à la seconde, moralement condamnable...

"Un long moment de silence", c'est l'histoire de deux hommes, sans aucun lien, à des moments, en des lieux différents, qui n'ont plus rien à perdre. Une situation qui conditionne leur existence quotidienne, les poussant aux confins de l'humanité. Ils sont borderline, si vous me permettez cet anglicisme, proches de se laisser consumer par la flamme qui les anime... Et je crois pouvoir dire que, si l'un va réussir à maîtriser l'incendie, l'autre s'y immolera...

Après la formidable évocation des Swinging Sixties qu'il y avait dans "Back Up", Paul Colize nous plonge à nouveau au coeur de ce XXème siècle si mouvementé, pour nous proposer une histoire forte, imparable, bouleversante... Curieusement, le sujet central du livre aurait pu être la trame d'un roman historique ou même d'un récit. Mais, le choix d'en faire la ligne directrice d'une intrigue de thriller est une vraie plus-value, car le jeu du suspense et des fausses pistes se prête idéalement à cette extraordinaire histoire.

Il a dû falloir bien du temps et bien du courage à Paul Colize pour aborder un sujet aussi personnel. Sans doute, mais là, je dois dire que je m'avance, que c'est un avis personnel, soyons clair, a-t-il décidé de mettre en scène un personnage aussi antipathique que Stanislas pour ne pas trop s'identifier à lui. Ou alors, Paul Colize est Stanislas et je ne suis pas sûr d'avoir envie d'une dédicace, d'un coup...

Non, sérieusement, il y a dans ce processus créatif qui a abouti à ce roman quelque chose de l'intime que le romancier a choisi de partager avec nous. Un grand honneur qu'il nous fait là, tant ce qu'il nous révèle est fort, dur et poignant. On se demande toujours ce qu'il y a de l'écrivain dans un livre. Ici, soyez-en assurés, ce sont le coeur, et les tripes.


1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup aimé "Back up", lu en avril. Je note le titre de cet autre roman du même auteur.

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