mardi 19 mai 2015

Oh, when the fays go marching in...

Un titre sur un air de jazz, pour illustrer un roman qui, lui aussi, swingue pas mal. Le mélange des genres est en vogue, ces dernières années, mêler roman noir et fantasy est une recette qui fonctionne bien. En voici un nouvel exemple, et de la plus belle eau (forcément, on est sous la Prohibtion) avec un livre paru aux éditions Critic (qui publient déjà les fameuses enquêtes de Jean-Philippe Lasser, le détective des dieux). Là encore, c'est une expérience d'écriture à quatre mains, par Anne Fakhouri et Xavier Dollo, et ça s'appelle "American Fays". Une aventure déjantée dans laquelle la mafia n'est finalement que le moindre des maux à redouter, où l'on trahit et flingue plus vite que son ombre, mais aussi où la magie et le merveilleux tiennent une grande place, et pas forcément la place d'honneur. Car, oui, le petit monde merveilleux des Fays n'est pas aussi rose-bonbon-sucé-paillettes qu'on pourrait le croire...



A Chicago, en 1925, c'est Al Capone qui fait la loi. Enfin, il essaye, parce que le parrain a dû prendre un peu de recul, s'installant à Cicero, tout près, là où la police de Chicago, qui s'intéresse d'un peu trop près à ses affaires, ne peut l'atteindre. Mais, les flics ne sont pas les seuls qui donnent du souci au mafieux à la cicatrice.

En effet, outre les clans rivaux, une autre menace plane sur les affaires de Scarface. Elle émane des différentes composantes du petit peuple, rebaptisées Fays depuis qu'ils ont posé le pied sur le sol du Nouveau Monde, comme n'importe quels autres immigrés venus tenter leur chance dans cet eldorado après avoir dû quitter, plus ou moins volontairement le Vieux Continent.

Alors, pour empêcher que les leprechauns, pixies et autres fées ne ruinent pas des affaires que la Prohibition a rendu florissantes, le parrain a choisi de sous-traiter avec des bandes qu'ils charge de maintenir l'ordre. Par la force, s'il le faut. Parmi ces hommes de main, on trouve les "No Ears Four", qui, comme les trois Mousquetaires, sont quatre.

Il y a là Old Odd, le chef de cette bande de pieds nickelés. Un bougon, celui-là, mais un chef, qui sait ce qu'il veut et sait se faire commander quand il le faut. Un homme qui a un lien particulier avec les Fays : il y est allergique, ce qui nourrit, forcément, sa rancune, mais est surtout un atout précieux pour les repérer, ou au moins leur passage.

A ses côtés, Jack the Crap, le tueur de la bande. Aucun état d'âme, une discrétion à toute épreuve, toujours tiré à quatre épingles et le sang-froid d'une vipère. A l'opposé du spectre, Bulldog, la brute. Epaisse, la brute, et des pieds à l'intérieur de la tête, si vous voyez ce que je veux dire. Pas une lumière, mais un colosse obéissant et quasi-indestructible.

Enfin, il y a le petit jeunot. Parce que, dans ce genre d'histoire, il faut toujours un jeune premier. Un Errol Flynn en devenir, fan de Louis Armstrong et qui, tel Nougaro, regrette d'être né blanc de peau. Il se fait appeler Bix et joue de la trompette dès que possible, en espérant avoir le même swing que son idole, pour faire danser les foules.

Un beau gosse, qui a ses entrées dans les quartiers noirs de la ville, ce qui est loin d'être inutile. Et puis, il est sacrément débrouillard, quoi qu'un tantinet naïf. C'est le jeunot, je vous l'ai dit, il a donc encore énormément à apprendre et la fréquentation des trois autres zigotos devraient rapidement y remédier, si le gamin ne laisse pas son coeur et ses envies folles prendre le dessus sur son devoir.

Il faut dire que Bix n'a pas rejoint les "No Ears Four" par pur plaisir. Il rembourse une dette en travaillant à contrecarrer les plans des fays, qui mettent leur magie au service de trafics divers et variés. Et il n'a pas vraiment l'âme du voyou qu'il devrait être pour cela, malgré toute sa bonne volonté.

La routine quotidienne ressemble à un jeu du chat et de la souris, jusqu'à ce que se produise un événement pour le moins contrariant. Un Dry, comprenez un des flics traquant le trafic d'alcool et les speakeasys où l'on en sert clandestinement, est assassiné, en pleine rue. Pour beaucoup, le nom du commanditaire est une évidence : Capone.

Mais Scarface fait vite savoir à ses hommes sur place qu'il n'y est pour rien. Et pour cause, ce serait contraire à ses intérêts de se lancer dans une guerre sans merci avec les flics, alors qu'on peut, bien plus efficacement, en corrompre un certain nombre. Aux "No Ears Four" de rechercher et de découvrir qui a bien pu monter ce plan foireux qui met le parrain sur la corde raide. Sinon...

Commence alors une enquête de longue haleine où les quatre hommes vont devoir plonger, dans tous les sens du terme, dans le monde des fays, un univers loin d'être aussi ragoûtant qu'on pourrait l'imaginer. Mais qui recèle surtout de multiples dangers, de multiples pièges que les "No Ear Fours" vont devoir déjouer, parfois de justesse.

Mais, surtout, c'est tout l'équilibre précaire entre le monde des humains et celui des fays, assuré par une constitution, qui pourrait être remis en cause en cas d'échec. Car nos (anti-)héros ont beau être des vrais durs de dur, ce qui les attend ne sera pas de tout repos et de nombreux adversaires, parfois totalement inattendus, vont se dresser devant eux.

Disons-le, on sent que Anne Fakhouri et Xavier Dollo se sont bien amusés à écrire ce roman, prévu, apparemment comme un one-shot, pour le moment mais qui, à l'instar des enquêtes de Jean-Philippe Lasser, mériterait d'être développé pour faire une série. Je ne pense d'ailleurs pas être le seul à avoir cette envie de lecteur.

Les références sont nombreuses, les trouvailles également (Anne, Xavier, si vous avez le contact d'une fay du logis, je suis preneur) et l'atmosphère prenante. On retrouve parfaitement l'ambiance des romans noirs, mais en version parodique, évidemment. Et surtout, on ne s'ennuie pas une minute, quittant l'univers presque douillet du Chicago de la Prohibition pour tout un tas d'endroits bien moins accueillants mais tout à fait pittoresques.

Et puis, les deux auteurs profitent de l'occasion pour revisiter les contes de fée pour en faire des contes de fay et le résultat est assez saisissant : ça déglingue sec et on se marre bien devant les frasques de nos quatre personnages centraux, mais aussi de tous les personnages secondaires qui les encadrent.

Quant à l'intrigue, elle prend peu à peu de l'ampleur. Les fausses pistes, les ramifications, les dangers, mais aussi les difficultés qu'on a à collecter des informations quand on n'est pas flic mais voyou et quand il faut aller chercher le moindre renseignement chez les fays, tout ça donne un univers bien déjanté et très original.

Et l'action va culminer avec une scène finale, ou presque, digne d'un film de Tarantino, de Robert Rodriguez ou de Tony Scott. Une espèce de maelström délirant qui mérite le coup d'oeil. Au lecteur de faire fonctionner son imaginaire pour réussir à embrasser l'innommable capharnaüm qui se déroule sous ses yeux pendant ce qui semble un long moment, en termes de pages, mais passe à toute vitesse pour le lecteur.

Les personnages jouent avec un tas d'archétypes sur lesquels s'appuie le duo Fakhouri/Dollo pour jouer sa partition. Je dois dire que j'ai une affection particulière pour Bulldog, cette montagne de muscle avec un petit pois (sans princesse) en guise de cerveau. Mais un brave gars, dévoué jusqu'à la mort. Un type pareil, on part à la guerre tranquille à ses côtés. Même quand il y a des fays dans le coup !

De même pour d'autres personnages dont j'ai choisi de ne pas parler ici, soit parce que secondaires, soit, au contraire, parce que jouant un rôle majeur dans cette mise sens dessus dessous de la Windy City, dont le contrôle attise bien des convoitises. On a l'impression de les avoir déjà croisés, ces personnages, mais ce sont les situations dans lesquelles on les retrouve, souvent loufoques et pleines de créativité, qui font la différence.

Et puis, il y a l'amour... Ah, l'amour ! Là encore, les auteurs s'en amusent. Car Bix, je l'ai dit, a le coeur tendre et sa carapace de gros dur est encore bien molle, comme un crabe en pleine mue. Alors, quand Rachel débarque au "Jude & the Dudes", le bouge, mi-claque, mi-speakeasy, qui sert de quartier général à la bande, son coeur de trompettiste se met à jouer de drôles de solo de percussions.

Envoûté, le garnement ! Euh, au sens figuré, hein, il faut faire attention à ce qu'on écrit, on aurait vite fait de croire que la magie fait effet là aussi. Mais non, c'est bien une alchimie toute humaine qui est à l'oeuvre, un coup de foudre réciproque mais qui, vu les circonstances, va connaître quelques complications. Et Bix, le joli coeur, va en perdre de vue ses objectifs... et son bon sens.

Le mélange entre le roman noir et la fantasy fonctionne bien, car les fays, finalement, ont des allures de familles mafieuses, elles aussi. Avec leurs clans, leurs rivalités, leurs parrains (et marraines), leurs hommes de mains, leur spécialistes en basses oeuvres (ah, les fays-monnayeurs, of course !) et leurs ambitions qui, à défaut d'être humaines, n'en sont finalement pas si loin.

Enfin, il y a une idée très intéressante qui est la conquête d'un nouveau continent en pleine expansion. Le jeu sur les origines, que ce soit les hommes ou les fays, les vagues d'immigration et l'intégration dans le melting-pot est très bien utilisé. Entre les Italiens de Capone et des autres, les Noirs, les Juifs, les Irlandais, etc., le mélange est détonnant.

Une société de castes, de strates, et, en face, une société aristocratique dont on découvre d'étonnantes facettes tout au long du roman. Mais, dans tous les cas, la question de la primauté des uns ou des autres sur cette terre où tant est encore à faire et de la mainmise sur les affaires rondelettes qu'il y a à y faire.

Ne pas se laisser trop emporter par l'impression de légèreté et de drôlerie (réelles) d' "American Fays", il y a aussi dessous, des thématiques plus profondes où la Fayrie n'apparaît pas forcément sous un jour glorieux. Une tendance chez Anne Fakhouri, qui faisait déjà dans "le Clairvoyage" des fées une sacrée bande de harpies.

Voilà en tout cas une lecture parfaite pour se détendre et se divertir. Dans un Chicago très bien dépeint, où le jazz tient une belle place et qui donne envie de mettre Satchmo sur la platine pendant qu'on tourne les pages. On ressort de cette lecture avec la banane et l'envie furieuse de poursuivre l'aventure au milieu de cette folle sarabande où nos quatre voyous, un peu pieds-nickelés sur les bords, ne sortent finalement pas tant de l'ordinaire que cela.

vendredi 15 mai 2015

Au coeur des ténèbres du Vyanthryr...

Clin d'oeil, rapide, à Conrad, mais aussi au Coppola d' "Apocalypse Now", dans le titre de notre billet du jour (désolé, j'étais moyennement inspiré) mais aussi une allusion au fait que, dans le roman dont nous allons parler, la lumière est loin d'être toujours une alliée, je n'en dis pas plus. Voici un roman de fantasy dont j'ai beaucoup entendu parler depuis un an, alors, le voir en lice à la fois pour le Prix Imaginales et le Prix Imaginales des Lycéens a été un déclic. Je me suis lancé dans la lecture de "Manesh", premier tome de la série "le Sentier des astres", de Stefan Platteau (publié en grand format par l'excellente maison les Moutons Electriques). Un roman de fantasy envoûtant, atypique et qui nous emmène dans un décor luxuriant et inquiétant pour une histoire qui va poser au lecteur bien des questions, qui n'auront de réponse que dans les prochains volumes. Et une nouvelle voix prometteuse venue de Belgique, dans le concert de la fantasy francophone.



Le capitaine Rana mène une expédition dans les forêt du nord du Vyanthryr, une région où personne ne semble s'être aventuré depuis longtemps. Conscients du danger, il a pourtant accepté de se lancer à la recherche de celui qu'on appelle "le Roi-Diseur", une sorte d'oracle. Une mission capitale, car le pays est en guerre civile et Rana entend bien rapporter de ce voyage des éléments décisifs pour le sort de ce conflit.

A ses côtés, des guerriers expérimentés, dont son frère et un barde, mais aussi une courtisane et une enfant qui accompagne cette femme. Drôle d'équipage, réparti en deux gabarres, car ce n'est pas une expédition terrestre, en tout cas pas au début, mais fluviale : l'objectif qu'a fixé Rana, c'est de remonter le fleuve Framar jusqu'aux sources sacrées où, selon ce qui semble fort être une légende, vit le fameux "Roi-Diseur".

Au cours de la première partie de leur voyage, ils vont pourtant faire une rencontre inopinée qui va changer la donne. Flottant au gré du courant, sur une branche à laquelle il est ligoté, un homme, mal en point, salement blessé aux jambes... Impossible de le laisser là, les hommes de Rana récupèrent l'infortuné garçon et lui apportent les soins nécessaires.

Dans un premier temps, personne n'est vraiment optimiste quant aux chances de survie du malheureux. Ses blessures sont vraiment sérieuses et les moyens à bord des gabarres insuffisants pour espérer guérir ses plaies et ses fractures. Pourtant, l'inconnu semble posséder des capacités de récupération hors du commun et, après quelques jours passés entre la vie et la mort, il revient à lui.

Le capitaine demande alors à son barde de rester aux côtés du blessé afin d'essayer d'en savoir plus sur les raisons qui l'ont amené à se retrouver dans cette situation plus que périlleuse. Mais, le moins qu'on puisse dire, c'est que le garçon est peu disert... Il n'accepte même pas de dire son nom, puis demande qu'on l'appelle "le Bâtard".

Puis, lorsque le barde l'interroge, l'homme finit par lui raconter une histoire. Son histoire. En commençant par le début. Sa naissance, son enfance, sa famille et son histoire a beau être fascinante (non, vous ne saurez rien), elle est toutefois loin de satisfaire ses sauveteurs, qui préférerait comprendre les événements récents plutôt que de connaître par le menu la vie et l'oeuvre de leur inconnu...

Oui, ce qu'il raconte a de quoi ébranler le barde, car rien n'est ordinaire dans ce qu'a pu vivre le Bâtard, depuis cette naissance mystérieuse et son adoption par une famille noble. Mais plus ce destin extraordinaire se dévoile et plus le barde et le capitaine se pose des questions. D'abord, parce qu'ils commencent à se dire que ce pauvre homme n'est peut-être pas si pauvre que ça...

Ensuite, parce qu'il leur semble évident qu'il leur cache des choses ou, tout du moins, qu'il retarde l'échéance au maximum avant d'aborder les questions les plus brûlantes. Mais pourquoi agirait-il ainsi ? Les jours passent, les gabarres avancent, les hommes approchent des régions qu'on dit dangereuses pour eux, et l'angoisse monte.

Et si le Bâtard n'était pas une victime ? Et si, surtout, il était un ennemi potentiel, comme une sorte d'espion infiltré parmi eux ? Mais pourquoi et pour le compte de qui ? Bientôt, il devient impératif de faire parler le blessé, qui continue à se rétablir bien plus rapidement qu'on ne pouvait l'imaginer au moment de sa découverte, pour éviter de se jeter dans la gueule d'un loup dont ils ne savent rien...

"Manesh", c'est le récit parallèle de cette expédition et de la vie de l'inconnu sauvé de justesse, qui s'enroulent comme des brins d'ADN, au moins dans la première partie du roman. Ensuite, les événements vont sérieusement se précipiter et la spirale devient tornade pour emporter tout les personnages, et le lecteur avec, dans un périlleux tourbillon.

L'avantage de cette construction narrative, c'est qu'elle permet de ne pas voir passer le voyage en bateau qui, forcément, ne se déroule pas sur un rythme effréné. Alors que le lecteur, assis, virtuellement, aux côtés du barde, pour écouter le récit de l'inconnu, les journées défilent et l'on approche de cette mystérieuse zone qui semble receler tant de dangers en étant déjà sous tension.

Ce que découvre l'équipage du capitaine Rana, que ce soit sur les rives du fleuve, mais aussi dans les propos d'un Bâtard avec lequel ils sympathisent avant de retrouver une méfiance profonde, va évidemment changer la donne. Reste que le lecteur, lui, se retrouve avec beaucoup de questions en suspens, à la fois sur le Bâtard, comme tout le monde, mais aussi sur la destination de l'expédition et les motifs réels de l'équipage.

Et on n'est pas au bout de ses surprises, car les lieux traversés (des lieux sombres, pour reprendre un titre d'un autre roman en vogue) ne sont effectivement pas des plus accueillants. Il s'y passe des choses pour le moins curieux et le côté imprévisible de tout cela est effectivement assez angoissant. Le sentiment d'oppression monte, monte, au fil des pages, sans qu'on sache à qui se fier.

Mais tout cela tient beaucoup à l'univers créé par Stefan Platteau pour servir de cadre à son cycle. Un univers qui est sensiblement différent de ce que l'on rencontre traditionnellement. D'abord, le voyage fluvial, qui n'a rien à voir avec les romans maritimes ou terrestres, mais aussi les rives qui bordent ce cours d'eau, dès le moment où l'on rencontre Rana et ses hommes.

Ces rives à la végétation luxuriante, dont on s'attend à voir sortir quelque créature dangereuse ou quelque peuplade agressive, m'ont fait penser aux images d' "Apocalypse Now", à certains moments (d'où le clin d'oeil initial), mais aussi, à d'autres, à la couverture de "l'Oreille cassée", un album de Tintin, se déroulant en Amérique du Sud.

J'ai pensé aux jungles sud-asiatique ou au cours de l'Amazone, lors de cette lecture, dans ma recherche pour visualiser le décor dans lequel évoluent les personnages. Un panorama qu'on devine à la fois majestueux et menaçant. Presque écrasant, qui vous fait vous sentir tout petit. Et qui va évoluer au cours du voyage, et qui évoluera certainement encore dans le prochain volume.

De même, pour les décors que l'on traverse dans les récits du Bâtard, on a également une grande diversité et des lieux qui en imposent, mais sont souvent aussi des endroits où on ne se sent pas franchement en sécurité. Et à juste titre, parfois, car, dans ce récit, on croise effectivement des personnages effrayants et même une faune particulièrement agressive.

Voilà ce qui fait le charme, mais aussi l'impression de malaise que l'on ressent à la lecture de "Manesh". Avec ce contraste saisissant entre la remontée du fleuve tendue mais assez calme, et la vie tourmentée du Bâtard, qui, lui, a connu bien des aventures et des déboires avant de se retrouver flottant sur ce fleuve, attaché à sa branche.

L'originalité est aussi dans la dimension que je qualifierais de "civilisation". On est loin d'un Moyen-Âge occidental, et pas seulement du fait du décor. Un certain nombre d'indices pourrait nous laisser pencher vers le sous-continent indien, en particulier à travers les patronymes de certains personnages, ou des fonctions, comme le frère du capitaine, qui a une mission religieuse et est bramynn. Mais c'est insuffisant et c'est sans doute plus complexe que cela.

Finalement, on se rend compte qu'on a peu d'éléments contextuels sous la main. Le monde dans lequel évoluent les personnage est déchiré par une guerre civile, on collecte d'autres éléments passés à travers le récit du Bâtard, mais qui n'entre pas dans le détail et les rapports de force qui président aux décisions de Rana, par exemple, sont loin d'être évident. Au point de se dire que le Bâtard n'est pas le seul à cacher bien des choses...

Enfin, il y a ce qu'on découvre sur le Bâtard. C'est sans doute dans ce domaine qu'on a le plus de réponses, presque paradoxalement. Mais, pas au point de tout embrasser, ni de maîtriser les tenants et les aboutissants de cette affaire, et encore moins, le rôle exact de ce Bâtard au destin sombrement lumineux (oui, j'aime bien les oxymores).

Sombre, "Manesh" l'est, incontestablement. A la fois parce qu'il y a beaucoup de scènes nocturnes, mais aussi, parce que, lorsqu'il ne fait pas nuit, c'est souvent la végétation dense qui donne le sentiment d'être, si ce n'est dans les ténèbres, mais au moins dans une ombre, tout sauf propice. Je ne peux pas trop développer la question de la lumière, car ce serait en dire trop et on me le reprocherait.

Mais, encore une fois, si l'ombre est menaçante, la lumière, lorsqu'elle se manifeste, dans "Manesh", n'est guère plus rassurante. Et je dis ça parce qu'encore, on manque vraiment de repère et ce qu'incarne la lumière n'est, pour le moment, dans la situation dans laquelle Stefan Platteau place son lecteur, une menace de plus, peut-être même la pire de toutes.

L'imaginaire de ce romancier belge est foisonnant mais souvent sobre, par touches. Je ne placerais pas "Manesh" parmi les romans épiques, il y a une certaine subtilité dans la manière de distiller les effets, même si certaines scènes sont très spectaculaires. Il y a plein de trouvailles intéressantes, finement utilisées et la tension, qui naît très vite, ne lâche jamais le lecteur et croît au fil des pages.

Maintenant, on attend impatiemment et de pied ferme la suite, en espérant qu'elle soit à la hauteur. Eh oui, c'est la rançon de la gloire ! On veut en savoir plus, comprendre, mettre des noms sur les menaces véritables, définir les lignes de front et les enjeux de cette expédition... D'autant que, on peut l'imaginer, on changera de point de vue, avec un autre personnage central pour le tome 2.

lundi 11 mai 2015

“L'entreprise ne peut exiger la loyauté de ses salariés : elle doit la mériter" (Charles Handy).

Bon, évidemment, en choisissant une phrase d'un professeur émérite de la London Business School pour ouvrir ce billet, je me complique la vie. Car, c'est un livre très drôle dont nous allons parler aujourd'hui, malgré cette thématique que certains jugeront peut-être rébarbatif. Oui, nous allons parler d'un roman très drôle, et en plus, c'est un roman de fantasy, alors, mesurez un peu l'exploit de l'auteur et la tâche qui attend le modeste blogueur que je suis pour vous en convaincre. Pourtant, en rassemblant quatre nouvelles mettant en scène son personnage fétiche du Troll dans son milieu naturel, une mine dont il est l'un des cadres, Jean-Claude Dunyach relève parfaitement le gant. Vous vous ennuyez au bureau ? Vous trouvez votre patron casse-c..., euh pieds, vos stagiaires neuneus et vos collègues gris et poussiéreux ? Alors, "l'instinct du Troll", désormais disponible aux éditions de l'Atalante est fait pour vous (et pour mon poste de vendeur en télé-achat, je crois que je ne suis pas mal...) !



"L'instinct du Troll", ce sont donc quatre nouvelles, mais elles s'enchaînent et se complètent parfaitement, et c'est comme si on avait, au final, un roman entre les mains. Un roman qui raconterait la vie quotidienne d'un cadre d'une entreprise de taille moyenne, avec ses missions, ses initiatives, les vicissitudes du job et, parfois, un léger découragement qui donne envie de distribuer de la mandale à la ronde...

Le Troll bosse dans une mine où il doit perpétuellement surveiller les mineurs, des nains particulièrement studieux qui, si on les laissait faire, auraient tôt fait de tout transformer en un immense gruyère. Alors, il faut calmer les ardeurs et rationaliser, ce que ce brave Troll des montagnes essaye de faire de son mieux, en gardant un calme toujours précaire.

Oui, notre Troll, qui n'a pas de nom, en tout cas, pas dans ce recueil-ci, est parfois un peu soupe-au-lait. Solide comme le roc qu'il est et dont il est issu, abreuvé d'eau ferrugineuse (vous connaissez le refrain, je n'insiste pas), nourri aux gemmes, les plus précieuses étant les plus savoureuses, notre antihéros mène sa barque comme il peut dans un monde où il ne se sent pas toujours à sa place.

C'est un solitaire qui a, quoi qu'on en pense, l'amour du travail bien fait et son poste lui convient parfaitement, courroie de transmission entre la direction et la base, avec une certaine marge de manoeuvre qui lui permet d'intervenir à sa guise, c'est-à-dire avec une brutalité de bon aloi, mais aussi, parce que c'est parfois nécessaire, tact et doigté.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si on n'avait pas décidé de lui refiler dans les pattes... un stagiaire ! Cédric, un gentil garçon, gentiment de bonne famille et gentiment pistonné. Et qui n'y connaît gentiment rien, au monde de l'entreprise, du management, de la mine, et de tout le tralala. Au Troll de former cette bleusaille...

Et ce n'est pas simple, car les missions qu'on va leur confier demandent de l'expérience et de l'autorité. Voire, un soupçon de roublardise. Et, si rien ne marche, quelques bourre-pifs et un sérieux ravalement des façades, pas seulement celles qu'on doit aux maçons. Reste à savoir si la pédagogie made in Troll peut servir à Cédric pour devenir le dirigeant de demain...

Sans oublier les procédures, c'est le b.a.-ba du boulot, les procédures. Par exemple, ne jamais oublier les notes de frais lorsqu'on travaille hors les murs. Et, parfois, le Troll est étourdi, il lui faut repartir, le long du fleuve Affligé, au-delà des falaises du Désespoir, jusqu'aux marais de la Mort Sinueuse, à travers des régions où on n'aime pas toujours les Trolls...

Mais, ce premier périple n'est rien, vraiment rien, à côté d'une expédition aux archives. Une autre mission terriblement délicate, mais tellement formatrice pour le stagiaire, qui va pouvoir apprendre les écueils à éviter absolument. Force est de constater, page après page que le jeune homme a encore beaaaaucoup à apprendre avant de pouvoir espérer postuler à un poste de direction.

Il s'accroche, pourtant, et devient même un bon compagnon pour le Troll, lancé dans des missions délicates, mais cruciales pour l'évolution de la mine. Et pas seulement en interne, mais aussi pour sa réputation. Son image. Car l'entreprise est en pleine mutation et entend bien entrer dans une nouvelle ère : celle d'un libéralisme effréné, avec lequel notre brave Troll n'est plus vraiment en phase.

Difficile de vous raconter ce livre, mais, faites-moi confiance, Jean-Claude Dunyach mène parfaitement sa barque. Avec ce génie de faire du bureau, disons les choses ainsi, et de l'entreprise, un univers de fantasy en y appliquant, avec finesse, humour et pertinence, des archétypes et des créatures qu'on s'attendrait à voir évoluer différemment.

Mais, rassurez-vous, il y a aussi de l'action, du suspense et une galerie de personnages qui vaut le coup d'oeil, de Sheldon, le roi des nouvelles technologies, à la Trollesse, le grand amour de notre Troll qui n'a pas de coeur de pierre, et quelques autres personnages plus secondaires, mais qui apportent tous leur écot au bon moment que l'on passe à cette lecture.

En plaçant le Troll dans des situations du quotidien de la vie au bureau, que nous serons nombreux à reconnaître, et en les transposant dans un univers de fantasy où l'on retrouve tout ce qui fait le charme de ce genre littéraire, on obtient un décalage qui lui-même suscite le sourire, car, évidemment, il se moque gentiment des codes en vigueur.

Il se permet même, pour notre plus grand plaisir, de revisiter certains mythes, comme celui du Roi Arthur et d'Excalibur, passé à la moulinette dunyachienne pour un irrésistible et franc moment de rigolade. Rarement cela m'arrive, mais il a fallu que je m'arrête, parce que je riais, seul dans ma chambre, comme un zozo... Irrésistible, je vous dis. Et tellement, euh... visuel.

Bien sûr, c'est potache, mais que ça fait du bien ! Le jeu et le mélange des genres, les images que suscite la fantasy pour évoquer le quotidien qui est celui de beaucoup (pour la mine, remplacer ça par le travail à la chaîne, l'open-space, bref, l'univers qui vous convient, que vous connaissez le mieux), tout cela contribue à exorciser ce qui, une fois le livre refermé, n'est pas toujours très drôle à vivre.

Et l'analyse que fait Jean-Claude Dunyach, fin observateur et lui-même sans doute proche du Troll (pas physiquement, hein, n'exagérons pas), est très pertinente. A la fois sur le rôle du cadre, le fonctionnement de l'entreprise et sur cette évolution qui fait la passer d'un capitalisme de papa à la mise en place d'un capitalisme financier à outrance.

On croise même un personnage qui est une espèce d'Arlésienne, laissant sa trace partout mais sans jamais qu'on le rencontre, et qui incarne cette profonde métamorphose du milieu dans lequel évolue le Troll. Une espèce de fondu qui débride les nains comme d'autres les moteurs et les laissent creuser des trous comme s'ils usinaient des pièces mécaniques. Formidable monde où l'on fabrique des trous que tout le monde s'arrache ensuite...

La dernière nouvelle, même si elle regorge de gags et de moments drôles (Jean-Claude, je veux l'adresse du salon de coiffure de la Trollesse, j'ai besoin de me faire beau pour les Imaginales), possède d'ailleurs une tonalité différente, plus nostalgique, plus angoissée, aussi, peut-être, devant ces changements à marche forcée qui modifient la routine et l'ordinaire bien rôdé du Troll.

Eh oui, on peut jouer la satire, la caricature, écrire un roman qui a pour but de distraire et d'amuser le lecteur, et pourtant, ne pas perdre de vue le fond. Parfois, la fantasy est vu comme un genre déconnecté du réel, certains lecteurs l'aiment même pour cela. Ici, pas besoin de chercher les passerelles entre l'univers de l'écrivain et notre douillet petit monde : cela saute aux yeux, et c'est efficace.

Soyez attentifs aux titres des quatre nouvelles qui composent ce recueil, car ils sont particulièrement bien choisis et, je ne pense pas me faire des idées, peuvent être lus à plusieurs niveaux. Celui du récit lui-même, mais aussi, comme des principes en vigueur dans ce monde-ci, dans l'univers impitoyable du travail.

Ils donnent le ton, dès la première ligne de ces chapitres et, d'une certaine façon, leur graduation croissante est aussi un indicateur : on va du superflu à l'essentiel, de la paperasserie de base que sont les notes de frais, aux contrats les plus importants qu'on cherche à honorer en toute discrétion, sous couvert d'autres festivités plus présentables.

Le Troll n'est pas un rebelle, mais il a son petit caractère et son petit confort, aussi. J'ai écrit le mot routine, un peu plus haut, je crois, mais il y a de ça dans ce que l'on découvre de la vie du Troll. Or, pendant que l'entreprise évolue, lui aussi connaît des bouleversements dans son existence. Pas seulement celle au bureau, induite par les changements de l'entreprise, mais aussi dans sa vie privée.

Les objectifs, ceux de l'entreprise et ceux du Troll, évoluent et il se pourrait bien qu'ils divergent (et divergent, c'est énorme !). Ce que le Troll gagne en "humanité", l'entreprise le perd. Quand je parle d'humanité pour le Troll, comprenons nous bien, ce n'est pas Shrek hésitant entre devenir un homme ou rester un ogre lorsqu'il embrassera Fiona.

Non, simplement, le personnage renfermé, renfrogné, solitaire et isolé, volontairement isolé, qu'on découvre dans les premières pages, ressent peu à peu le besoin de renouer des relations trollesques, de retrouver son passé, jeté aux oubliettes, de ne plus faire de son job une priorité absolue, mais de penser un peu à lui.

Une vraie rupture qui contraste avec l'évolution d'une entreprise qui en demande toujours plus, pousse aux cadences infernales, impose des objectifs fortement à la hausse, se moque complètement des ravages qu'elle commet sur l'environnement... Bref, se détache d'une réalité dans laquelle elle s'intégrait jusque-là.

Oui, là encore, je donne une image sombre de ce livre, mais, j'insiste, on rit énormément des vicissitudes que rencontrent le Troll, de la naïveté un peu couillonne du stagiaire, du geek Sheldon, perdue dans un monde à lui, en quête d'une princesse tout aussi perchée que lui, de la Trollesse tellement nature, etc.

Vous voulez rire en lisant de la fantasy ? Rire tout court en lisant un livre ? Et rire, oui, mais pas bêtement, ou sans perdre de vue l'essentiel. Rire pour exorciser, rire pour dénoncer. Allez, lancez-vous, je ne crois pas que vous le regretterez, parce que cette farce tient parfaitement debout. Et l'on devrait, mon petit doigt me m'a dit, bientôt retrouver de nouvelles aventures de ce Troll, peu engageant de prime abord, et pourtant si attachant.

vendredi 8 mai 2015

"Le passé est toujours plein de violence et de sang. Ca ne veut pas dire que ses fantômes errent encore" (P.D. James).

Phyllis Dorothy, et non son fantôme, pour ouvrir notre billet du jour. Mais, possible que l'on croise, au fil des lignes, quelques-unes de ces créatures. Car c'est un roman fort angoissant dont nous allons parler ce jour, dans lequel l'auteur a convoqué les mânes d'un certain nombres d'auteurs et de réalisateurs, et pas mal de références à des livres qui nous ont tous (ou presque) marqués. La folie a souvent été au coeur des romans de Régis Descott, avec "les variations fantômes" (en grand format chez Lattès), il ne déroge pas à ce principe, sauf que, une fois le livre refermé, on se demande sérieusement si le cinglé, ce n'est pas tout bonnement... le lecteur ! Un bel exercice de style, en huis clos, avec une sensation d'oppression qui monte, qui monte, au fur et à mesure des rebondissements, et un final dont on se libère difficilement, parce que ce livre hante...



Un weekend de Toussaint, un groupe d'hommes et de femmes prennent le train direction l'est de la France. Réunis, à leur grande surprise, par le Docteur Morel, ces six personnes sont invitées à passer quelques jours dans une magnifique demeure qu'un magnat de la finance, Monsieur Wolf, a récemment rachetée pour s'y installer.

L'endroit s'appelle l'Etoile et il s'agit d'une espèce de folie bâtie au milieu de nulle part, isolée de tout, ne ressemblant à rien d'autre et construite à la fin du XIXe siècle. Au premier abord, pas vraiment le genre d'endroit qu'on a envie de visiter pour le plaisir. Mais, ça tombe bien, le Docteur et ses disciples ne sont pas là pour s'amuser, mais pour bosser.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'accueil qui leur est réservé est à la hauteur de la froideur du lieu... Pas de maître de maison, mais l'intendante des lieux, une certaine Madame Virail, et l'épouse du propriétaire, Camille, pas ravie du choix de son mari d'avoir emménagé dans ce coin perdu, et leur fillette, Gloria.

M. Wolf n'a pas complètement abandonné ses affaires, mais il rejoint ses invités un peu plus tard, essayant de faire partager son enthousiasme pour ce retour à la terre, cette nouvelle vie de gentleman farmer qu'il veut mettre en place et le choix de cette propriété si particulière. Mais on sent bien que quelque chose turlupine le milliardaire...

Et surtout, on commence à comprendre que ses invités n'ont pas été choisis par hasard : tous sont des patients du Docteur, tous le voient car ils possèdent, disons, certains talents, certaines aptitudes particulières. Ils s'appellent Vicky, Leila, Evelyn, Clovis, Luca et Serge, qui est, par ailleurs, le narrateur. Et M. Wolf comptent sur eux pour mettre fin à la malédiction qui pèse sur l'Etoile.

Bien sûr, présenté comme ça, l'idée peut faire sourire. Mais pas longtemps... Car, non seulement le temps se gâte au-dessus de l'Etoile, avec l'apparition d'un brouillard à couper à la tronçonneuse, mais en plus, la demeure se retrouve bientôt privée d'électricité et de réseau téléphonique. M. Wolf, sa famille et ses invités sont donc coupés du monde.

Et, alors qu'il faut bien prendre son mal en patience, les premières manifestations étranges sont perçues par Serge et ses camarades. Et chacun d'eux va avoir son rôle à jouer, car leurs "dons", appelons ça ainsi, sont parfaitement complémentaires. Au point que ce que capte l'un ne l'est pas forcément par d'autres. Par exemple, Serge, qui gagne sa vie en jouant du piano, entend le superbe instrument installé dans l'une des salles principales... jouer seul.

Mais que se passe-t-il donc à l'Etoile ? Pardonnez-mois, reformulons : mais que s'est-il donc passé à l'Etoile ? Car bientôt, il ne fait plus de doute que l'endroit est hanté et que ces fantômes ne se sont pas installés là par hasard. Voilà la raison de l'invitation conjointe de M. Wolf et du Docteur à ces six jeunes hommes et femmes : comprendre.

Comprendre et débusquer les fantômes de l'Etoile. Autrement dit, déchiffrer tous les indices à leur disposition, y compris les plus étranges, les plus effrayants, pour découvrir les événements, forcément terribles, qui ont pu conduire à la hantise de la demeure. Les débusquer... et les chasser, ou au moins, leur offrir un repos éternel auquel ils ne goûtent manifestement pas encore.

Une tâche qui est loin d'être évidente. D'abord parce que ce n'est pas l'harmonie qui règne franchement au sein du groupe, que le fait que le Docteur n'ait pas été très franc du collier avec eux passe mal, que la situation comprend bien des inconnues, et pas seulement au sujet des fantômes qui rôdent à l'Etoile. Comme le brouillard, les mystères vont en s'épaississant.

Et, au fil des heures, qui passent comme des semaines (je parle pour les personnages, pas pour le lecteur, mis sous tension), l'inquiétude croît et l'Etoile prend des allures de piège se refermant inexorablement sur eux. Vous avez frissonné aux premières manifestations ? Attachez vos ceintures, alors, parce que le pire et le plus effrayant restent à venir !

Régis Descott joue avec un certain nombre d'archétypes pour créer le décor très spécial dans lequel il convie cette fois ses lecteurs. Mais il le fait avec finesse et surtout, en concoctant une recette dont on découvre, petit à petit, les ingrédients, les étapes de fabrication jusqu'au produit fini. Car, dans le résumé ci-dessus, qui j'espère, vous intriguera, on n'est loin bien loin d'être entré dans le vif du sujet, seuls quelques jalons sont posés.

Quelque part entre Stephen King et Agatha Christie (deux références qui viennent naturellement à l'esprit et qui apparaissent même dans le cours du récit et ne sont pas les seules présentes), on se sent à l'étroit dans cette immense maison au milieu de ce parc sinistre qui semble ne pas avoir de limite et où chaque ombre finit par faire sursauter.

On sent dans le récit même que fait Serge de la situation qu'il ne maîtrise rien de ce qui peut se passer et que chaque pas en avant en annonce deux ou trois en arrière, que chaque réponse mise à jour apporte son lot de nouveaux problèmes à résoudre. Déstabilisés, déboussolés, les six compagnons d'infortune peinent à garder leur sang-froid.

Ils ne sont pas les seuls, car, Wolf et sa femme n'ont pas l'air beaucoup plus sereins. Seul le Docteur, étonnamment zen, échappe à l'angoisse latente, tout comme la petite Gloria, qui, de par son jeune âge, semble être imperméable à la situation, ou encore Mme Virail, aux faux airs de Mrs Danvers. Mais pour combien de temps ?

Et si ce n'était pas les fantômes qu'il fallait craindre, mais cette maison elle-même, à l'architecture bizarre, à la situation géographique parfaite pour susciter une sorte de fascination. D'ailleurs, au printemps, sous un doux soleil, qui dit que cette demeure ne paraîtrait pas accueillante, au milieu d'un décor bucolique à souhait...

Mais là, dans le brouillard, dont peut surgir un nouveau danger à n'importe quel moment, comme à l'intérieur, où l'on ne se sent guère en sécurité, dès qu'un tuyau glougloute ou qu'un parquet craque, il faut reconnaître que l'on a de quoi sentir ses nerfs se tendre comme des cordes de piano. Et se dire que, effectivement, c'est la baraque qui tient les rênes...

On cherche à comprendre ce qui se passe et dans quelle galère se sont embarqués, bien malgré eux, les six personnages en quête de l'auteur de ces actes surnaturels. L'histoire suit un crescendo constant, jusqu'au point de rupture où l'on perd tout repère, où les limites entre le réel et le fantastique se brouillent complètement.

Serge et ses amis pourraient parfaitement être les personnages d'un épisode de "la Quatrième Dimension", lorsque la perception du réel change du tout au tout... Et, pour reprendre le titre original de la série, force est de constater que l'Etoile est bien au coeur d'une "Twilight Zone"... L'intrigue des "Variations fantômes" est parfaitement menée et l'on se laisse embarquer dans ce labyrinthe.

J'insiste beaucoup, j'ai l'impression, depuis le début de ce billet, sur l'ambiance dans laquelle se déroule le roman. Mais elle est capitale pour que prenne la mayonnaise et que l'angoisse gagne du terrain, comme monte une crue. Et cet aspect-là du roman de Régis Descott est incontestablement très réussi, à vous filer des cauchemars.

Mais, ce sont aussi les personnages qui font de ce roman un moment de lecture si particulier. Car, eux aussi, sont entourés de mystères, d'interrogations. Et si l'un d'entre eux menait la danse, à l'insu des autres ? Et si tout cela n'était qu'une mascarade mise en scène pour des raisons peu avouables ? Les possibilités semblent augmenter au fil des pages...

Reste le dénouement, dont je ne vais évidemment pas parler en détails, rassurez-vous. Un point culminant, un paroxysme, allez, osons les grands mots, un acmé ! Le tourbillon devient cyclone et va apporter des réponses qui risquent bien de vous plonger dans des abîmes de réflexion... Oui, encore une fin qui va permettre à chacun d'avoir son interprétation ! J'aime bien ça.

Ajoutez-y une jolie pirouette, assez culottée, au demeurant, pour conclure qui ajoute un peu plus à l'ambiance si étrange de ce roman. Oui, Régis Descott a fait fort, sur ce coup, en manipulant ses lecteurs autant que ses personnages et, après avoir tâté du thriller (en milieu psychiatrique), du polar historique, de la littérature blanche et même de la SF, le voilà auteur de fantastique à part entière.

Préparez-vous, rendez-vous à l'Etoile, pour vous aussi, fendre le brouillard, éviter les ornières et les trous, pénétrer dans cette maison qui résonne de tout un tas d'étranges bruits, où il s'est passé et se passe encore des choses bien mystérieuses et visitez-la de fond en comble afin d'en découvrir les secrets, tous les secrets. Même les plus déroutants. Car, après tout, qui dit que cette histoire relève du fantastique ?

jeudi 7 mai 2015

"L'amour dans ma vie ressemble à ça, à une angoisse de la page blanche".

Sachez-le, ce billet a bien failli s'intituler "Eloïse ange gardien", et puis, je me suis dit que ce ne serait pas forcément très sympa pour le livre et son auteur... Alors, je suis, comme souvent, allé piocher une citation au coeur même du livre, qui me semble assez bien refléter l'état d'esprit des personnages. Voici une comédie romantique et fantastique (les deux termes pouvant être intervertis) qui a un charme certain et ne devrait pas manquer de faire verser quelques larmes, mais pas forcément là où on s'y attend. "La porte du secret" est le deuxième roman de Christel Noir et vient de paraître aux éditions Héloïse d'Ormesson. Un joli moment de lecture où l'amour est évidemment le coeur du récit, mais sous différentes déclinaisons, avec des personnages surprenants et dans un univers rempli de livres anciens...



Lors d'un weekend en Normandie pour fêter l'anniversaire de Margaux, sa meilleure amie, Marie fait la rencontre d'un homme, Josh, scénariste et animateur de cours pour les apprentis cinéastes des deux côtés de l'Atlantique. Manifestement, la rencontre n'est pas vraiment fortuite : Margaux a bien mené sa barque pour que ces deux coeurs solitaires entrent en collision.

Et le courant passe entre Marie et Josh, c'est indéniable, mais aucun des deux ne franchit le pas. Pire, Josh doit quitter la France pour Los Angeles dès la fin du weekend, c'est donc un océan qui va séparer les deux potentiels tourtereaux. Marie, elle, va pouvoir retrouver sa vie bien remplie et surtout sa librairie où elle vend des livres anciens.

Pourquoi de telles hésitations, alors ? Parce que Marie et Josh traînent tous les deux leur passé comme un bagnard son boulet. Non, c'est bien plus encombrant encore, en fait. Marie, qui entretenait une relation très forte avec son grand-père, a repris sa librairie à la mort de celui-ci et s'y consacre corps et âme, comme si elle espérait le faire survivre à travers ces rayonnages.

Toute concentrée sur cette mission, qu'elle s'est elle-même assignée, Marie a sacrifié tout le reste, y compris sa vie sentimentale et personnelle. Mais, pour autant, et c'est assez paradoxal, elle qui s'est installée dans l'appartement du défunt grand-père, n'a jamais pu, depuis son décès, entrer dans sa chambre. Comme si franchir cette porte risquait de rompre un charme...

Josh, pour sa part, n'est pas remis du deuil terrible qui l'a frappé lorsque sa femme, Hélène, a été renversée par une voiture. Brutale, cette disparition l'a plongé dans un profond désarroi dont il ne parvient pas, et on peut le comprendre, à sortir. L'homme est toujours profondément amoureux de cette épouse défunte et cela le bloque lorsque se profile toute nouvelle relation avec une femme.

Avec Marie, ça n'a pas manqué. Oui, elle lui plaît, c'est évident, mais il lui semble que nouer une relation plus intime serait comme tromper Hélène... Raisonnement irrationnel, mais, c'est surtout l'impossibilité de Josh à faire son deuil, expression certes un peu bizarre, mais qui, ici, convient parfaitement, qui ressort avec force.

A son retour à Paris, c'est pourtant Marie qui va avoir la surprise de sa vie. Soudainement, la voilà face à un étrange personnage qu'elle semble la seule à voir et surtout à entendre. Eloïse, se présente l'ectoplasme. Apparemment, elle est chargée de remettre un peu d'ordre dans les idées de Marie et, surtout, de l'aider à ne pas rater l'occasion qui se présente à elle d'enfin vivre sa vie, sans amarres, sans rompre tout lien avec son passé, mais en s'en libérant.

La créature est pleine de bonne volonté, mais aussi d'une grande naïveté. C'est sa première "mission", alors, elle découvre les humains dans l'exercice de leur fonctions. Mais, c'est aussi sa force, parce qu'elle n'est pas encombrée par les souvenirs qui emprisonnent Marie dans leurs rets. La fraîcheur d'Eloïse fait toute sa force.

Qui est, alors, Eloïse ? On l'appelle "ange gardien", mais c'est plus par commodité. A aucun moment, il n'y a de dimension religieuse, dans le personnage d'Eloïse. Cela peut aussi bien être une sorte de Jiminy Cricket, une allégorie de la voix de la conscience de Marie, en plein débat intérieur. A vrai dire, peu importe qui est ou ce qu'est Eloïse, c'est son action qui compte et comment elle influe sur les choix de Marie.

Et Eloïse n'est pas seule à mener cette action pour que Marie prenne enfin son destin en main. Elle peut compter sur deux complices qui accompagnent depuis un moment la libraire dans son existence. Et ce duo-là vaut le détour. Ce sont même, allez, je le dis, les deux personnages les plus forts du romans, même si leurs rôles sont secondaires.

Ils s'appellent Noémie et Emile et sont aussi différent qu'on peut l'être : elle est une adolescente rebelle et volubile, qui joue la provoc' à fond pour fuir des parents qui se disputent sans cesse ; lui est un vieil homme, ami de longue date du grand-père de Marie, muet depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et qui hante, oui, le mot est le bon, la librairie, plus encore depuis la mort de son seul ami.

Qu'ils sont touchants, ces deux-là ! Une incroyable complicité et une immense tendresse émanent d'eux. L'un veille sur l'autre et réciproquement, celle qui a la vie devant elle et l'autre qui a la sienne derrière lui... La jeunesse et la fougue de l'autre, l'expérience et le calme de l'autre. Oui, vraiment, j'ai adoré ces deux personnages qui mettent du piment dans ce livre. Et plus encore.

La manière dont ils vont prendre en charge la timide Marie pour, avec le soutien d'Eloïse, avec qui ils communiquent de façon, disons, artisanale, est elle aussi très touchante. Leur abnégation fait d'autant plus chaud au coeur que, eux aussi, d'une certaines façons, ne volent pas de leurs propres ailes. Et c'est aussi ce qui fait le charme de "la porte des secrets" : dans le sillage de Marie, eux aussi vont évoluer, profondément.

Car, si Marie et Josh se sont emmurés dans leur douleur, Noémie et Emile ont choisi de porter des masques, pour avancer dans une vie pas toujours rose. L'adolescente, impétueuse, bravache mais aussi timide, se planque derrière des allures de rebelles et de ringarde, aussi, méprisant le regard des autres, qui la blesse, pourtant.

Elle se bat autant contre elle-même que contre le monde entier, jouant la carte de la grossièreté et du sarcasme, alors qu'elle n'a besoin que d'attention, de tendresse et qu'elle n'est certainement pas celle qu'elle montre à tout le monde. Une adolescente comme tant d'autres, finalement, qui essaye d'exister mais n'a pas encore pris véritablement son envol.

Quant à Emile, le silence qu'il garde, tant sur son passé, douloureux, que sur tout le reste, lui évite finalement d'affronter l'infinie solitude dans laquelle il évolue depuis tant d'années. A la mort de son seul ami, le grand-père de Marie, cet état a encore empiré et il s'est accroché à elle, reprenant le flambeau du grand-père.

D'une certaine manière, Marie et Emile agissent différemment, mais pour les mêmes raisons : elle cherche à faire perdurer la mémoire de son grand-père, Emile veille sur elle à son tour, jusqu'à ce qu'enfin, elle se décide à prendre les rênes de sa propre existence. Il est muet, Emile, mais n'en pense pas moins et sa discrétion, et son élégance, qui l'accompagne, ne sont pas les moindres de ses qualités.

Reste le thème central de ce roman : le deuil, et la difficulté à accepter la disparition. Avec une dimension que je trouve très intéressante, car ce deuil n'est pas seulement vécu comme la perte d'un être cher, même si c'est évidemment important, mais aussi comme un surcroît de responsabilité à assumer pour le vivant.

Je l'ai dit, Marie se consacre à la librairie comme si l'âme de son grand-père y résidait, et Josh, lui, est toujours un époux fidèle et dévoué à la mémoire de son épouse morte. Ils sont eux-mêmes leurs propres geôliers, refusant, consciemment ou inconsciemment, de laisser partir leurs morts. Car, c'est vraiment la sensation que l'on a : un acharnement à rejeter l'idée de la mort de l'être aimé.

Ce fil à la patte est difficile à détacher, cela nécessite une acceptation qui est, nous le savons tous, bien souvent l'étape du deuil la plus compliquée à franchir. Plus, sans doute, pour Josh, qui a dû affronter un décès brutal et inattendu. On est hors de schémas classiques, de carcans sociaux, de codes moraux.

On se trouve face à une démarche éminemment personnelle et intime, presque un sacrifice, un renoncement à la puissance grisante d'un amour qui s'est arrêté avec la mort d'un des deux acteurs. Le souvenir est encore incarné, il faut, non pas qu'il s'efface, mais qu'il prenne la place qui doit être la sienne, au coeur de la mémoire.

Jamais Marie n'oubliera son grand-père, jamais Josh n'oubliera Hélène, mais chacun d'eux doit, pour revivre pleinement, franchir de nouvelles étapes, construire de nouvelles histoires (ici, on parle d'histoire sentimentale, mais je crois qu'on peut étendre le raisonnement à bien d'autres activités) et suivre un destin mis en stand-by.

Le terme de "comédie sentimentale" est souvent trompeur, parce que le côté comique y transparaît plus que les thèmes, parfois bien moins légers, qui sont traités. Mais, tout est aussi dans la tonalité donné à l'ensemble du livre. Et, faut-il y voir l'action d'Eloïse, sorte de lumignon déchirant la grisaille, mais "la porte du secret" est plutôt lumineux.

Malgré les difficultés, le fardeau de destins pas évidents, les personnages, particulièrement les protagonistes secondaires, apporte ce qu'il faut de légèreté dans cet ensemble qui pourrait vite s'avérer pesant. Reste que la comédie n'exclut pas une gamme de sentiments plus sombres, et on a aussi, au fil des pages, son content d'émotions.

Quant au fantastique, il intervient de façon agréable, sans être trop pesant ou tout écraser. Au contraire, il apporte lui aussi cette touche de fantaisie qui permet de faire évoluer les personnages sans trop alourdir l'ensemble. C'est un outil, pas le coeur du roman, cette présence. D'autant, encore une fois, que chaque lecteur verra certainement Eloïse de façon différente selon son humeur ou son parcours propre.

Au final, on sourit, on a les yeux humides et on s'attache à des personnages qu'on aimerait bien voir évoluer encore. Parce que, après les avoir découverts à des moments très difficiles, on se dit qu'ils vont, petit à petit, retrouver le bon rail qui mène vers des eaux plus tranquilles. Et surtout plus heureuses. Et rompre enfin l'angoisse de la page blanche, car tous les personnages vont enfin avoir les mains libres pour écrire eux-mêmes les nouveaux chapitres de leurs vies.

mardi 5 mai 2015

"Je suis censé n'avoir qu'une raison de vivre : la défense de notre religion et de valeurs auxquelles nous croyons. Et, selon moi, la justice est la première d'entre elle".

Phrase de titre un peu longue, je m'en excuse, mais il fallait cela pour planter le décor de notre roman du jour. J'aurais pu (dû ?) aller chercher ce titre dans une oeuvre classique, vous allez vite comprendre pourquoi, mais je n'en ai eu ni le temps, ni franchement le courage, je l'avoue, bien que la lecture du texte en question ne serait pas forcément pour me déplaire. Voici un étonnant roman, puisque c'est incontestablement un space opera, donc un roman de science-fiction, mais, de part son sujet et sa base historique, on ne serait pas loin d'avoir en main un roman de fantasy... Avec "Dominium Mundi" (en grand format chez Critic), François Baranger nous emmène dans une étonnante aventure spatiale, mais pas seulement. Car, ce sont bel et bien les croisades que le romancier a transposé dans le futur et dans l'espace, s'inspirant, au passage, de la Jérusalem délivrée, l'oeuvre du Tasse. Et, dans ce premier tome de ce diptyque, on voyage vers cette nouvelle Terre Sainte, bien lointaine...



Depuis la Guerre d'Une Heure, qui s'est déroulée un peu plus d'un siècle plus tôt, le monde a bien changé. Certaines régions sont devenues totalement inhabitables, dont le Proche-Orient, et, dans la majorité des régions encore vivables, c'est l'Eglise qui a repris la main, instaurant "le Dominium Mundi", sous la férule du pape Urbain IX.

Le "Dominium Mundi", concept qui remonte au Moyen-Âge, c'est l'extension du monde chrétien, sur le modèle de l'empire romain, auparavant. Une mission spirituelle et d'évangélisation qui n'est pas toujours facile. Mais, en cette année 2202, la mainmise du Vatican sur la surface terrestre est quasi totale et l'Eglise n'a sans doute jamais été aussi puissante.

Désormais, c'est bien plus loin que Urbain IX entend étendre le "Dominium Mundi". Des voyages spatiaux ont été organisés, au-delà de notre système solaire, pour conquérir de nouveaux territoires. C'est Alpha du Centaure qui a été choisi pour destination, mais, une fois sur place, les missionnaires ont connu quelques surprises. Des bonnes... et des mauvaises.

Les mauvaises, c'est que la planète sur laquelle ils ont atterri était habitée et que le peuple autochtone, les Atamides, s'est montré particulièrement virulent. Les armées terriennes ont subi de cuisantes défaites, l'expédition a été quasiment intégralement décimée et les territoires n'ont donc pas pu être conquis comme prévu.

Mais, avant d'être ainsi repoussés, les Terriens ont eu le temps de faire une incroyable découverte. C'est en effet sur cette planète lointaine que se trouve le véritable tombeau du Christ. La révélation, extraordinaire, tombe à pique, mais l'échec de l'expédition a quelque peu terni les puissantes sensations liées à la découverte majeure.

Alors, aux grands maux, les grands remèdes, décide Urbain IX. Comme un autre pape nommé Urbain, Urbain II, celui-là, quelques 11 siècles plus tôt, le souverain pontife décide de lever une gigantesque armée et de repartir en croisade. Cette fois, ce ne sont pas les déserts de Palestine qui verront les Croisés débarquer, mais cette mystérieuse et lointaine planète où vivent les Atamides.

Pour cela, les technologies les plus modernes ont été mises à contribution et, des usines, est sorti un gigantesque vaisseau, le Saint-Michel, chargé de transporter un million de personnes, soit une gigantesque armée et toute l'intendance qui se doit de l'accompagner dans un aussi long voyage. Une ville volante, et se déplaçant à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière...

Lorsque le roman débute, on est à la veille du décollage de cette incroyable forteresse volante. Et l'on découvre celui qui sera le personnage central de cette aventure : Tancrède de Tarente. Le héros, au sens littéraire du terme. Un homme sans peur et sans reproche, un méta-guerrier, le plus haut échelon en termes de valeurs pour les soldats.

Tancrède est un soldat, issu de la petite noblesse normande. Sa famille n'est pas riche, au contraire, elle peine à conserver ses terres. Mais, la vocation du jeune homme est de se battre et participer à l'extension du "Dominium Mundi". L'occasion de se couvrir de gloire, ce qui n'est pas vraiment ce qu'il cherche, mais surtout, de conquérir ce territoire pour faire du lieu où se trouve le véritable tombeau du Christ une terre chrétienne.

Pourtant, peu à peu, on va découvrir, au fil des péripéties qui se déroulent lors de ce long voyage, que Tancrède n'est pas aussi monolithique qu'il n'y paraît, qu'il n'est pas imperméable au doute. Pas en ce qui concerne sa foi, elle, elle est inébranlable. En revanche, ses doutes sont plus terre à terre, plus politiques. Car "Dominium Mundi" n'est pas seulement un roman de SF, c'est aussi un vrai roman de politique fiction.

A bord du Saint-Michel, on a en effet un aréopage de personnalités importantes du monde chrétien. Des soldats, bien sûr, comme Godefroy de Bouillon ou encore ce seigneur normand, Robert de Montgomery, que certains surnomment le diable, ennemi juré de la famille de Tancrède... Mais aussi des personnalités charismatiques, capables d'entraîner à leur suite ce gigantesque régiment.

Là, je pense à Pierre l'Ermite, dont l'influence auprès du pape est énorme, mais qui n'est ni un politique, ni un soldat et encore moins un chef de guerre. Sa position à la tête de la croisade ainsi que sa relation particulière avec Urbain IX font grincer des dents et la situation, entre les leaders de la croisade est souvent tendue.

Ces tensions, mais aussi les missions qui se dessinent et que font devoir accomplir Tancrède et ses hommes une fois sur le terrain, voilà ce qui fait douter le méta-guerrier, car cela ne correspond pas vraiment à l'idéal chrétien qu'on lui a enseigné. Et le colosse se pose bien des questions, qui vont être amplifiées par une rencontre fortuite.

Albéric est à l'opposé de Tancrède dans l'organigramme de la croisade, si vous permettez ce terme. Lui ne voulait pas partir, bien au contraire, mais ses connaissances techniques lui ont valu d'être enrôlé de force pour faire fonctionner le Saint-Michel. Malgré la fascination qu'exerce la fabuleuse technologie embarquée sur le vaisseau, Albéric, qui n'a rien d'un combattant, garde au coeur un certain esprit de rébellion.

Entre les deux hommes, et malgré le danger, pour l'un comme pour l'autre, que représente cette amitié naissante, le courant va passer. Et la belle stature de Tancrède va commencer à vaciller. Le doute, c'est vrai, mais les attaques, aussi, qui vont redoubler contre lui. Car l'homme est impétueux, irascible, bagarreur. Un peu trop.

Ajoutez à ce contexte politique délicat, un mystère en apparence bien différent, mais pourtant loin d'être anodin. On tue sur le Saint-Michel. Et d'une façon qui a de quoi inquiéter en haut lieu. Aurait-on embarqué un clandestin extrêmement dangereux, possédant des aptitudes effrayantes sur le bâtiment ? Et si c'est le cas, quel objectif poursuit-il ?

Tancrède, qui a des raisons personnelles d'enquêter sur cette affaire, va vite comprendre que le sujet est sensible et qu'il commence à déranger au sommet de la hiérarchie. De quoi renforcer son impression qu'on lui cache tout, qu'on ne lui dit rien. De quoi renforcer son entêtement à découvrir la vérité. Et de quoi donner des atouts supplémentaires à ses ennemis, déclarés ou plus discrets, pour l'abattre, s'il devient trop gênant...

Voilà, j'ai à la fois survolé ce roman et en même temps, essayé de vous en donner un aperçu complet. Vous l'aurez aisément compris, si ce premier tome fait ses 600 pages, ce n'est pas pour rien, il se passe énormément de choses lors de ce voyage vers l'inconnu. Je me suis concentré sur Tancrède qui est vraiment le centre de ce roman, qu'il porte sur ses larges épaules.

François Baranger nous fait vivre le quotidien de cette troupe incomparable, vivant à la fois en huis-clos, et pour cause, mais évoluant comme sur terre, jusqu'aux spectaculaires entraînements militaires auxquels on assiste, médusé, et qui, à plusieurs reprises, seront des moments importants de l'intrigue. On pourrait croire qu'on va s'ennuyer, mais en fait, il y a très peu de temps morts.

Comme souvent, la multiplicité des situations et des unités de lieux, permet de jouer avec tout cela, en répondant à un possible temps faible sur une scène, par une autre scène, dans un autre lieu, avec un nouvel enjeu. Que ce soit le voyage lui-même, le temps qu'il faut tuer, mais aussi les questions politiques, les luttes de pouvoir, l'enquête criminelle et même, eh oui, les histoires d'amour, il y a effectivement de quoi faire.

Et surtout, sont installés progressivement tous les éléments qui vont permettre au tome 2 de démarrer, et sans doute, d'annoncer une croisade plus compliquée que prévu. François Baranger ouvre là une épopée science-fictive assez étonnante, car le mariage entre le concept médiéval que sont les croisades et la dimension futuriste se fait naturellement.

Ce n'est pas neuf, on songe à a série "Ulysse 31" ou à Dan Simmons, dans "Ilium" et "Olympos", qui revisitaient, par exemple, la mythologie grecque et l'oeuvre d'Homère. L'époque est différente, on passe du polythéisme antique au monothéisme médiéval pur et dur et, forcément, cela modifie sérieusement le contexte.

Sans oublier cette possible rébellion qui couve, à la fois en opposition à l'arbitraire des hommes, mais aussi dans un rejet de la religion. Pourtant, ce n'est sans doute pas l'athéisme qui est le plus redoutable adversaire des Croisés, mais plutôt les dissensions qui existent entre les clans se revendiquant pourtant tout de Dieu et du pape.

Difficile, dans un vol spatial, de conserver le souffle épique qui doit habiter une épopée de ce genre. Et je trouve que Baranger relève parfaitement ce défi. Sur 600 pages, on ne peut pas attendre de l'action sans arrêt, mais les rebondissements et les tensions qui s'exacerbent, viennent souvent compenser cela.

Et puis, il y a l'univers que cela suppose. Le lecteur prend vraiment place dans ce vaisseau, superbe et orgueilleux, et y vit avec la troupe et les autres. On visite, comme autrefois, on pouvait se balader dans l'Enterprise, au gré des épisodes de Star Trek. Et l'on découvre un monde foisonnant, une ville qui ne dort jamais, ou presque, et où règne, finalement, une certaine harmonie, malgré les incidents qui n'ont rien de vraiment surprenant, lorsqu'on rassemble un tel groupe humain.

Avec Albéric, on pénètre au coeur de la formidable machine qui fait avancer ce monstre de technologie. Et là aussi, on se laisse porter, on plonge dans l'intelligence artificielle que le jeune homme et ses camarades, tous enrôlés de force, ont pour mission de surveiller. Une espèce de chiourme, de piétaille, hélas considérée et traitée comme telle.

Ces hommes et femmes ne sont rien et subissent brimades et humiliations au quotidien, aussi bien durant leurs longues journées de travail qu'une fois abandonnés leurs postes de travail. De quoi renforcer encore le sentiment d'injustice de ces parias que seul Tancrède saura écouter, à ses risques et périls, autant qu'aux leurs.

Mon billet s'allonge, il est temps d'y mettre un terme. D'autant que suivra, sans doute prochainement, un second pour évoquer le deuxième volet de cet ambitieux projet. Je ne suis pas un grand adepte, ni un grand connaisseur de space opera, mais je me suis coulé aisément dans "Dominium Mundi" et j'ai agréablement voyagé dans le Saint-Michel, sans éprouver les quelques inconvénients "techniques" que doivent affronter les personnages.

Me voilà arrivé, avec Tancrède, ses amis, ses ennemis, ses hommes et, sans doute, quelques autres surprises pas forcément agréables, au large de la planète Akya du Centaure que la croisade doit maintenant conquérir. Reprenons notre souffle avant d'entrer dans le vif du sujet, les presque 800 pages du second volet.

lundi 4 mai 2015

Tempus fugit...

Non, ne criez pas à l'acharnement pour ce deuxième billet au titre latin en trois billets, mais c'est celui qui m'est venu le plus naturellement à l'esprit en repensant à notre livre du jour. Car oui, le temps s'enfuit, pour traduire littéralement cette expression. Pour ce qui nous intéresse, j'irais même jusqu'à dire qu'il fuit et, vous me connaissez, dès qu'il s'agit de jouer sur les mots, rien ne m'arrête. Attardons-nous sur un court roman de science-fiction dont le thème central est ce fichu temps qui passe toujours trop vite, a-t-on coutume de dire... Dans "Sale temps" (publié chez Rivière Blanche), Lou Jan nous fait voyager de mondes en mondes, à la découverte du temps et de l'usage qu'on en fait. Et, plus que jamais, c'est lorsqu'il vient à manquer qu'on se rend véritablement compte de son importance, et pas seulement dans notre quotidien.



Cocorico ! Olgann est le plus grand champion de ski du moment. Un sportif pratiquement imbattable lorsqu'il s'élance sur les pentes enneigées et entre les portes des courses qu'il dispute. Un palmarès long comme le bras, qu'il entend encore enrichir quelques saisons, tant que son corps le lui permettra. Et, pour cela, il bénéficie d'un atout maître.

Olgann sait influer à volonté sur le temps. Bien sûr, cette technique, totalement scandaleuse et contraire aux règles et au fair-play le plus élémentaire, demande un certain tact. Car, le skieur, ne peut se permettre que de gagner un dixième par-ci, un autre par-là, au long du parcours, et pas d'un seul coup, ce qui serait bien trop visible.

Et même s'il se pose bien de temps en temps la question de l'honnêteté de ses victoires, force est de reconnaître que la concurrence l'aurait déjà dépassé si lui n'avait pas cette façon si particulière de se surpasser. Alors, parce que l'important, pour Olgann, c'est de gagner, et non seulement de participer, n'en déplaise au baron de Coubertin, il continue, mais doit grappiller de plus en plus de temps...

Mais Olgann ne triche pas qu'en compétition. Dans la vie, aussi, en particulier avec les femmes. Oh, le garçon est fort beau, séduisant, auréolé de gloire, il n'a donc pas de mal à séduire, mais il ne peut s'empêcher pour autant de profiter de ses conquêtes, et des femmes qui lui plaisent en général. Un simple arrêt sur images pour elles et l'odieux Olgann peut s'en donner à coeur joie.

Jusqu'au jour où il rencontre Céraline. D'où sort-elle ? Il n'en a aucune idée, mais elle est... différente, sans qu'il puisse véritablement expliquer ce que cela signifie. Cela ne l'empêche pas de faire son numéro, mais la jeune femme l'intrigue, le séduit, le désarçonne. Mais elle a d'autres idées en tête : rencontrer Mirenelle, dirigeante d'une importante société qui sponsorise justement le skieur.

Que peut bien vouloir Céraline et surtout, qui est-elle, voilà l'un des enjeux de ce roman. Car c'est ce personnage qui va conditionner tout le reste de l'histoire. Et Céraline est effectivement quelqu'un de différent. Elle vient d'un autre monde, une dimension parallèle qui ressemble au nôtre mais qui est très différente.

Le temps, particulièrement, n'y tient pas du tout la même place que dans le nôtre. Enfin, celui d'Olgann le skieur. Mais, là-bas, Céraline est malade, un mal qui lui vient de ce temps qu'on lui vole, qu'on lui suce, presque, comme s'il s'agissait d'une substance vitale. Voilà pourquoi elle a choisi de faire le douloureux voyage d'un monde à l'autre : pour que cela cesse.

Hélas, rien ne va vraiment se passer comme Céraline le voudrait. Et bientôt, Olgann, Mirenelle et elle vont se retrouver embarqués dans une incroyable course contre la montre, entre mondes parallèles pour essayer d'endiguer le mal, tant qu'il est encore tant. Car, tel un sablier, le temps qui s'écoule d'un côté disparaît de l'autre et un monde est en danger d'extinction.

Pardonnez-moi, j'essaye de ne pas trop en dire, mais je trouvais important tout de même de planter le décor de ce livre. J'ai laissé dans l'ombre beaucoup d'aspects que le lecteur pourra découvrir, et surtout, les événements surprenants qui attendent le trio de protagonistes de "Sale temps". Un roman qui, malgré le fond dramatique qui lance son intrigue, est ensuite plein de folie et d'idées amusantes, presque burlesques.

J'ai beaucoup apprécié la réflexion sur le temps et son influence sur les populations qui, à leur tour, vont voir leur action sur le temps avoir des conséquences. Le monde d'Olgann et de Mirenelle, qui ressemble fort au nôtre, est un monde où le temps est quasiment devenu une valeur monétaire. Si on pouvait en acheter, certains s'en feraient livrer des cargaisons.

Le temps est une denrée rare, alors, allonger les journées est une bénédiction pour certains, qui peuvent enfin concilier vie professionnelle et vie familiale, multiplier les activités et même, prendre un repos bien mérité, là où une journée de 24 heures ne suffit pas. Mais sans jamais se demander comment cela est possible et surtout, sans s'inquiéter de possibles conséquences.

Car, finalement, tout est là : ce monde, si ressemblant au nôtre, est d'un effarant égoïsme. Chacun pour soi et... rien pour tous. Les individus de ce monde mangent du temps jusqu'à l'indigestion, s'en bâfrent avec un délice glouton. Il y a quelque chose, dans cette vision du temps, proposé par Lou Jan, de cet ultra-consumérisme qui est le nôtre, en ce qui concerne toutes les énergies.

Dans le même temps, et je vais un peu entrer dans les détails, donc, soyez prévenus, le monde de Céraline, lui, paraît futuriste, ou en tout cas différent du nôtre par l'omniprésence d'une technologie avancée. Je dois dire que le frigo qui se remplit tout seul, ce serait mon rêve, donc Père Noël, si vous passez par là, pensez à mes petits souliers dans quelques mois, merci !

Plus sérieusement, les habitants de ce monde, comme Céraline, n'ont plus aucune contrainte dans le domaine domestique. Ils sont libérés des contingences matérielles et peuvent ainsi se consacrer à l'essentiel. De fait, les relations humaines semblent, dans ce monde-là, bien différentes des nôtres, plus profondes, plus suivies, plus importantes...

Les questions de pouvoir, de domination, d'argent, de gloire, tout ce qui fait nos faiblesses humaines dans cette dimension qui est la nôtre, n'ont pas prise dans cette autre dimension et on y semble, allez, soyons fou, lançons le mot : heureux. Simplement, intrinsèquement heureux. Les choses ne sont sans doute pas aussi simple que cela, il faudrait passer plus de temps dans ce contexte pour en juger.

Mais, une chose est certaine, le temps n'est absolument pas une préoccupation pour les habitants de ce monde. La question ne les effleure même pas. On ne cherche pas à le gagner, à l'étendre, à le rentabiliser, à le multiplier... On le vit, et c'est tout. Mais on ne peut pas vivre sans non plus. Et, lorsque la saignée s'accentue, c'est la substance même de ce monde qu'on vide, comme par un siphon.

C'est cet effet, involontaire (mais le savoir changerait-il quelque chose ?), de vases communicants qui est au centre de cette histoire. Mais aussi la folle détermination de Céraline pour y remédier. Cela passe certainement par un changement de mentalité du monde vampire qui aspire avec gloutonnerie le temps de son monde.

Mais, pas d'ail, de pieu, de crucifix, cette fois. Ce monstre-là, on ne s'en débarrasse pas aussi facilement. Car il s'agit de modifier des mentalités et des comportements profondément ancrés dans la majorité des habitants de ce monde. Un golem composé de plusieurs milliards d'êtres qui trouvent leur confort, l'illusion d'un bien-être parfait...

Alors, il va falloir se démener et chercher d'autres moyens que la simple irruption dans ce monde inconscient du mal qu'il fait. Et, quand je dis "démener", vous n'imaginez sans doute pas à quel point ! Ni même le parcours du combattant démentiel qui attend la jeune femme, véritable héroïne de ce roman, son personnage le plus positif, aussi.

Tout ce que je raconte peut sembler dramatique, et ça l'est. Mais, Lou Jan parvient, pour partie, à insuffler à son histoire pas mal de drôlerie par des situations très souvent décalées et un imaginaire foisonnant. Tout au long de lectures, on va de surprises en surprises et de rebondissements en rebondissements. Avec trois personnages qui doivent s'adapter, et vite. Et là, le naturel revient immédiatement au galop.

Un mot sur le style de Lou Jan, assez surprenant, lorsqu'on le rapporte au genre qu'elle a choisi. Pas de longues phrases, de grandes descriptions, c'est une écriture très simple, un peu sèche, peut-être. On se cantonne souvent au sujet/verbe/complément, parfois même moins encore. Ce n'est pas désagréable, mais c'est vrai qu'on s'attendrait plus à retrouver cette façon d'écrire dans un roman de littérature dite blanche.

Que cela ne vous freine pas, bien au contraire. On se rapproche, avec "Sale temps", des contes philosophiques d'antan et l'étiquette science-fiction est peut-être un peu trop restrictive. Mais je crois que ce petit livre, auquel Rivière Blanche donne sa chance, a de quoi distraire autant que faire réfléchir, ce qui est, après tout, une des raisons d'être de la lecture.