tag:blogger.com,1999:blog-65447137693240792082024-03-18T03:58:42.759+01:00Appuyez sur la touche "Lecture""Il va falloir un jour qu'enfin je me décide à lire les livres que, depuis trente ans, je conseille à mes amis de lire". (Sacha Guitry)Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.comBlogger1370125tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-14320342242853606062019-09-26T19:36:00.000+02:002019-09-26T19:36:26.539+02:00Blog "Drille & Fils", maison fondée le 8 août 2011...Bonjour à tous !<br />
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Quel chemin parcouru, depuis l'été 2011, lorsque j'ai franchi le pas et décidé de lancer un blog ! Il y a désormais plus de 1300 livres chroniqués et vous êtes de plus en plus nombreux à appuyer sur la touche "lecture"... Immense merci pour vos commentaires et vos encouragements, je compte bien continuer encore un bon moment, tant je m'amuse à écrire des billets pour partager mes lectures...<br />
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Car, oui, ici, ce sont les livres qui priment. Le décorum peut paraître austère, on ne trouve que peu de fioriture, pas de concours ni de recherche d'influence. Non, on avance, on fait son petit bonhomme de chemin et, lecture après lecture, on essaye de vous faire découvrir des livres qui, je l'espère, vous émouvront, vous intéresseront, vous feront aussi réfléchir, mais qui, tous, vous feront passer de bons moments de lecture...<br />
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En trois années, j'ai essayé d'être le plus éclectique possible, c'est ma vision des choses qui veut ça, en matière culturelle, mais aussi de ne pas seulement m'en tenir au premier degré, à l'histoire telle qu'on la lit, page après page, mais bien d'aller voir entre les lignes, dégager des thématiques, des aspects forts qui structurent les ouvrages, de nourrir mes billets autrement qu'avec de simples avis lapidaires, mais bien de vous fournir des arguments qui vous donnent envie de lire.<br />
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Mon avis importe peu, même si l'enthousiasme d'une lecture ressort forcément d'un billet sur un livre qu'on a apprécié. Mais, l'ambition est de vous donner des arguments peut-être moins subjectifs qu'un avis personnel afin de vous aider à faire vos choix en connaissance de cause...<br />
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Je ne cherche pas à me démarquer de la blogosphère, à me comparer à d'autres blogs, je ne vous dis pas que ce que je propose est meilleur ou plus intéressant qu'ailleurs. Non, j'essaye simplement de faire ce que je sais faire, d'y prendre du plaisir et de vous le communiquer, si possible... Sérieux, mais sans se prendre au sérieux, voilà une belle devise à suivre. Et avec une valeur qui surpasse tout le reste : la sincérité.<br />
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Le cap des 400 000 vues est franchi, désormais ! Je n'en reviens même pas. Pas plus que des commentaires laissés par certains auteurs et les liens qui se sont créés avec certains lecteurs. Les débuts, en plein été, furent laborieux, puis il y eut quelques périodes creuses, pour des raisons indépendantes de ma volonté. Depuis, le blog s'est installé, a trouvé son rythme de croisière et je vous en suis reconnaissant !<br />
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Merci, à toutes et à tous, de tous horizons, d'avoir le réflexe de plus en plus régulier de venir appuyer sur la touche "lecture" !
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<img alt="Badge Lecteur professionnel" height="80" src="https://s2.netgalley.fr/badge/6b8df15a052c99b40267fad20ee10d70d627f6dd" title="Badge Lecteur professionnel" width="80" />
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</a>Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com79tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-36015986621011476722019-09-26T19:35:00.001+02:002019-09-26T19:35:35.862+02:00"Le cartographe invente la terre qu'il découvre en décidant de ses attributs. La vérité utile à l'homme naît sous sa plume. (...) Vous verrez, Fredrik, le géographe sera le meilleur allié du roi".En fait, il faudrait quasiment citer toutes une page, tant les mots du personnage, héros de notre roman du jour, sont forts, fascinants, mais aussi un peu effrayants par ce qu'ils sous-entendent. Mais c'est aussi une bonne introduction pour notre billet. Il y a énormément à dire, même si nous laisserons certains aspects dans l'ombre. Après trois polars qui ont sans doute permis à de nombreux lecteurs de découvrir les Sames (et non pas les Lapons, mot péjoratif), Olivier Truc change de registre avec une ambitieuse saga historique, construite autour d'un personnage au destin extraordinaire : Izko Detcheverry, un Basque dont l'histoire s'écrira sous d'autres latitudes. Car, si "Le Cartographe des Indes boréales" (en grand format chez Métailié) est un roman indépendant, il nous emmène une nouvelle fois chez les Sames, dans les terres les plus septentrionales d'Europe. Là où les Suédois espèrent trouver leur eldorado... Et peu à peu, on se rend compte que cette fresque fait la synthèse des thèmes abordés dans <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2016/11/un-bon-sami-est-un-sami-qui-nexiste-pas.html">la série de polars mettant en scène la Brigade des Rennes</a>...<br />
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<a href="https://editions-metailie.com/wp-content/uploads/2019/03/editions-metailie.com-le-cartographe-des-indes-boreales-cartographe-des-indes-boreales-hd-300x460.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="460" data-original-width="300" height="320" src="https://editions-metailie.com/wp-content/uploads/2019/03/editions-metailie.com-le-cartographe-des-indes-boreales-cartographe-des-indes-boreales-hd-300x460.jpg" width="208" /></a></div>
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Le 10 août 1628, le <i>Vasa</i>, nouveau fleuron de la flotte suédoise, est mis à l'eau dans un climat de liesse générale. Dans la foule venue assister à l'événement, un jeune garçon âgé de 13 ans, originaire de Saint-Jean-de-Luz, au Pays basque. Et Izko se trouve là à cet instant, c'est parce que son père, Paskoal Detcheverry y a été invité.<br />
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Il doit cet honneur à un acte de bravoure : les Detecheverry, comme nombre de Basques, sont des chasseurs de baleine émérites. Et, lors d'une sortie dans les eaux du Spitzberg, quelques mois plus tôt, il a sauvé la vie de Fredrik Ekeblad, qui ne tarit plus d'éloge à son sujet, alors que l'intéressé estime n'avoir rien fait d'extraordinaire.<br />
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Signe de la reconnaissance due à la famille Detecheverry, on a confié à Izko la surveillance du couffin dans lequel a été placée la future reine de Suède, Kristina, qui n'est encore qu'un nourrisson. Et tant pis si cela défrise les religieux de la Cour : pour la très protestante Suède, les Français ne sont que des papistes, des hérétiques, une sale engeance...<br />
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Izko se moque bien de tout cela et prend sa mission à coeur. Laissant les adultes à leurs discussions politiques qui l'ennuient, il s'éloigne avec le couffin. Installé sur une falaise, le jeune garçon a une vue imprenable sur le navire qui entame son voyage inaugural. Mais, de son promontoire, il remarque quelques faits qui l'intriguent.<br />
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En particulier un couple qui, placé en retrait sur le pont du <i>Vasa</i>, ne semble pas partager l'euphorie. L'homme entoure la femme de ses bras, comme pour la protéger. Il a été frappé par cette femme à qui il trouve des airs de madone. Pourtant, il ne va pas avoir trop le temps de s'attendrir, car à peine les marins du bord ont-ils hissé les voiles que le drame se produit.<br />
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Sous les yeux d'Izko, le <i>Vasa</i> va faire naufrage, avant même d'avoir atteint la haute mer. La panique remplace la joie et ceux qui le peuvent essaye de rejoindre la terre ferme, heureusement peu éloignée. Délaissant Kristina, Izko se précipite et découvre la femme qu'il avait remarqué sur le rivage, sonnée mais vivante... en train d'accoucher !<br />
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Une scène incroyable qui laisse le Basque pantois. Puis, la femme disparaît, sans un mot, comme si elle avait le diable à ses trousses. Izko, lui, retrouve Kristina, mais ce qu'il a vu n'est pas prêt de s'effacer de sa mémoire. Il ne se doute pas encore que ces événements ne sont que le prologue d'une existence qui ne lui appartiendra plus vraiment, ou pas avant longtemps.<br />
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A son retour au pays, heureux de retrouver sa mère et son meilleur ami, Karmelo, Izko va pourtant être replongé dans des affaires qui ne devraient pas concerner un si jeune garçon. Lui qui rêve de devenir un grand chasseur de baleines comme son père, va voir son destin chamboulé par une visite inattendue. Un homme, un inconnu. Menaçant, inquiétant.<br />
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Qui veut faire d'Izko un espion, rien que ça. Pour cela, il ira d'abord étudier pour devenir cartographe, puis il retournera en Suède, où on le connaît, on lui fait confiance, afin d'utiliser son savoir tout neuf au profit de la couronne... Une position idéale pour connaître les choix et les décisions politiques du roi de Suède... Et les rapporter aussitôt aux hommes du cardinal de Richelieu...<br />
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Impossible de refuser, l'homme sait ce qu'il fait : c'est un maître-chanteur aguerri, il a choisi les Detcheverry en toute connaissance de cause, sachant parfaitement que Paskoal ne pourrait s'opposer à lui. Et Izko, encore adolescent, entre dans la carrière d'espion par des chemins détournés, sans comprendre ce qui lui arrive, lié par un pacte dont il ne mesure pas l'ampleur...<br />
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Ainsi débute "Le Cartographe des Indes boréales", et l'on s'apprête à suivre Izko tout au long de sa vie longue et tumultueuse, au cours de laquelle il connaîtra des moments très forts et des chutes vertigineuses, il fera des rencontres pleines de promesses et d'autres porteuses de haine, découvrira des terres et un peuple inconnu de lui et sera dépositaire de secrets aussi utiles que dangereux...<br />
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Il connaîtra les positions sociales élevées, mais aussi la prison et la fuite, l'amour et l'amitié, mais également les rivalités les plus violentes. Il combattra pour ce qui lui semble juste, affrontant les fanatismes de son temps et utilisant la science comme un bien modeste bouclier contre l'obscurantisme.<br />
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Entre son pays natal, la France, fille de l'église, et la Suède, porte-étendard du protestantisme le plus rude, en ces temps où les guerres de religion sont promptes à s'allumer et se rallumer, il va être partie prenante de la volonté de puissance d'un royaume isolé au nord de l'Europe et jaloux des richesses rapportées du Nouveau Monde par les nations catholiques.<br />
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Persuadée que les terres situées les plus au nord de son territoire regorgent de minerai d'argent, nécessaire pour financer guerres et autre élargissement de son empire colonial, la Suède entreprend d'exploiter un territoire hostile et difficilement accessible, qu'elle a délaissé jusque-là. Puisque d'autres ont les Indes occidentales, la Suède aura les Indes boréales.<br />
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Une conquête qui va s'accompagner d'une vaste campagne d'évangélisation des populations autochtones, les Sames, peuple paisible qui ne faisait guère parler de lui jusque-là et qu'on va aller convertir de force, dans le sillage de prédicateurs fanatisés (ou fous ?), tels Pauline Lenaeus, que l'on voit apparaître dès la scène d'ouverture.<br />
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La science et la religion... Avant même le Siècle des Lumières, Izko va lancer le duel. Lui possède la connaissance que lui donne la cartographie, dans une région où connaître le terrain est tout, sauf inutile... Mais, pas seulement : il possède une qualité qui manque cruellement à ceux qui seront ses rivaux et même ses ennemis, c'est-à-dire l'empathie...<br />
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Lui n'est pas l'ennemi des Sames, au contraire, il est curieux de mieux les connaître, de mieux les comprendre. Et il a des raisons pour cela qui dépassent largement sa fonction de cartographe et d'espion. Et c'est peut-être pour cela qu'il ira bien plus loin que ceux qui espèrent conquérir au nom de Dieu et par la seule contrainte...<br />
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Fort du pouvoir que lui confère son savoir, porté par un amour presque irrationnel, jouant double ou triple jeu pour essayer de se sortir de sa position inconfortable vis-à-vis de ses deux pays, il va devoir jouer finement pour que la colère divine, portée par des pasteurs qui entendent faire la pluie et le beau temps en Suède, ne le frappe pas...<br />
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"Le Cartographe des Indes boréales" est un formidable roman d'aventures qui nous entraîne aux quatre coins de l'Europe (une carte proposée en ouverture du roman nous le démontre), où rien ne se déroule jamais comme prévu. Izko n'est pas un héros, au sens strict du terme. Mais un personnage qui affronte les vicissitudes de l'existence avec courage.<br />
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Sa vie, on l'en a dépossédé, pour des raisons de basse politique. La situation des Sames ne peut que le toucher et va aller en le bouleversant sans cesse plus lorsque va apparaître un parallèle douloureux entre son propre parcours et celui de ce peuple qu'on veut simplement faire disparaître corps et âme, comme s'ils représentaient un quelconque danger.<br />
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Mais quel danger réel les Lapons représentent-ils pour les Suédois ?, s'interroge Izko, et pour quelle véritable raison les pourchasse-t-on à ce point ? Ce pourrait être le titre de ce billet, tiens, parce que l'un des enjeux majeurs est là. Il faudra du temps pour que cela apparaisse clairement, pour que l'explication soit révélée...<br />
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Et petit à petit, on voit donc apparaître différentes thématiques qui étaient au centre du "Dernier Lapon", du "Détroit du Loup" et de la Montagne rouge". En fait, je pense qu'on comprend encore mieux ce que mettent au jour Klemet et Nina, les membres de la Brigade des Rennes, au cours de leurs trois premières enquêtes (oui, ils devraient revenir pour de nouvelles aventures, bientôt !).<br />
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En nous replongeant aux racines du mal, on voit dans le sillage d'Izko, se mettre en place tout ce qui va mener au racisme anti-Same solidement ancré dans les sociétés scandinaves, qui va jusqu'à la remise en question totale du mode de vie de ce peuple, son nomadisme, son attachement à ses terres ancestrales, aux rennes, bien sûr, à une nature sauvage qu'eux seuls savent comprendre...<br />
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La culture same, si solide, si forte, malgré tout, peut-être parce que si différente, si singulière, ne renoncera jamais, malgré les brimades, les menaces, les violences, le rejet... Une situation si paradoxal, puisqu'il n'y a finalement aucun autre enjeu que l'orgueil blessé du colonisateur, vexé de ses échecs à répétition dans ces fameuses Indes boréales...<br />
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Aussi étrangement qu'il peut paraître, surtout à la lecture de ce billet, "Le Cartographe des Indes boréales" est un roman placé sous le signe de la femme. C'est vrai que les personnages importants sont majoritairement des hommes, et pourtant, les femmes, si discrètes soient-elles, sont le moteur de toute cette histoire.<br />
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Mais si j'en parle si peu dans ce billet, c'est justement pour cela, c'est parce que évoquer les thèmes qui nous ramènent aux femmes, à leur importance, leur influence, nous entraînerait trop loin dans l'intrigue. Pourtant je brûle de vous parler de certains événements qui sont évoqués dans le romans et que beaucoup, sans doute, découvriront.<br />
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J'aimerais vous parler de ces deux archétypes qui traversent le roman, jamais vraiment exprimés et pourtant omniprésents. Et peut-être finalement que l'indice décisif apparaît dès le début du livre. Dans un couffin : Kristina, oui, la légendaire Reine Christine (si vous n'avez pas lu <a href="https://www.lisez.com/ebook/lechiquier-de-la-reine/9782259212731">"L'Echiquier de la Reine", de Yann Kerlau</a>, faites-le !).<br />
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Devenue grande, elle remettra en cause tout ce qui se construit sous les yeux d'Izko, la mainmise de l'église protestante, en particulier. Femme de pouvoir, mais femme libre, et libre de faire ce qui lui chante, contre toutes les conventions sociales de son temps et contre toute forme d'étiquette. Oui, avec Kristina, dès le départ, on aurait pu se douter que les femmes dameraient les pions masculins.<br />
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Elle n'est pas la seule, là j'extrapole un peu... Je laisse surtout de côté cette mystérieuse parturiente dont le souvenir va obséder Izko... Maternité, amour, en voilà encore des thèmes que l'on pourrait développer, puisqu'ils sont également au centre de la mécanique romanesque d'Olivier Truc dans cette fresque historique. L'amour qui peut-être si puissant face à la folie et la bêtise...<br />
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La folie, on la voit apparaître de différentes manières dans le roman. Il y a celle, néfaste, dangereuse, des prédicateurs qui s'attaquent aux Sames et cherchent à les détruire s'ils ne parviennent pas à les convertir, et encore mieux, à les pousser à l'assimilation, l'absorption complète par un monde et une société qui ne sont pas les leurs.<br />
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Il y a aussi une folie plus douce, enfin tout est relatif. Une folie qui va frapper Izko à un moment précis de son existence, l'un des pires en fait. Son salut, il le devra aux nombres, qui l'accompagnent depuis qu'il a quitté Saint-Jean-de-Luz pour entreprendre ses études de cartographes. Eh oui, on est au XVIIe siècle, on est loin de nos technologies modernes...<br />
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Pas de satellites dans le ciel qui photographient en permanence la terre pour en donner une image d'une phénoménale précision. Non, on fait avec ce qu'on a, et ce qu'on a, ce sont d'abord des jambes et des pieds... Un bon cartographe compte, il compte ses pas, il compte tout, il finit par posséder une connaissance du décompte du temps inconsciente, instinctive.<br />
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Il en va de même pour ses pas, déformation professionnelle qui, dans des circonstances particulières, défavorables, et même désagréables. Un décompte obsédant, dérangeant, malsain, tellement opposé à ce que devrait être cet exercice intellectuel, pour lequel Izko Detcheverry a trouvé un nom plein de poésie, de merveilleux...<br />
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La Magie des Pas...<br />
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Je suis si touché par cette formule que j'y mets des majuscules, vous voyez. La magie, parce que de ce simple mouvement, si naturel, mettre un pied devant l'autre et recommencer, c'est alors la meilleure façon de cartographier. De ces pas, naissent les mesures qui donneront des esquisses et bientôt des cartes.<br />
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Des documents officiels, dont les cartographes sont les seuls maîtres, ce qui leur confère une puissance extrême, comme le dit Izko dans le titre de notre billet. Le fruit d'un travail ahurissant, qui nous semble fou, vu de notre XXIe siècle bourré de technologie. Mais quelque chose de magique, lorsqu'on le regarde avec les yeux d'Izko.<br />
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Oh, rassurez-vous, je n'ai pas évoqué simplement la Magie des Pas parce que j'aime cette expression. Non, mais parce qu'elle évoque la magie et que ce n'est pas anodin dans ce contexte particulier. Parce qu'il résonne avec l'ensemble de cette histoire, avec le destin d'Izko, jeune basque qui rêvait de chasser les baleines et se retrouve espion malgré lui et défenseur des Sames par vocation.<br />
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Allez, j'en termine en vous disant que "Le Cartographe des Indes boréales" bénéficie d'une abondante iconographie (devinez quoi ? Ouiiiiii, des cartes ! De magnifiques cartes d'époques, certainement bien moins précises que celles dont nous disposons aujourd'hui, mais tellement plus puissantes et poétiques qu'un GPS !).<br />
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Ah, non, j'ai oublié un détail d'importance ! C'est dans la version numérique uniquement que l'on peut admirer ces cartes si belles, si évocatrices. Le livre enrichi est un serpent de mer, les tentatives ont échoué jusqu'à présent, peut-être parce que l'ambition dépassait les attentes des lecteurs et sortaient tout bonnement du simple cadre de l'objet-livre.<br />
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Ici, nul doute que le bon compromis est trouvé, car ce supplément n'est pas un gadget, mais une vraie manière de se plonger un peu plus dans l'époque (les époques, même, Izko est un coriace, il vit longtemps) et dans l'histoire. On suit à la trace le Basque marchant dans ses aventures et ses mésaventures, dans sa passion pour les Indes boréales et la culture same...<br />
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Dans la Magie qui naît de ses innombrables pas...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-21091172348784334392019-09-25T19:04:00.000+02:002019-09-25T19:04:35.479+02:00"Il fallait qu'il défende le roi de la prophétie. Telle était la mission que lui avaient assignée les dieux, la raison pour laquelle ils lui avaient envoyé sa vision et l'avaient fait repêcher vif des eaux du fjord de Sogn".Quand on me parle de saga nordique, mon premier réflexe est plutôt de penser à <a href="https://www.dailymotion.com/video/x5v0vmo">un sketch des Monty Python</a>... Mais, lorsque notre roman du jour est arrivé, premier volet de "La Saga des Vikings", une série justement inspirée par l'une des plus célèbres sagas scandinaves, je me suis lancé avec envie et curiosité à la rencontre de Ragnvald et de sa soeur Svanhild. "Ragnvald et le Loup d'or", de Linnea Hartsuyker (en grand format aux Presses de la Cité ; traduction de Marion Roman), est le récit d'un moment charnière de l'histoire scandinave, puisqu'il s'agit des débuts de la construction du pays qui deviendra la Norvège, en unifiant les clans vikings autour d'un personnage, Harald, son futur premier roi. Mais, avant d'en arriver là, il va falloir affronter bien des vicissitudes. L'originalité du travail de Linnea Hartsuyker réside dans le choix de ne pas mettre Harald au coeur de son histoire, mais un protagniste bien plus discret, Ragnvald de Møre, et sa soeur, Svanhild, très beau personnage...<br />
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<a href="https://lisez4.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782258144/m_libros/9782258143333ORI.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="564" data-original-width="351" height="320" src="https://lisez4.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782258144/m_libros/9782258143333ORI.jpg" width="199" /></a></div>
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Tout commence par un jeu. Un défi lancé par Solvi que Ragnvald Eysteinsson décide de relever : traverser le navire d'un bout à l'autre, aller et retour, en sautant de rame en rame. Un seul autre concurrent parvient à l'imiter, Agni, le fils du pilote, qui a sans doute passé plus de temps en mer que sur terre et qui y évolue avec une aisance déconcertante.<br />
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Pour départager les deux hommes et désigner le vainqueur, Solvi décide de les confronter directement : une course, chacun de son côté du bateau, le premier à regagner la poupe remportera le lot, un bracelet d'or, raflé lors de leur dernière expédition en Irlande. Mais il n'y aura finalement pas de vainqueur, car l'affaire va se terminer bien plus dramatiquement.<br />
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Sur un ordre de Solvi, la rame sur laquelle Ragnvald devait poser le pied s'abaisse et le jeune homme, largement en tête, se retrouve à l'eau. Trop tard, il comprend, avec horreur, qu'il est tombé dans un piège et qu'on veut se débarrasser de lui. Personne ne fait le moindre geste pour l'aider à remonter, au contraire, on le pousse au fond...<br />
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Alors qu'il est en train de se noyer, tiré au fond par le poids de ses vêtements, et qu'il accepte la mort avec fatalisme, Ragnvald est assailli par une mystérieuse vision : un loup à la fourrure étincelante qui s'approche de lui et le tire de l'eau où il allait croupir éternellement, loin de la mort glorieuse dont peut rêver un guerrier...<br />
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Revenu à terre, Solvi s'apprête à fêter le succès de son expédition, mais aussi la disparition de son embarrassant rival. Son père, Hunthiof, à l'origine du funeste projet, est occupé, il reçoit le roi Guthorm et le neveu de ce dernier, Harald, ce qui ne l'empêche pas de féliciter son fils pour sa réussite. Il ne reste plus qu'à partager le butin et festoyer !<br />
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Seul Egil, meilleur ami de Ragnvald et témoin impuissant de la scène, ne sera pas de la fête. Ecoeuré, tant par ce qu'il a vu que par sa lâcheté, il décide de rentrer chez lui avant même le partage. En fait, il a décider de se rendre auprès de Svanhild, la soeur bien-aimée de son ami disparu, pour la prévenir de ce qui s'est passé sur le bateau.<br />
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Si la mort d'un guerrier au combat est quelque chose d'habituel, qui peut frapper n'importe qui, ce que raconte Egil bouleverse Svanhild. Et réveille les vieilles rancunes entre deux familles, car la rumeur dit que c'est Olaf, le père de Solvi, qui a fait tuer le père de Rangnvald et Svanhild... Aussi, cette dernière entend-elle faire valoir ses droits lors du prochain ting, la réunion des clans...<br />
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Mais, ce que tous ignorent alors, c'est que Ragnvald a survécu, repêché par un pêcheur. Et à son retour chez lui, deux choses ont changé : on le surnomme désormais "Mort-à-Demi" et Solvi est désormais son ennemi juré, sans qu'il comprenne véritablement pourquoi... Non qu'ils aient jamais été particulièrement amis, mais il n'avait pas de raison de le tuer...<br />
<br />
Alors que Ragnvald n'aspire qu'à succéder à son père, à devenir fermier et à gérer les terres familiales le plus pacifiquement possible, les événements de cette deuxième moitié du IXe siècle (date qui ne veut rien dire pour les Vikings, d'ailleurs) vont venir bouleverser son existence et l'obliger à changer de cap. Tout en espérant trouver le bon moment pour se venger...<br />
<br />
Il ne se doute cependant pas encore que son destin a déjà basculé et que sa vision, celle du Loup d'or qui l'a sauvé et tiré des eaux glacées de l'océan, est le signe annonciateur d'un destin exceptionnel qui dépassera largement les terres de son fief de Møre. Un destin qui va contribuer largement à constituer un nouveau royaume au nord du continent européen, que nous appellerons la Norvège...<br />
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Ce résumé est très centré sur Ragnvald, qui est le personnage central de ce premier tome, même si une grande partie du roman propose une sorte de construction chorale, avec différents points de vue. Peu à peu, Ragnvald et Svanhild, et puis, en raison des événements, c'est Ragnvald qui va concentrer l'attention dans le final.<br />
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Pour autant, ce début de saga est marqué par la relation très forte qui unit Ragnvald et Svanhild, indissociables à défaut d'être inséparables. Mais l'on comprend vite que le tempérament de la jeune Svanhild est celui d'une guerrière, en tout cas certainement pas d'une femme dont l'existence se limiterait à tenir le foyer.<br />
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C'est un magnifique personnage, Svanhild, dont je crois qu'on peut déjà dire qu'elle sera certainement le moteur du deuxième tome de cette saga, qui arrive dans quelques jours, du moins si j'en crois le titre : <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/la-reine-des-mers/9782258143340">"La Reine des mers"</a>. Et ce premier tome est aussi le récit de son parcours, loin d'être idyllique, parfois douloureux, mais qui va aussi distendre le lien fraternel...<br />
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Un éloignement qui tient aux circonstances, qui font que Ragnvald et Svanhild vont devoir mener leur destin chacun de leur côté, mais aussi par un événement qu'on peut penser déterminant pour la suite de la saga : la rencontre entre Svanhild et Solvi, la soeur et l'ennemi juré de Ragnvald, une rencontre qui ne va pas vraiment prendre le tour qu'on aurait pu attendre...<br />
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Svanhild incarne dans ce début de saga une notion très intéressante, car finalement assez peu évidente à mettre en oeuvre dans une société aussi codifiée (d'ailleurs, dans quelle société est-elle évidente à mettre en place ?) : la liberté. Elle est une espèce d'élection libre qui n'entend pas se laisser dicter son destin. Une liberté qu'elle va durement gagner, au gré de situations parfois très dures.<br />
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Jusqu'à la rencontre avec Solvi, qui est un tournant dans son existence, qui lui impose des choix, des choix compliqués, à la fois parce que cela peut remettre en cause dans sa quête de liberté, mais aussi parce qu'elle la place en porte-à-faux vis-à-vis de ce frère qu'elle aime tant. Disons clairement les choses : elle choisit le camp de l'ennemi...<br />
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A l'inverse, Ragnvald a choisi la famille. Il est le successeur de son père, le descendant d'une lignée. Il est un héritier et entend assumer cette position. Pourtant, là encore, le destin de cet homme, qui ne possède pas de grandes ambitions, mais aspire à une vie posée, tranquille, va changer d'axe, ou plus exactement d'échelle.<br />
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Là aussi, c'est une rencontre qui va tout changer, celle de Harald, autre jeune homme au caractère très différent, mais également mû par des ambitions de plus grande envergure. J'anticipe, car c'est là un long processus, mais je ne spoile pas en n'entrant pas du tout dans la relation entre Harald et Ragnvald, même si elle fait partie de l'Histoire...<br />
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En effet, Linnea Hartsuyker, qui est Américaine, mais descend d'une famille originaire de Norvège et, dit la quatrième de couverture, liée directement à Harald Ie, s'inspire d'événements historiques avérés, même si les sources, elles, sont rares et sujettes à caution. Cette dernière expression est peut-être un peu trompeuse, mais on parle de sagas et non de récits strictement historiques.<br />
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Ainsi, pour ce qui concerne Harald Ie, on dispose essentiellement de sagas pour connaître sa vie et ses hauts faits, dont la plus connue est sans doute l' <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-aube-des-peuples/Histoire-des-rois-de-Norvege">"Heimskringla"</a>, texte fondamental, mais écrit près de trois siècles après sa mort. Ces différentes sagas ne coïncident guère entre elles et contribuent donc à faire de Harald (pour le sujet qui nous concerne) un personnage plus proche du mythe.<br />
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Il faut ajoute un élément qui fausse la donne, c'est que ces textes sont écrits (alors que la civilisation viking reposait sur une tradition orale) à une époque où leurs auteurs vivent dans une société christianisée. Forcément, même si les racines demeurent, si la culture continue de se transmettre, il y a là un point d'inflexion.<br />
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C'est donc ainsi qu'il faut lire "la Saga des Vikings", de Linnea Hartsuyker, comme un roman de fantasy historique, comme une légende, une chanson de geste, presque, même si sa facture est tout de même celle de la littérature du XXIe siècle. Ce qui est intéressant, et assez révélateur, c'est que la quatrième de couverture fait clairement référence à des cycles de fantasy !<br />
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On cite ainsi "Outlander" et "Le Trône de fer", on sent bien qu'on est quand même d'abord dans l'argument publicitaire, mais en ces temps où les genres de l'imaginaire sont un peu à la littérature ce sein que le Tartuffe veut voir couvert (surtout, ne pas dire qu'on fait de la SFFF, malheureux, même si ça en est ouvertement !), c'est à signaler...<br />
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Pourtant, la première référence qui m'est venue à l'esprit en attaquant la lecture de "Ragnvald et le Loup d'or", c'est plutôt <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/ah-par-les-dieux-jaurais-du-men-douter.html">le cycle celte de Jean-Philippe Jaworski</a>, "Rois du monde". Dès le titre, d'ailleurs, ont peut tirer un lien, puis par le contexte (références rares et peu historiques, univers dans lesquels le merveilleux et les croyances sont puissamment ancrées, héroïsme et dimension épique).<br />
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Dès cette première scène, avec la vision, qui va évidemment conditionner bien des choses par la suite, j'ai retrouvé les mêmes impressions. Malheureusement, elles ont été un peu déçues par la suite, Linnea Hartsuyker n'allant pas aussi loin dans l'utilisation du fantastique que ne le fait Jean-Philippe Jaworski, ou ne jouant pas cette carte à fond.<br />
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Si l'apparition initiale du Loup remplit parfaitement cette fonction, en étant vraiment un élément fantastique (comprenez : aucune explication rationnelle n'est donnée, ni même trouvable à ce qui se passe), ce n'est plus forcément le cas par la suite, comme par exemple lors de l'épisode du "draugr", ce mort-vivant, qui aurait pu aller plus loin dans cette dimension "surnaturelle".<br />
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Ou du moins dans l'ambiguïté que peut entourer un tel personnage, mort et pourtant capable de se déplacer, phénomène qui a de quoi effrayer même les plus courageux guerriers vikings... On retrouve bien leur côté superstitieux, mais le lecteur, lui, n'est pas dupe : cette fois, ce à quoi on assiste n'est pas une manifestation surnaturelle, juste quelque chose d'incompris.<br />
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Bon, c'est un bémol, et léger, car cela ne remet rien en cause et cette lecture a été très agréable, très intéressante et n'a en rien atténuer l'envie de poursuivre la lecture de cette... saga moderne, de retrouver les différents personnages, de les voir évoluer chacun dans leur voie, mais également de voir comment les sujets de discorde (euphémisme !) vont se résoudre.<br />
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Cela évoque en particulier l'évolution de la relation entre Ragnvald et Svanhild, si proches lorsqu'on fait leur connaissance, et qu'on refuse d'imaginer un jour adversaires... Ennemis, peut-être même. Enfin, il y a la dimension historique, qui rejoint l'aspect épique des choses, avec quelques batailles décisives à venir qui devraient donner des moments de lectures exaltants.<br />
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Je me rends compte qu'après avoir ouvert en disant que Ragnvald était le personnage central de ce tome, j'ai finalement très peu parlé de lui. C'est à la fois involontaire et un peu prévu. Involontaire, parce que je me laisse emporter par mes idées quand j'écris, et un peu prévu, pour ne pas trop en dire, justement, à son propos, vous le laisser découvrir.<br />
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Mais, ce qui est intéressant, et ce sera aussi un des enjeux, de mon point de vue, de la suite du cycle, c'est que Linnea Hartsuyker n'a pas choisi LE héros de la saga orginelle, Harald, comme moteur de sa propre saga, mais un personnage dont le caractère est bien différent. Ragnvald est un guerrier, un homme courageux, aucun doute, mais c'est aussi d'une certaine manière un personnage introverti.<br />
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En tout cas discret, aspirant au calme et à la tranquillité, plutôt qu'à la lumière et aux responsabilités d'importance. Or, le voilà aux côtés d'un homme qui, d'une certaine manière, est son exact contraire : flamboyant jusqu'à l'exagération et même la fanfaronnade, impulsif jusqu'à s'emporter sans trop réfléchir aux conséquences... Une tête brûlée...<br />
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Oui, je suis curieux de voir comment va évoluer cette relation entre deux êtres si différents qu'ils en deviennent complémentaires, entre un héros, au sens le plus traditionnel du terme, et celui qui va devenir son éminence grise (expression qui sous-entend souvent un côté fourbe et machiavélique qui, pour l'instant, sied mal à Ragnvald, même si elle évoque bien son côté discret).<br />
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C'est osé, tout de même, sans être inédit, de choisir ce point de vue décalé, qui offre au lecteur un regard indirect sur le héros, sur les événements et propose de suivre des destins plus anonymes (même si Ragnvald et Svanhild ne sont pas des créations de Linnea Hartsuyker), en tout cas de mettre à l'honneur un antihéros dans un contexte épique.<br />
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Il sera d'ailleurs intéressant de voir comment elle fera évoluer ces personnages et quel destin elle leur réserve. Il s'agit d'une trilogie, le troisième tome est déjà paru dans sa version originale (il faudra voir d'ailleurs comment feront les Presses de la Cité, qui ont dégainé le Loup d'or dès le premier tome ["The Half-Drowned King" en VO], alors que c'est le titre du dernier volet), on a donc un idée du but qui sera atteint.<br />
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Mais il reste bien du chemin jusque-là, bien des interrogations aussi, et deux tomes à lire. A ceux qui aiment la série "Vikings" (qui met en scène des personnages ayant vécu avant ceux qu'évoque Linnea Hartsuyker), on retrouve des dénominateurs communs sans que ce soit une resucée. Et d'ailleurs, c'est peut-être une façon d'expliquer les choix de la romancière.<br />
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Car, Ragnar Lothbrok est sans doute plus proche de Ragnvald que de Harald...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-18498741546355087612019-09-22T18:09:00.000+02:002019-09-22T18:42:06.054+02:00"Toi le fils de l'écume du lion, Toi surgi de la nuit au galop des chevaux, Rends-nous, oh ! rends-nous l'honneur de nos ancêtres" (Léopold Sédar Senghor).Dernière épreuve de notre triathlon littéraire : la course à pied. Et un billet qui s'ouvre sur l'extrait d'un hymne national, celui du Sénégal, qui est cité dans le roman. Rien de plus normal, puisque nous allons parler d'un champion olympique. Pourtant, il ne s'agit pas d'un athlète sénégalais, mais éthiopien. Le premier d'une grande lignée d'athlète venus des hauts-plateaux africains, le marathonien aux pieds nus, Abebe Bikila. Il est le personnage central du dernier roman de Sylvain Coher, "Vaincre à Rome" (en grand format chez Actes Sud), un intéressant exercice de styles, puisque le marathon des Jeux olympiques de Rome en est la trame centrale, et plus que cela encore. Mais, ce n'est pas juste le récit d'une course, ce n'est pas juste une plongée dans l'esprit d'un athlète concentré sur son effort, c'est un roman où il est question d'histoire, de littérature, de philosophie, de musique... C'est aussi le récit d'une revanche qui dépasse largement le cadre du sport. Mais c'est aussi la magie d'un exploit d'autant plus fort qu'il est totalement inattendu...<br />
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<a href="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330124984.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="424" height="320" src="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330124984.jpg" width="169" /></a></div>
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Le samedi 10 septembre 1960, va se dérouler le marathon olympique, l'une des épreuves historiques de la manifestation. Le lendemain, on éteindra la flamme pour les quatre années à venir, jusqu'à la prochaine édition, qui aura lieu à Tokyo. Cette course, et sa distance si particulière, 42 kilomètres et 195 mètres, est donc l'un des derniers moments forts.<br />
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A 17h30, le départ est donné de la Place du Capitole, et les marathoniens s'élancent sur un parcours tracé dans Rome, sans passer par le stade olympique. Au-delà du décor, exceptionnel, où l'on retrouvera toute l'histoire de la Ville éternelle, la particularité de ce marathon est qu'il s'achèvera en nocturne, à la lumière de torches.<br />
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Le tenant du titre, Alain Mimoun, vainqueur à Melbourne, est au départ, mais son nom ne revient pas parmi les favoris. On lui préfère un Russe, Sergey Popov, qui reste sur des performances exceptionnelles, l'Argentin Osvaldo Suarez ou encore le Marocain Rhadi Ben Abdesselam. Mais qui peut dire avant que la course soit lancée ce qui peut se produire ?<br />
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Parmi les concurrents, un jeune homme discret, que personne ne cite parmi les vainqueurs potentiels. Il s'appelle Abebe Bikila, il a 28 ans, il vient d'Ethiopie et il est caporal dans la garde royale du Négus. Il porte le dossard 11 et surtout, il court pieds nus, tel qu'il a toujours été habitué à le faire sur les pistes où il s'entraîne.<br />
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Un Ethiopien à Rome, dans la capitale de ce pays qui, un quart de siècle plus tôt à peine, a essayer de coloniser par la force sa terre natale, c'est donc plus qu'une performance sportive qu'il lui faut accomplir. Non, il va devoir combattre, comme s'il s'agissait d'une guerre. Combattre, et vaincre, car, comme l'a dit Hailé Sélassié, "Vaincre à Rome serait comme vaincre mille fois"...<br />
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Mais, pour y parvenir, pour franchir en vainqueur la ligne d'arrivée, située sous l'Arc de Constantin, il va lui falloir décrocher ses concurrents, être le plus rapide, mais surtout le plus endurant, profiter d'un terrain qu'il connaît sur le bout des orteils, grâce à la préparation exceptionnelle que lui a prodiguée son entraîneur, Onni Niskanen, un Suédois que Abebe Bikila appelait Papa...<br />
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Le reste, c'est l'histoire de l'olympisme et du sport, c'est surtout la trame du roman de Sylvain Coher. En effet, le romancier a calqué son texte pour qu'il puisse être lu dans le temps de la course, soit pour le vainqueur, 2 heures, 15 minutes et 16 secondes. Jamais personne n'avait couru le marathon aussi vite, jusque-là, même avec des chaussures aux pieds...<br />
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Oui, "Vaincre à Rome" est un livre à lire d'une traite, expression qu'on emploie souvent, même quand ce n'est pas tout à fait vrai, et qui est censée dire tout l'intérêt qu'on a porté à sa lecture, puisqu'on n'a jamais fait de pause. Or, ici, c'est plus un conseil qui est donné, puisque c'est le pas d'Abebe Bikila qui donne le rythme au lecteur.<br />
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Mais que raconter, alors, pendant deux heures et quart ? Disons-le tout de suite, "Vaincre à Rome" n'est pas un reportage, une recension de la course romaine, même si cet aspect fait évidemment partie du livre. Il s'agit d'un roman sur le sport, mais ce n'est pas que cela, et d'ailleurs, la licence romanesque va permettre à Sylvain Coher de s'aventurer ailleurs que sur le parcours du marathon.<br />
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Pourtant, il prend le parti pris de faire d'Abebe Bikila son narrateur. Un narrateur pourtant un peu spécial, sans faire injure au futur champion olympique (qui conservera son titre quatre ans plus tard, chose exceptionnelle), car s'il est concentré sur son effort, s'il est à l'écoute de son corps, s'il observe ses adversaires, s'il guette le moment décisif où il fera la différence, il lui arrive de digresser.<br />
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Remarquez, je romance moi-même, car je n'ai pas vraiment idée de ce que seraient mes pensées si je devais courir plus de 42 kilomètres (encore faudrait-il que j'en sois capable !). Mais, ce sont aussi ces réflexions, profondes, pleines d'érudition, qui donnent de la chair et de la force au récit de cette course devenue mythique.<br />
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La part la plus importante concerne évidemment l'Histoire, et une histoire qui est encore assez récente, Abebe Bikila, jeune enfant, l'a vécue : la campagne d'Abyssinie, lancée par Mussolini pour faire de l'Italie fasciste un nouvel empire, digne de ses voisins européens... Une guerre absurde, qui a laissé bien des traces en Ethiopie.<br />
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Abebe Bikila est en mission, il court "pour laver l'affront et pour renouveler l'audace" (un mot qui revient plusieurs fois, porteur d'une grande force). Le caporal éthiopien est là pour faire au peuple italien le plus éclatant des bras d'honneur, en remportant une victoire éclatante et sur leurs propres terres, cette fois.<br />
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Qui plus est sur un parcours qui rend évidemment hommage à la Rome antique, empruntant, par exemple, la Voie Appienne, mais doit aussi traverser les vestiges du fascisme. Par exemple en passant par l'EUR, ce quartier sorti de terre sous Mussolini et qui devait être la vitrine de l'Italie fasciste lors de l'Exposition universelle en 1942.<br />
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La course "est un nouveau type de combat pour un nouveau type de guerre", nous dit Abebe Bikila dans le roman. Une guerre coloniale, une guerre d'émancipation, on l'a compris, dans un cadre qui se veut pourtant pacifiste, celui des JO (même si son histoire a parfois eu du mal à conserver cette ligne et même si des auteurs, comme Pierre Pelot par exemple, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-SF/La-guerre-olympique">en ont fait une véritable guerre</a>)...<br />
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Certes, la victoire d'Abebe Bikila est une victoire sportive, et non militaire, mais on ne peut lui enlever sa forte dimension politique, d'autant qu'elle va se dérouler sous les yeux du monde, les JO de Rome sont les premiers à bénéficier d'une couverture télévisée en direct. Le guerrier discret attend son heure, mais il a préparé soigneusement son coup et l'or ne peut lui échapper...<br />
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Alors oui, ce marathon est une bataille, une bataille qui dépasse sans doute le cadre de la simple relation entre l'Italie et l'Ethiopie : la victoire d'Abebe Bikila, c'est la victoire de l'Afrique sur l'Europe impérialiste et colonialiste, alors même que les empires sont en train de se lézarder, de se disloquer. Et voilà pourquoi les mots de Senghor vont si bien à l'ancien berger éthiopien...<br />
<br />
Cet aspect, on le retrouve d'une autre manière dans "Vaincre à Rome", nettement moins réjouissante, celle-là. C'est la question du racisme. Pendant que Abebe Bikila court, observe ses adversaires et devise, comme en aparté, le lecteur a aussi le droit à quelques intermèdes, directement tirés des commentaires de la course, en particulier ceux du journaliste Loys Van Lee.<br />
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La France reste une nation colonialiste, et la période est mouvementée. Et cela va se cristalliser au cours d'un homme : Rhadi, cet athlète marocain, l'un des favoris, rejeté car il a préféré courir pour le Maroc, et non pour la France ! Scandale, honte ! Quant à Abebe Bikila, inconnu au bataillon, il est invisible (et vous verrez à quel point ce mot est juste...).<br />
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Cette condescendance occidentale, Abebe Bikila va la renvoyer au terminus des prétentieux, mais il va aussi ouvrir la voie à toute une génération d'athlètes qui, bientôt, vont truster les médailles sur les courses de fond et de demi-fond. Si le nom d'Abebe Bikila n'est peut-être plus aussi connu des générations actuelles, il reste un emblème et un champion hors norme.<br />
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Je me suis vite lancé dans les sujets très sérieux, autour de l'histoire et de la politique, mais ce roman n'est pas que cela. Bikila/Coher évoque aussi la littérature, la musique, la philosophie au cours de ces deux heures et quart de course. Et c'est très intéressant, quelquefois surprenant, toujours enrichissant. Et pour qui en douterait, on est non seulement dans un roman, mais dans de la littérature.<br />
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Citations, références, morceaux de musique (on y reviendra en conclusion de ce billet), il s'en passe des choses pendant cette course, qui semblent bien loin de l'événement sportif. Et pourtant, qu'il est bon, qu'il est sain de rappeler qu'il n'y a pas de raison d'opposer le corps et l'esprit, le physique et l'intellectuel, qu'on peut aimer les deux, marier les deux.<br />
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Encore une fois, "Vaincre à Rome" n'est pas un documentaire sportif. Ce n'est pas plus un portrait ou une biographie d'Abebe Bikila, même si on en apprend beaucoup sur lui et sa vie d'avant ce moment de gloire. C'est un roman qui s'inscrit dans un cadre sportif, qui ne néglige pas la course elle-même et ses moments décisifs, mais ce n'est pas que cela, loin de là.<br />
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Oui, j'ai beaucoup parlé des choses fortes, qui dépasse le simple cadre sportif, mais Sylvain Coher ne néglige pas l'anecdotique, vous le verrez, car on a beau préparer les choses au mieux, et le boulot de Niskanen aura été décisif, c'est certain, même s'il a fallu la forme, l'endurance et la motivation de Bikila pour décrocher l'or, il se passe toujours des imprévus...<br />
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Il faut rappeler que si Bikila passe inaperçu, c'est parce qu'il est tout neuf au plus haut niveau, il n'est marathonien que depuis peu et n'a guère de référence. Son inexpérience, on va la retrouver dans le fait qu'il ne connaît pas ses adversaires autrement que par les mots de son entraîneur et n'a que les dossards pour se repérer, ce qui va entraîner un incroyable quiproquo.<br />
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Oui, cette course est hors norme à tant de point de vue qu'on comprend qu'elle ait pu inspirer un romancier comme Sylvain Coher. Sa réussite, c'est justement de mêler tous ces sujets sans nous perdre, et sans perdre de vue l'objectif qui reste la victoire et le titre olympique. Et "Vaincre à Rome" n'est décidément pas un livre tout à fait comme les autres.<br />
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Ces deux heures quinze filent entre nos doigts, sous nos yeux, au gré des pensées de cet athlète sûr de sa victoire, sachant parfaitement à quel endroit il portera l'estocade. Il est fort, et en même temps assez naïf, il est déterminé, alors que le climat pourrait lui être rapidement hostile. Il est magnifique, sa foulée déliée, jamais heurtée...<br />
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C'est presque naturellement qu'il s'inscrit dans la lignée des vainqueurs du marathon, depuis les Jeux antiques, jusqu'à l'ère moderne, digne successeur de Spiridon Louis, vainqueur en 1896 (et <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2016/08/dans-la-course-et-la-lutte-et-le-poids.html">déjà évoqué sur ce blog</a>, grâce à Philippe Jaenada), ou encore de Juan Carlos Zabala, vainqueur en 1932, le jour de la naissance d'Abebe Bikila... Destin, vous avez dit destin ?<br />
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On ne peut sortir de cette lecture qu'en respectant et qu'en admirant un peu plus ce personnage entré dans une légende moderne, celle du sport. En ayant aussi envie d'aller voir des photos ou des films montrant Abebe Bikila, le montrant en train de courir, pieds nus, sans effort apparent, avec une sérénité qu'on lui envie.<br />
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Sylvain Coher s'est fixé pour objectif d'évoquer ce moment particulier, de borner son récit à cette course et de ne pas explorer au-delà, ce que je comprends et respecte. Néanmoins, et ce n'est pas la première fois que je fais cette remarque sur le blog, je reste frustré qu'on ne parle pas du tout de l'après. Pas dans le corps du roman, mais pourquoi pas en annexe ?<br />
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Car si Rome 1960 marque l'entrée d'Abebe Bikila au panthéon olympique, son destin fut par la suite tragique, en raison d'un très grave accident de voiture, dont il ne se remettra jamais et dont les séquelles causeront sa mort en 1973, à seulement 41 ans... Abebe Bikila, héros tragique aux pieds nus, immortel champion et héros d'une Nation, d'un continent...<br />
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Ses pieds nus... C'est malheureusement devenu une formule un peu cliché, hélas, et pourtant, ce n'est pas rien... Dans le roman, on entend chanter Bing Crosby... "Swinging on a star" passe à la radio tandis que les marathoniens courent... Et l'on entend le crooner chanter "His shoes are a terrible disgrace (...) would you like to swing on a star ?"<br />
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Et même si la chanson n'a vraiment, mais alors vraiment rien à voir avec un marathon, un athlète éthiopien courant pieds nus et se balançant sur les anneaux olympiques, les victoires symboliques et l'audace, oui, l'audace, encore l'audace, toujours l'audace, eh bien Bing Crosby est un bon point final à ce billet, même si la logique serait d'écouter l'hymne éthiopien pendant que montent les drapeaux...<br />
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<iframe allowfullscreen="" class="YOUTUBE-iframe-video" data-thumbnail-src="https://i.ytimg.com/vi/9CDs067081E/0.jpg" frameborder="0" height="266" src="https://www.youtube.com/embed/9CDs067081E?feature=player_embedded" width="320"></iframe></div>
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Le triathlon littéraire :<br />
- <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/il-retourne-leau-la-grande-matrice-il.html">la natation</a>.<br />
- <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/dimanche-je-serai-dans-un-tiroir-de-la.html">le cyclisme</a>.Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-4670280664867934802019-09-21T22:10:00.003+02:002019-09-22T18:40:45.091+02:00"Dimanche, (...) je serai dans un tiroir de la morgue ou porteur du maillot jaune, vainqueur du Tour de France".Deuxième épreuve de notre triathlon littéraire, avec le cyclisme. Et quoi de mieux qu'un roman ayant pour cadre le Tour de France, sans doute la plus grande course au monde ? C'est le cas de notre roman du jour, signé par un écrivain mexicain et qui a pour personnage principal un des coureurs du Tour... "Mort contre la montre", de Jorge Zepeda Patterson (en grand format dans la collection Actes Noir des éditions Actes Sud ; traduction de Claude Bleton), est un polar qui nous plonge au coeur du peloton, et plus largement du milieu cycliste, avec ses personnages, ses codes, ses règles tacites, ses hiérarchies, ses champions et ses "gregarios"... Mais aussi tout le personnel qui encadre les équipes et permet, pendant trois semaines, que tout se passe au mieux. Sauf que, cette fois, il y a comme un hic... Et même plus d'un... Un polar mené par un des membres du peloton pour essayer de comprendre qui fausse le jeu de la pire des manières... Et un suspense sportif, jusqu'au dernier kilomètre, pardon, chapitre...<br />
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<a href="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330121976.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="484" height="320" src="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330121976.jpg" width="193" /></a></div>
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Le Tour de France s'est élancé d'Utrecht, avec au sein du peloton un immense favori : l'Américain Steve Panata, qui vise une cinquième victoire dans l'épreuve, ce qui lui permettrait de rejoindre au palmarès les légendes du cyclisme que sont Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain... A ses côtés, une des équipes les mieux structurées du peloton, entièrement dédiée à son service.<br />
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A commencer par Marc Moreau, son plus fidèle complice. Onze années qu'ils courent sous les mêmes couleurs, onze années que Marc est le principal lieutenant de Steve, et même l'un des artisans de ses plus grandes victoires. Marc Moreau est ce qu'on appelle en jargon un "gregario", un coureur dont la mission est de se dédier corps et âme pour son leader.<br />
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Marc Moreau a, à ce titre, un profil bien particulier : né en Colombie, il a grandi à Medellin et y a découvert le vélo. Ayant fait son apprentissage en altitude et dans les montagnes environnantes, il est devenu un grimpeur naturel, ce que n'est pas Steve Panata. Marc Moreau est son garde du corps dans les étapes les plus difficiles, lors des ascensions longues et les plus escarpées...<br />
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Et lorsqu'on n'est pas en montagne, il lui faut le mettre à l'abri du vent, surveiller ses rivaux, s'assurer qu'il a à manger et à boire en suffisance ("porteur d'eau" est un synonyme de gregario), le protéger des chutes... Un boulot à plein temps pour Marc, qui s'en satisfait, même si pour cela il a sacrifié ses ambitions personnelles, lui qui aurait pu être un leader dans n'importe quelle autre équipe...<br />
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Mais leur amitié, leur complicité en course, l'habitude, peut-être aussi le fait de mieux vivre caché que sous les projecteurs (la fameuse pression) ont fait que Marc Moreau est resté un gregario. Attention, le meilleur du peloton ! Un maillon essentiel dans les succès de son leader, sur le Tour de France et ailleurs.<br />
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Les premiers jours de courses se déroulent sans souci, mais avec une certaine tension : on sait très bien que la moindre erreur pourrait coûter la victoire finale. Or, il y a des pavés au menu, des étapes peu accidentées, mais où les pièges restent nombreux. Il faut rester caché, en attendant les étapes phares, où les cadors s'expliqueront...<br />
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Pourtant, lors de l'arrivée de la 7e étape, à Rennes, tout bascule : Marc Moreau apprend la mort d'un des principaux rivaux de Steve. Saül Fleming a été retrouvé dans la baignoire de sa chambre d'hôtel et si le drame a l'apparence d'un suicide, la police croit plutôt à une mise en scène... Fleming a été assassiné, le commissaire Favre, chargé de l'enquête, en est sûr.<br />
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Un Favre qui est venu à la rencontre de Marc Moreau, et lui précisément. Pour une bonne raison : après son enfance en Colombie, Marc est venu vivre en France, avec son père, militaire de carrière. A son tour, le jeune homme s'est enrôlé et a fait quelques années de service, au cours desquelles, il a rencontré son mentor, le colonel Lombard, qui est resté son entraîneur personnel toutes ces années.<br />
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Après cet épisode militaire, Marc Moreau est donc devenu cycliste professionnel, mais c'est sa vie d'avant qui intéresse Favre. Son expérience a donné une idée au policier : faire du coureur un infiltré au coeur du peloton pour essayer de glaner renseignements et indices. Qui connaît mieux les coureurs qu'un de leurs adversaires ?<br />
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Mais ce qui sidère Marc Moreau, c'est d'apprendre que l'enquête de Favre dépasse le meurtre de Fleming. Il semblerait que ce Tour de France soit émaillé de nombreux incidents, trop nombreux pour être des coïncidences. Avant même le départ d'Utrecht, puis depuis la première étape, plusieurs des favoris de la courses, rivaux directs de Steve Panata, ont été poussés au forfait ou à l'abandon...<br />
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Y aurait-il une machination à l'oeuvre pour favoriser tel ou tel coureur ? La prochaine cible pourrait-elle être Steve Panata ? Marc Moreau va devoir redoubler d'attention, car il va lui falloir protéger son leader sur le vélo, mais aussi hors course, et pas seulement des aléas dont se méfient les coureurs cyclistes, mais de menaces dépassant les règles du sport...<br />
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Si Jorge Zepeda Patterson n'a pas élaboré son propre parcours (il a en fait repris <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_France_2015">celui du Tour 2015</a>), il a en revanche réinventé le peloton. Difficile d'utiliser les noms des équipes actuelles, qui sont en fait des marques, mais aussi de mêler de véritables champions à cette histoire. Alors, l'auteur crée sa propre course, avec ses figures, ses favoris, ses outsiders et ses fameux gregarios.<br />
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Car c'est l'une des originalités de ce livre : le projecteur n'est pas fixé sur les favoris, mais bel et bien sur un équipier, certes modèle et capable, s'il le voulait, d'accéder au statut de leader, mais un équipier tout de même. Mieux que cela : Marc Moreau n'est pas seulement le personnage central de "Mort contre la montre", il en est le narrateur.<br />
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Cela renforce la sensation d'immersion au coeur du peloton, avec des passages retraçant la course comme si on pédalait nous aussi (enfin, on est moins crevé une fois passée la ligne d'arrivée, il faut le reconnaître...). Et puis, on peut aussi découvrir ce que l'on ne voit pas lorsqu'on suit le Tour de France à la télé, les coulisses, la vie quotidienne des équipes et les acteurs de l'ombre.<br />
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J'ai évoqué Lombard, mais il n'est pas le seul à apparaître dans le cours du roman. On peut citer Fiona, la compagne de Marc Moreau, qui est aussi, chose assez peu courante, une des mécaniciennes de l'équipe, et une fine connaisseuse du milieu cycliste ; il y a aussi Giraud, le directeur sportif de Steve et Marc, personnage inflexible qui fixe les règles et entend faire respecter sa hiérarchie.<br />
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Et puis, il y a tous ceux qui travaillent avant, pendant et après les étapes, pour entretenir le matériel, soigner les coureurs, les nourrir, les vêtir, etc. Tous ceux qui font que, pendant trois semaines, les membres de l'équipe n'ont plus qu'à se concentrer sur leur rythme de pédalage, leur récupération et les stratégies mises en place pour prendre du temps aux adversaires.<br />
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Le Tour de France, c'est un gigantesque barnum, auquel on doit ajouter les suiveurs, journalistes, sponsors, public, etc. Un monde relativement ouvert, en comparaison d'autres sports professionnel, où l'on accède assez facilement aux coureurs. Un spectacle gratuit qui, malgré les scandales récents, continue de faire recette.<br />
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A ce propos, on peut saluer Jorge Zepeda Patterson qui ne fait pas un roman sur le cyclisme pour le centrer sur le dopage. La question est posée, c'est une des causes d'élimination de certains favoris, mais peut-être vraiment à l'insu de leur plein gré, ceux-là. On n'est pas dans <a href="https://www.decitre.fr/livres/le-tour-de-france-n-aura-pas-lieu-9782020380676.html?utm_source=publicidees&utm_medium=affiliation&utm_campaign=generique&tog_sb=eJwVx8sNgCAQBcCW9uF-YAuwABvYKF5NiOEm9i6eJpOk8HM6RAtlE1lGnzGolT_NmcimtzMUox6-d5CCKXYoEee4kKIhsVLUdXs_djEWAw">"Le Tour de France n'aura pas lieu"</a>, que Jean-Noël Blanc avait écrit dans la foulée du scandale Festina...<br />
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Non, "Mort contre la montre" est un pur polar situé au coeur de la plus grande course cycliste, et cela marche doublement, car à l'enquête évoquée dans le résumé, vient s'ajouter un autre suspense : qui remportera le Tour cette année-là ? Et dans quelles conditions, puisqu'il semble qu'il s'agisse d'un jeu de massacre ?<br />
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Non seulement les fans de cyclisme devrait retrouver ce qu'ils aiment (et peut-être aussi ce qu'ils détestent) dans leur sport préféré, mais c'est un roman qui ne nécessite pas d'avoir une connaissance aiguë de cette discipline, d'être fana de sport ou de consacrer ses mois de juillet à suivre les aventures <a href="https://www.arlea.fr/Les-Forcats-de-la-route">des "forçats de la route"</a>.<br />
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On ressent toute la difficulté que représente un tel effort, long de trois semaines et 3500 kilomètres (et encore, la distance a bien diminué au fil des années et des remises en cause liées au dopage), le stress, la gestion de tous les paramètres, et à tout cela, on ajoute un élément supplémentaire, une épée de Damoclès meurtrière...<br />
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On découvre les us et coutumes du vélo de haut niveau, les règles tacites existant au sein du peloton, les rivalités, aussi, les terrains différents, où chacun peut tirer son épingle du jeu, mais aussi le fait que c'est un sport de casse-cous. Car les chutes, et <a href="https://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Actualites/Bjorg-lambrecht-est-mort-apres-une-chute-sur-le-tour-de-pologne/1046497">la mort récente d'un jeune espoir belge cet été nous le rappelle</a>, peuvent avoir de terribles conséquences.<br />
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Le cyclisme est un sport pratiqué par des athlètes d'exception, pas seulement physiquement, mais aussi techniquement : à près de 100km/h dans les descentes, il faut maîtriser sa machine à la perfection... Mais, comme le rappelle Marc Moreau dans le roman, si un cycliste est prêt à mourir, pourquoi ne serait-il pas prêt à tuer ?<br />
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Enfin, on découvre les rôles qui sont répartis entre les coureurs composant les équipes. Chacun sa mission, chacun son rayon d'activité, chacun sa place dans la chaîne, sans mauvais jeu de mots. Car c'est bien la complémentarité des équipiers qui fait les grandes victoires. Eh oui, je reviens aux grégarios, puisque c'est tout de même un aspect important de ce roman.<br />
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Et un sujet "à la mode", si je puis dire, puisque récemment, deux ouvrages sont venus parler de ce statut si particulier, ces coureurs dont on ne parle pas forcément, mais à qui les leaders doivent beaucoup, et sans doute une bonne part de leurs victoires. Ainsi, en 2015, l'ancien coureur britannique, <a href="http://anneetarnaud.com/charly-wegelius-le-cycliste-dans-la-roue-du-champion/">Charly Wegelius, a publié un livre intitulé justement "Gregario"</a>.<br />
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Plus récemment, <a href="http://www.hugoetcie.fr/livres/equipiers/">"Equipiers", de Grégory Nicolas</a> (qui est romancier, mais signe ici un récit documentaire), a fait beaucoup parler de lui. Symboliquement, il est préfacé par un leader, Romain Bardet, et l'un de ses équipiers, Clément Chevrier... L'occasion de rappeler que le cyclisme est bien un sport individuel, mais qui se pratique en équipe, ce qui en fait toute sa force et sa beauté.<br />
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Cet aspect est central dans "Mort contre la montre", particulièrement à travers la relation entre Steve Panata et Marc Moreau. On peut ajouter la relation entre le directeur sportif et le leader, elle aussi fondamentale pour espérer s'imposer. Mais dans ce genre de cadre, on sait bien que le moindre grain de sable peut gripper toute la mécanique.<br />
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L'auteur dresse le portrait de ces deux complices, la star et celui qui le sert, l'idole et celui qui reste dans l'ombre, celui que le public encourage et celui qui trime... Bien sûr, chaque coureur a des aptitudes particulières qui le prédisposent à gagner une course plutôt qu'un autre, à briller sur un terrain et pas sur un autre.<br />
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Mais ici, on a deux coureurs d'un niveau très proche. L'histoire du cyclisme a gardé le souvenir de rivalités similaires : Hinault et LeMond, par exemple, ou plus près de nous, Wiggins et Froome, puis Froome et Thomas... Le gregario sait s'effacer, accepter ce statut avec tout ce qu'il a d'ingrat. Et sur cet équilibre fragile, c'est l'équipe entière qui repose...<br />
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Jorge Zepeda Patterson rend hommage aux sportifs, à ces athlètes de très haut niveau, très critiqués, victimes du soupçon du grand public (parfois à raison, reconnaissons-le), mais capable d'exploits qui restent longtemps gravés dans les mémoires des suiveurs et du public. Le Tour de France est un miroir déformant, tout y devient plus grand, plus fort.<br />
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Mais cela décuple aussi les ambitions et, finalement, comme pour le dopage, ce sont ces ambitions qui peuvent expliquer de tout mettre en oeuvre pour l'emporter. Pour renverser le favori ou, au contraire, asseoir sa légende en décrochant un nouveau titre ? Le maillot jaune les fait rêver depuis l'enfance, mais le porter sur les Champs-Elysées est si rare que cela pourrait rendre fou...<br />
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En jouant avec tous les éléments de ce contexte très particulier, en faisant de Favre, un des rares personnages extérieurs au milieu cycliste, un second rôle et non l'enquêteur principal, en semant des fausses pistes et en multipliant les suspects (après tout, chaque coureur ou presque peut viser la victoire finale), Jorge Zepeda Patterson nous offre un polar assez atypique, mais captivant.<br />
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Un polar qui s'inscrit dans une tradition somme toute assez classique du polar, car on pourrait y voir une trame à la Agatha Christie, même si cette dernière préférait le surf à la bicyclette. Tout le monde peut-être coupable, et l'enquêteur révélera le nom du ou des coupable(s) une fois la ligne d'arrivée sur les Champs-Elysées franchie, ainsi que le cadre de sa/leur machination...<br />
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Je le redis, je pense qu'il n'est pas nécessaire d'aimer particulièrement le sport ou le cyclisme pour apprécier cette lecture, même si avoir une idée, même légère, de ce qu'est une course comme le Tour de France est un plus. Ensuite, on se met dans la roue de Marc Moreau et l'on remonte ce peloton au coeur duquel se cache peut-être un tueur sans scrupule...<br />
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Dernier clin d'oeil : "Mort contre la montre" est paru en juin en France, quelques semaines avant le dernier Tour de France. Le roman met en scène un coureur franco-colombien, or cette édition 2019 a vu briller un Français, Julian Alaphilippe, et un Colombien, Egan Bernal, finalement vainqueur... Deux leaders qui ont pu compter sur leurs équipiers pour essayer d'obtenir le maillot jaune.<br />
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Dans le respect des règles et de l'adversaire...<br />
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<u>Le triathlon littéraire :</u></div>
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- <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/il-retourne-leau-la-grande-matrice-il.html">la natation</a>.</div>
<div style="text-align: right;">
- <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/toi-le-fils-de-lecume-du-lion-toi-surgi.html">la course à pied</a>.</div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-9169718684431217662019-09-21T15:24:00.000+02:002019-09-22T18:39:09.363+02:00"Il retourne à l'eau, la grande matrice. Il se dit que depuis un an, depuis le jour de Bayle, de toute façon, il a changé d'espèce".Pour les prochains billets, je vous propose une espèce de triathlon littéraire. Oui, vous avez bien lu, un triathlon : natation, cyclisme et course à pied, un roman pour chaque épreuve. Commençons donc par la natation, même si cette discipline sportive n'est qu'un élément dans notre roman du jour, dont le thème principal est le handicap. Avec "Murène" (en grand format chez Actes Sud), Valentine Goby poursuit son exploration du corps, mené depuis plusieurs années et plusieurs romans. Mais cette fois, elle s'intéresse aux corps brisés, abîmés, tronqués, pour s'interroger sur la place des personnes handicapées dans nos sociétés. A travers l'histoire de François, c'est un véritable combat qui s'engage, un combat pour l'intégration, et même, osons le mot, la normalité. "Murène" est aussi un roman qui rend hommage au mouvement paralympique et à toutes celles et ceux qui ont trouvé dans le sport un moyen de surmonter leur handicap...<br />
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<a href="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330125363.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="424" height="320" src="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330125363.jpg" width="169" /></a></div>
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A 22 ans, François Sandre pourrait être ingénieur, mais une fois son diplôme obtenu, il l'a envoyé aux orties pour se lancer dans une vie professionnelle bien différente : travailler sur des chantiers à travers la France, plutôt que de les concevoir. Une vie ouvrière qui semble ravir le jeune homme, athlétique et un brin casse-cou, ainsi que le fait de ne jamais se poser très longtemps au même endroit.<br />
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Il est heureux, François, qui est revenu à Paris. Sa vie se déroule entre sa famille et son atelier de couture, le dernier chantier en date et Nine, la jeune femme dont il est éperdument amoureux. Une relation qu'il tient secrète pour l'instant, mais dont il goûte chaque instant avec une passion pour laquelle il se sent prêt à toutes les acrobaties.<br />
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Mais l'hiver 1956 est rude en France, autant que l'hiver 1954 que l'appel de l'Abbé Pierre a déjà fait entrer dans l'histoire. A Paris, les chantiers sont à l'arrêt, le froid les rend trop dangereux. Alors, pour meubler son congé intempéries, François a accepté d'aller donner un coup de main à un cousin. Ce dernier travaille pour une scierie de Charleville-Mézières, dans les Ardennes.<br />
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Il embarque donc dans le camion conduit par le dénommé Toto pour un périple un peu pénible, entre boucan infernal, froid glacial et plaques de verglas traîtresses... Mais plus la journée avance et plus la moyenne diminue, jusqu'à ce que le dix-tonnes s'arrête en rase campagne... Une panne malvenue, qui va nécessiter une intervention... A condition de trouver quelqu'un !<br />
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François est chargé de partir en expédition, à la recherche d'un garagiste, ou au moins d'un village où il pourra trouver du secours. La nuit tombe, et la seule chose que trouve François, c'est une voie ferrée. Il la suit, espérant remonter jusqu'à une gare, mais il ne trouve qu'une voie de garage, où stationnent des wagons.<br />
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Il décide de monter sur le toit de l'un d'entre eux, espérant apercevoir enfin un peu de vie en prenant un peu de hauteur. Funeste erreur, car ce que François ignore, c'est que cette région est l'une des premières à être équipée de lignes de chemin de fer électrifiées à très haute tension. A peine est-il sur le toit du wagon qu'un arc se forme...<br />
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Il faudra plusieurs heures avant que, par hasard, une fillette ne découvre le cors de François, allongé dans la neige. Il n'est pas mort, mais le choc électrique a eu des conséquences terribles sur son corps. D'abord, sa mémoire est littéralement effacée, François est amnésique. Tout son organisme a souffert, mais les principaux organes ont tenu le choc.<br />
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Mais le plus grave, ce sont les brûlures... 25000 volts sont passés dans son corps et ont laissé d'effroyables séquelles. Ses bras ont été carbonisés, au point que le chirurgien a choisi de l'opérer au plus vite... Face à cette situation inédite, il n'a pas hésité longtemps, avant de faire ce qui lui semblait le mieux pour la santé du patient...<br />
<br />
Il a donc amputé François de son bras gauche, en attendant de savoir comment son état, très inquiétant, évoluera. Le médecin est très pessimiste, il ne le cache pas à Mum, la mère de François, qui a accouru dans l'est dès la nouvelle de l'accident reçue. Il faut peut-être même se préparer au pire à brève échéance.<br />
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Il faudra aussi amputer son second bras. Comme le premier, tout entier, depuis l'épaule, sans même laisser un moignon... Mais pour le reste, voilà un patient à la constitution des plus solides, car il va se remettre, oui, c'est sûr... Oh, le chemin sera long, pavé de souffrances. Le corps, mais aussi l'esprit. La mémoire, amputée de plusieurs mois, elle aussi, mais surtout, le moral...<br />
<br />
Ce dernier est salement atteint, François broie du noir, peine à s'inventer un avenir dans ce corps mutilé, irrémédiablement mutilé... Il n'est pas mort, certes, mais est-il encore vivant ? Peut-on vivre dans de telles conditions, privé de ses bras, privé de toute autonomie, contraint de vivre aux crochets de sa famille, incapable de plus rien entreprendre ?<br />
<br />
"Murène", c'est le récit de cette impossible convalescence, au cours de laquelle François va devoir remettre en marche son corps diminué, mais sans doute plus encore son esprit. Une sévère dépression nourrie par la certitude de ne plus être un être humain à part entière, de ne plus être... normal, d'être désormais en marge de la société...<br />
<br />
Et puis, comme le laisse entendre le titre de ce billet, François va connaître une espèce de renaissance. L'accouchement, si je puis dire, sera difficile, mais c'est belle et bien une nouvelle vie qui va s'ouvrir devant lui. Lui, le sportif, l'acrobate, l'homme au nom de poisson, n'avait jamais éprouvé le besoin d'apprendre à nager. Jusqu'à ce qu'il ressente une forte envie de plonger dans l'eau...<br />
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C'est donc par la natation que va passer cette renaissance, idée paradoxale lorsqu'on se retrouve privé de ses deux bras, et pourtant ! Pourtant, l'homme mort dans la neige ardennaise va pouvoir revivre dans le corps d'une murène, dans l'eau qui le libère de bien des contraintes. Et, peu à peu, grâce à la natation, il va entamer son long voyage vers... la normalité ?<br />
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Le mot est tellement devenu difficile à employer qu'on hésite à le faire. Ici, pourtant, c'est le cas, et cela passe d'abord par le regard des autres, plus encore par l'acceptation de ce regard (il y a une scène extraordinaire à ce propos dans un restaurant où François déjeune avec Bertrand, un garçon plus jeune qui souffre du même handicap), mais aussi par un retour à l'activité.<br />
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Le travail, oui, retrouver une activité professionnelle, ce sera un des socles. Et puis, le sport. D'abord au sens d'activité physique (là encore, scène remarquable de la photo de groupe des nageurs avec lesquels s'entraîne François, quelle leçon de vie !), puis dans un cadre différent, celui de la compétition. Parce que la normalité passe aussi par le fait d'être champion à part entière, on y reviendra.<br />
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Mais avant, intéressons-nous au corps, puisque c'est le thème de prédilection de Valentine Goby. Son regard, ses réflexions sur le corps sont au coeur de son travail de romancière, mais plus particulièrement le corps de la femme. Or, avec "Murène", cela change, puisqu'il ne s'agit plus du corps sexué, mais du corps endommagé.<br />
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On voit François, dans les premières pages du roman, jouer les acrobates sur les échafaudages, jouer de ce corps alerte, musclé, un corps en pleine force de l'âge. Le même qu'il va hisser sur le toit du wagon ardennais... François n'est pas un athlète, un sportif, mais c'est un quelqu'un qui travaille sur des chantiers et son corps est son outil de travail.<br />
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Finalement, notre corps, on ne le remarque que lorsque quelque chose ne va pas. C'est quand il dysfonctionne qu'on se rend compte à quel point on a besoin de lui. Lorsque François émerge de son coma et découvre qu'il n'a plus de bras, il ne lui faut pas longtemps pour comprendre les conséquences, se sentir plus mort que vivant. Ou en tout cas, totalement inutile.<br />
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Il y a une image terrible qui s'impose : celle du mannequin Stockman, qu'il a toujours vu dans l'atelier familial. Vous savez, ces mannequins représentant juste un torse, sur lesquels les couturières peuvent travailler comme si c'était un corps. Mais un corps démembré, un torse sans le prolongement des bras, voilà comment se voit François après son accident...<br />
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Le roman se déroule en 1956, ce n'est pas anodin : la guerre est encore proche, on en voit encore les conséquences. Pas tant de gueules cassées que lors de la précédente, mais de nombreux mutilés, ayant perdu un membre au combat. Et c'est justement dans ce registre que François, qui se considère plus mort que vif, va puiser son vocabulaire, lorsqu'il doit reprendre vie.<br />
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Oui, ce qu'il engage, c'est un véritable combat, dont l'issue lui paraît d'abord inévitable : la défaite. Il va falloir qu'on s'emploie autour de lui pour lui faire reprendre espoir, le pousser à se battre. Quant à son corps, il le définit comme le champ de bataille, comme le premier champ de bataille, même. C'est sur ce terrain qu'il faut aller décrocher la victoire décisive.<br />
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Mais que la tâche est rude ! Rude au point de considérer que son corps est aussi l'ennemi. Pire : le traître. Le collabo ! Je sors ce dernier mot du livre, il revient à plusieurs reprises, d'ailleurs, en particulier au début, lorsque François préférerait être mort et que son corps, lui, refuse de céder, donne au contraire des signes d'amélioration...<br />
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Le corps, il est au coeur de "Murène", mais pas dans sa forme idéale, parfaite. Il ne s'agit pas juste de sortir des canons en vigueur, mais de défauts irrémédiables (la question de la prothèse est un des sujets importants dans le retour à la vie de François), qu'il faut accepter et faire accepter aux autres. Car même abîmés, ces corps peuvent être utiles. Utiles, et beaux, aussi !<br />
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Oui, beaux, car c'est aussi l'objet de ce roman, celui de nous aider, nous, valides, à surmonter nos préjugés, et particulièrement les réactions que l'on peut avoir en voyant quelqu'un comme François. Parce que la normalité passe aussi par là : l'indifférence, au lieu du dégoût... "Murène", c'est un livre qui s'adresse peut-être surtout à ceux qui ont la chance d'avoir un corps intact, pour une prise de conscience.<br />
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A l'origine de "Murène", il y a des images sur un écran de télévision. Celles de Zheng Tao, un nageur chinois, champion paralympique à Rio, en 2016. Un nageur privé de bras, mais qui dégage aux yeux de la romancière beauté et grâce... Elle aurait pu écrire sur cet athlète, mais elle a fait un choix différent, celui de la pure fiction.<br />
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François Sandre est entièrement né de l'imagination de Valentine Goby qui l'a construit pour servir un propos. A ce titre, le choix de placer l'action en 1956 est une nouvelle fois importante : pour des questions de contextes, de techniques, en particulier pour tout ce qui touche aux prothèses, encore rudimentaires, de place du handicap dans la société, etc.<br />
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Et puis, pour un élément qui va tenir une place non négligeable dans "Murène" : la naissance d'un mouvement handisport, qui deviendra même paralympique à partir de 1960. Dans cette période d'après-guerre, le sport est vu comme un outil de réhabilitation pour ceux qui ont été mutilés pendant la guerre. Jusqu'à la création, en 1948, <a href="https://www.paralympic.org/ipc/history">des jeux de Stoke Mandeville</a>, en Angleterre...<br />
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On découvre alors toutes les difficultés à la pratique du sport lorsqu'on est invalide, mais aussi la joie que cela peut procurer, et même un esprit de compétition chez certains très puissant... Mais on comprend aussi à quel point il est difficile de structurer un tel mouvement, tant les handicaps sont nombreux, divers, tant sur le plan physique, que moteur ou encore mental...<br />
<br />
On prend conscience de beaucoup de choses, au-delà de la simple histoire de François, du simple cadre romanesque. Valentine Goby se joue même de nous en nous réservant quelques surprises, dans cet objectif paralympique qui, petit à petit, va s'installer. Mais son but reste le même : mener ses personnages à la résilience et même à la renaissance.<br />
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En exergue du livre, on trouve une phrase d'Ovide, tirée des "Métamorphoses", qui fait écho à la citation placée en titre de ce billet. Cette idée est fondamentale, pas seulement pour l'idée de renaissance, mais simplement pour échapper à l'idée du monstre, qu'on croise également dans le livre. Une notion maniée avec un certain humour, même s'il est toujours teinté d'amertume.<br />
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"Un monstre dans un club de monstres", dit François, lorsqu'il adhère à son club de natation pour invalides. Et les premiers temps sont durs, pour le jeune homme, qui peine à assumer son corps tel qu'il est devenu, quand les autres semblent déjà évoluer... comme des poissons dans l'eau. Ce travail d'acceptation, aussi long et peut-être plus ardu que la rééducation, d'ailleurs...<br />
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Je vais terminer ce billet sur une question d'écriture : le recours de Valentine Goby aux énumérations, très présentes dans le roman, dès le début, d'ailleurs. Et qui fonctionnent comme une espèce de baromètre : ces successions de termes, parfois flirtant avec l'inventaire à la Prévert, donnent une idée claire de l'état d'esprit du moment de François.<br />
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Dans le fond, comme dans la forme, dans le choix des mots, noms et verbes, dans l'ordre, même le rythme avec lequel ces énumérations s'écoulent, on voit changer l'humeur du personnage, on voit évoluer aussi son moral. On le voit tomber au plus bas et entreprendre la remontée vers un avenir, ah, l'avenir, dont on a un aperçu dans la dernière partie...<br />
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<u>Le triathlon littéraire :</u></div>
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- <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/dimanche-je-serai-dans-un-tiroir-de-la.html">le cyclisme</a>.</div>
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- <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/toi-le-fils-de-lecume-du-lion-toi-surgi.html">la course à pied</a>.</div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-17277605036503178932019-09-20T18:18:00.000+02:002019-09-20T18:19:11.562+02:00"Il me semble, de plus en plus clairement que vous êtes de ceux qui sont marqués par les dieux".Pour être franc, cette phrase de titre évoque sans doute plus l'ensemble du cycle dont fait partie notre roman du jour que ce deuxième tome lui-même. C'est une impression qui m'a suivi depuis la lecture du premier volet du "Cycle de Syffe", <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/08/sous-une-pluie-battante-je-longeai-la.html">"L'Enfant de poussière"</a>, et que ce deuxième tome, "La Peste et la Vigne", de Patrick K. Dewdney (en grand format au Diable Vauvert) n'a fait que renforcer. Ai-je raison ou tort ? Les tomes suivants nous le dirons, même si je dois reconnaître que j'ai coupé la citation très tôt : j'aurais pu ajouter les mots suivants qui laissent entendre qu'un destin comme celui de Syffe ne peut que mal se finir... Là encore, l'avenir nous le dira. Mais, force est de reconnaître que depuis sa naissance, la vie ne fait aucun cadeau à ce garçon et, s'il doit accomplir un destin, comme on peut le penser, il lui aura fallu parcourir un véritable calvaire auparavant... Et la deuxième station, la voici, qui nous entraîne jusqu'à un final spectaculaire, inattendu et marquant sans doute un tournant dans cette histoire...<div>
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<a href="https://audiable.com/wp-content/uploads/COUV-DEWDNEY-Le-Peste-et-la-Vigne-PL1SITE.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="450" data-original-width="295" height="320" src="https://audiable.com/wp-content/uploads/COUV-DEWDNEY-Le-Peste-et-la-Vigne-PL1SITE.jpg" width="209" /></a></div>
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Après avoir été fait prisonnier, marqué comme du bétail et réduit en esclavage, Syffe passe cinq années terribles dans des mines, à Iphos. Là, triment six milliers d'êtres humains, si l'on peut encore les appeler ainsi, issus des différents peuples de la région et victimes des guerres qui se déroulent sans cesse entre les uns et les autres.</div>
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A son tour, Syffe découvre la besogne sale, épuisante et dangereuse, dans le labyrinthe creuse à même la terre pour en extraire le minerai. Mais il n'a pas vraiment conscience de cette terrible situation, marqué par les événements qui l'ont mené ici, traumatisé par la mort de son ami et mentor, Uldrick, et la nouvelle disparition de Brindille, dont le sort lui a brisé le coeur.</div>
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Alors, il erre plus qu'autre chose, dépourvu d'espoir, ayant abandonné l'idée même de sortir de là. Il faut qu'on lui confie une mission bien particulière, celle d' "ankoï", le porteur de lumière, pour qu'il émerge enfin de son marasme et commence à nouer des liens avec certains de ses compagnons d'infortune.</div>
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Encore adolescent, et malgré les privations, le corps de Syffe continue de se développer. il grandit, quitte l'enfance, s'approche de l'âge adulte... Suite à une révolte, il retrouve le grand air, en devenant bûcheron à la place de ceux qui ont échoué à se libérer et ont fini sur un gibet. Si ce n'est pas une libération véritable, ce nouvel état lui convient mieux, lui permet d'échapper à la promiscuité...</div>
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Peu à peu, Syffe revient à la vie, même si tout cela peut paraître illusoire, en trompe-l'oeil. Mais le grand air, le travail dans les bois, tout cela pourrait lui rappeler l'époque où, avec Uldrick, il avait vécu hors du monde, en autarcie... Pour autant, il reste un esclave, à la merci de ses maîtres, de la violence, de la malnutrition, des maladies...</div>
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L'une d'elle ne va pas tarder à s'abattre sur la région... La peste marquaise réapparaît périodiquement pour y causer à chaque fois la dévastation parmi les populations. Et le camp dans lequel vit Syffe ne va pas échapper à l'épidémie, qui va trouver là un terrain idéal pour se déchaîner, parmi ces êtres fragilisés par la faim, les mauvais traitements, la fatigue...</div>
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Syffe, qui n'a pas encore 18 ans, assiste, impuissant, à l'horreur absolue : la maladie ne laisse que peu de chance aux prisonniers, et même à ceux qui les encadrent. Voyant disparaître les uns après les autres ceux avec qui il a noué des liens, Syffe imagine que son tour ne va pas tarder à venir et qu'à son tour, il souffrira le martyre avant de partir, comme les autres...</div>
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Effectivement, le jeune homme commence à développer des symptômes évidents montrant que Syffe a contracté à son tour la peste marquaise. Mais, paradoxe suprême, ou signe du destin (oserons-nous dire : providentiel ?), c'est bel et bien la peste qui va libérer Syffe de l'esclavage, auquel il s'était résolu au point d'abandonner toute perspective d'avenir, et lui permettre de reprendre sa route...</div>
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Mais, si Syffe survit, contre vents et marées, contre guerres et pestilences, contre tout ce que l'être humain peut imaginer pour soumettre et faire souffrir ses congénères, il n'est plus l'enfant, l'orphelin des débuts du cycle, il n'a même plus guère d'idéal pour le porter... Il est un être différent, un jeune adulte perdu, solitaire et désirant le rester, qui va devoir renouer les fils de son existence...</div>
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Bon, la peste, elle est là, et c'est normal, puisque c'est vraiment l'événement marquant de la première partie du deuxième tome du "Cycle de Syffe". Pour la vigne, là, il vous faudra vous lancer dans la lecture de ce roman, mais entre les deux, il se passera bien des événements dans la vie d'un Syffe métamorphosé, sombre et plus antihéros que jamais, marcheur solitaire à qui il ne faut pas chercher noise.</div>
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Bien sûr, les années ont passé depuis qu'on a fait la connaissance du jeune orphelin de Corne-Brune, vivant dans une ferme avec des amis, insouciant et finalement, assez heureux, jusqu'à ce que tout parte en quenouille et qu'il se retrouve projeté dans une vie qui n'est pas du tout celle à laquelle il semblait se destiner. Jusqu'à ce qu'il perde le contrôle de son existence.</div>
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Mais, Syffe reste encore un jeune homme, au seuil de l'âge adulte, même s'il ne semble plus rien avoir de cet enfant plein de vie, curieux et téméraire. Un garçon qui paraît avoir tout perdu, sauf le souffle vital. Et, d'une certaine manière, le contrôle de son existence : lorsqu'il quitte Iphos, plus personne ne lui dicte son comportement, il est... libre, terriblement libre.</div>
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On est tôt dans ce cycle, encore, puisqu'il devrait y avoir sept tomes, et pourtant, on a déjà un personnage central qui a profondément changé. Certes, malgré les aléas, "L'Enfant de poussière" était le récit d'un apprentissage, chaotique, en plusieurs étapes clairement distinctes, mais un pur roman initiatique, dans la tradition du genre.</div>
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Avec ce deuxième tome, on entre dans une phase sensiblement différente. J'avais évoqué dans le billet sur "L'Enfant de poussière" la question de l'anarchie, évoqué à travers les Vars, peuple dont était issu Uldrick, et leur mode de vie bien particulier. J'ai le sentiment qu'on retrouve cela dans "La Peste et la Vigne", avec ce "nouveau" Syffe.</div>
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Allons même un cran plus loin : Syffe est devenu une espèce de... punk ! Uldrick lui a enseigné, entre autres choses, la possibilité de vivre sans dieu ni maître, et son expérience dans les mines d'Iphos a gravé dans son esprit l'idée qu'il n'y a pas de futur... C'est un personnage sombre et en marge du monde que l'on retrouve et que l'on va accompagner.</div>
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Il faudrait ajouter un élément très important à cette brève description : son impression d'être entouré de fantômes. Si jeune et déjà suivi par un cortège de morts, dont le souvenir ne s'est jamais effacé, même au pire de la tourmente, même aux plus douloureux moments à Iphos. Et avec ces morts, une culpabilité qui le ronge, plus corrosive encore parce qu'il sait qu'il ne peut rien faire pour changer cela.</div>
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Ces aspects-là, ainsi que le fait que toute joie de vivre semble avoir fui Syffe irrémédiablement, je ne les invente pas, ils sont explicitement évoqués dès le début de "La Peste et la Vigne", en particulier ces fantômes, dont il ressent la présence. Syffe est devenu un personnage morbide, sans doute pas suicidaire, car sinon il serait passé à l'acte (et ce cycle aurait été... bizarre), mais mal, très mal...</div>
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Il se voit comme quelqu'un qui porte malheur, tous ceux qui s'approchent de lui, créent des liens avec lui, s'entendent avec lui, paraissent vouer à mourir, à l'exception de Brindille, dont le sort ne vaut pourtant guère mieux... Cela peut ajouter des explications supplémentaires à sa volonté de vivre seul, de traverser ce nouveau voyage en interagissant le moins possible avec ses congénères.</div>
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Et d'ailleurs, le contraste est saisissant entre les deux tomes que nous avons pour le moment en main : dans "L'Enfant de poussière", chaque rencontre joue un rôle important dans la vie de Syffe, oriente son existence ; dans "La Peste et la Vigne", c'est tout le contraire, Syffe prend bien soin de ne surtout pas se lier avec les gens qu'il croise, les évitant le plus possible ou mettant rapidement un terme à la rencontre.</div>
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Je ne vais pas dans ce billet retracer le parcours de Syffe dans "La Peste et la Vigne", vous vous en doutez bien, et le voudrais-je, ce serait assez délicat, car il y a finalement peu d'aspérités auxquelles s'accrocher. Oh, n'en déduisez pas qu'il ne se passe rien, non, dire cela, c'est absurde, idiot. On retrouve la même sinusoïde entre périodes calmes et mouvementées, même si cela s'exprime autrement.</div>
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Syffe n'est pas seulement à la marge du monde parce qu'on l'y a poussé, il demeure à cette marge parce qu'il le veut. Il traverse le monde comme un fantôme, lui aussi. Il souhaite avancer sans laisser de trace, sans qu'on se souvienne de lui... Mais avouez que cela ne semble pas très romanesque, pour le coup. Il faut de l'interaction pour qu'on avance...</div>
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Je ne retrace donc pas ce parcours, mais vous verrez que Syffe est amené à revenir sur ses pas, comme s'il voulait pouvoir reprendre le cours de son existence là où il a été interrompu, ou même un peu en amont. On peut d'ailleurs évoquer un de ces aspects à travers <a href="https://www.actusf.com/detail-d-un-article/le-nom-du-monde-est-for%C3%AAt">une table ronde des dernières Imaginales, consacrée à la forêt</a>.</div>
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Patrick K. Dewdney n'en est pas le seul intervenant, mais c'est un beau moment, qui va de fait un peu loin dans ce deuxième tome, même si on a essayé d'en dévoiler le moins possible. C'est aussi l'occasion d'évoquer la construction tout en contrastes du "Cycle de Syffe", où se succèdent des atmosphères très différentes, allant du calme, certes relatif, à la violence la plus forte.</div>
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Alors, effectivement, "le Cycle de Syffe" n'est pas un cycle de fantasy épique, au rythme effréné, avec de la baston, des héros puissants et sans reproche, des clivages très clairement définis. Non, c'est autre chose, un parcours initiatique mené à un rythme choisi, qu'on peut trouver lent, je le conçois, mais qui permet d'approfondir ce personnage de Syffe et de le façonner, comme sur un tour.</div>
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On l'accompagne dans ce qui peut être qualifié d'errance, tout du moins jusqu'à ce qu'il retrouve un but, qu'il se fixe de nouveaux objectifs, qu'il recouvre suffisamment de force et de lucidité pour remettre sa vie en ordre de marche. Certes, Syffe a bien changé, mais il n'en reste pas moins touchant, pour des raisons différentes, c'est vrai, après tous les tourments qui l'ont frappé.</div>
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Et comme depuis le début, il est certain que chaque épisode n'a rien d'innocent : Syffe s'en nourrit, mais on le voit aussi appliquer ce qu'il a pu apprendre pendant son enfance, auprès de ses différents mentors. Rien n'est anodin dans le parcours de ce personnage, rien dans ces épreuves, mais aussi dans ces rencontres n'est inutile.</div>
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J'arrive au terme de ce billet et je dois dire que je cherche comment évoquer un dernier aspect. Car il concerne la fin de ce deuxième tome. Tant pis, je me lance, en essayant de rester le plus cryptique possible. Car j'ai été surpris par la fin de "La Peste et la Vigne". Pas la fin en tant que telle, mais par certains éléments qui s'y produisent.</div>
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Quand je parle de surprise, c'est parce que je ne pensais pas que certains de ces événements se dérouleraient aussi tôt dans le cycle et, en refermant "La Peste et la Vigne", je me suis senti comme... démuni, difficile de trouver le bon mot. En clair : impossible de me projeter dans les prochains tomes pour l'instant. Cette fin, c'est une rupture, pour moi.</div>
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Et le troisième tome, qu'il faudra encore attendre (la sortie est prévu, je crois, pour l'automne 2020), sera la première page d'un tout nouveau chapitre. Ou alors, j'ai tout faux, et là, on aura encore des surprises, mais d'un tout autre genre. Mais, il reste tout de même une question, renforcée par ce final : qui est vraiment Syffe ?</div>
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On en revient au titre de ce billet, en fait. Syffe a manifestement un destin, dont il ignore tout, et qu'il est en train d'accomplir sous nos yeux. Je disais plus haut qu'il a repris en main les rênes de son existence, c'est possible, mais pas certain. Alors, désormais, la question qui se pose est de savoir s'il s'émancipera pour accomplir un destin propre ou s'il sera un instrument pour un destin qu'on (?) lui a assigné.</div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-71649976998166692092019-09-17T18:25:00.002+02:002019-09-17T18:25:53.001+02:00"Que se passera-t-il si l'envie leur prend un jour d'aller plus loin ? (...) Voyager, c'est comparer, c'est poser des questions gênantes et finir par demander des comptes".Après le long voyage dans les 7 Royaumes et son heptalogie du <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2017/01/les-dernieres-lumieres-de-ce-monde.html">"Sang de 7 Rois"</a>, revoilà Régis Goddyn, cette fois avec un projet qui apparaît fort différent, ne serait-ce que dans son ampleur, puisque c'est un tome unique, cette fois. Un roman au titre intrigant, qui donne envie d'en savoir plus sur ce nouvel univers et les personnages qui l'habitent : "L'Ensorceleur des choses menues" (en grand format aux éditions de L'Atalante). Mais ce qui ne change pas, c'est la capacité de Régis Goddyn à emmener ses lecteurs là où ils ne s'attendent pas du tout à aller et à développer un univers qui, au fil des pages, change sensiblement. Pour ce roman, il ajoute un autre aspect très agréable et intéressant, en bousculant tous les codes du genre, imposant des antihéros inattendus, qui vont non seulement se découvrir une nouvelle vocation, qu'on pourrait qualifier de révolutionnaire... Attention, un univers peut en cacher un autre !<br />
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<a href="https://www.l-atalante.com/uploads/produits/efb68591401dceb8b2475aea906bce88.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="580" height="320" src="https://www.l-atalante.com/uploads/produits/efb68591401dceb8b2475aea906bce88.jpg" width="232" /></a></div>
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Depuis des années, des décennies, Barnabéüs exerce modestement, mais avec compétence et intégrité, la profession d'ensorceleur des choses menues, à Kiomar-Balatok. Mais, peu après la mort de son père, il a décidé de ne plus exercer et de prendre sa retraite afin de se consacrer entièrement à la rédaction de ses mémoires.<br />
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Dans ce but, il s'est offert un cabinet d'écriture, lui qui n'avait jamais cédé au luxe superflu jusque-là, et n'hésite pas à s'enfermer pour écrire, afin qu'on ne le dérange pas. Pourtant, un soir, Gélinas, la servante restée à son service malgré la retraite de l'ensorceleur, vient frapper à sa porte alors qu'il planche sur son manuscrit.<br />
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Si elle a enfreint la règle, c'est pour avertir Barnabéüs qu'une jeune fille veut absolument le voir. Lui, et personne d'autre. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois qu'elle vient et, même éconduite, elle n'en démord pas... Et ce soir-là, lassée de s'entendre dire de revenir le lendemain, comme la veille, et le jour d'avant, elle force l'entrée de la maison de l'ensorceleur...<br />
<br />
Surpris, Barnabéüs découvre une adolescente, presque une enfant, encore ! Elle dit s'appeler Prune et avoir 17 ans ; elle explique être en passe elle-même de devenir ensorceleuse des choses menues. Barnabéüs pense qu'elle veut devenir son élève, ce qui est hors de question, mais la demoiselle n'a pas fini de le surprendre...<br />
<br />
Car son projet est bien plus complexe : elle veut se rendre à Agraam-Dilith, la cité secrète, dont personne ne connaît l'emplacement, à l'exception des mages et des initiés. Ce que ne sont pas les ensorceleurs des choses menues, qui ne quittent jamais leur cité. Et, si elle souhaite entreprendre cet improbable voyage, et embarquer Barnabéüs au passage, c'est pour une bonne raison.<br />
<br />
Son fiancé, Arlanis, a entrepris le voyage vers Agraam-Dilith, en compagnie de son père, afin d'effectuer ce qu'on appelle le Haut Voyage, une sorte de rite initiatique pour les jeunes destinés à devenir à leur tour mage. Mais ni Arlanis ni son père ne sont rentrés de ce périple et Prune redoute qu'il leur soit arrivé malheur en chemin.<br />
<br />
Mais Barnabéüs, inflexible, refuse d'aider Prune. Il s'ouvre même de cette histoire à son frère, Palpoternim, qui est le mage de la famille, désormais, mais celui-ci n'est pas d'un grand secours : seuls les initiés ont accès aux informations sur le Haut Voyage, Barnabéüs et Prune sont des évincés, ils doivent rester à leur place, et c'est tout...<br />
<br />
Même s'il a repoussé Prune, le vieil ensorceleur est taraudé par cette histoire, au point de ne plus parvenir à se concentrer sur ses mémoires. C'est pour cela qu'il décide d'aller au marché, faire quelques courses, ignorant que cette balade va bouleverser son existence modeste d'ensorceleur des choses menues, et pas seulement ça...<br />
<br />
Il découvre que Prune a été attaquée, apparemment par des soldats, auxquels elle a pu échapper de justesse. Lorsqu'il parvient à la retrouver afin de lui venir en aide (mais aussi de comprendre ce qui se passe), elle s'apprête à monter sur un bateau, dans le but évident d'entreprendre coûte que coûte l'impossible voyage... Barnabéüs va hésiter, mais pas longtemps, et finalement la suivre...<br />
<br />
Il y a toujours quelques chose d'amusant et d'instructif à écrire ce résumé en s'appuyant non pas sur a quatrième de couverture ou sur ses souvenirs de lecture, mais en reprenant le début du roman. On y remarque certains détails, insignifiants lors de la première lecture, mais qui prennent un relief nouveau lorsqu'on y revient en sachant ce qui va se passer. C'est le cas ici.<br />
<br />
Dans ce premier chapitre, eh oui, je ne suis pas allé plus loin, pas besoin, il y a une foule d'informations sur l'univers et sur les personnages. Une foule, oui, mais pas les tenants et les aboutissants de cette histoire, juste pas mal de questions, que l'on partage avec Barnabéüs et Prune. Et ce n'est qu'un début, car le mystère va aller en s'épaississant...<br />
<br />
Mais, d'emblée, j'ai retrouvé ce qui m'a immédiatement donné envie de lire ce roman après avoir lu la quatrième de couverture : ce monde particulier où la magie nous apparaît sous un jour un peu particulier. Oh, bien sûr, j'ai évoqué, les mages, mais on ne les voit pas en action, ceux-là, et la magie se limite donc à ces fameuses "choses menues" (aucun double sens, m'enfin !).<br />
<br />
A Kiomar-Balatok, la magie est au service du quotidien. Les sorts que connaît et utilise Barnabéüs chaque jour depuis tant d'années n'ont absolument rien de spectaculaire, en tout cas pas au sens où on entend ce mot (mais celui qui permet au cabas plein de courses de flotter derrière soi, je dois dire qu'il me plairait bien, quelquefois...). Ce sont avant tout des actes pratiques.<br />
<br />
En fait, ce qu'on comprend petit à petit, c'est que les ensorceleurs des choses menues remplacent les artisans, dans cet univers. Ils s'occupent de toutes ces tâches bien utiles, du chauffage à la serrurerie, en passant par la plomberie, j'en oublie, mais je n'ai évoqué que les spécialités de Barnabéüs... Si la magie est extraordinaire, c'est parce que tout le monde ne la possède pas, mais elle sert à faire peu.<br />
<br />
De même, c'est un monde minuscule : il se limite à Kiomar-Balatok. Entendons-nous bien, ce n'est pas réellement le cas, mais l'ensorceleur des choses menues ne quitte jamais sa vallée. Il est comme ancré dans une ville et a suffisamment à s'occuper pour ne pas penser à voyager. Il en va de même dans les autres villes des autres vallées de cet univers.<br />
<br />
Autrement dit, Barnabéüs, malgré son âge avancé, ignore tout du monde dans lequel il vit. Seuls les mages, mais aussi les marchands, peuvent aller d'une ville à l'autre. Les premiers, pour le Haut Voyage, on l'a dit, les seconds, parce qu'il en va comme partout : chaque ville a ses spécialités que ses voisins n'ont pas forcément.<br />
<br />
Mais, lorsqu'on entre dans le livre, c'est donc un monde quasiment clos. Oh, bien sûr, un roman de fantasy se limitant à une unité de lieu, en l'occurrence une ville, ce n'est pas rare, mais c'est plus la situation et l'action qui l'imposent, et non, comme dans "L'Ensorceleur des choses menues", des questions sociales, en l'occurrence l'appartenance à une caste.<br />
<br />
Car ce que l'on découvre aussi, c'est que Kiomar-Balatok est une ville fonctionnant selon des règles très strictes, et apparemment immuables depuis très longtemps. Il y a une aristocratie, avec de grandes familles ayant en leur sein des mages. Ou plutôt, un mage par génération, que l'on désigne avant de partir pour le Haut Voyage. L'élu en reviendra formé pour affronter l'avenir...<br />
<br />
On n'en sait guère plus sur ces mages. On en apprend un peu plus sur les autres, ceux qui ne sont pas choisis pour cet enseignement, et qu'on appelle donc les évincés. Eux aussi possèdent un savoir magique, mais il sera consacré aux choses menues. C'est le cas de Barnabéüs, pourtant aîné de sa fratrie, mais aussi de Prune.<br />
<br />
Et finalement, tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, chacun semblant accepter son rôle, sa place dans la société. Oh, tout juste peut-on percevoir une petite pointe de regret, voire d'aigreur, dans les mémoires que Barnabéüs a entrepris de coucher sur le papier. Lui, l'aîné, rabaissé au rang d'évincé, ça laisse une blessure d'orgueil...<br />
<br />
Mais point de sentiment de révolte, ni même d'interrogation sur le fonctionnement des castes supérieures, c'est une espèce de mouvement perpétuel qu'on accepte avec un fatalisme désarmant... Jusqu'à ce que Prune entre en scène et ne vienne secouer sérieusement tout cela pour la plus belle des raisons : par amour !<br />
<br />
Avec son histoire de fiancé disparu, Prune a instillé le doute chez Barnabéüs. Oh, on est encore au stade embryonnaire du questionnement... Mais, telle l'aile de papillon déclenchant une tempête, l'adolescente a enclenché un processus tout à fait inattendu, qui va changer radicalement le destin des deux ensorceleurs des choses menues...<br />
<br />
Je dois dire que l'idée de ce voyage avec des magiciens aux pouvoirs dignes d'un McGyver (mais sans couteau suisse) m'amusait fortement, que j'aimais l'idée de ce minimalisme appliqué à la fantasy. Et surtout, je me demandais vers quoi cela allait nous mener... Je suis entré avec prudence dans cette lecture, m'attendant à tout ou presque, de la part de Régis Goddyn...<br />
<br />
Et je me suis fait avoir, comme il se doit... Du voyage et de ses conséquences, on ne va évidemment dire que très peu de choses. Je ne suis même pas sûr que vous me croiriez si je vous le disais, de toute manière... Mais oui, encore une fois, il n'est pas la peine de s'attaquer à ce livre en échafaudant des hypothèses, il est fort peu probable que vous tombiez juste.<br />
<br />
Ce qui est amusant, c'est donc de faire de la magie une activité sans envergure, très quotidienne, je me répète, mais pas seulement. Régis Goddyn met en scène deux antihéros, un vieil homme et une jeune fille, deux candides, par la force des choses, puisqu'ils sont évincés et que leur horizon se limite à leur vallée, deux personnages peu préparés à se lancer dans une grande bagarre...<br />
<br />
Là encore, l'auteur joue avec les codes du genre, car ces deux personnages non-prédestinés, vont se lancer dans un véritable voyage initiatique. J'ajoute l'adjectif véritable, car l'expression voyage initiatique est un tel archétype qu'on finit par la galvauder, par oublier son sens réel et par en faire quelque chose de très commun.<br />
<br />
Or, ici, ce n'est absolument pas le cas, et c'est encore plus frappant, puisque cela concerne un vieil homme, au crépuscule de son existence... Un vieil homme qui ne sait rien, si ce n'est de la vie, du moins du monde qui l'entoure. Et qui, jusqu'à ce moment, s'en est fort peu préoccupé, il est vrai. Mais, le voilà lancé sur un coup de tête, sans arrière-pensée à cet instant.<br />
<br />
Pour Prune, c'est l'amour, mais aussi la colère et le désespoir qui l'animent. Mais là encore, à une échelle fort restreinte : la sienne. N'y voyez pas d'égoïsme, il n'y a pas non plus d'idée subversive dans la démarche de Prune, juste le besoin de savoir ce qui a pu arriver à son fiancé. On pourrait croire à une espèce d'enquête policière, menée par un improbable tandem...<br />
<br />
Et pourtant, Mesdames et Messieurs, chers amis lecteurs qui passez par-là, vous venez d'assister à la première étape d'une révolution... L'ordinaire, qui se prolonge un moment, dans la première partie du voyage de Prune et Barnabéüs, va brusquement basculer dans l'extraordinaire. Attention, ordinaire ne veut pas dire qu'il ne se passe rien, mais au regard de ce qui va se dérouler ensuite, ça l'est.<br />
<br />
Peut-être en ai-je déjà dit un peu trop, donc je vais en rester là sur la manière dont cette révolution va se mettre en place, ses causes et ses conséquences, bien sûr, mais aussi ce que tout cela va faire apparaître... Parce qu'on ne le voit pas venir, on ne s'y attend pas, et surtout on n'imagine pas l'ampleur de ce qui va se mettre en place...<br />
<br />
Régis Goddyn nous livre avec "L'Ensorceleur des choses menues" sa version de la lutte des castes et sa Bastille n'a rien d'une banale forteresse, telle qu'on pourrait dessiner dans son esprit la cité secrète d'Agraam-Dilith. Mais il y a un esprit assez proche de cela, la révolte des menus contre ceux qui profitent d'eux et les écrasent, les méprisent.<br />
<br />
On retrouve dans ce roman quelques thèmes qui étaient déjà présents dans "Le Sang des 7 Rois", et en particulier l'idée de succession, de lignée. Ici, cela se passe par des liens plus classiques, une filiation, et par un choix, une désignation, qui va faire d'un des enfants, à chaque génération, un mage. Une fonction qui doit s'apprendre, rien n'est finalement inné dans cet univers.<br />
<br />
Mais cette succession, que l'on prépare, que l'on assure, est aussi une garantie de reproduire sans fin la même société, c'est ce qui assoit le système de castes, puisque les mages sont choisis par les leurs, puis cooptés et même escortés au cours du Haut Voyage... L'ascension sociale est donc impossible et ce déterminisme, on l'a dit, semble non seulement accepté, mais assimilé par tous.<br />
<br />
Jusqu'à quel point ? Que faudrait-il pour que tout cela soit remis en question, et même dénoncé et renversé ? C'est certainement l'enjeu majeur de ce roman, où la magie n'est pas la seule bizarrerie : de 7, dans l'heptalogie, on passe à zéro roi, dans "L'Ensorceleur des choses menues". On n'y croise ni épée ni chevaux, même si l'on va recourir à quelques moyens de locomotion originaux en cours de voyage...<br />
<br />
Bref, c'est un univers complètement atypique, et pourtant, il va vous apparaître encore plus étonnant, déroutant peut-être (si je vous racontais les effets qu'il a eu sur mon imaginaire ! Dingue !) au fil des pages et des rebondissements. Mais il est certain que ce petit monde n'aura plus du tout la même allure une fois que vous aurez terminé les 480 pages de ce roman.<br />
<br />
Ah, un dernier truc, tiens : je me suis beaucoup interrogé, comme souvent avec les romans de fantasy, mais pas seulement, sur l'onomastique. Pour être franc, j'ai lamentablement échoué à percer les mystères de Régis Goddyn, SAUF pour un personnage, au rôle-clé dans cette histoire, dont je ne dirai rien de plus ici : celle qu'on appelle l'Ellierim.<br />
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J'ai bien ri, je dois dire, en me rendant compte (mais il m'a fallu un moment) que ce titre était en fait un clin d'oeil, et pas destiné à n'importe qui... Sans doute le cadeau d'anniversaire de l'auteur pour les 30 ans de sa maison d'édition... Mais un cadeau plein de malice, puisqu'on ne peut pas dire qu'il ait choisi le personnage le plus sympathique pour incarner ce clin d'oeil !Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-76136974841084075782019-09-12T17:52:00.000+02:002019-09-12T18:00:33.301+02:00"Le coeur est noir, le coeur est gelé. Seule une chanson peut être aussi effrontée. Le jour s'étire, la nuit est brune, seul un enfant peut atteindre la lune".Il manque la mélodie qui accompagne cette comptine, j'en conviens, mais c'est pourtant bien ces paroles sibyllines qui serviront de ce titre à un billet consacré à un roman de fantasy, premier tome d'un cycle dont l'univers sort carrément de l'ordinaire. Un univers déton(n)ant, qui fait plus penser à du western qu'au classique univers médiéval fantastique, et des personnages qu'on pourrait croiser dans les films de Sergio Leone. "La Marque du Corbeau" est donc la première partie du cycle "Blackwing", imaginé par Ed McDonald (et paru aux éditions Bragelonne, disponible poche et grand format ; traduction de Benjamin Kuntzer), et l'on y fait la rencontre d'un personnage bourru, blasé, dont les secrets font clairement partie de l'intrigue, le capitaine Ryhalt Galharrow, chef d'une troupe de chasseurs de primes oeuvrant dans un endroit idyllique dont le nom est un slogan publicitaire à lui tout seul : la Désolation. Et ce n'est pas une publicité mensongère ! Mais la nouvelle mission qui lui est confiée va changer bien des choses dans son existence...<br />
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<a href="https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51dZdUD2JtL._SX319_BO1,204,203,200_.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="499" data-original-width="321" height="320" src="https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51dZdUD2JtL._SX319_BO1,204,203,200_.jpg" width="205" /></a></div>
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Ryhalt Galharrow, épaulé par Nenn et Tnotna, est chargé d'amener devant la justice des prévenus, dont certains ont la mauvaise idée de prendre la poudre d'escampette au lieu de se rendre... Il s'agit alors de les retrouver, de les pourchasser, de les capturer, de les ramener et de repartir avec la récompense. Un boulot de chasseur de primes que l'homme fait avec un certain talent.<br />
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En particulier lorsque les fugitifs ont l'idée saugrenue d'aller se planquer dans ce qu'on appelle la Désolation, un territoire qui porte bien son nom... C'est un désert, un désert hostile. Pléonasme, me direz-vous. Peut-être, mais dans le cas présent, c'est une hostilité majuscule. Aucun humain ne survit bien longtemps dans la Désolation.<br />
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Cette étendue n'a pas toujours été un désert. Avant, se trouvait là une forêt millénaire, que la folie humaine a éradiqué en quelques instants. La faute à la Machine de Nall, l'arme absolue qui a permis de mettre fin à la guerre des décennies plus tôt. Invention magique d'un savant certainement fou, cette arme est aussi terrifiante que persuasive. La Désolation est là pour le rappeler.<br />
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Un territoire ravagé, mais qui reste très dangereux, car des traces de magie y persiste, incontrôlables.<br />
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Galharrow et ses amis connaissent la Désolation comme leur poche et savent que des traces de magie persistent, sournoises et mortelles. Ces chasseurs de prime font partie des rares personnes capables de sauver les inconscients qui pensent que leur salut passe par cette terre perdue... A condition qu'ils réussissent à les retrouver avant qu'ils ne fassent de funestes rencontres...<br />
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Galharrow est un chef, c'est vrai, mais c'est aussi un homme fatigué, désabusé, cynique, qui fait ce boulot comme une routine à peine profitable... Pourtant, lors de la mission qui ouvre le roman, un événement inattendu va se produire, qui va ébranler le chasseur de primes. Quelque chose qui ne s'était plus produit depuis cinq ans.<br />
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Les bras de Galharrow sont couverts de tatouages. Parmi eux, s'en trouvent un bien particulier : la Marque du Corbeau. Un oiseau d'encre à qui il arrive de prendre vie (et pour Galharrow, ce n'est pas le meilleur moment de la journée, il dérouille sévère) pour donner des ordres au chasseur de primes, avant de s'auto-détruire comme la bande magnétique de "Mission : Impossible".<br />
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Cette fois, le Sans-Nom, puisque c'est ce genre... d'entité qui se cache derrière la marque, lui ordonne de se rendre au Poste Douze, un des postes de surveillance établi tout au long de la lisière de la Désolation et formant le Cordon. Là, il devra prendre en charge une femme et s'assurer qu'elle survive... Le Corbac, comme l'appelle Galharrow, n'est guère bavard, et à peine plus précis...<br />
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Qu'à cela ne tienne, ils aviseront sur place, si on les laisse entrer. Mais là-bas, une drôle de surprise attend le chasseur de primes. Enfin, drôle, c'est une façon de parler... Car lorsqu'il apprend qui est la femme qu'il va devoir prendre en charge, le choc qu'il ressent est plus violent encore que lorsque le Corbac s'arrache de sa chair.<br />
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Dame Ezabeth Tanza... Un nom qu'il connaît et n'a plus entendu depuis longtemps. Bien avant qu'il n'arpente la Désolation à la recherche de fugitifs pour quelques ronds vite dépensés... Non, cela remonte à une jeunesse aux allures de vie antérieure, tant elle semble lointaine... Une vie devenue un secret, que Galharrow a refoulé au fin fond de sa mémoire depuis tout ce temps.<br />
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Mais avant même que Galharrow puisse s'assurer qu'il n'a pas rêvé, qu'il ne confond pas avec quelqu'un d'autre ou qu'il s'agit d'une malheureuse homonymie, une explosion se produit dans l'enceinte du Poste Douze. A l'origine de l'attentat, un enfant, une dizaine d'années tout au plus. Enfin, ce qui semble être un enfant et que Galharrow identifie comme un Favori...<br />
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Par l'ouverture résultant de l'explosion, s'engouffrent des créatures qui semblent avoir choisi cette cible en toute connaissance de cause... Au Poste Douze, se trouve la fameuse Machine de Nall, qui protège ce côté-ci de la Désolation. La voir tomber aux mains des ennemis serait une terrible nouvelle, annonciatrice de bien des horreurs...<br />
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Pourtant, il semble que le Favori ne soit pas venu pour cela. Non, ce qu'il veut, c'est "La Dame"... Soudain, Gaharrow comprend pourquoi le Corbac l'a remis sur le chemin d'Ezabeth : il la savait menacée... Et c'est donc à Galharrow et ses lieutenants d'empêcher cela... Et ce boulot de garde du corps ne s'annonce pas de tout repos...<br />
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Bon, comme souvent, planter le décor sans trop en dévoiler n'est pas évident. Où placer le curseur, que dire ? Qu'expliquer quand on est dans un univers imaginaire, comme ici, avec des termes et des repères que l'on ne possède pas immédiatement. Pour ce qui concerne "La Marque du Corbeau", je pense avoir fait l'essentiel, même s'il reste quelques éléments qui peuvent paraître incompréhensible.<br />
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Comme cette histoire de Favori, par exemple. Ce gamin terrifiant, qui semble déterminé à obtenir ce qu'il veut et commande à une armée de monstres... C'est qu'il y a un pendant aux Sans-Noms, ceux qu'on appelle les Rois des Profondeurs, des créatures immortelles assez immondes, qui ne sont pas sans rappeler, jusque dans leur appellations, les Grands Anciens imaginés par Lovecraft...<br />
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Eh oui, l'univers de "Blackwing" est assez fascinant, d'une très grande richesse et d'une remarquable cohérence, jusque dans ce qui en fait quelque chose de très original. Le mieux, c'est de lire le roman, bien sûr, mais si vous avez envie dans savoir plus sur cet univers, je vous invite à lire avec attention <a href="https://lecultedapophis.com/2017/08/01/blackwing-ed-mcdonald/">le très impressionnant travail d'Apophis</a> pour tout décortiquer.<br />
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Je suis moins... technique, dans mon approche et, après tout, pas la peine de paraphraser Apophis. Permettez-moi donc de parler de cet univers avec mes mots, mes impressions. On est loin du classique décor médiéval. D'ailleurs, dès le départ, en découvrant ce qu'est la désolation, on comprend qu'on est dans de la fantasy post-apocalyptique.<br />
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La Machine de Nall possède des effets qu'on peut rapprocher de la bombe atomique, même si ici, on comprend qu'elle a plus à voir avec la magie qu'avec la physique nucléaire. Mais on comprend aussi à la réaction de Galharrow lors de l'attaque du Poste Douze que, contrairement à bien des romans post-apo, la cause de la catastrophe reste un véritable enjeu. Jusqu'à quel point ?<br />
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Et puis, il y a Galharrow, justement, qui n'a pas grand-chose à voir avec les chevaliers, les elfes ou les personnages en armure qu'on croise le plus souvent en fantasy. Galharrow, Nenn et Tnotna semblent sortir d'un western, et leurs chevaux, leurs armes à feu, leurs tenues vont dans ce sens. Jusqu'à Tnotna qui est l'Indien de la bande.<br />
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Un western post-apo, qui ne va pas jusqu'à se prendre pour "Mad Max", la technologie n'est pas assez élaborée pour en arriver là, mais offre tout de même un captivant champ des possibles, entre la Désolation, les postes avancés du Cordon, les ennemis de l'est et les créatures menées par le Favori qui débarquent là-dedans comme une troupe de hors-la-loi.<br />
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On peut ajouter à ce panorama Ezabeth qui, au contraire de Nenn, rappelle les personnages féminins qu'on croise souvent dans les westerns hollywoodiens, avec portant de grandes robes, des chapeaux... On comprend toutefois qu'elle appartient à la haute, et même à l'aristocratie de ce royaume, sans plus. Le reste viendra par la suite, évidemment...<br />
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C'est en tout cas un ensemble de choses qui fait de ce premier tome une curiosité et une lecture captivante, parce que dès les premiers chapitres, on se pose une foule de questions : sur l'univers lui-même, qu'il va falloir un peu mieux appréhender, sur les personnages que l'on rencontre, sans oublier les situations qui, vous l'aurez compris, dégénèrent très rapidement.<br />
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Ed McDonald nous happe d'entrée, et sans doute en grande partie parce qu'il nous surprend, parce qu'on se dit "tiens, ce n'est pas comme d'habitude" et parce qu'il nous place en position d'instabilité : "on est où, là, il se passe quoi, là ?" Eh oui, à peine remis de l'apparition de la Marque du Corbeau, on se retrouve devant l'explosion du Poste Douze, avec les tympans qui sifflent et couvert de poussière.<br />
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A peine remis, on va pouvoir s'interroger sur la suite : mais qui est donc Ezabeth, pour ainsi provoquer le réveil de forces occultes particulièrement dangereuses, les Sans-Noms et les Rois des profondeurs ? Et qui est donc vraiment Galharrow, dont l'image à la Eastwood ou à la Bronson filmés par Sergio Leone devient soudain floue ?<br />
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Non content de nous entraîner dans ce monde très structuré et passionnant à découvrir, Ed McDonald nous a concocté une histoire pleine de surprises, elle aussi, de rebondissements et d'action. Ca bastonne sévère, avec un armement qui permet justement de tout fracasser si l'envie lui en prend. Magie et explosif, cocktail à déconseiller, sauf si on est lecteur et qu'on se réjouit quand ça pète...<br />
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Je n'ai pas évoqué un des fils narratifs secondaires importants, dont on entend là aussi parler très tôt dans le livre, sans vraiment comprendre de quoi il s'agit (eh oui, des questions, toujours des questions...). Galharrow a toujours à l'esprit son ami, enfin ancien ami, Gleck Maldon, dont l'histoire semble assez particulière...<br />
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Maldon (♪♪ haaaaa, pa mélé mwen kon sa, ké ni Maldon, han han... ♪♪ ... Hum, désolé, pas pu m'empêcher, mais je ne le referai plus, promis), Maldon, disais-je, s'est enfui après avoir été interné... Et à travers lui, on comprend que la magie a des contreparties douloureuses, des effets secondaires qu'il vaut mieux éviter... On se dit que, fidèle à son ami, Galharrow aimerait lui venir en aide.<br />
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Ed McDonald met en scène des antihéros, des personnages dont on ne sait pas grand-chose, au moins au départ, mais qu'on devine tourmentés, rongés par un passé douloureux. Qu'il s'agisse de Galharrow, sombre, volontiers brutal, possédant un système de valeurs qui lui est propre, sans doute intègre, mais n'hésitant pas s'il faut tuer, ou d'Ezabeth, bien sûr.<br />
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Antihéros aussi, parce qu'on ne sait pas vraiment où se situent les clivages traditionnels du bien et du mal et qu'on ne sait pas trop quoi penser de la Marque du Corbeau. Les intérêts qui sont en jeu n'apparaissent pas clairement d'emblée, on pourrait même imaginer les voir renversés à un moment donné. Et ce genre de doute, moi, j'aime bien.<br />
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Je le préfère à des héros sans peur et sans reproche, qui peuvent bien sûr avoir leur charme, mais qui se ressemblent tout de même souvent. Là, Galharrow apparaît en position de faiblesse, d'une certaine manière, soumis aux Sans-Noms, dans l'incapacité de leur dire nom, quitte à se retrouver en première ligne, dans une situation impossible.<br />
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Jamais l'histoire ne les emmène là où on pourrait les imaginer aller. D'autant plus qu'on se conditionne pour le premier tome d'un cycle, mais là encore, Ed McDonald semble se jouer de cela, cycle il y aura, c'est sûr, mais à ses conditions, et elles sont drastiques, impitoyables. On referme ce premier volet aussi déstabilisés que lorsqu'on a commencé sa lecture...<br />
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Le deuxième tome est d'ailleurs déjà disponible en français (le troisième l'est aussi en VO pour ceux qui le souhaitent) et je suis très curieux de voir quel tour va prendre ce cycle, dont on sait déjà qu'il sera sombre, très sombre, et qu'il est peu probable qu'il se termine en happy end... Les titres des deux tomes suivants donnent d'ailleurs peut-être quelques indices.<br />
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On laisse Galharrow, narrateur du roman, je ne l'ai même pas signalé, dans une situation peu enviable, avec l'humeur qui va avec. Et la certitude qu'il ne pourra s'en sortir qu'en devenant justement un héros, en se dressant contre le destin que d'autres forces lui imposent. Mais j'anticipe certainement, je me trompe peut-être.<br />
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Cette "Marque du Corbeau" est en tout cas une vraie découverte, et Ed McDonald s'impose déjà comme l'un des fers de lance de l'heroïc fantasy britannique actuelle, aux côtés des Joe Abercrombie ou Anthony Ryan, par exemple. Et l'on souhaite surtout qu'il conserve à l'avenir cette créativité et cette minutie dans l'élaboration de ses univers, parce que c'est un bonheur de lecteur.Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-33033517233096922432019-09-12T12:34:00.000+02:002019-09-12T12:34:17.914+02:00"Considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes" (René Descartes).Ah, "le Discours de la méthode" pour ouvrir ce billet, rien que ça... Et rassurez-vous, même si j'en ai appris certains passages par coeur il y a loooongtemps, je n'ai pas sorti cette citation du capharnaüm de mon cerveau. Non, cette phrase est dans notre roman du jour, et pour cause : le philosophe en est le personnage central. Et pourtant, c'est bel et bien d'un roman de fantasy dont nous allons parler, avec de la magie, des créatures, des phénomènes étranges, si, si... "Eclaircir les ténèbres", de Nicolas Bouchard (paru chez SNAG Fiction, jeune maison d'édition consacré à l'imaginaire), est un roman d'aventures dans lequel se lance René Descartes, accompagné par une drôle d'équipe, qu'on croirait sortie d'un film de Terry Gilliam, où il ne va pas seulement falloir combattre des puissances occultes et des humains aux bien sombres ambitions, mais aussi des événements susceptibles de sérieusement bousculer la philosophie cartésienne et ses certitudes...<br />
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<a href="https://static.wixstatic.com/media/cf0e3a_8f03d7fcec4f407a96b89e6ca913ce78~mv2_d_1592_2480_s_2.jpg/v1/fill/w_232,h_354,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01/cf0e3a_8f03d7fcec4f407a96b89e6ca913ce78~mv2_d_1592_2480_s_2.webp" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="354" data-original-width="232" height="320" src="https://static.wixstatic.com/media/cf0e3a_8f03d7fcec4f407a96b89e6ca913ce78~mv2_d_1592_2480_s_2.jpg/v1/fill/w_232,h_354,al_c,q_80,usm_0.66_1.00_0.01/cf0e3a_8f03d7fcec4f407a96b89e6ca913ce78~mv2_d_1592_2480_s_2.webp" width="209" /></a></div>
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En cette époque troublée, où le royaume de France est constamment en guerre quelque part, la vallée d'Ouraos a des allures de havre de paix, dans une région où la guerre fait souvent rage. Mais en cette année 1640, ce qui se passe à Ouraos n'a pas grand-chose à voir avec les guerres traditionnelles. S'y déroulent des choses bizarres, qui dépassent l'entendement et défient même la foi la plus sincère...<br />
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La peur y a élu domicile et elle se répand comme une traînée de poudre, jusqu'à terroriser les plus courageux et les plus croyants. La panique menace, nourrie par l'expérience. Car il semble bien que ce qui a démarré ne se produit pas pour la première fois et que le souvenir des précédentes suffise à glacer les sangs jusqu'aux os...<br />
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Au même moment, à Paris, Hugues quitte son service. Il est mousquetaire au sein de la garde du Cardinal Richelieu. Et c'est justement l'homme illustre qui lui a fait parvenir un message confidentiel. Un peu surpris, Hugues ouvre le pli et découvre que l'Eminence lui confie une mission secrète et lui donne l'ordre de former autour de lui une équipe. Une équipe, laisse-t-il entendre... un peu spéciale.<br />
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Qu'à cela ne tienne, Hugues suis les indications et va découvrir, effectivement avec un certain étonnement, ceux qui seront bientôt ses nouveaux compagnons. Car si la missive ne lui dit rien de ses futurs acolytes, elle lui explique précisément comment les trouver et les rallier. Sans se poser de question, les ordres, rien que les ordres !<br />
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A l'Arsenal, il fait la connaissance de Jonas-Prosper Levasseur, un spécialiste en explosif dont tout l'entourage redoute qu'il fasse un jour sauter tout Paris avec ses expériences ; le second, Damien Legorn, sert aux Gardes Françaises, mais arrondit ses fins de mois en participant à des combats, où il affronte à mains nues n'importe quel adversaire... et gagne à chaque fois !<br />
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Enfin, il se rend dans les bas-fonds de la capitale, où semble vivre Rudolph de Breitenfeld, selon les ordres du cardinal. Hugues découvre alors un mendiant au visage estropié et au bras manquant... Qu'est-ce donc que ce sbire ? Mais bientôt, celui qui fut lansquenet se présente sous son meilleur jour : équipé d'un harnais de métal barrant son torse, auquel il peut adapter d'impressionnantes armes qu'il manie avec une stupéfiante dextérité...<br />
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Les quatre hommes ont rendez-vous le lendemain matin pour se lancer dans un long voyage. Hugues et ses trois nouveaux amis sont exacts au rendez-vous, direction l'étranger. Car il manque un dernier membre à leur équipe, et celui-ci vit en Hollande. C'est là que vit en exil celui qui pourrait être le plus difficile à convaincre de se joindre à la mission de Hugues : René Descartes.<br />
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Dans son cas, l'invitation sera un peu plus... clairement formulée. Disons qu'on ne lui laisse guère le choix. Et l'on mise surtout sur son insatiable curiosité, lorsqu'il apprendra pourquoi il est ainsi convoqué : l'inexplicable disparition d'une province de France, Ouraos. Enfin, disparition... Disons plutôt qu'on semble ne plus pouvoir ni entrer ni sortir de cette vallée...<br />
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Et pour beaucoup, ce ne peut-être que l'oeuvre du Diable en personne, sinon comment expliquer ce mystère ? Le philosophe ne semble pas intéressé, d'autant que travailler pour le pays qui voudrait le voir condamné ne le motive pas vraiment... A moins qu'on puisse justement trouver un terrain d'entente : donnant-donnant, la protection du cardinal contre une enquête en Ouraos...<br />
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Marché conclu, il va rejoindre le groupe formé par Hugues, qui dirigera l'équipée. Car il connaît bien ce territoire, il en est originaire. Il y a laissé sa famille, ses proches, ses amis. Et Sophronia, la guérisseuse que beaucoup considèrent comme une sorcière... Toutes et tous sont prisonniers d'une mystérieuse brume et à la merci de bien des dangers.<br />
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J'ai fait le choix de planter le décor avec une certaine précision, mais sans entrer dans le détail, ni même aborder le coeur de ce roman, qui sera le voyage de ce qu'on va appeler "la Compagnie Descartes" en Ouraos. Car cette mise en place a le mérite de nous donner pas mal d'indications sur ce qu'on va lire, à travers l'étonnante galerie de personnages qu'il met en scène.<br />
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Sur cette fine équipe, je n'en dirai pas plus, car on va les découvrir les uns après les autres au fil du livre, comprendre leurs parcours respectifs et découvrir comment Jonas-Prosper, Damien et Rudolph sont devenus les énergumènes que Hugues a rencontrés et ralliés à sa cause. Trois drôles de zigues possédant pourtant d'indéniables aptitudes qui ne seront pas de trop en Ouraos.<br />
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Le seul dont on peut dire un mot, c'est évidemment Descartes. D'abord, parce qu'à cette époque, il est dans l'incertitude : il vit pauvrement en Hollande, pour éviter d'être jugé en France pour ses écrits. Et il semble que les services de Richelieu aient particulièrement bien fait leur boulot pour apporter au Cardinal les preuves que le philosophe continue d'écrire des textes subversifs, voire hérétiques...<br />
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Evidemment, Nicolas Bouchard joue avec ce personnage, son oeuvre (dont on retrouve certains extraits en tête des chapitres, mais aussi, comme le titre de ce billet, dans le coeur du livre) et son parcours. En particulier la jeunesse de Descartes, dont on sait assez peu de choses et qui devient un espace formidable pour laisser libre cours à l'imagination.<br />
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En fait, on sait que, juste après les études, René Descartes s'est engagé dans l'armée, mais pas l'armée française, celle du Duc de Bavière. Ce n'est pas le seul élément intéressant qu'a trouvé le romancier dans la biographie du philosophe ; l'autre tient à un élément plus surprenant encore, la fascination de l'auteur du "Discours de la Méthode" pour l'ésotérisme, à travers les Rose-Croix...<br />
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Il n'en faut certainement pas plus pour titiller l'imagination d'un auteur de SFFF que l'Histoire intéresse énormément. Il y a la matière pour échafauder une histoire plein de merveilleux et d'étrange dans laquelle embarquer un Descartes qu'on regarde alors un peu différemment, puisque sa philosophie si raisonnable semble peu compatible avec cette situation extraordinaire.<br />
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C'est d'ailleurs un des axes choisis par Nicolas Bouchard : confronter les événements en Ouraos aux réflexions de Descartes, faire de la raison une arme capable de désamorcer l'incompréhensible, le surnaturel. Trouver une explication rationnelle à ce qui s'est emparé d'Ouraos et, ainsi, y mettre un terme définitif.<br />
<br />
Bien sûr, il va falloir entrer en Ouraos, comprendre ce qui s'y passe et en revenir, ce qui ne serait pas un mince exploit, puisque personne ne parvient à en ressortir depuis un mois... Et, tout en soupçonnant quelque diablerie, ou du moins des phénomènes dépassant les connaissances scientifiques de l'époque...<br />
<br />
Et il semble clair que ce voyage inopiné, et un peu forcé, en Ouraos va ébranler les certitudes et la pensée d'un René Descartes dont la philosophie est déjà bien élaborée ("le Discours de la méthode" est déjà paru, "les Méditations métaphysiques" sont sur le point de l'être). A lui de trouver la parade, en s'appuyant sur les compétences bien différentes des siennes de ses drôles de compagnons...<br />
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Avouez qu'un mousquetaire, un philosophe revenu momentanément d'exil, un artificier adorant les explosions, un lutteur détestant les armes et un ancien combattant mi homme mi... on ne sait pas trop quoi, d'ailleurs, c'est une équipée qui ne passerait pas inaperçue en temps normal. Oui, mais voilà, en Ouraos, l'époque n'a justement rien de normale.<br />
<br />
Le lecteur, avant même de découvrir cette vallée ensorcelée et les raisons qui ont poussé à cet ensorcellement (gare aux mots qu'on emploie, ils peuvent évidemment être démentis par la suite, en fonction de ce qu'on va trouver en Ouraos), s'interroge sur cet improbable attelage et la manière dont il s'intégrera dans l'histoire.<br />
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Ok, ils sont... bizarres, atypiques, hors concours, des espèces de proto-superhéros, mais cela sera-t-il suffisant pour affronter un ennemi dont ils ne savent rien ? Comment ces aptitudes, je n'ose parler de pouvoirs, vont-elles s'exprimer dans le cadre d'un voyage dans l'inconnu ? Et ça, oui, cela provoque une réelle curiosité chez le lecteur.<br />
<br />
Je fais le choix de laisser de côté dans ce billet ce qui se passe à Ouraos et pourquoi cela se passe dans cet endroit et à ce moment-là. Pas uniquement parce que c'est une question de suspense, mais aussi parce que cela se dessine très lentement et qu'on l'appréhende l'ensemble des enjeux très loin dans un livre qui se lit avec plaisir. Un véritable divertissement, avec du fond.<br />
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A ce titre, la quatrième de couverture donne quelques éléments supplémentaires que j'aurais plutôt occultés (c'est le cas de le dire), sans pour autant aller trop loin. Mais c'est vrai que laisser le mystère intact autour des événements d'Ouraos me semble plus amusant, car le lecteur qui n'a pas encore découvert "Eclaircir les ténèbres" partira à l'aventure dans les mêmes conditions que les héros...<br />
<br />
Il y aurait pourtant de beaux thèmes à développer autour de ces sujets, qui recoupent ce qu'on a déjà évoqué dans ce billet, et pour cause, science et philosophie ne sont jamais très loin. On sait que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" (c'est pas du Descartes, c'est du Rabelais) et cet adage ouvre un champ des possibles passionnant pour un auteur d'imaginaire.<br />
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C'est d'ailleurs la présence de Descartes au coeur de cette histoire qui lui donne un vrai supplément d'originalité dans ce qui aurait pu être très classique. Ce jeu autour du philosophe et de ses préceptes confrontés à une réalité inattendue et sortant de l'ordinaire, est une jolie trouvaille habilement menée par Nicolas Bouchard.<br />
<br />
"Eclaircir les ténèbres", paru en juin 2018, est l'une des premières publications de SNAG fiction, une nouvelle maison d'imaginaire qu'il faut saluer et encourager. Si j'en crois son site internet, ce roman de Nicolas Bouchard pourrait être le point de départ d'une série qui serait centrée sur ce que j'ai appelé (en reprenant l'expression du site) "la Compagnie Descartes".<br />
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Je dois dire que je serais à la fois curieux et ravi de retrouver cette fine équipe et de la voir mener de nouvelles aventures. D'autant que le contexte historique de cette période est riche et l'on en devine déjà un des tournants dans ce premier volet, lors de la rencontre décisive qui va convaincre Descartes de partir en Ouraos, je n'en dis pas plus.<br />
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<a href="https://www.actusf.com/detail-d-un-article/imaginales-2019-nous-aimons-tous-ou-presque-la-fantasy-historique">"Nous aimons tous (ou presque) la fantasy historique"</a>, disait le titre d'une table ronde à laquelle participait Nicolas Bouchard, lors des dernières Imaginales. En ce qui me concerne, c'est comme cela que je l'aime, dans une vraie tradition de littérature populaire, avec de l'action, du spectacle, de la baston et des rebondissements. Mais aussi un vrai fond historique et philosophique qui enrichit...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-91212366458247408422019-09-11T17:47:00.000+02:002019-09-11T17:48:26.592+02:00"Alors que le spectacle commence ! Que le sang se déverse ! Et que tout le monde ferme sa gueule !"<div style="text-align: center;">
ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DERNIER TOME D'UNE TRILOGIE.</div>
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- Le billet sur <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2017/02/lysimaque-est-une-fleur-lysimaque-est.html">"Sénéchal, tome 1"</a> (désormais disponible en poche chez Folio).<br />
- Le billet sur <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2017/12/lorsque-la-vraie-passion-parle-les.html">"Sénéchal, tome 2"</a> (désormais disponible en poche chez Folio).<br />
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Voilà, qu'on se le dise, et pas besoin de vous faire un dessin ! Mais un roman, si, histoire de conclure une trilogie qui est une des très belle découvertes de la fantasy francophone ces dernières années. Car il faut lever toutes les interrogations qui demeuraient à l'issue du deuxième tome, découvrir enfin le rôle exact que joue chacun des personnages, découvrir le ou les traîtres qui évoluent dans la forteresse assiégée de Lysimaque. Oui, l'heure de faire tomber les masques a sonné et ce "Sénéchal III", signé Grégory Da Rosa (en grand format aux éditions Mnémos) va nous plonger une dernière fois au coeur de ce panier de crabes (du genre vorace, ces crabes) où politique et ambition s'entremêlent, se frôlent, s'épousent ou se repoussent, et où tous les coups semblent permis. Et nous, spectateurs, témoins du drame, des drames, soyons bien heureux d'être dans notre canapé et non au coeur de cette citadelle de plus en plus chancelante. Fermons donc nos gueules et, oui, profitons de cette dernière représentation qui s'annonce... sanglante !<br />
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<a href="https://www.mnemos.com/wordpress/wp-content/uploads/2018/09/C1-Se%CC%81ne%CC%81chal-3-728x1024.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="569" height="320" src="https://www.mnemos.com/wordpress/wp-content/uploads/2018/09/C1-Se%CC%81ne%CC%81chal-3-728x1024.jpg" width="227" /></a></div>
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Depuis combien de temps est-il là ? Depuis combien de temps gît-il dans le noir et la crasse, dans cette geôle ignoble, aux antipodes de son bureau de sénéchal ? Philippe Gardeval l'ignore, mais la chute est spectaculaire. L'un des deux hommes les plus puissants de Lysimaque n'est plus d'un prisonnier pouilleux et déshonoré...<br />
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Enfin une visite ! L'Archisyncre en personne, signe que, malgré tout, le sénéchal déchu conserve un certain prestige. On lui envoie un haut prélat pour s'occuper de son cas. Pour procéder à son exorcisme, rien que ça... Et une belle occasion pour le captif d'obtenir des informations pour savoir ce qui s'est passé pendant qu'il attendait, là, aux oubliettes.<br />
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Il découvre qu'en son absence, rien ne s'est amélioré, au contraire. Non seulement le siège dure et se renforce, mais à l'intérieur de l'enceinte de la forteresse, la tension monte, la violence aussi et le pouvoir semble impuissant à faire régner l'ordre et le calme... Il est à craindre que la cité ne tombe par elle-même avant que l'ennemi n'ait à porter le coup de grâce...<br />
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Pour Gardeval, cette rencontre peut être l'occasion rêver pour sortir de sa cellule. En usant de ce qu'il sait faire de mieux, lui le fin politique, c'est-à-dire user d'un sens aigu de la persuasion (oui, il y a d'autres mots pour qualifier cela, mais ne soyons pas médisants ou insultants, je vous prie). Et pour cela, il confie à l'archisyncre le journal du siège qu'il a rédigé jusqu'à son emprisonnement...<br />
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Reste à jouer le jeu de l'exorcisme, et il pourra sortir de cette prison crasseuse. Et espérer voler la vedette à ce fat d'Othon, qui pense avoir les rênes bien en main, en se positionnant en homme providentiel. Le chemin est encore loin, la trajectoire reste aléatoire, mais Gardeval a de la ressource, ce n'est pas à un vieux sénéchal qu'on apprend à faire de la politique !<br />
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Il lui faut encore convaincre le roi que sa place n'est pas en prison, mais qu'il doit être rétabli dans ses fonctions. Et pour cela, il a quelques alliés de poids qui sauront contrebalancer l'influence néfaste d'Othon de Ligias. Sans oublier la longue amitié qui le lie au souverain, bien écornée, mais toujours vivace. Ou encore ces fameux carnets. La vérité. Enfin, la vérité de Philippe Gardeval.<br />
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S'il est reconnu innocent, alors, le duel à fleurets de moins en moins mouchetés entre les deux rivaux, Gardeval et Ligias, pourra reprendre, dans une atmosphère de plus en plus sombre et pessimiste, avec un roi qui ne contrôle plus grand-chose et une suspicion plus présente que jamais : on voit des traîtres partout à la cour, on se méfie de tous et de toutes...<br />
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Et cette guerre très personnelle pourrait bien prendre des proportions effarantes, tant la haine qui anime Gadeval et Ligias, le sénéchal issu de la roture et le chancelier aux nombreux quartiers de noblesse, le politique aguerri et l'arriviste impénitent, le proche du roi et le courtisan, le sénéchal influent et apprécié et l'ambitieux assoiffé de pouvoir, est exacerbée...<br />
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Voilà, maintenant, je sais !<br />
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Oui, je sais, j'ai les réponses que j'attendais depuis les premières pages du premier tome de cette trilogie. Je sais si mes hypothèses étaient justes, fruits d'une observation sagace et d'une intelligence aiguisée, ou si je me suis lamentablement vautré en portant mes soupçons sur le ou les mauvais personnages... Bref, je sais si je peux me vanter ou me faire discret...<br />
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Il y a tout de même une troisième voie : que je n'ai pas découvert l'entière vérité, que le fourbe romancier dans le secret de son bureau, qu'on imagine sombre, à peine éclairé par quelques chandelles vacillantes, et fort encombré (je parle du bureau, pas du fourbe romancier), n'ait réservé à ses fidèles et courageux lecteurs quelques surprises.<br />
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En résumé, oui, je sais si Grégory Da Rosa m'a mené en bateau d'un bout à l'autre ou si j'ai percé sa stratégie en cours de route... Ou si, tel le chevalier noir du "Sacré Graal", nous avons conclu de déclarer le match nul après avoir reçu moult et douloureux horions... Evidemment, ce n'est pas dans ce billet que vous aurez les réponses à ces questions, qui vous importent certainement peu...<br />
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Mais j'avais hâte de me jeter dans la lecture de ce dernier tome. Hâte, et aussi un peu peur, comme c'est souvent le cas quand on attend beaucoup. Parce que conclure un cycle, ce n'est jamais simple pour un auteur, et parce que cela peut ressembler à un soufflé qui se dégonfle pour le lecteur. J'espérais que Grégory Da Rosa me surprendrait.<br />
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Oui et non, je pense que vous l'aurez compris, oui, j'ai été surpris, mais pas par la totalité de ce final. Mais ce n'est pas un oui de déception, car ce qui se produit dans ce dernier tome est un peu dans l'ordre des choses. Les germes sont là, depuis le départ. Il reste à assembler les indices et à comprendre comment la mécanique va s'enclencher. Et là, seul l'auteur maîtrise.<br />
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Comme il est le seul à maîtriser les surprises supplémentaires. Eh oui, il y a ce qui relève presque de l'évidence, et puis il y a le reste, que personne n'a vu venir, ou en tout cas, que personne n'a pu identifier à temps. On sait dès les premiers chapitres de la trilogie que la cour de Lysimaque est infiltrée, gangrenée, que l'ennemi est déjà à l'intérieur... Oui, mais qui ? Et combien ?<br />
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Quant aux certitudes, elles ont vacillé à la fin du deuxième volet, avec un cliffhanger qui remettait tout en cause... Et c'est vrai qu'en attaquant la lecture de ce troisième tome, on se demandait forcément comment cet emprisonnement de Philippe Gardeval allait influer sur l'intrigue centrale de la trilogie.<br />
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Pour une première raison très simple : depuis le début, on n'a que le point de vue de Philippe Gardeval, puisqu'il est le narrateur. Or, pas besoin d'avoir fait de longues études ou d'être particulièrement perspicace pour comprendre que, depuis un cul de basse-fosse (j'adore ce mot, je pense toujours à Hercule de Basse-Fosse, dans "Johan et Pirlouit" quand je l'emploie), on voit nettement moins bien ce qui se passe.<br />
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Et surtout, on perd un fil auquel on s'était raccroché depuis le début : toute la trilogie est rythmée par les heures qui passent, les cloches qui sonnent, les jours qui se succèdent. Or, on entre dans ce troisième tome avec ces deux indications : "jour inconnu" et "heure inconnue"... Diantre, palsambleu et toutes ces sortes de choses, mais où en sommes-nous ?<br />
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Le temps est un élément-clé de cette histoire et là, il a déraillé... Avec Gardeval, on est à l'écart du monde, dans une cellule sordide, et on ne sait ni depuis combien de temps on est là, ni ce qui a pu arriver dans cet intervalle. Et si, en temps normal, ça n'aurait pas eu trop d'importance, lorsqu'on vit dans une ville assiégée, ce n'est pas pareil...<br />
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Le lecteur est déstabilisé : mais où est donc Ornicar ? Dans quel état j'erre ? Pourtant, c'est encore Gardeval qui tient le gouvernail, le seul repère qui a su persister, c'est cette narration à la première personne... Signe qu'on ne devrait pas rester trop longtemps enfermé. Ou alors, ce final risque d'être très étrange...<br />
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Non, c'est bien à l'air libre que doit se régler cette affaire et, comme dit plus haut, que la rivalité entre Gardeval et Ligias doit se dénouer... Je dois dire que c'est un des moments forts de ce dernier tome et que Grégory Da Rosa n'a manifestement pas eu envie de plaisanter à ce moment-là... Et parmi les événements inattendus, le terme de cette lutte fait sans doute partie des plus surprenants...<br />
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Disons-le, ce dernier volet est le plus violent des trois, car c'est d'abord la tension qui présidait aux deux premiers volets, avec quelques pics brutaux. Mais dans ce tome final, on peut tout lâcher, puisqu'on sait bien qu'à un moment donné, Lysimaque tombera, et qu'avant cela, il faut avoir expédié quelques affaires courantes. Et quelques rancoeurs tenaces.<br />
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Alors, oui, la promesse est tenue, le sang se déverse, à gros bouillons... On ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs, on ne dirige pas un royaume sans faire preuve d'un minimum (?) de violence, on n'impose pas sa volonté par la simple persuasion, on ne soumet pas ses ennemis juste en les endormant... Et on n'affronte pas un siège sans montrer qu'on a du répondant.<br />
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Je dois dire que si je m'attendais à certaines choses, d'autres en revanche, m'ont laissé pantois. Avant même le dénouement, mais aussi dans la partie finale du livre. Comme quoi, avoir des intuitions ne suffit pas à dire ensuite : j'avais TOUT compris bien avant !! Parce qu'il fallait à cette trilogie, assez feutrée, jouant beaucoup sur les jeux de pouvoir, un dénouement spectaculaire.<br />
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Au jeu des références, et il est amusant de lire, ces derniers jours, les tweets de Grégory Da Rosa sur le sujet, on a un passage dans la partie initiale qui nous renvoie aux "Rois maudits", tandis qu'une des scènes décisives, dans la dernière partie, ressemble à un clin d'oeil au "Trône de fer". Je marche sur des oeufs en écrivant cela : c'est mon ressenti de lecteur, est-ce la volonté de l'auteur ? A voir !<br />
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Mais que mes impressions soient justes ou que la volonté de Grégory Da Rosa soit différente, ce double parrainage ne peut être totalement à côté de la plaque. En effet, on retrouve dans ces deux cycles cultes bien des éléments qui apparaissent aussi dans "Sénéchal", en particulier la dimension politique, qui est au coeur de cette trilogie.<br />
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Toutefois, un autre thème majeur s'impose : l'Histoire. Et comment on la fait, comment on la raconte, comment on impose une vision, un angle particulier... Bref, comment les vainqueurs font de leur version une version officielle que l'on étudiera ensuite comme une vérité absolue. Et comment on crée une hagiographie là où une biographie serait certainement plus équilibrée...<br />
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Je dois reconnaître que, dans ce domaine, Grégory Da Rosa y va fort, pousse le curseur au taquet et joue la connivence avec son lecteur : nous avons vu ce que nous avons vu, nous avons été témoins d'événements et de comportements qui ne sont pas forcément en rapport avec ce que l'Histoire a finalement retenu...<br />
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La démonstration est aussi savoureuse qu'elle est inquiétante, en fait. Car ce que met en lumière une trilogie de fantasy se déroulant dans un univers imaginaire pourrait tout à fait s'appliquer à un monde bien réel et à des époques proches de la nôtre... Sans aller forcément jusque dans la relecture de l'Histoire ou des vies glorieuses de certains personnages, cela nous lance quelques avertissements.<br />
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Et surtout cela nous incite, dans notre monde d'ultra-communication et d'accès plus large aux informations, à diversifier les sources, à faire plus attention à la manière dont nous collections nos renseignements, aux orientations de sites ou d'auteurs... Et puis, simplement à une prudence naturelle qui devrait être la nôtre en bien des circonstances et nous pousser à se forger un avis propre.<br />
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Une conclusion qui vaut pour l'histoire, pour l'actualité, mais certainement aussi pour les livres et ce que nous attendons des avis extérieurs, qu'on les recherche avant lecture ou après. En clair, que l'on soit des fidèles lecteurs de plateformes littéraires, de blogs ou spectateurs assidus de chaînes, attention à ceux qui veulent nous influencer et nous faire négliger notre libre arbitre.<br />
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Agir par soi-même sera toujours la meilleure des solutions !Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-71236079086223638612019-09-11T12:05:00.000+02:002019-09-11T23:52:22.370+02:00"Ah ! Par les dieux ! J'aurais dû m'en douter ! (...) Tu es toujours aussi doué pour te mettre dans la merde, mon garçon".<div style="text-align: center;">
ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE TROISIEME TOME D'UN CYCLE.</div>
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- Le billet sur <a href="http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.fr/2014/02/ce-nest-pas-le-royaume-qui-fait-le-roi.html">"Rois du monde, tome 1 : Même pas mort"</a> (désormais disponible chez Folio).<br />
- Le billet sur <a href="http://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.fr/2015/09/je-ne-renie-rien-ni-personne-je-vis-ma.html">"Rois du monde, tome 2 : Chasse Royale I"</a> (désormais disponible chez Folio).<br />
- Le billet sur <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/03/ma-captivite-ete-une-trempe-jaurais-pu.html">"Rois du monde, tome 3 : Chasse Royale II"</a> (désormais disponible chez Folio).<br />
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Le garçon si doué pour se fourrer dans les ennuis (oui, je suis poli), c'est Bellovèse, personnage central de "Rois du monde", le cycle celte de Jean-Philippe Jaworski. Un guerrier dont l'existence ne cesse de devenir plus compliquée et plus instable à chaque nouveau tome. Sur un plan personnel, sur le plan de la famille et même plus largement, sur le plan du clan. Le jeune homme est de plus en plus isolé au milieu des siens et sa réputation est loin d'être au beau fixe, car de plus en plus de personnes verraient bien en lui un traître... Pour ce quatrième tome, "Chasse Royale III" (en grand format aux Moutons électriques), il espère rentrer chez lui. Mais le destin pourrait bien lui être encore contraire et les aspirations à vivre en paix devront attendre... Un nouveau tome encore une fois fort belliqueux, traversé par un mystère : mais où est donc passé Ambigat ?<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://www.moutons-electriques.fr/image/catalog/bookcovers/bib-volta/rois-du-monde-tome-2.3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="657" height="320" src="https://www.moutons-electriques.fr/image/catalog/bookcovers/bib-volta/rois-du-monde-tome-2.3.jpg" width="262" /></a></div>
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Après avoir fui Aballo et convaincu Cictovanos d'embrasser sa cause, Bellovèse a décidé de rentrer chez lui, à Rigomagos, de retrouver sa famille pour la mettre à l'abri de possibles représailles. Mais lorsqu'il arrive en vue de sa maison, il constate avec désappointement que d'autres sont arrivés avant lui, et en particulier ces maudits Eduens.<br />
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Et ils font vraiment comme s'ils étaient chez eux, avec une confiance excessive par ces temps troublés : aucune sentinelle postée autour de la maison. Une absence que Bellovèse et ses alliés espèrent bien mettre à profit pour reprendre les lieux par la force. En espérant que la maison était vide lorsque les Eduens l'ont envahie...<br />
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L'effet de surprise joue parfaitement et, après un féroce combat, Bellovèse parvient à reconquérir sa maison. Heureusement, Senniola n'était pas revenue du Gué d'Avara après y avoir laissé leurs filles. Mais, désormais, ce lieu est comme un sanctuaire profané. Alors, avant de reprendre la route, Bellovèse met le feu à cette maison riche de tant de souvenirs...<br />
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Et le convoi, grossi par le bétail de Bellovèse qu'il n'a pas laissé derrière lui, s'ébranle, direction la forteresse royale, dans un territoire biturige où l'on risque à tout instant de croiser des ennemis ou des pillards ou les deux à la fois. Un parcours semé d'embûches, mais ces hommes sont prêts aussi bien à se battre qu'à marchander avec ceux qu'ils croiseront...<br />
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Tant bien que mal, ils gagnent les abords d'Avara où les attendent de nouvelles mauvaises surprises... En effet, l'ennemi est déjà aux portes de la forteresse et le siège se prépare. Bellovèse va devoir la jouer fine. D'abord pour franchir les lignes ennemies, mais sans doute aussi pour qu'on accepte de lui ouvrir les portes...<br />
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Depuis ces récents... exploits, il le sait, il n'est plus vraiment le bienvenu nulle part... Tout le monde se méfie de lui, il risque bien d'être rapidement précédé par une réputation de traître. Mais lui sait où il veut aller. Il sait qu'il doit entrer à Avara, où se trouve sa famille. Et où se trouve le roi Ambigat, son oncle...<br />
<br />
Enfin, où devrait se trouver le roi Ambigat, son oncle... Car, et ce n'est pas la moindre des surprises pour Bellovèse : personne à l'intérieur de la forteresse d'Avara ne semble savoir où est passé le roi ! Et vu l'afflux de troupes à l'extérieur, il semble que ses ennemis ne soient pas non plus au courant de son absence, puisqu'ils sont venus pour lui...<br />
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Voilà un quatrième tome (enfin, ce n'est pas tout à fait ça, mais n'entrons pas dans les débats sur le découpage de ce cycle, s'il vous plaît !) qui retrouve une veine guerrière des plus musclées. Dans un royaume biturige sens dessus dessous, proche de s'effondrer, il n'y a plus guère autre chose à faire que se battre, pour passer son chemin ou défendre ses biens. Son pouvoir...<br />
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Les Bituriges... Les Rois du monde, puisque telle est la signification de ce nom, sont mal en point, désormais. Et si la disparition inexpliquée d'Ambigat n'est pas encore un problème, étant donné le siège qui se prépare, elle pourrait rapidement le devenir. Mais pour l'heure, son absence pourrait aussi constituer un atout, à condition d'oublier les différends personnels pour lutter contre les Eduens.<br />
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Pour Bellovèse, la période n'est vraiment pas idéale : un vulgaire fuyard, voilà ce qu'il est devenu, en totale rupture de ban. Désormais sans maison, sans nouvelle des siens, redoutant à chaque instant de croiser un de ceux qu'il s'est mis à dos dans son périple... Bien sûr, il peut compter sur ses fidèles amis, Drucco, Mapillos, Cictovanos et ses Insubres, sans oublier l'étrange et inquiétante Sacrila...<br />
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Un quarteron, et pas des plus reluisants, en tout cas peu digne du neveu d'Ambigat. Mais au moins, ceux-là sont dignes de confiance, ce qui n'est pas vraiment le cas de tout le monde (et réciproquement). Tenez, ceux qui tiennent le gué d'Avara, par exemple, eh bien beaucoup ne sont pas heureux de voir Bellovèse à l'entrée...<br />
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Il va falloir au jeune guerrier des trésors de ruse et d'énergie pour parvenir à ses fins et être accepté au sein de la forteresse. Se battre contre les uns, les autres, tromper son monde, trouver les mots justes et croiser les doigts pour ne pas se retrouver coincé entre les deux camps belligérants, et même carrément sous leurs flèches...<br />
<br />
Malgré tout, Bellovèse reste un personnage au combien charismatique, courageux et même parfois complètement inconscient, sans doute parce que, dans sa position, il n'a plus grand-chose à perdre. Un guerrier hors-pair, comme tous ceux qui l'entourent. Et un homme qui reste quoi qu'il se passe et quoi qu'il ait provoqué, un véritable chef de guerre.<br />
<br />
Sans doute pas suffisant pour renverser une situation des plus compromises, mais au moins pour retarder le plus longtemps possible l'échéance. Et espérer que le sort sera favorable... Dans ce domaine, Bellovèse semble aussi doué que pour se... mettre dans la merde, oui, on y revient... Un sacré veinard, ce Bellovèse, si l'on excepte qu'il a presque tout perdu et que tout le monde se défie de lui...<br />
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Bellovèse se sait déjà apatride, ou presque. Plus encore lorsqu'il laisse derrière lui les ruines fumantes de ce qui fut sa maison, son domaine... Encore de nouvelles attaches qu'il coupe, de nouvelles racines qui cèdent. "Désormais, quel sera mon pays ?", se demande-t-il, nous renvoyant à cette scène d'ouverture de "Même pas mort" qui ressemblait fort à un exil...<br />
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Jean-Philippe Jaworski nous offre encore une fois quelques mémorables scènes de batailles dans le décor particulier du gué d'Avara. Pour situer l'action, même si, rappelons-le, ce n'est pas forcément le but de l'auteur, qui veut qu'on reçoive la Gaule celte comme un véritable univers de fantasy, eh bien disons que Avara se trouve là où la ville de Bourges se dresse de nos jours, et l'Avara est l'Yèvre.<br />
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On n'est pas vraiment sur un champ de bataille classique, en tout cas, la situation, le fait qu'on soit sur un gué, et donc avec de l'eau à proximité, tout cela complique les choses. Et puis, il y a cette forteresse, qu'on imagine imposante et pourtant, en ces instants, en situation très délicate... Un étau qui se resserre...<br />
<br />
Lorsqu'on ne se bat pas, ce qui représente tout de même une bonne partie du roman, on se dispute, on se provoque, on s'affronte du verbe... Partout où passe Bellovèse, il y a de l'électricité dans l'air, il semble susciter l'inimitié, peut-être les jalousies, de ceux qu'il croise. Il était puissant, il est quasiment déchu, mais il en impose toujours et il reste celui qui a vaincu la mort...<br />
<br />
Mais l'heure n'est plus (ou pas encore) aux règlements de comptes personnels... Il faut d'abord trouver un moyen de briser le siège qui se prépare. Et la science guerrière de Bellovèse, sa ruse, son courage, mais aussi les bras de ceux qui l'accompagnent ne seront pas de trop. Ensuite, si Avara résiste, si les Eduens restent à l'extérieur de la forteresse, il sera bien temps de s'expliquer. D'homme à homme.<br />
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De plus en plus, Bellovèse se mue en véritable mercenaire, enfin le mot n'est pas tout à fait juste, car le terme de mercenaire sous-entend une rémunération pour ses services. Bellovèse est un électron libre dont l'avenir est chaque jour plus incertain, qui agit de plus en plus pour son propre compte, sa propre survie, aussi.<br />
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Et c'est peut-être aussi dans cette errance qu'il devient véritablement un héros, plus encore que lorsqu'il était chef de guerre appelé à régner. Un personnage qui s'est libéré, qui devient un peu plus libre à chaque nouvelle épreuve qu'il surmonte. Mais une liberté cruelle, douloureuse, car elle est synonyme aussi d'isolement, de solitude... Seul contre tous, ou presque...<br />
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Je ne vais pas dévoiler ici comment s'achève ce quatrième et avant-dernier tome, mais il ouvre évidemment sur le final de ce cycle. Reste à savoir quelle forme cela prendra, qui l'accompagnera dans cette quête et comment se régleront les problèmes posés. Comment, enfin, se dessinera l'avenir de ce garçon au destin hors norme, qui semble avoir défié les dieux autant que les hommes.<br />
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Sa lucidité, dès le début de ce tome, jusqu'aux choix qu'il faits lors du dénouement, a quelque chose de fascinant. Il sait, il sait que son avenir ne se déroulera nulle part au pays biturige. Il sait certainement que s'il veut vivre enfin en paix, ou du moins plus sereinement et sans risque qu'on vienne lui chercher noise, il lui faudra partir.<br />
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"Ce n'est qu'un départ. Je reviendrai. Je reviens toujours", dit Bellovèse, sans qu'on sache vraiment sur quel ton il le dit : volonté de rassurer la personne à qui il s'adresse, forfanterie de guerrier ou ironie de celui qui se sait contraint de s'éloigner peut-être définitivement ? C'est probablement le dernier tome qui apportera des réponses...<br />
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Le contraste entre le début du cycle et la fin de ce quatrième tome est saisissant. A la fois pour Bellovèse, mais aussi pour le peuple Biturige. De la puissance, la gloire et la confiance, excessive, orgueilleuse, on est passé à une impression de fin de règne, symbolisée par Ambigat et le mystère qui l'entoure, mais aussi par la sensation que le salut de Bellovèse, l'un de ses plus brillants guerriers, est ailleurs...<br />
<br />
La plume de Jean-Philippe Jaworski est toujours aussi aiguisé, pour nous faire vivre ces événements comme si on y était. Pour reconstituer aussi des dialogues forts en gueule, où l'on ne parle jamais pour ne rien dire, et surtout pas pour ménager les susceptibilités. On parle dur, on parle vrai, comme si l'on dégainait son glaive et qu'on frappait la lame adverse, on fait des étincelles.<br />
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On retrouve dans ce tome un univers très masculin, très viril, dans le verbe comme dans les actes. Et pourtant, il faut signaler l'importance de deux personnages féminins : Sacrila, évidemment, qui a suivi Bellovèse depuis Aballo, et qui conserve une grande partie de son mystère, enfant à la maturité étonnante et aux mots coupants ; et Cassimara, femme de pouvoir dans la tempête.<br />
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Une femme forte dans ce contexte si difficile, une situation qui contraste plus fortement encore avec l'absence d'Ambigat, aux relents de lâcheté (tant qu'on n'en sait pas plus, en tout cas). Celle qui doit commander face au siège des Eduens, mais aussi une mère qui voudrait pleurer ses enfants tombés au combat, mais ne le peut dans l'immédiat.<br />
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Si vous avez aimé les précédents tomes, on est vraiment dans la lignée, une fantasy épique menée avec rythme et efficacité. Une tension permanente que viennent, parfois, atténuer des épisodes plus souriants (et dans ce cas, Mapillos, le bizarre Mapillos n'est jamais loin). Mais même si les assiégés parviennent à renverser la situation, l'espoir de voir les Bituriges retrouver leur grandeur ne cesse de s'éloigner...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-24585330575606375722019-09-10T17:20:00.000+02:002019-09-10T17:20:47.663+02:00"Je crois manipuler le pouvoir, songea-t-il. Et si c'était le pouvoir qui me manipulait ?".Après le Hong Kong aux prises avec les esprits et les dieux présenté par Romain d'Huissier, restons dans une fantasy d'inspiration asiatique, avec le premier tome de ce qui sera une trilogie en France, "La Dynastie des Dents-de-Lion (alors que c'est un diptyque en version originale). Une histoire abordant des thèmes très classiques de fantasy, en particulier la quête du pouvoir et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir, mais servie par une galerie de personnages très intéressants, non seulement le duo central, mais également des personnages secondaires, et particulièrement les personnages féminins. "La Grâce des Rois", de Ken Liu (en grand format chez Fleuve éditions ; traduction d'Elodie Coello), est un bon gros pavé de plus de 800 pages, qui nous emmène dans le Royaume de Dara, un empire fragile qui va enter dans une sérieuse période de turbulences, entre ambitions politiques, volonté de justice, revendications territoriales... Une fresque guerrière ou la ruse et la force, où l'autorité et le sens politique vont violemment s'affronter...<br />
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<a href="https://www.lisez.com/usuaris/libros/fotos/9782265117/m_libros/9782265116757ORI.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="527" data-original-width="351" height="320" src="https://www.lisez.com/usuaris/libros/fotos/9782265117/m_libros/9782265116757ORI.jpg" width="213" /></a></div>
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Le Royaume de Dara est un archipel, composé de sept îles, une grande et six plus petites, la grande île étant elle-même divisée en plusieurs territoires. Mais tout cela n'a plus d'importance, puisque l'une des îles, Xana, s'est imposée à toutes les autres, jusqu'à faire de Dara un royaume fragile, mais unifié, placée sous la férule d'un empereur, précédemment roi de Xana.<br />
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Cet empereur s'appelle Mapidéré et il a fondé le règne du Céleste Diaphane, qui en est à sa quatorzième année. L'empereur, conscient que son pouvoir reste précaire, les différents royaumes réunis sous sa couronne impériale n'ayant pas forcément goûté cette union forcée, s'est lancée dans une grande tournée afin de réaffirmer la prédominance de Xana.<br />
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Voilà huit mois qu'il parcourt les îles, s'installant au sommet de son impressionnant Trône Pagode et proposant aux populations des démonstrations de puissance spectaculaires. Des défilés qui en mettent plein la vue des spectateurs, tout en affichant la force et la supériorité du pouvoir impérial. Même si Mapidéré rentrerait bien dans son palais, il sait que ces déploiements sont nécessaires.<br />
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Mais lors du défilé organisé à Cocru, au sud de la grande île, Mapidéré est victime d'une inattendue et fort spectaculaire tentative d'assassinat. Un homme s'attaque au Trône Pagode à coup de flèches enflammées. Un assaillant qui a surpris tout le monde, car il est arrivé... du ciel ! Porté par un gigantesque cerf-volant !<br />
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L'empereur s'en tire indemne, ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'on attente à sa vie, mais il faut reconnaître que c'est l'action la plus hardie et la plus remarquable à laquelle il ait dû faire face... Le genre qui marque les esprits, qui donne des idées à d'autres... Le genre qui annihile tout les efforts mis en oeuvre au cours de cette tournée pour asseoir le pouvoir impérial...<br />
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Parmi le public, un garçon de 14 ans, Kuni Garu. Une graine de vaurien, qui a séché les cours pour venir admirer aux premières loges le passage de l'empereur. Et donc être témoin privilégié de l'attentat, ainsi que de la fuite peu glorieuse d'un Mapidéré plus penaud qu'impérial... Et du passage dans le ciel de cet homme-volant...<br />
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Un autre garçon de 14 ans a aussi vu tous ces événements. Il faut dire qu'il dépasse la foule de plusieurs têtes, puisque malgré son jeune âge, il mensure déjà deux mètres trente et possède une carrure de colosse. Mata Zyndu descend d'une prestigieuse famille de militaires originaire de Crocu, qui s'opposa fermement aux ambitions de Mapidéré quand il n'était encore que roi de Xana.<br />
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Lorsque ce dernier finit par s'imposer, il décida de faire du clan Zyndu un exemple de son nouveau pouvoir : tous les hommes furent exécutés, tandis que les femmes étaient envoyées dans les maisons indigos, pour y devenir prostituées... Seuls survécurent Phin, alors âgé de 13 ans, et Mata, son neveu, encore bébé. Et dernier héritier de ce clan décimé...<br />
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Phin a raconté à Mata l'histoire de sa famille et, ce jour-là, Mata regarde, écoeuré, le peuple de Crocu acclamer l'empereur qui les a soumis et a fait massacrer sa famille. En lui, demeure une soif inextinguible de vengeance. Et la certitude que son destin est de reprendre la lutte menée par sa famille contre le tyran...<br />
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Quelques années plus tard, les deux garçons sont devenus de jeunes adultes et leur personnalité s'est affirmée : Kuni Garu est devenu le chef d'un gang de voleur et compense un physique malingre par son intelligence et une ruse extraordinaire ; Mata Zyndu perpétue la noblesse familiale, mais aussi la réputation de combattants invincibles de sa lignée...<br />
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C'est alors que, après 21 années de règne, l'empereur Mapidéré s'éteint... Et que débute une rude bataille pour sa succession, les ambitions s'exacerbant à peine le défunt a-t-il cessé de respirer... Mais pour d'autres, c'est peut-être également l'occasion attendue pour renverser ce pouvoir reposant sur la tyrannie et l'usurpation et rebâtir un régime plus juste...<br />
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Car Mapidéré a régné par la force et la terreur. Il a soumis aussi bien les noblesses des autres royaumes que les strates les plus modestes des peuples. Tous ont dû supporter humiliations et impôts exorbitants, les aristocrates réduits au simple apparat, tandis que les plus pauvres sont quasiment devenus des esclaves... En quelques années, l'empereur s'est mis tout le monde à dos.<br />
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Mais peu lui importe les rumeurs croissantes de révolte dans tout l'empire : Mapidéré peut compter sur une supériorité technologique qui lui a donné un atout décisif sur tous ses adversaires : une flotte d'aérostats qui volent grâce à un gaz dont seul Mapidéré connaît la provenance. Des bâtiments rapides, maniables, bien supérieurs aux navires et aux infanteries des armées traditionnelles.<br />
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Dans cette période troublée, Kuni et Mata vont tirer leur épingle du jeu. Et former un tandem aussi complémentaire qu'il semble mal assorti. Le petit voleur et l'immense aristocrate, le malin au sens politique aiguisé et le colosse à l'autorité naturelle et à la force insurpassable... Ensemble, ils ont tout pour prendre le pouvoir et mettre en place une politique plus juste pour tous.<br />
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A condition de rester soudés...<br />
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Si la phrase de titre de ce billet arrive dans la dernière partie du roman, ce constat résume parfaitement tout ce que va être ce roman : une quête de pouvoir à tout prix, qui fait perdre la tête, privilégier les ambitions personnelles au détriment de l'intérêt général, corrompt les esprits, même les plus avisés et brisent les amitiés et les alliances, qu'on croyait les plus solides.<br />
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Ken Liu, avec ce cycle, imagine son "Game of thrones" à lui, mettant en scène une histoire de pouvoir et de guerre dans un contexte nourri par la culture chinoise et les récits de sa grand-mère consacré à la dynastie Han. Il y aurait d'ailleurs sans doute beaucoup à dire sur cette dernière source et ce qu'on retrouve d'elle dans "La Grâce des Rois", mais je ne suis pas assez pointu sur le sujet.<br />
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Mais on retrouve dans ce roman des thèmes universels : l'ambition, la trahison, la cupidité, la folie du pouvoir, mais aussi l'amitié, l'amour, l'idéalisme, la soif de justice... Et tout cela est porté par une galerie de personnages très intéressants, à commencer par les deux garçons évoqués ci-dessus : Kuni et Mata, qui sont les principaux acteurs du roman.<br />
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Vous noterez que je n'ai pas parle de héros, les concernant. Je pourrais, mais je ne l'ai pas fait. Le héros serait peut-être celui qui réunirait ou concentrerait les qualités des deux jeunes hommes. La force physique de Mata, son sens de la guerre et de la stratégie, mais aussi la finesse politique, la ruse et la débrouillardise de Kuni.<br />
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Seulement, ici, nous avons deux personnages, qui possèdent les qualités que je viens d'évoquer, mais ont aussi leurs zones d'ombre, leurs ego, leurs défauts... Mais aussi des origines si différentes qu'une amitié, solide et sincère, ne peut suffire à combler : Mata l'aristocrate en quête de vengeance, et le voleur espérant instaurer plus de justice dans cette société...<br />
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Les choses sont un peu plus complexes que ces simples comparaisons pourraient le laisser entendre, mais c'est évidemment en suivant les pérégrinations de l'un et de l'autre que vous le comprendrez. Mais leur succès ne peut passer que par leur alliance et, on le sait, le pouvoir, lorsqu'il devient aussi important, ne se partage pas...<br />
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Au-delà de l'ascension de Kuni et Mata, chacun partant de loin, même si Mata possède l'avantage de son nom, on assiste à la dislocation du royaume de Dara, que Mapidéré avait su fédérer. On se rend compte que tout cela était plus que fragile et que, dans leurs coins, chaque royaume, chaque île, chaque classe aristocratique locale, à en tête des projets propres...<br />
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Ce qui, forcément, va compliquer les jeux d'alliance, les stratégies diplomatiques ou les campagnes militaires... Voilà aussi pourquoi ce premier tome, qui se lit aisément, est aussi épais. Il y a du pain sur la planche, à la fois pour installer l'univers, poser le pouvoir de Mapidéré, puis le chaos qui résulte de sa disparition, et enfin les ambitions des uns et des autres.<br />
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Et puis, il y a les personnages que l'on va qualifier de secondaires, même si c'est un peu dur. Car ceux auxquels je pense jouent un rôle important dans cette fresque épique, même s'ils n'en sont pas les principaux moteurs. C'est le cas, par exemple, de Luan Zya, issu de la noblesse de Haan, un des royaumes de la grande île, au parcours déroutant, atypique...<br />
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Eh non, je ne vais pas vous en dire plus, il faut évidemment lire "La Grâce des Rois" pour le comprendre. Allez, si, quand même, je peux vous dire qu'on va le suivre dans une des îles de Dara, la plus sauvage, la plus redoutée : Tan Adü, dont les habitants, au physique extraordinaire dans cette région, ont la réputation d'être cannibales...<br />
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Les deux autres personnages dont je voudrais parler sont des femmes. Une apparaît très tôt dans le roman, Jia Matiza. Fille de marchand, herboriste et guérisseuse, elle va surtout devenir l'épouse de Kuni Garu. Oh, n'imaginez pas une histoire simple, sans anicroche, non, comme tout ce qui se déroule dans ce livre, cette relation sera mouvementée, complexe.<br />
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Jia Matiza aurait eu beaucoup de raison de renoncer, de passer à autre chose, de construire sa vie autrement, de se sentir trompée ou trahie par Kuni, mais à l'inverse, on peut légitimement penser que sans elle, le parcours de Kuni aurait été bien différent, qu'il n'aurait pas accompli tout ce qu'il va faire au cours de ces années si elle n'avait pas été là...<br />
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J'ai parlé de deux personnages féminins, en fait, je me suis trompé, car à Jia, il faut associer Soto, la gouvernante, elle aussi incarnation de la fidélité et du dévouement, dans un monde ultra-violent, où la guerre semble ne jamais vouloir cesser. Elles sont, à leur manière, une sorte d'oasis de paix dans cet univers en perpétuelle ébullition...<br />
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L'autre, enfin le troisième personnage féminin que je voudrais mettre en avant, c'est Gin Mazoti. D'elle je ne vais dire que très peu de choses, car son parcours, son destin extraordinaires sont à découvrir en lisant le livre, et pas sur ce blog. Mais c'est un personnage incroyable, fort, malin, dangereux, aussi, ayant traversé tant de choses dans son existence !<br />
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Comme Kuni, elle est l'image de l'ascension sociale. Dans un roman où l'on croise beaucoup de militaires, d'officiers issus de longues lignées de militaires, elle détonne par son destin tout à fait différent et la revanche qu'elle va prendre sur le sort qui fut le sien dans son enfance. Jusqu'où peut-elle aller ? C'est sans doute une des questions que pose ce cycle.<br />
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A travers elle, j'évoque la caste militaire, je l'ai dit, nombreuse et portant un rôle important dans ce roman où la guerre est un élément central. Autour d'elle, on trouve au contraire de vieux officiers blanchis sous le harnais, à l'expérience militaire incommensurable, sachant mettre à jour leur expérience ou, au contraire, complètement dépassés.<br />
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Elle est une sorte de pendant à Mata, car elle est sans doute la seule à pouvoir concurrencer le géant dans le domaine de l'intelligence stratégique, même si son inspiration tient plus d'un instinct plein de roublardise que de la simple force physique ou de l'hérédité. J'ai choisi de parler d'elle alors qu'elle apparaît très tardivement, mais c'est pour moi un des plus beaux personnages de ce roman.<br />
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A travers Gin Mazoti, je mets le doigt sur le défaut de la cuirasse de Mata. C'est d'abord et avant tout un militaire. Et en toutes circonstances, c'est un militaire. Quelqu'un qui est capable d'élaborer des stratégies (et on en voit quelques exemples tout au long du livre), de mettre en place des plans de bataille. Mais quid du gouvernement ?<br />
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Car c'est à cela qu'il aspire : être à la tête du royaume de Dara, et pas juste un chef de guerre. Or, ces choses-là lui sont bien étrangères, ou tout du moins, il ne les possèdent pas aussi naturellement que l'art de la guerre. Peut-il apprendre sur le tas, ou s'entourer de personnages plus avisés qui sauront le guider ? Ou bien, est-il voué à s'enfermer dans une stratégie impossible ?<br />
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Kuni, lui aussi, est dans une même position ambivalente : né au bas de l'échelle, devenu très tôt un voyou, puis chef d'un gang de voleurs, son entrée en politique, si je puis parler ainsi, s'est faite par la voie de la rébellion contre un pouvoir injuste. Mais peut-on, lorsqu'on a une âme de rebelle chevillée au corps et des réflexes qui trahissent ses origines, se retrouver sur un trône ?<br />
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A travers leurs parcours respectifs, ces deux-là vont montrer leurs ambitions, leurs projets, mais aussi leurs facettes plus sombres et même certaines insuffisances, car ils se retrouvent dans des positions pour lesquelles ils n'étaient pas préparés. C'est aussi leur façon de gérer ce nouveau statut que l'on va observer, pour savoir lequel va le mieux s'en sortir...<br />
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Si vous aimez la fantasy épique, les complots politiques incessants, l'utopie, aussi, car il y a aussi ce thème de la mise en oeuvre d'un projet vertueux confronté à la réalité de ce qui précède, et de la nature humaine, tout simplement, alors, "la Grâce des Rois" devrait vous plaire. Si ce n'est pas le roman le plus original que vous lirez, c'est spectaculaire et captivant.<br />
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Je dois dire, toutefois, qu'après avoir lu <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2017/11/tout-passe-hiroto-tu-eprouves-au-fond.html">"la Ménagerie de papier"</a>, recueil de nouvelles unanimement et justement saluée pour son originalité et sa créativité, j'attendais un peu plus de ce roman-fleuve, tant dans le fond que dans la forme. Dans le fond, je l'ai dit plus haut, dans la forme, parce que là aussi, c'est finalement très classique.<br />
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Il y a tout de même un point où je retrouve parfaitement l'imaginaire de Ken Liu, c'est cette flotte aérienne et tous les jeux avec les cerfs-volants. Là, oui, on est dans la poésie, l'onirisme, mais vite rattrapés par la terrible réalité, puisque tout cela est mis au service du pouvoir ou de la violence, de l'ambition ou de la guerre.<br />
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Ces aérostats, qu'on découvrira peut-être bientôt à l'écran, puisque les droits ont été cédés en vue d'une prochaine adaptation, actuellement en développement, sont un élément fort de ce roman, symbole d'une beauté vénéneuse et également de ce que Ken Liu a baptisé le "silk punk" ("silk", la soie), en référence à d'autres sous-genres de l'imaginaire, comme le cyberpunk ou le steampunk.<br />
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Pour autant, je reste curieux de découvrir la suite de ce cycle, en particulier pour certains aspects que j'ai abordés dans ce billet. Il reste un dernier point à évoquer : mais pourquoi la Dynastie des Dents-de-Lion ? Je dois dire que la situation de la traductrice n'a pas dû être facile, sur ce coup-là, car on connaît la dent-de-lion sous un autre nom, plus courant, mais moins... Moins tout, je pense !<br />
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On la voit en couverture, la dent-de-lion, est oui, c'est la fleur de pissenlit ! J'imagine que sa traduction anglaise, Dandelion (que l'on retrouve dans le titre du cycle en VO) est une déformation du français, mais c'est vrai que ça sonne mieux que la dynastie du pissenlit... Mais pas forcément mieux que le chrysanthème, autre emblème présent dans le livre...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-72512991700982045532019-09-08T16:37:00.001+02:002019-09-08T16:37:35.060+02:00"Un dieu a tué un dieu, exorciste".<div style="text-align: center;">
ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DERNIER TOME D'UNE TRILOGIE.</div>
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- Le billet sur <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2016/03/je-vis-les-quatre-vingt-un-freres-qui.html">"Les 81 frères"</a>.<br />
- Le billet sur <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2017/01/au-nom-de-tout-ce-qui-vit-sous-le-ciel.html">"La Résurrection du Dragon"</a>.<br />
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Restons à Hong Kong, mais changeons de genre, et finalement d'univers, puisque après l'hyper-modernité de "M, le bord de l'abîme", on va se replonger dans les traditions très puissamment ancrées dans cette région du monde et qui font un cadre idéal pour un roman de fantasy. Une série, "Les Chroniques de l'étrange", qui touche à sa fin (snif !), mais qui doit encore nous proposer un dénouement qui promet d'être spectaculaire. "Les Gardiens célestes", de Romain d'Huissier (en grand format aux éditions Critic), suit directement les événements qui se sont déroulés dans "la Résurrection du Dragon" et si les méchants ont pris l'avantage dans la première manche, on attend que Johnny Kwan prenne sa revanche, et même un peu plus, dans ce dernier volet. Reste à savoir comment il va s'y prendre, car seul, il paraît très improbable qu'il y parvienne... Entre créatures, armes enchantées, magie et grosse baston, on accroche sa ceinture, et l'on suit l'exorciste !<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://products-images.di-static.com/image/romain-d-huissier-les-chroniques-de-l-etrange-tome-3-les-gardiens-celestes/9782375790151-475x500-1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="317" height="320" src="https://products-images.di-static.com/image/romain-d-huissier-les-chroniques-de-l-etrange-tome-3-les-gardiens-celestes/9782375790151-475x500-1.jpg" width="202" /></a></div>
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Anthony Chau a remporté la première manche, en parvenant à réaliser la partie initiale de son plan démoniaque, malgré les efforts conjugués de Johnny Kwan et de son maître, James Woo. Ces derniers doivent panser leurs plaies, en particulier morales, et ne doivent pas négliger leur fonction première, celle de fat si, autrement dit d'exorcistes.<br />
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Contactés par une divinité lors d'un repas dans un restaurant, les deux hommes acceptent d'enquêter sur la disparition de femmes, dont beaucoup de citoyennes philippines venues s'installer à Hong Kong. Une enquête qui les entraîne sur les docks, où est amarré un cargo. C'est là que se trouve, selon James Woo, la source du problème...<br />
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Il fait nuit, il pleut, il n'y a quasiment pas de lumière, le cargo ressemble à l'épave d'un vaisseau fantôme, c'est juste sinistre. Et dangereux, en plus. Mais le boulot de fat si, c'est ça : se jeter dans la gueule du loup pour mettre hors d'état de nuire quelques créatures ou esprits venus semer la zizanie, et accessoirement la mort, dans notre monde.<br />
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Une mission risquée, qui va valoir à Johnny Kwan de nouvelles blessures et de nouvelles frayeurs, mais le job va être fait, tant bien que mal, et avec l'aide précieuse de James Woo. Pas vraiment de quoi redonner le sourire aux deux exorcistes, toujours tracassés par les projets d'Anthony Chau et la manière d'y mettre un terme définitif...<br />
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Johnny Kwan peine vraiment à reprendre le cours de son existence, redoutant à tout instant que les manigances d'Anthny Chau ne se révèlent de manière aussi spectaculaires que violentes et qu'il soit encore une fois impuissant à les empêcher. Une veille permanente épuisante qui le met sur les nerfs et risquent de lui jouer de mauvais tours dans ses missions quotidiennes.<br />
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Et ce n'est pas sa visite au cimetière, sur la tombe de son ami Daniel Sung, qui va lui redonner sourire et confiance. Pourtant, au retour, Kwan reçoit d'étranges messages sur son portable, toute un dossier concernant un dieu mineur, presque oublié : le Vieillard sous la Lune. Des documents envoyés en vrac, sans plus d'explication. Ni contact pour savoir qui lui envoie tout cela...<br />
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Puis, l'exorciste reçoit une autre invitation pressante. Elle émane de Pui Gan, un esprit-cochon installé à Hong Kong, qui lui apprend qu'une guerre des gangs est en cours, dans la plus grande discrétion. Qu'une nouvelle triade, la Triade des Trois Lotus, est sur le pied de guerre et espère rapidement prendre le contrôle des affaires louches de tout le territoire...<br />
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Est-ce le signe qu'attendait Johnny Kwan ? Car il a déjà croisé le chef de cette Triade, qu'il considère comme un proche de Johnny Chau, même si ce dernier avait nié ce lien... Une piste à suivre, enfin, mais est-ce vraiment suffisant pour comprendre ce que mijote le parrain et anticiper les prochaines étapes de son plan ?<br />
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En attendant d'y voir plus clair, Johnny Kwan se rend près d'un des sanctuaires les plus connus de Hong Kong dédiés au Vieillard de la Lune, histoire de voir pourquoi on lui a adressé anonymement des informations à son sujet. Et là, il est interpellé par d'étranges créatures, de mogwaii, qui vont lui expliquer qu'il se passe ici aussi des choses pour le moins bizarres...<br />
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Selon ces monstres, on a littéralement fait disparaître le Vieillard sous la Lune. On a rien laissé de lui, c'est comme s'il n'avait même jamais existé... Et l'explication des mogwaii laisse penser au fat si que, là encore, la main de ses ennemis jurés se trouve derrière cet événement... Johnny Kwan en est maintenant sûr : les grandes manoeuvres ont démarré !<br />
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Et l'heure de la revanche de Johnny Kwan a sonné...<br />
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Bon, je m'avance un peu, avec ce dernier paragraphe : car avant de prendre cette revanche décisive (il ne peut y avoir de belle), il va y avoir du boulot. Johnny Kwan et James Woo sont bien placés pour savoir qu'ils vont s'attaquer à très forte partie. A plus fort qu'eux, si l'on en croit les résultats de la première bataille.<br />
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Mais, James Woo et son élève ont pu voir à qui ils ont affaire et ils vont donc pouvoir concevoir un plan sur mesure pour riposter et espérer, cette fois, l'emporter. Toutefois, ils savent d'ores et déjà qu'il leur faudra trouver des renforts afin de contrebalancer la puissance de leurs ennemis, Anthony Chau et les Cinq Venins...<br />
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Car on le sait, à Hong Kong plus qu'ailleurs, tout est d'abord question d'équilibre. Par ses actions maléfiques, Anthony Chau a tout déséquilibré et mis ainsi en péril le monde existant... Aux exorcistes de trouver les moyens de restaurer l'équilibre sur lequel le monde doit reposer. Sans penser à ce qui pourrait advenir s'ils n'y parvenaient pas...<br />
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Pas besoin d'être un génie, ni de hurler au spoiler, pour deviner que cette solution, ce seront les Gardiens célestes, qu'on retrouve dans le titre du livre, qui seront la solution (nécessaire et suffisante ?) aux problèmes posés par Anthony Chau et ses folles ambitions. Mais qui sont-ils, d'où viennent-ils, quels sont leurs réseaux, non, ça, vous ne le saurez pas ici...<br />
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On l'a compris, depuis le début de cette trilogie, Romain d'Huissier joue avec les genres et les références, nous plonge dans un univers où la magie, les esprits, les dieux aussi, font partie du quotidien. Et tout cela est toléré, à condition que soient respectées les règles de ce monde. Sinon, on appelle les fat si, et ça barde, si les fauteurs de trouble refusent de rentrer dans le rang.<br />
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Ces Gardiens célestes, tout en faisant penser aux alliances que l'on voit beaucoup ces dernières années aux cinémas à travers les adaptations de comics, genre "Avengers" ou "Justice League", restent solidement ancrés dans la tradition et la culture asiatiques que l'auteur met à l'honneur. Mais, pour ce bouquet final, ça va bastonner en bandes !<br />
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Et encore une fois, comme dans les tomes précédents, on découvre ce fabuleux bestiaire que nous offrent les traditions et le folklore chinois ; la matière est riche, fascinante, originale, et permet à Romain d'Huissier de trouver la matière pour alimenter son récit et créer des situations spectaculaires et parfois déjantées.<br />
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Il concocte une nouvelle fois ce cocktail particulier et savoureux qui mêle l'ultra-modernité de Hong Kong et l'omniprésence de la tradition dans la cité même. En fait, elle est partout, à l'image du sanctuaire du Vieillard sous la Lune où se rend Johnny Kwan et qui se trouve sur une promenade de bord de mer, comme pourrait s'y trouver n'importe quelle statue.<br />
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Anthony Chau lui-même incarne cette dualité, lui-même représentant le Hong Kong moderne, ultra-capitaliste, où l'argent et les préoccupations bassement matérielles dominent, tandis que son projet plonge (et on l'a déjà vu dans "la Résurrection du Dragon") dans l'histoire, la culture et les traditions d'un pays plusieurs fois millénaire.<br />
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Eh bien, puisqu'il en est ainsi, la réponse de Johnny Kwan sera proportionné et puisera aux mêmes sources son inspiration ! Ainsi, ces Gardiens célestes auront-ils une symbolique venant de ce même univers, où se côtoient religions, croyances, merveilleux, superstitions, mythes et légendes, épisodes personnages historiques...<br />
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Tout cela nourrit la dimension romanesque, le côté fantastique de l'histoire, mais aussi, et je me répète, le côté très spectaculaire des différents événements. Il y a quelque chose d'extrêmement visuel dans tout cela, pas uniquement dans le côté chorégraphique des scènes d'actions, mais aussi chez les personnages impliqués dans ces scènes.<br />
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"Les Gardiens célestes" est un troisième tome, il est donc normal de retrouver des personnages déjà rencontrés dans les deux premiers (enfin ceux qui ont survécu...), mais il y a aussi des petits nouveaux. Comme Helena Shiu, la Reine du Cinabre (rien que ça, avouez que ça en jette et que ça intrigue !), qui possède une expertise dont Johnny Kwan a besoin dans sa quête.<br />
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J'en parle, parce que Helena elle aussi représente parfaitement ce mélange constant entre modernité et tradition, entre technologie et magie, aussi. La preuve avec les explications de la Reine du Cinabre qui lie l'alchimie (qui "est en réalité une science") et l'informatique (qui "n'est que la forme la plus récente de l'alchimie").<br />
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Au sein même de la caste des exorcistes, on savait déjà qu'il y avait des spécialités et des compétences très différentes, et souvent complémentaires, mais on découvre là qu'il y a aussi des Anciens et des Modernes, des tenants de la tradition la plus enracinée, et d'autres qui essayent d'instiller dans ces activités un dose de modernité, comme l'informatique, donc.<br />
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Et c'est peut-être justement là ce qui manquait à Johnny Kwan, lors de la première bataille contre Anthony Chau : un regard neuf, un nouvel angle, quelque chose qui bousculent ses certitudes et, allez, disons-le, son orgueil d'exorciste hors-pair, qui peut parfois confiner à la vanité. La défaite a été une leçon d'humilité bienvenue, qui va aussi rétablir quelques équilibres défaillants chez le fat si.<br />
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Alors, bien sûr, on pourrait insister encore et encore sur l'action, la baston, le grand spectacle avec des effets à vous ruiner un studio hollywoodien (mais non, je n'exagère pas... ou si peu...), mais il ne faudrait pas négliger les personnages qui, d'un côté comme de l'autre, sont très intéressants. Les seconds rôles, méchants ou gentils, qui offrent une galerie de gueules assez intéressante.<br />
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Mais bien sûr avant tout Johnny Kwan qui, dans ce dernier tome, va en voir des vertes et des pas mûres. Et pour qu'il comprenne bien, le petit scarabée, qu'il n'était pas encore prêt lors du tome 2, et qu'il ne l'est toujours pas dans la première moitié du tome 3, il va avoir droit à un rattrapage express, dans des conditions... un peu spéciales...<br />
<br />
Eh oui, l'intrigue des "Gardiens célestes" n'est pas continue, il y a une importante rupture (et quelle rupture !) le temps que le fat si acquière les compétences, les aptitudes, la sagesse même, nécessaire à ce combat déterminant. Qui va nous plonger dans un univers bien différent de la cité hong-kongaise, à la rencontre de personnages assez curieux (dont l'un rappelle étrangement quelqu'un...).<br />
<br />
D'un seul coup, Johnny Kwan n'est plus seulement un exorciste, possédant un savoir, des aptitudes et des armes lui permettant de lutter contre les esprits un peu trop envahissants... Il devient alors une espèce d'Hercule, euh, je ne parle pas physiquement, hein, mais le personnage mythologique. Avec le sentiment que toute cette histoire aura servi d'accomplissement à sa formation de fat si...<br />
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Il est indéniable que le Johnny Kwan du début des "81 frères" n'est pas le même que celui de la fin des "Gardiens célestes". Cette trilogie des "Chroniques de l'étrange", c'est aussi cela : la quête initiatique fort tourmentée d'un jeune homme doué, intègre et convaincu de l'utilité de sa mission. Avec ce paradoxe que ces aventures pourraient bien avoir eu raison de son idéalisme.<br />
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J'ai été touché par la fin assez sombre de cette trilogie, loin de ce que je pouvais imaginer au départ. Touché par la réaction des différents personnages et par la situation de Johnny Kwan. La fin justifie-t-elle les moyens ? Depuis Machiavel, on se pose sans cesse la question, qui dépasse largement le cadre de la Renaissance florentine.<br />
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Romain d'Huissier apporte une conclusion particulière à sa trilogie, inattendue en tout cas, à travers un dernier chapitre en clair-obscur. Il referme ce cycle, mais on a le sentiment qu'il ne le verrouille pas complètement, comme s'il se laissait une marge de manoeuvre pour y revenir plus tard... Sous quelle forme ? A voir...<br />
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Il nous laisse surtout avec l'image d'un Johnny Kwan entamant une nouvelle page de son existence, dans un contexte qui n'a que peu évolué, en tout cas singulièrement loin que lui-même. Peut-être fais-je fausse route, mais j'ai eu l'impression, avec ces dernières lignes, que le romancier faisait un dernier clin d'oeil à l'univers des comics, mais loin cette fois des franchises Marvel ou DC...<br />
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(<a href="https://thecrowcomics.files.wordpress.com/2012/02/the-crow-city-of-angels-1-00.jpg">clique ici pour un indice</a> / spoiler)</div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-2300110026109909242019-09-06T17:50:00.000+02:002019-09-06T17:52:01.541+02:00"Tell me somethin', girl / Are you happy in this modern world ?" (Bradley Cooper).Eh oui, on entend <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qRLEyJEyh7I">"Swallow"</a> dans notre roman du jour, au même titre que d'autres morceaux de musique, qui forment une play-list éclectique, mais qui n'ont pas été choisi par hasard, on y reviendra. Ces dernières années, la question des intelligences artificielles est devenue un sujet littéraire dont tous les genres s'emparent : la SF, bien sûr, avec des auteurs comme <a href="https://lavolte.net/livres/les-furtifs-alain-damasio/">Alain Damasio</a> ou <a href="https://www.l-atalante.com/catalogue/la-dentelle-du-cygne/les-machines-fantomes-9791036000126/">Olivier Paquet</a> ; la littérature blanche aussi, avec <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Transparence">Marc Dugain</a> ou <a href="http://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio/Ada">Antoine Bello</a> ; et également le thriller, avec notre roman du jour. Bernard Minier délaisse un temps Martin Servaz, son héros récurrent, et nous emmène à Hong Kong pour "M, le bord de l'abîme" (en grand format chez XO). On entre au coeur d'une multinationale tentaculaire du secteur numérique, dont les ambitions ne sont peut-être pas simplement commerciale, et où les employés sont soumis à rude épreuve. Un roman d'autant plus inquiétant qu'il s'inspire en grande partie de faits réels et d'inventions existantes...<br />
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<a href="http://www.xoeditions.com/wp-content/uploads/2019/02/M-LE-BORD-DE-LABIME_PRO-654x1024.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://www.xoeditions.com/wp-content/uploads/2019/02/M-LE-BORD-DE-LABIME_PRO-654x1024.jpg" data-original-height="800" data-original-width="511" height="320" width="204" /></a></div>
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Une jeune Française, Moïra, débarque à Hong Kong pour y occuper un nouvel emploi au sein d'une des plus importantes entreprises du territoire, la Ming Incorporated. A la sortie de l'aéroport, après le choc climatique (chaleur et humidité rendent l'atmosphère étouffante), d'autres surprises l'attendent dans la voiture (avec chauffeur) qu'on lui a dépêchée.<br />
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Sur la banquette, un coffret portant le logo de la société, ce M à la jambe droite tronquée que le monde entier connaît et reconnaît. A l'intérieur, une tablette tactile et un téléphone portable, eux aussi ornés du logo... Le dernier cri technologique, mais un accueil à double tranchant, car il donne déjà l'impression d'un engagement de chaque instant en faveur de la société.<br />
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Autre chose trouble Moïra : dans la voiture, la musique diffusée correspond exactement à sa play-list préférée, comme si on voulait la mettre à l'aise, mais comme si on lui montrait aussi qu'on sait déjà tout d'elle... Et le message sur sa tablette, émanant d'un de ses nouveaux collègues, un dénommé Lester, montre aussi cette ambivalence...<br />
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A travers une espèce de visite virtuelle de son nouvel univers professionnel, il essaye de la mettre à l'aise, mais lui demande aussi de prendre une photo de son visage pour le système de reconnaissance faciale... Amabilité et surveillance, il semble que ce soit l'une des marques de fabrique de la société Ming. Et il va bien falloir s'y faire...<br />
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Car Moïra entend bien réussir au sein du département Intelligence Artificielle de la Ming Incorporated. Une réussite professionnelle, après tout, elle a les compétences pour cela, mais aussi une curiosité qu'elle entend bien assouvir. Et puis, d'emblée, on perçoit autre chose, sans vraiment savoir de quoi il s'agit. Une motivation plus personnelle...<br />
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Fondée par Ming Jianfeng, considérée comme l'un des géants du secteur numérique au même titre que les GAFA, la Ming Incorporated est un géant économique, mais aussi scientifique. La recherche est un de ses points forts, et le domaine des intelligences artificielles, en plein essor, est celui sur lequel on mise énormément pour les années à venir.<br />
<br />
Le lendemain de son arrivée, Moïra doit se rendre aux bureaux de la Ming Incorporated, situés dans une tour en plein coeur du quartier des affaires de Hong Kong. A sa grande surprise, elle y rencontre le boss en personne : Ming Jianfeng. La jeune Française a droit a un entretien particulier (dans tous les sens du terme), dont elle ne comprend pas vraiment le but.<br />
<br />
Mais, à la fin de cette discussion, il lui assigne sa mission : travailler sur ce qui pourrait être la plus extraordinaire création du nouvel empire Ming : l'intelligence artificielle la plus perfectionnée encore jamais réalisée, la plus... vivante. Ce sera justement à Moïra d'oeuvrer pour que cette... machine acquière des émotions, comme un être humain.<br />
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Et cette IA s'appelle : DEUS...<br />
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Moïra ne travaillera pas dans la tour du centre de Hong Kong. Son service se trouve au Centre, un ensemble de bâtiments installé loin de la mégapole, en pleine nature, au coeur du Sai Kung East Country Park, l'un des parcs naturels les plus vastes de la région. Comment est-ce possible ? Mieux vaut sans doute ne pas le savoir...<br />
<br />
Là, elle va faire connaissance de Lester... et de DEUS, évidemment, qui vont tenir une place importante dans cette nouvelle aventure professionnelle. Elle va surtout prendre la température de sa nouvelle entreprise, et là, la situation va vite lui apparaître sous un jour nettement moins idyllique que ce qu'elle a vu jusqu'à présent...<br />
<br />
Chez Ming, on ne se sent pas vraiment libre de ses mouvements. Même si son nouveau job la passionne et si sa... relation naissante avec DEUS est captivante, tout est très réglementé, tout doit être respecté à la lettre et les premières sensations de Moïra, à la descente même de l'avion, semble se confirmer : elle se sent sous surveillance, et ce n'est guère agréable...<br />
<br />
Et puis, il règne au Centre une ambiance étrange... Oh, bien sûr, il y a de la pression, personne ne ménage ses efforts et le surmenage peut vite guetter certains, mais ce n'est pas ce que ressent Moïra. C'est plus... insidieux, dirons-nous, cela ressemble plus à... de la peur ? Moïra accomplit ce pourquoi elle est payée, mais elle observe aussi ce qui se passe autour d'elle au Centre...<br />
<br />
Ce qu'elle ignore encore, c'est que la police travaille sur des dossiers impliquant la Ming Incorporated. Ou, plus exactement, sur les morts d'employés du conglomérat survenues ces derniers temps... Dont un spectaculaire suicide qui a profondément marqué les esprits. Et qui intrigue l'inspecteur Mo-Po Chan, en charge du dossier.<br />
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Un flic atypique, qui aurait sans doute pu exercer bien d'autres métiers, plus prestigieux et valorisants socialement que celui de policier. Mais c'est la carrière qu'il a choisie et qu'il mène à sa façon, en solitaire, au bord du cadre, intègre et déterminé. Et même s'il se doute qu'il risque de se piquer très fort en se frottant à la Ming Incorporated, il n'est pas près de renoncer à son enquête...<br />
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Entré tardivement dans la carrière littéraire, Bernard Minier n'en est pas moins devenu en quelques années, et quelques best-sellers, un des fers de lance du thriller à la française. Pour beaucoup de lecteurs, c'est sa série d'enquêtes menées par Martin Servaz qui l'a fait connaître et nombreux sont sans doute ceux qui attendent la sixième, d'autant que Servaz est à un tournant après <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/04/les-romanciers-sont-des-menteurs-ils.html">"Soeurs"</a>.<br />
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Mais, "M, le bord de l'abîme" n'est pas le premier one-shot du romancier. Et si j'évoque <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2015/06/et-peut-etre-est-ce-la-ce-qui-fait-le.html">"Une putain d'histoire"</a>, ce n'est pas tout à fait anodin : ces deux livres n'appartenant pas à la série "Servaz" sont liés par des questions (et aussi des inquiétudes) communes. En effet, tous les deux traitent de sujets tournant autour de ce qu'on appelle des nouvelles technologies.<br />
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Si dans "Une putain d'histoire", la question du contrôle et de la surveillance fait clairement partie du coeur du récit, dans "M, le bord de l'abîme", on sent sa présence, plus diffuse, du moins lorsqu'on se lance dans la lecture. Mais, on peut considérer qu'il s'agit d'une question plus contextuelle, peut-être pas secondaire, ce serait un peu rude, mais pas la plus marquante.<br />
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Car ce qui retient l'attention dans le dernier roman en date de Bernard Minier, c'est bien sûr la question du développement d'intelligences artificielles de plus en plus sophistiquées et que l'on prépare à s'approcher de plus en plus de l'être humain. A la puissance de calcul de l'ordinateur, on cherche à allier de véritables émotions, on cherche à marier "l'inné" et d'autres sensations sans cesse acquises.<br />
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C'est le coeur du métier de Moïra, d'ailleurs : "nourrir" DEUS pour renforcer ses connaissances, mais surtout ses sentiments. Dans le roman, on parle d' "affective computing", et je dois dire qu'il y a quelque chose d'aussi passionnant qu'effrayant pour moi derrière cette expression... L'IA est en train de succéder aux robots dans notre imaginaire collectif, avec la crainte de les voir un jour nous concurrencer.<br />
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Manifestement, Bernard Minier se méfie du pouvoir que représente la maîtrise de ces nouvelles technologies. En témoignent les citations placées en exergue de son roman, dont la tonalité a de quoi faire gentiment flipper. Pas seulement par ce qu'elles disent, mais en raison de leurs auteurs : Eric Schmidt, le patron de Google, et Elon Musk, celui de Tesla, deux des figures de la Silicon Valley.<br />
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Ce n'est pourtant pas en Californie que le romancier installe son histoire, mais à Hong Kong. Le choix n'est pas un hasard, Sofia, l'Intelligence Artificielle qui a inspiré DEUS, a en effet été créée dans cette région chinoise, où d'autres géants des industries technologiques ont vu le jour (on connaît Alibaba, par exemple), formant une vraie concurrence aux GAFA.<br />
<br />
Cette situation géographique, Bernard Minier va la mettre à profit. J'ai déjà évoqué dans le résumé certains décors du livre, entre urbanisme gigantesque et nature sauvage. Mais ce ne sera pas tout, et cette situation va permettre au romancier d'imaginer un dénouement ultra-spectaculaire, qui ferait un final cinématographique parfait.<br />
<br />
La dimension technologique tient évidemment une place très importante dans "M, le bord de l'abîme", en particulier le travail de Moïra avec DEUS. Elle va même rapidement devenir le coeur de l'intrigue, par les questions qu'elle révèle. Autour de DEUS, il se passe des choses bien étranges, et l'intelligence artificielle elle-même ne semble pas évoluer dans le sens recherché...<br />
<br />
Là encore, Bernard Minier n'imagine rien, ce qu'il décrit a déjà eu lieu, plusieurs fois même, montrant sans doute l'un des limites actuelles les plus troublantes de cette technologie : leur côté influençable. Je sais, cela paraît quasiment évident, et c'est pourtant le noeud du problème. Une IA apprend, mais elle n'a pas le sens critique pour trier ce qu'on lui soumet. Si ses sources d'apprentissage sont "polluées", elle les absorbera quand même.<br />
<br />
Il y a tout au long du livre ce mélange d'émerveillement et de crainte que suscite ces inventions. Parce qu'elles sont impressionnantes, oui, parce qu'elle crée du rêve, c'est certain, mais parce qu'il est aussi difficile de ne pas se sentir légitimement inquiet devant ces... machines si puissantes. Moïra elle-même va sans doute prendre conscience de tout cela lors de son expérience chez Ming.<br />
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Mais tout cela suffit-il à faire un thriller ? Sans doute pas, mais cela permet de créer une atmosphère propice, en tout cas. Il faut tout de même trouver l'intrigue qui va pouvoir s'installer dans ce contexte particulier. Le roman s'ouvre d'ailleurs sur une scène qui nous plonge vite dans une insécurité, une inquiétude, de multiples interrogations.<br />
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Là, pour le coup, c'est bien l'imaginaire qui galope, tirée par une question qui joue le rôle de locomotive : le fameux "et si..." Bernard Minier joue de l'ambiguïté que offre son sujet : humain ou IA ? Ou les deux, eh oui ! On ne peut pas faire abstraction de tout cela, lorsqu'on se lance dans la lecture de "M, le bord de l'abîme".<br />
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Moïra est une héroïne teintée de mystère, sans doute pas une employée comme les autres. Mais, malgré tout, il faut pouvoir se faire embaucher par une société pareil, et pas pour un poste administrative ou pour y faire le ménage, pardon je caricature, mais c'est une femme talentueuse, douée, certainement ambitieuse, mais pas uniquement.<br />
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Ce mystère, on en devine certains contours assez rapidement, mais si l'on comprend ce qui anime le Française, on n'a pas encore toutes les cartes en main pour comprendre ce qui l'a poussée à quitter sa terre natale pour Hong Kong, hormis la volonté de faire brillamment carrière dans un secteur en plein essor, aux perspectives prometteuses.<br />
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Et puis, il y a l'inspecteur Chan, qui mène son enquête à sa manière, presque contre tous, on va dire. Il est David s'attaquant au Goliath technologique, cherchant à comprendre pourquoi on meurt si fréquemment lorsqu'on s'approche de Ming... Je l'aime bien, ce personnage de Chan, d'ailleurs, parce qu'il est l'idéaliste du roman.<br />
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Bernard Minier nous entraîne dans ce monde particulier, car au Centre, on est dans une espèce de monde à part entière, on oublie Hong Kong, la dimension strictement géographique. D'une certaine façon, on a pénétré dans un univers presque virtuelle, et pas seulement parce qu'il abrite DEUS, mais parce qu'on y est à l'écart de la réalité.<br />
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Un monde virtuel qui n'est pas forcément un monde rêvé. "M, le bord de l'abîme" est un roman sur le pouvoir, le pouvoir que procurent l'argent, le statut social, mais aussi la position économique. Un roman sur les ambivalences de l'entreprise, lorsqu'elle devient gigantesque, lorsqu'elle croît sans limite, lorsqu'elle devient une entité trop grande, trop forte.<br />
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Moïra est un peu une Alice au pays des technologies, déterminée, mais aussi naïve, portée par une soif de savoir, de comprendre... Mais elle intègre un monde dont elle ne fixe pas les règles, dans lequel elle n'a pas le contrôle. Le contrôle... Mot essentiel ! Un concept particulier, qu'on croît s'arroger, maîtriser, mais qui peut s'échapper comme une anguille vous glisse des mains...<br />
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J'ai commencé ce billet en musique, je le termine en musique. Mais pas avec "Swallow", eh non, j'ai mis le lien au début ! Non, ce sera un autre morceau de cette play-list variée et très intéressante que nous offre Bernard Minier dans ce roman. Des morceaux de différents genres musicaux, dont on comprend vite qu'ils ont été choisis avec soin...<br />
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Il ne s'agit pas simplement de créer une ambiance musicale, comme au début du livre avec Moïra. Non, là aussi, les chansons parlent... Leurs textes, dont certains extraits sont cités dans le livre, extraits explicites, sont en lien direct avec l'intrigue... Elles nourrissent nos interrogations, nos inquiétudes, peut-être aussi.<br />
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Ecoutez bien ces morceaux, regardez bien les mots que Bernard Minier met en évidence. A l'image des premiers mots de "Swallow", placés en titre de ce billet, et qui semblent s'adresser directement à Moïra (elle y répond d'ailleurs en fin de roman, d'une certaine manière), ou encore de ce titre de Drake, "God's plan", le plan de Dieu... Dieu... DEUS ?<br />
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<iframe allowfullscreen="" class="YOUTUBE-iframe-video" data-thumbnail-src="https://i.ytimg.com/vi/QY3Y6lUH6A4/0.jpg" frameborder="0" height="266" src="https://www.youtube.com/embed/QY3Y6lUH6A4?feature=player_embedded" width="320"></iframe></div>
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<a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/robot/ia-et-robot-citoyen-en-arabie-saoudite-un-bluff-dangereux-selon-laurence-devillers_117933">Petit complément d'info sur l'IA Sofia.</a></div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-91353211036684064942019-09-04T22:56:00.001+02:002019-09-04T22:56:28.373+02:00"Il faut que tu sois comme ce fil [barbelé]. Solide en toutes circonstances, prête à en découdre avec quiconque s'approche trop près. Si tu restes comme ça, tu seras trop forte pour que quelqu'un te fasse du mal. Pas à l'intérieur. Pas là où ça compte".Depuis quelques jours, je vous ai proposé des billets concernant des personnages féminins forts, marquants, et en voici un nouvel exemple. Il s'agit du personnage central d'un roman noir écrit par une romancière américaine, et en soi, ce sont déjà des caractéristiques originales. Mais, "Mon territoire", de Tess Sharpe (en grand format chez Sonatine ; traduction d'Héloïse Esquié), est un livre à découvrir pour d'autres raisons. S'il s'inscrit dans le renouveau du roman noir aux Etats-Unis (c'est d'ailleurs David Joy qui vante les mérites de ce roman en accroche), il en propose une vision très intéressante, car beaucoup plus lumineuse, porteuse d'espoir et, oserais-je le dire, presque utopique, si, si. Et pour cause, dans un univers de tueurs, de violeurs, de fabricants et de trafiquants de drogue, où la femme n'a pas grand mot à dire, Harley va mener sa révolution, et le lecteur est le témoin du combat que va mener cette jeune femme, altruiste et déterminée, mais tourmentée pas son hérédité...<br />
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<a href="https://lisez8.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782355848/m_libros/9782355847653ORI.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="502" data-original-width="351" height="320" src="https://lisez8.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782355848/m_libros/9782355847653ORI.jpg" width="223" /></a></div>
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A l'âge de 8 ans, à quelques semaines d'intervalle, Harley McKenna a été témoin de la mort de sa mère dans des circonstances effroyables et du meurtre d'un homme par son père, afin d'obtenir les informations qui pourraient l'aider à se venger... Difficile de vraiment se construire dans un contexte pareil, qui ne s'est pas vraiment arrangé par la suite.<br />
<br />
Harley a grandi dans le North County, situé tout au nord, comme son nom l'indique, de la Californie, proche de la frontière avec l'Oregon. Là, son père, Duke McKenna règne en maître. Officiellement, il gère des entreprises de transport tout ce qu'il y a de plus légal et tout ce qu'il y a de plus rentable, mais tout cela est une couverture.<br />
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En réalité, McKenna règne sur un royaume fondé sur la fabrication et la vente de méthamphétamine et il s'assure par tous les moyens à sa disposition, y compris et surtout les plus violents, d'être en monopole. Duke McKenna est un tueur, un homme violent et sans pitié, une ordure finie. Un homme craint par tous justement pour ces raisons...<br />
<br />
Et pourtant, le coeur de pierre de ce monstre a battu plus fort lorsqu'il a rencontré Jeannie Hawkes. Difficile de faire plus différents que ces deux-là. Pas seulement parce que Jeannie était une femme rigoureusement honnête, mais parce qu'elle voulait faire le bien autour d'elle, utiliser le fruit du crime pour que cela soit utile à d'autres moins chanceux.<br />
<br />
Ainsi a-t-elle fondé le Ruby, un lieu d'accueil destiné aux femmes battues voulant trouver un refuge loin d'un mari violent. Un lieu dont elle s'est occupée jusqu'à sa mort, avec Mo, une indienne au caractère bien trempé, qui a assuré la relève par la suite. Depuis qu'elle est adulte, Harley a repris les rênes de cet établissement avec Mo, en souvenir de sa mère.<br />
<br />
Aujourd'hui, Harley approche de ses 23 ans et elle travaille pour son père. Elle relève les compteurs, comprenez qu'elle récupère l'argent que les commerçants du coin doivent verser à son père pour s'assurer sa protection. On n'est pas dans le New York des Corleone ou le New Jersey des Sopranos, mais les bonnes vieilles méthodes ont fait leurs preuves.<br />
<br />
Depuis toujours, et plus encore depuis la mort de sa mère, Duke a surprotégé Harley, la coupant du reste du monde. Oh, bien sûr, elle pouvait batifoler sur les 240 hectares appartenant à son père, mais cela peut devenir pesant. Surtout quand ce même père décide de faire lui-même l'éducation de sa fille, et je ne parle pas de lecture, de maths ou de musique...<br />
<br />
Duke McKenna a formé Harley pour qu'elle devienne son bras droit et qu'elle lui succède un jour à la tête de l'empire familial. Gonflé, quand on sait que dans ce coin, les femmes ne sont même pas des faire-valoir. Ici, les affaires, c'est une histoire de mecs, de durs, de tatoués, et la concurrence est féroce, il ne faut jamais baisser la garde.<br />
<br />
Et le plus dangereux des concurrents s'appelle Carl Springfield, un néo-nazi, ambitieux et fêlé, aussi violent et sans scrupule que McKenna. Leur rivalité remonte à loin, mais McKenna a su imposer une espèce de "Pax Romana" dans le North County, même si tout le monde sait que Springfield guette le bon moment pour relancer les hostilités et renverser McKenna.<br />
<br />
Harley a donc grandi dans ce climat si particulier, ce climat de guerre de clans, façon Hatfield et McCoy (avec un soupçon de "Breaking Bad" pour corser l'affaire), déchirée entre ce père qu'elle voudrait tant haïr pour ce qu'il est, mais dont elle a retenu l'enseignement mieux qu'il ne l'imagine, et cette mère au grand coeur qu'on lui a enlevée trop tôt.<br />
<br />
Pourtant, cette fois, Harley sait que le moment est venu d'un coup de Jarnac qui, s'il réussi, lui permettra de changer la donne, de faire du North County non plus une zone de non-droit, mais un lieu où l'on ferait enfin le bien. Et pour cela, elle croit savoir comment faire, un plan mûrement réfléchi pour s'imposer à tous ces mecs.<br />
<br />
Pour faire du North County son territoire...<br />
<br />
Avant d'aller plus loin, puisque je termine ce résumé avec le titre français, parlons-en. Il vaut ce qu'il vaut, ce titre, il ne me fascine pas, pour être franc, mais il a sa raison d'être. D'abord parce qu'il marque le changement qui va se produire au cours du roman : du côté limitatif, ce territoire qu'elle n'a pas le droit de quitter sur ordre de son père, à la possession, conquise de haute lutte.<br />
<br />
Entre ces deux extrémités, il va s'en passer, des choses ! Et le lecteur va en apprendre énormément sur Harley, sa famille, ses amis, en particulier Will, le plus proche, le seul de son âge, en tout cas, sur ses ennemis, ses affaires, sa vie. Sur sa culpabilité, aussi, tant elle souffre de voir tous ceux qu'elle connaît, qu'elle aime, souffrir parce qu'ils tiennent à elle. Et parfois mourir...<br />
<br />
On va aussi en apprendre énormément sur ses intentions, évidemment. Sur ce qu'on ne soupçonne pas du tout quand commence le roman et qui va se dérouler sous nos yeux. Parce que c'est Harley qui est la narratrice, et qui décide donc de la manière de raconter cette histoire, son histoire, fort agitée ces quinze dernières années, et qui est aussi son territoire.<br />
<br />
Mais, en VO, le titre n'a rien à voir. Le livre s'intitule "Barbed Wire Heart", ah, oui, exactement, comme dans la citation en titre de ce billet. Ce coeur qu'il faut protéger, coûte que coûte, entourer de barbelé pour que rien ne l'atteigne, et en l'occurrence, pour que rien ne la détourne de l'objectif qu'elle s'est fixé, même le risque qu'elle prend de devenir... comme son père.<br />
<br />
C'est sa hantise, elle ne veut surtout pas devenir ce monstre sans coeur, capable des pires horreurs. Et si elle a bien retenu les leçons qu'il lui a dispensées, elle s'est juré, sans le lui avouer, que jamais elle ne tuerait qui que ce soit, quelque soit la situation. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne se défendra pas, ou qu'elle ne leur jouera pas, à tous, un tour à sa façon...<br />
<br />
On ne cesse de lui dire, et pas toujours pour la féliciter, qu'elle préfère sa mère à son père (eh non, pas de lard dans cette histoire, amis lorrains), mais qu'elle ne peut rien y faire : elle est et restera une McKenna. La fille de Duke, du terrible Duke, et la descendante d'une lignée de salopards ayant fait régné la terreur dans le North County depuis des générations...<br />
<br />
Harley est une McKenna, contre ça elle ne peut rien. Mais, plus qu'une McKenna, elle est l'unique héritière de l'empire, un empire bâti sur la mort d'innocents, détruits par la drogue que fabrique et vend son clan, sans compter tous ceux qui ont fini dissous dans l'acide et éparpillés façon puzzle dans les immenses forêts de la région, sur cette terre rouge si particulière...<br />
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Tout le roman, tout ce qui se révèle peu à peu à nous découle de cette lutte intérieure entre ses deux ascendants, aux caractères, aux ambitions, aux raisons de vivre à l'opposé les uns des autres. De cette lutte, elle essaye de faire une force, en utilisant les meilleurs côtés de ses deux parents, pour ne pas sombrer et se laisser avaler par le côté obscur.<br />
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Et pourtant, il y a en Harley une rage, une colère, un désir de vengeance qu'elle réprime, parce qu'elle sait que si elle se laisse gagner par eux, elle aura perdu la bataille. Il faut qu'elle garde le contrôle d'elle-même, de ce que l'hérédité lui a donné, de cette violence qu'elle repousse et qu'elle n'utilise qu'en cas de force majeure. Sa personnalité, c'est aussi son territoire, elle se connaît remarquablement bien.<br />
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Elle connaît aussi les autres, ceux qui l'entourent, son père, Will, Mo, les alliés, mais aussi les ennemis. Elle les connaît car elle les a observés, tous. Et pour certains, sans qu'ils se méfient de quoi que ce soit, parce que ce n'est qu'une fille. Elle sait qu'ils ne la craignent pas parce qu'elle est une femme. Et si c'est ce qui la met le plus en danger, c'est sans doute aussi sa plus grande force.<br />
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Ca, et ce qu'elle sait et que tous les autres ignorent...<br />
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Je n'ai pas encore parlé de la construction du livre, c'est le bon moment pour ça. D'entrée, le lecteur prend un uppercut avec cet incipit : "J'ai huit ans la première fois que je vois papa tuer un homme". Suis le chapitre qui retrace cet épisode au combien traumatisant. Puis, le chapitre suivant se déroule dans le présent, près de 15 ans plus tard.<br />
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Ainsi vont alterner les chapitres passés et présents. Les chapitres passés s'ouvrent tous sur une phrase du même genre que l'incipit : "J'avais tel âge quand..." De mémoire, la formule varie quelques fois, mais le plus souvent, c'est ainsi que ça débute. On croirait entendre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=j13JwniUs2A">"It was a very good year"</a>, de Frank Sinatra, sauf que Harley n'a pas beaucoup connu de "very good years" dans sa vie...<br />
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A chacun de ces chapitres correspond un souvenir particulier, un événement qui a marqué sa vie. Et le plus souvent, il s'agit d'épisodes violents, pas forcément autant que le chapitre d'ouverture, sinon il ne resterait plus grand monde debout. Autant de moments-clés qui ont forgé le caractère de Harley, mais aussi qui ont nourri sa soif d'idéal.<br />
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Cette alternance permet au passé de nourrir le présent et au présent d'éclairer le passé (ou l'inverse), elle fournit surtout peu à peu toutes les pièces d'un étonnant puzzle, qui ne ressemble pas du tout à ce que l'on imaginait trouver en attaquant la lecture. Il y a une montée en puissance de cette histoire tout à fait remarquable, un fabuleux travail d'écriture, qui laisse des indices qu'on ne voit pas tout de suite.<br />
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Harley est un personnage qui marque, par son courage, sa détermination, sa volonté de faire le bien dans un monde où le mal domine et écrase tout. C'est d'ailleurs ce qui rend ce roman noir totalement atypique : on y trouve des codes du genre, y compris cette version contemporaine qui délaisse les centres urbains pour s'installer dans des zones rurales, en déshérence, oubliées...<br />
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On retrouve chez Harley le même enracinement toxique dans un terroir qui ne laisse que peu d'avenir que dans <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/09/croire-quun-cote-ou-lautre-du-bien-et.html">"Le Poids du monde", de David Joy</a>, par exemple. L'impossibilité de quitter la terre natale, comme si on n'y était attaché, pas au sens affectif, mais au sens d'un enchaînement. Une sorte de fatalité qui prive de liberté, de libre arbitre et d'espoir aux personnages. Sauf qu'ici, l'espoir, il existe, il est mince, difficile à atteindre, mais il existe.<br />
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A l'inverse des bouquins de Joy, terriblement sombre et qui ne peuvent mener qu'à une fin terrible, "Mon territoire" poursuit un objectif fou : faire le bien dans un comté gangrené par le mal depuis toujours ou presque. Il y a dans la quête de Harley une dimension utopiste merveilleuse, touchante et sincère, dont on redoute qu'elle s'achève de la pire des façons.<br />
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C'est évidemment un des enjeux de ce roman : voir comment Harley, seule contre tous, ou presque, va s'en sortir ; découvrir ce qu'elle a imaginé, pourquoi elle se lance à ce moment-là précisément et comment elle va réaliser ce qu'elle a derrière la tête. Je ne devrais pas le dire, mais on va même aller un peu plus loin que ça...<br />
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On pourrait gloser un moment sur la morale de tout cela, même si je doute que la morale ait jamais eu droit de citer dans le North County. Elle va sans doute s'y installer doucement, mais pour cela, il faudra conserver les mêmes méthodes encore un moment, pour que tout le monde comprenne bien le message : tout change, mais le nom des McKenna va continuer à vouloir dire quelque chose !<br />
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Un dernier mot, le North Coutny n'existe pas, mais il s'inspire tout de même fortement des comtés du nord de la Caifornie, pour sa géographie, sa faune et sa flore, mais aussi, hélas, pour les personnages peu recommandables qu'on peut y croiser. Tess Sharpe, qui s'est fait connaître avec des romans young adult et signe ici un premier roman noir très réussi, connaît bien cette région.<br />
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Elle y a grandi, dans des conditions sans doute assez spéciales, fille d'un couple de punks rockers venus chercher le calme dans ce coin un peu perdu. C'est une manière de rendre hommage à ce coin d'Amérique qu'on ne voit pas souvent servir de décor à des romans, même si je ne suis pas tout à fait sûr que cela soit emprunt d'une grande nostalgie.<br />
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Il y a aussi deux thèmes importants dans le roman, que Tess Sharpe souligne d'ailleurs dans sa notule finale, car ce sont deux sujets très sérieux, bien au-delà de la fiction : le premier, c'est l'inquiétante montée d'une extrême droite américaine se revendiquant clairement du nazisme, à l'image de Carl Springfield dans "Mon territoire".<br />
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Tess Sharpe le rappelle à juste titre, ce n'est pas qu'un phénomène rural, les néo-nazis américains sont loin d'être tous des rednecks bêtes et méchants, issus de lignées consanguines. Non, cette idéologie se répand partout, dans les grandes villes aussi, au sein des couches supérieures de la société, et chez des personnes nettement plus influentes et dangereuses à terme.<br />
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Le deuxième thème, qui est au coeur de "Mon territoire", ce sont les violences faites aux femmes. Dans le North County, c'est un mal chronique, et l'initiative de Jeannie et Mo, le Ruby, est un motif de colère chez ces hommes dont on remet en cause l'autorité. Le Ruby, où vivent celles que tout le monde appelle les Rubinettes, est une cible, c'est clairement vécu ainsi.<br />
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Les femmes tiennent un rôle très important dans "Mon territoire", parce qu'elles sont des résistantes, et des modèles au-delà du cadre fictionnel. Certaines scènes sont dures, mais d'autres sont puissantes et réjouissantes, car dans le sillage de Harley McKenna, ce sont toutes les femmes du North County qui retrouvent la confiance et leur union fait leur force...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-69058086579381410842019-09-04T17:14:00.000+02:002019-09-04T17:14:50.776+02:00"Une personne n'est jamais une seule personne, chacun est à la fois la personne et le monstre et même au-delà du monstre il y avait toujours la personne".Le roman dont nous allons parler est paru en juin, mais par bien des côtés, on pourrait le rapprocher de <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/09/elle-nest-pas-forcement-belle-la-verite.html">"UnPur", d'Isabelle Desesquelles</a>, récemment évoqué sur ce blog. D'abord, parce qu'il traite d'un grave sujet de société, en l'occurrence les violences conjugales, ensuite en raison du traitement particulier pour lequel a opté la romancière, enfin pour un jeu très intéressant entre vérité et mensonge. "Une sombre affaire", d'Antonella Lattanzi (aux éditions Actes Sud ; traduction de Marguerite Pozzoli), aurait pu être un captivant polar, mais la romancière italienne a préféré raconter autrement cette histoire de famille, privilégiant les personnages et leur évolution, plutôt que l'intrigue et la quête de la vérité. Tout cela nous offre un roman troublant, dérangeant, au dénouement glaçant, dans une atmosphère délétère que n'aurait pas reniée un Georges Simenon ou un Claude Chabrol...<br />
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<a href="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330122041.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="424" height="320" src="https://www.actes-sud.fr/sites/default/files/couv_jpg/9782330122041.jpg" width="169" /></a></div>
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A Rome, ce mois d'août 2012 s'annonce étouffant, même les nuits n'offrant pas le rafraîchissement espéré pendant la journée. Malgré cet inconfort, dans un appartement de la via Prenestina, on se prépare à fêter un anniversaire, celui de Mara, la petite dernière de la famille Semeraro, qui vient d'avoir 3 ans.<br />
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Une réunion exceptionnelle, puisque les parents de Mara, Vito et Carla, sont séparés depuis deux ans, maintenant. L'anniversaire se tient dans l'immeuble où s'est installée Carla, lorsqu'elle a décidé de quitter Vito, l'homme de sa vie depuis leur adolescence, qui s'est révélé par la suite être un tyran domestique, brutal et violent.<br />
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Comme souvent, dans ces affaires de violences conjugales, le couple n'a cessé d'aller de disputes en réconciliation, jusqu'à ce que Carla, lasse d'être frappée, ne décide de rompre une bonne fois pour toute. Elle n'a plus voulu cohabiter avec "le diable qui se glissait dans le corps" de son mari, elle en a eu assez de supporter les ordres de cet homme qui estimait que Carla n'avait besoin de personne en dehors de lui...<br />
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Mais, lorsque Mara a émis le souhait que son papa soit présent à sa fête d'anniversaire, Carla n'a pas osé dire non. L'invitation a donc été lancée à Vito, pour qu'il retrouve ce soir de début août son ex-femme et leur trois enfants, Nicola, l'aîné, Rosa, la cadette et donc Mara, la benjamine. Les deux aînés, jeunes adultes, vivent dans une colocation située non loin de là et sont désormais indépendants.<br />
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La soirée se déroule sans anicroche, Mara est gâtée, les adultes ont enterré la hache de guerre et l'ambiance est très agréable. Puis, tout le monde se sépare, Mara s'endort, Carla s'occupe de ranger l'appartement, les deux aînés partent poursuivre la fête ailleurs, sans attendre leur père qui traîne un peu avec Carla.<br />
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Quelques jours plus tard, plusieurs personnes s'inquiètent... Des relations d'affaires, mais pas seulement. Milena, la maîtresse de Vito, accompagnée de sa fille adolescente, Paola, sonnent à la porte de la famille Semeraro. Elles veulent savoir comment va Vito, qu'elles n'ont pas vu depuis plusieurs jours...<br />
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Quand Mimma, la soeur de Vito, qui vit dans le sud du pays, à Massafra, dans les Pouilles, apprend cette disparition, elle entre dans une colère noire. Pour elle, il n'y a aucun doute : si Vito a disparu, c'est qu'il lui est arrivé malheur, et la cause de ce malheur est parfaitement connue : Carla, cette épouse odieuse qui lui a mené la vie dure avant de le quitter...<br />
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Mais qu'est-il donc arrivé à Vito Semeraro ?<br />
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Vous le voyez, ainsi présenté, on croirait se trouver devant un polar, les policiers vont arriver et devoir mener une enquête serré pour retrouver Vito et comprendre ce qui s'est passé. Or, ce n'est pas tout à fait l'enjeu d' "Une sombre affaire". Le sort de Vito, on va assez rapidement l'apprendre et, si l'on croise effectivement des policiers, leur rôle est presque marginal.<br />
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En fait, ce que l'on va suivre tout au long de ce livre, ce sont les réactions et les évolutions des personnages que j'ai évoqués dans ce résumé : Carla et ses trois enfants, Milena et sa fille, Mimma, la soeur revêche, auxquels il faut ajouter un dernier personnage, Manuel, dont Carla s'est rapproché depuis sa séparation.<br />
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On n'est pas dans un épisode d'une série policière, où tout doit être réglé au plus vite. L'histoire racontée par Antonella Lattanzi va s'étendre sur une période assez longue, au cours de laquelle cette affaire et les nombreuses zones d'ombre qu'elle comprend vont régulièrement défrayer la chronique et même déclencher une certaine hystérie.<br />
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Un temps long qui va permettre à Antonella Lattanzi d'observer l'évolution des personnages et de mettre en évidence des choses assez troublantes, qui découlent toutes, plus ou moins directement, des personnalités de Vito, mais aussi de Carla, et de l'alchimie imparfaite qui est née de leur couple. Et bien évidemment de la violence exercé par cet homme sur sa femme...<br />
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C'est d'autant plus marquant concernant les personnages les plus jeunes (je mets Mara à part, car elle est vraiment très jeune et échappe à ce que vont traverser les autres). Nicolas et Rosa, directement concernés, puisqu'ils ont grandi entre ce père violent et cette mère qui subissait, impuissante, les diktats de son mari, les coups, aussi.<br />
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Au fil de l'histoire, on observe ce frère et cette soeur, assez proches en âge, se serrer les coudes dans l'adversité. Au point que, par moments, on peut trouver cette relation fusionnelle un peu... ambiguë. Au fil du roman, Nicola va s'ériger en chef de famille, mais derrière cette autorité neuve, transparaissent des traits de caractère qui lui viennent clairement de son père... Et pas les meilleurs.<br />
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A l'inverse, Rosa ressemble de plus en plus à sa mère, moins affirmée, plus en retrait, plus soumise, oui, disons le mot. Avec inquiétude et effroi, on voit se reproduire le modèle familial originel chez ces jeunes adultes, qui risquent bien de vivre à leur tour ce qu'ils ont subi toute leur enfance, bourreau et victime...<br />
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Il y a aussi Paola, plus jeunes que les deux enfants légitimes de Vito. J'ai employé le mot légitime, mais c'est justement la question qui tourmente Paola : elle ignore qui est son père, Milena refuse de lui dire. La rumeur existe : ce serait Vito, amant de longue date de Milena. Mais Paola est et reste une bâtarde, et ce n'est pas la complicité de sa mère qui lui suffit. Paola va partir en vrille...<br />
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Milena elle-même se retrouve perdue sans Vito, son amant autant que son protecteur. Elle ne dresse pas du tout le même portrait de Vito que Carla et ses enfants. Elle n'a pas vécu avec un tyran, une brute. Mais jamais Milena n'a pu prendre la place de Carla, jamais elle n'a eu le même statut dans la vie et le regard de Vito...<br />
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L'un des éléments importants de cette histoire, c'est le lien qui unit Carla et Milena, lien qui passe forcément par Vito. L'épouse et la maîtresse... Une histoire vieille comme la littérature, ou presque, mais qui ici prend vite une dimension très particulière : chacune a le profil, chacune a des raisons objectives d'avoir voulu faire disparaître Vito...<br />
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Or, ni Carla ni Milena ne rejette la faute sur sa rivale. Elles semblent quasiment s'ignorer, ou du moins, ne se font pas la guerre qu'on pourrait attendre. Et c'est pour le moins surprenant, au point qu'on finit par se poser des questions sur ces deux femmes : que savent-elles ? Surtout que cachent-elles ? Qu'ont-elles fait ?<br />
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Dernier personnage féminin, et pas des moindres : Mimma. Un personnage ! L'archétype de la vieille fille qui a reporté toute son affection vers ce frère qui est tellement mieux qu'elle dans tous les domaines. Attention, aucun mépris dans cette description, c'est un très beau personnage, même si on a du mal à compatir pour elle, étant donné son comportement.<br />
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Mimma incarne la famille. La famille Semeraro, vous l'aurez compris, cette entité puissante, au sein de laquelle Carla n'a jamais été la bienvenue (ça tombe bien, elle-même a tout fait pour ne pas se laisser absorber). Antonella Lattanzi ne nous raconte pas en détails l'histoire de cette famille des Pouilles (région d'origine de la romancière), mais nous donne quelques indices.<br />
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Les Semeraro sont des notables, une famille très influente de Massafra, ville moyenne sur les bords du Golfe de Tarente, c'est à dire ce creux au bas de la botte italienne, près du talon. Le père, vieux et malade a passé la main et Vito était sans doute celui qui avait le mieux pris le relais pour faire tourner les affaires florissantes de la famille.<br />
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Ces affaires, on n'en saura pas plus sur leur nature exacte. Jamais ne seront prononcés les mots qui fâchent, comme mafia, par exemple, mais à lui seul, le mot famille, auquel on est tenté de mettre une majuscule, fait froid dans le dos. Oui, il y a clairement quelque chose de dérangeant dans cette famille, dans son côté possessif.<br />
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Mimma en est une excellente représentante, refusant de voir, d'accepter et même s'envisager ce qui est reproché à Vito, rejetant toutes les fautes sur Carla, à commencer par ce divorce, insupportable, insultant, immoral. Sa colère inextinguible se double d'une volonté farouche de ramener les enfants de Vito dans le giron familial. D'en faire des Semeraro, loin de Rome, vu comme un monde sordide.<br />
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Il reste un dernier personnage, celui de Manuel, qu'on croise parmi les premiers lorsqu'on lit le roman. Lui aussi va voir sa vie bouleversée par les événements, mais je vais peu en dire à son sujet. D'abord, pardonnez-moi, parce que c'est un personnage falot et tristounet, mais aussi parce que sa relation avec Carla est ambiguë et que cette ambiguïté occupe une place particulière dans le roman.<br />
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Mais, Carla et Vito, dans tout cela, me direz-vous ? Leur destin est lié, quoi qu'il soit arrivé. Mais Antonella Lattanzi dresse, à travers quelques souvenirs, quelques flash-back, le portrait d'un homme et d'un père au double visage. Le père prévenant et le mari amoureux, qui peut pourtant en quelques instants se transformer en un être violent et despotique, en particulier envers Clara.<br />
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"Une sombre affaire" joue sur un certain nombre de faux-semblants, de silences et même de mensonges, mais la violence de Vito ne fait aucun doute, ses enfants en ont été témoins jusqu'à ce que sa mère réussisse à rompre. Enfin, rompre... De fait, Vito et Carla n'habite plus ensemble, mais l'influence, l'attraction de Vito demeure...<br />
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Quant à Carla, elle est une victime, physiquement, peut-être plus encore moralement, écrasée pendant toutes ces années par cet homme qui a voulu la couper du reste du monde. Une femme qui essaye de se reconstruire, de reprendre le cours de sa vie, mise entre parenthèses durant son mariage, maintenant qu'elle a desserré l'étreinte, l'étau.<br />
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Dans une atmosphère de roman noir, on essaye de comprendre ce qui a pu se passer en ce mois d'août caniculaire à Rome. Et rien de ce qui semble évident ne l'est en réalité. Tout cela cache une vérité glaçante, dissimulée sous une bonne couche de silence et de mensonges. Et même lorsque l'on croira savoir, on comprendra que cette vérité est un trompe-l'oeil...<br />
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Antonella Lattanzi réussit à effacer peu à peu les frontières qui séparent les gentils des méchants, le bien du mal, le mensonge de la vérité. La citation placée en titre de ce billet, honteusement sortie de son contexte, je le reconnais volontiers, est un parfait résumé de ce roman : "chacun est à la fois la personne et le monstre", c'est exactement ça...<br />
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La romancière, dont c'est le premier roman traduit en France (un de ses précédents livres a été en lice pour le prix Stresa, le plus important prix littéraire italien), concocte un dénouement dur, je dirais même cruel, lorsque la vérité enfin se révèle, lorsque l'on comprend, en même temps que certains des acteurs, ce qui s'est vraiment produit...<br />
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C'est un roman qui en dérangera certains, qui sera peut-être d'ailleurs critiqué pour ce final, et pourtant, c'est aussi ce qui fait la force de cette histoire, parce qu'elle en dit rétrospectivement beaucoup sur les principaux personnages. Mais ne vous attendez pas à un manichéisme un peu facile, même dans ce contexte-là.<br />
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Car chacun est à la fois la personne et le monstre (oui, j'insiste).Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-68131205624144887832019-09-03T21:56:00.001+02:002019-09-03T21:59:15.522+02:00"Elle n'est pas forcément belle, la vérité. Un cancrelat, voilà à quoi elle me fait penser, une bestiole qui aime le sang. On la décapite, rien ne l'arrête".Il est des romans où on s'aventure avec curiosité, mais aussi prudence. Parce que le sujet de ce livre vous intéresse, vous intrigue, mais touche aussi à des questions sensibles. On s'y lance en se demandant si l'écrivain qui choisit ce genre de sujet est courageux ou inconscient et on espère surtout qu'il s'agira d'une lecture riche et pas juste parue pour la provocation, le buzz, la polémique, dernier outil marketing à la mode. Eh non, ce billet ne sera pas consacré au livre que vous imaginez, mais à un roman qui aborde le thème de la pédophilie de manière très intéressante, déroutante aussi. "UnPur", d'Isabelle Desesquelles (en grand format chez Belfond), est un roman complexe, et c'est ce qui le rend passionnant, un roman violent, et c'est ce qui le rend bouleversant, un roman sur la vérité, et c'est ce qui le rend troublant. C'est aussi un regard particulier porté sur la gémellité, à travers une situation tragique, mais qui ne va pas aller dans la direction attendue au moment d'attaquer cette lecture...<br />
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<a href="https://lisez2.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782714482/m_libros/9782714481955ORI.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="498" data-original-width="351" height="320" src="https://lisez2.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782714482/m_libros/9782714481955ORI.jpg" width="225" /></a></div>
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A l'été 1976, alors que la France est écrasée de chaleur et subit une sécheresse exceptionnelle, alors que des incendies ravagent les forêts landaises, près desquelles ils vivent, Clarice, jeune mère célibataire, et ses jumeaux, Bejamin et Julien, découvrent Venise. Les grandes vacances vont bientôt s'achever, mais avant de retrouver les bancs de l'école, les enfants s'émerveillent devant cette ville hors norme.<br />
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Clarice est devenue mère très jeune, mais elle a aussitôt voulu vivre cette maternité sans se poser la question du père. Pour ses jumeaux, elle est prête à tout, même à renoncer à ses rêves de gloire, à cette ambition de devenir un jour une actrice célèbre... Son public, ce seront ses enfants, car Clarice est une mère peu ordinaire, capable d'extravagance et d'une douce folie.<br />
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Pour Clarice, ses enfants ne sont pas Benjamin et Julien, ce sont Benjaminquejetaime et Julienquejetaime, et cet amour sans limite imprègne son existence, même lorsque soudain, son esprit semble partir en vadrouille. Clarice, Benjamin et Julien sont inséparables, libres et insouciants, heureux d'être ensemble...<br />
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Jusqu'à ce que les vacances tournent au drame... Parce que ces jumeaux si parfaits, si ressemblants, et assez turbulents, se remarquent de loin. Parce qu'ils ont attiré l'attention d'un monstre, de celui qu'il n'aurait pas fallu croiser. En quelques minutes, la si jolie famille de Clarice s'est effondré comme un château de cartes, impossible à reconstruire...<br />
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Quarante-trois ans après ce voyage à Venise, s'ouvre un procès, dans un tribunal italien. Quarante-trois ans ! Rien que ce nombre est terrifiant, tant d'années ! Mais, si l'on redoute déjà ce que l'on va apprendre, il y a tout de même quelque chose qu'on n'attendait pas. Car, dans le box des accusés, ce n'est pas le monstre qu'on souhaitait voir qui s'assied...<br />
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Depuis quelques jours que j'ai terminé la lecture d' "UnPur", je réfléchis à la manière d'en parler sur ce blog. Et assez vite, l'idée d'opter pour un résumé très court, une fois n'est pas coutume, s'est imposée. Parce que ce livre repose d'abord sur tout ce qu'on ne sait pas. Sur tout ce que l'on va découvrir à travers le récit du narrateur.<br />
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Un récit à la première personne qui, par moments, devient un "tu" et même quelquefois un "nous". Un narrateur qui ne s'adresse pas au lecteur, même s'il est là, spectateur, un peu voyeur aussi, et s'il tente de reconstituer tout ce qui s'est passé entre le drame de Venise en 1976 et ce procès de 2019. Accrochez-vous, parce que ces quatre décennies n'ont rien d'une épopée idyllique...<br />
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J'aurais pu choisir une autre citation en titre de ce billet, j'aurais pu entrer dans le vif du sujet, évoquer le thème de la pédophilie, qui est évidemment important dans ce roman, j'aurais pu proposer une des citations de Rimbaud que l'on trouve dans le cours du roman, un poète que le narrateur découvre et adore. Mais j'ai choisi cette phrase-là, parce que le vrai sujet de ce roman, c'est ça : la vérité.<br />
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Pas simplement une vérité factuelle, on va y revenir, mais la vérité et ses conséquences lorsqu'elle est révélée, lorsqu'il faut la regarder en face, lorsqu'il faut l'assumer, qu'on soit celui qui la révèle ou celui qui la reçoit. Tout ce que j'écris est sans doute un peu cryptique, mais il est vraiment délicat d'entrer dans le corps du roman, car sa construction, l'évolution du lecteur dans ce récit sont primordiales.<br />
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J'ai évoqué la question de la pédophilie, et l'on comprend au moins quel peut être le point de départ, avoir une idée, si ce n'est précise, au moins cohérente de ce qui a pu se produire à Venise cet été-là et ce qui a fait voler en éclats une famille. Mais cela ne suffit pas à comprendre ce qui va se passer tout au long de ce livre. Ce qui va se passer au cours de ces quarante-trois années...<br />
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Il y a un point de départ et, à partir de là, on va découvrir toutes les conséquences à court ou plus long terme, tous ce que vont subir tous les personnages impliqués, parfois indirectement, tous les dommages collatéraux du drame, et même, aussi surprenant que cela puisse paraître, certains aspects positifs qui vont intervenir...<br />
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En fait, "UnPur", c'est un roman en forme d'onde de choc. Le narrateur est l'épicentre, et tout autour de lui, se trouvent des personnages, plus ou moins proches, plus ou moins importants dans son existence, mais qui vont tous voir leur existence (han, il a failli écrire "impactées", quelle horreeeeur !) affectées par la trajectoire de ce personnage...<br />
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Mais que s'est-il passé, alors ? Eh bien, je pourrais vous raconter une partie des événements décrits dans "UnPur", je pourrais vous raconter les conséquences sur la famille, je pourrais vous dire ce qui s'est passé dans la période qui a directement suivi Venise, je pourrais faire plein de choses, c'est vrai, mais d'une part, il serait dommage de trop en dire...<br />
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Et d'autre part, il va falloir reposer la question de la vérité. Car, après tout, dans l'histoire qui nous est proposée, quels sont les faits avérés ? N'oublions pas que l'un des éléments centraux du roman, c'est un procès et qu'on a beau y jurer de dire toute la vérité, rien que la vérité, il arrive bien souvent qu'on s'arrange avec elle. Et ici, c'est le cas.<br />
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Là, je suis sûr de moi, puisque le récit de l'accusé ne semble pas correspondre en au moins un point à ce que l'enquête a pu montrer. L'accusé est carrément accusé de divagation, de prendre ses rêves pour des réalités, voire de se moquer tout simplement du monde... Et là encore, il faut reconnaître que le lecteur assiste un peu médusé à quelque chose de troublant...<br />
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Ce n'est pas l'accusation qui accumule les griefs envers l'accusé, mais l'inverse. C'est l'homme dans le box qui s'accuse de méfaits effroyables qu'on ne veut pas retenir contre lui. Plus étonnant encore, quoi qu'il dise, l'accusé semble bénéficier d'une vraie cote de popularité. Plus qu'une victime, il est présenté comme un héros, alors que cela va à l'encontre même de son récit...<br />
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Dans ce roman qui, décidément, prend bien des choses à contre-pied, Isabelle Desesquelles aborde la question de la victime et du bourreau avec beaucoup de pertinence, mais sans fard, sans manichéisme. Beaucoup de choses reposent en fait sur les conséquences sur la personnalité malléable d'un enfant des maltraitances qu'il peut subir.<br />
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Mais alors, nous voilà avec un narrateur qui est une victime, perçu comme un héros, qui s'accuse d'être un monstre et que le lecteur voit, à tort ou à raison, comme un bourreau lui-même... Voilà un sacré écheveau à démêler, probablement impossible à démêler, en fait, car je pense que c'est typiquement le genre de roman pour lequel il y a une lecture par lecteur...<br />
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Et bien des discussions en perspective, pour ceux qui verront en notre narrateur une victime, un héros, un fou ou un bourreau... C'est loin d'être anodin, pas seulement en prévision du verdict qui doit sortir du procès, mais aussi parce que tout ne s'arrêtera pas avec cette décision, parce qu'il y a encore un après à gérer et quarante-trois années à solder...<br />
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Dans "UnPur", Isabelle Desesquelles aborde la question de la gémellité comme tous les autres sujets traités dans ce livre : en rentrant dedans, en les bousculant. On a des frères jumeaux, incroyablement ressemblant, impossibles à distinguer. Deux êtres inextricablement liés par la génétique, mais séparés par le destin sournois et vil.<br />
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Une séparation violente, horrible. Dans un contexte qui, vous le verrez, va encore accroître la douleur. Pour autant, si cette séparation ne peut faire disparaître ce lien si particulier entre les deux frères, le récit du narrateur va faire apparaître une relation bien moins fusionnelle qu'on pourrait le croire, marquée par une forme de rivalité, une certaine jalousie, même.<br />
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Ce lien entre les jumeaux, on va se rendre compte qu'il est fondamental dans cette histoire, depuis la première anecdote, place Saint-Sulpice, jusqu'au dénouement. Une fraternité que les événements ont mise à mal, démantelée, déchirée, mais qui peut être encore réparable, à condition d'affronter la vérité, à condition de la supporter.<br />
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Isabelle Desesquelles s'est lancée dans une aventure littéraire très casse-gueule, sur un sujet délicat, difficile, dur. Elle a choisi un traitement osé, gonflé, en jouant sur l'ambiguïté de son personnage principal, qu'on retrouve dès le titre du livre. Avec cette formule : "UnPur", où l'écrit et l'oral s'opposent, offrant un double sens très bien vu.<br />
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On l'a dit plus haut, cette manière d'écrire en abolissant les espaces entre les mots pour créer de nouvelles entités comme prononcées dans un souffle, est présente dans le cours du roman. J'ai évoqué les surnoms donnés à ses fils par Clarice, mais ce n'est pas les seules formules du genre qu'elle avait l'habitude de prononcer, avec ce qu'on imagine être une profonde tendresse.<br />
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Mais en appliquant cette manière de s'exprimer au titre du livre, cela change tout : en collant l'article et le nom, elle rend le pur impur et pose toute la problématique de cette histoire. Toute sa cruauté aussi, évoquant non seulement la souillure, mais aussi le basculement qui se produit et fait passer l'enfant du côté obscur, atroce.<br />
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Oui, c'est un sujet casse-gueule, vraiment pas facile, parce qu'on touche à des choses innommables, à la perversion, à l'absence de morale autant que de remords, à cette facette de l'âme humaine qu'on voudrait croire inexistante et qui, pourtant, existe bel et bien et fait des ravages... Un sujet casse-gueule assorti d'une bonne dose d'ambiguïté, qui en fait un livre qui frappe le lecteur au plexus.<br />
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Isabelle Desesquelles nous bouscule, nous aussi, nous met à mal, parce qu'il y a ce récit et ce que l'on comprend, parfois entre les lignes, à travers certaines ellipses, comme si exprimer ces actes, ces situations, étaient trop difficile. Parce qu'il y a ce personnage déroutant, dont on ne sait s'il dégage le chaud ou le froid, s'il s'agit d'un menteur sans scrupule ou d'une victime traumatisée...<br />
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Il y a Clarice, personnage merveilleux, lumineux, que j'imagine belle et légère, aimante et fofolle, une femme devenue mère très jeune, mais qui voit aussi sa vie se briser très tôt... Elle peut sembler excentrique, mais je la vois plutôt libre, heureuse, une mère proche de ses jumeaux qui sont sa raison de vivre. Une femme sur laquelle s'est acharnée le destin...<br />
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Et puis, il y a ce dénouement, qui nous donne une dernière baffe, un coup de grâce. Qui nous offre une conclusion aussi belle qu'elle est horrible, je sais, c'est paradoxal, et pourtant... Pourtant, c'est ainsi que j'ai ressenti à la lecture des derniers chapitres, lorsque l'on comprend que le silence n'est pas d'or, non, bien au contraire, et que seule vaut la vérité, aussi horrible soit-elle...<br />
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<br /><iframe width="320" height="266" class="YOUTUBE-iframe-video" data-thumbnail-src="https://i.ytimg.com/vi/dgPWLz6YGF0/0.jpg" src="https://www.youtube.com/embed/dgPWLz6YGF0?feature=player_embedded" frameborder="0" allowfullscreen></iframe></div>
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(Morceau évidemment présent dans le roman, où il tient une place particulière).</div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-43084315853563020972019-09-03T16:01:00.000+02:002019-09-03T16:39:32.348+02:00"L'heure est venue de payer pour ce que vous avez fait. C'était il y a 26 ans".Il y a ceux qui se disent rendez-vous dans dix ans, même jour, même heure, même pommes, et puis il y a ceux qui se retrouvent brusquement rattrapés par un passé qu'ils pensaient avoir laissé derrière eux. C'est, je pense que vous l'aurez compris, cette deuxième catégorie qui va nous intéresser, avec un thriller mené tambour battant, plein d'interrogations, de doutes, de soupçons même, jusqu'à ce que le lecteur finisse par se sentir un brin parano... "Malgré elle", de David-James Kennedy (en grand format chez Fleuve éditions), est un roman qui, comme son titre l'indique, est centré autour d'un personnage féminin, Emma Novak, énigmatique, perdue, effrayée, et pourtant presque inquiétante... Une histoire pleine de violence qui va nous emmener à travers l'Europe et même au-delà, dans une course poursuite pour remonter le temps et essayer de comprendre. Comprendre ce qui a pu entraîner ce qui ressemble fort à une vengeance tardive...<br />
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<a href="https://products-images.di-static.com/image/david-james-kennedy-malgre-elle/9782265116726-475x500-1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="333" height="320" src="https://products-images.di-static.com/image/david-james-kennedy-malgre-elle/9782265116726-475x500-1.jpg" width="213" /></a></div>
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Un soir d'avril 2015, Tom Besson profite d'un agréable weekend en amoureux, quand son téléphone sonne. Un appel tout à fait inattendu, qui va changer le programme des jours à venir, et peut-être l'existence entière de ce quadragénaire, le genre homme d'affaires sportif et séducteur, à qui tout semble réussir.<br />
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Tom laisse d'abord sonner, mais écoute le message qui lui a été laissé quelques minutes plus tard. A l'autre bout de la ligne, une voix bien connue, celle de Luko, Fabrice Lukowski, un de ses amis de jeunesse. Ils ont été ensemble sur les bancs du lycée Henri-IV, à Paris, puis ont fait des études de commerce dans la même école, avant de suivre chacun leur voie.<br />
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Rien de bien urgent, rien en tout cas qui nécessite de rompre la belle harmonie qui unit Tom et sa compagne, Karine. Mais, à l'aube, le lendemain matin, tout change. Tom écoute une nouvelle fois ses messages et le dernier laissé par Luko va l'alerter : son ami dit être poursuivi, menacé par un tueur (un tueur !), et la brutale coupure de la ligne laisse imaginer le pire.<br />
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Faute de pouvoir joindre son ami policier, Pierre Jonquères, ce qui n'a rien d'étonnant, aussi tôt un dimanche matin, Tom décide d'agir, trop inquiet pour attendre plus longtemps. Lorsqu'il découvre que Luko l'a appelé depuis la Suède, près de Göteborg, pour être plus précis, il n'hésite pas un instant. Au revoir Karine, direction l'aéroport !<br />
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Luko n'est pas juste un ami, Tom lui est redevable. C'est peut-être l'occasion de régler une vieille dette. Mais, lorsqu'il retrouve l'endroit d'où Luko l'a appelé, il est trop tard... Luko est mort, et tout indique qu'il a été assassiné... Dans la maison proche, qui semble avoir été visitée, Tom trouve un ordinateur. Et lorsqu'il le sort de sa veille, nouveau choc...<br />
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A l'écran, un visage, surgi du passé... Emma... Mais pas l'Emma qu'il a connu plus d'un quart de siècle auparavant lorsqu'ils étaient élèves à Henri-IV et qu'ils étaient inséparables, non, l'Emma d'aujourd'hui, telle qu'elle serait s'il l'avait devant lui à cet instant... Emma, une amie, sans doute un peu plus... Ici, tout près du corps sans vie de Luko...<br />
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Pourquoi ? La question vient naturellement à l'esprit de Tom. Quel lien peut-il y avoir entre ces événements et la vie de collégiens comme il y en a tant d'autres, même si eux étaient issus d'un milieu privilégié ? Et ce message qui accompagne la photo, cette menace clairement exprimée, à qui s'adresse-t-elle et pourquoi l'a-t-on formulée ?<br />
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Lorsqu'il découvre une adresse et un numéro de portable, il n'hésite pas, appelle... Et entend la voix d'Emma pour la première fois depuis 26 ans... Il lui explique les récents événements et lorsqu'elle réalise que la photo date du jour même, elle est sous le choc. Et décide de tout laisser en plan, sa vie, son couple, ses vacances en Californie, pour rejoindre Tom et essayer d'en savoir plus.<br />
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Des retrouvailles loin d'être idéales, pour ces deux-là, qui vont prendre un tour plus délicat encore quand ils vont s'apercevoir qu'on les suit à la trace... Où qu'ils aillent et quelques précautions qu'ils prennent... Et manifestement, leurs poursuivants n'ont pas l'intention de faire la causette... Tom et Emma sont en danger à leur tour...<br />
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Impossible de se débarrasser de ces tueurs froids et déterminés, sauf à les affronter... Tom et Emma vont alors entamer un tour d'Europe éclair, en laissant derrière eux un sillage de sang... Au point de ne plus être seulement recherchés par des tueurs, mais aussi par la police. Mais que se passe-t-il donc ? Et quel rôle Emma tient-elle dans cette histoire ?<br />
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(Peut-être) malgré elle ?<br />
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Je dois être honnête avec vous : j'ai triché. Oui, j'ai triché, car le résumé que vous venez de lire commence en fait au chapitre 8 de "Malgré elle". C'est un choix et je vais vous l'expliquer maintenant : comme vous l'avez compris, le passé des personnages impliqués dans "Malgré elle" tient une place très importante dans le roman.<br />
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Les sept premiers chapitres se déroulent en 1989, lorsque Tom, Emma, Luko, pour ne citer que les personnages évoqués ici, étaient collégiens ensemble à Henri-IV, l'un des établissements scolaires parisiens les plus prestigieux. Ces chapitres d'ouverture nous racontent une tranche de vie, une période bien particulière qui s'achève sur un événement dramatique.<br />
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En soi, ce début d'histoire n'a rien d'extraordinaire, les cours, les copains et copines, les premières amours et les premiers émois, les fêtes et les sorties... Un quotidien somme toute classique, surtout pour ces enfants issus de familles aisées... Une insouciance brisée nette par un crime. Dont on ne sait en fait rien du tout, nous, lecteurs, le roman passant aussitôt à la partie se déroulant en 2015.<br />
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On a donc qu'une vague idée des événements de 1989 que la mort de Luko fait brusquement resurgir dans la vie de Tom et d'Emma. Pourtant, s'il semble bien que Tom se retrouve impliqué un peu par hasard, à cause de l'appel catastrophé de son ami Luko, la présence près du corps de la photo d'Emma semble indiquer qu'il n'en va pas de même pour son ancienne amie...<br />
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Il faut donc comprendre. Comprendre tout ce qui se passe en 2015, tout ce qui ne colle pas aussi, mais aussi comprendre le lien entre les événements présents et ceux de 1989, qui semblent être la cause, l'une des causes, disons, de la mort de Luko. Et, par-dessus tout, comprendre qui est Emma et pourquoi elle semble être au coeur de ce drame...<br />
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Elle-même paraît sincèrement bouleversée et inquiète, autant par les événements violents qui se déroulent que par sa présence au milieu de tout cela. Elle ne comprend pas. Elle a peur. Elle retrouve des sensations fort désagréables qu'elle a déjà connues... Mais tout cela semble impossible, incohérent ! Et pendant qu'Emma et Tom vont d'un pays à l'autre, ce dernier s'interroge : pourrait-elle... mentir ?<br />
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Et je dois dire que le lecteur aussi se pose beaucoup, beaucoup de questions. C'est d'ailleurs, je trouve, un des gros points forts de "Malgré elle". Cela lui donne un côté très hitchcockien, avec une Emma Novak (tiens, tiens, comme Kim ? Comme l'actrice de "Sueurs froides" ?) entourée d'un épais mystère, dont elle pourrait fort bien être elle-même la source...<br />
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Emma possède un charme très particulier, dont elle ne semble pas même avoir conscience. Il ne s'agit pas simplement de sa beauté, des traits de son visage, non, c'est au-delà de ça. "Magnétique", nous dit la quatrième de couverture, et c'est peut-être le terme qui convient le mieux, si l'on estime qu'il ne fait pas un peu trop cliché...<br />
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Mais elle n'en joue pas, elle n'a jamais été une séductrice, à l'inverse de Tom, par exemple, qui aimait jouer de son physique, de son courage, de ses aptitudes sportives, de son côté tête brûlée. Non, Emma était une jeune fille très sage, sans doute en raison d'une éducation très stricte, et on se dit qu'elle n'a guère changé. Et pourtant : derrière ce côté angélique, pourrait-elle cacher quelque chose de plus sombre ?<br />
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Alors, oui, forcément, on se pose plein de questions à son encontre et le mystère s'épaissit au fil des événements que l'on découvre, présents ou passés. Avec cette impression bizarre, désagréable, que l'on pourrait se trouver face à un formidable numéro de comédienne... Mais dans quel but organiserait-elle tout cela ?<br />
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Et voilà que, petit à petit, un doute doute s'immisce : et Tom ? Que sait-on de lui ? Après tout, lui aussi est embarqué dans cette histoire, on sait que durant leur adolescence, ils ont été très proches sans que cela aille plus loin qu'une tendre amitié... Mais Tom se retrouve embarqué dans l'affaire sans raison apparente... Sauf si... Sauf s'il en était l'instigateur...<br />
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Nous voilà donc essoufflés par la course dans laquelle sont lancés nos deux protagonistes, la tête pleine de soupçons envers l'un, envers l'autre, et toujours incapables de comprendre le mobile de la machination mise en branle... On guette, on épie chaque signe, on note chaque nouvelle information, chaque petit détail qui pourrait nous aider à sortir de cette parano qui s'installe gentiment...<br />
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Bien sûr, l'histoire n'attend pas que nous résolvions nos cas de conscience, et avec elle, le nombre de victimes augmente... Tout comme les indices d'une vengeance implacable que quelqu'un quelque part a décidé de manger bien froide, après 26 années d'attente... Et avec, un jeu de faux semblant qui n'en a pas fini avec nous et nos pauvres questionnements...<br />
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"Malgré elle" va vite, c'est efficace, violent et déroutant à la fois, on se laisse prendre même si on se demande aussi si tout cela tient vraiment debout... Bon, comme souvent avec ce genre de thriller, on marche ou alors tout tombe à plat, je dois dire que je me suis énormément amusé à cette lecture, même si elle ne m'a pas totalement convaincu (même si j'aime beaucoup la fin ouverte, cohérente avec toutes les questions posées dès le début).<br />
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Mais, il faut reconnaître qu'elle comprend pas mal de choses très intéressantes à partager. D'abord, les lieux où vont se rendre Tom et Emma, en particulier en Europe. Ca commence par le lieu où Tom retrouve le corps de Luko, qu'on croirait sorti d'une enquête de l'inspecteur Wallander, puis des destinations inattendues qui vont offrir des paysages et des décors fascinants.<br />
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Ensuite, pour revenir au côté hitchcockien évoqué plus haut, il y a tout un jeu narratif très intéressant, et qui apparaît très tôt dans le roman, autour du voyeurisme. C'est un aspect qui nourrit lui aussi les questionnements que le lecteur va avoir tout au long de cette histoire, qui alimente la parano, et de plusieurs manières.<br />
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Car, d'un côté, on a Emma, qui semble paniquée, qui se sent traquée, mais à qui on ne sait pas si on peut faire confiance, et de l'autre, tout ce qui tourne autour d'un mystérieux et insaisissable voyeur, dont l'existence est attestée, par exemple, par la photo découverte par Tom dans la maison où vivait Luko près de Göteborg...<br />
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Comment tout cela s'agence-t-il ? Qui mène la danse de ce drame macabre et énigmatique, où personne ne paraît véritablement fiable ? Ajoutez une goutte de thriller à la John Grisham, avec l'ombre d'une intrigante multinationale qui semble planer partout où passent (et trépassent) les personnages de "Malgré elle"...<br />
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Il y a un dernier élément qu'il faut évoquer, mais très succinctement, vous allez comprendre pourquoi : si "Malgré elle" est d'abord un thriller, tout ce qu'il y a de plus classique dans le genre, va apparaître une dimension que l'on peut qualifier de science-fictive... Vous n'en saurez pas plus sur ce blog, eh oui, je sais, c'est moche, c'est frustrant.<br />
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En revanche, je vous encourage vivement à lire les explications que donne David-James Kennedy en fin d'ouvrage, dans une annexe précédé de ce très joli avertissement : "si vous préférez croire que ce livre n'est qu'une pure fiction, n'allez pas au-delà de cette page". Il y a quelques précisions anecdotiques, mais surtout des informations passionnantes pour mieux comprendre ce qui se passe.<br />
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Des explications fort utiles, car elle donnent de l'épaisseur à ce que raconte David-James Kennedy, à ce qui se trouve au coeur de ce roman. Et nous permet aussi de lui donner du crédit. Parce qu'on y découvre des choses étonnantes, assez dingues, même, qui nous rappellent que ce que l'on appelle aujourd'hui science-fiction, ne sera peut-être plus, demain, que de la science...<br />
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C'est en musique que nous allons finir ce billet. Avec une chanson qu'on entend dans "Malgré elle", une chanson qu'adore Emma. Elle s'identifie à Olivia Newton-John, qui l'interprète dans le film "Grease". Le lecteur peut alors tout à fait se dire que c'est un peu à ça que ressemble Emma, à cette jeune femme en chemise de nuit se tenant contre une colonne de bois blanc...<br />
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<iframe allowfullscreen="" class="YOUTUBE-iframe-video" data-thumbnail-src="https://i.ytimg.com/vi/YYW5cBfszhc/0.jpg" frameborder="0" height="266" src="https://www.youtube.com/embed/YYW5cBfszhc?feature=player_embedded" width="320"></iframe></div>
<br />Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-85105572408221299492019-09-02T23:06:00.002+02:002019-09-02T23:06:45.618+02:00"Un arbre, un poisson et une flamme".Comme souvent, je n'ai pas attaqué une série par le début, c'est une triste habitude chez moi, mais il arrive que je rattrape. Bon, là, c'était plus facile, il n'y avait que deux tomes disponibles (le troisième arrive à l'automne, je crois), donc nous voici à jour. Avant, enfin après, mais en fait avant <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/09/etta-la-cite-reveillera-ada-la-science.html">"Complot"</a>, il y a eu "Le Cri" (en grand format chez XO, disponible en poche chez Pocket), première rencontre avec Sarah Geringën, policière norvégienne pour le moins tourmentée. Et l'univers de cette première enquête n'a rien de vraiment apaisant, puisque tout part d'un hôpital psychiatrique. Un premier volet qui, comme "Complot", d'ailleurs, emmène le lecteur bien au-delà de la simple élucidation d'un meurtre, avec des questionnements scientifiques et philosophiques qui nous concerne toutes et tous et vont nous amener à réfléchir sur le sens de notre vie... et de notre mort.<br />
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<a href="http://www.xoeditions.com/wp-content/uploads/2016/08/LE-CRI_CV_DEF-653x1024.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://www.xoeditions.com/wp-content/uploads/2016/08/LE-CRI_CV_DEF-653x1024.jpg" data-original-height="800" data-original-width="510" height="320" width="204" /></a></div>
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Un matin, avant l'aube, Sarah Geringën, inspectrice de police, reçoit un appel téléphonique qui l'oblige à s'aventurer dehors par une nuit glaciale et verglacée. Le temps de passer prendre le médecin légiste et elle se rend sur la scène de crime, située dans l'hôpital psychiatrique de Gaustad, le plus ancien établissement du genre en Norvège.<br />
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Si l'on a fait expressément appel à Sarah, c'est qu'il a dû se passer quelque chose sortant de l'ordinaire. Certainement pas une mort naturelle, et s'il s'agit d'un crime, il doit largement dépasser le simple coup de folie d'un patient sur un autre... Car Sarah a la réputation de résoudre les affaires les plus délicates, les plus complexes. Les plus tordues.<br />
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Et là, du tordu, il y en a ! L'endroit est aussi sinistre que son histoire : on a pratiqué à Gaustad un nombre de lobotomies record par le passé et la rumeur évoque des recherches dépassant le cadre de ce que l'on peut tolérer de la science... Si les temps ont changé, l'endroit n'en est pas plus accueillant, surtout à cette heure matutinale, sous la neige et dans le froid...<br />
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Tout a commencé ce matin-là par la mort pour le moins énigmatique d'un patient. En effet, dans un premier temps, le gardien de nuit, qui a assisté à la scène devant ses écrans de contrôle, a cru à un suicide, avant de changer d'avis une fois sur place. Nouveau diagnostic : crise cardiaque... Mais les choses ne collent pas.<br />
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Selon le témoignage du gardien, le patient a essayé de... s'étrangler ! Ce qui est impossible. D'où le changement de diagnostic : arrêt cardiaque consécutive à une sévère crise d'angoisse. A 76 ans, c'est plausible, mais si on a tout de même appelé Sarah à la rescousse pour qu'elle donne son point de vue, c'est qu'il doit y avoir quelque chose de plus grave...<br />
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La vue du cadavre est terrifiante en elle-même, les traces autour de son coup, auto-infligées, sont impressionnantes. Mais ce que Sarah remarque immédiatement, ce sont ces cicatrices sur le front du mort. Des cicatrices qui forment un nombre, dont la signification échappe à tout le monde pour le moment : le nombre "488"...<br />
<br />
Or, il se trouve que c'est ainsi que tout le monde l'appelait, car personne au sein de la vénérable institution psychiatrique, n'était capable de donner son état civil. Interné 36 ans plus tôt, il était alors amnésique et n'avait jamais retrouvé la mémoire. Et comme personne n'était venu prendre de ses nouvelles, il est donc resté anonyme tout ce temps. Même constat pour l'inscription sur son front...<br />
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Et puis, soudain, du nouveau : le légiste l'affirme, l'homme ne peut pas être mort là où on l'a trouvé. Son corps a été déplacé... Plus que déplacé, on l'a carrément changé de bâtiment, le plaçant dans celui des malades les moins graves, les moins dangereux. Pour eux-mêmes, et pour les autres... Quant à Sarah, elle comprend que tout ce début d'enquête est un tissu de mensonges.<br />
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Elle exige aussitôt d'être conduite dans la VRAIE chambre du patient 488, soupçonnant qu'on lui cache des choses. Et c'est bien le cas, mais sans doute pas ce qu'imaginait l'inspectrice : sur les murs blancs de la cellule, une multitude de graffitis, tellement serrés que c'en est illisible, si tant est que cela est un sens... Sam Neill dans <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=11541.html">"L'Antre de la folie"</a> n'a pas fait mieux !<br />
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Sarah multiplie les questions, met la pression au directeur, aux gardiens, mais ils semblent tous incapables de lui dire exactement ce qui s'est passé cette nuit-là. Chaque information arrachée est rapidement démentie par les faits... Mentent-ils sciemment ou ont-ils d'autres raisons de chercher à brouiller les pistes ? Auraient-ils... peur ?<br />
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La seule chose qui semble certaine, c'est que, chaque jour, sans que les gardiens sachent pourquoi, on venait chercher celui qu'on ne connaissait que sous le matricule 488 et son voisin, un certain Janger, et ceux-ci semblaient terrifiés. Sarah décide donc de parler à ce Janger, peu importe la raison pour laquelle il croupit dans une chambre de ce sordide HP.<br />
<br />
Au milieu des délires verbaux de ce dangereux malade, Sarah capte quelques éléments intrigants. Incompréhensibles, comme cette histoire de sommeil noir. Ou quelques mots concernant le directeur de l'hôpital, remettant en cause ce qu'il est en réalité... Mais rien de plus, rien qui suffise à comprendre ce qui se passe dans ce lieu effrayant...<br />
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Et pourtant, c'est bien de ce tissu de n'importe quoi, sans queue ni tête, bourré de mensonges plus ou moins volontaires, qu'elle va devoir extirper quelques embryons de pistes, et ce n'est pas gagné. A moins qu'elle réussisse enfin à obtenir quelques explications de la part de Hans Grund, ce si sympathique et sincère directeur.<br />
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Enfin, si elle lui remet la main dessus, car il semble avoir pris la poudre d'escampette...<br />
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Si vous aimez les débuts de thriller sacrément mouvementés où on se retrouve largués, incapables de savoir exactement ce qui se passe, "Le Cri" est un roman fait pour vous ! Que de mystères et quel rythme d'entrée de jeu ! C'est le début d'un roman plein de rebondissements et de surprises, qui va emmener Sarah (et le lecteur dans son sillage) bien au-delà de la mort d'un fou, interné depuis 36 ans.<br />
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Forcément, quand on a lu d'abord "Complot", comme c'est mon cas, on est moins surpris de découvrir les différentes facettes de Sarah Geringën. D'un côté, la policière, sûre d'elle, pleine d'une autorité naturelle, capable d'une concentration à toute épreuve et d'une intuition aiguisée, aussi à l'aise dans la réflexion que dans l'action (elle a commencé sa carrière dans les commandos).<br />
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Et puis, il y a Sarah, la femme, qu'on rencontre en fait en premier, avant de savoir tout ce que je viens de dire. Une femme perdue, en détresse, dont la vie par à vau-l'eau en raison de son incapacité à devenir mère... Au contraire de sa vie professionnelle, où elle est l'ultime recours dans les affaires les plus complexes, dans sa vie personnelle, elle est au désespoir...<br />
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Un personnage très intéressant, aussi taiseux et secret au quotidien qu'elle devient exubérante et presque hyperactive lorsqu'elle se lance dans une enquête. Une vraie métamorphose, presque inquiétante quand on y pense, tant il semble impossible qu'un seul être puisse abriter deux personnalités aussi opposées...<br />
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En cours de route, elle va faire la connaissance d'un journaliste français, Christopher, qui ne traverse pas non plus la meilleure période de son existence. Ce qui lui arrive, je ne vais pas vous en parler ici, c'est un second fil narratif très important, mais cette histoire personnelle va brutalement entrer en collision avec l'enquête menée par Sarah.<br />
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Et, si l'existence de Christopher est en train de s'écrouler, tandis que celle de Sarah est déjà par terre, ensemble, ils vont se lancer dans une enquête effrénée à travers le monde, dans l'espoir de comprendre, mais aussi de sauver ce qui peut encore l'être... Et mettre au jour des recherches tout à fait sidérantes...<br />
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L'arbre, le poisson et la flamme, dans tout ça, me demanderez-vous ? Ah... c'est un des mystères de ce roman, peut-être le fameux petit début de piste au coeur de l'écheveau découvert à l'hôpital psychiatrique de Gaustad... Trois... comment dire ? Objets, symboles, concepts ? Qu'importe, il faudra parvenir justement à les définir, à comprendre le sens qui se cache derrière eux...<br />
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La force du travail de Nicolas Beuglet, c'est de s'appuyer sur un très important travail de documentation afin que des informations réelles servent de base à sa fiction. Un véritable jeu de pistes, dans lequel le réel et l'imaginaire ne cessent de s'entrecroiser, la fiction permettant non seulement de révéler ces faits, mais aussi de leur donner une dimension plus flippante encore.<br />
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Derrière les événements de l'hôpital psychiatrique de Gaustad, on voit passer l'ombre de la CIA et il flotte des relents de Guerre froide sur cette affaire. Enfin, de recherches que la Guerre froide a permis de mener, cas de force majeure, vous comprenez... Quel magnifique preuve de cynisme ! Car les applications de tout cela vont évidemment bien au-delà de la lutte entre deux superpuissances.<br />
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Plus que l'hôpital dans lequel débute le roman (dont l'auteur a pris la façade en photo et qui se retrouve en couverture du livre), un autre lieu frappe les esprits : <a href="https://www.bbc.com/news/magazine-36076411">l'île de l'Ascension</a>, minuscule point perdu au milieu de l'océan Atlantique, entre l'Equateur et Sainte-Hélène. Un lieu a priori insignifiant, partie émergée d'un volcan, mais au sujet de laquelle courent bruits, rumeurs, légendes... ou vérités ?<br />
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<a href="https://ichef.bbci.co.uk/news/624/cpsprodpb/D280/production/_89288835_mountains.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="351" data-original-width="624" height="223" src="https://ichef.bbci.co.uk/news/624/cpsprodpb/D280/production/_89288835_mountains.jpg" width="400" /></a></div>
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Ce blog n'est bien sûr pas le lieu pour entrer plus avant dans le détail de ce que Sarah et Christopher vont découvrir. Et c'est bien dommage, car c'est aussi passionnant qu'effrayant. Le thème d'origine du roman de Nicolas Beuglet est de plus en plus traité par les romanciers, et particulièrement les auteurs de thrillers, mais il l'aborde sous un angle original, car sa finalité est très inattendue.<br />
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Il y a surtout l'impression d'entrer dans quelque chose qui relève de l'infini et nous rabaisse, nous, pauvres, microscopiques et méprisables êtres humains, au rang de simple particule. Une créature éphémère, mais terriblement complexe, bien plus qu'on ne l'imagine. Avec, au centre de tout cela, ce cerveau, cet extraordinaire organe dont nous ne cernons qu'une infime partie des capacités...<br />
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On a beau savoir qu'on lit une fiction, il faut reconnaître qu'elle nous entraîne dans des territoires inattendus et captivants, et on lit fébrilement les passages où sont livrées aux personnages principaux les révélations, lorsque les pièces du puzzle commencent à s'assembler. C'est redoutablement efficace et cela pousse à se poser plein de questions, à faire quelques recherches.<br />
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Nicolas Beuglet a investi un créneau particulier, avec des thrillers dont les rebondissements mènent à des sujets universels, fascinants, susceptibles de remettre en question notre monde tel qu'il est, tel que nous l'envisageons. De plus en plus les thrillers essayent de ne pas se limiter au rythme, aux codes du genre, au côté hollywoodien souvent un peu creux.<br />
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Mais, l'auteur du "Cri" et de "Complot" ne se contente pas de donner des pistes de réflexion à ses lecteurs, elles touchent des questions très profondes, métaphysiques, à contre-courant, également. On s'approche de la science-fiction, la science tenant une place importante dans ces thrillers, science dure, mais aussi sciences humaines.<br />
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"Le Cri" est un premier roman, il a des défauts, c'est certain, dans le fond comme dans la forme. On sent déjà que "Complot" est plus abouti, qu'il y a moins de scories. "Le Cri" est captivant par tout ce qu'il raconte, par les thèmes qu'il aborde, mais dans la forme, il y a quelques imperfections qui vont se corriger, je pense, avec l'expérience.<br />
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Je suis d'ailleurs très curieux, dans les prochains jours, de voir ce que nous réserve Nicolas Beuglet, puisque dans moins de trois semaines, la nouvelle enquête de Sarah Gerigën, "L'Île du Diable", sera en librairie. De découvrir les thématiques qu'il abordera et ce qu'il nous fera découvrir, mais aussi de constater sa progression dans la forme, déjà entamée avec "Complot".<br />
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C'est tout à fait le genre de livre qui plaît ou déplaît, selon qu'on accepte d'entrer dans le jeu du romancier ou qu'on y reste réfractaire. C'est la loi du genre, en quelque sorte. En ce qui me concerne, c'est justement le genre de thriller que j'apprécie, parce qu'il parvient à concilier la tension et l'action du thriller classique, mais reste en tête longtemps après lecture par le grain qu'il nous donne à moudre.<br />
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Ah, un dernier mot, tout de même : le titre de ce roman est évidemment une référence au tableau le plus célèbre de l'artiste norvégien Edvard Munch, "Le Cri", sans doute un des rares tableaux qu'une majorité de personnes visualise sans avoir besoin d'ouvrir un moteur de recherches. Mais au-delà de l'attitude terrifiée et terrifiante du personnage, c'est une phrase de Munch qui a inspiré l'auteur.<br />
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On la trouve en exergue du roman, et elle servira de conclusion à ce billet, car elle est plus parlante que tout mon blabla : "Mes amis s'éloignaient et, seul, tremblant d'angoisse, j'ai pris conscience du grand cri infini de la nature"... Phrase qui peut sembler anodine hors contexte, mais qui va prendre une dimension toute particulière dans le contexte du roman de Nicolas Beuglet...<br />
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<a href="https://www.kazoart.com/blog/wp-content/uploads/2017/12/804px-The_Scream.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="800" data-original-width="627" height="400" src="https://www.kazoart.com/blog/wp-content/uploads/2017/12/804px-The_Scream.jpg" width="312" /></a></div>
Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-30644258446926686752019-09-02T19:04:00.000+02:002019-09-02T19:05:06.709+02:00"Le fleuve, il y a vingt ans, c'était un autre monde (...) L'or... L'or, c'était l'avenir, on y croyait".Et c'est or, c'est en Guyane qu'on l'extrait, le plus souvent de manière parfaitement illégale, et au mépris non seulement de la nature, mais des populations autochtones... C'est l'un des thèmes de notre roman du jour, signé par un écrivain qui connaît bien cette région pour y avoir travaillé un long moment et s'être sans doute frotté aux questions posées par les orpailleurs. Mais "Sur le ciel effondré", de Colin Niel (en grand format aux éditions du Rouergue), va au-delà de la simple question de l'or. A travers une enquête difficile et douloureuse, le romancier nous offre de nombreuses pistes pour essayer de comprendre tout ce qui fait la spécificité de ce département d'Outre-mer situé sur le continent sud-américain. Dans des décors absolument somptueux, le long du cours du fleuve Maroni, et jusque dans des territoires vierges de présence humaine, ce roman allie une intrigue de polar aux codes du thriller d'aventures. Ce n'est pas seulement spectaculaire et d'une beauté à couper le souffle, c'est intelligent et utile.<br />
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<a href="https://www.lerouergue.com/sites/default/files/styles/article-cover/adaptive-image/public/catalog/cover-images/9782812616587.jpg?itok=dT37Wst-" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="542" data-original-width="370" height="320" src="https://www.lerouergue.com/sites/default/files/styles/article-cover/adaptive-image/public/catalog/cover-images/9782812616587.jpg?itok=dT37Wst-" width="218" /></a></div>
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Angélique Blakaman est revenue en Guyane dix-huit mois plus tôt, après avoir entamé sa carrière de gendarme en métropole. Elle doit cette mutation plutôt inhabituelle dans sa ville natale, Maripasoula, dans le Haut-Maroni, à un acte d'héroïsme qui ne lui a pas seulement valu honneurs et médailles, mais aussi une vilaine blessure au visage.<br />
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Cette cicatrice qui s'étend sur une partie de son visage, son oreille mutilée, font désormais partie de sa vie, de sa personnalité. Pour supporter cela, pour supporter le regard des autres, elle s'est endurcie. Et cela se retrouve aussi dans l'exercice de son métier. Elle n'hésite pas à s'affranchir des règles, à s'arranger avec les ordres, à jouer selon ses règles...<br />
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Ainsi, à partir des informations qu'elle a recueillie, a-t-on pu arrêter des orpailleurs clandestins venus du Brésil voisin. Une opération qui aurait pu tourner au fiasco et au cours de laquelle Blakaman a une nouvelle fois fait des siennes. Une arrestation musclée, contre tous les ordres, qu'on taira dans le rapport final. Mais, son supérieur, le lieutenant Vigier, commence à en avoir assez de ses frasques.<br />
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Si le retour sur sa terre natale a aidé Blakaman à se remettre de son traumatisme, la Guyane qu'elle a redécouverte lui semble bien loin de ses souvenirs. L'orpaillage clandestin et divers autres trafics, des violences en recrudescence, une pauvreté qui n'arrange rien, des populations autochtones dont les territoires se réduisent comme peau de chagrin...<br />
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De l'autre côté du fleuve, au Suriname, la ville de New Albina, symbolise presque tous ces mots : une ville construite illégalement, où tout s'achète et tout se vend, pourvu qu'on y mette le prix. Une sorte de Gomorrhe dédiée aux orpailleurs clandestins... Même Maripasoula a changé, la modernité s'y est imposée, remodelant profondément les lieux, mais aussi la vie des habitants.<br />
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Blakaman est très attachée à la culture traditionnelle de Guyane. Son meilleur ami, et même peut-être plus, s'appelle Tapwili Maloko, il est Wayana, une des tribus indiennes de la région et vit dans le village de Wïlïpuk, seulement accessible en pirogue, via le fleuve. Mais, cette fois, lorsque Tapwili appelle la gendarmerie de Maripasoula, ce n'est pas pour prendre des nouvelles de son amie.<br />
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Son ami attend sous le tukusipan, lieu central du village où la population se réunit régulièrement. Autour de lui, cela ressemble au chaos : des déchets jonchent le sol autour du bâtiment... On a fait la fête, ici, une fête très arrosée, manifestement, mais il semble qu'elle se soit mal terminée. Tipoy, le fils de Tapwili, a disparu au cours de la nuit, sans laisser de trace...<br />
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Pour Tapwili, cette soirée devait être un moment fort : pour la première fois en dix ans, il avait organisé un maraké, une cérémonie de rite de passage, et une manière de réaffirmer l'identité de son peuple, chaque jour plus menacé par l'avancée de la vie moderne et par les ambitions des sociétés minières, comme des orpailleurs clandestins.<br />
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Tapwili se souvient avoir vu Tipoy au cours de la nuit, entouré de ses amis. Mais ce matin, au réveil, personne ne semble savoir où il est passé. Les recherches des villageois n'ont rien donné et, en désespoir de cause, il a fait appel aux gendarmes. Et Blakaman sait ce que son ami redoute par-dessus tout : que Tipoy se soit suicidé, un phénomène dramatique très courant dans cette communauté...<br />
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Blakaman doit retrouver Tipoy, simplement pour que Tapwili sache ce qui est arrivé à son fils. Parce qu'elle refuse aussi d'accepter cette hypothèse terrifiante. Peut-être y a-t-il d'autres explications, plus ou moins rassurantes, de la fugue à l'enlèvement... Mais, si l'on ne trouve pas de trace de Tipoy à Wïlïpuk, il n'a pu quitter le village que par le fleuve. Pour aller où ?<br />
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La jeune gendarme, toujours aussi déterminée, et prête à tout pour connaître la vérité, va donc devoir se lancer dans une enquête difficile, où il lui faudra sans doute se rendre dans des lieux où son uniforme ne représente rien. Des lieux dangereux, où vivent des personnages dangereux, dont certains pourraient nourrir de la rancune à l'encontre d'une militaire française...<br />
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"Sur le ciel effondré" est un roman de 500 pages, possédant une densité impressionnante. Que de choses à dire, sur ce roman, c'est assez incroyable, car malgré tout, cela ne nuit ni au rythme ni au suspense. Mais cela permet surtout de mesurer la complexité de la société actuelle en Guyane, où l'on croise aussi bien l'ultra-modernité de la base de Kourou, que des tribus autochtones, comme les Wayanas.<br />
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Ces derniers vivent loin à l'intérieur des terres, dans des régions qui sont donc difficilement accessibles, hormis par le fleuve. Cela n'empêche pourtant pas le monde extérieur de s'être imposé à eux. La scène d'arrivée à Wïlïpuk le montre parfaitement : le village est régi par une organisation très traditionnelle, mais l'on voit des marques, des logos, des traces évidentes d'un monde qui n'est pas le leur.<br />
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A l'inverse, les jeunes doivent un jour quitter leur village pour aller étudier à Cayenne. Une entrée au lycée qui marque un choc culturel auquel peu sont préparés. Il y a la rupture avec leur village, leur famille, mais aussi la découverte d'un monde nouveau, déroutant, stressant, où ils ne se sentent ni à leur place ni franchement bienvenus.<br />
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C'est un véritable déracinement qui passe même par un aspect troublant, déroutant pour le lecteur que je suis, sans doute parce qu'il fait écho à d'autres histoires dans lesquelles la France n'a pas eu de comportements très glorieux. Ces adolescents indiens doivent se loger, puisqu'ils débarquent de lointains horizons, et on les place donc dans des familles d'accueil, qui ne sont pas indiennes...<br />
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On comprend que les Wayanas, comme d'autres tribus indiennes de Guyane, sont à un moment charnière : accepter d'aller de l'avant, vers cette modernité, au détriment de leur culture ancestrale et de leurs racines, ou bien s'arc-bouter sur des traditions qui deviennent difficiles à transmettre, comme on le voit avec le mariké, qu'on n'organisait plus vraiment...<br />
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On a un peuple tiraillé, qui ne sait quel chemin prendre, qui redoute de disparaître purement et simplement, pour une raison ou pour une autre, alors qu'il n'aspire qu'à vivre sur les terres où il a toujours vécu, selon son mode de vie... Un peuple qui revendique un avenir, et espère qu'on lui permettra de le construire.<br />
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Rien que cet aspect pourrait suffire à y installer une intrigue, mais "Sur le ciel effondré" ne s'arrête pas là, parce que les Wayanas ne sont pas les seuls acteurs de la vie guyanaise. "C'était le temps où les Indiens ne furent plus seuls", lit-on à un moment dans le roman de Colin Niel. Et c'est exactement cela, la Guyane : une société incroyablement complexe.<br />
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Au fil des événements, on découvre un territoires où rien n'est simple. Les communautés sont nombreuses, avec chacune leurs cultures, leurs langues, leurs histoires... Difficile de s'entendre quand on ne se comprend pas, quand on perçoit aussi la Guyane de manière différente, quand on y est arrivé pour des raisons là aussi très différentes, et quelquefois antagonistes.<br />
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Au sein même des personnages appartenant à la gendarmerie, on retrouve ces différences : Blakaman, personnage central du roman, peut compter sur le soutien du capitaine Anato (personnage principal des précédents romans guyanais de Colin Niel), un noir-marron comme elle. Mais il y a aussi les gendarmes métropolitains.<br />
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Le lieutenant Vigier n'est sûrement pas un mauvais homme, mais il est gendarme avant tout, il sert la France et considère la Guyane comme n'importe quel autre département français, ce qu'elle n'est pas. Même le lieutenant Girbal, pourtant plus social, plus sensible aux questions écologiques, ne peut comprendre parfaitement cette terre où il n'est pas né.<br />
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Il y a donc les origines, marquées par le clivage entre colons et descendants d'esclaves, la langue, dans un territoire extrêmement cosmopolite, au carrefour de plusieurs civilisations, puisque mitoyen du Suriname et du Brésil, des fossés culturels impossibles à combler, tout cela on l'a déjà évoqué dans les paragraphes précédents.<br />
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On pourrait aussi ajouter une rupture générationnelles, les anciens étant attachés profondément à leurs racines, leurs cultures, tandis que les plus jeunes subissent et adoptent de manière plus évidentes des modes de vie plus mondialisés. Je pense par exemple à la culture rap, qui occupe une place non négligeable dans le roman.<br />
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Mais ce n'est pas tout ! Il faut ajouter la dimension religieuse, avec la montée en puissance, comme sur l'ensemble du continent sud-américain, des églises évangélistes, connues pour leur prosélytisme ; les questions politiques, entre gestion par la métropole et aspirations indépendantistes ; les questions économiques, avec un sous-sol qui attire toutes les convoitises...<br />
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L'or, nous y voilà... Si j'ai choisi cette citation en titre de ce billet, c'est parce qu'elle symbolise parfaitement les espoirs déçus suscité par le métal précieux. L'Eldorado, le mot reprend son sens originel : l'exploitation minière était porteuse d'emplois, d'avenir, de certitudes... Jusqu'à ce qu'on réalise ce que tout cela avait de destructeur et qu'on mette le holà.<br />
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Car l'exploitation aurifère n'est pas seulement extrêmement polluante, elle grignote aussi la forêt, les rives du fleuve, elle abîme tout, irrémédiablement. On a donc défini des territoires à exploiter, pour lesquels il faut posséder des autorisations en règle, et des territoires protégés, où l'on ne peut rien entreprendre. Mais cela n'arrête pas les prospecteurs...<br />
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L'orpaillage clandestin, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/18/guyane-trois-militaires-meurent-accidentellement-pendant-une-operation-contre-l-orpaillage_5490737_3210.html">on l'a encore vu ces dernières semaines</a>, fait des ravages et ne cesse de repousser les limites légales, malgré la lutte sans merci que livrent les gendarmes à ces trafiquants. Peu importe à ces derniers les questions écologiques, mais aussi humaines. De l'orpaillage clandestin découlent tout un tas d'autres fléaux qu'on retrouve sur les deux rives du fleuve Maroni...<br />
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Depuis 2007, existe le parc amazonien de Guyane, en fait un Parc National couvrant le cours du Haut-Maroni et la forêt guyanaise qui l'entoure. Colin Niel a contribué à la création de ce parc amazonien, il a également travaillé à la documentation de "Sur le ciel effondré" en collaboration avec ses responsables.<br />
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Ces questions, et en particulier cette lutte permanente, cette guerre même contre l'orpaillage, le touchent donc personnellement. Ce statut offre au territoire une protection assez relative, hélas, d'abord parce qu'il est difficile à protéger et surveiller, ensuite parce que les trafiquants n'ont peur de rien et sont prêts à tout pour chercher cet or, censé leur apporter la richesse...<br />
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Je vous encourage vivement, en parallèle ou en complément de votre lecture, à aller voir <a href="http://www.parc-amazonien-guyane.fr/fr">le site du parc amazonien de Guyane</a>, mais aussi à regarder de plus près les titres présents dans la bibliographie que Colin Niel a publié à la fin de "Sur le ciel effondré". Des ouvrages qui permettent de découvrir plus amplement qu'on ne peut le faire dans un roman, la culture Wayana.<br />
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Tout cela nous amène aux paysages de ce roman... A commencer par celui qui est même un des personnages : le fleuve Maroni. Plus qu'un cours d'eau, c'est un axe de circulation, mais ça a aussi été longtemps une source de vie. Longtemps, les populations ont bu son eau, et l'on revient alors au danger que représente l'orpaillage...<br />
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Il prend sa source au sud-ouest de la Guyane française, tout près du point de jonction entre les frontières brésilienne, française et surinamienne et son cours constitue une frontière naturelle qui sépare la Guyane française du Suriname. Comme signalé, il est la seule voie d'accès à certains territoires situés à l'intérieur des terres.<br />
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Grâce à lui, le lecteur va découvrir une région incroyable, d'une beauté somptueuse, entre forêts et inselbergs, d'étonnants reliefs qui semble surgir de la forêt. A ce propos, Golin Niel nous fait découvrir ce territoire au nom évocateur pour l'imaginaire : les monts Tumuc-Humac, terre légendaires qui conservent mystère et attrait, même si les mythes sont aujourd'hui battus en brèche.<br />
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Je donne souvent ce conseil dans ce billet, mais cela s'impose encore pour "Sur le ciel effondré" : prenez le temps, pendant ou après votre lecture, pour aller surfer sur internet à la découverte de la Guyane, mais surtout de ces lieux fascinants à la géographie très particulière, qui servent de cadre à certains moments clés du roman de Colin Niel.<br />
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Avant de terminer ce billet, il nous faut évoquer l'importance des personnages féminins dans ce roman. J'ai évoqué Angélique Blakaman, et c'est plus que normal, puisqu'elle est l'héroïne de "Sur le ciel effondré". Mais elle n'est pas la seule protagoniste marquante de ce roman. Ces autres femmes n'occupent pas la même place qu'Angélique, mais elles n'en sont pas moins remarquables.<br />
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On peut citer Leticia, Evelyne Bienvenu, Octavie Dandressol ou encore Taniasha Bousquet. Cela peut paraître paradoxal, mais je ne vais pas du tout remettre ces personnages dans leur contexte, je ne vais pas vous dire qui elles sont. Pour la bonne et simple raison qu'elles apparaissent au fil du roman, parfois assez loin dans l'histoire.<br />
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Mais aussi parce qu'elles ont des rôles bien précis dans l'intrigue, qui nécessiteraient pour certaines d'aller très loin dans l'histoire pour une bonne compréhension, ou parce que ce qu'elles sont donne un peu trop d'informations. Mais si je les évoque, si je mets en avant cette importance des personnages féminins, c'est parce qu'ils sont forts, beaux, héroïques par certains cotés.<br />
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Et puis surtout, ces femmes représentent, incarnent la quasi totalité des thématiques évoquées dans ce billet jusque-là, ou y sont liés plus ou moins directement. Elles sont des symboles de cette extraordinaire diversité qui caractérise la Guyane, et ce, sans tenir compte du fait qu'elles soient, selon le clivage bien connu (et imparfait) des gentilles ou des méchantes.<br />
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Le dernier mot de ce billet sera pour les chapitres d'ouverture des différentes parties. Ecrits en italique, ils sont comme une "voix off" qui nous distille des informations précieuses (à commencer par le sens du titre du roman) pour envisager la suite de votre lecture. Ce sont aussi des chapitres qui introduisent une dimension mystique, dont je n'ai pas parlé jusqu'ici.<br />
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Ceux qui ont lu la trilogie guyanaise de Colin Niel, et en particulier son dernier tome, "Obia", se disent peut-être qu'ils savent de quoi je parle. Et c'est vrai que Anato fait le lien entre ces trois romans et "Sur le ciel effondré", qui marque le retour en Guyane de l'auteur après le succès de "Seules les bêtes", mais ce n'est pas à cela que je faisais référence.<br />
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Non, il s'agit d'autre chose, quelque chose qui nous dépasse tous, une sorte de cosmogonie, ou si on préfère faire plus simple, un changement de point de vue, qui nous permet d'appréhender de manière différente tout ce qui a été dit ici. Et de ressentir l'attachement aux racines dont il a beaucoup été questions dans ce billet, mais aussi l'accablement et le désarroi devant toutes ce qui les menace...<br />
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"Sur le ciel effondré" est un beau roman, profond et riche, qui nous entraîne dans des intrigues diverses, comme des ramifications, ou plutôt, comme un fleuve et ses affluents. Il met en scène des personnages forts pour certains ou n'ayant plus rien à perdre pour d'autres. Et nous permet de découvrir la Guyane non pas sous forme de carte postale, mais comme un territoire complexe, porteur d'enjeux convoités.Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-89945047679472231532019-08-29T21:27:00.001+02:002019-08-29T21:27:26.085+02:00"Bienvenue au royaume de la perfection. Bienvenue chez Docteur X".Le slogan n'est pas mal, mais ce qui se cache derrière fait nettement moins envie, croyez-moi. Voici un polar français signé par une romancière qui sait de quoi elle parle, puisqu'elle a été commissaire divisionnaire avant d'entamer une carrière d'écrivain. Et il est certain qu'on retrouve forcément un peu (beaucoup ?) de Danielle Thiéry dans Edwige Marion, sa commissaire de papier et d'encre. Je précise que "Sex Doll", co-édité en grand format par Flammarion et Versilio, dont nous allons parler dans ce billet, n'est pas la première enquête du commissaire Marion, mais c'est la première que je lis. Il faut dire que le point de départ de cette intrigue a de quoi éveiller la curiosité : le développement, dans le sillage du Japon, de maisons closes assez particulières, puisque elles hébergent... des poupées de silicone, qui se veulent des répliques parfaites d'êtres humains. Ah, la perfection... Vous savez ce qu'on en dit : elle n'existe pas ! Vraiment ?<br />
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<a href="https://editions.flammarion.com/media/cache/couverture_medium/flammarion_img/Couvertures/9782081487345.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="456" data-original-width="297" height="320" src="https://editions.flammarion.com/media/cache/couverture_medium/flammarion_img/Couvertures/9782081487345.jpg" width="208" /></a></div>
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Martin Brand est un jeune chef d'entreprise plein d'ambition, une sorte de start-upper pour reprendre un vocable très à la mode, le pur produit d'une école de commerce qui imagine déjà tout le profit qu'il va pouvoir tirer d'un investissement avisé grâce à un "business plan" impeccable et une stratégie commerciale audacieuse.<br /><br />Bon, dit plus clairement, il est sûr d'avoir trouvé un créneau super original qui va faire un carton en très peu de temps, porté par le buzz, et aussi un parfum de scandale bienvenu... Ainsi a-t-il ouvert rue de Nemours, dans le 11e arrondissement de Paris, le XDoll, le premier établissement d'une nouvelle génération de bordels ouvert en France.<br />
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Au XDoll, on ne met pas à la disposition des clients des êtres humains, mais des poupées. Pas les banales poupées gonflables, non, des poupées ayant l'apparence la plus proche possible d'un être humain. Visuellement, mais aussi au toucher, grâce au silicone, une matière bien plus agréable que le vulgaire caoutchouc...<br />
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Mais, si Brand est un hommes d'affaires, il n'est pas un maquereau. Aucune étude de marché, aucune courbe prévisionnelle, aucun savoir théorique ne l'a préparé à devenir tenancier de maison close... Et surtout, à gérer une clientèle sensiblement différente de celles des commerces plus... traditionnels... Tout cela lui met les nerfs à vif...<br />
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Cerise sur le gâteau, ce client qui lui a laissé une de ses poupées dans un état ! Un vrai massacre ! C'est un fou furieux, ce mec-là, même s'il vaut mieux qu'il ait fait ça à une sex doll qu'à un être de chair et de sang, mais quand même... Il va lui falloir faire disparaître tout ça, et il ne parle même pas de ce que ça va lui coûter !<br />
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En partant, outre une poupée dans un état irrécupérable, le client cinglé a laissé derrière lui ce qui semble être un numéro de téléphone. Lorsque Brand compose le numéro, il tombe sur une femme à qui il ne sait pas quoi dire, jusqu'à ce qu'elle lui apprenne qu'elle est de la police. Affolé, Brand raccroche aussitôt...<br />
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La police, il y a un contacte de confiance, à la brigade de répression du proxénétisme, son interlocuteur naturel, en quelque sorte. Un capitaine, Albert Fréguin, un flic à l'ancienne, comme on en fait plus. On le croirait sorti d'un film noir, et peut-être même pas en couleurs, avec le surnom qui va bien : l'Elégant. Et lui, il saura quoi faire.<br />
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Ce même vendredi soir, la commissaire Edwige Marion est encore à son bureau. Elle dirige L'Office, ou de son appellation complète, l'Office de répression des violences aux personnes. Les dossiers s'accumulent autour d'elle, difficile de savoir par où commencer. Il va lui falloir se concentrer, et ce n'est pas ce bizarre appel téléphonique qui va l'aider.<br />
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Bah, le gêneur lui a élégamment raccroché au nez sans rien lui dire d'intéressant, elle peut donc se replonger dans la paperasse. Mais le téléphone sonne encore, et cette fois, c'est du sérieux. La nouvelle qu'elle redoutait. Doublement. On lui annonce qu'un meurtre a été commis, assorti d'un message adressé à quelqu'un que connaît la commissaire Marion...<br />
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C'est en effet le mode opératoire d'un tueur en série qui a déjà frappé plusieurs fois dans Paris, avec un mode opératoire très particulier, qui abandonne ses victimes à des endroits fort évocateurs et qui joue avec les nerfs de la commissaire en lui envoyant des messages par le biais de proches. Et cette fois, c'est quelqu'un de très proche... De trop proche...<br />
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Il devient urgent de trouver une piste pour mettre ce tueur hors d'état de nuire. La commissaire Marion compte sur l'aide et l'analyse d'Alix de Clavery, une psycho-criminologue. Retrouvailles sur une scène de crime sordide, on a trouvé mieux pour commencer le weekend... Mais Edwige Marion n'est pas au bout de ses surprises, car peu après, Alix de Clavery s'évapore mystérieusement...<br />
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Pas facile de respecter la construction du début de ce roman, très éclatée, pas facile non plus de donner des explications, mais pas trop de détails, de choisir ce qu'il faut mettre en avant et ce qu'il faut vous laisser découvrir. Mais l'essentiel est là, où presque, pour le reste, c'est à vous de jouer, enfin à vous de lire.<br />
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Evacuons tout de suite une question, disons, pratique : "Sex Doll" est loin d'être la première enquête mettant en scène la commissaire Edwige Marion, que dans le roman on appelle d'ailleurs le plus souvent Marion. C'est même une série déjà conséquente, près d'une quinzaine de titres, ce qui peut poser quelques petits soucis au lecteur qui entre dans la série par ce tome.<br />
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Ces problèmes ne concernent pas, comme souvent, l'intrigue centrale, qui est indépendante et compréhensible sans nécessité de tout connaître de la série, mais plutôt ce qui entoure tout ça. Autrement dit, les liens entre les personnages, leurs relations et leur passé, qui ne va pas être répété, et c'est heureux, à chaque tome.<br />
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Pour prendre l'exemple de "Sex Doll", la relation entre Edwige Marion et sa fille, Nina. On comprend les choses, on n'est pas complètement largué, bien sûr, mais il manque des éléments implicites, qui seraient compréhensibles naturellement si on avait lu les précédents tomes. Je sais qu'il y a des lecteurs qui sont très sensibles à ces aspects, qu'ils commencent donc la série par le début !<br />
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Refermons la parenthèse, et intéressons-nous à ce polar dont le point de départ n'est pas banal : des poupées dédiées au sexe... Nous avions sur ce blog croisé ce genre de poupées, dans <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2015/02/les-problemes-ma-petite-fille-ca-se.html">"Les corps inutiles", de Delphine Bertholon</a>, où l'usage de ces poupées grandeur nature censés remplacer des êtres humains n'était tout de même pas aussi explicite que dans "Sex Doll".<br />
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Ici, il ne s'agit pas de combler des solitudes, mais bel et bien d'une branche nouvelle d'un marché toujours florissant, celui du sexe. Danielle Thiéry n'invente rien, des établissements de ce genre ont ouvert à Paris et au Mans, connaissant des fortunes diverses, d'ailleurs. Autant dire que ce qui arrive à Martin Brand ressemble pas mal à ce qui se passe en réalité : c'est un secteur compliqué !<br />
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Reconnaissons tout de même que ce lieu, dans lequel on entre en même temps que dans le roman, puisque les premières scènes s'y déroulent, est surtout un point de départ à cette étrange histoire, qui semble partir dans plusieurs directions différentes. Il va falloir comprendre comment tout ce qui se produit ce vendredi-là peut s'agencer...<br />
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C'est Edwige Marion elle-même qui va devoir faire le tri dans tout ça, ou plus exactement y mettre de l'ordre, car elle se retrouve face à plusieurs lièvres, certains appartenant à sa vie professionnelle, d'autres à sa vie personnelle, sans oublier des passerelles qui relient ces deux mondes qu'on imagine en temps normal assez séparés.<br />
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On l'a dit : dans le mode opératoire du tueur en série, il y a un élément qui vise depuis le début à provoquer le commissaire Edwige Marion. Des messages laissés à des proches, des connaissances de la commissaire. Sans doute une manière de montrer sa toute-puissance, sa capacité à s'approcher de ces gens, à qui il aurait pu faire on ne sait quoi...<br />
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Lorsque pour la première fois, ce sinistre vendredi, c'est sa fille qui est la récipiendaire du message fatidique, sorte de revendication, la commissaire comprend qu'il y a urgence et que tout cela devient trop menaçant. Sans compter les corps de ces femmes que le tueur laisse derrière lui... Et qu'il a mutilées, mais pas uniquement. Comme s'il avait voulu remplacer ce qu'il avait retiré...<br />
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Il y a donc un tueur très dangereux dans la nature, qui se moque de la police, la nargue à chacun de ses crimes, et pourrait s'en prendre aux proches de la commissaire... Mais cela comprend-il Alix de Clavery ? Ou bien a-t-elle disparu pour d'autres raisons, impliquant d'autres personnes ? Cela ouvre un second front à un moment bien peu propice...<br />
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Il y aurait bien des choses à dire, en particulier sur les premières apparitions d'Alix dans "Sex Doll", car il faut reconnaître qu'on s'interroge aussitôt, et que ces questions vont forcément durer un moment... C'est le jeu du polar, mon brave lecteur ! En ce qui me concerne, c'est un aspect du roman qui m'a laissé un peu dubitatif. Ca m'a paru un peu tiré par les cheveux et pas forcément utile...<br />
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"Sex Doll" est un roman où il est question de beauté, d'une beauté parfaite, jusqu'à l'artifice, jusqu'à la folie... Il y a quelque chose de très étrange, mais aussi de très inquiétant dans le contexte du livre. A commencer par ces poupées, je ne me place pas sur un plan moral, attention, mais parce que cela a quelque chose de glauque, de triste... De pathétique.<br />
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Il y a une course, et "Sex Doll" n'est pas le seul roman à aborder ces questions, c'est aussi un sujet de science-fiction, souvent en lien avec les questionnements autour des intelligences artificielles, pour parvenir à créer des représentations les plus fidèles possibles de l'être humain. Et comme souvent, cela se fait en appliquant des canons très précis, qui sont paradoxalement bien peu réalistes...<br />
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Mais cette quête de perfection, ici, va encore au-delà de ça. Comme une quête impossible, une inaccessible étoile, l'ultime accomplissement d'un esprit totalement dérangé, une sorte de savant fou qui aurait débarqué dans "la vraie vie" (oui, je sais, c'est un roman, mais on est dans une littérature réaliste), avec une ambition qu'il va falloir comprendre pour mieux l'arrêter...<br />
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Cette quête, cette folie, qui devient meurtrière, fait là encore écho à des tendances que Danielle Thiéry n'invente pas. Nous vivons dans une société de l'apparence qui recherche aussi sans cesse cette hypothétique perfection. Instagram ou certaines chaînes Youtube vont dans ce sens, la télé-réalité aussi, avec des émissions de chirurgie esthétique, aux Etats-Unis...<br />
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Être beau, même pas parfait, simplement beau, devient un objectif, presque une raison de vivre, un atout social, une ligne de plus sur un CV, une qualité humaine supérieure à la plupart des autres. Un fonds de commerce, aussi. Eh oui, c'est rentable, d'être beau, très probablement plus que de louer pour quelques instants fugaces de plaisir des poupées grandeur nature...<br />
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Pourtant, derrière le parcours sanglant du tueur que poursuit la commissaire Edwige Marion, il y a certainement autre chose. Peut-être même quelque chose de pire, de plus inavouable, de plus immoral... De plus effrayant, aussi... Oui, la beauté, la perfection sont les enjeux de "Sex Doll", mais pas du tout là où on s'y attend.<br />
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Un dernier mot sur Paris, décor de ce livre, mais décor choisi. Les lieux dans lesquels se déroulent bon nombre de scènes clés de ce roman ont une signification particulière. Ce sont, pour certains, des endroits étonnants, qu'on ne connaît pas forcément. Par exemple, la scène de crime sur laquelle se rend Marion au début du roman est glaçante une fois qu'on comprend où on se trouve.<br />
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Le jeu de piste macabre orchestré par le tueur est plein de surprise. Mais l'enquête va aussi nous entraîner dans un lieu très spécial, glauque à souhait. Dans le roman, Danielle Théry en fait un lieu fictif, sans doute pour s'offrir une marge de manoeuvre romanesque plus importante. Mais, en grattant un peu, on arrive à trouver l'endroit qui l'a inspirée et à découvrir quelques photos sur des sites d'urbex.<br />
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Il y a, dans ces lieux abandonnés, quelque chose de très impressionnant, avec ce sentiment que la vie s'y est arrêtée d'un coup, instantanément, comme par magie... Cet endroit est glaçant, et pas seulement en raison de ce qui s'y déroule. C'est un décor d'apocalypse, qui contraste en tous points avec l'idéal de beauté et de perfection dont nous venons de parler, puisque tout y est chaos...<br />
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Avec "Sex Doll", j'ai donc découvert et Danielle Thiéry et son alter ego romanesques Edwige Marion. Une expérience intéressante et divertissante qui méritera qu'on y revienne. Qu'il s'agisse des prochaines enquêtes, ou de plus anciennes. D'autant que le passé, et je n'en dirai pas plus, tient aussi un rôle important dans ce livre...<br />
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Et peut-être au-delà de cet épisode de la série...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-84780507339011443762019-08-29T16:04:00.000+02:002019-08-29T16:04:23.833+02:00"J'en ai marre qu'on me sous-estime. Qu'on me piétine. Qu'on m'insulte. Je ne suis PAS FAIBLE. Je suis REDOUTABLE. Mentalement et physiquement. Il n'y a pas plus puissant que moi".Le polar se féminise et c'est une excellente nouvelle. Je ne parle pas des écrivains de polar, mais des personnages : de plus en plus de séries mettent en scène des héroïnes, des femmes flics à des postes et des fonctions importantes et qui sont tout aussi douées que leurs homologues masculins. Ce blog vous a déjà proposé quelques exemples ces derniers jours, en voici un nouveau, avec la deuxième enquête de la DCI Erika Foster, imaginée par Robert Bryndza. Après une arrivée mouvementée à Londres dans <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/02/daccord-andrea-etait-imparfaite-elle.html">"La Fille sous la glace"</a>, il va encore lui falloir donner de son temps et de sa personne pour comprendre une série de crimes à la mise en scène bien particulière... "Oiseau de nuit" (aux éditions Belfond ; traduction de Chloé Royer) se déroule dans une atmosphère bien différente de la première enquête, avec une DCI Foster qui, petit à petit, trouve sa place, s'impose, mais reste fragile... A elle de s'affirmer, de montrer qu'elle est à sa place, mais pas de la même manière que le tueur qu'elle traque...<br />
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<a href="https://lisez7.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782714477/m_libros/9782714476173ORI.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="564" data-original-width="351" height="320" src="https://lisez7.cdnstatics.com/usuaris/libros/fotos/9782714477/m_libros/9782714476173ORI.jpg" width="199" /></a></div>
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Par une soirée de juin chaude et moite jusqu'à en paraître étouffante, Estelle Munro se rend chez son fils, un médecin, dont elle surveille la maison et nourrit le chat en son absence. A l'intérieur, la chaleur est insupportable et l'électricité est coupée. Sans doute les plombs, ce n'est pas la première fois qu'ils sautent quand Gregory n'est pas là.<br />
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Estelle remet le courant, découvrant, un peu surprise, que le disjoncteur principal avait été volontairement débranché. Mais, le plus étrange, c'est l'odeur bizarre qu'elle sent, lorsque la clim se remet en marche... Une puanteur qui vient manifestement de l'étage et que la vieille dame ne parvient pas à identifier.<br />
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Jusqu'à ce qu'elle ouvre la porte de la chambre de son fils...<br />
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La DCI Erika Foster est appelée sur place, alors qu'elle dîne chez Isaac Strong, le légiste. Ca tombe bien, ils se rendent ensemble à l'adresse du docteur Gregroy Munro, où il découvre le cadavre d'un homme allongé sur un lit. Il est nu, ses poignets sont attachés à la tête de lit et un sac plastique couvre son visage... Sa mère l'a reconnu avant de se trouver mal : c'est bien son fils.<br />
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Médecin généraliste, connu et apprécié dans son quartier, récemment séparé de son épouse, Gregory Munro est donc mort dans des conditions un peu... particulières. Si la première impression laisse penser à un jeu sexuel qui aurait mal tourné (volontairement ou non, cela reste à déterminer), il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions.<br />
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Car certains détails ne collent pas, d'autres indices pourraient indiquer que le Dr Munro avait quelques secrets, y compris pour sa mère... Et puis, il y a de possibles traces d'infraction... Rapidement, l'idée que Gregory Munro était homosexuel et qu'il a été tué pour cette raison apparaît comme une évidence pour la plupart des enquêteurs. Avec les préjugés qui vont avec...<br />
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Mais Erika Foster n'est pas d'accord avec cette interprétation trop hâtive de la scène de crime. Ou du moins, elle voudrait avoir des éléments plus substantiels pour parvenir à cette conclusion. Quant à son supérieur, le superintendant Marsh, il est déjà dans tous ses états : un crime homophobe dans un quartier résidentiel, c'est le scandale assuré, le buzz, la une partout, le truc ingérable...<br />
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Tandis que Erika et son équipe, Moss et Peterson, qui sont aussi ses deux principaux alliés depuis sont retour délicat à Londres quelques mois auparavant, essaye de dresser le portrait de Gregory Munro et que rien ne colle avec ce qu'ils ont découvert chez lui sur la scène de crime, un événement va changer radicalement la donne.<br />
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Jack Hart est une célébrité. Un animateur de talk show, émue de Jerry Springer, dont l'émission quotidienne à la télé fait régulièrement parlé d'elle. Pardon, "faisait"... Car si Hart va faire la une cette fois, ce n'est pas pour une énième provocation grotesque, mais parce qu'il est mort. On l'a retrouvé sur son lit et, à quelques détails près, cette nouvelle scène de crime ressemble à celle du Dr Munro...<br />
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Pour Marsh, qui ne craignait rien plus que l'effervescence médiatique, voilà la pire des nouvelles ! Une victime médiatique et sulfureuse, une scène de crime choquante, une situation qui va forcément devenir une intarissable source de ragots... Et des paparazzi près à toutes les acrobaties (et accessoirement les délits) pour obtenir un scoop...<br />
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Pour cette nouvelle enquête (qui date un peu, oui, je sais, j'ai plein de retard, mais je rattrape, je rattrape, et la nouvelle nouvelle enquête arrive dans quelques jours), Erika Foster va donc devoir traquer ce qui semble bien être un tueur en série. Oui, mais voilà, s'il y a un mode opératoire apparemment commun, la victimologie, elle, paraît sans queue ni tête.<br />
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Et comme vous l'aurez compris, les conditions particulières de ces crimes ne vont pas faciliter l'enquête, en tout cas la sérénité nécessaire à sa conduite. Une nouvelle fois, Erika Foster doit faire face à des pressions dont elle n'a que faire, mais qui pourraient lui coûter cher. La DCI a des comptes à rendre, même si cela ne correspond pas vraiment à son côté électron libre.<br />
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Dans "La Fille sous la glace", Erika Foster revenait aux affaires après un drame personnel. Sa mutation à Londres s'était passé difficilement, la jeune femme doutait beaucoup d'elle-même, souffrant encore beaucoup d'un traumatisme récent, l'accueil qu'on lui avait réservé n'était guère rassurant et ses méthodes pas franchement appréciées...<br />
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Dans "Oiseau de nuit", la situation a évolué, mais on ne va pas dire qu'elle est encore parfaite. La douleur s'atténue, Erika Foster a retrouvé un certain équilibre dans sa vie personnelle, mais aussi professionnelle. Cela reste fragile, elle est encore assez isolée, comptant ses amis, dont Isaac Strong, sur les doigts d'une main, mais elle a gagné en confiance de la part de ses collègues.<br />
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La relation avec le superintendant Marsh connaît des hauts et des bas. Elle est un flic de terrain, dont le seul objectif est de mener des enquêtes, de découvrir la vérité et d'arrêter les coupables. Tout le reste, la gestion du temps, des médias, des politiques, ce n'est pas son problème, mais celui de Marsh, et ces deux visions sont forcément incompatibles.<br />
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On le voit d'ailleurs très vite dans "Oiseau de nuit", lorsque Erika revient de la maison du Dr Munro. Marsh a lu les premiers rapports et son opinion est déjà faite : crime de haine à caractère homophobe... Mais, derrière ces mots, ce qui semble l'ennuyer plus particulièrement, c'est le ramdam que tout cela va entraîner, et non le sens de ces mots...<br />
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Erika n'est pas sur la même longueur d'ondes. D'abord parce que l'empathie fait partie de son métier, mais aussi parce qu'elle n'est pas du tout persuadée que le meurtre du Dr Munro soit effectivement un crime homophobe... Elle l'a d'ailleurs clairement indiqué dans son, mais cela a visiblement échappé à Marsh lorsqu'il l'a lu (s'il l'a lu)...<br />
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Pour Erika, le temps est une ressource indispensable pour mener à bien une enquête. Mais, ce temps est conditionné au contexte, au bruit que fait l'affaire, aux ordres que reçoit Marsh... A chaque nouveau crime, le délai se réduit, alors qu'au contraire, il faudrait plus de temps pour recouper les indices et les témoignages. Situation insoluble...<br />
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Il va falloir du flegme et de la ténacité pour réussir à découvrir le fin mot de cette affaire. Et aussi quelques risques, mais Erika Foster devient coutumière du fait... Parce que les apparences sont toujours trompeuses, les préjugés aveuglent et les certitudes empêchent de réfléchir. Autant d'obstacles qui nuisent au travail des policiers...<br />
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Entre les deux premières enquêtes de Robert Bryndza, un autre élément change, et du tout au tout : le climat. Dans "La Fille sous la glace", l'hiver glacial jouait un rôle important, pour "Oiseau de nuit", c'est cette canicule interminable et arrivée très tôt cet été-là, qui ne facilitent pas les choses. C'est pénible, épuisant et ça aliment la nervosité...<br />
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Je n'ai pas encore évoqué la construction du roman, il faut le faire, sans trop entrer dans le détail. L'enquête menée par Erika Foster n'est pas le seul fil que l'on suit. Apparaissent des conversations en ligne, dans lesquelles on découvre le pseudo "Night Owl", qui va donner son titre à la version française du roman.<br />
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Et puis, il y a un autre fil narratif que je signale sans en dire plus. Tout simplement parce qu'il arrive sans qu'on sache comment l'interpréter et quel sera sa finalité. Je la laisse donc dans l'ombre, et vous verrez par vous-mêmes comment tout cela s'agencera, comment chaque élément va se placer au coeur de l'intrigue principale.<br />
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J'ai évoqué le titre français, mais le titre original apporte d'autres éléments : "the night stalker". Ce dernier mot, les habitués d'internet le connaissent, puisqu'il est entré dans le jargon, c'est un harceleur. Il y a dans "Oiseau de nuit" une dimension voyeuriste très importante, qu'on pourrait rapprocher de pas mal de films d'Alfred Hitchcock ou Brian de Palma.<br />
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Il y a ce qu'on montre et ce qu'on cache. Il y a ce qu'on perçoit et il y a ce qu'on déniche lorsqu'on observe d'un peu plus près... Lorsque les policiers découvrent la première scène de crime, Erika Foster a l'impression de passer à côté de quelque chose. L'enquête de personnalité ne donne pas grand-chose, en tout cas rien de très pertinent.<br />
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Se pourrait-il que l'assassin connaisse mieux sa victime, ses victimes, que tout leur entourage ou bien ce mode opératoire n'est-il qu'une affreuse mise en scène, chargée de mettre les enquêteurs sur de fausses pistes, tout en choquant les bien-pensants ? Oui, il y a ce qu'on voit, ce qu'on nous donne à voir et la vérité... Et tout ça ne coïncide pas toujours...<br />
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Dernier point que je voulais aborder, c'est une espèce de petit jeu à l'intérieur du livre, un clin d'oeil que Robert Bryndza fait à son personnage, Erika Foster, en la mettant en scène dans un jeu de miroirs taquin. Isaac Strong, le médecin légiste, sans doute le meilleur ami d'Erika Foster, peut-être le seul, en fait, vit en couple avec un écrivain, Stephen Linley.<br />
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Ce dernier est l'auteur d'une série de polar mettant en scène le DCI Bartholomew, "un anti-héros, un génie imparfait", dit Stephen, un personnage "plus complexe et plus intéressant" que Erika Foster, et vlan ! Autour de cette série dans la série, se met en place un parallèle entre Foster et Bartholomew, que semble surtout séparer le mépris avec lequel Stephen considère Erika...<br />
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En retour, les livres de Linley font l'objet de critiques acerbes, en particulier sur son écriture apparemment très complaisante envers la violence. Des descriptions détaillées de ce que subissent les victimes, comme s'il y prenait un certain plaisir... Re-vlan, mais dans l'autre sens, cette fois, comme un retour de manivelle...<br />
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Le jeu se poursuit avec les titres des romans de Linley, qui font penser à ceux de Bryndza (vous me suivez toujours ?) en une espèce de mise en abyme qui peut, de prime abord, paraître anecdotique, mais va jouer un rôle dans cette histoire, en particulier dans l'influence que cela va avoir sur le lecteur. Cet aspect-là m'a amusé et m'a planté, aussi !<br />
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"Oiseau de nuit" est un polar sur la vanité, qui nous anime tous dans notre société de l'image, où chacun peut, grâce aux réseaux sociaux, se mettre en avant, avec plus ou moins de succès. C'est une réflexion sur la notoriété, parfois trompeuse ou construite sur des bases malsaines, et sur le quart d'heure de gloire warholien.<br />
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C'est une deuxième enquête qui confirme que cette série est à suivre, pour qui aime le polar anglais. Robert Bryndza ne révolutionne pas le genre, mais il trace son sillon à travers ce personnage attachant d'Erika Foster, si douée pour débusquer les meurtriers, mais si décalée dans ce monde, esseulée et peinant à trouver sa place.<br />
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Confirmation de tout cela dans quelques jours, puisque les éditions Belfond annoncent la parution de la troisième enquête de la DCI Erika Foster pour le début du mois de septembre. Cela va s'appeler <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/liquide-inflammable/9782714479341">"Liquide inflammable"</a> et la quatrième de couverture laisse envisager une nouvelle histoire difficile, dans laquelle Erika Foster va s'impliquer... Peut-être trop... Affaire à suivre !Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-43223966252717230952019-08-28T22:16:00.004+02:002019-09-25T23:48:24.114+02:00"On ne peut faire confiance à personne. Ils racontent tous des bobards, tous autant qu'ils sont. Il y a Eux et il y a Nous. Eux, ils sont là pour Nous embobiner et Nous faire du mal. Ceux qui ne sont pas Nous sont contre Nous".Après le sud de l'Irlande, le nord de l'île, après le comté de Cork, la province d'Ulster, après Cobh, Belfast... On passe la frontière pour un polar très différent de ce que l'on a vu avec <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/08/cnoc-na-daoine-liath-la-colline-des.html">"Katie Maguire"</a>. Mais une enquête tendue, douloureuse, poignante, beaucoup plus intimiste, avec les secrets et les non-dits du passé qui resurgissent, tandis que le présent est loin d'être stable et tranquille. Première enquête de la DCI Serena Flanagan, "Ceux que nous avons abandonnés", de Stuart Neville (en grand format aux éditions Rivages ; traduction de Fabienne Duvigneau) est un roman riche en émotion, une tragédie lancée de manière inexorable dont on redoute la fin, dont on redoute aussi le fin mot... Une histoire portée par deux duos : le premier est féminin, avec Serena Fmanagan et la psy Paula Cunningham ; le second est masculin, les frères Devine, fratrie fusionnelle, abîmée, mais aussi terriblement ambiguë...<br />
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<a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/sites/rivages/files/styles/book/public/catalog/cover-images/9782743647438.jpg?itok=p5EqBBAv" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="319" data-original-width="220" height="320" src="https://www.payot-rivages.fr/rivages/sites/rivages/files/styles/book/public/catalog/cover-images/9782743647438.jpg?itok=p5EqBBAv" width="220" /></a></div>
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Paula Cunningham est psy et travaille pour le service d'insertion et de probation à Belfast. Elle est même l'un des meilleurs éléments de ce service, ce qui explique qu'on lui confie un dossier dont elle se serait bien passée si elle avait eu le choix : s'occuper de Ciaran (prononcez Kironne) Devine, qui doit être libéré après 7 années derrière les barreaux.<br />
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Les années ont passé, mais l'affaire défraie encore et toujours la chronique, au point que les journaux font leur une sur cette libération. Il faut dire que le cas de Ciaran Devine est loin d'être ordinaire. Le genre de fait divers dont le public parle longtemps et qui alimente les chroniques judiciaires et les émissions spécialisées.<br />
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Ciaran n'avait que 12 ans quand il a été condamné pour avoir tué son beau-père. Il a avoué son crime lors d'un interrogatoire mené à l'époque par Serena Flanagan et ce sont en grande partie ces aveux qui ont motivé la condamnation de ce garçon frêle, timide, perdu... Absolument pas le profil d'un assassin, même par vengeance. Même pour faire payer des maltraitances.<br />
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Âgé de 19 ans désormais, il va retrouver la vie à l'extérieur, une existence dont il ignore tout, ou à peu près, et qui va donc nécessiter un encadrement. Il est encore trop tôt pour confier Ciaran à son frère aîné, Thomas, lui aussi condamné, mais à une peine moins lourde et qui est déjà sorti de prison. Il est surtout trop tôt pour ne pas garder un oeil attentif sur lui.<br />
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Paula Cunningham, qui fait ce boulot depuis 12 ans, sait parfaitement que le retour au monde réel est loin d'être simple, y compris pour des adultes. Mais pour Ciaran, elle craint vraiment ce retour dans la société, car le garçon n'a pas pu acquérir ces dernières années la maturité nécessaire pour l'appréhender en adulte et se réinsérer aisément.<br />
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Ajoutons à cela que la justice a refusé aux deux frères le droit de changer d'identité pour reprendre leur vie dans l'anonymat. Il est donc à craindre que les journalistes traquent Ciaran un moment, ce qui n'arrangera sûrement pas son retour à l'air libre. Et risque de copieusement énerver Thomas, qui pourrait se dresser en protecteur de son petit frère.<br />
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Bref, cette mission de confiance est une galère sans nom pour Paula Cunningham, qui va essayer de s'en acquitter de son mieux, évidemment, mais avec une petite angoisse. Une réelle inquiétude pour ce môme, lourdement puni. Sa première mission sera d'aller le chercher à la prison, de régler les questions administratives et de le conduire au foyer où il passera sa première nuit d'homme libre.<br />
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Au même moment, Serena Flanagan fait son retour au commissariat de Lisburn, au sud-ouest de Belfast. Retour, car elle a dû quitter ses fonctions pendant plusieurs mois pour soigner un cancer du sein. Après une radiothérapie, elle est bien décidée à reprendre son poste au plus vite et à retrouver le stress et l'excitation du quotidien de flic.<br />
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Si elle a eu le temps de se faire (mais pas de s'habituer) au regard des autres, à cette pitié et cette bonne volonté pleine de maladresse que l'on réserve aux malades, ce qu'elle va découvrir en arrivant à son bureau va lui donner un méchant coup au moral : jusqu'à nouvel ordre, elle est consignée à son bureau pour s'occuper exclusivement de la paperasse...<br />
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Pourtant, une visite va se charger de remettre illico Serena dans le grand bain : Paula Cunningham a souhaité rencontrer la DCI (Detective Chief Inspector) pour parler avec elle de Ciaran Devine. La psy sait que c'est Serena qui a obtenu les aveux de l'enfant et que les circonstances de cet interrogatoire ont été particulières.<br />
<br />
Et c'est une raison supplémentaire pour elle de s'adresser à Serena. Car Paula doute. Elle doute que les événements se soient déroulés exactement comme l'a avoué Ciaran. Elle doute qu'il soit un assassin, elle doute que toute la vérité ait été faite sur ce drame. Et elle voudrait avoir l'avis de l'inspectrice-chef sur ces questions...<br />
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D'emblée, va donc se poser la question de la vérité. Une quête qui va devenir quasiment obsessionnelle pour ces femmes, mas qui va aussi se révéler dangereuse. Non, tout n'a pas été révélé dans cette affaire, et la vérité pourrait être bien plus insupportable et douloureuse que ce qui a été raconté des années auparavant...<br />
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D'un côté, deux femmes. D'abord Serena, la policière, fragilisée par la maladie, désarçonnée, ayant besoin de retrouver sa place, son autorité, son rythme de vie et de travail. Depuis les aveux de Ciaran, tout s'est compliqué dans son existence, aussi bien sur le plan privé que professionnel et elle peine à remettre tout en ordre.<br />
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Ensuite Paula, la psy, une femme désespérément seule, qui s'accroche à un boulot auquel elle ne croit plus vraiment, si tant est qu'elle y ait jamais cru... Le doute majeur qui l'habite, c'est de se dire qu'elle n'a jamais été utile à personne en 12 années au service de probation. Et là, Ciaran Devine, c'est un énorme morceau. Mais un gamin terriblement touchant, en qui elle ne peut voir un assassin.<br />
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Et puis, il y a les frères Devine. Car, s'ils sont séparés par la force des choses depuis des années lorsque s'ouvre le roman, ils sont indissociables l'un de l'autre, inséparables en temps normal. Un duo fusionnel, au point d'en devenir ambigu, et le lecteur s'en rend compte dès le prologue, avec une scène très particulière, qui met d'emblée mal à l'aise.<br />
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La relation entre Thomas, l'aîné, et Ciaran, le cadet, est au coeur du roman de Stuart Neville, c'est sans doute là que réside la vérité, que Paula, et Serena dans son sillage, vont se jurer de découvrir. Mais comment entrer dans cette intimité fraternelle, quand on n'appartient pas à la famille, quand les frères voient le monde entier comme un ennemi potentiel. Nous et Eux...<br />
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Thomas a quelques années de plus que Ciaran, mais ce n'est pas tout. Il est plus grand, plus fort, plus beau, plus quasiment tout que Ciaran, qu'il protège avec abnégation et non sans une certaine brutalité, quelquefois. Ciaran, c'est un oisillon tombé du nid, timide, largué, introverti, effacé surtout lorsque Thomas est dans les parages.<br />
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Petit à petit, on s'interroge sur les rôles respectifs des deux frères, sur l'influence de l'aîné sur le cadet, sur ce qui a pu se passer toutes ces années auparavant... Il semble si peu probable, même pour se venger, même pour se protéger, que Ciaran ait tué, ou ait agi seul pour parvenir à ce résultat. Bref, le lecteur qui observe ces deux personnages, est gagné par le même doute que Paula et Serena...<br />
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Je ne connaissais pas Stuart Neville avant d'attaquer la lecture de "Ceux que nous avons abandonnés" (quel titre !), mais j'ai découvert un auteur de polar de grande qualité. Je ne lis pas forcément de romans policier ou de thrillers pour y trouver des émotions aussi fortes que lors de cette lecture. Je ne parle pas du suspense, même s'il existe évidemment dans le livre, mais d'autre chose.<br />
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Comment ne pas être touché par Ciaran ? Oui, il a tué, ou plutôt il a été condamné pour cela, mais c'est vraiment un môme déboussolé, sans repère autre que son frère aîné, remis en liberté dans un monde où tout est trop grand, trop difficile pour lui. C'est un inadapté, mais plus à ranger dans la catégorie proie que prédateur...<br />
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Et forcément, la quête de vérité dans laquelle vont se lancer Serena et Paula (qui, sans être un personnage secondaire, est tout de même en retrait par rapport à la policière) devient rapidement la nôtre. Et comme elles, on se heurte aux murailles dressées entre eux et le reste du monde par les énigmatiques frères Devine...<br />
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"Ceux que nous avons abandonnés" est véritablement un roman sur la vérité, bien plus que sur la justice, par exemple. La justice ne découlera, si l'on démontre qu'elle a mal été rendue sept ans plus tôt, de la vérité et de rien d'autre. Reste à savoir quelle vérité on recherche : Ciaran a-t-il caché des choses ou carrément travesti la réalité ? L'a-t-il fait sciemment ou a-t-il été influencé ?<br />
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En parallèle de l'intrigue principale, on va découvrir ce qui s'est passé en mars 2007, par le biais de chapitres en flash-back. Le premier arrive très tôt dans le roman, mais là encore, vous vous doutez bien qu'on ne nous dit pas tout, qu'on nous montre un échantillon de ce qui s'est passé à ce moment-là et que, là aussi, il faudra creuser pour appréhender l'ensemble des faits ayant abouti aux aveux.<br />
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Avec une notable différence : si la vérité du crime, qu'il s'agisse de la version officielle ou d'un autre déroulement des faits, n'est connue que des deux frères, il n'en va pas de même pour cette partie interrogatoire. Ciaran est toujours au coeur de cette partie, mais Thomas en est absent, remplacé par Serena Flanagan...<br />
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Il y a donc aussi des secrets, des non-dits, peut-être des mensonges, même, qui unissent la DCI au jeune homme. Sans doute faudra-t-il également les percer, les révéler afin de savoir si la condamnation de Ciaran était juste. Si Serena a bien fait son boulot... Autant dire que, dans sa position actuelle, fragile et instable, la DCI Flanagan est sur la sellette...<br />
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Dès le début du roman, on sent qu'on plonge dans une histoire très noire, très douloureuse. Et l'on a l'espoir que l'intrigue puisse mener à la lumière, à la résilience. Pourtant, assez vite, les choses se compliquent et on commence à se dire que "Ceux que nous avons abandonnés" a tout d'une tragédie. Que les événements de 2007 sont un premier acte, que la libération de Ciaran ouvre le deuxième...<br />
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Il y a dans la mécanique installée par Stuart Neville quelque chose d'inexorable, on voudrait mettre sur pause, dire stop, chercher l'aiguillage qui pourrait conduire les personnages dans une autre direction, mais c'est évidemment impossible : nous sommes des lecteurs, nous ne pouvons influer sur ce que nous lisons...<br />
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Alors, on va droit à ce qu'on redoute. On espère se tromper, se dire que la raison peut l'emporter finalement. Le dénouement de ce roman, en plus de suivre un mouvement crescendo, qu'il s'agisse du rythme ou de la montée de la violence, est haletant et bouleversant. Oui, ce dernier mot est fort, mais j'ai été sérieusement remué par cette lecture.<br />
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Par la beauté vénéneuse de tout cela, par ce qu'on apprend, ce qu'on découvre, à tous les niveaux, par la solitude qui imprègne toute cette histoire, par Ciaran, encore et toujours lui, magnifique personnage, parce qu'il attire la compassion, l'empathie, et ce, sans rien faire pour cela. Simplement parce qu'il incarne un malheur dont on ne peut que deviner les contours...<br />
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Stuart Neville met en scène des personnages proche de la rupture, qui s'appuient les uns sur les autres pour ne pas tomber. Mais que se passe-t-il si l'équilibre se rompt ? On parle de polar pour qualifier "Ceux que nous avons abandonnés", mais il ne serait pas déraisonnable de le qualifier de thriller psychologique, tant les liens entre les quatre principaux personnages sous-tendent tout le reste.<br />
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Oui, il y a quelque chose de beau, presque de poétique, en particulier dans cette dernière partie, qui va se dérouler dans un cadre bien précis, donnant à la tragédie en cours une dimension quasiment romantique. Ce final est très visuel, troublant par la violence qui s'en dégage, mais pas uniquement à cause de cela.<br />
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J'ai donc découvert Stuart Neville avec ce roman et cela m'a donné envie de poursuivre l'aventure. Non seulement avec Serena Flanagan (une deuxième enquête est déjà publié en anglais, une troisième est semble-t-il programmée), mais aussi avec l'auteur, qui a signé d'autres séries, mais aussi un one-shot sur un sujet très différent, comme <a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/ratlines-9782743636661">"Ratlines"</a>.<br />
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Mais aucune de ces futures lectures, qu'elles soient proches ou plus lointaines, ne pourront effacer le souvenir de Ciaran, qui pour moi est le personnage majeur de "Ceux que nous avons abandonnés". Parce que son histoire est chaotique avant même qu'on la connaisse toute entière. "La vérité est ce qu'il y a de mieux pour tout le monde", lit-on dans le roman. En est-on si sûr ?Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6544713769324079208.post-9979143973378368782019-08-28T16:01:00.002+02:002019-08-28T16:01:59.863+02:00"Cnoc na Daoine Liath, la Colline des Êtres gris".Je suis content de ne pas devoir prononcer ce titre, quant à la traduction, j'ai reprise celle du roman. C'est bien en Irlande que nous allons nous rendre pour le billet du jour, dans une petite ville portuaire du sud de l'île, Cobh. Un port dont le nom est inscrit dans l'histoire dramatique du XXe siècle et qui devient ici le cadre d'une histoire macabre possédant une dimension surnaturelle... Graham Masterton, auteur écossais, a vécu un temps à Cork, le chef-lieu du comté dans lequel se trouve Cobh, et c'est à ce moment qu'il a imaginé cette intrigue et le personnage qui allait devoir s'en charger. Ce personnage s'appelle Katie Maguire (qui est également le titre de ce roman, paru chez Bragelonne, réédité en poche l'an passé, dans la traduction de François Truchaud) et elle est la première femme à atteindre le grade de commissaire au sein de la police irlandaise. Une professionnelle compétente et respectée, dont la vie privée s'avère nettement plus chaotique. La voilà face à une enquête très étrange, qui aura bien des répercussions sur son existence...<br />
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<a href="https://www.bragelonne.fr/media/cache/cat_w272/20/9791028105020.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="441" data-original-width="272" height="320" src="https://www.bragelonne.fr/media/cache/cat_w272/20/9791028105020.png" width="197" /></a></div>
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Près de Cobh, sur une exploitation agricole, des fermiers font une découverte effroyable en creusant des fondations pour un nouveau bâtiment : des os. Des os humains, ça en a tout l'air, et en grande quantité. Très grande quantité, même... Manifestement, ce sont plusieurs personnes qu'on a enterrées là, et ce n'était certainement pas l'emplacement officiel d'un cimetière.<br />
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Pourrait-il s'agir d'un charnier de victimes de l'IRA, à qui on pense toujours en premier dans cette région quand il y a des morts ? Pour John Meagher, revenu des Etats-Unis un an plus tôt pour reprendre la ferme familial, sans grand succès, il faut le reconnaître, le coup est dur à encaisser. Et il ne voit qu'une solution : appeler la Garda (en fait Garda Siochana), la police irlandaise.<br />
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Katie Maguire, première femme commissaire au sein de la Garda, arrive sur les lieux sous une pluie battante. Mais elle oublie bien vite la météo en découvrant une scène comme elle n'en a encore jamais vue : une véritable fosse commune remplie d'ossements ! Voilà qui promet une enquête difficile et une sacrée pression pour la résoudre...<br />
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Les Meagher vivent là depuis près de 70 ans et John imagine mal son père être au courant de cette sinistre histoire. Encore moins y avoir participé... Mais cette déclaration ne prouve rien, à ce stade, Katie Maguire ne veut rien écarter. D'autant qu'il paraît peut probable qu'aucune des personnes enterrées là n'ait été déclarée disparue... Il y a du pain sur la planche.<br />
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Mais l'affaire prend un tour encore plus bizarre quand les policiers découvrent un élément effroyable : un fémur percé à l'une de ses extrémités pour y accrocher une espèce de poupée de chiffon. Et la poupée elle-même est criblée d'hameçons et de clous... Vérification faite, il en va de même pour les autres fémurs retrouvés sur place...<br />
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Au total, après une journée de fouilles, on dénombre onze squelettes et tous ont au moins un fémur orné de la mystérieuse et effrayante poupée. Avant même que les restes soient autopsiés, l'esprit de Katie Maguire tourne pour chercher des réponses. Quel être assez ignoble parmi les criminels connus pourrait être à l'origine de ce carnage ?<br />
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L'autopsie va parfaitement remplir son rôle : donner des informations. Oui, mais voilà, à part accroître le sentiment d'horreur devant ce qu'on subit les victimes, cela ne fait que compliquer encore les choses. Ou peut-être les simplifier, allez savoir. Car il semble que ces os aient dormi là pendant des décennies. Sans doute 80 ans, voire plus...<br />
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Pourtant, au même moment, un événement va changer la donne. Une touriste américaine venue passer des vacances en Irlande, est enlevée alors qu'elle faisait du stop. Elle se retrouve séquestrée quelque part par son ravisseur qui lui inflige un bien curieux traitement. Et possède surtout une étrange poupée criblée d'hameçons et de clous...<br />
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La ville de Cobh, qui compte aujourd'hui moins de 15000 habitants, possède pourtant une riche histoire, en particulier grâce à son activité portuaire. Dès le XIXe, c'est une étape incontournable entre l'Angleterre et l'Amérique, alors que les navires à vapeur sont en plein essor. Quelques décennies plus tard, Cobh va même connaître une renommée... bien malgré elle !<br />
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En effet, en avril 1912, le Titanic fait escale à Queenstown (rebaptisée Cobh en 1922, après l'indépendance de la République d'Irlande) au lendemain de son départ de Southampton pour sa traversée inaugurale. C'est le dernier arrêt prévu avant New York, où le bateau, comme chacun le sait, n'arrivera jamais.<br />
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Trois ans plus tard, c'est à Queenstown que le Lusitania devait accoster quand il a été torpillé par un sous-marin allemand et envoyé par le fond. Lorsqu'on visite Cobh de nos jours, cette histoire tragique est visible dans la ville à travers des monuments rappelant ces drames, le plus spectaculaire étant incontestablement celui rappelant le torpillage du Lusitania...<br />
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<a href="https://live.staticflickr.com/7230/7349208224_6ba7333de9_b.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="534" data-original-width="800" height="266" src="https://live.staticflickr.com/7230/7349208224_6ba7333de9_b.jpg" width="400" /></a></div>
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Tiens, il fait du remplissage, doivent se dire certains, d'autres soupirent en pensant que, pfff, la culture générale, c'est pas pour ça qu'on lit... Je rassure les uns et les autres, tout cela n'est pas anodin, ce sont des élément que l'on trouve dans "Katie Maguire" et qui ne sont pas juste un contexte ou un décor. C'est aussi en partie là que l'inspiration de Graham Masterton est venue.<br />
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Eh oui, ce n'est pas juste un roman écrit en Irlande, c'est un roman irlandais, la nuance est de taille. Vous le verrez, et le titre de ce billet en est d'ailleurs une preuve, la culture irlandaise, mais aussi l'histoire de l'île, font partie intégrante de ce thriller. Et c'est certainement une manière d'hommage que le romancier rend ainsi au comté de Cork, où il a vécu au début des années 2000.<br />
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Et je dois dire que l'auteur de <a href="https://www.bragelonne.fr/catalogue/9782820501868-manitou/">"Manitou"</a> propose avec "Katie Maguire" un roman qui réserve bien des surprises. Les crimes atroces découverts dans le premier chapitre laissent présager d'un roman d'horreur, dont Graham Masterton s'est fait une spécialité. Dès l'apparition des squelettes et les constations médico-légales, on se prépare au pire...<br />
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Et voilà que, petit à petit, alors que Katie Maguire doit mener une enquête au combien délicate, apparaissent de nouveaux éléments qui laissent penser qu'il ne s'agit pas "juste" d'un thriller ou "juste" d'un roman d'horreur, mais qu'il pourrait y avoir une dimension fantastique très importante... Graham Masterton joue avec nous, et ce n'est pas désagréable d'être dans le doute.<br />
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En n'affichant pas directement ses intentions, le romancier installe un climat particulier, angoissant, à cause duquel le lecteur, même en possédant des informations qu'ignorent les enquêteurs, s'interroge : et si Katie Maguire recherchait un tueur aux caractéristiques extraordinaires, surnaturelles, capable de tuer à près d'un siècle d'écart ?<br />
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Le cocktail est appétissant, on sait de quoi Graham Masterton est capable, en particulier lorsqu'il nous plonge dans des descriptions effroyables, mais aussi lorsqu'il peut, et je reviens à "Manitou", son premier roman et son oeuvre la plus célèbre, déchaîner des forces incontrôlables, aux effets effroyablement spectaculaires.<br />
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Alors, où ranger "Katie Maguire" ? Ce n'est pas dans ce billet que vous l'apprendrez, et pour cause : c'est l'un des enjeux de ce roman, qui reste incertain jusqu'au dénouement, jusqu'à ce que la réponse nous soit donnée à travers les événements relatés. Mais cette ambiguïté, habilement entretenue, est un des éléments forts de cette lecture.<br />
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Et puis, il y a Katie Maguire elle-même. Je le répète, elle n'est pas n'importe qui : pour la première fois, une femme est devenue commissaire au sein de la Garda, ça en impose. On pourrait alors s'attendre à ce qu'elle soit mise à rude épreuve, qu'elle peine dans son boulot, comme <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2019/08/rien-negale-lintensite-du-moment-ou-lon.html">Renée Ballard</a>, évoquée précédemment, ou comme <a href="https://appuyezsurlatouchelecture.blogspot.com/2018/02/daccord-andrea-etait-imparfaite-elle.html">Erika Foster</a>, dont nous reparlerons bientôt...<br />
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Mais ce n'est pas le cas du tout : la commissaire Katie Maguire est respectée et fait l'unanimité au sein de la Garda. Si quelqu'un doit se charger de l'affaire des squelettes aux poupées, c'est elle et personne d'autre et tous ces subalternes vont se mobiliser pour l'aider dans cette tâche qui se complique minute après minute...<br />
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Katie Maguire n'est pas seulement compétente, c'est aussi un bourreau de travail qui ne compte pas ses heures et qui vit pour son métier, 24h sur 24, même lorsqu'elle dort. Et, s'il faut chercher un défaut à la cuirasse de ce personnage, c'est sans doute là qu'il faut chercher : non pas dans sa vie professionnelle, mais dans sa vie privée.<br />
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Et là, c'est beaucoup moins solide. L'image impassible et pleine d'une autorité naturelle qu'elle affiche dans son milieu professionnelle se lézarde. Je ne vais pas tout dévoiler ici des fragilités de Katie Maguire, mais parler de l'élément qui tient la place la plus importante dans le roman : en l'occurrence son époux, Paul.<br />
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Comment imaginer couple plus mal assorti ? Elle, la policière modèle, lui, le minable escroc, toujours entre deux coups foireux qui lui rapporteront surtout des ennuis... Être commissaire de la Garda doit être un métier stressant, mais c'est encore plus le cas quand on redoute, au quotidien, de retrouver le nom de son époux dans un des dossiers à traiter...<br />
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Oui, Paul est un problème, pour Katie Maguire, car il pourrait lui coûter sa carrière un jour ou l'autre, parce qu'il se sera fait prendre la main dans le sac... Entre les deux époux, la tension est à son comble, et on a l'impression qu'ils s'évitent le plus possible : Katie rentre de plus en plus tard à la maison, et Paul vaque à ses douteuses occupations sans que la commissaire sache où le trouver.<br />
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Les histoires de familles ou privées des flics des polars (encore plus quand ce sont des séries), cela ne me fascine pas, ça m'agace même quelquefois. C'est quelque chose qui peut vite parasiter les intrigues et casser le rythme. Bref, c'est souvent, je trouve, un peu artificiel et dispensable. Mais pas ici, car la relation entre Katie et Paul va devenir un élément important du récit.<br />
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Il y a une information que je n'ai pas encore donnée, et c'est le moment de la livrer. "Katie Maguire" est le premier tome d'une série. Et pourtant, ce qui se déroule dans ce livre pourrait faire penser à un one-shot tant la situation du personnage principal évolue entre le début et la fin. C'est même plus qu'une évolution, c'est un... nan, pas une révolution, ça va, j'allais dire un bouleversement.<br />
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Vous allez découvrir au fil du récit que ce premier tome ressemble en fait à ce qu'on pourrait appeler un épisode pilote, pour reprendre une expression télévisuelle. On pose un cadre, mais on y installe une histoire qui pourrait tenir seule debout. Et ensuite, on avisera. Et pour la suite, eh bien le contexte dans lequel évoluera Katie Maguire aura beaucoup changé...<br />
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Ce nouveau contexte, on ne le connaît pas, nous, lecteurs français, à moins d'être parfaitement bilingues et capables de lire les romans en version originale. On ne le connaît pas, car "Katie Maguire" est le seul volume de cette série (qui compte actuellement près d'une dizaine de titres) qui a été traduit en français...<br />
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Publié en 2003 en anglais, traduit et édité en France par le Fleuve Noir, "Katie Maguire" a ensuite été repris par Bragelonne, comme une grande partie du catalogue des titres de Graham Masterton. Le titre vient de reparaître l'an passé dans une éditions de poche et en numérique. Mais il n'est apparemment pas prévu de faire traduire et de nous proposer les enquêtes suivantes.<br />
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C'est vraiment dommage, même si je peux tout à fait comprendre les raisons avancées par Bragelonne. Dommage, car ce premier volet est vraiment bien fichu et prometteur et le personnage de Katie Maguire est intéressant à suivre. on voudrait découvrir comment il va évoluer, surtout après les événements qui interviennent au cours de cette enquête.<br />
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On verra prochainement (si tout va bien) que le romancier écossais est désormais publié par une jeune maison belge, pour une autre série policière, celle-là clairement fantastique, il y aurait donc peut-être quelque chose à creuser pour nous permettre, à nous, pauvres lecteurs incultes qui n'entravons que dalle à l'anglais écrit, de poursuivre la découverte des enquêtes de Katie Maguire...Joyeux-drillehttp://www.blogger.com/profile/01098866609398269881noreply@blogger.com0