mercredi 30 avril 2014

"Elle comprit (...) le plaisir dont elle se privait par un stupide caprice. Etre civilisée n'avait aucun sens".

Attention, Objet Littéraire Non Identifié ! Bien sûr, en lisant la quatrième de couverture, je ne m'attendait pas à une histoire calme et posée, mais là, ce sont 200 pages bien déjantées et menées à un rythme infernal qui se sont retrouvées entre mes mains. Cet OLNI nous arrive d'Argentine, il est signé par un jeune romancier né en 1980 et il nous emmène dans un pays qui ressemble, par bien des points, à l'Argentine ravagée par la crise au début des années 2000, mais sans doute pas seulement. Attachez vos ceintures, nous partons à "Berazachussetts", en compagnie de Leandro Avalos Blacha (roman disponible en poche chez Folio SF) pour une histoire où c'est une zombie qui est sans doute le personnage le plus normal du livre, c'est dire !





Dora, Milka, Beatriz et Susana sont quatre charmantes dames, toutes retraitées après avoir travaillé de longues années comme institutrices. Aujourd'hui, elles vivent ensemble dans un appartement dont Dora est la propriétaire, situé à Berazachussetts. Elles y coulent, malgré des personnalités assez différentes, des jours paisibles, si ce n'est heureux.

Un jour, alors qu'elles reviennent du bois, elles tombent sur une femme, allongée sur le bas-côté du chemin. Si les quatre amies sont surprises, ce n'est pas tant de voir une femme à cet endroit, un violeur rôde dans le coin, tout le monde sait ça, et ça n'a pas l'air de les affoler plus que cela, mais à cause du physique de cette nouvelle victime potentielle...

Et, pardonnez-moi, mais on peut les comprendre : la femme est torse nu, simplement vêtu de leggings couleur chair et de rangers. Elle est d'une obésité extrême et arbore des cheveux très courts et teints en fuchsia... Pas franchement le genre de personnes qu'on croise habituellement dans ce coin-là.

N'écoutant que leur bon coeur, les amies prennent en charge la femme dans les vapes et la ramènent jusqu'à leur voiture, puis chez elle... La femme est revenue à elle entre temps et elle commence à faire connaissance avec ses "sauveuses", et réciproquement. En omettant toutefois un détail, un rien : Trash, puisque c'est ainsi qu'on l'appelle, n'est pas seulement punk et ex-membre d'un groupe de métal, mais elle est aussi... un zombie...

Elle n'a pas été violée, elle vient juste de décider de changer radicalement de vie en cessant de manger de la viande humaine, son péché mignon et le principal ingrédient de son régime alimentaire jusque-là, qui semble être la cause de son embonpoint prononcé... D'où la faiblesse passagère dans laquelle l'ont trouvée Dora, Milka, Beatriz et Susana.

A ce point de l'histoire, on se dit que les ex-enseignantes sont bien ingénues et que tout cela va finir en carnage... Et c'est vrai, dans les deux cas. Sauf que le carnage ne va pas du tout ressembler à ce que l'on imagine. L'irruption de Trash dans la vie de ces quatre femmes va agir comme un déclic. Oh, pas celui de l'interrupteur qui allume la lampe à côté de vous, non, plutôt celui du détonateur qui déclenche la bombe...

Sans rien faire, ou presque, Trash va faire voler en éclats la belle tranquillité de ses nouvelles amies et, de fil en aiguille, ou plutôt, comme un domino fait tomber toute une file de ses congénères, les événements vont se précipiter. Pour le pire, et pas du tout pour le meilleur... Une folie contagieuse va se répandre dans tout Berazachussetts, utilisant comme vecteur, la bêtise et la méchanceté d'une population en totale perte de repères...

Tandis que Suzana, hantée (au propre comme au figuré) par son défunt mari, décide de se débarrasser de lui une bonne fois pour toute, Dora tombe amoureuse et séduit Francisco Saavedra, ancien maire de Berazachussetts et toujours l'homme le plus riche et influent de la ville. Enfin, séduire n'est pas le bon mot, mettre le grappin dessus serait plus juste...

Cette relation torride, inespéré pour une femme dont la jeunesse est loin derrière elle, comme pour lui, qui peut avoir dans son lit les plus belles femmes de la région rien qu'en claquant des doigts, va pourtant prendre comme une excellente mayonnaise. Et, dans le même temps, sonner le glas de l'amitié entre Dora et ses colocataires...

En un clin d'oeil (langoureux, mais quand même), ses amies vont perdre tout intérêt pour Dora qui prépare déjà son entrée (en fanfare, enfin, en cumbia, plutôt) dans la Haute... Et comme Dora est la propriétaire de leur appartement... Chassées, les amies ne vont pas toutes réagir de la même façon : Beatriz est fataliste ; Milka va se révolter...

Quant à Saavedra, il se fait du mouron à cause des apparitions de son ex-épouse, pourtant morte, il en est certain. Ses fils, dont il ne se soucie pas du tout, font les 400 coups dans la ville, avec la bénédiction paternelle et, croyez-moi, leurs jeux sont d'un goût exquis, le genre bidonnant pour eux, franchement glauque, vu de l'extérieur.

Le point commun des mâles de la famille Saavedra ? Le mépris pour les autres, et surtout si ces autres sont issus des couches les plus basses de la société. Même les classes moyennes, qui essayent de survivre comme elles peuvent, sont allègrement dédaignées. Pour Francisco, les quartiers éloignés de son immense demeure sont des parcs d'attractions ou des zoos, dans lesquels il aime à aller flâner, en se faisant passer pour un pauvre, lui aussi. L'éclate totale !

Toute la galerie de personnages de "Berazachussetts" est aussi corquignolesque que ceux dont je viens de parler. Oh, une dernière, tout de même, parce que celle-là vaut aussi le déplacement : Periquita. Une jeune fille, infirme. Elle a perdu l'usage de ses jambes dans un accident terrible... Depuis, elle est clouée dans un fauteuil. Mais ne vous y fiez pas, c'est une peste, puissance mille ! Et Trash va l'apprendre à ses dépens, dernier caprice de cette insupportable gamine...

Et Trash, dans tout ça ? Inconsciente de ce qu'elle a, bien malgré elle, déclenché, elle déambule dans ce Berazachussetts pris de folie furieuse, retrouvant, comme l'indique le titre de ce billet, son instinct de zombie. Pourtant, et malgré les comportements inhérents à son état, elle semble être un îlot de normalité au milieu d'un océan d'hystérie.

Oui, je vous ai tracé brièvement les lignes de ce roman indescriptible, mais je ne vais pas en dire plus sur l'enchaînement ni sur les événement qui vont s'enchaîner jusqu'au chaos le plus total. "Berazachussetts" est un roman assez court, mais qui ne dételle jamais, le lecteur en perd le souffle. Pas de chapitres matérialisés, simplement des interlignes pour séparer les scènes.

A aucun moment, on n'a de date et les toponymes sont tous aussi étranges que le titre, Berazachussetts. Pourtant, quand on se penche sur ces différents lieux, tous sont en fait des mots-valises qui hybrident un lieu dans le monde (pour le titre, on reconnaît le Massachussetts) et un endroit situé dans la région de Buenos Aires (la ville de Berazategui, chef-lieu d'un des 24 partidos de la province de Buenos Aires).

Je me suis demandé pourquoi ce choix, qui permet, il est vrai, de reconnaître le lieu de l'action tout en préservant le côté fantastique/SF du roman. Mais, le fait de marier des sites argentins avec des sites du monde entier, ne serait-ce pas une façon de dire que tout ce qui nous est raconté là, grossit, caricaturé, mais pas dénaturé, pourrait aussi bien se passer ailleurs ?

Et de quoi parle-t-on, au fait ? D'une Argentine en pleine déréliction après la crise économique intervenue au tournant du siècle. Un fossé immense s'est creusé entre une élite richissime et déconnectée des réalités, et des classes moyennes qui régressent... Quant aux franges les plus pauvres de la société, eh bien... C'est comme si elle n'existaient plus. Des morts-vivants, des zombies, quoi.

Dans le livre, Leandro Alvaro Blacha nous emmène aussi bien dans le quartier de Dora et de ses amies, ces fameuses classes moyennes qui font ce qu'elles peuvent, dans ces countries, ces grandes demeures où vivent les plus riches dans un luxe indécent ou dans des bidonvilles sordides, où la population survit comme elle peut.

Or, dans la réalité, tout cela se trouve parfois dans les mêmes quartiers, à très peu de distance à vol d'oiseau... Une proximité qui ne change rien. Dans le roman, on note une absence frappante : les hommes politiques. Saavedra a été maire, mais ne l'est plus. A aucun moment, on ne voit son successeur, un gouvernement, des services publics... Non, ce n'est pas seulement le chaos, c'est la vacance du pouvoir...

Quant aux idées, il n'y en a guère. La philanthropie ou l'écologie (on croise des pingouins, sorte de running gag qui s'achève de manière drôlement dramatique... ou l'inverse) ne sont que des hobbys hypocrites pour les plus riches afin de s'assurer une bonne image (ça ne leur donne même pas bonne conscience, ils n'en ont pas...) et se limite à des opérations gadgets sans aucun fond.

Et pourtant, on voit poindre la révolte... Je ne peux pas trop vous en parler, car ce serait aller un peu loin dans le livre, mais elle couve, cette révolte... Elle ne demande qu'à exploser et servir de contre-feu au n'importe quoi ambiant qui menace de plonger cette société dans un gouffre sans fond. Reste à découvrir la forme de cette révolte, car, si le chaos ne se manifeste pas de façon ordinaire, il faudra sans doute une réaction extraordinaire.

Amateurs de romans calmes, posés, raisonnables, passez votre chemin ! Leandro Alvaro Blacha signe un premier roman complètement déjanté, joyeusement grotesque et rebondissant sans cesse qu'on lit d'une traite, entraîné dans cette folle sarabande, même si nous restons immobile dans notre siège. C'est rafraîchissant, sans pourtant occulter la gravité des faits évoqués.

Mais ne nous y trompons pas, la drôlerie de "Berazachussetts" n'est que de façade et repose avant tout dans l'absurde de tout ce qui se passe. Mais, c'est le regard inquiet, pessimiste, désespéré, peut-être, d'un homme qui voit son pays couler inexorablement, tandis que l'orchestre joue "Plus près de toi, mon Dieu", comme l'orchestre du Titanic.

La vision d'une société qui a choisi de ne pas affronter ses problèmes pour privilégier une vulgarité sans borne (pardon à Lia Crucet, idole de Dora, qui apparaît en chair et en os dans le livre... Enfin, en chair, surtout... Et qui incarne à elle seule cette vulgarité) submergeant tout système de valeurs. Même Francisco Saavedra, qui n'est pas le dernier pour jouer les m'as-tu-vu et les arrivistes en reste pantois...

"Berazachussetts" a été publié en Argentine en 2007, année de l'élection de l'actuelle présidente argentine, Cristina Kirchner, qui succédait à son époux. Je ne voudrais pas m'avancer, mais je ne crois pas que Leandro Alvaro Blacha soit un chaud partisan de la présidente... Ni même d'aucun parti classique.

On ressent dans Berazachussetts un appel à la société civile, à la jeunesse d'un pays où la corruption reste endémique et où l'intérêt général passe régulièrement après les intérêts individuels. Un appel aux anonymes, aux sans nom, ni visage, à ceux qu'on oublie toujours et qui ont le plus subi, et subissent encore, les effets de la crise.

Avis aux fans de zombies, Trash n'est pas une créature-type du genre. Elle ne se déplace pas avec lenteur, en se balançant d'un pied sur l'autre, la mâchoire tombante, la bave aux lèvres et en bramant "braaaaiiiin"... Elle est un personnage de fable, elle incarne, dans sa zombitude, un état social. Mais, elle est surtout une observatrice, comme extérieure à tout ce qui se passe autour d'elle. Pas vraiment une sorte de Candide, ou alors, dans une version gore. Mais plus un personnage de Pulp que de film d'horreur de série Z.

Un dernier mot, sur la maison d'édition qui a publié "Berazachussetts" en grand format : Asphalte Editions. J'ai découvert cette maison créée en 2010 à l'occasion de cette lecture. Je dois dire que ça me donne assez envie de lire d'autres titres de leur catalogue, orienté vers les littératures urbaines et les contre-cultures.

Je ne suis pas certain que beaucoup de maisons d'éditions installées auraient eu le nez et le courage de publier un tel roman, signé par un auteur inconnu, sur un sujet qui ne captive pas forcément les foules de ce côté de l'Atlantique. Ca mérite un petit mot particulier pour mettre en lumière ce travail et vous inciter, comme je ne manquerai pas de le faire, à aller surfer sur leur site, découvrir les livres qu'ils éditent.

mardi 29 avril 2014

"Il n'y a aucune différence entre le Temps, Quatrième Dimension, et l'une quelconque des trois dimensions de l'Espace, sinon que notre conscience se meut avec elle" (H.G. Wells).

J'étais adolescent quand j'ai lu "la machine à explorer le temps" (j'avais, peu avant, dévoré "la guerre des mondes") et, même si je ne suis pas, comme je l'ai déjà expliqué sur ce blog, un connaisseur de SF, ce roman m'a marqué. Lorsque j'ai cherché un titre à ce billet, c'est donc naturellement que cette référence m'est venue à l'esprit, et vous comprendrez bientôt pourquoi. Mais, avec "la parallèle Vertov", on est bien loin de l'univers de Wells, de sa tonalité, aussi. Frédéric Dlemeulle, auteur de ce roman disponible au Livre de Poche, est un garçon facétieux qui embarquent ses personnages, et les lecteurs avec, dans des aventures extraordinaires et pour le moins intrigantes... Et, même quand ça barde, l'ironie n'est jamais bien loin.





Au printemps 1910, deux journalistes, le français, Joseph Reboul, et un anglais, John Grierson, se rencontrent à Londres. Leurs journaux respectifs les ont envoyés dans la capitale de l'Empire Britannique afin de couvrir un événement pas ordinaire qui vient de se produire à l'Abbaye de Westminster.

Grierson est anglais, rien de surprenant à ce qu'on l'envoie sur les lieux. Mais, si on a choisi de "convoquer" Reboul, c'est parce que sa réputation le précède : on dit, à Paris et ailleurs, qu'il aurait servi de modèle à Gaston Leroux pour son personnage de Rouletabille... C'est un brin exagéré, estime-t-il, mais c'est sans doute parce qu'il se montre toujours très perspicace, qu'on a fait appel à lui...

Dans le lieu sacré, là où sont couronnés les reines et les rois d'Angleterre, le corps sans vie d'un bedeau a été découvert. Mort. Le visage marqué par une peur terrible. Et autour de lui, une scène de crime incompréhensible... Suffisant pour exciter la curiosité des deux hommes, et en particulier de Reboul, qui voudrait simplement comprendre...

Peu de temps après, les deux journalistes se retrouvent à Paris. Et de nouveaux éléments sont apparus. La victime de Westminster avait des frères, tous deux tués eux aussi dans des conditions mystérieuses, au même moment... Là, c'en est trop pour les deux reporters qui vont commencer une enquête approfondie qui les occupera longtemps et les mènera au coeur du continent africain.

En 1993, alors que l'URSS n'en finit plus de se disloquer, le commandant d'un sous-marin nucléaire basé en Nouvelle-Zemble, vend son bâtiment à un inconnu contre une somme rondelette... Les temps changent ! Et ce commandant entend profiter d'une liberté nouvelle à pleines dents, et les poches pleines.

De nos jours, Child (diminutif de Childebert) Kachoudas, un jeune homme qui vivote en faisant de petits boulots informatiques. Son oncle le contacte alors en lui faisant une drôle de demande. Aller consulter des films d'archives consacrés aux funérailles du roi Edouard VII. Child n'a pas vu son oncle depuis longtemps et il est du genre zélé, alors, il se rend à la BNF et demande tous les films disponibles...

Ne sachant pas vraiment ce qu'il cherche, Child se concentre, remarque quelques menues différences entre ces films qui montrent, finalement, à peu près tous la même chose... Mais rien de très probant jusqu'à... Jusqu'à ce qu'un visage dans la foule attire son regard... Il connaît cet homme, et pour cause, c'est son oncle en personne, Jose-Luis de Almeida... En chair et en os, sur des images vieilles de plus d'un siècle...

Le lien entre tout ça ? Eh bien... Non, en fait, oubliez tout ça, le seul événement qui vaille se passe en 117 de notre ère, année de la mort de l'empereur romain Trajan. Vous ne comprenez rien à ce que je raconte, n'est-ce pas ? Eh bien, vous êtes exactement dans la position du lecteur de "la parallèle Vertov"... Mais rassurez-vous, les pièces s'assembleront !

Et ce qui commence comme un thriller historique va devenir un étonnant roman de science-fiction, un voyage dans le temps, mais aussi dans l'Histoire. Une odyssée dans laquelle Child se retrouve entraîné bien malgré lui et qui ne va pas cesser de le surprendre... Mais pas seulement : l'angoisser et le terroriser...

Contrairement à certains avis croisés ici où là (je pense que je suis plus lecteur de thrillers quand eux sont des fans de SF), je suis tout de suite entré dans cette étrange histoire, cherchant les connexions, réfléchissant à ce que tout cela pouvait bien vouloir dire. On peut  trouver qu'on n'entre pas assez dans le vif du sujet, mais j'ai trouvé l'enquête de Reboul et Grierson tout à fait intéressante et menée tambour battant.

De la même façon, j'ai beaucoup apprécié ce côté thriller qui perdure tout au long de "la parallèle Vertov". Il y a très peu de temps morts et la manière dont le lecteur est plongé dans l'inconnu a fonctionné à merveille sur moi. Et oui, je reste un grand enfant, on me mène comme on veut par le bout du nez !

Difficile, sans trop vous en dire, de vous raconter ce qui m'a accroché dans ce roman. J'insiste sur ce mot, mais pour moi, c'est véritablement un thriller, en termes de rythmes, d'intrigues, de rebondissements... Les dangers sont nombreux, et l'absence de repères, pour les personnages, comme pour le lecteur, permet de soutenir la tension.

Je ne suis donc pas un spécialiste de SF, ni un scientifique. J'ai apprécié et appris pas mal de choses dans la préface de Gérard Klein, présente dans l'édition de poche (et qu'il vaut mieux lire, paradoxalement, après le roman), mais j'ai aussi lu ce roman comme le béotien que je suis, et c'est peut-être aussi pour cela qu'il m'a plu.

Lorsque Child et son oncle apparaissent, je n'ai pu m'empêcher de penser à Marty McFly et au Doc. C'est vous dire si je maîtrise les références (remarquez, avec Kachoudas, je suis gâté, je vois Child avec la tête d'Aznavour, puisque c'est le nom de son personnage dans "les fantômes du chapelier...)... Mais, la comparaison avec les héros de "Retour vers le futur", me semble pertinente, même si elle a un effet trompe-l'oeil.

Child est un jeune homme un peu paumé, sans doute doué, mais sans ambition et solitaire. Son oncle est une espèce de savant fou, vivant planqué, limite parano, probablement à juste titre, tant ses travaux peuvent sembler fous... Alors, oui, il y a un peu de Marty et Doc, dans Child et Jose-Luis. Un peu...

Reste la question centrale du temps. Là encore, je vais poser le problème comme le nigaud que je suis, laissant aux spécialistes les clés du débat posées par Gérard Klein dans sa préface. D'abord, le voyage dans le temps, pour un lecture qui aime les aventures, c'est quand même une invention géniale. Et ici, on est gâté, on bouge énormément.

La façon dont Delmeulle joue avec les époques visitées est aussi très intéressante. Sans tomber dans des clichés historiques faciles (non, on n'est pas dans "les Visiteurs", Okkkkkkay ?), l'auteur se sert parfaitement des différents contextes à la fois pour semer et entretenir le doute, mais aussi pour éprouver ses personnages, les mettre en danger...

Je ne vais évidemment pas vous raconter le dénouement, mais il tourne évidemment autour du temps, de cette hypothétique quatrième dimension, évoquée par Wells et d'autres, indomptable, sauf dans les romans et les films de SF... Et, quand on évoque le voyage dans le temps, arrive le fameux "paradoxe temporel"...

Vous vous doutez bien que "la parallèle Vertov" s'attaque à tout cela, qu'on discute de ces termes, de leur sens, de leur éventuelle réalité, du passage de la théorie à la pratique... Certes, tout cela y est. Mais, je comprends que ce roman puisse surprendre les aficionados de la SF, les puristes. Car, Delmeulle joue avec, comme il joue avec l'histoire et le thriller.

Gérard Klein, dans sa présentation, emploie le terme de parodie, je n'irais pas jusque-là, ça me paraît un peu fort. Mais il convient de lire "la parallèle Vertov" avec recul, car Delmeulle y manie allègrement ironie et second degré. Le final a un petit côté Agatha Christie, pas désagréable du tout, mais qui, évidemment, n'est pas forcément ce qu'on peut attendre d'un roman de SF stricto sensu.

Pour moi, peu importe, je ne vais pas bouder mon plaisir. C'est un peu alambiqué ? Oui, certainement, mais on est dans un roman qui parle de voyage dans le temps, c'est pas alambiqué, ça ? Un dénouement décevant ? Non, je ne trouve pas, il laisse même des pistes de réflexion et donne très envie de poursuivre l'aventure (ce qui sera bientôt fait avec la lecture des "manuscrits de Kinnereth", également disponible en poche).

"La parallèle Vertov" est un roman à attaquer sans a priori, tout simplement. D'accord, on sait qu'on aura du voyage dans le temps. Mais ensuite, il faut se laisser porter par l'imaginaire foisonnant de Delmeulle et jouer le jeu, tout simplement. Parce que vous avez en main un livre de pur divertissement, et pas un roman à thèse (quoi que...), ni une somme philosophique.

Pourtant, l'auteur pose tout de même quelques questions. J'ai évoqué le temps, mais on pourrait aussi parler de l'Histoire. Nos repères sur le passé sont dans les livres. Mais tout n'est pas exhaustif, et il y a souvent des vides, qu'on ne peut combler depuis notre époque. Là aussi, Delmeulle s'amuse de ces visions tronquées (tous les documents ne sont pas arrivées jusqu'à nous), des rencontres avec les anonymes du passé, des théories et de leur confrontation au réel, des modes de vie, qu'il vaut mieux, sans doute, lire que partager, parfois...

Même s'il ne s'agit pas d'un roman comique, la trame centrale est d'ailleurs bien plus dramatique que la tonalité évoquée dans ce billet le laisse entendre, l'humour est très présent, à la fois dans le comportement de Child et de Jose-Luis, qui, parfois, ont des faux airs de Pieds Nickelés, mais aussi justement dans les décalages occasionnés par les chocs d'époque et de culture.

Les nombreuses trouvailles qui entourent l'intrigue (dont la présence, en "guest star", de Marlène Dietrich en personne...), la façon de mener son intrigue en semant des indices ici et là, mais en dévoilant son jeu au compte-gouttes, tout cela contribue à faire de ce roman, qui est autant un roman d'aventure qu'un roman de SF (allez, parlons de Verne, après Wells...), un bonheur de lecture.

Vous l'aurez compris, "la parallèle Vertov" est un roman qu'il vaut peut-être mieux conseiller à des lecteurs que la SF intéresse mais qui n'en sont pas forcément de fins connaisseurs, qu'à des lecteurs habitués de romans où les débats scientifiques et technologiques font partie intégrante du récit. Un roman grand public, et moins pour spécialistes, pour faire bref.

Voilà un divertissement comme je les aime, original et rythmé, plein de surprises et de créativité, renouvelant, dans le fond comme dans la forme, un thème classique, peut-être déjà rebattu, même si, à l'échelle de la littérature, il reste assez récent. Un auteur sorti de nulle part (cf encore la préface de Gérard Klein, jamais deux sans trois), étranger au sérail, mais que je serai curieux de rencontrer du côté d'Epinal, sans doute pour discuter de tout ce que je viens de vous dire. Et plus encore de ce premier roman.

lundi 28 avril 2014

"Chez nous la comédie est le spectacle de l'esprit, la tragédie celui de l'âme, l'opéra celui des sens" (Jean le Rond d' Alembert).

Voici un genre que j'aborde assez rarement : le space opera. Mais, depuis l'ouverture de ce blog, j'expérimente beaucoup, en matière de lecture. En plus, le roman dont nous allons parler maintenant m'intéressait par sa thématique autour du théâtre et de l'opéra. Et, à travers ces expressions artistiques, une réflexion sur comment trouver sa voie quand on a perdu sa voix... En main, nous tenons le space opera au titre parfait : "les opéras de l'espace", de Laurent Genefort, que Folio vient de publier en édition de poche. Prêts à partir pour une tournée dans un univers très particulier, en route vers l'inconnu, entre pièges et dangers ?





Axelkahn est une star dans la galaxie toute entière. Sa voix de ténor est l'une des plus connues dans ces mondes habités qu'il sillonne inlassablement pour y donner des concerts qui ne désemplissent pas et se terminent invariablement par de longues ovations. Soucieux de son statut, Axelkahn n'enregistre jamais, seul quelques enregistrements pirates circulent.

Et puis, un soir, alors que la représentation se termine, la voix d'Axelkahn se brise. Lui seul s'en rend compte, sur le moment, mais il sait qu'il vient peut-être de chanter pour la dernière fois. Que cette voix qui lui a assuré gloire, fortune, succès féminins, confort matériel, position sociale, ne sera peut-être plus jamais la même...

A tout prix, il lui faut trouver comment la réparer. Le mot peut paraître un peu rude, mais, en l'occurrence, c'est le mot juste. Car Axelkahn bénéficie d'une technologie avancée pour chanter aussi bien : des biopuces ont été placées dans son corps. Une technologie que seuls maîtrisent ceux qu'on appelle les Yuweh, et dont on ne sait pas grand-chose...

Axelkahn sait que sans sa voix, il ne sera plus rien et que son aura se ternira à toute vitesse. Alors, il cherche comment réparer la panne des biopuces. Son empressement est tel qu'il ferait confiance à n'importe qui, même au premier escroc venu... Echappant de peu à la mort, il se retrouve démuni, incapable de chanter, perdu...

Il ne lui reste qu'une seule solution : retrouver les Yuweh, les seuls qui puissent l'aider. S'il les retrouve. S'ils existent encore... On ne sait pas s'ils sont humains ou quelque chose d'autres, on les considère comme une caste mystique itinérante... On dit qu'ils auraient été vus pour la dernière fois au coeur d'un endroit qu'on appelle les Bulbes Griffith...

Comment décrire les Bulbes Griffith ? Quelque chose qui pourrait ressembler à l'Atomium de Bruxelles, pour trouver une analogie, flottant en plein espace. En fait, un rassemblement de stations spatiales (les bulbes) reliées entre elle par des filins sur lesquels circulent des nacelles. Chaque bulbe est différent, beaucoup sont habités, dirigés par des intendants, d'autres sont déserts et, plus on va vers le centre, moins on en sait sur les conditions présidant à ces lieux peut-être habités et sûrement dangereux.

Or, c'est au coeur de ce site que l'on dit que se trouve les Yuweh... Malgré cette accumulation de "on dit que" et l'incertitude qui tourne autour des Yuweh et de leur existence même, Axelkahn sait qu'il n'a pas le choix : il doit, par tous les moyens, parvenir au centre des Bulbes Griffith afin qu'un Yuweh répare sa voix défaillante. Un voyage à quitte ou double, mais le ténor sait que s'il ne parvient pas à retrouver les Yuweh, perdre la vie n'aura aucune importance...

Alors, il quitte tout. Le peu qui lui reste. Et s'embarque dans une expédition à destination des Bulbes, où se côtoient pèlerins et scientifiques, qui envisagent bien différemment la recherche des Yuweh. Mais, à l'arrivée, au moment de commencer l'exploration des Bulbes, Axelkahn se retrouve isolé... Or, seul, il est juste impensable de partir à la découverte de cet artefact...

Sa vocation va alors reprendre le dessus et, au gré de ses rencontres, il va former autour de lui une troupe itinérante très hétéroclite mais qu'il va réussir à faire monter sur scènes pour le plus grand plaisir du public. Ainsi, au sein de la Compagnie des Fous, il va commencer le long voyage à travers les Bulbes Griffiths, périple au cours duquel, malgré le succès, les dangers seront nombreux...

Lorsque s'ouvre le roman, Axelkahn est une idole, un mythe vivant. Mais, c'est aussi un personnage fort peu sympathique... Imbu de lui-même, méprisant avec les autres, séduisant et jetant les femmes, vivant dans un luxe outrancier, coupé de la réalité, sans contact avec elle, en représentation permanente.

Lorsque sa voix le lâche, le déclin est d'une rapidité surprenante. Et voilà comment le carrosse redevient citrouille : Axelkahn n'est même plus un nom, il n'a plus rien, il n'est plus rien. Et surtout, il est seul, complètement seul. On ne l'a même pas fui à cause de son revers de fortune, non, il n'avait personne proche de lui, à par Koli Latrigue, son orat, comprenez son imprésario et homme à tout faire...

C'est donc une main devant, une main derrière qu'il part explorer les Bulbes Griffith, sans jamais s'intégrer aux groupes qu'il rejoint. Comme s'il était marqué d'un sceau d'infamie... Et ce sont des personnes à la fois très différentes de lui, mais finalement proches dans leur solitude, leur côté paria, qui vont le rejoindre...

Peu à peu, ces hommes et ces femmes, meurtris par l'existence, vont se souder autour du chanteur, mais plus encore, autour des pièces dans lesquelles il va leur donner un rôle, eux qui, dans la vie, n'en ont pas ou peu. A chacun son rôle, sur scène, comme dans la vie quotidienne et le groupe, construit comme une famille, va avancer uni (mais pas sans divergences) vers l'inconnu.

Et il faut ça, face aux populations des bulbes, qui ne sont pas toujours très accueillants... Les intendants sont quelquefois de véritables despotes, menant leurs concitoyens d'une poigne de fer. Il faudra se montrer imaginatifs, roublards et surtout se serrer les coudes pour poursuivre l'aventure face à ces tyrans mais aussi, face aux pirates, aux problèmes techniques, à la lâcheté de certains, etc.

Une cohésion telle que n'en a jamais connu Axelkahn. Même sur scène, il était accompagné par l'orchestre, le commandant plus qu'il n'en faisait partie. Ici, dans sa troupe, au sein de laquelle il s'efface, puisqu'il ne peut plus monter sur scène, il distribue à chacun son rôle avec justesse, pour tirer d'eux le meilleur et toucher au mieux le public. Et l'idée de devoir les quitter un jour (Axelkahn ne veut pas qu'on l'accompagne dans les régions les plus dangereuses) lui fend le coeur...

Et puisqu'on y arrive, parlons de l'art. Genefort multiplie les clins d'oeil à travers le répertoire que Axelkahn élabore au fil des étapes. Mais surtout, on voit comment ce répertoire s'adapte au public des bulbes dans lesquels la Compagnie de Fous joue. Comment Axelkahn, metteur en scène, répond aux attentes, même non formulées, des spectateurs qui viennent les voir.

Et surtout, on voit le théâtre servir tour à tour de contre-pouvoir, dénonçant l'arbitraire, le pouvoir héréditaire, en vigueur dans beaucoup de bulbes, ou bien montrant la vie, l'amour, le quotidien d'une façon drôle et originale. Avec, à la clé, des questions autour du rôle de l'art et de l'artiste dans la société.

Quel est son rôle ? Simple trublion, amuseur, incarnation dans laquelle chaque spectateur peut se reconnaître ou opposant politique cherchant à desserrer l'étau qui écrase une population ? En fait, à chaque bulbe, et même à chaque représentation, la troupe propose autre chose, en phase avec son public ou susceptible de déranger en haut lieu.

Il y a même, dans un des bulbes, une incroyable "battle" entre Axelkahn et l'intendant, le premier répondant du tac au tac aux décrets du second visant à les empêcher de jouer à travers la pièce joué. Une partie d'échecs que remportera le plus malin... A moins que le plus violent soit un mauvais perdant...

Reste que ce voyage va devenir peu à peu une quête initiatique. Bien sûr, Axelkahn ne perd jamais des yeux son objectif premier, retrouver les Yuweh pour faire réparer ses biopuces et retrouver sa voix et son lustre d'antan. Mais, au fil des étapes, le soliste (dans tous les sens du terme) se métamorphose, se montre plus altruiste, plus ouvert aux autres, comprend qu'il a fait fausse route jusque-là, dans son comportement.

Il s'humanise, progressivement, au contact de cette troupe aux allures de freaks dont il tire la quintessence. Il sent bien aussi qu'il est le ciment qui rassemble ce groupe dont aucun des membres n'aurait, en temps normal, d'atomes crochus avec les autres... Qu'adviendra-t-il au bout de la quête, quelle que soit sa finalité ? Redeviendra-t-il l'être prétentieux et bouffi d'orgueil qu'il a été ou aura-t-il été changé par son odyssée dans les Bulbes Griffith, s'il en revient ?

Ne vous trompez pas, "les opéras de l'espace" est un vrai roman d'aventures, bourré de rebondissements, où les spectacles ne sont pas des apartés qui pourraient ralentir la progression du roman, mais en sont des maillons à part entière. Le tout, dans un univers bien particulier, assez différent de celui qu'on attend, la plupart du temps d'un space opera.

Je m'explique. Pas de vaisseaux spatiaux bourrés de technologie, d'univers futuristes ultra-moderne... On est dans un temps indéfini, dans une galaxie qui est (peut-être, mais pas forcément) la nôtre, et la technologie est assez rudimentaire, surtout dans les bulbes. On a compris que les Yuweh sont ceux qui détiennent les secrets de la technologie de pointe, mais comme on ne sait ce qu'ils sont devenues...

La vie dans les bulbes n'est pas non plus aux standards qu'on pourrait attendre. Il y a un côté féodal dans la plupart, loin de sociétés modernes et libres. Les étrangers n'y sont pas toujours bienvenus ou n'ont pas forcément envie de rester dans ces lieux. Et dire qu'on sait que plus on va avancer, pires seront les conditions !

On rejoint les bulbes dans des nacelles qui ont l'air d'être tout sauf confortables, qui fonctionnent avec des carburants rudimentaires, avançant le long de filins, comme un réseau de tramway, on est à la merci de pleins d'impondérables, humains, techniques et même atmosphériques, et ça m'a dépaysé, surpris, intrigué de voir ce décalage entre l'image si moderne qu'on se fait d'un voyage dans l'espace et ces modes de transport quasiment bricolés (mais possédant tout de même quelques appareillages élaborés pour la navigation).

Entre ces personnages étranges et cet univers bizarre, on vogue à la recherche de l'Arlésienne Yuweh, inquiet, au fil des bulbes traversés, de jamais retrouver leur trace. Mais, autant on peut trouver Axelkahn détestable au départ, autant on ressent pour cette improbable équipée une vrai empathie. Et son capitaine fracassé retrouve une aura, différente.

Voilà qui devrait m'encourager à persévérer dans la lecture de space operas à l'avenir. J'en ai quelques uns en attente, dont j'ai lu et entendu beaucoup de bien... Mais cela m'encouragera également à poursuivre le voyage dans les univers créés par Laurent Genefort, dont l'imaginaire m'a dépaysé et emporté. Et je le remercie d'avoir peut-être fait tomber une barrière idiote qui me retenait d'aller dans ces univers livresques...

dimanche 27 avril 2014

Noyés dans l'AMAS...

Avouez ! Ca vous manquait, les titres avec jeu de mots bien pourri intégré ? Vous voilà servis ! Tout ça pour parler, bien plus sérieusement, d'un court roman d'anticipation (moins de 200 pages) qui nous emmène dans un pays dont on parle beaucoup ces derniers mois et dont on devrait entendre parler encore plus dans les semaines et les mois qui arrivent : le Brésil. Un choix intéressant, on le comprend dès les premières pages, tant le plus grand pays d'Amérique latine s'annonce comme un futur géant économique, mais pas seulement. C'est donc à Sao Paulo que se déroule le nouveau roman de Johan Heliot, "Involution", publié chez Nouveaux Millénaires, collection des éditions J'ai Lu. Un roman futuriste où la science-fiction ménage ses effets de surprise et où l'on retrouve des éléments qui rappellent... Bon, vous verrez ça plus loin, pas de raison que je ne ménage pas mes effets aussi !





Dans la deuxième moitié des années 2020, le Brésil est devenu une puissance économique de premier plan, et plus simplement un pays émergent. Il se hisse même au niveau du géant américain, qu'il vient concurrencer un peu partout, dans l'absolu, mais aussi à des niveaux un peu particuliers, comme l'éthique et le respect de l'environnement.

L'exemple le plus représentatif est un géant en plein essor, en passe de prendre le leadership mondial de l'internet à Google. Son jeune fondateur, Sebastian Terra-Pereira, "le dernier nabab made in Brazil", comme le surnomme la presse du pays, a choisi de baptiser sa boîte Globo, avec un G, un L et deux O (dont le dernier en forme d'orobase, c'est-à-dire comme une arobase, mais à partir d'un o), histoire de bien montrer dans quelle cour il entend jouer.

Avec un modèle différent de son concurrent US, Terra-Pereira a bâti un empire industriel qui s'est tout entier installé dans un des lieux les plus emblématiques de la ville de Sao Paulo (désolé, mon accent portugais est lamentable, même à l'écrit, c'est dire...), la tour Copan, construite 75 ans plus tôt selon les plans du fameux architecte Oscar Niemeyer...

C'est là qu'a rendez-vous un jeune Français, Vincent, pour se voir signifier son embauche. Une aubaine, pour ce garçon, dont la carrière chez Mémotech, entreprise de haute technologie française (si, si, c'est possible...), s'est achevé sur un brutal coup d'arrêt. La faute à un chagrin d'amour que Vincent n'a pas pu encaisser et qui l'a laissé démoli...

Jusqu'à il y a deux mois, et l'appel providentiel de Globo. Providentiel pour plusieurs raisons : on l'a dit, Globo est l'entreprise qui monte, futur n°1 mondial de l'internet à court terme ; ensuite, après son renvoi de Mémotech, peu nombreux étaient ceux qui voyaient encore un avenir à Vincent ; enfin, parce que c'est au Brésil que Chloé, l'ex de Vincent, est venue s'installer avec leur fille, Angie. De quoi donner un sérieux coup de boost à sa motivation moribonde !

Chloé, elle aussi, a donc profité du nouvel eldorado que représente le Brésil. Elle n'est pas venu les mains vides de France, elle a apporté avec elle une technologie bien particulière qu'elle a mise au point et qui a été testée avec succès, si on peut dire... Sauf qu'en France, on lui a trouvé une application sécuritaire qui a tourné à la bavure et valu à la jeune femme une certaine impopularité et une réelle mauvaise conscience...

Au Brésil, alors que les tensions sociales et la violence des gangs venus des favelas sont pourtant toujours redoutées, la technologie mise au point par Chloé devrait servir à tout autre chose : la prospection pétrolière en Atlantique. Les gisements traditionnels sont en voie d'épuisement, mais, si Chloé ne se trompe pas, on pourrait en exploiter d'autres, situés à une profondeur bien plus grande sous le manteau terrestre.

Alors qu'elle doit expérimenter prochainement cette technologie révolutionnaire, d'étranges phénomènes se produisent, en particulier une inattendue chute d'objets parfaitement identifiés... Leur particularité ? Fonctionner par les réseaux informatiques... Des pannes simultanées qui ont pour conséquence directe de réveiller les violences endémiques qui gangrènent le pays de longue date...

A quoi attribuer cette panne ? A celui que vous attendez tous depuis que vous avez lu, hilares, si, si, j'en suis certain, le titre de ce billet : l'AMAS. Quèsaco, l'AMAS ? Un acronyme, bon, ça vous fait une belle jambe, en plus, vous ne vous en doutiez pas... L'acronyme pour "Anomalie Magnétique de l'Atlantique-Sud", voilà !

Un phénomène sur lequel se penche le gratin scientifique mondial, certains redoutant que, s'il s'aggrave encore, l'AMAS n'ait des conséquences terribles pour la planète. Mais, les avis divergent et l'AMAS fait l'objet d'une violente controverse quant aux conséquences exactes de l'AMAS... L'avertissement brésilien est enregistré, mais apparemment insuffisant pour justifier l'alarmisme de certains...

Alors que Vincent s'installe, qu'il reprend contact avec sa femme (ravie de cette attention, vraiment...) et sa fille, alors que Chloé se prépare minutieusement pour sa première expérimentation grandeur nature, alors que la violence s'installe dans la ville, la catastrophe annoncée par certains se produit... Et ses conséquences seront aussi inattendues que terribles...

Je parle peu des couvertures dans mes billets, vous l'aurez remarqué, mais un détail m'a frappé tout de suite sur celle d'"Involution" : On reconnaît le drapeau brésilien, mais le globe terrestre au centre a été retiré et remplacé par cette vue aérienne de l'Amérique du Sud. Mais, il manque surtout le bandeau qui ceint ce globe et sur lequel est inscrite la devise du pays : "Ordem e progresso" (et non, mon accent ne s'est pas amélioré depuis tout à l'heure...).

"Ordre et progrès"... Si j'ai noté cette absence (et n'y voyez pas une critique, ce n'en est pas une), c'est parce que cette devise me paraît définir parfaitement les enjeux qui se présentent pour le Brésil, lorsque commence le roman. Les deux éléments sont même étroitement liés : l'ordre est maintenu et permet le progrès qui, par sa technologie omniprésente, permet l'ordre... Cercle vicieux ou vertueux, selon le point de vue...

Dans ce Brésil futuriste et pourtant si proche de celui que nous connaissons, dans la droite ligne de son évolution au XXIème siècle, mais sans avoir résolu ses problèmes majeurs, la technologie est partout, pour le meilleur et pour le pire. Quant à Sebastian Terra-Pereira, difficile de se faire une idée précise à son sujet...

Génie visionnaire et généreux ou personnage brillant et médiatique masquant bien une part plus sombre ? Difficile à dire, tant ce play-boy paraît vouloir jouer sur tout les plans et profiter de son charisme hors du commun. Mais, tout puissant qu'il soit, tout informé, car dans nos sociétés modernes, l'information est l'un des nerfs de la guerre, saura-t-il anticiper et affronter les événements ?

La famille de Vincent, reconstituée partiellement et, il faut le dire, sans trop de concertation, se retrouve au coeur des événements mais ne maîtrise rien du tout. Le projet de Vincent de reconquérir Chloé (pour Angie, aucun problème, elle est ravie de retrouver son papa et même de pouvoir passer du temps avec lui) va se heurter au brusque changement de situation et la vie de ces trois-là va prendre une toute autre tournure au milieu du chaos...

Roman d'anticipation, roman apocalyptique, roman de SF mais qui comprend aussi un drame familial, sorte de fil rouge de la trame, "Involution" est d'une forte densité : il se passe beaucoup de choses en peu de pages, on aurait même peut-être voulu voir l'après-catastrophe un peu plus développé.

Mais le plus surprenant, c'est de retrouver quelques éléments qu'on avait déjà vus chez Johan Heliot, en particulier dans sa trilogie de la Lune, en particulier dans le premier tome, "La Lune seule le sait". Mais, si l'auteur reprend certains éléments, il les transpose de l'univers steampunk et du XIXème siècle revu et corrigé de la trilogie à un futur proche et au combien plausible.

Et cela change tout ! Là où l'univers de la trilogie de la Lune est à prendre au deuxième, voire au troisième degré, où l'humour et le décalage sont omniprésents, malgré la noirceur, ici, on est vraiment dans un pur scénario catastrophe, angoissant, absolument tragique et qui file d'autant plus le frisson que son contexte pourrait fort bien ressembler à la réalité dans laquelle nous évoluerons dans une quinzaine d'années.

Autre différence dans le traitement : un certain fatalisme, qu'il n'y avait pas dans la trilogie. Il faut dire que les enjeux diffèrent également d'un livre à l'autre. Je ne sais pas si ce sont les années qui passent, l'évolution du monde vers un futur plus qu'incertain ou un simple choix littéraire, mais j'ai trouvé que "Involution" jetait un regard sombre sur l'Humanité et laissait planer peu d'espoir...

Comme tout roman d'anticipation, on peut y voir une fable ou un avertissement, mais j'ai eu l'impression d'un constat amer sur une lancée qu'il sera difficile de stopper, encore moins d'inverser. Ca, c'est pour le contexte global du roman, les questions du développement économique,  de la place de la technologie dans le quotidien, des ressources énergétiques, de la protection de l'environnement, des révoltes populaires ou encore des économies parallèles reposant sur les trafics, etc.

Pourtant, la catastrophe est indirectement liée à tout cela. J'aimerais vous donner deux références qui me viennent à l'esprit, mais je crains qu'on me reproche d'en dire trop alors que, jusqu'ici, j'ai essayé au maximum de ne pas dévoiler les éléments charnières de l'intrigue... "Involution", c'est un regard sur une Humanité qui marche sur la tête et fonce sereinement vers sa chute.

Alors que vaut une espèce qui provoque elle-même tous les éléments susceptibles de la mener à sa perte ? Et quelles réponses peut-on proposer face à une telle volonté collective d'auto-destruction ? L'amour, peut-être, qui transcende tout... Mais cela reste une démarche individuelle, un coquille de noix sur un océan déchaîné...

Un dernier mot sur la partie scientifique du roman. Je le dis tout net, je ne suis pas apte à juger sur le fond de ce que raconte Johan Heliot, mais j'ai trouvé ça passionnant. Jules Verne était le personnage central de "la Lune seule le sait" et je pense qu'il n'aurait pas renié ce que propose l'auteur d' "Involution".

Là encore, me revient une des références que j'évoquais tout à l'heure sans la nommer (c'est agaçant, hein ?), une référence cinématographique. Avec un parallèle qui, je ne pense pas me tromper, pourrait se prolonger au-delà de ce simple angle de vue. Mais cette thématique scientifique, que ce soit Globo ou la volonté d'exploiter de nouveaux gisements pétroliers, vient s'inscrire dans des préoccupations très contemporaines, avec des enjeux de pouvoir qu'on devine sans mal gigantesques...

Je suis sorti avec pas mal de questions en tête de cette lecture et je trouve que le décor mis en place par Johan Héliot pour son roman, en particulier le choix du Brésil, est très original et pas du tout anodin. Quant au titre, "Involution", si comme moi, vous ne connaissez pas le(s) sens de ce mot (ah ben oui, buse en sciences, je vous l'ai dit !), évitez de chercher avant...

jeudi 24 avril 2014

Chacun cherche sa Cat-Oldie...

Le titre de ce billet est à peu près aussi mystérieux que le titre du roman qu'il présente... Mais, si vous saurez bientôt ce que signifie cet étrange terme de "Cat-Oldie", en revanche, ne comptez pas sur moi pour vous dire ce qui se cache derrière le mot "Bastards", ornant la couverture du nouveau roman d'Ayerdhal (en grand format au Diable Vauvert). Je ne vais pas vous mentir, alors que j'écris ces quelques lignes d'introduction, je me demande bien comment je vais vous parler de ce roman sans le trahir, car il est plein de surprise et d'inventivité, un thriller fantastique qui ne se ménage pas en termes d'action. Et met à l'honneur, comme on le voit, une nouvelle fois, en couverture, les chats, et même la gent féline. Mais pas seulement...





Alexander Byrd, originaire du Montana et installé à New York, est un romancier qui a le vent en poupe. Ses trois premiers romans ont rencontré aussi bien la critique que le public et le quatrième a décroché un des prix les plus prestigieux : le Pultizer. Mais l'écrivain, qui est quadra depuis peu, n'a-t-il pas atteint son Everest ? Comment repartir après ces années extraordinaires ?

Le voilà touché par le syndrome de la page blanche. Plus exactement, s'il parvient encore à mettre en mots certaines idées a priori prometteuses, la concrétisation ne se fait pas et ces écrits finissent invariablement à la poubelle, ou plutôt dans la corbeille de son ordinateur. Oui, Alexandre Byrd est en panne sèche et il aimerait bien remettre du carburant dans son moteur à inspiration...

Il s'en va chercher conseil auprès d'autres écrivains de talent, plus expérimentés que lui qui, espère-t-il, sauront décoincer son imaginaire grippé... Et c'est Colum McCann en personne qui va l'orienter vers une piste capable de remettre en marche la mécanique littéraire de Byrd. Oh, un simple coup de pouce, une chiquenaude... Rien qu'un simple sujet apparemment anecdotique, mais qui pourrait titiller l'imagination de tout écrivain...

Ce sujet, c'est un fait divers, comme il en existe tant, mais qui a marqué les esprits : une vieille dame, attaquée dans la rue par trois voyous, qui riposte avec l'aide de son chat et les laisse tous les trois sur la carreau. Définitivement... Il n'en faut pas plus pour défrayer la chronique, au point de faire de cette vieille dame inconnue une légende urbaine.

Cat-Oldie, c'est donc elle. Mais on ne sait rien de plus à son sujet que ces rares informations qui ont pu être enjolivées par la vox populi... La police n'a rien découvert au cours d'une enquête menée en sourdine, car Cat-Oldie tient plus de l'héroïne que de la dangereuse criminelle. Pour Alexander, il y a là quelque chose d'assez intriguant pour réveiller son instinct endormi de romancier... Alors, oui, il suit le conseil de Calum McCann, et décide de retrouver Cat-Oldie.

Pour l'aider, il va faire appel à une de ses amies, Maria Minuit, qui travaille aux relations publiques de la police de New York. Celle-ci va lui faire rencontrer deux hommes, susceptibles de l'aiguiller : Kyle Kentrick, qui est l'assistant d'un procureur fédéral, et Lawrence McNair, agent spécial du FBI. Tous les deux nourrissent la même curiosité à l'égard de Cat-Oldie qu'Alexander...

Mais le romancier a les mains plus libres pour partir à la recherche de la justicière à cheveux blancs... Une vieille dame qui n'aurait pas frappé qu'une seule fois... A moins qu'il n'y ait plusieurs femmes confondues sous ce surnom... Les rares indices récoltés auxquels Byrd a accès grâce à ses nouveaux amis ne semblent que rendre le mystère plus épais...

Plus que jamais Alexander veut découvrir qui se cache derrière le personnage qu'on a baptisé Cat-Oldie. Il s'y colle à temps plein, se plonge à corps perdu dans cette enquête, qui dépasse le cadre de simples recherches pour préparer un roman. Il l'ignore encore, mais ce qu'il va découvrir va bouleverser son existence...

Car les rencontres qu'il va faire dans le cadre de son enquête mais d'autres, également, apparemment fortuites, des événements inattendus, comme l'accident dont est victime Maria en sortant de son boulot, vont se multiplier. Et bientôt, Alexander Byrd, étoile montante de la littérature new-yorkaise, prix Pulitzer, va se retrouver impliqué dans une histoire qui n'aurait jamais dû être la sienne et dans laquelle il va devoir trouver sa place... Une histoire pleine de dangers et de surprises...

Mais je ne vais pas vous en dire plus... Oui, je sais, ça laisse vraiment dans le flou, mais les révélations qui s'enchaînent ensuite, les rebondissements qui se multiplient, le rôle même que doit occuper Alexander bien malgré lui et le terrible et irréversible processus que son innocente curiosité va déclencher doivent être découverts au fil des pages...

Oh, Ayerdhal est un dangereux récidiviste dans ce domaine. Ses précédents thrillers sont eux aussi plein de ces pièges qui attrapent le lecteur pour ne plus le lâcher jusqu'aux dernières pages et sa créativité, son imaginaire, ses combats sont connus et reconnus... Mais, dans "Bastards", il distille une intrigue avec machiavélisme et elle ne se dévoile que très progressivement...

Que ce soit "Transparences", "Résurgences" ou "Rainbow Warriors", les thrillers d'Ayerdhal ont toujours flirté avec le fantastique. Il était inscrit dans les gênes de ces livres, prenait part de façon importante à l'intrigue mais sans prendre le dessus sur le réalisme. Il se nichait dans des détails, importants, comme le visage impossible à reconnaître d'Anna X., par exemple, mais pas au-delà en ce qui concerne la structure narrative.

Avec "Bastards", là, aucune hésitation, on est bien dans un thriller fantastique qui déploie lentement mais sûrement toutes ses facettes pour ne cesser de surprendre non seulement son personnage central, mais aussi ses lecteurs. On pressent certaines choses, on se dit "oui, peut-être que... mais non, impossible !" avant de se frapper le front, façon commissaire Bourrel ou de béer à s'en décrocher la mâchoire...

J'ai l'air d'exagérer ? Eh bien pas du tout ! La progression de l'intrigue est pleine de questions dont les réponses n'arrivent que bien plus tard, et font apparaître une réalité indiscernable, des ramifications insoupçonnables et un combat sans merci qui a de quoi rendre franchement parano... Donc, non, je n'exagère pas, "Bastards" a de quoi vous donner votre content d'émotions.

Dans "Bastards", il y a de l'action et de la violence, comme un feu d'artifices, d'abord par pics, puis dans un bouquet final qui cloue au fauteuil. Il y a de l'amour, aussi, et pas mal de sexe, avec des scènes particulièrement explicites... Il faut dire que Alexandre Byrd va se découvrir, parmi tant d'autres choses, un pouvoir d'attraction à rendre jaloux chaque lecteur mâle...

Action, amour, mais aussi engagement. Vous vous doutez bien que toute cette intrigue ne peut avoir que des fins politiques, la dénonciation de ces pouvoirs surpuissants et injustes qu'exècre Ayerdhal. Mais, il faut bien du temps avant de mettre un nom sur les adversaires qui s'affrontent, au milieu desquels Alexander a cru bon de débarquer, comme un chien dans un jeu de quilles. Ou un chat, plutôt, on y revient.

On découvre alors que "Bastards" s'inscrit dans une tendance forte de l'imaginaire actuel, dont je ne peux pas vous dire grand-chose, mais faites-moi confiance (si, si, c'est possible...). Une tendance que Ayerdhal ne fait pas qu'épouser mais renouvelle avec le talent qu'on lui connaît. Ainsi qu'une bonne dose de révolte et une ironie mordante qu'on trouve dès les premières lignes.

Ah, on me dit dans l'oreillette que si je continue, je suis parti pour faire long, trop long, alors j'enchaîne et j'en arrive au passage que vous êtes nombreux à attendre : celui consacré aux chats. Depuis le début de ce billet, ils ont été discrets. Pourtant, dans le livre, ils sont omniprésents. Il y a le chat qui aide Cat-Oldie contre ses assaillants, Folsky, le chat d'Alexander... Et une myriade d'autres félins...

Là encore, il va me falloir jouer de l'ellipse, car je ne veux pas tout dévoiler. Oui, les chats sont au coeur de ce thriller. Leur rôle est fondamental, mais leur comportement aussi. Car ils ne sont pas uniquement montré sous leur jour le plus positif et affectueux. Non, on voit sa difficulté, parfois, à se montrer sociable et à fonctionner en meute.

Atout indéniable, le chat est aussi parfois un handicap quand il faut gérer, disons, les ego, les relations entre chats, capables de se cajoler autant que de sortir griffes et crocs pour défendre leurs positions. Et là, les chats présents dans "Bastards" ont un caractère bien trempé, c'est peu de le dire. Mais aussi un instinct et des capacités très développées et fort utiles dans le combat qui se prépare.

Je n'ai pas de chat à la maison, mais je pense que beaucoup de leurs amis humains reconnaîtront parfaitement les actions et réactions de leur animal préféré dans "Bastards". Mais, au-delà du felis silvestris catus, le chat domestique, quoi, c'est toute la famille féline qui est mise à l'honneur dans le thriller d'Ayerdhal. Soyez prévenus, et même les allergiques peuvent en profiter sans risque !

Autre personnage clé de ce roman : New York. La ville elle-même joue son rôle dans "Bastards", mais pas seulement sa géographie ou sa topographie, non, elle est un être vivant, en mouvement, surprenant... Il faut dire que, longtemps, Alexander préfère voir dans les phénomènes auxquels il se retrouve confronté, la main de Harry Houdini, le fameux illusionniste... Ca rassure, de conserver un esprit cartésien, quand tout tangue et qu'on n'a plus le contrôle de rien...

New York vit et bouge sous nos yeux et l'un de ses moteurs est sa littérature, elle aussi omniprésente dans le roman, soit par le biais de références, soit par l'implications d'auteurs célèbres, transformés en personnages de fiction. Une dizaine apparaissent dans le cours du roman, tous des connaissances d'Alexander Byrd, des amis, parfois...

Outre Colum McCann, déjà évoqué, les deux romanciers qui jouent le rôle le plus important dans "Bastards" sont Jerome Charyn et Norman Spinrad. Deux New-Yorkais pu sucre, deux septuagénaires en pleine forme que ce taquin d'Ayerdhal met dans des situations impossibles et dangereuses... Mais qui vont être d'une aide précieuse pour leur cadet, Alexander...

Plus globalement, "Bastards" respire la littérature, mise à l'honneur tout au long du livre. New York, ville qui a vu naître tant d'écrivains talentueux qui ont su chanter la "Grosse Pomme", la mettre en valeur, en faire the Place to be, "I want to be a part of it, New York, New York", faites sonner les cuiv... Euh, excusez-moi, je m'emporte...

Plus sérieusement, ce lien indissociable entre New York et ses écrivains est ici mise remarquablement en valeur et Ayerdhal s'amuse avec malice à faire évoluer ses personnages dans ce microcosme littéraire si particulier. A moins que ce ne soit l'inverse : des écrivains qu'on lâche au milieu de personnages fictifs, dirigés par l'inspiration d'un autre...

Enfin, et je tenais à finir avec cet aspect du roman, Ayerdhal met la femme à l'honneur dans "Bastards". Oui, je sais, cette phrase et ce titre pour la terminer, c'est assez curieux, comme formulation... Mais, ne vous fiez pas aux apparences. La femme est au coeur de ce roman et ébranle à le faire vaciller sur ses bases ancestrales le patriarcat dominant.

Bien sûr, c'est Alexander Byrd qui est au centre de tout ce qui se passe dans le livre, à la fois déclencheur, victime collatérale, acteur malgré lui, ciment de son clan et pion indispensable. Mais les femmes sont nombreuses autour de lui, des femmes fortes, puissantes, indépendantes, libres, en tout cas, libérées des carcans sociaux traditionnels (elles ont d'autres entraves)...

Toutes ne sont pas forcément très sympathiques, soyons francs, mais elles ne se laissent pas faire et leur courage est à toute épreuve, comme leur solidarité, malgré les différends et les rivalités. Chacune a ses spécificités et on s'y attache, même si l'on se sent moins proches de certaines que d'autres...

Et puis, il y a celle que j'ai surnommé Cat-Oldie, pour reprendre celui qui lui est donné au début du roman. Oh, je voudrais lui consacrer plusieurs paragraphes tant il y a à dire sur ce magnifique personnage. Elle dirige, commande, surprend, prend à contre-pied, anticipe, organise, manipule, aussi, quelquefois... Elle rayonne !

Oui, j'ai aimé ce personnage en particulier, de part le mystère qui l'entoure également. Parce qu'elle se moque d'Alexander et nous fait nous aussi, lecteurs, tourner en bourrique. Parce qu'on se dit que rien de ce qu'elle raconte n'est vrai et que, en même temps, on ressent le besoin impératif de lui faire une confiance aveugle. Alexandre et le lecteur patauge, elle montre la voie, sereine, sûre d'elle...

Les femmes tenaient déjà des rôles majeurs et actifs (le contraire de "potiche", rôle trop souvent dédié aux personnages féminin dans le thriller) dans les précédents thrillers d'Ayerdhal. Dans "Bastards", elles prennent carrément les commandes et mènent (presque) à leur guise l'intrigue. Et c'est réjouissant, rafraîchissant... Même si elles mettent les nerfs du lecteur à rude épreuve et lui imposent une large palette d'émotions...

Voilà, je ne savais pas trop dans quoi je m'engageais en commençant ce billet, j'ai navigué à vue avec seulement quelques bouées que je voulais franchir, mais je suis arrivé à son terme sans trop d'encombre, sans avarie notoire. L'objectif était de ne pas trop en dire sur l'histoire tout en évoquant des thèmes qui m'ont marqué... Avec, j'espère, une envie de lire "Bastards" qui vous gagnera.

C'est un vrai thriller fantastique, dans lequel Ayerdhal, fin connaisseur du genre, glisse un soupçon de science-fiction. Le rythme est soutenu, la tension monte périodiquement avant de culminer dans le dénouement et l'on est mené par le bout du nez dans cette histoire au point de ne plus trop savoir où l'on va, ni pourquoi.

Les questionnements s'accumulent, dans l'esprit d'Alexander comme dans celui du lecteur, et les réponses ne se révéleront que progressivement pour nous donner le coup de grâce. C'est rudement bien ficelé, on n'oublie pas de détendre l'atmosphère malgré le drame qui se noue avec force humour et ironie.

Et si l'on retrouve des thèmes chers à l'auteur, il sait encore une nouvelle fois magistralement se renouveler, dans le fond comme dans la forme. Le fantastique n'y est pas un gadget ou une cerise sur le gâteau, mais un ingrédient principal sans lequel le plat n'aurait plus le même goût. A tel point que j'aurais bien pris un peu de rab...

lundi 21 avril 2014

"Tout ce que vous savez faire, c'est tuer !"

Eh oui, dit comme ça, c'est un poil effrayant... Mais, c'est tout le sujet d'un roman d'une noirceur infinie, fiction nourrie par l'expérience de son auteur, une plongée éprouvante mais fascinante dans une société américaine rongée par la violence et le racisme, la chronique d'une vie de flic dans un quartier pourrie et le dur retour à la réalité d'un vétéran du Vietnam que la guerre a transformé en bombe à retardement, prête à faire bien des dégâts s'il ne se maîtrise plus... "Chiens de la nuit", de Kent Anderson (déjà auteur du remarquable et remarqué "Sympathy for the devil") sort en poche chez Folio, près de 20 ans après sa publication américaine. Et, pour les amateurs (aguerris) de romans noirs, c'est à ne pas rater !





Après son retour du Vietnam, Hanson (déjà personnage central de "Sympathy for the devil", mais les deux romans peuvent être lus indépendamment) a choisi de s'installer à Portland, ville où il ne connaissait personne, et d'y devenir flic. Avec son équipier, un vieux de la vieille nommé Dana, il patrouille en voiture dans le quartier de North Precinct. Le plus pourri de la ville.

Y vivent les plus pauvres, mais aussi une grande communauté noire, en proie au racisme endémique de la société américaine. On y croise la violence, la drogue, des drames familiaux, de petites et de grandes incivilités, des tensions politiques et raciales que le contexte de guerre ne fait qu'exacerber, les jalousies et rivalités entre flics... Les journées de Hanson et Dana sont rarement de tout repos.

On raconte même que la nuit, dans ce quartier et aux alentours, des chiens errants, parfois redevenus sauvages, déboulent et s'en prennent les uns aux autres, quand ce n'est pas carrément aux personnes... A tel point que les flics en patrouille ont carte blanche pour les abattre et doivent faire constater chaque mort, comme un militaire comptabilisant le nom d'ennemis qu'il a abattus...

Oh, la comparaison n'est pas anodine. Nous sommes au printemps 1975 lorsque s'ouvre "Chiens de la nuit", quelques jours après la chute de Saigon marquant la fin du conflit et la déconfiture américaine. Hanson était dans les forces spéciales, là-bas. Autant dire qu'il y a appris à devenir une machine à tuer, sans remords...

Alors, revenir à la vie "normale" n'a rien d'évident. On comprend que Hanson n'a pas choisi la police par simple vocation mais parce qu'il a besoin de se sentir encadré, de rester sous une autorité qui l'empêche de partir en vrille. De rester vivant. Mais aussi de canaliser la violence qui l'habite, tout en la libérant, comme le jet de vapeur d'une cocotte-minute, dans l'exercice du maintien de l'ordre...

Oh, Hanson n'est pas un ange ! Une brute serait plus juste, comme la plupart de ses collègues, d'ailleurs, qui ne se gêne pas pour malmener les suspects, surtout s'ils sont noirs. Mais Hanson est aussi très différent des autres, comme détaché de tout ce qui se passe autour de lui. Et, avec Dana, sorte de vieux sage qui approche d'une retraite qu'il aurait pu prendre depuis longtemps, il forme un tandem qui sort du lot.

Hanson vit seul, dans une ferme qu'il a retapée, à l'écart de la ville. Il boit modérément, ne se drogue pas, tout cela le replongeant un peu trop brutalement dans son passé récent qu'il cherche à réprimer comme on veut empêcher un diable de sortir de sa boîte. Les autres flics le regardent étonnés, tant il est différent d'eux : comme si son calme permanent, qui contraste avec la brutalité qui émane de lui, était surnaturel...

Maintien de l'ordre... Hanson est dans la continuité de sa mission au Vietnam, finalement. Sert une autre autorité (un autre arbitraire, diront certains) et cela lui va parfaitement, lui évite les états d'âme. "La police est une armée d'occupation", disent les militants de gauche opposés à la guerre et qui reportent maintenant leur combats sur les droits civiques. Hanson semble d'accord avec cela, il n'a fait que changer d'uniforme...

Sans cesse au bord du précipice, il en faudrait peu pour qu'il tombe dans le plus noir désespoir avec, comme seule conclusion, la décision prise par tant de soldats US au Vietnam ou à leur retour : le suicide... A moins qu'il ne s'en prenne aux autres, impitoyable. Il le sait, il pourrait tuer sans aucun scrupule, parfois l'envie lui vient... Il entend la voix de cette petite fille qui lui a jeté au visage cette phrase terrible : "tout ce que vous savez faire, c'est tuer !" Si elle savait à quel point elle a vu juste !

Solitaire, Hanson n'est pas le gars le plus sociable qu'on puisse connaître. Il va bien boire un verre avec ses collègues après le service mais repart tôt, il drague volontiers mais préfère les aventures sans lendemain aux histoires d'amour. D'ailleurs, la seule qui le comprend est une flic, Falcone, qui déteste ce job et déteste le Hanson qui n'a pas su refermer la page Vietnam. Elle voudrait voir le Hanson qu'étouffe le soldat d'élite sous sa désespérance tranquille...

Hanson n'a guère que Truman pour se confier. Un vieux chien aveugle et arthritique, qu'il recueille au début du livre après avoir découvert son maître mort (et depuis un certain temps, déjà) pour que les enfants du défunt ne l'envoie pas se faire piquer. Un drôle de complice, mais l'un et l'autre vont parfaitement s'apprivoiser.

Mais, je l'ai dit, Hanson vit dans un équilibre précaire. Et le dérapage n'est jamais loin. On le suit au fil des mois dans ses patrouilles, dans ce monde aussi terrifiant qu'il est quotidien. Des conducteurs qu'on verbalise mais qui ne se laissent pas faire, aux disputes familiales qui dégénèrent, en passant par les accidents, les trafics, petits et grands, les caïds, les mômes...

On n'est pas dans un polar traditionnel avec une enquête mais vraiment la chronique d'une vie de flic au bas de l'échelle qui mouille l'uniforme (et je ne vous fais pas la liste des substances qui le tachent, mais ce n'est guère ragoûtant...). La vie d'un flic qui arpente chaque jour la même Avenue (c'est le nom de l'artère principale de North Precinct) et se doit de nouer de relations de confiance réciproque avec les habitants, si tant est qu'on fasse confiance à la police dans ces coins difficiles...

Et la vie d'un homme que rongent les souvenirs de la jungle asiatique. Ces morts provoquées ou constatées, cet enfer vert qui n'a laissé indemne aucun soldat, physiquement comme mentalement qui viennent hanter son esprit. Hanson est passé entre les balles, les shrapnels, mais il sent encore l'odeur du napalm et se souvient de l'explosion des mines et de leurs dégâts...

Il se souvient des membres de son unité. Ils ne sont que deux à avoir survécu : Hanson et Doc, dont Hanson n'a de nouvelles que très épisodiquement. Doc, comme tous les vétérans, meurtris, les mythos de service et les gros durs à la petite semaine qui voudraient bien faire croire qu'ils sont des héros de guerre, ne cessent de renvoyer à ce passé proche qui colle à la peau de Hanson sans qu'il réussisse à s'en défaire.

A moins qu'il ne le souhaite pas, d'ailleurs. Car Hanson lui-même est responsable de son malheur, quelque part. Profondément marqué psychologiquement, il paraît par moments se complaire dans son état de fragilité... Jusqu'à ce qu'un coup de mauvais vent le fasse pencher, trébucher, prendre la direction du précipice...

Le premier, c'est Doc, qui affronte son syndrome du retour très différemment de Hanson. L'autre, c'est Dakota. Enfin, c'est ainsi qu'il dit s'appeler. A eux deux, ils vont, l'un malgré lui, l'autre de façon tout à fait volontaire, menacer le fragile équilibre mental de Hanson. La digue qu'il a construite dans don esprit pour empêcher la violence de déferler et de l'engloutir risque de se lézarder... Et il est difficile de savoir si Hanson saura arrêter la chute avant de commettre l'irréparable...

C'est cette plongée aux enfers que l'on suit. Si tant est qu'on puisse trouver plus infernal que la vie à North Precinct. Une plongée lente qui va s'accélérer quand il va perdre le contrôle des événements et de la vie tranquille qu'il s'est fabriquée... Mais jusqu'où ? Peut-il inverser cette spirale qui lui file entre les doigts d'un seul coup, comme du sable...

Hanson et Doc, à leur manière, sont eux aussi des Chiens de la nuit, des êtres dont la sauvagerie est là, tapie en eux, prête à ressortir à la moindre occasion, sans plus aucun contrôle. Et gare à ceux qui se trouvent sur leur passage ! Ils rôdent à North Precinct la nuit tombée, ils ont été humains ou sont nés d'êtres humains, mais leur humanité les a fuis...

Alors, leur férocité reprend le dessus et plus rien ne peut leur permettre de revenir en arrière, de redevenir un citoyen lambda, agissant dans les règles, respectant son prochain et n'ayant pas comme unique aspiration de tuer, pour ne pas être tué à son tour. La sauvagerie, on leur a inculquée au Vietnam, comme une raison d'être. Au retour, il a fallu la refouler, mais tous n'y parviennent pas. Ou sont emportés par elle...

Hanson, qui est parvenu à s'isoler d'une meute qu'il refusait de fréquenter de trop près, connaissant les risques qu'il encourait, se voit rattraper par elle. Les Chiens de la nuit, ce ne sont pas les moutons de Panurge, non, ils sont bien plus dangereux, comme on le constate à plusieurs reprises dans le livre. Mais l'effet d'entraînement est le même et, à part les abattre, il n'y a guère moyen de les arrêter...

Et c'est la même chose pour des vétérans malmenés par cette guerre aussi injuste qu'ignoble qui doive réintégrer une société qui leur est étrangère, désormais. Et qui, par bien des endroits, ne leur facilite guère la tâche... Si Kent Anderson insiste bien sur le fait que "Chiens de la nuit" est une fiction, il ne fait aucun doute que le roman se nourrit de sa propre expérience.

Comme Hanson, Anderson a connu les forces spéciales au Vietnam puis la police de Portland. "Chiens de la nuit", publié en 1996, soit 20 ans après l'époque décrite, s'inspire de cette vie qu'on imagine mouvementée. Au-delà des faits, il est certain que l'état d'esprit de Hanson doit lui aussi beaucoup à celui d'Anderson... Je ne fais pas le couplet de l'écriture comme psychanalyse ou catharsis, mais bon, vous voyez le topo...

Il signe avec "Chiens de la nuit" un roman noir, très noir, pas seulement parce qu'une bonne partie se passe de nuit, mais parce qu'on plonge dans la misère la plus crue. Ne vous attendez pas à une enquête suivie ou à un schéma de thriller classique, non, on est en plein dans le quotidien, et c'est sans doute ce qui est le plus effrayant.

La violence est omniprésente, mais c'est celle des rubriques de faits divers, et pas les plus délicates. Oui, je le redis, certaines scènes sont d'une rares violence et l'ambiance terrible de ce quartier est oppressante. La montée dramatique aussi rend la lecture éprouvante (euh, voyez dans ce mot une façon de dire que, de temps en temps, il faut marquer une pause dans la lecture et s'aérer) et le personnage de Hanson a beau provoquer des émotions et des sentiments contradictoires, l'imminence des drames qu'on ressent prend aux tripes.

On a là un grand roman noir, une chronique d'une société malade, malade d'elle-même, où l'ordre est assurée par des hommes qu'on verrait plutôt du côté des hors-la-loi, une justice qui se rend par soi-même, faute de confiance dans le système officiel. Et un personnage qui poursuit son chemin, malgré tout, bien amoché psychologiquement mais qui, pour le reste, semble passer entre toutes les gouttes...

Hanson, c'est un parfait anti-héros en quête de rédemption, en quête de la parenthèse ouverte avec le Vietnam et qu'il doit refermer pour laisser toute cette horreur, la guerre, North Precinct, derrière lui. Définitivement. Chasser les fantômes, regarder l'avenir et plus le passé, obsédant, handicapant, dévorant...

Je disais que le plus effrayant était la quotidienneté de la violence exposée dans "Chiens de la nuit". Il doit falloir être sérieusement hermétique à toute émotion pour tenir longtemps dans un tel contexte... Pas facile d'envisager de dormir, de fonder une famille avec cette vision en tête chaque jour. Quant à ceux qui subissent, ils n'ont aucun espoir de se sortir de là un jour, emporté dans un vortex vicieux qui alimente en un mouvement perpétuel la violence de cette société...

Et le pire, c'est cette phrase d'Anderson, la dernière de l'avertissement placé en ouverture du livre : "la situation est bien plus dramatique aujourd'hui qu'en 1975.

samedi 19 avril 2014

"Oublie les contes. Il faut construire son bonheur pas à pas, au quotidien. A toi de l'inventer. La vie peut encore te réserver bien des surprises".

Jusqu'ici, les Editions Héloïse d'Ormesson n'avaient pas de collections particulières dans leur catalogue. Eh bien, voilà, c'est fait, avec une collection entièrement dédiée à des romans noirs, polars et thrillers, exclusivement écrits par des femmes. L'un des deux premiers titres de cette collection est "Là où la lumière se pose", de la romancière belge Véronique Biefnot. Soyez prévenus d'emblée, il s'agit du dernier tome d'une trilogie construite autour du personnage de Naëlle, après "Comme des larmes sous la pluie" et "les murmures de la terre" (tous deux disponibles, désormais, au Livre de Poche). Sans avoir lu ces deux premiers tomes, je n'ai pas eu de mal à entrer dans ce roman, mais si vous souhaitez faire les choses dans l'ordre... Car, ce dernier volet boucle la boucle, au propre, comme au figuré.





Enfin Naëlle semble avoir décidé de se poser, d'accepter l'amour de Simon. Celui-ci, romancier à succès, a eu le coup de foudre pour la jeune femme, à peine plus âgée que son fils, Lucas. Il a ensuite dû faire avec le caractère particulier de sa compagne, qui ne tient pas en place et semble encore marquée par un passé douloureux.

Je n'en dis pas plus, les événements sont racontés dans les deux premiers volets de la trilogie. Lorsque commence ce dernier tome, c'est Lucas qui semble avoir du mal à accepter la relation de son père avec Naëlle. Au point de s'installer presque en catimini en Angleterre, pour suivre un cursus universitaire d'histoire médiévale auprès du charismatique professeur Stenson.

Comme s'il se sentait en trop, alors que Naëlle a l'air de vouloir construire une vie calme dans les Ardennes belges, avec Simon, et y filer le parfait amour. Bon, calme et Naëlle sont deux mots qui vont rarement ensemble... Et si la jeune femme n'a plus l'air de vouloir se lancer dans des aventures à travers le monde entamées sur un coup de tête, il lui faut néanmoins du mouvement...

Alors, elle s'occupe, avec son amie Céline, comme elle peut. Se découvre une passion, originale, pas franchement calme, pour la spéléologie. Et, dans le même temps, elle sent la mémoire lui revenir. Tout ce que son esprit a refoulé depuis des années, toute la noirceur des années passées qu'elle avait oubliée, remontent.

Mais, elle accueille cela avec sérénité. Un changement qu'elle doit à son escapade bolivienne (cf "le murmure des pierres") qui explique ce profond changement qui s'est opéré en elle ces derniers mois. C'est une Naëlle pleine de maturité et de recul qui est prête à affronter ces vérités que, jusqu'ici, elle avait occultées...

Une sérénité telle que Naëlle décide de renouer avec sa soeur, Evelyne, qu'elle n'a plus revue depuis ses huit ans. Elles ont été séparées non pas par les habituelles vicissitudes de l'existence mais par ce drame qui a tant marqué Naëlle, et dont elle se remet seulement, lentement. La jeune femme pense avoir suffisamment digéré tout cela, désormais, pour renouer...

Mais retrouver Evelyne ne va pas s'avérer la chose la plus facile à réaliser...

Je n'en dis pas plus, les thématiques que je vais essayer de développer maintenant dans ce billet apporteront quelques éléments supplémentaires, sans, évidemment, trop dévoiler l'intrigue. Ne soyez pas surpris de ce court résumé, simplement, les éléments des deux premiers volets sont succinctement expliqués dans ce troisième tome et je ne veux pas plus entrer dans les détails.

Si "Là où la lumière se pose" commence plutôt tranquillement, la brièveté des chapitres donne un rythme agréable, posant pas mal de questions au lecteur. Les éléments de la première partie, dont je ne vous ai donné, là encore volontairement, qu'un rapide aperçu, intriguent. Où va-t-on ? Cette incompréhension crée une certaine tension et le rythme haletant du thriller va peu à peu monter en régime jusqu'à la dernière partie, bien plus angoissante.

Je fais cette mise au point, parce qu'il y a toujours ce distinguo (qui m'agace un peu) qu'il faut faire entre polar, roman noir et thriller. Ici, pas de flic, donc, on a pas à proprement parler un polar. Le rythme est vif mais n'est pas celui, à mes yeux, d'un pur page-turner, sauf le final, qui est trépidant. On tremble, on s'inquiète et, si l'intrigue est assez classique, sans grosse surprise, on peut tout de même dire que "Là où la lumière se pose est un thriller".

Un thriller dont le thème principal est la famille. Pas au sens biologique, même si ces liens existent également de façon non négligeable, plus au sens d'appartenance à un groupe. Chacun des personnages principaux semblent à la recherche de cette appartenance pour pouvoir y fonder son équilibre personnel.

Une thématique développée de différentes manières. Lucas, par exemple, se sent un peu le dindon de la farce, délaissé par un père amoureux. C'est dans des camps médiévaux, vêtu comme un écuyer recherchant l'adoubement, qu'il recherche l'appréciation d'un adulte, ce professeur Stenson qu'il veut épater comme un père...

Simon, pas besoin de le dire, voudrait vraiment que Naëlle puisse vivre à ses côtés, sans plus penser à ses profondes blessures, afin de fonder une famille. C'est vrai qu'il s'est sans doute focalisé sur Naëlle aux détriments de Lucas, mais rien ne devrait empêcher qu'enfin, ils puissent former tous les trois une famille.

Ce qui l'attend est un brin plus complexe, mais on va aussi voir dans sa manière de réagir aux événements que l'écrivain solitaire et sans doute égoïste, sans cesse obnubilé par l'écriture et la promotion de ses livres à succès, va se découvrir une toute autre motivation dans l'existence : celle d'un chef de famille.

Enfin, Naëlle (d'autres personnages suivent ce schéma "familial", mais je ne veux pas les évoquer puisque je n'ai pas parlé d'eux jusque-là ; à vous de les découvrir). C'est sans doute celle qui a les motivations les plus évidentes dans ce domaine. Elle semble croire que renouer avec sa soeur reviendrait à faire définitivement table ronde du passé.

Elle va tant et si bien se fixer ce but qu'elle va en oublier cette autre famille qu'elle est en train de constituer avec Simon et Lucas. Pour le coup, ce sont les liens du sang qu'elle cherche à renouer, pour boucler la boucle, reprendre le cours d'une existence familiale détruite. Mais ça, c'est facile à dire, elle va se retrouver embarquée dans des affaires de famille bien moins joyeuses et réconfortantes...

Car la famille est bel et bien au coeur de l'intrigue du roman de Véronique Biefnot, et là encore dans des formes variées, jusqu'à être contradictoires, effrayantes. Ce passage en revue de tant de manières de former une famille est une manière pour tous les personnages de prendre conscience de ce qu'est un esprit de famille, et pas juste un rassemblement de gens... Que la famille est une fusion, une complémentarité, pas une soumission à un dominant.

Oui, Véronique Biefnot, avec ce troisième tome, boucle la boucle, comme un serpent qui se mord la queue. La construction du roman, pleine de symboles, d'éléments à interpréter (la passion pour la spéléologie qui fait écho au passé de Naëlle mais aussi à sa plongée en elle-même pour retrouver ce passé, par exemple) est un mécanisme d'horlogerie, chaque engrenage s'assemblant pour créer un mouvement.

Je le redis, le suspense monte et même si l'intrigue n'est pas extraordinairement originale (malgré un décor très intéressant, mais on va y revenir), on se prend au jeu parce que tout cela est très bien agencé, va crescendo et rend le lecteur vaguement claustrophobe. Sans oublier le contexte de ce dénouement, angoissant à souhait.

Par moment, je me devais ressembler à un enfant dans un spectacle de Guignol, criant presque à Naëlle qu'elle ne devait pas rester là, qu'elle devait ouvrir les yeux, à cause du vilain Gnafron, prêt à fondre sur elle. Aveuglée par ce souhait bien compréhensible, c'est dans la gueule du loup, ou du serpent, je ne sais plus, que se jette Naëlle. Sans filet...

Je ne serai pas complet sans parler des éléments qui, par instants, font de "Là où la lumière se pose" un roman flirtant avec le fantastique. Naëlle est une jeune femme impulsive, parfois un peu fofolle, même, mais ce n'est pas la seule de ses particularités. Elle a sans doute hérité de son passé tourmenté de certaines aptitudes surprenantes, mais fort utile quand le danger rôde...

Et puis, je m'en voudrais, dans ce monde où les chats semblent chaque jour un peu plus étendre leur domination, de ne pas évoquer Nicolas. C'est le chat de Naëlle qui porte ce joli prénom et lui aussi, montre un instinct et un caractère quasi surnaturels, qui peuvent surprendre. Impulsive et fofolle, Naëlle, mais possédant des ressources inattendues...

Enfin, pour terminer, évoquons un aspect du roman très intéressant. Régulièrement, dans le cours du récit, à la fin de chapitres, par exemple, apparaissent, complètement hors contexte, de courts interludes, rédigés à moitié en italique... A première vue, une espèce de charabia assez inquiétant, sans aucune indication, contrairement à tous les autres chapitres, d'indications de lieux et d'heures...

Mais, au fur et à mesure qu'on rencontre ces lignes, apparaissent quelques éléments identifiables... Et, petit à petit, c'est un univers de contes de fées qui s'installé, aidé par le décor de ces profondes forêts ardennaises... Oh, ne vous attendez pas à l'univers rose bonbon à la Disney, non, c'est l'univers sombre de Perrault ou des Grimm dans lequel entre lecteur...

Je n'en dis pas plus, concernant l'origine de ces textes, mais il font écho au comportement de Naëlle, qui ressemble à un Poucet, une Gretel, par moments. Et à d'autres, mais chut, toutes les références, celles que j'avais repérées et que je viens de vous donner et d'autres, sont listées en fin d'ouvrage. Et la liste est longue, au-delà des contes...

Mais tout cela contribue à instaurer une ambiance sombre, étrange, menaçante, étouffante. Et on pourrait filer la métaphore du conte de fées encore plus loin, car il y a bien une fée et un ogre, mais là encore, je m'arrête là. Et on se dit même qu'avec notre thématique familiale, une fin du genre "il se marièrent et eurent beaucoup d'enfants" serait parfaite... Mais on est dans un thriller, pas dans un conte...

Je me suis pris au jeu de ce roman, j'ai accroché avec ce personnage à la fois si ténébreux et si plein de fraîcheur qu'est Naëlle. Lucas aussi m'a intéressé, même s'il a un rôle secondaire dans ce thriller. J'ai marché à cette histoire, même si certains points se voit venir de loin. Pas grave, on est là pour boucler la boucle, donc c'est logique et cohérent.

Mais n'ayant pas lu les deux premiers tomes, et même si Véronique Biefnot explique les choses avec plein de finesse, en ne dévoilant que l'essentiel de ses deux précédents livres, je me suis senti un peu frustré de ne pas avoir rencontré Naëlle avant, de ne pas l'avoir suivie dans ses autres aventures.

Naëlle ne communique pas seulement de l'empathie au lecteur, elle lui transmet aussi de l'énergie, qu'elle a à revendre. J'imagine le mal que l'auteure doit avoir à se séparer d'un tel personnage ! Et, croyez-moi, si Naëlle vous touche, alors vous serez certainement bouleversé par un autre personnage qui n'a pas été directement évoqué dans ce billet et qui est aussi une vraie source de lumière dans cette obscurité...

Une découverte que j'aimerais bien prolonger, à l'avenir. Soit en reprenant la trilogie au début, soit en voyant où nous emmènera Véronique Biefnot, qui sait créer un univers très personnel, presque romantique dans son sens littéraire, en entremêlant noirceur et poésie, sans jamais perdre de vue son intrigue et le rythme nécessaire à son accomplissement.

jeudi 17 avril 2014

"La préservation des oeuvres d'art apparaîtra comme une marque de respect envers les croyances et les coutumes locales en prouvant que l'art n'appartient pas qu'à un seul peuple mais à l'ensemble de l'humanité" (George Stout).

Pardon pour la longueur de ce titre, mais cette phrase me semblait le mieux illustrer le livre dont nous allons parler aujourd'hui. Et si vous ne connaissez pas George Stein, ne vous inquiétez pas, nous allons parler de lui, il est l'un des personnages les plus importants de cette histoire. Un livre qui sort chez Folio à l'occasion de la sortie d'un film hollywoodien à succès, "Monuments Men", réalisé par George Clooney. Ce film s'inspire (très librement, je pense, puisque les noms des personnages diffèrent) d'un livre qui n'est pas un roman, mais une formidable enquête historique retraçant des épisodes méconnus ou oubliés de la IIème Guerre Mondiale. Signé par Robert M. Edsel (avec l'aide de Bret Witter), "Monuments Men : à la recherche du plus grand trésor nazi" pose aussi de fascinantes questions sur la place de l'art et de la culture dans la guerre...





La mission de ceux qu'on appellera bientôt les Monuments Men s'est établie en plusieurs étapes. D'abord, il a fallu, du côté allié, prendre conscience de quelque chose : l'art et la culture tiennent une place non négligeable dans l'immense conflit qu'est la IIème Guerre Mondiale. Car, pour les Nazis, c'était une évidence.

D'emblée, Hitler a été clair : la conquête de l'Europe s'accompagnera d'un pillage en règle des pays mis sous son joug. Le patrimoine, en particulier sous son aspect artistique, doit être mis au service du Reich pour servir ses ambitions. Tableaux et sculptures doivent revenir à l'Allemagne afin d'asseoir la glorieuse image du Führer.

Hitler ambitionne en effet de constituer à Linz, en Autriche, ville où il a grandi, un musée à sa gloire rassemblant les plus grandes oeuvres classiques (l'art contemporain, considéré comme dégénéré, devant être détruit)... Alors, entre oeuvres confisquées dans les lieux publics et autres tout bonnement spoliées aux riches collectionneurs, le plus souvent juifs, un gigantesque trafic commence.

D'autant que Hitler n'est pas le seul amateur d'art à la tête du Reich : Göring est un collectionneur quasi compulsif, capable d'entasser pour le plaisir de posséder, et Rosenberg, à qui échoit la mission de rassembler les oeuvres pour Hitler n'est pas en reste, récupérant quelques rogatons... Là-dessus, fleurissent d'autres trafics menés par quelques personnages malhonnêtes et voilà comment bien des musées européens vont se retrouver vider de leurs plus belles pièces, en tout cas, celles qui n'ont pas pu être mises à l'abri avant le début du conflit...

Mais, si cet aspect-là sera au coeur du livre de Robert M. Edsel, ce n'est pourtant pas ça qui va mener à la création de la MFAA, la section des Monuments, des Beaux-Arts et des Archives (le sigle est en anglais). C'est sur le terrain, et à travers le patrimoine architectural, que les Alliés vont comprendre quels intérêts il y a à faire attention à ce sujet...

D'abord lors de la campagne d'Afrique, sur le site de Leptis Magna, puis, et surtout, lors de la campagne d'Italie avec l'effroyable bataille de Monte Cassino. Les deux fois, les Alliés vont subir la propagande italo-allemande pour la façon dont ils ont traité le patrimoine de pays souverains qu'ils ont envahis... Pas franchement de quoi rendre populaire les soldats américains et britanniques auprès des populations locales...

Alors, avec l'assentiment d'Eisenhower, et en vue d'un prochain débarquement en Europe du nord, va être constituée cette section que tout le monde va finir par résumer au surnom de Monuments Men. Au départ, 9 membres, tous officiers, américains, britanniques, canadiens... 9 hommes chargés de protéger de leur mieux les monuments des villes où, forcément, les combats feront rage...

Parmi eux, George Stout. Avant la guerre, il était l'un des pionniers d'une vision scientifique de la conservation des oeuvres d'art. Il a aussi été le premier à soupçonner les Nazis de vouloir s'approprier le fleuron de l'art occidental... C'est donc lui qui va impulser le mouvement qui permettra, avec les retours de Libye et d'Italie, d'envoyer des Monuments Men en Normandie.

Intégrés aux armées alliées qui vont reconquérir l'Europe, d'abord loin derrière puis bientôt en première ligne, leurs effectifs vont s'étoffer sans toutefois jamais atteindre un effectif suffisant par rapport à la tâche à remplir. Et leur mission va aussi changer : entre Saint-Lô et la Thuringe, elle évoluera considérablement...

On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, dit l'adage. On ne fait pas la guerre sans faire de dégâts, pourrait-on dire aussi. Quelle place l'art, le patrimoine, l'architecture doivent-ils avoir dans une guerre sans merci, qui tourne parfois à la guérilla, dans laquelle les bombardements aériens sont une stratégie privilégiée ?

Mais surtout, doit-on sacrifier des vies humaines pour sauvegarder des pierres et des peintures ? C'est là que des questions philosophiques se posent. L'art est-il un des fondements d'une civilisation, d'une Nation ? L'exemple de Monte Cassino, rasé volontairement mais provoquant un double fiasco, humain et populaire, a évidemment pesé lourd.

Cependant, l'art ne peut passer en priorité. Si Paris échappera à ces questions, d'autres villes, en Normandie, lors de la bataille de la bataille des Ardennes ou en Allemagne n'auront pas cette chance. C'est au milieu de ruines fumantes, parfois dans des zones où les combats se poursuivent, tout en essayant de gagner la confiance de populations locales circonspectes que les Monuments Men vont devoir travailler.

Bien sûr, et le sous-titre du livre l'indique, ce qui va faire la réputation des Monuments Men, c'est la course-poursuite qui sera lancée afin de retrouver à temps les oeuvres prises lors des occupations de pays européens et transportées en Allemagne. Une course contre la montre qui va prendre plusieurs aspects.

En effet, les Alliés redoutent que Hitler, qui préfère manifestement voir l'Allemagne réduite en cendres toute entière plutôt que de capituler, n'ordonne la destruction de ces trésors. Une crainte justifiée, les 18 et 19 mars 1945, Hitler promulguant en effet un décret qu'on va qualifier de néronien, ordonnant la destruction immédiate de toutes les infrastructures de communication ou industrielles (ponts et usines, en priorité). Mais, les oeuvres d'art sont-elles concernées ?

Les derniers jours d'Hitler vont plonger le Reich en train de s'effondrer dans un chaos total où les ordres se contredisent, où les plus fanatiques, comme un certain Eigruber, vont vouloir, coûte que coûte, appliquer la loi du plus fou, laissant croire que les oeuvres, rassemblées et cachées, sont en danger imminent...

Mais, l'autre élément qui va inciter les Monuments Men à accélérer le mouvement, c'est Yalta. Lors de cette conférence, les Alliés vont se partager l'Allemagne en zones d'administration. Or, la Thuringe, où se trouvent une grande partie des sites où sont entreposées les oeuvres, appartient à la zone russe. Et Staline n'a pas fait mystère de son intention de ramener en URSS tout ce qui lui tombera sous la main, en réparation des dégâts occasionnées par la conquête nazie avortée...

C'est aussi la partie la plus fascinante du livre d'Edsel. Les lieux extraordinaires que vont découvrir les Monuments Men, mais aussi le travail incroyable que cela va demander pour inventorier et rassembler les oeuvres retrouvées, donnent une dimension particulière à leur mission. Tout comme la prise de conscience du terrible drame humain que tout cela recèle (des prisonniers ont souvent participé au transport des oeuvres avant de rejoindre les camps de la mort)...

De châteaux fabuleux (dont celui de Neuschwanstein, connu pour avoir inspiré Walt Disney qui en a fait son château de la Belle au Bois Dormant) en mines de sel difficiles d'accès, les Monuments Men, et le lecteur, ne sont pas au bout de leurs surprises, mais ces conditions délicates, aussi bien en termes de délais que d'infrastructures et de conditions de travail, vont participer pleinement à la renommée, éphémère, il est vrai, de ces hommes au dévouement incroyable.

Je ne vais pas faire la liste de ces hommes, les principaux (Stout, déjà cité, Posey, Rorimer, Hancock, Balfour ou Kirstein) sont présentés en début de livres et le récit de leur existence après la guerre le clôture. Toutefois, et n'y voyez rien de cocardier, il faut évoquer aussi deux Français dont le rôle dans l'histoire de Monuments Men est important.

Sur Jacques Jaujard, directeur des musées nationaux à l'arrivée des Nazis, je vais en dire peu, si ce n'est qu'on lui doit la mise à l'abri de nombreuses oeuvres loin de Paris et un travail important sous l'Occupation. L'autre est une femme, l'une des rares présentes dans le livre, la seule à vraiment influencer le travail de la MFAA, au point d'en devenir elle-même membre à la fin de la guerre.

Elle s'appelle Rose Valland, elle a un parcours atypique et un caractère... particulier. Une femme qui n'était pas issue du sérail des milieux muséaux mais qui a su y faire son trou. Puis, pendant la guerre, alors qu'elle veille aux destinées du musée du jeu de paume, elle va réussir à se fondre dans le décor au point d'espionner les Nazis sans qu'il ne remarque rien.

Rose Valland, qui n'est pas la personne la plus expansive au monde, va accumuler une mine d'informations qui seront fort utiles aux Monuments Men. Restera à Rorimer, le Monuments Man attaché à la ville de Paris, à obtenir ces renseignements d'elle. Et il lui faudra des trésors de patience et de tact pour obtenir sa confiance... La relation entre Rorimer et Valland, qui révèle ses informations au compte-gouttes, est un des aspects remarquables du livre...

Si la personnalité de Rose Valland, aussi incroyablement courageuse que méfiante, intrigue, sa position à la libération peut l'expliquer : comme bon nombre de fonctionnaires français, les personnels des musées seront accusés de collaboration... Heureusement, Rose réussira à faire valoir ses actes d'espionnage et échappera aux représailles de la population en colère, avant de devenir une Monuments Woman et d'être reconnue comme une héroïne de guerre.

Je vais vous laisser lire l'ensemble du livre, découvrir ce qui est un vrai récit d'aventures, des aventures dangereuses, où la mort rôde à chaque instant. Ces hommes se sont dévoués à une tâche qu'ils ont menée à bien sans, pour certains, jamais se rencontrer ! C'est là que "Monuments Men" se démarque de "Band of Brothers", par exemple, dont on pourrait le rapprocher.

Chacun a son domaine, son terrain de chasse, les lieux où il agit à un moment donné, les bâtiments ou les oeuvres qu'il veut protéger ou qu'il recherche. Voilà pourquoi il est sans doute difficile de faire un roman de cette histoire. Le récit historique, fort bien documenté, proposant, comme pour les événements touchant à la mine d'Altaussee, les différentes versions connues, est idéal pour nous donner le point de vue presque à chaud des acteurs du récit.

Edsel cite abondamment la correspondance des Monuments Men, mais aussi les textes nazis concernant les questions artistiques, en particulier dans la première partie du livre. On est au coeur des événements, avec eux, on oublie l'intermédiaire qu'est Edsel et les années qui ont passé pour suivre avec excitation et inquiétude les missions des Monuments Men.

J'ai parlé de la question de la place de la culture dans le conflit, tout le texte contribue à y apporter des réponses. Bien sûr, sur un plan absolu, c'est secondaire. Lorsque, au milieu des oeuvres d'art et des lingots, les Monuments Men découvrent des sacs remplis d'alliances et de bagues, mais aussi de dents en or, dont la provenance ne fait aucun doute, tout ce patrimoine paraît dérisoire...

Pourtant, il serait idiot de négliger ces oeuvres (toutes n'ont pas été retrouvées, certaines ont sans doute été détruites, d'autres sont encore cachés ou ont été volées) qui représentent quelque chose d'indispensable à notre civilisation : son Histoire, ses racines, l'expression d'une culture qui cimente nos existences au sein d'une nation, d'un continent, d'un monde, même.

En sauvant des oeuvres séculaires du néant, les Monuments Men ont sans doute remédier efficacement à un autre des crimes contre l'Humanité dont se sont rendus coupables les Nazis, en voulant décider de la "bonne" et de la "mauvaise" culture d'abord, puis en mettant ces oeuvres immortelles au service de leur idéologie délétère, au mépris de leurs origines et de ce qu'elles montraient.

Bien sûr, les Nazis ne sont pas les seuls à avoir volé, pillé, spolier les pays qu'ils ont conquis. Vous me parlerez sans doute de Napoléon, de la Cène de Vinci, des fresques du Parthénon... Et c'est vrai. Nos musées regorgent d'oeuvres ramenées de campagnes militaires, comme le trésor nazi. Mais, cela montre aussi que le XXème siècle a marqué un tournant dans la vision du monde.

Désormais, les Nations sont fortes, enracinées. Le patrimoine devient emblématique, qu'il s'agisse de tableaux exposés dans différents musées européens, y compris allemands (les Monuments Men ont veillé à ce que les oeuvres récupérées ou les objets remarquables, comme ceux liés à Charlemagne et volés à Aix-la-Chapelle retrouvent leurs sites d'origine), des vitraux de la cathédrale de Strasbourg ou des bâtiments qui ont réussi à rester debout malgré la violence des combats.

Au fil de ma lecture, je me suis demandé ce qu'il restait des Monuments Men... La réponse est : pas grand-chose. Ils n'ont agi que lors de ce conflit, plus jamais par la suite. Je pensais au pillage des musées de Bagdad, en 2003. Edsel aussi, mais cet événement lui a surtout permis de constater que la MFAA et ses hommes étaient tombés dans l'oubli...

Pourtant, ils auraient été bien utiles dans les deux conflits irakiens, berceau d'une humanité qui est la nôtre aussi... Comme on aurait souhaité en voir en Afghanistan lorsque les Talibans ont fait sauter à la dynamite les Bouddahs géants de Bamyan... Qu'ont fait les Nazis en Allemagne pour effacer la présence des Juifs dans le pays ? Détruit systématiquement les synagogues et tout autre symbole culturel de cette communauté...

Alors, il est évident que la culture n'est pas LA priorité dans une guerre, mais je crois, et ce livre passionnant nous le rappelle, qu'il ne faut jamais perdre de vue qu'en s'attaquant à une culture, en cherchant à la détruire, on risque de l'effacer et, avec elle, une des bases d'une civilisation. Détruire le patrimoine, c'est aussi un élément à retenir lorsqu'on parle de génocide. D'ailleurs, le tribunal de Nuremberg ne l'oubliera pas... Et la leçon devrait ne plus être oubliée...

Voilà une fin de billet bien sérieuse, mais je crois que c'est important. Alors, pour terminer sur une note peut-être pas plus légère, mais faisant honneur au travail de terrain des Monuments Men, voici les photos des 3 oeuvres dont il est le plus souvent question dans le livre de Robert M. Edsel, trois oeuvres qui ont particulièrement focalisé leur attention :

- La madone de Bruges, sculptée par Michel-Ange :




- L'Agneau Mystique, fleuron de l'art flamand, connu aussi sous le nom de retable de Gand :




- L'Astronome, de Johannes Vermeer :