samedi 31 mai 2014

Fitz, au chat et à la souris...

Que ceux qui ont vu l'astuce vaseuse cachée dans le titre de ce billet lèvent le doigt ! J'en vois deux... Normal... Mais oublions mon manque d'inspiration et penchons-nous sur un polar nocturne, plutôt original dans la forme, dont l'ambiance et le personnage central ont de quoi donner envie de poursuivre l'aventure d'une série lancée avec ce premier tome. Olivier Gay, auteur éclectique, puisqu'il écrit également des romans de fantasy, nous invite dans le Paris-by-night des clubbeurs-teufeurs pour une enquête à la fois sombre et pleine de cynisme. Un truc à me rendre casanier si je ne l'étais pas déjà... "Les talons hauts rapprochent les filles du ciel" est désormais disponible en poche aux éditions du Masque et je me suis bien amusé avec un roman fait pour ça.





Il se fait appeler Fitz. Parce John-Fitzgerald, comme prénom, ce n'est pas vraiment passe-partout. Beau gosse et fainéant, amateur de virées nocturnes et de jolies filles pas très farouches, il mène une vie de bâton de chaise entre une chambre de bonne des beaux quartiers de la capitale où il ne fait que dormir la journée, et les boîtes les plus à la mode de Paris, où il deale pour gagner sa croûte.

Son réveil-matin sonne vers 20h, il va ensuite approvisionner sa clientèle fidèle qu'il mène par le bout du nez poudré, visitant plusieurs clubs en vue afin de gagner de quoi assurer un train de vie raisonnable. Ses parents le croient VRP, il serait malvenu, et pas seulement vis-à-vis d'eux, d'étaler des signes extérieurs de richesse inopportuns. Ensuite, tel un personnage d'une chanson de Dutronc, il rentre se coucher à l'heure où le vulgum pecus se lève...

Un beau jour, ou peut-être une nuit, près d'un bar... Euh, non, soyons sérieux. Une nuit, alors que Fitz est en plein boulot (mais, j'ai dit qu'on était sérieux, là !), il est apostrophé par une charmante jeune femme qu'il connaît bien. Et pour cause, ils ont été amants un petit moment, avant de rompre. Il faut dire que Jessica, c'est le nom de l'ex, est flic, ce qui n'est pas très bon pour les affaires de Fitz...

Mais, la demoiselle a une raison en béton pour venir le voir et des arguments très convaincants pour qu'il l'écoute... Dans tous les cas, ce sont des photos. Compromettantes pour Fitz, abominables pour les autres. De jeunes femmes massacrées, voilà ce que lui montre Jessica. Et, pour fermer les yeux sur sa petite entreprise qui ne connaît pas la crise, elle lui demande un coup de main pour coincer le malade qui fait ça...

Les victimes sont toutes des oiseaux de nuit, il est fort probable que ce soit dans une boîte de nuit, si possible sélecte, que les victimes aient rencontré leur bourreau. Alors, voilà, la taule ou jouer les indics, ça ne laisse pas vraiment le choix à Fitz qui, malgré une aversion certaine pour la profession de Jessica, tient bien trop à sa liberté pour jouer avec le feu.

Aidé dans un premier temps par deux de ses clients réguliers, Deb et Moussah, puis par Mei, sa dernière conquête en date, Fitz se lance dans son enquête. Et, à sa propre surprise, il se prend au jeu... Sauf que ce n'est pas du tout un jeu. Et que, bientôt, Fitz va avoir des raisons très personnelles de retrouver l'assassin.

Le garçon égoïste, je-m'en-foutiste et paresseux va se prendre pour un justicier. Une mission pour laquelle il n'est pas franchement taillé. La nuit qu'il connaît, c'est celle des spotlights, des musiques de danses de jeunes, des soirées récréatives avec alcool à gogo et poudre en bonne quantité, des aubes abîmées et des gueules de bois sauvages...

Là, il va entrer dans la nuit noire, sale, dangereuse. Le décor bling-bling tombe et c'est un univers violent, où règne la loi du plus fort, où la misère, l'ennui, le désoeuvrement et le désespoir se combattent à coup de verres au prix exorbitant et de sniffettes prises sur des tables collantes ou dans des chiottes sordides... Un univers hanté par des créatures bizarres qui, la plupart du temps, jouent les Dr Jekyll et Mister Hyde entre leur vie diurne et leurs transgressions nocturnes...

Le beau Fitz, étoile brillante au firmament des fêtards mondains, tiré à quatre épingle et qui a toujours soigneusement évité les ennuis, va devoir se frotter aux brutes mal dans leur peau et un tantinet avinés, aux rues sombres et hostiles, aux facettes les plus sombres de l'âme humaine aussi... Chasseur, sa discrétion pachydermique et sa maladresse de détective de pacotille risque bien de le mettre dans une situation bien inconfortable...

Voici typiquement un roman ultra-classique dans le fond et qui se démarque par sa forme. Olivier Gay ne révolutionne pas le polar, mais réussi à en proposer une variante plutôt originale et amusante, sans perdre de vue son intrigue. Certains trouveront celle-ci un peu légère, voire prévisible, c'est possible, mais reconnaissez que ce personnage central, la faune nocturne qu'il croise et cette vie parallèle qui m'est totalement étrangère, moi, le gars qui déteste les boîtes de nuit et les bars lounge, font un formidable décor pour ce roman.

En le lisant, je me suis souvenu d'avoir il y a presque une quinzaine d'années, je dirai, "les morsures de l'aube", roman de Tonino Benacquista, adapté sur grand écran par Antoine de Caunes, qui nous plongeait de la même façon dans la nuit parisienne, sous ses aspects les plus clinquants, mais aussi les plus glauques... J'ai retrouvé chez Olivier Gay la même science pour créer des atmosphères.

La nuit n'est pas une femme à barbe, comme dans la chanson de Brigitte Fontaine. Elle n'est même probablement pas l'amie des noctambules qui ne peuvent pourtant pas se passer d'elle, comme de leur dose ou de leur bouteille. Non, la nuit est une chape, un voile obscur qui abrite aussi bien les amours, régulières ou interlopes, que les pires horreurs.

La nuit est un personnage à part entière de "les talons hauts rapprochent les filles du ciel", tout comme les lieux dans lesquels se déroulent le roman. Je pense aux rues de Paris, aux boîtes de nuit où le Francilien se montre et le Provincial s'encanaille. Sans oublier un dernier lieu dont j'aimerais vraiment vous parler, mais je ne peux pas le faire...

J'ai rencontré Olivier Gay à Epinal, je lui ai demandé si ce lieu fascinant existait, il m'a répondu que oui... L'exemple parfait de ce que je disais plus haut : un lieu qui, de jour, laissera indifférent ou, au mieux, tirera un petit sifflement poliment admiratif, mais qui, de nuit, rappellera les décors des "meilleures", séries Z horrifiques.

Dans ce décor, Olivier Gay installe des personnages hauts en couleur qui se cachent autant qu'ils se montrent, qui étalent leur réussite comme leur déchéance, fêtent une gloire éphémère ou une richesse héréditaire autant qu'ils noient la monotonie de leur grise existence et leurs échecs irréversibles ou entretiennent leur posture de losers magnifiques parfumés à l'after-shave 12 ans d'âge...

Ce monde, c'est celui dans lequel Fitz a choisi de vivre, pour des raisons très précises : gagner de quoi vivre sans trop se fouler. Je ne suis pas certain qu'il soit vraiment un noctambule comme les autres. Les boîtes sont son bureau, il y pointe, y exerce son métier, y drague mais préfère rentrer dans son "home, sweet home" impersonnel mais confortable pour y conclure de provisoires idylles.

Fitz, c'est un fantôme, pas un oiseau de nuit. Il est en retrait, observateur plus qu'acteur, apparaissant puis disparaissant au gré des deals, dans tous les sens du terme, qu'il conclut. De même, autour de lui, on trouve surtout des personnes qui fuient leur vie morne, qui font la fête et puis basta, mais n'ont pas forcément adopté le style de vie nocturne à 100%.

Mais, il va être amené à côtoyer ces personnages qui habitent la nuit, comme on habite un pays. Le gouffre est immense, comme si une barrière linguistique, philosophique, même, se dressait. Fitz avait un pied dans la nuit, Jessica lui a demandé d'y mettre le deuxième sans penser qu'il puisse plonger la tête la première dans un sacré marigot.

Olivier Gay sert cette intrigue et ce décor avec un style plein de cynisme et de désinvolture qui colle parfaitement à son personnage et qui réjouit le lecteur parce qu'il apporte cette touche souriante, un sourire en coin, qui manque un peu à cet univers nocturne. Une ironie que Fitz, comme tout bon personnage de roman noir qui se respecte, conserve en toutes circonstances, même les pires.

Lorsqu'il finit par terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau, lorsqu'il joue les chiffonniers, y déchirant et y salissant irrémédiablement ses fringues impeccables et choisis avec soin, lorsqu'il se sent bien con devant sa naïveté et son inexpérience comme enquêteur, lorsqu'il... ah, non, ça je ne voue raconte pas.

Ce personnage tout en contrastes m'a bien plu. C'est quand même un cave, ce Fitz, l'absence d'ambition en quoi que ce soit personnifiée, une élégante forme de parasitisme. Ceci dit avec une grande affection, car il a bon fond, ce garçon, je vous assure ! Plus on avance, plus on découvre sous la parure du dealer cynique et insensible, un brave gars, plus inconscient que courageux mais sachant se dévouer et prendre des risques pour une cause juste.

Ne vous fiez pas à son prénom, fièrement donné par un papa qui devait, en la baptisant comme un célèbre président américain, souhaiter que son fils ne se laisse jamais abattre (merci, San Antonio). C'est à un autre Fitz que j'ai pensé, en lisant ce roman noir : Francis Scott Fitzgerald. Tendre n'est pas la nuit, ici, et il y a quelque chose d'un Gatsby chez ce Fitz-là...

Mais surtout, comme dans les romans de ce romancier américain mythique, j'ai ressenti ce mal de vivre qui se dissimule sous la brillance parfois luxueuse, parfois cheap, de cette vie nocturne qui m'attire encore moins maintenant et ne me fascine pas une seconde. Un mal-être qui ne touche pas que les personnages cités dans ce billet mais d'autres encore au point d'être probablement au coeur de cette histoire.

J'ai conscience que je fais un peu lecteur désabusé avec tout ce que je viens de raconter, et pourtant, je le redis, je me suis bien amusé avec ce premier roman d'une série que je poursuivrai, c'est certain. Dans cette collection de poche du Masque, qui m'a rappelé mon adolescence lorsque, durant les vacances chez mes grands-parents, j'allais piocher dans les romans d'Agatha Christie, mais surtout d'Exbrayat, plus conforme au style d'Olivier Gay, qui s'entassaient dans le couloir ou dans ma chambre...

Noir est ce roman, avec des ingrédients classiques et d'autres un peu moins, un ton qui fait naître le sourire sans masquer les drames et les recoins obscurs du monde et de l'homme. J'ai envie de voir évoluer Fitz, de le voir peut-être changer, ou tout du moins, de voir son regard sur la nuit changer. Je ne sais pas ce que me réservent "les mannequins ne sont pas des filles modèles" et "Mais je fais quoi du corps ?", les deux autres romans déjà publiés qui le mettent en scène, mais j'ai envie de le découvrir, en espérant retrouver le même plaisir.




Et, pour en savoir plus sur Olivier Gay et ses romans, policiers ou fantasy, sachez que juin est le mois d'Olivier Gay sur le blog Book en Stock. A vous de poser des questions et de lire les réponses de l'auteur à partir de dans 20 minutes, je suis pile à l'heure !

mercredi 28 mai 2014

"Etre détective privé dans un pays où la vie privée n'existe pratiquement pas, c'est un putain d'exploit !"

Il y a des romanciers qui savent se montrer très éclectiques, faisant fi des notions de genres qui, parfois, sont jugés avec tant de hauteur (pour ne pas dire de mépris). Voici un étonnant exercice de style pour un romancier à la bibliographie bien remplie, Raphaël Confiant. Il y a quelques mois, nous l'avions évoqué sur ce blog, avec un roman qui se déroulait pendant la Première Guerre Mondiale, "Le Bataillon créole". Aujourd'hui, c'est avec un roman noir, hommage respectueux aux maîtres du genre, que je vais en parler : "Citoyens au-dessus de tout soupçon..." (désormais disponible en poche chez Folio), c'est un peu "le Grand sommeil", version martiniquaise. Un anti-héros, des pistes en pagaille, du danger, des personnages à qui on ne peut pas se fier, des secrets honteux et des magouilles, voilà le menu de ce roman qui ne tombe jamais dans la parodie mais met en évidence les imperfections de la société dans laquelle il se déroule...





Raymond Vauban a la quarantaine, du bide, perd ses cheveux, aime la philosophie et les romans policiers américains. Mais il est détective privé. Enfin, pour exercer cette profession et mettre le plus de chances de son côté, il s'est choisi un autre nom, à consonance américaine : Jack Teddyson. Bon, soyons honnête, ce séducteur impénitent a malgré cela du mal à faire bouillir la marmite, les affaires ne vont pas fort...

Et puis, voilà qu'arrive une femme magnifique, plantureuse, sexy et riche... Elle vient pour demander à Raymond/Jack d'enquêter sur l'assassinat de son époux. Un mari qui n'est pas un inconnu en Martinique : Sesostris Ferdinand, homme d'affaires et chef d'entreprise opulent, retrouvé mort et privé de ses attributs masculins.

Il faut dire que la scène de crime se situait dans l'appartement d'un prostituée bien connue, Isabela Hernandez Rincon, originaire de la République Dominicaine. Envolée, d'ailleurs, la demoiselle... Laissant derrière elle un appartement vide à l'exception du matelas sur lequel gisait le corps de Sesostris, sans vie et mutilé...

Pourrait-elle être l'assassin de l'homme ? L'épouse en doute. Son mari était le plus fidèle des hommes et n'allait jamais s'offrir les services de professionnelles du sexe, contrairement à ce qu'on veut faire croire. Quant à la police, elle patauge gentiment, incapable de dégager la moindre piste viable pour retrouver le ou la meurtrier/ère...

Une cliente qui paye rubis sur l'ongle, et en abondance, qui lui plaît bien, disons les choses clairement, et une affaire qui sent le stupre et la luxure, une vraie aubaine pour un détective privé un peu à la ramasse et qui a des factures à payer. A moins que ce ne soit un puits d'emmerdes sans fond, mais le grand Jack Teddyson n'y a pas songé une minute avant de dire oui.

Et des pistes, il va en trouver : la prostitution et les réseaux venus de République Dominicaine, des demoiselles dont le charme ne laissent pas le détective indifférent ; le jeu clandestin, et en particulier la mystérieuse borlette, activité venue d'Haïti et qui semble rencontrer un grand succès en Martinique ; la piste politique, enfin, car Sesostris Ferdinand contribuait au financement d'un célèbre parti...

A moins que la piste familiale, écartée par la police et difficile à gérer pour Jack, puisqu'on parle en fait de sa cliente, soit à privilégier... Car, toute attirante qu'elle soit et malgré la franchise et la sincérité qu'elle affiche, la veuve pas très éplorée ment beaucoup, même selon les critères un peu lâches du détective privé.

Jack Teddyson va d'ailleurs bien vite comprendre qu'il ne peut compter sur personne d'autre que sur lui-même. Pas simple, parce qu'il a beau connaître son Philip Marlowe sur le bout des doigts, force est de reconnaître que Jack n'est pas le plus grand détective de son époque, ni sans doute de son île. Mais, il est plus motivé que les flics, qui semblent se moquer comme d'une guigne de ce meurtre...

Alors, il s'accroche, se bat, se met en danger, même. Eh oui, il faut croire qu'un des pistes qu'il a mises au jour est la bonne ! Mais laquelle ? A chaque fois qu'il pense tenir quelque chose, ce sont d'autres histoires qui lui apparaissent. Pas des plus reluisantes, mais sans lien évident avec son affaire. Il va vraiment lui falloir un petit coup de pouce pour découvrir qui a tué...

Raphaël Confiant est l'un des initiateurs, avec, entre autres, le prix Goncourt Patrick Chamoiseau, d'un mouvement qu'on appelle la Créolité. Fidèle à ce concept qui veut rompre avec la sempiternelle carte postale qu'est la Martinique pour beaucoup afin de parler des vrais problèmes qui touchent l'île, Raphaël Confiant a donc choisi de l'appliquer au roman noir à l'Américaine, façon Chandler ou Hammett... "Citoyens au-dessus de tout soupçon..." est donc son "Grand Sommeil".

Non, je ne plaisante pas ! Ca commence par l'embauche du détective un peu minable pour une affaire qui a l'air toute simple mais qui ne l'est pas et qui implique des gens riches et puissants, on retrouve les archétypes, comme les femmes fatales, tous les codes et techniques y sont revisités, c'est vraiment un étonnant exercice de style de voir transposé à la Martinique contemporaine ce genre de romans qui a marqué la littérature américaine des années 30 à 50.

Mais on comprend petit à petit que ce choix n'est pas innocent, qu'il s'adapte parfaitement à ce que veut faire l'auteur martiniquais dans le cadre de la Créolité. Car nous plongeons dans la face plus sombre, plis délicate de la Martinique, celle, effectivement, qu'on n'envisage pas lorsqu'on songe à l'île et à ses plages.

Les grands thèmes abordés, ce sont évidemment les différentes pistes suivies par Jack, la prostitution, le jeu, la politique. Mais, Confiant ne s'arrête pas là, il observe aussi cette île sur laquelle les Békés, les descendants des grands propriétaires blancs, conservent une place à part, au-dessus du commun, où les métis, les mulâtres, sont eux aussi au-dessus de la population noire.

Une société où tous les moyens sont bons pour améliorer l'ordinaire, où l'on joue à la borlette, jeu de hasard dont les règles sont expliquées dans le livre, dans certains quartiers comme au bonneteau dans les rues de Paris décrites par Georges Simenon ou Léo Malet. Sauf que les sommes, ici, paraissent bien plus importantes...

Une société dans laquelle des femmes, venues d'autres îles caribéennes, viennent se prostituer en espérant mettre de côté un pécule suffisant pour pouvoir rentrer au pays et s'y établir... La traite comme outil de promotion sociale... Confiant ne noircit pas le trait et recourt volontiers au cynisme, qui fait partie lui aussi, de l'attirail du bon auteur de roman noir, sans aseptiser les faits.

Et puis la politique... Bon, on se doute vite des orientations politiques de l'auteur puisque c'est la droite locale qui en prend pour son grade. Une droite gaulliste, eh oui, ça existe encore, qui aimerait bien voir ses avantages perdurer, ce qui n'a rien d'évident. Là aussi, on perçoit vite les différences sociales que sous-tend le clivage gauche/droite et Confiant en profite pour saluer la figue de Césaire, qui fut longtemps élu de Martinique.

Mais, ne croyez-pas que Confiant soit totalement manichéen. Son détective, blasé, n'a pas plus confiance dans l'autre camp et préfère puiser ses idées dans les ouvrages des grands philosophes plutôt que dans les programmes électoraux. Reste que la piste politique, comme les autres, est tentante. Et surtout, tout ces problèmes semblent inextricablement liés...

Pour finir, un mot sur le titre de ce billet, une citation extraite des premières pages du roman de Raphaël Confiant. En effet, comme le fait remarquer Teddyson, la vie privée n'est pas quelque chose qui semble naturel sur l'île. En clair, c'est petit, tout le monde se connaît, tout le monde sait tout sur les autres...

Et pourtant, que de secrets ! Que d'histoires visibles aux yeux de tous, sans que rien ne se sache vraiment. Que de silences aussi, quand il s'agit d'aider, que de dissimulations ! En fait, l'exploit d'un privé en Martinique, c'est d'obtenir des informations qui devraient être à portée de main, si l'on en croit la réputation de l'île, alors que, manifestement, rien n'est vraiment ce qu'il paraît.

Et l'on comprend alors que, dans le titre du roman, tout est en fait dans les points de suspension... Oui, tous ceux que rencontre Jack sont des citoyens au-dessus de tout soupçon. En apparence, tout du moins. Car tous ont aussi très certainement des choses à se reprocher et des squelettes à planquer dans leurs placards... Ils sont au-dessus de tout soupçon, sauf de ceux de Jack qui finit par soupçonner tout le monde. Et pas seulement pour la mort de Sesostris Ferdinand. Mais comment établir des preuves ?

On devine d'ailleurs que ce n'est pas la première fois que Raymond Vauban, alias Jack Teddyson, a déjà été confronté à ces situations bizarres où il faut creuser profond pour découvrir une vérité qui est censée être visible par tous. Voilà aussi la complexité de la vie en Martinique... A moins que ce soit surtout la complexité de la vie d'un détective privé martiniquais qui se rêve en anti-héros américain.

Il est touchant, Jack, dans sa maladresse, sa dégaine de mec ordinaire et son courage tout relatif. Dans sa façon de s'enfoncer un peu plus dans les ennuis sans jamais vraiment avancer dans son enquête. Dans son manque total d'intuition, qui va lui faire louper un événement qui, là encore, se trouvait sous son nez. Une histoire secondaire mais qui sert de chute au roman.

Jack Teddyson n'est définitivement pas Philip Marlowe. Ou, tout du moins, il lui faudra encore emmagasiner beaucoup d'expérience avant de pouvoir espérer lui arriver à la cheville et suivre son pas. Attention, ça ne veut pas dire qu'il ne parviendra pas à ses fins, mais ça ne veut pas dire non plus qu'une éventuelle réussite fera de lui un héros, le détective que tout le monde s'arrache.

Oh, il a de la ressource, un vrai pouvoir de séduction, il préfère papillonner plutôt que de se laisser mettre le grappin dessus. D'ailleurs, si ce n'était pas un manque flagrant d'éthique, il tenterait bien sa chance avec sa cliente... Les femmes ne manquent pas dans la vie de Jack Teddyson, sans trop savoir si elles se jouent de lui ou s'il est vraiment un don juan.

Publié à l'origine chez Caraïbéditions, maison installée en Martinique et en Guadeloupe, "Citoyens au-dessus de tout soupçon..." va bénéficier avec cette sortie chez Folio d'une nouvelle exposition. Quant à Jack Teddyson, il va revenir dans d'autres enquêtes. Deux autres romans sont déjà disponibles en grand format dans la même maison d'édition antillaise.

Et je serais curieux de les lire également, parce que je me suis bien amusé, sans pour autant négliger le contexte de l'histoire, tel que je vous en ai parlé plus haut. Sans oublier cette dimension de roman noir qui apporte beaucoup et n'est pas qu'un artifice romanesque. Hommage réussi, il redonne même envie de lire ou relire les romans de Chandler.

mardi 27 mai 2014

La belle est la bête.

J'étais super fier de moi, quand j'ai trouvé ce jeu de mots, alors que je lisais notre roman du jour... Et puis, quelques pages plus loin, je l'ai lu sous la plume de l'auteur... Désillusion terrible ! Peu importe, à plus d'un titre, ces cinq mots sont ce qu'il y a de mieux, je pense, pour illustrer le billet consacré à "Animale, la malédiction de Boucle d'Or", de Victor Dixen (chez Gallimard Jeunesse, mais le roman est aussi parfait pour un public adulte). Eh oui, à peine rentré d'Epinal, la tête encore pleine d'images, les oreilles bruissant de la douce rumeur de ce salon à l'ambiance exceptionnelle, je vous parle de l'auteur qui nous a accompagnés pendant ces quatre jours avec le statut de "Coup de coeur du festival". Et ce livre, hommage aux contes et à la littérature du XIXe siècle, est une belle découverte, un bon moment de lecture.





Elle s'appelle Blonde. On l'a nommée ainsi lorsqu'elle est arrivée dans ce couvent lorrain, orpheline, vouée malgré elle à passer sa vie entière entre ces murs quand les autres jeunes filles qu'elle y côtoie, issues des meilleures familles de la région, les quitteront bientôt pour se marier avec de beaux partis. A 17 ans, Blonde est donc un peu à part...

Mais, elle n'en a cure. La jeune fille traverse la vie dans une sorte de léthargie, les yeux cachés derrière de drôles de lunettes, son abondante chevelure soyeuse et lumineuse couverte d'un voile. Solitaire, elle traverse la vie sans rien lui demander, ni en attendre. Jusqu'à ces jours de 1832 où deux rencontres presque simultanées vont bouleverser son existence...

Il y a la rencontre avec Gaspard. Le jeune homme est apprenti et suit son maître, sculpteur, venu au couvent pour y réaliser une statue. On ne va pas parler de coup de foudre entre Blonde et Gaspard, le contexte ne s'y prête pas, mais leurs regards se sont croisés et, tandis que le garçon est sous le charme, intimidé, l'adolescente, elle, ressent des émotions inconnues... Une relation qui ne va pas manquer d'être remarquée et de faire des jalouses...

L'autre rencontre est plus étrange. D'abord, parce qu'il s'agit d'un vieil homme. Ensuite, parce qu'il vient frapper à la fenêtre de la chambre de Blonde, discrètement, pour conserver le secret de cette visite. Mais qui est-il ? Qu'a-t-il de si important et de si terrible à révéler à Blonde pour agir de cette manière, sans passer par la Mère supérieure ?

Son passé. Voilà ce que détient cet homme, qui laisse à Blonde des documents concernant ses origines, ses parents... Et, il y a de quoi désarçonner l'adolescente qui découvre une histoire qui n'a rien à voir avec celle de l'orpheline confiée à un couvent... Bouleversée par ces révélations, elle décide de tout mettre en oeuvre pour en savoir plus, pour comprendre...

La conjonction de ces deux rencontres va alors avoir une conséquence inattendue... Inattendue, mais redoutée par certains. En effet, c'est une métamorphose qui va se dérouler, la prise de conscience de Blonde des mensonges sur lesquels est fondée son existence entraînant chez elle des changements difficiles à maîtriser, des accès de violence incontrôlables, terribles, qui la surprennent elle-même.

Des accès qui, alors qu'elle en apprend plus sur son passé, sa naissance, vont se faire plus nombreux, plus violents... Mais qu'arrive-t-il donc à Blonde ? Pourquoi, lorsque peur et colère la gagne, semble-t-elle agir à l'instinct comme un animal, et non plus comme un être humain ? Bientôt, autant pour trouver des réponses que pour fuir les ennemis puissants que ses recherches ont éveillé, elle doit fuir. Et ne plus compter que sur Gaspard, son seul allié. Mais jusqu'à quand réussira-t-elle à enrayer le processus qui la mine ?

"Animale" est un roman très composite, à la fois roman d'aventures, roman fantastique, hommage au genre littéraire romantique et aux contes de fée, particulièrement ceux des frères Grimm. D'où cette tonalité assez sombre et pourtant prenante, envoûtante, ces personnages hauts en couleur, aux personnalités souvent complexes, contrastées. Rien n'est tout blanc ou tout noir, contrairement aux apparences ou aux premières impressions...

Roman d'aventures, parce qu'il se passe énormément de choses dans les 430 pages de ce roman. En particulier lors de cette fuite que j'ai évoquée plus haut. Des rencontres-clés, de nouvelles expériences mais aussi des drames et cette violence qui se manifeste brusquement, créant des pics de tension. Un suspense s'installe également, mais il évolue au fur et à mesure que l'intrigue avance, en lien avec les faits racontés. La question des origines qui crée se suspense n'est plus la seule finalité de l'histoire.

Roman fantastique, dans un univers qui est bien le nôtre. Le fantastique s'incarne, ici. Et, dans ce roman où la question de la métamorphose tient un rôle crucial, il prend des formes parfois surprenantes. Mais, c'est surtout la façon dont Victor Dixen l'utilise qui m'a intéressé. Elle ne vient pas de la magie, d'une quelconque malédiction, mais de tout autre chose. Et surtout, ses effets également sont très particuliers.

Ne vous attendez pas à une débauche d'effets, ce n'est pas le cas. Et c'est aussi ça qui est agréable. Le dosage est bon et le fantastique n'est là que pour servir l'intrigue. C'est efficace, cela pose des questions, dès le prologue dont nous allons reparler dans un instant, et jusqu'au final du roman. Les réponses ? Certaines sont là et constituent le coeur de l'intrigue. D'autres attendront le deuxième volet de ce qui sera un diptyque.

Hommage au romantisme littéraire. On le comprend dès les premières lignes du livre, dès les premiers mots, même : "Il neigeait." Ca ne vous rappelle pas quelque chose ? Un des plus célèbres textes de Victor Hugo, extrait des "Châtiments", retraçant la retraite de Russie. De ce passage, ous reparlerons prochainement plus en détails, puisque Victor Dixen consacre à cette épisode une novella que j'ai rapportée d'Epinal.

Pourtant, ce n'est pas Hugo qui traverse le corps du roman, mais bien Châteaubriand. Il est, avant même Victor Hugo, le précurseur du romantisme à la française. On ne le croise pas en personne, mais son oeuvre imprègne la première partie du roman et influe sur le cours des événements. Quant au romantisme, il marque "Animale" de sa patte (sans mauvais jeu de mots) sombre et tourmentée, où l'amour n'est jamais très loin du désespoir.

Les forêts, autre grand symbole romantique, sont aussi très présentes dans le livre. Les forêts vosgiennes, cousines de celle de la Forêt Noire, qui inspira de nombreux auteurs du XIXe, dont les frères Grimm. Ajoutez-y la nuit, très présente dans le roman, et vous comprendrez que le noir est dominant... Et renforce la puissance d'attraction de l'étonnante chevelure de Blonde, seul point lumineux dans tout cela (en fait, il y en a un second, mais je ne vous en parlerai pas ici).

Et, puisque le nom des Grimm est lâché, venons-en aux contes. L'un d'entre eux apparaît dans le sous-titre du roman, "Boucle d'Or et les trois ours", et il est à la source de l'histoire. Pourquoi, comment ? Lisez "Animale" ! Mais Victor Dixen a eu la bonne idée de réfléchir à ce qui aurait pu se passer après la fin de ce conte. Et de là...

Mais, Boucle d'Or n'est pas le seul conte qu'on croise dans le roman de Victor Dixen. Le titre de mon billet évoque "la Belle et la Bête", même s'il en fait une relecture assez surprenante. On croise aussi Cendrillon, le Petit Poucet et d'autres encore. Mais en soi, l'histoire de Blonde est aussi un conte. Reste à savoir si, à la fin, elle se mariera et aura beaucoup d'enfants...

Voilà tout ce qu'est ce roman, et sans doute encore beaucoup d'autres choses. Un roman édité par une maison jeunesse, en lice pour le Prix Imaginales des Collégiens, mais qui, je pense, régalera aussi les adultes. En tout cas, j'y ai pris beaucoup de plaisir, ce qui n'est pas toujours le cas avec la littérature estampillée jeunesse. Je suis un vieillard, que voulez-vous !

Sans doute un adulte et un adolescent en auront-ils une vision différente, sans doute ne s'attacheront-ils pas aux mêmes choses. Mais l'univers de Dixen, son histoire, l'atmosphère si particulière qu'il a créée ont de quoi faire passer un bon moment. Pour les jeunes lecteurs (enfin, pour les parents qui passeraient par-là et se poseraient la question), la violence est présente dans ce roman, mais elle est essentiellement suggérée, assez peu montrée, si ce n'est ses conséquences visibles.

Et puis, un conte, ça doit quand même faire un peu peur. Alors, oui, les scènes un peu plus violentes sont là pour ça, mais c'est aussi l'inconnu qui met sous tension. Non, ce commentaire n'a rien à voir avec une quelconque situation électorale récente... Quoi que... La peur que suscite l'autre parce qu'on ne sait pas qui il est, parce qu'on ne le comprend pas, tout cela est aussi au coeur d' "Animale".

L'instrumentalisation de cette peur, que ce soit pour des raisons politiques ou religieuses, crée ce climat dangereux dans lequel doit évoluer une Blonde qu'on traque et qui ne peut répondre qu'en renforçant les préjugés qui courent sur elle. Quant à ce qui pourrait l'aider, là aussi, l'ignorance et l'intransigeance ont tout mis en oeuvre pour l'effacer...

Blonde, bien malgré elle, incarne un forme de tolérance, elle a en elle ce mélange inaliénable, beau et tragique à la fois qu'on obtient quand l'amour croise l'impossible. Née d'un tabou enfreint, elle va suivre ce chemin tracé pour elle, sans avoir le choix. Je ne suis pas certain que Blonde soit d'une nature particulièrement rebelle. D'ailleurs, la première fois qu'elle s'enfuit du couvent, elle y revient. Ensuite, elle s'en éloignera contrainte et forcée.

Non, c'est son instinct de survie qui la met en mouvement. Comprendre ce qui lui arrive, ces phénomènes qu'elle ne maîtrise pas et qui, une fois enclenchés, pourraient la conduite vers une issue redoutable, inquiétante. A elle, et à Gaspard, s'il peut l'aider, d'empêcher la jeune fille de franchir un point de non-retour.

Tout cela est mené avec brio et précision, le livre se dévore tant on a envie de connaître le(s) fin(s) mot(s) de l'histoire. Il y a encore beaucoup de choses dont j'aimerais vous parler, mais cela nous entraînerait trop loin dans l'histoire, cela en dévoilerait trop. Cela concernerait Blonde et la façon dont Victor Dixen évoque le processus de métamorphose, les personnages qui l'entourent, plutôt ceux qui lui en veulent, d'ailleurs, mais aussi quelques-uns qui lui seront de bon secours, comme Madame Lune...

C'est un roman riche, tant dans le fond que dans la forme, une vraie découverte qui, je trouve, a amplement mérité son "Coup de coeur" des Imaginales. Une littérature d'imaginaire qui montre aux détracteurs de ces genres qu'ils peuvent être profonds et finement construits, en phase avec les réalités du monde, pour mieux les mettre en évidence, ainsi que leurs éventuels dysfonctionnements.

Blonde est un personnage fort et réussi, qui sait attirer la sympathie d'emblée mais aussi, par la suite, et là encore, malgré elle, nous émouvoir, nous inquiéter, nous effrayer... Le lecteur capte parfaitement l'humanité en détresse de ce personnage, la fatalité terrible qui la broie doucement et cette descente, non pas aux enfers, mais vers le plus profond de notre biologie, vers la part animale qui sommeille en chacun de nous.

Nous qui oublions tellement souvent que nous sommes aussi des animaux...


Et, pour finir, Victor Dixen en personne, dans la table ronde consacrée au Coup de Coeur des Imaginales.

lundi 19 mai 2014

"Dansons la Jaspucine, y'a du plaisir chez nous. On pleure chez la voisine, on rit toujours chez nous !" (D'après la comptine).

Les fées se sont-elles penchées sur votre berceau ? Vous aimeriez bien, j'en suis sûr... Des fées Disneyennes, genre marraine de Cendrillon ou Clochette, avec les ailes qui scintillent et poudroient... Si vous voulez. Apparemment, les fées qui se sont penchées sur le berceau de Karim Berrouka n'appartenaient pas vraiment à cette catégorie. Elles sont un peu... différentes ? Déjantées ? Désagréables ? Insupportables ? Drôles ? Oui, un peu tout ça à la fois, en fait. Dans "Fées, weed et guillotines" (en grand format aux éditions ActuSF), les fées sont omniprésentes et pourrissent joyeusement la vie d'un pauvre détective et de ses camarades policiers dans une enquête pas croyable. Un roman noir mâtiné de fantasy urbaine, passé à la moulinette pour en faire un livre hors normes, qui vous fera rire par son inventivité intarissable.


Couverture Fées, weed et guillotines


Marc-Aurèle Abdaloff est détective privé à Paris. Oui, oui, un privé, un vrai de vrai, qui tire le diable par la queue, attend que les enquêtes se présentent, les traite de son mieux, chapeau mou, flingue, imper et tout le toutim. Marc-Aurèle, c'est Marlowe made in Paris, j'exagère à peine, un enquêteur fiable et efficace à qui il ne faut quand même pas demander la lune...

Voilà que débarque dans son bureau une dame gentiment excentrique, si l'on en croit sa tenue légèrement extravagante, qui voudrait l'engager. Que demande-t-elle ? Que Marc-Aurèle retrouve une femme. Jusque-là, rien que du très classique. Qui est-elle ? A quoi ressemble-t-elle ? C'est là que ça se corse un brin...

La cliente ne donne pas d'identité et, pour toute description, produit au détective des portraits. Pas photographique, non, des peintures... Je passe sur les propos un peu incohérents que tient cette femme, pourtant apparemment charmante, quoi qu'un peu autoritaire... Elle semble évoquer la période de la Révolution comme si c'était hier et lorsqu'elle lâche enfin son nom et qu'elle lui verse un premier règlement en assignats, Marc-Aurèle, qui en a pourtant vu d'autres, reste cloué à son siège...

Qu'à cela ne tienne, cette cliente est déterminée à ce que ce soit lui qui retrouve son "amie", sa "proche", comment dire ? Et elle va trouver de quoi s'offrir ses services (et à peu près tout l'immeuble abritant les bureaux du Groupement National de Détectives Privés) et lui demander de s'y coller fissa. Apparemment, retrouver cette mystérieuse femme est très urgent...

Marc-Aurèle, très professionnel, se lance alors dans son enquête. Et, pour cela, il va faire jouer ses contacts dans la police. Y travaille son ami Etienne Petiot, don juan invétéré et pourtant si malheureux en amour, qui est le chef de service du Bureau des Crimes Extrêmes. Ceux qu'on appelle quand le sang à bien giclé partout, qu'il y a de la tripaille à foison et que l'auteur est certainement un psychopathe de la plus belle eau.

Etienne est épaulé dans sa lourde tâche (ou tache ?) par un duo de choc, deux hommes aussi différents que complémentaires, les muscles et le cerveau, mais pas ensemble : Bugnard, une espèce de brutes qui n'a peur de rien, surtout pas de transformer toute situation en baston, et Premier de la Classe (personne ne sait son véritable nom), frais émoulu de l'école, insondable puits de science, homme de bureau et exclusivement de bureau, au vocabulaire encyclopédique et aux phrases interminables, encore plus que les miennes, si, si, je vous assure que c'est possible, même que la phrase que vous êtes en train de lire, là, à côté des siennes, c'est juste sujet-verbe-complément...

Marc-Aurèle pense que Premier de la Classe saura retrouver qui est la femme sur les peintures remises par sa cliente. Et là, il va encore être sacrément surpris... Une histoire de dingues ! Mais pas autant que la nouvelle enquête qui a échu à Etienne. Pas d'hectolitres de sang façon film d'horreur de série Z, non, mais un vaste appartement parisien dans lequel il se passe des trucs bizarres...

On y a appréhendé un gamin d'une dizaine d'années tout au plus, fringué comme un milord. Il s'y trouvait en compagnie de trois dames d'un âge certain, tout a fait honorables, sauf qu'elles étaient enfermées dans des cages... Enfin, dans l'appartement, des sacs bourrés de pierres précieuses, de l'argent et de l'herbe en quantité, ceci expliquant sans doute cela...

Pas ordinaire tout ça. Les deux amis, qui ont l'habitude de partager leurs expériences, ont de quoi alimenter leur discussion autour d'une (bonne ?) table. Mais voilà, ni l'un ni l'autre ne sait par quel bout prendre son affaire, tant les faits et le contexte paraissent étranges. Complètement dingues serait une expression plus juste.

Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises, quand les masques vont tomber, que les véritables dessous de ces affaires vont leur apparaître et qu'ils vont se retrouver embringués dans une série d'aventures plus folles et rocambolesques les unes que les autres, en compagnie, je ne dévoile rien, tout est dans le titre, de fées...

Mais quelles fées, mes amis lecteurs ! Ah ça, ce sont de sacrés numéros. Pas commodes, mal embouchées, pas respectueuses des humains pour un sou, caractérielles, rancunières, irascibles... En un mot, insupportables ! Pourtant, je suis injuste avec elles. Je leur applique une vision humaine. Or, dans plusieurs chapitres, qui sont des correspondances, on comprend bien qu'il y a un monde entre la société féerique et la société humaine...

Jamais les fées ne s'abaisseront à la cupidité, l'ambition, la soif de pouvoir, la violence, la vengeance, la colère... Toutes ces émotions tellement humaines qu'elles en sont indissociables de notre espèce et de son imperfection. Non, tout cela est si loin des pensées des fées dont l'univers est régi si différemment... Jamais ? Vraiment ?

Karim Berrouka s'amuse à déconstruire d'un côté le roman noir (le choix des couleurs de la couverture, jaune, noir et blanc, rappelle celles de la Série Noire) et de l'autre les contes de fées. Ensuite, il assemble ces deux appareils, les mélange, les malaxe, les amalgame. Un mortier, un pilon, une grosse dose d'ironie et d'esprit potache pour lier tout ça, et voilà "Fées, weed et guillotines".

J'ai parlé (volontairement) rapidement de la Révolution. Son évocation est secondaire dans le roman, il y a des raisons, et elles sont importantes, quelques passages qui la relatent à travers le regard des personnages du monde des fées, mais l'essentiel de l'intrigue se déroule bien de nos jours. Disons que son souvenir hante l'une des fées pour une raison qu'on comprend bien vite et une autre que l'on va découvrir au fur et à mesure.

Les fées, là encore, j'ai choisi de ne pas entrer trop dans les détails, excepté leur caractère, pour que vous compreniez bien de quoi il retourne. Certains auront peut-être remarqué mon détournement, en titre de ce billet, d'une célèbre comptine. Jaspucine est le nom d'une de ces fameuses fées. Un autre se nomme Zhellébore et toutes celles que l'on croise ont droit à ces petits noms charmants.

Karim Berrouka en fait donc des personnages pas franchement agréables, même si elles n'y sont pour rien, elles ont été éduquées ainsi... Il en fait aussi des anachronismes ambulants qui ont bien du mal à comprendre certaines évolutions du monde des humains, comme la mode ou la technologie. Et, sur ces ressorts comiques, il bâtit gags et situations décalées. Sans même parler des notions de propriétés et d'argent, assez floues dans leur esprit...

Et on comprend vite que c'est aussi l'improbable collaboration entre fées et humains qui va aussi provoquer bien des rebondissements. Les humains, avec les moyens limités dont ils disposent, et les fées qui se fichent bien des dommages collatéraux que leurs pouvoirs et leurs agissements peuvent avoir dans un monde dont elles se moquent comme d'une guigne, vont devoir oublier leurs différences et divergences pour atteindre un objectif commun (ou presque). Et combattre un ennemi bien particulier...

Je n'irai pas jusqu'à dire qu'un échange va se faire entre les protagonistes, que les fées vont devenir plus humaines (l'histoire montre que, par certains côtés, elles n'ont pas eu besoin d'aide), ni que les humains vont profiter d'une bonne bouffée de merveilleux, mais la barrière des espèces n'est peut-être plus si hermétiques qu'auparavant.

Quant à la weed, eh bien, je ne vais rien vous en dire. En tout cas, rien sur sa raison d'être dans l'histoire. En revanche, je peux vous dire que sa présence offre quelques passages d'une grande drôlerie. A croire que l'effet de cette plante, dont on fait un usage particulier dans le roman de Karim Berrouka, est capable de faire sentir ses effets au-delà des pages du livres (et même de l'écran de la tablette, puisque je l'ai lu en numérique), car je gloussais moi-même comme un nigaud en lisant ces passages...

Et ce n'est pas le seul passage qui m'a fait rire, sincèrement. Bien sûr, il faut accrocher à cet humour, moi, j'en suis friand, je m'en suis régalé dès les premières lignes et jusqu'aux dernières pages. Mais que ce soit les personnages, humains ou issus du monde des fées, les situations, l'intrigue, l'écriture de Karim Berrouka, tout cela concourt à une franche rigolade.

Avec une mention spéciale à... Premier de la Classe. Tiens, amusant de savoir chez les uns ou les autres, quel personnage vous aura le plus marqué dans ce livre. Oui, moi, je l'avoue, je le revendique, ce garçon m'a amusé, mais j'ai aussi apprécié la véritable révélation qu'il a au cours de cette histoire.

Lui qui ne quittait jamais son bureau, incapable de fréquenter les scènes de crime macabres dont hérite son service sans répandre tripes et boyaux, il va se découvrir des talents bien particulier, et surtout un courage dont il ignorait tout (à part la définition et l'étymologie, bien sûr). J'ai fini en le voyant en une espèce d'Egon Spengler, le personnage incarné par le regretté Harold Ramis dans Ghostbusters. En un tout petit peu plus exubérant, je le reconnais volontiers. J'ai de ces associations d'idées, quand je lis, moi...

J'avais eu un avant-goût de cet univers un peu particulier, pour ne pas dire franchement branque, dans l'anthologie du Festival Zone Franche de Bagneux, "Lancelot", où Karim Berrouka confrontait son équipe de choc, Marc-Aurèle, Etienne, Premier de la Classe et Bugnard à des chevaliers de la Table Ronde passablement excités.

J'avais très envie de retrouver ces personnages et de voir comment ils se dépatouilleraient de leur rencontre avec des fées. Je n'ai pas été déçu du résultat, bien au contraire, mais j'étais à mille lieues d'imaginer la folie dans laquelle je me lançais, une folie douce, qui fait du bien, parce que c'est bon de rire, parfois, et parce que trouver des livres drôles, ce n'est pas toujours évident.

Ce n'était pas la première nouvelle que je lisais de Karim Berrouka, mais, comme souvent avec un nouvelliste, j'étais curieux de voir comment se passerait le passage du format court au format long. Ici, le test est allègrement réussi, puisque "Fées, weed et guillotines" fait près de 400 pages, et on ne s'ennuie pas une seconde.

Je ne sais pas si l'auteur aura envie de poursuivre dans ce mélange de roman noir et de fantastique déjanté, s'il pense déjà à confronter son quatuor d'élite à de nouvelles rencontres déroutantes, je replonge volontiers. Il y a un large potentiel dans ce point de départ pour créer de nouvelles aventures bien délirantes. Mais, cela reste à l'appréciation de Karim Berrouka, qui saura, je pense, de toute façon nous surprendre encore à l'avenir.

dimanche 11 mai 2014

"L'animal est fait pour nourrir l'homme. A son tour, l'homme peut nourrir le Gardien."

Je reprends la plume, enfin le clavier, quoi, après quelques journées très chargées (que d'autres suivront...) pour évoquer le deuxième tome d'un cycle de fantasy dont j'avais apprécié le Livre Premier. J'y disais qu'on avait l'impression de lire un seul et même roman coupé en parts, je n'ai donc eu aucun mal à rentrer dans le Livre Deux du "Sang des 7 Rois", de Régis Goddyn (disponible à l'Atalante). Evidemment, ce billet s'adresse en priorité à ceux qui ont déjà lu le tome 1, je ne le précise pas à cause d'éventuels spoilers, mais parce que vous risquez surtout de ne rien comprendre à ce qui va suivre. Je restais sur une somme de questions, sur ce qui se passait dans cet univers très intéressant, à propos de deux personnages, Orville et Rosa... Je ressors de ce deuxième tome avec quelques réponses, pas mal de surprises, une intrigue qui se précise mais encore bien des interrogations !





Faisons le point. Orville, auto-proclamé roi du Huitième Royaume, qui ne comprend en fait que l'île du Goulet et les îlots alentours, est en exil sur un coquille de noix, accompagné du seul Pétrus, musicien et poète, mais qui semble mieux savoir naviguer que l'ancien soldat. Voilà les deux acolytes en fuite, mais entre récifs, hauts fonds, pirates et même la menace des Gardiens, difficile de savoir s'ils vont pouvoir s'en sortir.

Les objectifs exacts d'Orville, étonnamment serein malgré la situation quasiment désespérée dans laquelle il se trouve, reste flous, surtout pour le pauvre Pétrus. Mais Orville reste obnubilé par sa mission première : retrouver les deux enfants enlevés en Hautterre. Il maîtrise de mieux en mieux la Clairvoyance et les autres pouvoirs qu'il s'est découvert récemment et cela semble lui donner une grande confiance en lui, et en son avenir...

Avant d'envisager revenir à l'île du Goulet, il va sans doute devoir retourner sur le continent, où il se sait recherché... Mais, il va lui falloir se faire oublier avant d'espérer faire valoir son bon droit et reprendre son trône. Car les Gardiens ont brisé des Lois fondamentales des 7 Royaumes en le menaçant et en le poussant à quitter son île...

Rosa, elle aussi, commence à mesurer l'ampleur de ses capacités nouvelles. Comme Orville, c'est pourtant du sang bien rouge qui coule dans ces veines... L'adolescente est encore trop jeune pour se poser ce genre de questions, mais avec le danger, on mûrit vite. Poursuivie par Cravan, Gardien impitoyable qui veut sa mort, elle s'est réfugiée avec le théocrate Lambret au sein d'un groupe de fuyards.

En son sein, des hommes, mais pas des guerriers, des femmes, dont certaines enceintes, des enfants, nombreux, bref, pas vraiment la troupe capable de résister à Cravan et ses soldats expérimentés... Rosa et ses amis sont partis dans une région difficile d'accès, aride, escarpée, qui ne leur facilite pas la tâche, mais celle de Cravan non plus.

Leur seul objectif : retarder l'échéance, lorsque Cravan, en qui certains membres du groupe voient un démon, les rattrapera... En attendant, il reste la ruse. Et Rosa. La ruse, c'est brouiller les pistes au maximum. Quant aux pouvoirs de Rosa, bien utilisés, ils pourraient assurer la subsistance du groupe... Voilà comment Rosa, accompagnée de Fernest, se retrouve sur les crêtes, à cheminer seuls... Joli petit couple, non ? Mais je m'emballe...

Sylvan est Gardien. Un des rares qui respectent encore les règles et les traditions ancestrales, on dirait... C'est lui qui est à la tête de la Garde sur l'île du Goulet, lui qui reconnaît, parce que c'est ainsi, la souveraineté d'Orville, lui qui est, par son exceptionnelle rapidité, un combattant remarquable. Et ce qui se passe ne lui plaît pas du tout...

Et comme il n'est pas d'accord avec les ordres, ses positions déplaisent à Lothar, le général de la Garde. Ce dernier voudrait bien se débarrasser de l'empêcheur de tourner en rond et mettre à sa place Aldemond, un jeune garde, à la rapidité impressionnante, mais qui brille plus par sa curiosité intellectuelle que par son esprit guerrier. Lothar pense que, quand Aldemond aura remplacé Sylvan, il le manipulera sans problème...

Il faut encore comprendre qui pousse Lothar à se conduire ainsi, contre toutes les règles en vigueur. Mais la Lignée, autrement dit ces nobles qui ont du sang bleu (ardoise, disent les uns, myrtille, disent les autres) est au coeur des préoccupations et de ces grandes manoeuvres, violentes, cruelles, meurtrières et arbitraires, entreprises par la Garde... Et si d'autres voulaient, au contraire, relancer cette Lignée ?

Vous l'aurez compris, plus encore que le Livre Premier, ce Livre Deux entremêle les récits, les points de vue, les situations. La liste des personnages est longue, c'est un vrai roman d'aventures épiques, bourré de surprises, de rebondissements et de nouvelles perspectives qu'on imagine voir développées dans les tomes suivants.

Evidemment, je ne vais pas en dire plus, et, si vous vous plongez dans ce cycle, vous comprendrez à quel point ces quelques paragraphes sont une goutte d'eau tombée dans la mer intérieure où navigue Orville. Mais, comme lors de la lecture du Livre Premier, j'ai été frappé par la cohérence de l'ensemble, l'impression que rien n'est laissé au hasard, que Régis Goddyn sait parfaitement où il va et qu'il va nous mener là-bas par le bout du nez encore un moment.

La manière dont les personnages se dévoilent à nous, parfois en même temps qu'ils se dévoilent à eux-mêmes, est très bien faite. Comment voir venir certaines choses, quand les indices se cachent dans les corps ? Ce fameux sang, qu'on guette chez les uns ou les autres, est-il rouge, est-il bleu ? Et encore ! Voilà des êtres à sang rouge capable de choses extraordinaires... Mais que diable se passe-t-il dans les 7 Royaumes ?

Dans mon souvenir, j'avais évoqué dans le billet sur le Livre Premier, les questions d'épuration ethnique et de génétique appliquées à un cycle de fantasy. Dans ce second volet, tout cela se confirme et parfois, c'est troublant, presque dérangeant, tant on reconnaît des épisodes qui ont marqué notre imaginaire collectif, notre culture...

Les rafles, les exécutions sommaires, l'arbitraire totalitaire à l'oeuvre, jusque dans les plus abominables des crimes. On voit des populations réduites en esclavage, déportées, on évoque des camps, les descendances à endiguer, un sang qu'il faut tarir, absolument... Comment ne pas penser à la période nazie, bien sûr... Mais pas seulement, on y reconnaît d'autres crimes odieux du même genre...

J'en parle de cette façon, car ce n'est pas le coeur de ce Livre Deux, mais tout cela y est, en toile de fond. Tandis que l'on suit les pérégrinations, les (més)aventures des personnages évoqués plus haut, tout cela s'organise, se déroule, au vu et au su de tous, mais sans que cela soit aussi évident. La peur règne sur les 7 Royaumes, on le sent bien, et les Gardiens pourraient porter des uniformes noirs ornés de runes rappelant des S que ça ne serait pas plus étonnant que ça...

Régis Goddyn applique ces sinistres agissements à son univers de fantasy avec finesse, mais surtout, dans un but bien précis. On n'en cerne qu'une toute petite partie, pour le moment, mais il est évident que tout cela n'a rien de superfétatoire (j'aime énormément ce mot, je suis ravi d'enfin pouvoir le placer dans un billet !), que ce sera au service de l'intrigue centrale à un moment ou à un autre...

Non, on ne comprend pas tout ce qui se passe. On commence à avoir une idée de ceux qui agissent, mais pourquoi, sur ordre de qui ? Là, on est encore dans le noir complet. Pourtant, ce qui m'a intéressé dans ce deuxième tome, c'est que, parallèlement à la mise en action lente mais inexorable et redoutablement efficace de l'horreur, des oppositions s'organisent...

Les victimes, bien sûr, mais aussi ceux qui sont évincés, comme les Théocrates, des personnes, comme Orville, qui ont sans doute d'abord des raisons personnelles de ne pas accepter la chape qui tombe sur les 7 Royaumes, et même quelques hommes qui auraient dû se mettre au service de ce pouvoir monstrueux qui refusent, parce que cela contrarie leur éthique, leur intégrité.

Là encore, comment ne pas avoir à l'esprit le mot "résistance" ? C'est bien ça, pour le moment, diverse, éparpillée, désorganisée, ignorant même qu'elle puisse avoir une existence concrète pour le moment. Comme pour le génocide, cette apparition diffuse de ces mouvements, collectifs ou individuels, aux motivations variées, nous est soumise presque insidieusement, en marge des histoires principales, mais c'est bien là, c'est évident...

Comment les personnages principaux vont-ils s'articuler dans cette mise en place ? Comment les destins individuels et les aspirations collectives (qu'elles soient positives ou franchement néfastes) vont-ils s'entrecroiser, se compléter ou s'opposer ? Ce seront, parmi d'autres, les enjeux que je guetterai dans les prochains tomes (en croisant les doigts pour ne pas me faire berner une fois de plus par Régis Goddyn, maître ès-fausses pistes...).

Tout ça ne serait pourtant rien si cela ne se fondait pas dans un formidable roman d'aventures, entre terres, mer, montagne, dans des décors qu'on imagine somptueux, autant qu'hostiles, des lieux allant du sinistre au majestueux... A l'image de l'univers du "Trône de fer", on passe de l'un à l'autre de ces cadres qui, minent de rien, jouent leur rôle dans l'évolution et des personnages, et de l'intrigue.

Il y a des poursuites, du suspense, des bagarres, là encore dans des conditions sensiblement différentes, n'engendrant donc jamais de monotonie. La multiplicité, même si elle dérangera ceux qui aiment les récits simples et linéaires, est un formidable atout dans la manche de Régis Goddyn pour sans cesse relancer la mécanique.

D'ailleurs, parmi les personnages évoqués dans la première partie de ce billet, certains traversent le roman, d'autres n'y font que des apparitions, mais devraient revenir plus tard, d'autres seront simplement de passage, enfin, la situation de certains personnages changent radicalement entre le début et la fin... Là, c'est un autre parallèle qui le vient à l'esprit, dans la structure, pas dans le fond : la série "24h chrono".

Chaque livre est comme un épisode indissociable de son tout, comme chaque heure de la série impliquant Jack Bauer/Kieffer Sutherland. A la fois indépendante et pourtant, part essentielle de l'ensemble. Je suis bluffé par la façon dont Régis Goddyn construit son cycle, avec la même sérénité que son personnage d'Orville.

Vous croyez qu'on louvoie ? Je ne suis pas si sûr, le puzzle a 10000 pièces, toutes petites, qui paraissent toutes se ressembler, on a encore que les coins, mais on sait qu'on aura une image complète lorsque le cycle s'achèvera... Et cette image, Régis Goddyn l'a parfaitement en tête. Ne lui reste plus qu'à la mettre en mots, pour encore quelques tomes (le troisième est déjà disponible, le quatrième annoncé...).

Et le lecteur, lui, est accro, parce que ce qui se passe dans les 7 Royaumes poussent sévèrement à l'addiction. On veut comprendre ce qui se passe, qui tire les ficelles et pourquoi, comment ces projets démoniaques seront mis en échec (ah ben oui, quand même, on reste optimiste !), ce qu'il arrivera aux différents personnages, auxquels on ne s'attache pas forcément (peu le sont vraiment) mais dont le destin peu ordinaire et les questions qu'il suscite sont assez forts pour nous attacher à eux...

Le tome 3 est là, posé pas loin, me nargue presque... Je te lirai, un jour, je te lirai !

Et je saurai ce qu'il y a de pourri dans les 7 Royaumes...

jeudi 8 mai 2014

"L'argent, c'est le métal que le Bon Dieu a mis sur Terre pour aider les hommes à lutter contre les erreurs de Sa Divine Création."

Imaginez "l'Appel de la Forêt", de Jack London adapté par le duo Tarantino/Rodriguez. Bon, j'exagère un peu. Beaucoup. Surtout pour London ! Plus sérieusement, c'est un roman sombre, oppressant, glacial, sanglant et plein de bruit et de fureur que nous allons découvrir aujourd'hui. Un western fantastique et crépusculaire (oui, j'aime bien ce vieux cliché du "western crépusculaire", et alors ?), court mais très dense, avec une étonnante galerie de personnages et une ambiguïté certaine qui habite l'ensemble de ce texte. Révélé avec un roman de fantasy, "la Geste du Sixième Royaume", qui a obtenu le prix Imaginales il y a deux ans, revoilà Adrien Tomas avec un roman horrifique qui devrait plaire aux fans d' "Une nuit en enfer", mais pas seulement : "Notre-Dame des Loups" (qui vient de paraître chez Mnémos).





Aidan Arlington était un journaliste. Un bon journaliste. Un homme de terrain qui a couvert la Guerre de Sécession, interviewé les personnages les plus importants de son époque, de l'Union comme de la Confédération. Une étoile montante de son métier. Mais ça, c'était avant... Nous sommes en 1868 et voilà près de quatre ans que sa carrière a bifurqué.

Oh, s'il avait eu le choix, il aurait continué à faire son job de journaliste sans état d'âme. Mais voilà, un soir, en Pennsylvanie, un fâcheux incident a tout changé. Sauvé in extremis par une bande de chasseurs un peu particuliers, il n'a pas d'alternative : s'il veut vivre, il doit tout quitter, tout de suite, sans espoir de retour et se joindre à la troupe.

Ils s'appellent les Veneurs et parcourent les Etats-Unis en long, en large et en travers pour accomplir une mission quasiment sacrée, en tout cas, salutaire. Pourtant, ils n'ont rien de héros populaires, car leur tâche, en plus d'être extrêmement dangereuse, doit impérativement rester secrète. Une tâche poursuivie inlassablement, qu'il pleuve, qu'il vente, ou qu'il neige...

Et justement, là, il neige. Beaucoup. Les forêts de l'ouest des Etats-Unis, et même du Canada, quelque part entre Seattle et Vancouver, sont couvertes de cette neige épaisse. L'hiver 1868 est rude dans cette région. Et c'est là que l'on retrouve Aidan et les autres Veneurs, en pleine action. Les conditions sont mauvaises et, depuis peu, les ennemis se font plus nombreux, comme s'ils sentaient que les chasseurs approchent de leur but...

Aux côtés d'Aidan, il y a Jack, le chef du groupe. Aidan ne l'aime pas, et c'est réciproque... L'ancien journaliste le trouve stupide, mais l'autre a une âme de leader et la discipline implacable qu'il fait régner au sein du groupe a éviter bien des drames depuis qu'il a pris la tête des Veneurs. Ca, impossible de dire le contraire. Mais de la à lui faire confiance...

Il y a Würm. Wilhelm Friedrich, de son prénom. Originaire d'Europe, il a traversé l'Atlantique pour pouvoir poursuivre la chasse qu'il avait commencé dans son pays natal. Il est d'ailleurs le seul à avoir chasser ailleurs qu'en Amérique... D'Allemagne, il a gardé un léger accent et sa tenue, immuable, dont il ne se sépare jamais et qui ne laisse presque rien voir de lui... Enigmatique... Würm était le chef avant Jack, mais il lui a laissé sa place après quelques attaques qui ont échoué...

Il y a Billy, William Winters, le plus jeune de la bande. Un sacré caractère et un excellent tireur. Le don juan de la troupe, aussi. A chaque période de repos, il faut qu'il séduise et qu'il couche avec une ou plusieurs demoiselles... Mais, aussi doué soit-il, il est aussi un peu tête en l'air, trop sûr de lui. Il devrait se méfier : dans cette chasse, toute inattention est fatale !

Il y a Jonas Jorgensen, l'aîné des Veneurs. Un des plus anciens aussi dans la troupe. Il a beau puer comme un troupeau de boucs, il est indispensable aux Veneurs : il en est l'armurier. C'est à lui qu'on doit les perles, ces balles en argent, que les chasseurs tirent sur leurs adversaires et qu'il faut ensuite récupérer dans leur chair encore palpitante. Parce que rien ne doit se perdre...

Enfin, il y a Evangeline. Oui, une femme ! Une ancienne esclave qui a rejoint la troupe après l'abolition, lors d'un passage en Louisiane. On dit qu'elle pratiquerait le vaudou, qu'elle communiquerait avec les esprits... C'est peut-être vrai, mais surtout, elle s'occupe des chiens. De vrais molosses avec des mâchoires énormes, qu'on renforce avec un "gnap-gnap", une mâchoire supplémentaire aux dents d'argent impressionnantes qu'on harnache à la gueule des chiens...

Voilà ces valeureux Veneurs, aux côtés desquels nous avançons, redoutant à chaque instant une attaque, une embuscade. C'est certain, ils sont sur le bon chemin, les escarmouches se multiplient depuis peu, les adversaires sont à chaque fois plus nombreux, mieux organisés, comme si elle était tout près... Comme si elle voulait les empêcher d'approcher encore plus...

Elle, c'est celle qu'on surnomme Notre-Dame des Loups, entre autres surnoms...

Et, tout Veneur qu'on soit, c'est avec autant de révérence que de peur qu'on prononce ce nom. Ce qui n'empêchera pas que, le jour où on sera enfin face à elle, de lui coller une perle entre les deux yeux ! Le seul moyen de faire cesser ce cauchemar... Peut-être... Mais, elle ne se laissera pas faire, la garce, et il faudra encore en tuer, de ses Rejs, comprenez les Rejetons de la Dame, avant de pouvoir espérer la tuer...

Que sont ces rejetons ? De ce côté de l'Atlantique, on les appelle des wendigos. Des créatures terrifiantes, monstrueuses, d'une férocité inouïe, dévouées à leur Dame corps et... non, elles ne peuvent pas avoir d'âme, ces bestioles-là... Même morts, ils sont encore dangereux, les wendigos. Un simple contact avec leur sang, quel qu'il soit, et c'est la contamination...

Voici donc ce que raconte "Notre-Dame des Loups" : une traque, qu'on imagine décisive (mais dans quel sens ?), une guerre sans quartier ni merci dont personne ne saura jamais rien, alors qu'elle aura, si tout se passe bien, sauvé le monde d'un fléau abominable. Mais, pour cela, il va falloir survivre et garder secret ce combat gigantesque.

"Notre-Dame des Loups", c'est d'abord une ambiance. Les forêts profondes, un temps toujours plombé, jamais lumineux, de la neige, en grande quantité, qui entrave les pas, complique la progression déjà difficile d'un groupe qui ne peut se permettre de ne pas faire corps. Les veneurs, c'est une espèce de machines à composant humain, chacun y tient un rôle précis, s'il le lâche, ne serait-ce que quelques secondes, il met tous les autres en danger...

Il y a donc, en plus de ce contexte bien lourd (sorti d'un western à la Peckinpah, en plus noir encore), cette épée de Damoclès, très effilé, à la lame crantée comme une mâchoire, aux crocs dégoulinants de salive, qui menace de s'abattre à chaque instant. Et je parierais que ce n'est pas un crin de cheval qui la retient, mais le poil dru d'un autre animal, si vous voyez ce que je veux dire...

Les scènes d'action proposées par Adrien Tomas sont d'une soudaineté, d'une violence et d'une densité stupéfiantes. On a beau s'y attendre, on sursaute, on se tend, on fait le dos rond (même si cette stratégie, avec toutes les perles qui volent, n'est peut-être pas une si bonne idée, à la réflexion...), on rentre la tête dans les épaules et on attend que ça se termine...

Quand il n'y aura plus d'assaillants, d'un côté... ou de l'autre... Car à chaque attaque, on se dit que les Veneurs peuvent finir sur la carreau. Eventrés, décapités, membres arrachés, ce qui serait mieux que la contamination qui ferait... Non, je ne préfère rien dire, là-dessus. En plus, je pourrais passer pour un "héraut de panique", et ce ne serait franchement pas bon pour ma santé !

"Notre-Dame des Loups" est un roman court, moins de 200 pages, qui se dévorent à pleines dents, riches en moments de tension et en rebondissements. On entre dans le vif du sujet tout de suite, dès les premières pages, on pénètre dans cet univers, on dirait que je parle d'un roman de fantasy, mais c'est bien du fantastique, c'est juste que le ciel et la terre semblent s'être mis au diapason pour former une chape, lourde et inquiétante...

L'efficacité de ce roman, c'est sa construction. Mais, là, je ne vais rien vous dire, à vous de la découvrir. Oh, rassurez-vous, je pense que vous pigerez vite la mécanique. Qui rappelle un peu un roman mythique, dont je tairais le titre, qui fonctionne un peu de la même façon, dans un décor et une atmosphère toutefois bien différents.

Oui, c'est rondement mené, le lecteur n'est jamais ménagé, on se croit par moments au coeur des scènes, comme dans ces films tournés caméra à l'épaule, presque en vision subjective. Il y a un côté jeu vidéo, aussi, un "shoot'em up" grandeur nature où, plus que jamais, il ne faut laisser aucune chance à l'adversaire de s'approcher trop près...

Et puis, il faut quand même que je détaille un peu ce que j'ai laissé entendre un peu plus haut, concernant celle vers qui se tendent les volontés réunies en une seule de tous les Veneurs : celle qu'on appelle Notre-Dame des Loups. Oh, restez zen, je ne vous dirai rien d'elle à proprement parler. Je voudrais juste parler de ce qui m'a frappé tout au long du roman la concernant : la manière de l'évoquer pleine de religiosité...

Rien que le titre du livre plante le décor. Mais on l'appelle aussi la Dame, la Grande Dame... C'est moi, où on croirait des pèlerins parlant des apparitions de la Vierge à Lourdes ? Oui, il y a quelque chose d'aussi impressionnant que ce qu'on voit chez une sainte, dans le ressenti des autres. La sainteté pour parler d'un démon...

Cette "canonisation" de cette entité, car longtemps, on se demande ce qui se cache derrière ces mots, exactement, qui ou quoi, d'ailleurs, participe à l'aspect impressionnant du roman, à son oppression. Oui, la métaphore du pèlerinage n'est pas si fausse. Les Veneurs sont des pèlerins avançant en procession à la recherche de leur salut. Sauf qu'il ne viendra pas de l'adoration de la sainte, au final, mais bel et bien de sa mise à mort. A condition qu'elle le permette, ce qui est loin d'être sûr.

Vous avez l'impression que j'en ai dit beaucoup, surtout pour un roman court comme celui-là ? Oh, ne vous en faites pas, j'ai bien calculé mon coup, je suis resté très généraliste sur plein de choses, je n'ai pas du tout raconté d'événements précis, j'ai survolé la personnalité des personnages, quand j'ai parlé d'eux...

Il y a encore beaucoup à découvrir dans ce roman particulier, d'une grande richesse, en dépit de sa brièveté. Il y a là tous les codes d'un véritable western, dans une région sauvage, difficile d'accès, un peu oublié, qui rencontrent, entrent en collision, même, avec les codes du film d'horreur et de monstres. Un hommage jubilatoire à ces deux genres qui s'appuie aussi sur la variété des légendes.

Voilà encore un point intéressant : comment des légendes, nées à distance, sur deux continents différents, avec des spécificités culturelles remarquables ont-elle pu aboutir à des mythes aussi voisins ? Adrien Tomas, en confrontant les expériences des Européens, des descendants de colons, mais aussi des populations autochtones, nourrit aussi son récit.

Et c'est loin d'être anodin, parce que, pour lutter contre un adversaire tellement supérieur en nombre, il faudra de la cohésion, mais aussi accorder des états d'esprit et des philosophies bien différentes, peut-être même incompatibles... Au point que, face à un groupe aussi hétéroclite, on peut se demander si la principale alliée de Notre-Dame des Loups ne pourrait pas être... la zizanie !

"Notre-Dame des Loups" est le premier roman d'Adrien Tomas, auteur dont j'entends dire le plus grand bien depuis deux ans maintenant, que je lis. Voilà une expérience qui me donne envie de lire ses premiers livres, dans des univers de fantasy plus classiques, en espérant y trouver les même émotions, cette inexplicable sensation qui vous attrape et vous emporte de la première à la dernière page d'un livre...

mardi 6 mai 2014

"Contre l'inconvénient de se faire une trop haute idée d'autrui, il n'est pas meilleur antidote que d'avoir, au même moment, une excellente opinion de soi-même" (Sir Walter Scott).

Ne croyez pas que je sois allé piocher un titre chez Walter Scott par hasard, même si ce n'est pas la référence première mise en avant par l'éditeur de notre roman du jour. Mais voilà, dans mon esprit (pas toujours bien ordonné...), c'est vers cet auteur que je me suis tourné. Avec un premier roman et une découverte pleine de promesses, "le Bâtard de Kosigan", de Fabien Cerutti (en grand format chez Mnémos). Un livre qui se partage entre deux époques, l'une médiévale, l'autre plus proche de nous, pour une double intrigue entre roman de chevalerie et roman policier du tournant des XIXe et XXe siècles. De l'aventure, de la bagarre, des tournois. Et des questions, plein de questions ! Le tout autour d'un personnage charismatique à souhait et d'une France revue à travers le prisme du merveilleux.





Pierre Cordwain de Kosigan ne s'en cache pas, il gagne sa vie comme mercenaire. On m'embauche et on le paye (bien) lui et son équipe pour accomplir des missions délicates, le tout, dans la plus grande discrétion. Et, dans ce domaine, il est le meilleur. Partout, la réputation de celui qu'on appelle "le Bâtard" le précède. Auprès de ses amis... comme de ses ennemis.

Né des amours d'un aristocrate bourguignon de renom, Gregor de Kosigan, et de sa cuisinière, le Bâtard a vite été chassé des terres familiales à la mort de son père. Le frère de Gregor, Borogar, comte de Bourgogne, ne pouvait tolérer la présence de cet enfant illégitime dans son entourage proche. Pierre est donc parti en exil, a donné des lettres de noblesse à sa bâtardise et a appris à tuer.

Au mois de novembre 1339, le Bâtard de Kosigan et sa troupe de mercenaires d'élite (dont nous allons, les uns après les autres, découvrir les talents, parfois surprenant), se trouvent en Champagne. Kosigan doit y participer au tournoi d'hiver, organisé en mémoire de feu le Comte de Champagne, par son épouse, la Comtesse Catherine de Champagne.

Or, Catherine n'est pas n'importe quelle Comtesse : elle descend d'un peuple elfique et elle est la dernière souveraine de ce genre en Occident, les peuples anciens ayant été traqués et décimés des siècles plus tôt par l'Eglise et son Inquisition. En outre, son comté, coincé entre deux ambitieux voisins, le royaume de France et le comté de Bourgogne, aiguise bien des convoitises...

Le tournoi d"hiver est un événement majeur de l'année. Les plus grands chevaliers viennent des quatre coins de l'Europe pour en découdre : le Prince Noir, Edward, fils aîné du roi d'Angleterre sera à Troyes pour l'occasion, comme le Bourguignon Gérard d'Auxois ou le prince Robert de Navarre, sénéchal du Roi de France...

Autant de personnalités de très haut rang, avec qui Kosigan a eu ou a encore des démêlés... D'ailleurs, il semble bien qu'on veuille profiter de la période du tournoi pour régler son compte à l'encombrant Bâtard une bonne fois pour toutes. Il n'y a pas que dans la lice, pendant le tournoi, que Kosigan risque de prendre un mauvais coup, les nuits troyennes sont bien dangereuses, à cette époque...

Mais ses amis veillent et il en faut plus au fameux Bâtard de Kosigan pour se faire piéger. Toutefois, il aimerait bien savoir qui lui en veut à ce point, et, malgré une grande force de persuasion (avec un couteau à la main, on est tout de suite plus convaincant, par exemple), il ne parvient pas à dissiper ce mystère.

Et comme tout le monde, seigneurs, épouses, vassaux, maîtresses, semble en vouloir à ce brave garçon, consciencieux et roublard, il n'est pas évident de deviner qui essaye de le laisser sur le carreau. A moins que les coups tordus pendant le tournoi soient un indice important. Ou juste une énième tentative de régler quelques comptes passés...

Pourtant, le tournoi n'est pas le seul événement important se déroulant à Troyes en ce mois de novembre. D'intenses pourparlers diplomatiques se déroulent également en marge des cérémonies. Car la Comtesse Catherine a une fille, Solenne, qui arrive en âge d'être mariée. Et, comme je l'ai dit plus haut, une alliance avec la Champagne satisferait les plus puissants seigneurs, par la position géographique du comté, mais aussi du fait des origines elfiques de cette famille.

Pas étonnant, donc, que Troyes grouille de gentilshommes de haute lignée, mais aussi d'espions, de spadassins et... de mercenaires. Reste à savoir le rôle que joue les différents protagonistes, le Bâtard de Kosigan en tête, dans ce jeu d'échecs diplomatique où cavaliers, fous, tours, reines et pions s'échangent et se renversent en réalité...

En soit, on a déjà là les ingrédients d'un excellent roman plein d'action et de surprises. Mais voilà, ce n'est pas tout ! A intervalles irréguliers, le récit du Bâtard de Kosigan s'interrompt et laisse place à une correspondance. Des lettres signées par un certain Michaël Konnigan, qui se présente comme professeur d'archéologie médiévale et qui vit entre Londres, Paris et la Russie... en 1899 !

Au fil de ces lettres, adressées à différentes personnes, on comprend que ce "Konnigan" a bien des choses à cacher... On découvre aussi qu'il vient d'hériter d'un curieux objet, un coffre magnifiquement ouvragé, qu'il a bien du mal à ouvrir. Pourtant, son contenu n'a pas fini de le surprendre et va l'entraîner dans une étrange enquête...

Des recherches qui vont surtout valoir à "Konnigan" bien des ennuis. Il va devoir se replonger dans son trouble passé, mais aussi comprendre ce qu'il a entre les mains. Et comprendre, c'est bien tout le problème, car rien ne colle, en fait... Et il semble que la révélation du contenu du coffre ne fasse pas plaisir à tout le monde.

Je n'en dis pas plus sur les liens entre ces deux époques, d'autant que je n'en sais pas beaucoup plus, même en ayant fini ce livre... De là à penser qu'une suite arrivera pour nous donner quelques réponses supplémentaires... Cela expliquerait aussi la présence d'un sous-titre, "L'ombre du pouvoir". Et je ne serais pas fâché de poursuivre l'aventure aux côtés du Bâtard et de sa troupe...

Si vous aimez les romans de chevalerie, alors, "le Bâtard de Kosigan" devrait vous plaire, car on a droit à des tournois magnifiquement décrits (Fabien Cerutti est scénariste de jeux en ligne, ça se ressent) mais aussi des scènes d'action dans différents lieux, différents contextes, en intérieur, comme en extérieur. On ne s'ennuie pas une seconde.

Mais, au format classique du roman de chevalerie, l'auteur ajoute donc de la magie et du fantastique, avec quelques créatures survivantes du temps où les peuples anciens, elfes, nains, fées, et autres, peuplaient la Terre en grand nombre. Ne vous attendez pas à des débauches de fantastique, non, ça reste léger et surtout, cela sert remarquablement l'intrigue. Pas d'esbroufe, de l'efficacité avant tout !

J'aimerais aborder d'autres aspects avec vous, mais je ne le peux pas. Eh oui, vous connaissez sans doute mon amour pour l'histoire, en romans, en polars, en fantasy, en récit, etc. Vous adorez, si, si, ne le niez pas, mes digressions dignes de cours magistraux dispensés par des professeurs passionnants et qui transmettent cet amour des faits passés. Vous dévorez avec avidité les passages de mes billets dans lesquels je remets le contexte historique en perspective...

Eh bien, ici, pas du tout. J'voudrais ben, tsoin, tsoin, tsoin, mais j'peux point, comme le chanterait Annie Cordy au meilleur de sa forme (appréciez la référence, s'il vous plaît !). Non, je ne peux pas, car ce contexte historique est en effet très important dans le déroulement du roman. Il faudra juste faire avec l'année 1339 et, sincèrement, laissez-vous porter par ce récit rondement mené jusqu'à son terme.

Dans la présentation du roman, les éditions Mnémos mettent en avant l'influence de G.R.R Martin sur le travail de Fabien Cerutti. Avis aux amateurs du Trône de Fer, donc. Mais, ce qui est amusant, c'est que Martin avoue avoir été influencé par la saga historique de Maurice Druon, "les Rois Maudits", qui se déroule dans la France du XIVe siècle... comme le Bâtard de Kosigan... On en perd sa langue d'oïl !

Je vous voir venir ! Martin trucide à tour de bras, en est-il de même chez Cerutti ? Pour être franc, il y a de la violence, dans "le Bâtard de Kosigan", y compris dans les scènes de tournoi, où les combattants ne se ménagent guère et n'en sortent qu'assez légèrement meurtris que parce que les armes utilisées sont émoussées...

Et puis, ses personnages sont du genre durs au mal, voire carrément résistant. Je n'en ai pas encore parlé, mais le Bâtard, appelons-le ainsi, a une constitution un peu particulière. Sans doute bénéficie-t-il aussi d'un métabolisme spécial... Oh, ça fait partie des questions qu'on se pose sur lui : Bâtard, d'accord, mais ne cacherait-il pas, même à son insu, d'autres secrets surprenants ?

Comment savoir ? Le Bâtard est le narrateur de la partie médiévale, sans doute se donne-t-il le beau rôle, même si, parfois, il regrette, toujours trop tard, une certaine impulsivité. Mais que voulez-vous, c'est un bagarreur né, ce garçon, et quand ça commence à barder, il fonce la tête la tête la première dans la  mêlée pour distribuer abondamment (et recevoir aussi généreusement) les horions.

Pierre Cordwain de Kosigan est un personnage formidable, charismatique, sans doute séduisant, en tout cas, il use et abuse de son charme dans le roman (et l'on comprend que ce n'est pas la première fois). Mais, méfiez-vous de lui ! C'est un rusé, un roué. Les scrupules ne l'étouffent pas et, sans être vénal, ses services vont au plus offrant. Reste qu'il passe, et ses amis avec lui, avant tout, en particulier pour les questions de sécurité. Tous prennent des risques, mais ils ont été mesurés avant. Et, si ça ne se passe pas comme prévu, alors, le facteur humain prime.

Il est impossible à cerner, ce Bâtard. Il fait ce qu'on n'attend pas, se retrouve dans des situations impossibles, s'attire les ennuis et les inimitiés comme d'autres feraient leurs courses, il donne l'impression de tout maîtriser même quand il ne maîtrise rien, et réciproquement, il a plusieurs coups d'avance... A moins qu'il ne bluffe...

Pardonnez-moi cette référence pour le moins anachronique : il me fait penser à Hannibal Smith et ses amis mercenaires, c'est l'Agence Tous Risques, mais version médiévale. Je dois même vous avouer que j'ai songé un bon moment à intitulé ce billet : "J'adore qu'un plan se déroule sans accroc", suivant la fameuse maxime cher au personnage qu'incarnait George Peppard dans la série...

Insaisissable, comme tous ces héros qui ont fait la gloire des romans de chevalerie, les Robin des Bois, les Ivanhoé et tant d'autres qu'on imitait, enfants, dans nos jardins, nos cours de récréation, en rêvant que nous portions l'armure et l'épée en chevauchant un fier destrier... Insaisissable dans tous les sens du mot, physiquement, comme intellectuellement.

Oui, on tient là un grand personnage romanesque, à la fois fascinant et imparfait, altruiste et pourtant très égocentrique, gentil mais auquel on ne doit pas forcément se fier, héroïque et rebelle, mais ne crachant certainement pas sur l'argent qui reste sa motivation, coeur pur, sans doute, mais qui brûle de se venger un jour de ceux qui l'ont chassé de son domaine familial...

Le Bâtard de Kosigan n'est pas un personnage unidimensionnel et monolithique, non, il est riche, complexe, profond, imprévisible, sans doute un peu cinglé, mystérieux, même pour lui-même, redoutable et rancunier, séduisant mais volontiers menteur et trompeur. Ce Bâtard, wesh, c'est trop un mec que je kiffe ! Hum... Veuillez m'excuser pour ce débordement coupable, ça ne se reproduira plus...

Oui, j'ai aimé ce roman, ses situations pleines de bruit et de fureur, mais aussi de raffinement et de cruauté. J'ai aimé ces personnages hauts en couleur, bien tranchés, avec des gentils qu'il ne faut pas trio chercher quand même, sinon, ça avoine, et des méchants plein de morgue et de duplicité, imbus d'eux-mêmes, sûrs d'être dans leur bon droit en toutes circonstances, même lorsqu'ils violent toutes les convenances.

Des archétypes, mais sans tomber dans la parodie ou la caricature. La magie et le fantastique viennent ajouter un petit plus, sans là non plus, tomber dans les Deux ex Machina faciles. Tout est cadré au millimètre, avec la précision d'une horlogerie suisse. Le lecteur est baladé par le bout du nez et fini par ne plus savoir à quels saints se vouer...

Et en plus, il est fort possible que tout ce que je viens de dire n'ait aucun sens !

Alors, oui, on tient là une vraie découverte que vous partagerez avec nous, j'espère. En attendant de retrouver Pierre Cordwain de Kosigan et sa troupe de joyeux drilles (si, si, j'ose !) dans de nouvelles aventures qui, espérons-le (ou pas, d'ailleurs) nous apporterons quelques éclaircissements... Même si c'est rudement bon de se faire trimbaler gentiment par un auteur et ses personnages !

dimanche 4 mai 2014

"Ainsi, recueillant sur leur sol toutes ces richesses, les habitants de l'Atlantide construisirent les temples, les palais des rois, les ports" (Platon).

Eh oui, Platon, on ne se refuse rien sur ce blog ! Et pour cause, dans son dialogue intitulé Critias, le fameux philosophe antique aborde une question qui, depuis longtemps déjà à son époque, aiguisait les curiosité : l'Atlantide. Et c'est justement ce mystérieux continent perdu qui est au coeur de notre roman du jour, le troisième volet d'une série que je suis ravi de retrouver : "Lasser, le détective des dieux" (il est préférable de lire les tomes dans l'ordre). Dans "Mystère en Atlantide" (aux éditions Critic), Sylvie Miller et Philippe Ward ont donc choisi d'envoyer leur détective privé favori à la recherche du continent perdu. Et, comme d'hab', il va devoir faire avec ces insupportables divinités. Et le lecteur, lui, se régale de ce savoureux mélange entre fantasy, uchronie, roman noir, roman d'aventure, humour et même science-fiction.





A peine a-t-il pu souffler après avoir sauvé le "mariage à l'égyptienne" qui était au coeur de son enquête précédente que Jean-Philippe Lasser est à nouveau sollicité. Il est, comme à son habitude, accoudé au comptoir du bar de l'hôtel Sheramon, au Caire, sirotant un de ces whiskys qui font son ordinaire, quand une voix le rappelle à ses devoirs de détective des dieux...

Mais, ô surprise, pour une fois, ce n'est pas une voix féminine qui l'interpelle. Non, c'est un dieu qui vient le voir. Et pas n'importe lequel : Zeus, en personne ! Etonnant, quand on connaît le peu d'affinités entre les panthéons égyptiens et grecs... Mais Lasser a désormais fait ses preuves et sa réputation grandit... Le nombre de ses ennemis aussi, d'ailleurs...

Zeus, pourtant réticent à l'intervention de Lasser dans les affaires divines il y a peu, a donc apparemment changé d'avis. Lasser ne se fait pas d'illusion, il sait qu'il est plus un instrument qu'un véritable partenaire. Qu'à cela ne tienne, les dieux payent bien ses services et, de toute manière, s'il ne veut pas terminer en tas de cendre après vaporisation, il ne peut pas refuser l'affaire...

Mais, quand il entend la demande de Zeus, il est... sidéré ! Voilà que Zeus lui demande, ni plus, ni moins, de retrouver l'Atlantide, continent perdu depuis... 6000 ans ! Et, pendant tout ce temps, Zeus, malgré ses immenses pouvoirs, n'a pas réussi à retrouver où se situait l'île engloutie. Alors comment pourrait-il, lui, simple mortel, y parvenir ?

L'explication de Zeus est simple : les Atlantes ont trouvé comment déjouer les pouvoirs des autres divinités... Mais comment ? Bref, un mortel est peut-être la personne la mieux indiquée pour parvenir à retrouver l'île. Mais où ? Les légendes la situent un peu partout entre Mare Nostrum et Océan Atlantique...

Seul indice donné à Lasser : le disque de Phaïstos, orné de ces symboles incompréhensibles, que personne n'a jamais décryptés. Et débrouille-toi avec ça ! En plus, il se doute bien qu'Isis, même si elle a donné son accord, n'est pas ravie de laisser son détective bosser pour un autre dieu, qui plus est un dieu appartenant à un autre panthéon... Mais, il sait qu'il pourra tout de même compter sur son aide en cas d'urgence...

Voilà donc Lasser parti à l'aventure. Et, d'emblée, son enquête semble déplaire. Ca lui vaut de nouveaux passages à tabac, une activité qui semble désormais faire partie de son quotidien de détective des dieux... Sauf que là, Fazimel morfle, et sévèrement. Et là, ça met en colère un Jean-Philippe habituellement plutôt débonnaire...

Après une nuit sous haute surveillance, celle de son meilleur ennemi Hussein Pacha (une des scènes les plus hilarantes de ce tome, cette nuit pas comme les autres), Lasser s'embarque pour la Crête. Avec toujours aussi peu d'indices, un conseil de Hapi 13 pour l'envoyer voir un cousin sur cette île, l'aide d'un universitaire spécialiste de la question, Anti Mirakis, le soutien de Ouabou (imposé par Isis) et du djinn Amr. Sans oublier que le bateau sur lequel il va voyager est commandé par Gabian, grâce à qui il avait pu quitter la Gaule alors qu'il était en grand péril...

Commence une croisière en Mare Nostrum un tantinet agitée...

Fataliste, Lasser l'a sans doute toujours été. Mais depuis qu'il fréquente de près tous ces dieux, ça n'a pas arrangé les choses ! Quoi qu'il fasse, il sait qu'un de ces insupportables personnages viendra lui-mettre des bâtons dans les roues, car les intérêts des uns et des autres ne convergent que très rarement...

Alors, oui, on lui fait confiance, mais il reste un humain et sait qu'on le remettra toujours à sa place, négligeable... Alors, il s'y colle, parce que, mine de rien, il a une conscience professionnelle chevillée au corps. Et parce qu'il est meilleur à chaque enquête, plus sûr de lui, plus entreprenant. En 3 tomes, qu'est-ce qu'il a changé, notre Lasser ! Il est en passe de devenir un véritable héros, mais aussi de montrer aux dieux qui c'est Raoul... enfin, Jean-Philippe...

Il prend des initiatives, compte sur ses amis (et amies) mais pas uniquement, ne s'écrase pas devant les dieux, leur dit leurs vérités et refuse d'agir selon leur bon vouloir. Insolent, Lasser ? Oui, un peu, ça fait partie du côté bravache du personnage, mais aussi qu'il a une confiance en lui inébranlable, même pas la colère divine... Et même s'il faut bien savoir quelles bornes franchir, sans risquer un violent retour de bâton...

Oui, Lasser s'émancipe, et c'est très bien ainsi. En début de roman, il a le blues. La fin d'une enquête, mais surtout Médée lui manque. Il est amoureux, notre détective, c'en est touchant, amoureux d'une femme qui l'a pourtant trahi, et pas qu'une fois, malgré elle, peut-être, mais c'est un fait, et qui a disparu, corps et âme...

Malgré l'adrénaline et la folie de l'enquête, la curiosité de se lancer à la poursuite d'un tel mystère et les dangers qui se profilent, Médée reste dans sa tête. Et peu importe les nouveaux personnages féminins qu'il rencontre (ou retrouve) dans son odyssée, il n'a qu'une image en tête, Médée, Médée, MAYDAY !!

Il est en détresse, notre détective des dieux ! Ajoutez la blessure de Fazimel, voilà des motifs suffisants pour se lancer à corps perdu dans une enquête complexe. Et tant pis pour la bienséance et la politesse, tous les coups sont permis ! Avis aux dieux, demi-dieux, humains ou... autres : ne vous mettez pas dans le passage de Lasser, il est colère !

Comme dans les précédents tomes, Sylvie Miller et Philippe Ward nous ont concoctés un cocktail à base de mythologie, d'aventures à la Jules Verne et à la Tintin, de magie, de merveilleux et de... Ah non, ça, je ne peux pas le dire... On ne s'ennuie pas et les deux auteurs parviennent à se renouveler et à nous surprendre encore.

En témoigne cette incroyable bataille navale qui est LA scène spectaculaire de ce roman. Pas la seule, mais la plus impressionnante, celle qui fait sentir le roulis, les embruns, les craquements des coques et des mâts... On en aurait presque le mal de mer, en tout cas, on s'accroche à tout ce qui peut ressembler à un bastingage, ce qui n'a rien d'évident quand on lit dans son canapé...

Plus sérieusement, cette scène, ce chapitre (et même deux, il me semble) rassemblent toute l'essence de la série "Lasser" : le suspense côtoie le délire, la surprise côtoie la fantas(y)ie et on se laisse embarquer, tendu mais le sourire aux lèvres. C'est un grand plaisir de lecture et, quand on le termine, on se dit : "vite, le suivant !"

Et l'Atlantide, dans tout ça ? C'est le but de l'enquête, c'est long et périlleux d'y parvenir et rien ne dit que Lasser y arrivera... Bon, vous l'avez compris, je ne vais pas vous en parler, cela concerne le dénouement du roman, lisez-le ! Par contre, on peut évoquer plein de choses autour de ce que cela représente, en particulier les thématiques qui apparaissent derrière l'évocation de ce mythe.

Jusqu'ici, la méfiance de Lasser pour les dieux était surtout due à son passé. Ici, il se découvre une raison supplémentaire : une culture sans dieu, lui qui se les coltine du matin au soir, jour après jour, l'idée est séduisante... Reste à constater si ce qu'on lui a dit, à l'image de l'Atlantide, existe vraiment. Et si c'est si bien que ça...

Sylvie Miller et Philippe Ward, avec délicatesse mais fermeté, attaquent le rôle de la religion dans les sociétés quand il empiète sur les libertés individuelles, quand elle se fait arbitraire, totalitaire et oublie le spirituel pour se faire pouvoir politique. Pour cela, c'est vrai que les panthéons antiques incarnent parfaitement la chose, et Zeus, au coeur du roman, plus encore (mais il n'est pas le seul).

On voit aussi esquissée une critique de la globalisation quand elle se fait impérialisme et non métissage. Quand les arrivants se comportent en envahisseurs, imposant aux populations locales leur mode de vie, de pensée, d'être... Mais, plus frappant encore, à travers un personnage en particulier : comment quelqu'un élevé dans une culture et amené à en côtoyer d'autres, finit par en acquérir non pas les bons, mais les mauvais côtés...

Bref, théocraties, colonisation, ce troisième tome de Lasser se fait plus politique. Est-ce pour cela que je l'ai trouvé un peu plus sérieux que les deux premiers ? Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'humour, non, il y en a mais, la tonalité globale m'a semblé un peu plus grave. Et, soyons clair, ça ne fait pas de "Mystère en Atlantide" un moins bon livre, au contraire. Et cela va dans le sens, je trouve, de l'évolution du personnage de Lasser.

Revenons pour finir au titre de ce billet, ou plus exactement à Platon. Ayant noté la référence dans le roman, je me suis dit qu'au lieu de partir à la pêche au hasard, comme il m'arrive de le faire, j'avais la source. A condition de pouvoir trouver des citations qui collent. Celle que j'ai retenue me semble bien refléter les enjeux de cette découverte (dont je ne vous ai pas tout dit, loin de là).

Oh, je n'ai pas lu Critias en entier mais quelques passages qui concernent directement la description ou l'histoire de l'Atlantide avant que les éléments déchaînés n'entraînent son engloutissement. Et je dois dire que je me suis bien amusé, rétrospectivement, à voir comment Sylvie Miller et Philippe Ward ont utilisé ces passages pour mieux les accommoder à leur sauce.

Que ce soit la géographie des lieux, l'influence grecque (forcément divine, Platon et Noir Duo même combat !), la richesse de ces lieux, inouïe, et dans tous les domaines, tout se retrouve d'une façon ou d'une autre dans "Mystère en Atlantide", et cela donne d'excellent ressorts comiques pour un bon nombre. On apprend même, mais que leur est-il passé par la tête, qu'un certain fruit serait originaire de l'Atlantide ! J'y repenserai la prochaine fois que j'en mangerai, tiens !

De la même façon, les auteurs se sont préoccupés du mythe, comme on vient de le voir, mais aussi des légendes, plus contemporaines, qui en découlent. Des plus sérieuses et étayées aux plus folles, en passant par les rêves les plus doux et les fantasmes les plus farfelus (et, d'un lecteur à l'autre, je suis sûr que ce ne sont pas les mêmes éléments qui entreront dans les catégories...).

Tout en jouant et jonglant avec ces ingrédients, jamais les auteurs ne perdent de vue leur objectif, l'intrigue du roman, l'évolution des personnages, les rebondissements, les messages sous-jacents... Et, au final, cette Atlantide, c'est comme si on y était. Avec un délicieux décalage, qui a de quoi perdre encore plus le lecteur, déjà déphasé par l'univers antico-contemporain de cette série, que Lasser, que son lien avec les dieux taraude déjà pas mal au quotidien...

J'étais ravi à l'idée de retrouver Lasser et ses amis (et ennemis, et relations de travail), je n'ai pas été déçu, Sylvie Miller et Philippe Ward doivent beaucoup s'amuser à écrire ces livres, et cela se ressent, se transmet au lecteur. Et déjà, j'ai hâte de lire le quatrième tome qui emmènera Lasser... Ah non, je ne vais pas vous révéler cette nouvelle destination ! Mais, faites-moi confiance, ça promet, et on devrait encore bien s'amuser...

vendredi 2 mai 2014

"(...) nous sommes aux enfers le séjour des morts on dit que seuls les héros peuvent y pénétrer et en ressortir vivants nous sommes des héros à moins que nous ne soyons déjà morts".

Voici un roman de fantasy historique. En tout cas, c'est ce que l'on croit longtemps, avant de comprendre qu'il se passe quelque chose de très bizarre dans cette affaire... De quoi brouiller les pistes, mais surtout les frontières entre genres. Un roman fascinant dans sa psychologie et dans le récit de l'état d'esprit des différents personnages qui sont mis en scène. Et une réflexion sur ce qu'est le héros, au sens antique du terme... Dans "Furor" (en poche chez J'ai Lu), Fabien Clavel nous emmène dans les sombres forêts de la Germanie du début de l'ère chrétienne et s'appuie sur des faits historiques mais aussi les zones d'ombre qui entoure ces événements pour construire un roman stressant, oppressant, éprouvant...





Voilà 762 ans que la ville de Rome a été fondée. Bien des années plus tard, on dirait que c'est l'an 9 après Jésus-Christ. L'hiver est rude en Germanie et les troupes romaines sont mises à rude épreuve. Le climat n'est pas la seule cause de ces difficultés, le terrain aussi est peu propice aux manoeuvres qui ont fait la réputation des légions.

Les arbres, au tronc épais, proche les uns des autres, la déclivité du sol, les chemins mal tracés et sinueux, le sol rendu boueux par la pluie et la neige, qui gêne leur progression... Sans oublier un ennemi apparemment désorganisé, mais qui, sur ce théâtre d'opération, s'adapte parfaitement et ne crains pas de mourir, en emportant avec lui son lot de légionnaires.

Cette forêt, c'est celle de Teutoburg et, en ce mois de décembre, on assiste à l'une des plus cuisantes défaites de l'armée impériale. Publius Quinctilius Varus, gouverneur romain en Gaule et en Germanie, est à la tête de 3 Légions et quelques troupes auxiliaires, soit un effectif estimé entre 20000 et 25000 hommes. Mais, il est perdu et multiplie les erreurs, enlise un peu plus ses troupes dans cette meurtrière bataille.

Trahie par celui qu'on appelle l'Arménien, Germain devenu citoyen romain, l'armée impériale va être irrémédiablement décimée lors de combats d'une violence inouïe. Gagnées par la peur, craignant de nouvelles embuscades à chaque instant, comprenant que leurs stratégies si bien huilées ne sont d'aucune efficacité dans ce contexte, incapables de réagir et voyant des dissensions naître entre simples soldats et officiers, les Légions vont se disloquer, facilitant encore la tâche de Germains pourtant inférieurs en nombre...

Voilà pour le contexte historique, nous y reviendrons un peu plus tard. Il est le cadre de "Furor", mais, dans ce contexte particulier, se déroule un récit romanesque dont il nous faut parler. Alors qu'elles progressent dans cette forêt impénétrable, les troupes romaines vont tomber sur un drôle d'endroit : là, se dresse une pyramide, d'un noir profond, construite dans une matière inconnue et portant des symboles incompréhensibles.

Dans ce coin, vivent des populations dont le comportement et l'anatomie surprennent les soldats romains : ces êtres difformes, monstrueux, ne montrent aucune réaction à l'arrivée des légionnaires. Pire, ils ne se défendent même pas lorsqu'on les attaque, les tue... Au point que des questions naissent dans l'esprit stressé des Romains...

Ceux qui ont vu les lieux, ce peuple mystérieux, la pyramide, ne cessent d'y repenser. Les autres, aux oreilles desquels est arrivée la rumeur, aimerait bien voir cela de leurs propres yeux... Mais, lorsque la bataille commence, seul survivre compte. Et lorsque la défaite se profile, lorsque les légions se débandent et qu'il faut sauver sa peau, quelques survivants vont repenser à la pyramide... Pourrait-elle être leur salut ? Ou bien la cause de leur défaite cinglante ?

Ils sont peu nombreux, ces survivants, peut-être 8 personnes au total. Parmi eux, les 4 personnages par lesquels le roman nous est raconté : Longinus, vénateur (comprenez qu'il est chargé de chasser du gibier, ce qui explique qu'il soit accompagné d'un chien, Lélaps) ; il est simple soldat, inexpérimenté et placé, au sein de la XVIIIème Légion, sous les ordres du centurion Fabricius, qu'il déteste, comme bon nombre de ses camarades.

Au contraire de Longinus, Marcus est un vieux de la vieille. Il a 53 ans et c'est à l'ancienneté qu'il est parvenu à devenir centurion, également dans la XVIIIème Légion. Il a consacré sa vie entière à la guerre et apprécie d'avoir enfin des hommes sous ses ordres et de ne plus seulement devoir obéir. Mais c'est aussi un homme désabusé, qui sait que sa vie est derrière lui, que sa carrière est dérisoire et qu'il n'a rien qui lui appartienne vraiment...

Caïus Pontius est tribun, autrement dit un officier supérieur, qui répond directement au gouverneur Varus. Cultivé, plus homme du monde que soldat de carrière, il assiste aux premières loges à la déroute stratégique de son supérieur hiérarchique et à sa déconfiture personnelle. Sa position élevée lui vaudra, au sein du groupe de survivants, quelques moqueries, mais aussi une certaine défiance. Il lui faudra faire ses preuves...

Enfin, il y a Flavia. Oui, une femme, la seule au milieu d'un groupe d'hommes. Flavia n'est pas son véritable nom, d'ailleurs même elle ne se souvient plus de ce nom. Elle est Germaine, elle maîtrise d'ailleurs assez mal la langue latine, et a été faite prisonnière lors de la campagne. Voilà comment elle a fini dans le bordel de campagne qui suit les troupes. Mais elle y est à part, ses origines suscitant méfiance et méchanceté de la part de ses compagnes d'infortune...

Les chapitres se succèdent, proposant alternativement le point de vue de chacun de ces quatre personnages. Pour autant, ils ne sont pas les narrateurs, c'est un peu plus complexe que cela. S'entremêlent dans chaque chapitre des passages narratifs à la 3ème personne du singulier et des passages en italique qui sont en fait les réflexions des personnages que je viens de vous présenter. On est dans leur tête. On partage leur état d'esprit, leurs sentiments...

Et leurs sentiments, ils sont très importants, dans "Furor". Car, mine de rien, on est dans un roman qui repose sur un certain suspense, mais surtout sur de forts ressorts psychologiques. Il y a la peur, aigre, glaçante, qui gagne du terrain à chaque page, avant, pendant et après la bataille. Une peur qui va, au même titre que les Germains, submerger les Romains et les conduire à leur perte.

Mais cette peur vient aussi de l'inconnu : cette forêt, si différente de celle de la péninsule italienne et qui, par son obscurité, son épaisseur, fait penser à un paysage de conte de fée des frères Grimm. Oui, les Légions romaines se retrouvent dans la position du petit Poucet et de sa fratrie, dit comme ça, c'est curieux, mais il y a une vraie claustrophobie et l'impression de se battre autant contre la forêt que contre l'ennemi impitoyable qui s'y cache.

Et certaines scènes donnent d'ailleurs l'impression que les Légions ont été dévorées par cette forêt et son sol spongieux, qu'elle les digèrent petit à petit, ne laissant plus paraître que des équipements abandonnés et des ossements à moitié engloutis... On en revient à la métaphore du conte : cette forêt est un ogre à l'appétit féroce...

Enfin, il y a la peur de l'inconnu. Elle renvoie encore une fois à la forêt, bien sûr, mais aussi à cette mystérieuse pyramide et au peuple si étrange qui vivait à ses alentours... Petit à petit, le lecteur commence à comprendre, mais pas les personnages, que leur peur, mêlée aussi de curiosité, et un instinct de survie aux allures paradoxales, vu d'ici, vont pousser dans une odyssée oppressante...

Et puis, il y a la colère. Celle de l'orgueil blessé, du vaincu qui ne veut pas se rendre, et encore moins mourir. La colère contre un sort funeste qu'on imagine pouvoir renverser. On cherche la cause de ce qui est impensable. Car les Légions romaines sont peu habituées à la défaite. Pourtant, plus encore que la Gaule, les campagnes de Germanie seront régulièrement marquées par les échecs, mais pas de cette ampleur.

La colère qui efface le désespoir, le découragement, deux sentiments qui ont aussi contribué, à leur façon, à la défaite. Elle fait gicler l'adrénaline dans les veines, donne des envies de vengeance. Ces Romains élevés dans la culture du destin et dans l'idée que les dieux décident de tout ce qui arrive aux simples mortels, ne peuvent envisager les choses que d'une façon : la défaite est due à une action divine défavorable. Et tout ce qu'ils vont découvrir sera vu à travers ce même prisme.

Je l'ai dit en préambule, et la citation que j'ai choisie l'illustre, c'est la personnalité du héros, dans sa définition antique qui est au coeur de ce roman. Les 4 personnages choisis pour être les moteurs du roman répondent, chacun à leur manière, aux critères qui définissent le héros. Reste à savoir s'ils ressortiront vivants de cet enfer...

Je vous conseille de lire attentivement les annexes de "Furor", dans lesquelles Fabien Clavel explique beaucoup de choses sur la construction du roman, son contexte global remis en perspective et certains détails liés à la langue latine, la vraie et la partie retravaillée par l'auteur. On y comprend pourquoi le roman s'intitule "Furor", mais aussi l'explication des noms des parties qui composent le roman.

Et on se rend compte qu'on est véritablement dans une tragédie, aussi bien dans le sens que nous lui donnons aujourd'hui, mais aussi dans son sens antique. Et la folie que vont accomplir ces personnages, au péril de leur vie, répond parfaitement à ce fameux crime impie qui en est une des composantes les plus importantes.

Reste que l'on n'est tout de même pas dans un roman de fantasy tout à fait ordinaire. Disons-le, sans rien révéler de plus, on flirte allègrement avec la science-fiction. Fabien Clavel exploite habilement les failles qui subsistent encore aujourd'hui sur le lieu et les conditions exactes de la bataille de la forêt de Teutenborg.

Là encore, entre un petit tour sur un moteur de recherches, pour en savoir plus, et la lecture des annexes de "Furor", où l'auteur donne des éléments tout à fait intéressant pour éclairer d'un nouveau jour notre lecture, on en apprend beaucoup mais on entre aussi dans les failles historiques, idéale pour que s'y glissent le romanesque et l'imaginaire.

Oh, j'en entends déjà certains qui vont jouer les rabat-joie de service, en disant qu'ils ont tout compris depuis le début... N'ayez pas une lecture superficiel, premier degré de ce roman. Oui, il est possible de comprendre ce qui se passe, peut-être ce qui va se passer, mais l'enjeu du roman n'est pas là. Il est dans le comportement des personnages.

Oui, j'y reviens et j'insiste : "Furor" est un roman reposant avant tout sur la psychologie et la réaction des personnages face à ce qui, pour eux, relève de l'inconnu et n'aura aucune réponse concrète quoi qu'il arrive. Ce à quoi ils sont confrontés dépassent leur entendement, ils sont démunis et se doivent de faire quelque chose. Et, même s'ils se trompent, par une ignorance qui n'a rien de coupable, ils se doivent d'agir avec honneur.

"Furor" est un roman au climat remarquable dans son oppression, dans l'impression d'étouffer qu'on ressent d'un bout à l'autre, dans le malaise qu'on ressent face au drame sordide de la guerre, puis à l'autre drame qu'on pressent. Le danger est partout, et même s'il n'y est pas, l'idée du danger s'insinue sournoisement et creuse jusqu'aux tréfonds de l'âme...

Je pourrais encore parler du message militant qui est présent dans le roman de Fabien Clavel, mais je ne peux pas le faire, sous peine d'exécution en place publique pour cause de "spoiler" (un des crimes les plus graves du futur code pénal, au rythme où c'est parti)... Alors, je vous laisse découvrir tout cela par vous-même.

Et j'en finis avec une mention spéciale pour la chute du roman. Et dire que la question m'a taraudé quelques pages au tout début. Et puis, c'est passé, dans l'engouement pour cette histoire. Passé au point de ne pas y repenser et de me retrouver avec ces dernières lignes qui ont su, enfin, me faire sourire après ce roman si noir... Eh oui, je tenais un truc, et je l'ai loupé... Mais, de toute façon, je ne le tenais pas en entier. Chapeau, M'sieur Clavel !