samedi 30 avril 2016

"Parfois, j'oublie qui vous êtes réellement ! J'oublie ce qu'on dit de vous, je me mets à penser que vous avez un bon fond ! Et tout à coup (...) je réalise que toutes les légendes sont vraies".

Je dois dire que, si j'ai choisi cette citation en guise de titre, c'est parce que, tout au long de cette lecture, je me suis retrouvé dans le même état d'esprit que le personnage qui parle. Oui, on a, au coeur de notre livre de ce soir, un personnage détestable, horrible, monstrueux, auquel, par la force des choses, on s'attache... En jouant avec ce fou furieux comme un habile marionnettiste, Olivier Gay tisse le premier tome d'un diptyque de fantasy tout à fait divertissant. "Les épées de glace" a été récemment réédité par les éditions Bragelonne, les deux tomes rassemblés en un seul volume pour l'édition papier, en deux tomes, comme à l'origine, en version numérique. Sur ce blog, on va faire la césure, en vous proposant un billet sur la première partie, nouvellement intitulée "Le sang sur la lame". A recommander aux amateurs de romans de cape et d'épée, avec tous les codes du genre joliment revisités.



Mahlin est un garde anonyme du palais impérial de Musheim, la plus grande ville du monde, capitale d'un Empire qui s'étend à l'ensemble du monde connu, à part quelques territoires négligeables. Pourtant, il rêve d'action, de combat, de prouver sur le terrain l'habileté à l'épée qu'il déploie dans les tournois, mais son boulot, c'est de garder une porte latérale...

Et puis, un soir pluvieux, voilà que débarque à sa porte une espèce de furie. Elle veut absolument entrer dans le palais, sans passer par la porte principale. Elle a beau se présenter, dire s'appeler Deria et être fille d'un baron, expliquer qu'on attend son arrivée, Mahlin, inflexible, lui refuse le passage, manquant de provoquer un incident...

S'il a rempli sa mission, il a pourtant bel et bien repoussé la fille d'un baron, oups... Mais, son attitude a bien plu à la jeune femme, au caractère bien trempé, au langage bien peu châtié et au comportement bien iconoclaste pour la cour impériale, où l'étiquette est de rigueur. Deria, l'étiquette, elle se la met... euh, pardon, elle n'en a cure, et son arrivée va bousculer la cour.

Autre preuve de cette indépendance, plutôt que de fréquenter la noblesse, Deria préfère la compagnie de Mahlin, avec qui elle s'exerce à l'épée, mais aussi de Shani, une jeune servante un peu transparente, elle aussi. Malgré la différence de statut social, une sorte d'amitié se noue entre ces trois jeunes personnages, déjà adultes, mais encore bien proches de l'adolescence.

Un mois de folie passe sur le palais, jusqu'à ce sinistre matin... Deria, qui a pris l'habitude de faire le mur pour aller passer ses nuits hors du palais n'est pas rentrée. Et sa description correspond à un corps retrouver dans un des quartiers les plus mal famés de la capitale. Selon les premières investigations, elle a été assassinée après avoir été violée...

Chape de plomb sur le palais impérial... Mahlin et Shani sont sous le choc, découvrant l'ampleur de ce que leur a caché leur nouvelle amie et se lamentant de son triste sort. Mais, au sommet de l'empire aussi, on a pris un sacré coup de bambou : comment expliquera-t-on au père de la jeune fille ce qui lui est arrivé, alors qu'on était censé la surveiller, la protéger ?

Devant cet échec, mais aussi connaissant la réputation dudit père, il est décidé en haut lieu de taire ce qui est arrivé à Deria et d'expliquer qu'elle a quitté la capitale de son propre chef, pour aller on ne sait où... Mahlin, qui sait ce qui s'est passé, se voit offrir une promotion en échange de son silence. Shani, elle, craint qu'on la fasse taire à son tour... Bref, l'ambiance est tendue...

Face à ce choix cornélien, la conscience de Mahlin est mise à mal. Sous le charme de Deria, il peine à accepter ce secret qu'on lui impose... Alors, il décide de refuser sa promotion et de se rendre auprès du père de la jeune femme pour l'informer, et tant pis pour les conséquences. Et Shani, qui s'éloignerait volontiers du palais, le persuade de l'accompagner.

Ne reste plus qu'à trouver cette mystérieuse baronnie de Froideval, dont le nom ne semble rien dire à personne, pas plus que le blason... Qui donc est le père de Deria, ce noble qui vit à Pétaouchnok et est inconnu au bataillon de cette cour pourtant si bien informée ? Même pour trouver le chemin, c'est compliqué, mais ça y est, c'est loin, très loin vers le Nord, dans des terres hostiles et dangereuses que vit le baron...

Ce qu'ils ignorent, c'est que celui qui se cache depuis près de 20 ans sous ce titre de Baron Froideval est tout sauf un inconnu : sa légende est encore vive à Musheim, de nombreux contes et comptines courent à son sujet, on se sert de son image pour effrayer les enfants et leur faire avaler leur soupe... Car le Baron s'appelle en fait Rekk et son surnom en dit plus encore : le Boucher !

Dans leur intention louable de ne pas laisser dans l'ignorance du sort de sa fille, Mahlin et Shani, gentils naïfs qui ne connaissent rien à rien, ont ouvert une boîte de Pandore. Le Boucher, que tant de gens croyaient morts, abandonne son exil volontaire, pour regagner Musheim et y retrouver l'assassin de sa fille unique...

Et, comme il n'a pas changé sous les latitudes septentrionales et glaciales, c'est en laissant derrière lui un sillage ensanglanté qu'il se lance dans cette quête de vengeance, flanqués du garde et de la servante, un peu déboussolés par ce qui leur arrive, mais fascinés par le personnage de Rekk le Boucher, sa démesure, mais aussi sa douleur et sa dignité...

Un mot de l'univers de ce diptyque. L'empire dont Marcus Ier est le monarque, ressemble fort à un empire romain qui aurait conquis tous les territoires voisins, étendant son influence aux confins du monde et vivant dans une paix tranquille depuis des décennies. Mais, on n'y vit pas tout à fait à la manière romaine : le mode de vie fait plutôt penser à la France du XVIIe siècle.

Ne croyez pas que cette ère de paix et de prospérité, marquée par de nouvelles constructions imposantes chargées d'asseoir le règne de Marcus, ravisse tout le monde. Non, le meurtre de Deria se déroule alors que la grogne monte dans la capitale, que des manigances politiques sont à l'oeuvre et que certaines ambitions ne se cachent plus vraiment...

Il y a comme un vent de Fronde sur Musheim, au point que l'Empereur ne peut sortir de son palais sans escorte ou sans porter sous son habit une épaisse protection. Plusieurs fois, on a essayé d'attenter à sa vie et cela l'agace au plus haut point, on peut le comprendre. Bref, le retour de Rekk le Boucher ne fait qu'ajouter à une situation délicate un problème supplémentaire...

Rekk le Boucher, c'est une espèce de Lagardère, dans une version nettement plus sanguinaire que le personnages du baron de Sigognac ou de Lagardère, immortalisés par Théophile Gautier et Paul Féval. Aucun état d'âme, cet ancien gladiateur est devenu le bras armé de l'empire, la face sombre de celui-ci, acceptant de faire le sale boulot et d'endosser l'horreur de cet autoritarisme pour permettre à l'Empereur, le père de Marcus, de briller de mille feux.

Rekk, c'est un personnage génial. En toute autre circonstance, on ne se poserait aucune question à son sujet : il serait le méchant parfait de tout récit. L'incarnation idéale du croquemitaine qui ne connait nulle pitié, pas même envers les enfants, les femmes et les vieillards. Le surnom de Boucher lui va non seulement comme un gant, mais il l'assume sans aucun remords.

Et, après son éclipse de près de 20 ans, il voit là l'occasion de rajouter quelques lignes à la légende attachée à son nom et à ses, euh... exploits, si on peut dire cela. Proche de la cinquantaine, il conserve toutes ses qualités de combattants, et son âme noire n'est jamais rassasiée, quelques pintes de sang supplémentaires sont les bienvenues.

A ses côtés, forcément, Mahlin et Shani font bien pâles figures. Deux gentils candides, pour ne pas dire deux nigauds. Pourtant, après un temps de répulsion et de crainte, ils vont se faire à ce personnage qu'il ne faut pas chatouiller de trop près si on ne veut pas finir avec quelques centimètres d'acier dans le buffet...

Au contraire, ils vont en faire leur mentor, tout en conservant une position en retrait, dû à leurs origines fort modestes. Mais le garde et la servante vont apprendre énormément à son contact et ce ne sont plus tout à fait les mêmes personnages qui reviennent avec lui à Musheim. Heureusement, car ils vont découvrir la capitale sous un jour nouveau, et particulièrement dangereux...

Olivier Gay s'amuse avec les codes du roman (et du film) de cape et d'épée, assaisonnant son intrigue d'un humour de bon aloi, qui donne le sourire au lecteur, même dans les situations les plus critiques. Et donc, les plus sanglantes. L'action est là, entre "les Trois Mousquetaires" et "le Bossu", et l'on verrait bien le jumeau maléfique de Jean Marais incarner Rekk.

Il y a les situations, souvent pleines d'ironies, les dialogues, bien sentis, efficaces, mais aussi une galerie de personnages qui a fait de moi un lecteur heureux, avec aux lèvres ce sourire un peu niais qu'on acquiert au fil des pages devant les faits d'armes des uns et les actions d'éclat des autres. J'y ai retrouvé tous ces archétypes qui ont marqué mon enfance, les mardis soirs devant "la Dernière séance".

Car, si Rekk est un peu atypique, Mahlin et Shani remplissent parfaitement le rôle des gentils bien braves (même si, reconnaissons-le, ils prennent de l'assurance et de l'épaisseur au fil de ce premier tome), on trouve également l'empereur coupé des réalités, persuadés d'être un grand monarque alors que son règne est juste médiocre, l'ambitieux duc Mandonius, qu'on verrait bien, par-dessus ses tenues chics et recherchées, endosser le costume du fourbe de service...

Il y a Gundron, le Borgne, l'âme damnée, un Rochefort plus vrai que nature, toujours dans l'ombre, mais près à tous les coups fourrés, dans une discrétion que ne connaît pas Rekk, par exemple. N'oublions pas Semos, le chef de la garde, un ambitieux qui rêve d'un anoblissement qui ne vient pas. Un personnage bien falot à côté de son illustre homologue, Monsieur de Tréville..

Et puis, mention spéciale à Théorocle, alias l'Héritier, fils unique de l'Empereur, adolescent boutonneux (il n'y a qu'Olivier Gay pour parler acné dans un roman de fantasy, non ?) et passablement insupportable : prétentieux, fat, lâche, fourbe, raciste, stupide... Il a tout pour plaire, ce garçon, mais le costard que lui taille l'auteur en fait un personnage qui m'a fait mourir de rire.

Un premier tome plein de fantaisie, plein d'humour où l'on retrouve la patte de l'auteur de la série de polar construite autour du personnage de Fitz, déjà évoquée sur ce blog. Loin des héros sans peur, sans reproche, sans faille, incarnant toutes les valeurs positives dont on puisse rêver, beaux, forts, dégageant une puissante aura sexuelle, portant haut l'étendard du bien, on a des personnages décalés et imprévisibles.

L'intrigue, qui est presque secondaire par rapport aux personnages qu'elle implique, sert d'abord à créer les rapports de force et à mettre tout ce petit monde en situation pour que la paisible Musheim se transforme en poudrière prête à exploser à la moindre étincelle. Une étincelle qui ne devrait pas tarder à s'allumer, dès le début du deuxième tome, j'imagine.

Vous noterez que dans tout ce que je viens de raconter, il manque quelques aspects qui font que la fantasy est la fantasy. Or, il faut reconnaître que les éléments fantastiques, la magie, les créatures, sont absents de ce roman. Il y a, à la rigueur, et encore, je n'en suis pas tout à fait sûr, un personnage secondaire capable de déjouer des situations pouvant laisser penser à l'intervention du fantastique, mais c'est tout.

Oh, ne grognez pas, ça peut aussi être très bien ! Car "Le sang sur la lame" est avant tout un très bon divertissement et nourrit essentiellement cette ambition. La scène finale de ce premier volet est un point d'orgue, plongeant tout le monde dans une folie comme seul Rekk peut en susciter. Il y a du Tarantino dans ce final, je trouve, mais aussi une conclusion qui donne envie de lire, et vite, la suite.

Alors, oui, Rekk est un personnage ignoble, sans pitié, impardonnable et ne souhaitant sans doute pas être pardonné, un psychopathe qui prend son pied à tuer son prochain... Mais voilà, il est fabuleusement charismatique, quand se dressent autour de lui des personnages falots, faux, stupides ou fourbes.

Rekk a ce panache qui manque à tout ceux qui veulent le voir tomber, pour diverses raisons. C'est un héros, un vrai, même si c'est un héros maléfique et dangereux. Ne comptez pas sur lui pour une rédemption, en tout cas, pas sous la forme classique, mais c'est un personnage entier qui, paradoxalement, et comparativement aux autres, n'est pas dénué d'honneur (ok, je pousse peut-être un peu, là...).

Reendez-vous prochainement pour évoquer la suite et voir également ce que vont devenir Mahlin et Shani, dont l'évolution ne fait que commencer et dont le rôle devrait sensiblement s'étoffer... A eux, dans ce maelström, d'endosser le costume du héros, les vrais, les purs, qui manquent à tout cela. A moins que l'influence de Rekk ne les oriente dans une toute autre direction...

"Nous nous chamaillons sur un continent ridicule, entre manigances et complots, rébellions stériles et croyances archaïques. Les rois règnent, sont renversés par des fous soutenus par des pions..."

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE CINQUIEME TOME D'UN CYCLE.
DES BILLETS PRESENTS SUR CE BLOG CONCERNENT LES DEUX PREMIERS VOLETS.

Le billet consacré au tome 1.
Le billet consacré au tome 2.
Le billet consacré au tome 3.
Le billet consacré au tome 4.

La dernière ligne droite de ce cycle est désormais lancé, puisque le septième et dernier livres est disponible depuis une grosse semaine... J'ai un peu de retard, c'est vrai, mais je suis de plus en plus excité par cette série, qui réserve encore des surprises. Voici donc le Livre Cinq du "Sang des 7 Rois", de Régis Goddyn, publié aux éditions de l'Atalante. J'évoquais, à propos du quatrième tome un tournant, l'entrée dans la deuxième moitié, cette fois, on y est véritablement et de nouveaux enjeux apparaissent, de nouvelles questions se posent... Mais le lecteur va aussi découvrir de nouvelles informations susceptibles de changer complètement son regard sur cet univers et ce qui s'y déroule... Le dénouement est encore loin, mais il approche, et avec lui, un lot de révélations qu'on commence à deviner fracassantes...



Comme d'habitude, il est bien difficile de vous dire de quoi parle ce Livre Cinq, puisque le cycle repose sur la multiplicité des fils narratifs et leur entrelacement. Mais, la fin du tome précédent avait été particulièrement agitée et c'est dans une sorte d'accalmie que reprend le cycle. Sur l'île du Goulet, on pense les plaies, nombreuses, héritées de la tentative d'assaut des troupes de Lothar.

La population de l'île, Huitième Royaume sans existence réelle et sans monarque, puisque Orville, désigné pour régner sur cet archipel, n'est plus là, a souffert de l'assaut. De nombreuses victimes sont à déplorer et les survivants doivent très rapidement se réorganiser. A la fois pour subvenir aux besoins élémentaires des uns et des autres, mais aussi prévenir d'éventuelles nouvelles offensives.

Ce qui s'est passé a permis de déterminer les faiblesses de l'île, et l'urgence est désormais de renforcer les points faibles, en demandant à toutes et à tous d'importants efforts. Armine, dont la grossesse est entrée dans sa dernière période, est désignée pour assurer une régence aux contours un peu flous, mais l'avenir de l'île et de ses habitants est très flou...

De son côté, Sylvan a mis le cap au nord. Le Gardien, qui voyage par la mer avec, à ses côtés, Lise et Aymery, les deux enfants dont l'enlèvement, en Hautterre, a été le point de départ de ce cycle, se dirige vers le Sixième Royaume, l'un des plus hostiles, puisqu'il est installé dans un désert glacé, pas franchement accueillant.

Mais, à son arrivée, Sylvan, effaré, découvre un royaume vidé de sa population... Les troupes de Lothar sont passées par là et une grande partie des habitants a été réduite en esclavage et déportée. Ne reste que quelques vieillards, laissés là, veillant sur le monarque, assassiné en défendant son peuple... Une situation qui réveille la colère de Sylvan...

Celui qui a toujours gardé au coeur les préceptes de la Garde et des notions devenues obsolètes, telles que l'honneur, décide de renouer avec les missions originelles de son corps. Désormais, il protégera la vie, il en fait le serment, et il va se lancer à la recherche de ces femmes et de ces hommes qu'on a déplacées de force, et pas seulement au Sixième Royaume, pour essayer de leur rendre la liberté perdue...

Aléïde, ancienne vicomtesse de Vallade, mais pas mécontente d'avoir été libérée des griffes d'un époux détestable, poursuit son chemin. Désormais bien intégrée au sein de la Compagnie du Verrou, ce mouvement rebelle entré en clandestinité et étendant un peu plus chaque jour son influence dans les Sept Royaumes, elle s'est découvert une nouvelle vocation, dans laquelle elle excelle.

Pourtant, les événements de ce Livre Cinq vont la pousser une nouvelle fois sur les routes, de nouvelles rencontres vont se produire, offrant un nouveau tournant à son existence. Son destin reste incertain, difficile à envisager, tout comme ceux de ses nouveaux compagnons... Un personnage qui prend de l'ampleur et qu'on surveillera, à l'avenir.

On peut aussi évoquer Rose, qui a l'honneur de la couverture de ce Livre Cinq avec, je pense, son fils, Delwynn. La jeune mage n'apparaît pourtant que tardivement dans ce roman, mais, elle aussi est à la croisée des chemins, toujours dans le désert, encerclée par ceux qui veulent la tuer, elles et ses amis, les aidant de son mieux grâce à son don et une abnégation de tous les instants.

Le hic, c'est que Delwynn, encore bébé, affiche des pouvoirs de mage qui dépassent largement ceux de sa mère. Pouvoirs dont il n'a pas conscience et qui se révèlent du coup, fort dangereux... Delwynn, tout innocent qu'il est, et bien qu'il soit impossible encore de le comparer à la terrible Braseline, est lui aussi enclin à brûler à peu près tout ce qui passe à sa portée...

Voilà un souci de plus pour Rose, rongée par le doute et l'inquiétude, incapable de trouver le moyen de sortir de ce désert mais redoutant également le jour où, immanquablement, sa troupe et elle seront découvertes par ceux qui les traquent... Tant de vies en danger qui dépendent d'elle, rien n'est simple pour une si jeune femme...

Et puis, il y a Jahrod. Ceux qui ont lu le précédent billet, consacré au tome 4 dans lequel il apparaît, vont se dire que je fais une fixette sur lui. C'est peut-être vrai, mais je crois que c'est justifié. Encore une fois, je ne vais pas entrer dans le détail à son sujet, car il vous faut le découvrir par vous-mêmes, mais il est clair qu'il apporte avec lui bien des éléments nouveaux...

Et, s'il ne faisait qu'une apparition fugace dans le tome 4, il tient cette fois un rôle bien plus important et, à travers lui, on en apprend un peu plus sur l'univers des Sept Royaumes. Des informations qui sont loin d'être anodines, mais qui, surtout, plongent le lecteur dans une certaine perplexité. Car, c'est finalement la vision d'ensemble du cycle que l'on doit modifier avec l'apparition de ces critères.

Il ne vient pas qu'avec des informations, Jahrod. Il apporte avec lui bien d'autres choses et je ne peux m'empêcher de cogiter un peu plus autour de lui. Il se dévoile bien plus qu'au cours du Livre Quatre, mais de là à le cerner, c'est encore juste. Et, autour de lui, c'est un nouvel essaim de questions qui se forme, jusqu'aux dernières lignes de ce Livre Cinq, ahurissantes...

Mais que se passe-t-il donc dans ces Sept Royaumes ? Peu à peu, on s'est éloigné des questions premières posées dans le cycle, celle du sang bleu et des lignées qu'il faut maintenir coûte que coûte. Oh, ces aspects-là demeurent, les manoeuvres qu'ils ont entraînées sont toujours en cours, mais encore une fois, on a brusquement changé d'angle, de point de vue...

Les plus perspicaces d'entre vous auront noté que j'ai très peu parlé d'Orville, jusqu'ici. Celui que j'ai toujours placé comme le personnage central du cycle n'est pas absent, non, au contraire, il reste un des fils conducteurs du récit. Mais, et c'est l'une des grosses surprises de ce Livre Cinq, il se retrouve (provisoirement ?) à l'écart des actions principales.

Et pour cause : il dérive... Pris dans la pétole, emporté par les courants sur les eaux inconnues de l'océan extérieur, il passe quasiment la totalité de ce Livre Cinq en mer, ne sachant même pas s'il pourra revenir sur le continent... Même son don est impuissant à le sortir de là et c'est donc une période difficile pour celui qui n'a pas ménagé ses efforts depuis son départ de Hautterre...

Mais, pour être franc, j'ai eu une autre surprise à la lecture de ce Livre Cinq. En fonction de ce que je laisse derrière moi en fin de chaque tome, je joue, avant d'attaquer le suivant, à élaborer des hypothèses, des conjectures... Je pensais que Lothar avait lancé les grandes manoeuvres, les opérations décisives à la fin du Livre Quatre et qu'il serait au coeur du Livre Cinq... Je me suis trompé !

Au contraire, celui qui a mené le Coup d'Etat visant à imposer son Ordre Nouveau sur les Sept Royaumes, ne fait qu'une courte apparition. C'est lui qui prononce les mots que j'ai placés en titre de ce billet. Ils sont extraits d'une tirade bien plus longue qui laisse transparaître un certain désenchantement.

Je crois vraiment que ce passage, situé au tiers de ce Livre Cinq, est le moment le plus fort et l'un des plus importants de ce tome. Pas par ce qui s'y passe, mais bien par ce qui y est dit. Un monologue qui exprime, mine de rien, une grosse partie des enjeux à venir dans les Sept Royaumes. Et une vision de cet univers très juste...

Lothar est sans doute, au vu de ses décisions et de ces agissements, un tyran sanguinaire et un monstre, mais c'est aussi un véritable stratège qui n'est certainement pas stupide. Ses mots ont quelque chose de prophétique, que la suite de ce Livre Cinq vient éclairer... Mais je m'avance, j'en suis revenu au jeu des conjectures. Et j'entrevois toute la difficulté que représente l'ambition de Lothar...

Les temps sont durs, en tout cas, dans ce Livre Cinq, et ils sont nombreux, parmi les personnages récurrents, à souffrir. Les péripéties relatées dans ce tome-ci vont certainement laisser des traces, et des traces profondes. Tant physiquement que psychologiquement. J'irais même jusqu'à vous dire qu'il flotte sur ce Livre Cinq un nuage bien noir...

Car ce sont les personnages que l'on pourrait qualifier de positifs qui semblent concentrer ces aléas et ces souffrances... Pendant ce temps, d'autres forces, celles qu'on connaissaient déjà et qu'on qualifiera de négatives (Braseline est en pleine forme, elle...), montent en puissance, ainsi que ces nouveaux arrivants, dont Jahrod, qu'on ne peut pas encore positionner avec certitude sur l'échiquier.

Il ne reste que deux tomes, je les vois, là, en face de moi, posés sur un meuble, lorsque je lève le regard... Et pourtant, j'ai encore tant de questions en tête qui attendent des réponses, j'ai des doutes sur certains personnages que je vois mal embarqués, j'esquisse des enjeux qui pourraient être ceux qui mettront en mouvement les personnages... Le petit jeu des conjectures, encore et toujours...

Et un intérêt pour ce cycle qui ne décroît pas, renforcé à chaque tome par l'habileté machiavélique de son auteur/démiurge, Régis Goddyn, qui injecte à chaque livre la dose juste d'intrigue et de suspense capable de nous tenir en éveil jusqu'au bout de ce cycle. Saluons encore une fois son tour de force : une construction impeccable, imparable, réalisée avec la minutie d'un horloger suisse...

vendredi 29 avril 2016

"Kyrenia entrait dans une nouvelle ère, celle des fanatiques, et bientôt, personne n'y pourrait plus rien".

Voilà un auteur que j'ai eu l'occasion de rencontrer, dont j'entends beaucoup parlé mais que je n'avais pas encore lu. Oubli réparé, avec notre roman du jour, premier tome d'une série de fantasy qui aborde, vous l'aurez compris avec la citation qui sert de titre à ce billet, un sujet terriblement actuel, hélas : le fanatisme religieux. En tout cas, c'est le point de départ, mais, comme toute série, il est délicat de se lancer dans la prospective quant à la suite des événements, car les romanciers sont souvent facétieux... "La marche du prophète" est le premier volet d' "Aeternia", cycle de fantasy signé Gabriel Katz et publié aux éditions Scrinéo. Un excellent moment de lecture, où le compromis entre action, humour et questions de fond est très bien équilibré. Et ça ne fait que commencer !



Leth Marek est un champion. Pardon, Leth Marek est LE champion des arènes de Morgoth. Il y a remporté des centaines de combats et décroché une dizaine de titres, rien que ça. Un gladiateur extraordinaire qui, la quarantaine venue, a décidé de passer à autre chose. La gloire ne l'intéresse pas et il a mis suffisamment d'argent de côté pour s'offrir une nouvelle vie des plus confortables.

Une vie qu'il entend passer à Kyrenia, la plus grande ville du monde, la capitale politique, économique, culturelle et religieuse, une cité où tout se passe et où Leth Marek s'est offert une magnifique villa. Une vie que le gladiateur entend passer auprès de ses deux fils, désormais adolescents, qu'il n'a pas vu grandir. Désormais, il se veut père et rattraper le temps perdu.

Leth Marek n'est pas du genre à avoir des regrets ou à se montrer nostalgique, le départ de Morgoth ne lui fait donc ni chaud, ni froid. En revanche, il est un peu inquiet, même s'il s'y attendait, de l'accueil de ces fils qui se découvrent brusquement un père. Mais, lui qui a relevé tant de défis au cours de sa carrière, trouve avec ce nouveau rôle un challenge à sa hauteur.

Voilà donc le champion sur la route, avec ses deux fils, mais aussi ses serviteurs qui sont aussi, au fil des années, devenus des amis. Sans oublier un minuscule chien qui ne ressemble à rien, mais que son plus jeune fils s'est vu offrir lors d'une halte... Un convoi paisible, qui ne cherche pas d'histoire et qui espère simplement rallier au plus vite Kyrenia.

Mais la vie rêvée de Leth Marek va basculer lors d'une étape dans une auberge. Alors que le champion et ses proches se restaurent, du bruit se fait entendre à l'extérieur. Avec sa carrure imposante, Leth Marek décide d'aller voir ce qui se passe et découvre trois hommes en train de molester une jeune femme venue tirer de l'eau au puits.

N'écoutant que son bon coeur, le champion intervient et donne une bonne leçon aux importuns, sauvant la jeune femme avant qu'il ne lui arrive malheur. Avant qu'ils ne s'enfuient, Leth Marek apprend que les agresseurs se font appeler "les Rédempteurs" et la clé qu'ils portent autour du cou indiquent qu'ils appartiennent au culte de la Nature, dont la tête se trouve à Kyrenia.

Quant à la demoiselle qui n'est désormais plus en détresse grâce à lui, il apprend qu'elle s'appelle Nessirya et qu'elle appartient à un groupe de voyageurs qui sont régulièrement importunés par ces Rédempteurs. La raison de tout cela ? Ces pèlerins, qui se rendent eux aussi à Kyrenia, prêchent le culte d'Ochin;

Un culte au dieu unique, contrairement à celui qui règne à Kyrenia, un culte qui prône plus de justice et d'égalité entre les êtres, un culte qui, partout où il passe, expose ses théories et cherchent à accroître le nombre de ses fidèles... De quoi irriter les responsables du culte de la Nature, comprend Leth Marek. Mais lui n'est pas intéressé, il a d'autres plans en tête et la religion n'en fait pas partie.

Pourtant, l'incident du puits va avoir des conséquences... Quelques jours plus tard, revenant de courses, Leth Marek découvre son campement dévasté. Et tous ses proches massacrés. Y compris ses deux fils... Tous ont essayé de se défendre, mais en vain. En son absence, ils n'avaient aucune chance. Des crimes signés de la clé des Rédempteurs...

Pour la première fois de sa vie, Leth Marek est KO debout, plus mort que vif. Un choc terrible, insurmontable... Le colosse n'est plus qu'une épave... Jusqu'à ce que la colère reprenne le dessus sur le désespoir. Jusqu'à ce que la soif de vengeance supplante la soif d'alcool, que le gladiateur a bu en grande quantité après les meurtres...

Redevenu le champion des arènes de Morgoth, l'homme aux 10 titres, la légende invaincue, il n'a plus qu'une idée en tête : retrouver les assassins de ses fils et leur rendre la pareille. Il reprend donc la route de Kyrenia, mais dans un tout autre état d'esprit que la première fois et il se dit alors que rejoindre Nessirya et ses amis pèlerins pourrait être un bon moyen de préparer sa vengeance...

Voilà pour la trame centrale de ce premier tome. Je ne serais pas complet si je n'évoquais pas le second fil narratif de ce roman, sur lequel j'ai décidé de passer plus rapidement. Il met en scène un jeune homme arrogant et ambitieux, Varian, qui entre au noviciat à Kyrenia, avec l'intention ferme de rapidement gravir les échelons au sein du culte de la Nature.

Mais, bien malgré lui, ce garçon plus naïf qu'il ne veut bien le croire lui-même, va se retrouver embarquer dans des intrigues et des jeux de pouvoir au sein de la hiérarchie du culte de la Nature. Et, dans ce contexte délicat, il va être amené à faire des choix qui pourraient bien s'avérer préjudiciables, et pas uniquement pour lui.

Une chose est certaine : ces coulisses crapoteuses n'ont rien à voir avec ce qu'imaginait découvrir ce jeune homme idéaliste, malgré son ambition. Et son bon coeur, un peu comme Leth Marek de son côté, va lui jouer quelques vilains tours, au point de le placer dans une situation délicate, qui sera certainement un des aspects importants de la suite de cette série...

Mais n'anticipons pas, restons sur ce premier tome. J'ai évoqué les questions religieuses, elles sont évidemment très présentes dans ce livre. De deux façons : d'un côté, ce culte officiel, puissant, installé, dominateur ; de l'autre, le culte émergeant, qui est tout le contraire et met ces différences en avant, porté par la figure charismatique d'un prophète, qui se fait appeler l'Oeil d'Ochin...

Tandis que le culte officiel oscille entre oisiveté et querelles intestines, le culte naissant prospère et embellit au gré de ce pèlerinage mené en direction de Kyrenia. La parole du Prophète électrise, convainc, convertit... Le petit groupe ne cesse de voir ses effectifs augmenter et les disciples d'Ochin ont prévu encore bien plus que cela...

Le face-à-face entre ces deux cultes semble inéluctable, avec d'un côté, un culte à l'image sulfureuse et abîmée et de l'autre, un culte attrayant, vivifiant, porteur de promesses. Un dogme et une idéologie dominante contre une utopie dont les idéaux ne peuvent qu'être populaires... Un duel, se dit-on, forcément déséquilibré.

Je n'entre pas dans les détails, bien sûr, mais on suit en parallèle l'évolution de ces deux camps, à travers le parcours de Leth Marek d'un côté et de Varian, de l'autre. Avec, au passage, quelques jalons qui sont plantés, et l'on voit lentement se dessiner les lignes de force, en particulier au sein du culte de la Nature, sans pour autant avoir encore toutes les cartes en main.

Je reste volontairement flou sur l'intrigue elle-même, car il vous faut la découvrir et parce qu'il se passe beaucoup de choses inattendues. C'est un premier tome tout à fait intéressant, car on rentre dans le vif du sujet rapidement puis, le contexte global s'installe de lui-même, au fil de la procession des disciples d'Ochin vers Kyrenia.

On y découvre aussi des personnages qui font mouche. A commencer par Leth Marek, la brute au grand coeur, mais pas un imbécile plein de muscles et sans cerveau. Simplement, il connaît ses forces et sa réputation ou sa capacité à combattre sont souvent, in fine, ce qui résout les problèmes... Pour autant, ce taiseux qui prend vite la mouche possède bien d'autres qualités que sa carrure.

A ses côtés, on découvre un personnage formidable : Desmeon. Comment vous parler de lui ? Ma première impression, c'est de voir dans le duo qu'il forme avec Leth Marek un équivalent à celui que composent Shrek et l'Âne... Sur le plan du caractère, la comparaison tient, entre le gros balèze taciturne et irascible et le volubile cynique et séducteur.

Mais, Desmeon n'est pas l'Âne. Car, sous ses airs gentiment horripilants et sa désinvolture toute feinte, se cache un tueur redoutable qui, une, voire plusieurs lames à la main, ne laisse aucune chance à ses adversaires. Il aurait l'accent espagnol, qu'on pourrait le confondre, ou presque, avec l'Inigo Montoya de "Princess Bride"...

Pourtant, si je devais décrire ces deux personnages, et le raisonnement vaut d'ailleurs pour les autres, j'ai décidément l'imagination féconde et très portée sur la BD, en ce moment, c'est du côté d'Uderzo qu'il faudrait chercher. Bon, ça ne s'explique pas, hein, ce genre de visions propre aux lecteurs, mais c'est ainsi : je les imagine adoptant le très si particulier du père d'Astérix et Obélix...

Pas de Goscinny, dans cette affaire, car c'est bien Gabriel Katz qui les fait évoluer et s'exprimer. Mais, c'est pas mal non plus, dans le genre. De l'humour, du cynisme, des scènes qui ne tombent pas complètement dans le comique de situation mais s'en approchent, une atmosphère globale qui contraste avec la gravité des thèmes abordés, au moins pendant un temps.

Il y a chez Gabriel Katz de la gouaille, un ton familier voire populaire qui tranche avec le langage habituel de la fantasy, parfois un peu empesé. Bref, on s'amuse bien, en particulier à regarder évoluer cet improbable duo. Improbable, mais très complémentaire, aussi, et qui, après un temps, finit par s'apprécier, par nouer une bonne complicité.

Je découvrais cet auteur à travers cette lecture et je dois dire que j'ai rapidement adhéré à sa façon de raconter des histoires. On a une vraie intrigue, et même plusieurs, la vengeance annoncée de Leth Marek n'étant pas le seul socle sur lequel le livre repose. Entre l'enquête du gladiateur pour retrouver la trace des assassins de ses enfants et celle de Varian, plus discrète, pour découvrir les arcanes du pouvoir, il y a de quoi faire.

Sans compter quelques surprises, dont un twist final qui m'a laissé sur le... enfin, qui m'a laissé pantois, restons poli. Ah, ce final, on ne s'y attend pas une seconde, on ne le voit pas venir du tout et on se retrouve fort dépourvu une fois la dernière page tournue... euh, tournée. Il faut un moment pour digérer ce qui se déroule alors...

Il y a le cliffhanger qui vous laisse sur les nerfs, avec à la bouche des balbutiements du genre "et alors ? Et alors ? éhaloréhaloréhalor ?"... Mais là, on est encore au-delà de cette situation où le lecteur perd le contrôle. Non, là, c'est folie, Monsieur Katz, c'est folie ! Un conseil, puisque le tome 2 d' "Aeternia" est disponible, prévoyez de le garder près de vous, en cas de malaise...

Je me suis bien amusé, mais j'ai aussi connu d'autres émotions parfois fortes, je suis curieux de connaître la suite des événements et le sort qui attend les personnages, mais aussi de voir comment ce final va influer sur l'intrigue elle-même. Et puis, j'ai envie de découvrir ce qui se cache véritablement derrière ce nom, Aeternia, et les légendes qui s'y rattachent... A suivre, donc !

jeudi 28 avril 2016

"Son pouvoir elle cachera / La Nature elle protégera / En plongeant les hommes / Dans la désolation..."

Vous l'avez peut-être oublié, mais depuis 2012, notre monde a pris fin. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les Mayas. Enfin, leur calendrier. Enfin, certaines personnes un peu plus pessimistes que la moyenne qui ont décrété que ce calendrier annonçait la fin du monde... Bref... Mais, avouez que si je vous dis le mot Mayas, certains répondront "abeille" et ils peuvent sortir tout de suite, quant à un bon nombre d'autres, ils évoqueront sans doute cette histoire de calendrier. Voici un roman qui joue avec les mythes et légendes de la civilisation maya, sans tomber dans ce cliché facile du calendrier. "L'oeil de Chaac", premier roman d'Emma Lanero, publié dans la collection jeunesse "Electrogène" aux éditions Guf Stream, est un thriller fantastique qui nous fait voyager entre l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale à la recherche, non pas d'un diamant vert, mais d'un objet d'un tout autre genre. Et un poil plus dangereux...



Le professeur Davis est un archéologue américain, spécialiste de la civilisation maya. Il serait même sans doute le plus grand spécialiste au monde de ce domaine, s'il n'avait pas cessé, depuis près de 40 ans, tout travail sur le terrain après une expédition qui a mal tourné, près du site de Copan, à la frontière du Honduras et du Guatemala.

Depuis, il n'a plus quitté son université et, s'il a poursuivit ses travaux, en particulier dans la compréhension des glyphes mayas, obtenant des résultats remarquables, il n'a jamais pu se débarrasser de ces douloureux souvenirs. L'alcool venant s'ajouter au désespoir, sa réputation s'est nettement altérée dans le petit monde de l'archéologie.

Keith est un jeune Irlandais tout juste sorti de prison. Lors d'un deal autour d'un trafic d'armes à Caracas, il est le seul survivant d'une fusillade. L'affaire a salement dégénéré, subitement, quand ses propres partenaires lui ont tiré dessus... Oh, Keith sait bien pourquoi ils ont agi ainsi, il le redoutait, même. Mais, ce massacre, il ne s'y attendait pas.

Et ce n'est pas tout. Dans le coaltar, il est kidnappé par une bande d'Indiens qui l'emmène dans un village, sur le territoire d'un parc national. Et, manifestement, si l'on en croit les intentions de ses ravisseurs, le fait d'avoir survécu à la fusillade n'est qu'un sursis... Pourtant, il va encore s'en tirer, de justesse, et se lancer, sans en avoir encore conscience, dans une incroyable aventure.

Kaya est une jeune indienne au destin peu ordinaire. Alors qu'elle n'était qu'une petite enfant, un raid de l'armée a détruit son village natal, permettant aux promoteurs de s'approprier une nouvelle parcelle de forêt tropicale. Kaya a alors été confiée à une tribu qui a décidé d'en faire une chamane. C'est ce qui explique les tatouages qui couvrent la totalité de son corps.

Ce qui n'était pas une vocation est devenue peu à peu un rôle qu'elle a accepté. Il ne lui reste plus qu'à terminer son initiation pour devenir chamane et envisager la suite de son existence en lien étroit avec la nature et apportant son savoir à un village. A condition qu'elle se débarrasse de certaines entraves qui l'empêchent d'avancer dans cette direction. A commencer par Aru...

Aru a connu exactement le même parcours que Kaya. Mais le jeune homme n'a pas du tout accepté que d'autres décident de son sort. Lui refuse de devenir chamane et il a trouvé une toute autre activité : racketter, souvent violemment, les orpailleurs qui essayent de trouver de l'or dans les résidus des mines locales.

Aru est donc devenu un voyou, et quelqu'un de plutôt dangereux, que la police recherche. Ce qui ne l'empêche pas de veiller jalousement sur Kaya, qu'il empêche de voler de ses propres ailes. Mais les événements vont pousser Kaya à quitter Aru. Et ce que la jeune femme craignait va se produire : il va tout faire pour la rattraper...

Gabriel est un collectionneur averti. Il a toujours collectionné quelque chose, depuis l'enfance. Mais, désormais adulte et possédant une fortune colossale, il a préféré délaisser de prometteuses études pour se consacrer à cette passion dévorante de la "collectionnite". Ou plutôt, il a décidé de faire mieux que son père dans ce domaine. Par tous les moyens.

Et, vous le découvrirez, les moyens en question ne concernent pas que la façon d'acquérir de nouvelles pièces rares, mais aussi le choix de collectionner des artefacts tout à fait... particuliers. Cette fois, il lorgne un objet qui pourrait être le sommet de toutes ses collections. D'abord, parce que tout le monde pense qu'il s'agit d'un mythe, ensuite, parce que sa valeur est inestimable...

Enfin, parlons de Xingu. Lui aussi est indien, descendant de cette civilisation maya, mystérieusement éteinte avant même l'arrivée des Européens sur le continent. Il tient un bar dans la jungle vénézuélienne, dans lequel viennent boire mineur et chercheurs d'or, bien loin de son pays natal, le Guatemala. Un exil volontaire, mais qui n'a pas apaisé son esprit.

Car, en partant vers le sud, dans ce coin perdu où il est peu probable qu'on le retrouve, Xingu a emporté avec lui des souvenirs qui lui donnent encore le frisson, tant d'années après... Et ces souvenirs ne sont pas les seuls secrets que cache cet homme, le lecteur aura l'occasion de le découvrir tout au long du roman.

Voilà, j'ai choisi d'entamer ce billet en vous parlant des personnages plus que de l'histoire. Et encore, ils sont juste esquissé, avec un minimum de liens établis entre eux. Il manque toutefois un dernier personnage, si je puis le qualifier ainsi. Il s'agit d'un objet, une sphère, à l'histoire bien sombre et au pouvoir dévastateur... N'en disons pas trop, c'est le coeur de l'intrigue.

Pourquoi ne pas vous en dire plus sur l'histoire ? Eh bien, parce que j'ai tout de même dégagé six personnages qui apparaissent au fil du roman et qui, par leurs interactions, vont tisser la trame de ce thriller fantastique. Difficile, à mes yeux de trop les mettre en lien, car, si certains apparaissent immédiatement, d'autres vont s'établir dans le cours de l'histoire.

Et puis, un dernier mot. Un petit bémol qui concerne le roman lui-même, mais qui est peut-être surtout le fait de l'adulte que je suis, dont l'âme d'adolescent est aussi endormie qu'Hibernatus dans ses glaces... Plus sérieusement, il y a deux éléments qui sont donnés au début du roman et qui ont fait tilt chez moi, m'amenant à comprendre d'emblée un des éléments forts du récit.

Plus tard, je me suis rendu compte que mon hypothèse était erronée, mais que ce que j'avais pressenti dès les premières pages apparaissait bien par la suite. Maintenant, je ne crois pas que ce soit un élément rédhibitoire non plus, ni que cela dérange plus que cela le jeune public qui est celui visé par ce roman, donc, laissons cela et revenons à nos moutons.

L'idée de "l'Oeil de Chaac" est assez classique et joue avec des recettes de films d'aventures, d'horreur ou catastrophes. Amusant, d'ailleurs, de voir que le fameux objet est un moment appelé "la Chose", ce qui n'est pas sans rappeler un film de John Carpenter. Entre légendes mayas, poursuite dans la jungle (au milieu de paysages splendides) et danger imminent, il n'y a aucun temps mort.

Mais la force de ce roman c'est, comme je l'ai dit en préambule, d'éviter l'écueil du calendrier maya et de sa malédiction censée nous tomber dessus, et le ciel avec, à intervalles réguliers, au gré des délires millénaristes. Non, Emma Lanero nous offre une intrigue qui repose sur tout autre chose, bien plus intéressant et reposant sur d'autres aspects.

Là encore, je ne vais pas entrer dans le détail de ce qui se passe, des premiers chapitres qui nous amènent lentement des origines à l'époque contemporaine. Emma Lanero joue habilement avec des événements réels pour les intégrer à son histoire, et cela fonctionne, si l'on excepte cette légère réserve déjà évoquée.

J'ai pris un réel plaisir à la lecture de ce roman, avec quelques enchaînements que j'ai trouvés un peu rapides, parfois, mais ne pinaillons pas. C'est une histoire qui va vite, qui vous embarque et vous entraîne, au rythme qui ne décroît pas et dont la dimension fantastique suit un crescendo qui offre pas mal de surprises au lecteur.

Ajoutez à cela une écriture très visuelle, qui donne une vraie vie à l'ensemble. J'ai lu ici et là des commentaires évoquant le cinéma, à propos de ce style, pour moi, "l'Oeil de Chaac" m'a plus fait penser à une bande dessinée, allez savoir pourquoi. Peut-être parce que les poursuites m'ont rappelé des lectures anciennes, comme Ric Hochet, par exemple (oui, je vous parle d'un temps... je sais...).

Et puis, parmi les thèmes centraux de cette histoire, il y a la Nature, avec ou sans majuscule, et la relation que l'homme entretient avec elle. Les questions environnementales sont au centre de bien des préoccupations, et ici, c'est l'enjeu. On est dans une région du monde que tout cela concerne de près, avec des peuples autochtones attachés à cette nature luxuriante, profondément enracinées, sans jeu de mots.

Il y a la nature, et puis, il y a les ambitions humaines, la cupidité, l'exploitation des ressources terrestres, débridée, irraisonnée... Il y a un monde contemporain qui ne s'embarrasse plus vraiment de morale, encore moins de spiritualité... Il y a de vieilles croyances, des légendes enfouies, des récits qu'on se raconte à la veillée pour se faire peur...

Tout cela fait partie des ingrédients dont dispose Emma Lanero pour son histoire, dans laquelle la nature devient un personnage à part entière. Peut-être serez-vous d'ailleurs frappé comme je l'ai été (et je ne suis pas le seul) par son omniprésence... Vous allez me dire, si on se course en pleine jungle, forcément, la nature est là, tout autour... Certes, certes...

Mais, ce n'est pas tout. Surveillez les animaux... Insectes, papillons, arthropodes, autres bestioles du même genre que l'on rencontre et que l'on suit, presque façon "Microcosmos". Ils sont là, bien présents, à des moments apparemment anodins, ou au contraire, au comble de la tension, ils sont là et ils s'imposent à nous, comme des témoins. Comme des observateurs...

Emma Lanero conclut son roman par une série d'annexes, dans lesquelles elle revient sur les références, en particulier en matière spirituelle, qui nourrissent son livre, exemples à l'appui. Ce sont des précisions très intéressantes qui viendront enrichir la lecture, que l'on soit adolescent ou adulte, mais qui remettent également en perspective cette relation de l'Homme à la Nature.

Derrière l'intrigue de thriller, derrière le danger permanent qui guette les personnages (et un danger qui n'est pas seulement humain), s'élabore une quête initiatique aux objectifs différents selon les personnages. Accomplissement, rédemption, transmission... Il y a aussi tout cela dans "L'Oeil de Chaac", et pas seulement pour faire joli, mais aussi pour que nous en tirions quelques enseignements.

A l'arrivée, ce fut un très bon moment de lecture, en particulier la première partie, dans laquelle j'ai évolué sans jamais me dire que je lisais un roman jeunesse. Je l'ai bien plus ressenti dans la seconde moitié, même si j'ai accroché jusqu'au bout, ne serait-ce que pour voir comment l'auteure allait intégrer à son histoire l'événement que je pressentais.

Un bon divertissement qui mérite qu'on dépasse le simple aspect thriller fantastique pour considérer les dimensions plus profondes. Et puis, il y a cette culture maya, finalement plutôt sous-utilisée dans la littérature, tous genres confondus, et qui nous emmène dans quelque chose de dépaysant et d'évocateur sans être didactique ou empesé. Pas mal pour un premier roman !

mercredi 27 avril 2016

"Il est le coeur de la tempête (...) Là où il se tient, le vent ne souffle pas".

La découverte d'un cycle de fantasy a toujours quelque chose du jeu de pile ou face. En effet, si on peut cerner un contexte réaliste assez aisément, même à partir d'une quatrième de couverture, pour ce qui est de la fantasy, genre dans lequel l'unique référence est l'esprit (tordu ? torturé ?) de son auteur/créateur, il en va tout autrement. On se jette à l'eau après y avoir plongé le bout de son gros orteil, mais cette impression fugace ne peut suffire à savoir si l'on se sentira bien quand on sera entré dedans tout entier. Pourtant, avec notre roman du jour, j'avais une vraie curiosité et une vraie envie, pour garder un bon souvenir d'une nouvelle de Nathalie Dau, dans l'anthologie consacrée à Lancelot, lors d'une édition de Zone Franche. Retrouver cette auteure dans l'exercice du long cours aiguisait ma curiosité et c'est encore le cas après avoir terminé "Source des tempêtes", le premier tome du "Livre de l'énigme", publié aux Moutons Electriques. Car l'univers très riche qui nous est proposé reste encore à maîtriser, sa compréhension à approfondir...



Cerdric n'a pas eu l'enfance heureuse qui aurait dû correspondre à son milieu familial. Fils de Nérasia Tirbald, fille du seigneur de Cassegrume et favorite du margrave Ardégyl, il est né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, comme on dit. Sauf que sa mère, ambitieuse et, disons-le, assez perfide, ne l'aime pas et lui fait savoir.

Quant à son père, il en ignore tout. Il grandit à la cour, sans ami, sans amour, insignifiant et encombrant, ce que Nérasia n'oublie jamais de lui rappeler. Et puis, à 9 ans, il apprend par hasard l'identité de son père. Une nouvelle qui va bouleverser son existence. Pas seulement parce qu'il peut enfin mettre un nom sur celui à qui il doit la vie, mais aussi parce qu'il découvre les circonstances de sa naissance.

Longtemps, Cerdric s'est cru bâtard et il apprend soudain qu'il est le fils d'un couple légitime. Nérasia est mariée avec un certain Kéral Asulen, dont l'enfant n'avait encore jamais entendu parler. J'ai utilisé le présent, car le mariage unit toujours son père et sa mère, même si le premier a disparu. Et la cause de ce départ est loin d'être anodine...

Kéral était l'un des derniers Mages Bleus, qui ont été persécutés et massacrés lors de cette période qu'on appelle l'Eradication. Sauvé in extremis par le margrave en personne, Kéral est devenu son ami. Un ami un peu trop proche au goût de certains, qui ont fait courir la rumeur d'une relation homosexuelle entre Ardégyl et Kéral.

Le mariage entre l'ami du margrave et sa favorite aurait été arrangé, Cerdric serait né de la relation adultère entre sa mère et Ardégyl... On en imaginerait presque une espèce de ménage à trois qui contrevient à la stricte morale en vigueur à Havra. A tel point que les garants de cette morale ont un jour décidé d'éliminer le personnage encombrant...

Torturé, privé de son drac, cette magie que maîtrisent certains hommes, privé de sa dignité et de bien plus encore, Kéral a été chassé, obligé de partir, loin, très loin, dans une région où il vit près d'un bois qu'habite des fées, là où personne ne vient s'aventurer normalement. Et il y en a pour trouver que ce sort est bien clément...

Cette révélation transforme le timide Cerdric. Les accrochages avec sa mère se font plus forts et il obtient de rester désormais à Cassegrume, loin de la cour. Mais, ce n'est qu'à 16 ans, alors que sa réputation ne cesse de se dégrader, qu'on ne le regarde plus seulement comme un bâtard mais pire encore, qu'il décide de se lancer à la recherche de son père.

Une initiative qui va le combler, le temps qu'il comprenne que son action impulsive équivalait à avoir ouvert la boîte de Pandore... D'un seul coup, la violence va se déchaîner autour de lui, comme si on voulait empêcher que ce qu'il a appris sur son père puisse se répandre. Et en particulier, le fait qu'il ait découvert l'existence d'un personnage auquel il va s'attacher : Ceredawn.

N'en disons pas trop, si vous le voulez bien. Mais ce tandem est au coeur de "Source des tempêtes" et on va le suivre un long moment dans une quête presque picaresque tant ces deux-là (Ceredawn n'est encore qu'un enfant) sont ignorants du monde qui les entoure. Et plus encore des enjeux au centre desquels ils se retrouvent, malgré eux.

Oui, ils sont naïfs, mais chacun à leur façon. Cerdric a du caractère, une certaine autorité, mais il est bien seul et bien peu expérimenté encore pour se retrouver ainsi livré à lui-même et chargé de protéger un garçon qui, lui, ne sait rien du monde et des hommes, pour avoir été élevé totalement à sa marge, isolé...

Ceredawn, c'est un gentil, le genre de gamin qui vous fait un immense sourire quand il vous croise pour la première fois, confiant, trop confiant, mais doté de certaines capacités tout à fait extraordinaire. Si Cerdric est un Réfractaire, comprenez qu'il ne possède aucun drac, Ceredawn, lui, semble doué d'un pouvoir immense, dont il est difficile de mesurer l'exacte ampleur...

Les questions religieuses sont très importantes dans l'univers que met en place Nathalie Dau. Différentes obédiences, différents cultes, différentes ambitions... La lutte fait rage, jusque dans l'opposition qu'on nous présente entre la Loi et le Chaos. Les Mages Bleus, qui servaient l'Equilibre, ont été exterminés sans merci...

Voilà dans quel pétrin les deux jeunes garçons se retrouvent... L'existence de Ceredawn porte en elle-même un danger terrible. En fait le coeur d'une tempête qui se déchaîne depuis que Cerdric a décidé de retrouver son père et qui n'est pas près de s'arrêter. Si Ceredawn ne semble guère s'en soucier, tout valse dans la vie de son aîné, emporté par cette tourmente...

Ceredawn est l'oeil de ce cyclone, et l'on devine, mais très partiellement, quel enjeu il peut incarner. Mais sa clandestinité est son atout. Elle doit demeurer le plus longtemps possible pour épargner bien des risques à ces deux-là. Car, tant que tous ceux qui pourraient lui nuire ignoreront son existence et sa destination, il ne risquera (presque) rien.

Quant à la quête qu'ils vont se fixer, nous n'en parlerons pas ici. Pas seulement parce que c'est évidemment un des objectifs du roman, mais aussi parce que je serai bien incapable de vous expliquer ce qu'ils en attendent... Tout cela sera certainement au coeur du tome suivant, qui devrait expliciter plus en détails les rivalités et les tensions qui s'exercent dans ce monde en ébullition.

Certes, l'univers du "Livre de l'énigme" est assez complexe et franchement délicat à expliciter dans un billet, mais cela permet d'installer tout un jeu de rivalités, d'ambitions, de luttes où politique et religion s'entremêlent et s'affrontent, que l'on ne fait encore qu'effleurer dans ce premier volet. Bien des choses nous échappent encore, il va falloir patienter.

Il y a un élément que j'ai retrouvé dans cet univers et qui m'avait marqué dans la nouvelle que j'avais lue de Nathalie Dau : la place importante donnée aux couleurs. Oui, je sais, vous vous dites que c'est un peu étrange comme remarque, mais, croyez-moi, c'est frappant. Il y a les Mages Bleus, dont j'ai parlé dans ce billet, mais pas seulement.

Le drac, ce pouvoir magique que possèdent certains, et de façon plus ou moins prononcée, s'exprime lui aussi sous une forme très colorée. Et puis, il y a ce... mode de transport, dirons-nous, "l'aile des couleurs", qui permet de se rendre d'un endroit à un autre en quelques instants à peine... Pas le moyen de se déplacer du commun des mortels, mais bien utile pour ceux qui en maîtrisent le fonctionnement.

Dans l'univers de Nathalie Dau, qui, mine de rien, se révèle drôlement violent, on ne croise pas que des magiciens, des religieux ou des guerriers. On y rencontre aussi quelques créatures, et pas seulement les fées que j'ai évoquées plus haut. Et, dans ce domaine encore, je pense qu'on n'est pas au bout de nos surprises de lecteurs.

En fait, en écrivant ce billet, ce sont plein de détails étranges (euh, quand je dis étranges, c'est qu'ils m'ont frappé et que le sens de ces micro-événements n'est pas encore bien clair dans mon esprit) me reviennent en mémoire. Comme par exemple, la question du sang, dont on fait, quelquefois un usage bien particulier...

Mais, c'est avec deux aspects très forts que je vais terminer ce billet, pour vous montrer qu'on n'est aussi dans une fantasy qui interpelle aussi le lecteur sur des sujets forts dans sa réalité. La première, c'est la question de la race. Les Rives et les Marnes, deux peuples pourtant très anciens, sont désormais considérés comme des quantités négligeables, tout juste bons à être réduits en esclavage.

Pour Cerdric, qui n'a jamais véritablement été confronté à ces questions, enfermé dans sa cage dorée à la cour puis à Cassegrume, et la révélation est dure. Mais, elle ne s'arrêtera pas à ces préjugés raciaux, à cette hiérarchisation des individus selon leurs origines. Et, dans ce domaine, les aventures qu'il va vivre et les rencontres qu'il va faire seront aussi une initiation à la tolérance et au respect de l'autre.

Et puis, il y a la dimension sexuelle très présente dans ce roman. Je ne parle pas passion ou procréation, non, je parle morale, rapports de forces, aussi. Et rumeurs. J'ai évoqué la question de l'homosexualité supposée d'Ardégyl et Kéral, mais ce n'est pas tout. Le pauvre Cerdric, rejeton détesté, voit retomber sur lui les rumeurs les plus sordides, nées de cette hypothèse.

L'homosexualité est proscrite de ces royaumes dans lesquels évoluent nos personnages. Une simple rumeur peut défaire une réputation et, si cela s'avère, le discrédit, voire pire, s'abat sur le coupable. Là encore, le pauvre Cerdric doit subir cette terrible pression sociale. Adolescent renfermé, solitaire, il est en pleine construction, également dans ce domaine particulier.

Ce qu'il affronte le perturbe, et pas seulement en raison des bruits et des accusations qu'on porte à son sujet, des pièges qu'on lui tend (on, comprenez sa charmante mère, cousine éloignée de la "charmante" Cersei Lannister, sans doute). Cela le perturbe, parce qu'il en vient à se poser des questions sur sa propre orientation sexuelle... Encore un élément anodin en apparence et sans doute important.

Mais les questions sexuelles, le pouvoir que recèle le sexe, celui qu'on impose à d'autres, ne touchent pas que Cerdric, comme on le découvre dans la dernière partie du roman. Comme souvent, lorsqu'on se trouve dans un contexte régi par une moralité contraignante, le vice prospère. Et ceux qui devraient être exemplaires cachent bien souvent une âme fort sombre...

Ce billet est plus une espèce de patchwork qu'un argumentaire construit. J'ai abordé des sujets qui m'ont marqué, sans véritable fil conducteur. A la va comme je te pousse, presque. Mais, en attendant d'en savoir plus sur les enjeux de ce cycle, j'ai choisi de partager avec vous ces réflexions, jetées sur l'écran comme elles sont venues.

Riche, cet univers l'est, incontestablement. Le décor est planté, on a beaucoup de matière en main, mais ce ne sont encore que les pièces d'un puzzle qui reste à assembler. Et je suis curieux de lire la suite, de voir comment tout cela va s'agencer et quelle sera la place de ces deux jeunes garçons, Cerdric et Ceredawn, chacun dans son domaine, chacun avec ses épreuves à venir.

lundi 25 avril 2016

"Ne comprenez-vous pas que tout est perdu sitôt qu'on permet à des livres de penser à notre place ?"

Rien que cette phrase de titre pourrait servir de base à un billet, tant il y aurait à dire. Mais rassurez-vous, c'est bien d'un livre dont nous allons justement parler, à condition que vous ne le laissiez pas penser à votre place, bien sûr. Et vous allez voir que cette boutade n'en est peut-être pas tout à fait une... Voici un roman historique et un conte philosophique contemporain, hommage aussi aux pionniers de ce genre littéraire. "Le dernier chasseur de sorcières", de James Morrow, au Diable Vauvert, est une histoire foisonnante, pleine d'ironie et de scènes qui marquent l'esprit, où l'on croise des personnages bien réels embarqués dans un récit fou, fou, fou, mais aussi de nombreuses références philosophiques et scientifiques, car c'est bien l'un des centres névralgiques de ce livre. Mais aussi, un avertissement contre toutes les formes de fanatismes...



1688. Jennet est une jeune Anglaise de 10 ans qui a plusieurs particularités. La première, c'est qu'elle est la fille de Walter Stearne qui exerce le dur labeur de chasseur de sorcières. Il espère bien, en s'appuyant sur un texte de 1604 censé combattre l'hérésie sous toutes ses formes, obtenir pour sa mission un statut officiel de la part de la couronne.

Une charge qui, dans un premier temps, lui permettrait de s'assurer une rente plutôt confortable et, dans un second temps, qu'il transmettrait à son fils, Dunstan, le jeune frère de Jennet, qu'il compte bien former à la détection et la mise hors d'état de nuire des sorcières. Il dispose pour cela de tout un arsenal très au point, mais aussi d'une interprétation tout à fait personnelle des signes...

Eh oui, une sorcière ne se reconnaît pas qu'à ses actes, mais bien à tout une nomenclature de signes que le bon chasseur (oui, dans ce domaine-là aussi, il y a les bons chasseurs et les mauvais chasseurs, mais Walter, c'est un bon chasseur...) sait interpréter au premier coup d'oeil. Des méthodes infaillibles qui ont permis de faire condamner et exécuter des centaines de personnes dans tout le royaume.

Mais, lorsque les mâles Stearne courent la campagne à la poursuite de ceux et celles qui font commerce avec le démon et les livrent à la justice des hommes et de Dieu, Jennet, elle, reste chez sa tante, la soeur de sa défunte mère. Un peu jalouse de ne pas accompagner son père, elle se rattrape dans un tout autre domaine : la science.

En effet, Lady Isobel Mowbray est une philosophe et une scientifique reconnue dans tout le pays. Avec une autre enfant de son âge, fille du pasteur local, Jennet suit donc des cours de philosophie naturaliste auprès de Tante Isobel et ces expériences captivent la demoiselle, pour qui sa tante est un véritable modèle. Et il y a encore tant à apprendre !

En tant que femme de science et de progrès, Isobel Mowbray regarde l'activité de son beau-frère avec un oeil critique. Sans être athée, au contraire, sa science reste très théiste, Isobel ne croit pas aux sorcières et encore moins aux démons. Et elle se dit qu'elle pourrait mettre à profit les cas mis au jour par Walter pour pratiquer quelques expériences à la pointe de la science.

L'idée, rassurez-vous, n'est pas de mener des expériences sur les hommes et les femmes déclarés sorcières, mais sur les animaux qui leur sont associés. Ces animaux sont un des signes que repèrent Walter et ses confrères dans l'entourage de ceux qu'ils accusent : chats, chouettes, serpents, hérissons, un bestiaire satanique innombrable qui permet de confondre à coup sûr les sorciers et sorcières.

Isobel voudrait pouvoir examiner ces animaux, car elle pense que les chasseurs font fausse route, que ces pauvres bêtes n'ont rien de satanique, pas plus que les personnes à qui ont les lie d'office. Et, si elle pouvait démontrer que ces animaux n'ont absolument rien de corrompu, alors, elle pourrait affirmer que les démons n'existent pas.

Une telle mise en évidence pourrait alors permettre de mettre un terme à cette pratique barbare qui coûte la vie à tant d'innocents. Mais, dans ce but, elle a besoin d'un appui, un appui incontestable, quelqu'un qui fait référence, quelqu'un d'intouchable : Isaac Newton. Le plus grand scientifique de son temps. Mais, à son grand dam, le Grand Homme ne donne pas suite...

Le problème, c'est que ces recherches vont valoir des ennuis et même bien pire à Isobel : bientôt, la voilà à son tour accusée de sorcellerie et jugée. Les preuves rassemblées par Walter lui-même sont accablantes... Jennet tente alors le tout pour le tout : elle s'enfuit et se rend auprès de Newton pour solliciter son témoignage, certain qu'il innocentera sa tante.

Mais, décidément, Newton n'est pas l'homme providentiel que l'on croit : au contraire, son témoignage grandiloquent ne fait qu'enfoncer la pauvre Isobel, rapidement condamnée à mort. Et, pour en faire un exemple, on décide non pas de la pendre, comme le veut la tradition anglaise, mais de la brûler, comme le font ces rustres de Français...

Jennet est outrée, scandalisée, désespérée, mais rien n'y fait. Elle ne parvient pas à sauver sa tante, tout juste réussit-elle à éveiller quelques doutes chez son père, mais sans plus... Alors, devant le bûcher; la jeune fille fait un serment : elle n'aura de cesse de trouver les preuves scientifiques de l'inexistence des démons pour faire abroger une fois pour toutes la loi de 1604...

Pardon pour cette mise en bouche un peu longue, ne vous inquiétez pas, le roman de James Morrow fait 700 pages, tout cela ne concerne que la première partie du livre et ce résumé laisse même volontairement quelques éléments dans l'ombre ou judicieusement tronqués pour ne pas trop vous en dire, si vous ne l'avez pas encore lu.

Ainsi commence l'incroyable parcours, particulièrement mouvementé, de Jennet, fille et soeur de chasseurs de sorcières, obnubilée par l'idée de faire cesser ces pratiques. On va la suivre plus d'un demi-siècle dans cette quête folle, au gré des aventures qui vont marquer son existence, entièrement consacrée à la science, du moins quand le destin ne vient pas s'emmêler.

Outre un clin d'oeil très appuyé à Daniel Defoe et à son "Robinson Crusoë", James Morrow joue avec le genre du conte philosophique et du roman d'aventures. C'est d'ailleurs plutôt vers Jonathan Swift, l'auteur des "Voyages de Gulliver", mais aussi vers le Voltaire de "Candide" qu'il lorgne, assortissant son récit plein de rebondissements et de rencontres d'une ironie souvent mordante.

Les trois siècles de recul entre la période décrite et l'écriture du roman autorisent l'auteur à utiliser dans son jeu des personnages d'époque : Isaac Newton, qui est le fil conducteur de l'histoire, même s'il n'a pas vraiment le beau rôle, contrairement à ses idées, Benjamin Franklin, véritable personnage principal, mais aussi le très puritain Cotton Matters ou encore Monstesquieu, pour n'en citer que quelques-uns...

Si la rencontre avec Jennet se fait dans le respect du contexte historique, James Morrow place pourtant tout le monde dans des situations souvent inattendus, la palme revenant à Benjamin Franklin, qui va se retrouver lui-même embarqué dans les aventures de Jennet, dont il ne sortira pas indemnes, mais renforcé dans ses convictions et plus sûr encore de ses ambitions scientifiques et humanistes.

En filigrane de l'odyssée de Jennet, le passage d'une ère à l'autre. Lorsque s'ouvre le roman, en 1688, la Renaissance, qui a tant apporté aux arts, mais aussi aux sciences, s'essouffle, périclite. Peu à peu, des idées nouvelles vont s'imposer, des progrès remarquables vont permettre de nouvelles avancées, le Siècle des Lumières va prendre le relais.

Mine de rien, cette transition est loin d'être anodine. Car, dans le même temps, c'est une révolution philosophique qui s'opère : le règne de la foi comme seul référent touche à sa fin, est venu l'heure de l'avènement de la raison. Un passage qui se fait plus ou moins rapidement selon les lieux et, dans l'Amérique puritaine de l'époque, c'est loin d'être acquis...

Sciences et religion sont au coeur de ce livre, dans un duel à fleurets mouchetés, car ce ne sont pas forcément les deux notions qui s'affrontent directement, mais leurs serviteurs les plus zélés. Ceux pour qui combattre le démon, c'est servir Dieu et qui connaissent par coeur tous les passages de la Bible traitant de ce sujet, et ceux qui cherchent des explications rationnelles et scientifiques à chaque phénomène.

Au coeur de ces deux visions du monde, des livres. La Bible, bien sûr, mais elle n'est pas la seule base de la pensée unidimensionnelle des chasseurs de sorcières. Le "Malleus Maleficarum", traité commandé par Innocent VIII à la fin du XVe siècle, fait encore référence auprès de ceux qui pérennisent la sainte mission des Inquisiteurs d'antan...

De l'autre côté, c'est évidemment l'oeuvre de Newton qui se dresse, avec sa vision révolutionnaire du monde, et pas seulement la gravitation, mais aussi son travail sur la lumière et tant d'autres domaines. Et l'ouvrage de chevet de Jennet, ce sont ses "Principes mathématiques de la philosophie naturelle", sur lequel elle fonde une grande partie de sa pensée.

Et c'est là que le génie satiriste de James Morrow s'invite. Car, figurez-vous que ce sont ces "Principes mathématiques de la philosophie naturelle" qui... sont le narrateur du roman. Oui, c'est un livre qui raconte les aventures de Jennet Stearne, avec un art consommé de la digression (je préviens les amateurs de narration linéaires, le livre s'invite régulièrement dans le cours du récit).

Je vous laisse découvrir comment tout cela s'articule, mais le livre raconte en parallèle de l'histoire de Jennet, sa lutte à couteaux tirés, véritable guerre entre ouvrages, avec le "Malleus Maleficarum". C'est fin, drôle, et ces passages pourraient tout à fait rejoindre l'univers déjanté, surréaliste d'un Jasper Fforde, par exemple.

Mais, derrière cela, se pose la question du livre comme unique base de la pensée. James Morrow vise bien entendu la religion, et en particulier les religions monothéistes qu'on appelle d'ailleurs religions du livre, mais pas uniquement. On comprend bien dans sa démarche que la raison, elle aussi, si elle se limite aux préceptes d'un livre, peut vite donner lieu à la naissance de fanatismes...

On retrouve dans cet avertissement quelque chose qui était déjà au coeur d'un autre roman mettant en scène des scientifiques : "les arpenteurs du monde", de Daniel Kehlmann, qui retrace la rivalité snas pitié entre Humboldt et Gauss. Le premier est un voyageur et un expérimentateur qui ne juge que par les expériences qu'il peut réaliser sur le terrain, l'autre est un théoricien qui vit dans un monde abstrait.

Dans "le dernier chasseur de sorcières", c'est un peu la même chose : face à son père, puis à son frère et à leurs séides (dont Abigail Williams, à qui James Morrow prête une vie bien différente que ce que l'on connaît officiellement d'elle), Jennet va toujours chercher à présenter des théories solidement étayées par des expériences et des preuves.

Difficile de faire plier des fanatiques qui récitent les critères définissant une sorcière comme un credo, mais elle espère pouvoir y parvenir en leur mettant le nez sur des évidences physiques qu'ils ne pourront ensuite contester. Un impératif, car le livre de Newton, aussi fondamental soit-il dans sa quête, repose sur des préceptes qu'elle va découvrir erronés...

Oui, la science évolue en permanence, on apprend tout les jours quelque chose, on cherche, on expérimente, on découvre, on prouve... La vie de Jennet, c'est cela, plus encore lorsqu'elle aura pour partenaire le très imaginatif Benjamin Franklin et sa passion pour le magnétisme et l'électricité. Là encore, on voit bien la transition vers la modernité qu'incarne ce personnage.

Mais vous devez vous dire que ce roman doit être bien rébarbatif si l'on y parle de sciences, de philosophie, de théologie, et vous vous trompez. Le talent de James Morrow, c'est d'enrober tout cela dans une histoire débridée, pleine d'événements inattendus et d'une douce folie, dans laquelle plonge le lecteur avec délice.

Il propose ensuite quelques temps forts qui interpellent autant qu'ils sont divertissants, grâce à un sens de la mise en scène et de la narration remarquable. Jennet, qui n'est pas un personnage lisse, qui sait parfois se montrer un peu agaçante, souvent froide, portée par la mission qu'elle s'est donnée et qui prime sur tout le reste, est une femme de caractère et combat frontalement un ennemi bien plus puissant.

En cela, elle mérite le nom d'héroïne. Et même plus encore, car elle va chercher à s'inscrire dans l'impressionnante lignée de ceux qui ont changé, si ce n'est le monde, au moins la vision qu'on en a, et qui va d'Aristote à Newton. L'énergie qu'elle consacre à son combat, contre les siens, contre le pouvoir politique et plus encore religieux, est infinie et jamais elle ne se décourage.

Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que ce sont deux femmes qui incarnent véritablement la raison dans ce roman, face à des hommes qui sont bien moins flexibles, bien plus arc-boutés sur leurs idées. Oui, on ne peut que ressentir de l'admiration devant ce personnage que l'on suit pendant 700 pages, car elle n'agit pas en fonction de ce qu'elle croit, mais de ce qu'elle sait.

James Morrow, diplômé de Harvard, fin connaisseur de la chose philosophique et scientifique, donne ici une formidable leçon d'humanisme. Mais, si le fond de l'histoire est terriblement sérieux et s'il nous concerne tous, même encore en ce XXIe siècle agité et torturé, le romancier fait passer son message avec cet humour ironique et gentiment cynique qui fait mouche et vaut au lecteur quelques instants de franc plaisir.

jeudi 21 avril 2016

"Notre pouvoir isole (...) La voie des oracles est un chemin solitaire".

ATTENTION, CE BILLET EST CONSACRE AU TROISIEME TOME D'UNE TRILOGIE.

Le billet sur le premier tome.
Le billet sur le deuxième tome.

Attention, exercice de style. Pour l'auteur... mais aussi pour le blogueur, parce que notre livre du soir va en surprendre plus d'un. Imaginez : vous terminez le deuxième tome d'une trilogie, le cliffhanger vous laisse sur les nerfs, vous devez patienter jusqu'à la sortie du troisième tome, le voilà, vous sautez dessus et... Et plus rien n'est à sa place ! Voilà ce que vous propose Estelle Faye avec l'ultime volet de sa trilogie "la Voie des Oracles" qui vient de sortir aux éditions Scrinéo. Ce troisième tome s'appelle "Aylus" et il ouvre un nouveau champ des possibles... La fantasy historique des deux premiers tiers de la série voit soudain débarquer... d'autres éléments qu'on n'attendait pas croiser là. Soyez prévenus, on va tout faire pour éviter les spoilers, mais si vous attendez cette dernière partie, que vous avez le livre en main mais que vous ne l'avez pas encore attaqué, patientez peut-être avant de lire ce billet, car je ne garantis rien...



Enoch a disparu. Un beau jour, au réveil, il n'était plus là. Parti, envolé ! Au grand dam de Thya et d'Aylus, désemparés. A-t-il été enlevé ou a-t-il décidé de les quitter pour une raison qui leur échappe ? La jeune oracle et son oncle vont essayer de retrouver sa trace grâce à leurs pouvoirs divinatoires. A l'issue de cette séance, la jeune femme décide de se lancer à sa poursuite, seule.

Pourquoi cette décision ? Pourquoi cette précipitation ? Si Thya prend la route aussitôt, c'est sous l'influence d'une autre oracle, plus expérimentée qu'elle, qui lui ordonne presque de retrouver son ami et d'entreprendre ce voyage sans y mêler Aylus. Cette femme, on l'appelle l'Oracle Brûlée et cela fait des années que Thya ne l'avait plus vue. Et voilà qu'à peine revenue, elle pousse Thya à partir.

Mais partir où ? Dans sa vision, Thya a vu Enoch, elle a même échangé quelques mots avec lui, mais elle n'a obtenu que bien peu d'indices pour retrouver le jeune homme. Il lui a surtout parlé de ses parents, d'Heledd, la Prêtresse node, mais aussi de son père. Pourrait-il être parti à leur recherche ? Enfin, un autre indice, c'est l'océan...

Un voyage plein de dangers se profile pour la jeune oracle, dont les intentions ne sont pas du goût de tout le monde. Aylus, lui, a d'autres soucis en tête, mais certains dieux voient d'un mauvais oeil l'épopée naissante de l'oracle. Car les enjeux de cette histoire, dont Thya ignore encore tout, sont énormes et pourrait remettre bien des choses en question.

Pendant ce temps-là, Aedon complote. Le frère de Thya cherche encore et toujours à devenir imperator à la place de l'imperator... Ou quelque chose dans le même genre. Son ambition se nourrit toujours d'une forte rancoeur et il fraye avec d'autres conspirateurs, avant de mettre sur pied un nouveau plan qui le mènera, il en est certain, au succès.

Vous le constatez, je reste assez vague sur les événements qui se déroulent au début de ce troisième tome. En particulier sur le contexte. Et c'est normal : figurez-vous qu'on est dans un décor qui ne ressemble en rien à celui qu'on a laissé à la fin du deuxième livre. Même les personnages n'occupent pas les mêmes positions... Mais que se passe-t-il donc ?

Je viens d'aller jeter un oeil au site des éditions Scrinéo, avec une quatrième de couverture et je me rends compte que j'ai choisi la politique inverse... L'éditeur a opté pour laisser les faits dans l'ombre et tout centrer sur le contexte général de ce troisième tome. Amusant, les points de vue... Un conseil, évitez cette quatrième de couverture avant lecture, si vous voulez vous ménager quelques surprises...

Et, lorsqu'on plonge dans ce troisième volet, il faut évidemment un moment pour s'habituer à ces nouveautés, pour retrouver ses repères. On croyait, en ouvrant le livre, s'embarquer dans un monde connu, on se retrouve en Terra Incognita ! Voilà la première des surprises que contient ce dernier tome. Et il y en a un certain nombre à venir...

Ne croyez pas pour autant qu'on ne retrouve pas ce qu'on a appris des uns et des autres dans les deux précédents ouvrages. Bien sûr, même si tout est comme vu à travers un prisme un peu déformant, les aventures de Thya et Enoch sont bien là. Diffuses, floues... Et, évidemment, il va falloir comprendre ce qui a pu se passer entre les dernières pages du tome 2 et ce début de tome 3 sens dessus dessous.

Dans ce jeu de cartes comme rebattu et redistribué, l'Oracle Brûlée, personnage qu'on découvre, tient évidemment une place importante. L'allusion aux jeux de cartes n'est pas gratuite, car on se dit rapidement que c'est elle qui gère la donne. Elle qui tient les rênes de tout ça. Sans doute son don lui permet-il de voir plus loin que les autres. Mais jusqu'à quel point ? Que manigance-t-elle ?

Là encore, motus et bouche cousue, on n'ira pas plus loin dans ce domaine. Mais on tient là un personnage ambigu, ambivalent... Gentille ? Méchante ? Ce sempiternel vieux clivage ne colle pas vraiment à cette femme mystérieuse et respectée. Car son influence s'étend au-delà des conseils qu'elle prodigue à Thya dans le début du livre...

Encore une fois, comme dans les deux premiers tomes, on va voyager. Au fil de cette lecture, on découvre de nouveaux lieux, de nouveaux décors, de nouvelles créatures (pas toutes amicales, loin de là). Et la narration nous offre des situations simultanées, des théâtres d'opération différents à des milliers de kilomètres les uns des autres, les mailles d'une même toile d'araignée qui s'étend largement.

Pour le reste, on retrouve, mais je le répète, dans une distribution différente, les problématiques posées depuis le début : nous sommes au Ve siècle après Jésus-Christ, dans cette Antiquité finissante qui devrait prochainement laisser la place au Moyen-Âge. Ces questions politiques, ces ambitions, mais aussi les luttes d'influence entre politique et religion et leurs conséquences sur toute une civilisation.

Pourtant, une nouvelle fois, certains détails ne collent pas tout à fait... En plus des différences de premier plan qu'on remarque tout de suite, mais qu'on pourrait peut-être expliquer chronologiquement, d'autres indices en arrière-plan apparaissent furtivement, laissant penser que... Tenez, par exemple, on croise Augustin d'Hippone et il ne ressemble pas vraiment au saint que nous connaissons...

Alors, se pourrait-il qu'on soit dans une uchronie ? Oups, désolé, à partir de maintenant, on touche à des questions sensibles. Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir de vous faire spoiler. Même si j'abhorre ce mot et cette idée, même si j'aime parler des livres en profondeur, là, je peux comprendre que certains d'entre vous s'arrêtent là...

Reprenons. Se pourrait-il que l'on soit dans une uchronie, disais-je ? Il semble bien... Estelle Faye aurait donc, subrepticement, insolemment, inoculé dans sa fantasy des éléments de science-fiction ? Cette dimension-là, que je ne vais pas développer, puisqu'elle est évidemment au coeur de l'intrigue, offre des aspects très intéressants...

Et par exemple, l'arrivée en force de divinités qu'on ne s'attendait pas forcément à croiser. Les deux premiers volets reposaient en grande partie sur la montée du catholicisme qui allait, en imposant le monothéisme, renverser les anciens dieux, les anciennes idoles et même balayer les classiques bestiaires du merveilleux, toutes ces créatures qui cohabitaient jusque-là avec l'Homme.

Ce troisième tome offre un nouveau point de vue, et cela suscite de nouveaux enjeux, mais aussi de nouvelles dissensions parfois étonnantes, et des alliances inédites. Thya est dans l'oeil du cyclone, on retrouve sa position particulière, centre de toutes les attentions malgré elle et sans vraiment en avoir conscience. Mais, dans quel but ?

Oui, il n'y a pas que de la fantasy, dans ce tome 3. Il y a aussi de la SF. Un soupçon de Philip K. Dick, qui, je dois le dire, m'a beaucoup plus car il vient là encore bouleverser toute notre perception des deux premiers tomes. Et puis, quelque chose qui pourrait rappeler ce que l'on voit dans la série de J.J. Abrams et consorts, "Fringe".

Je ne veux évidemment pas entrer trop dans le détail de ce que j'avance, car cela soulèverait trop le voile. Mais, cette idée autour de la série avec Anna Torv et Joshua Jackson est encore renforcée par un choix, le plus évident, le plus voyant : cette couverture noire qui tranche on ne peut plus radicalement avec celles, blanches, des deux premiers volets.

Cette impression s'est imposée peu à peu et puis, j'ai commencé à voir flotter au-dessus de tout ça l'image de John Noble dans la série. Ne me prenez pas à la lettre, je vous induirai en erreur, mon cerveau est parfois aussi difficile à cerner que... Estelle Faye écrivant le troisième tome d'une trilogie n'ayant presque plus rien à voir avec les deux premiers.

Allez, il est temps de cesser ces élucubrations, car j'ai un peu l'impression de parler en code... L'accouchement de ce billet a été difficile, croyez-moi, j'ai jonglé avec les idées du livre, les miennes, ce qu'il faut taire, ce dont on peut parler, mais pas trop non plus, etc. Avec, toujours en tête, d'essayer de rester fidèle à l'esprit du livre.

Une fois passée la surprise de ce contexte spécial, on se retrouve embarqué dans le même genre d'aventure que dans les deux premiers livres. Le merveilleux, j'utilise ce terme générique, teinté, dans notre vocabulaire contemporain, d'une nuance très positive, alors que ce n'est pas toujours le cas. Quant à la magie, elle est bien présente, utilisée elle aussi avec quelques différences.

Estelle Faye fait vibrer de nouvelles cordes, auxquelles on ne s'attend pas, brise les parois entre genres pour les entremêler et cela fonctionne. Quant au dénouement, ah... Il recèle lui aussi son lot de surprises... Une fin plutôt ouverte, qui joue avec l'Histoire et les histoires particulières des personnages. Mais chut ! A vous de jouer, maintenant...

mercredi 20 avril 2016

"Bah merde alors ! On a un justicier masqué en ville !"

Il y a des figures incontournables, dans notre imaginaire collectif. Et quand je dis incontournables, c'est même parfois à la limite de l'overdose... Pourtant, voici un roman dans lequel sont confrontés deux de ces archétypes : le super-héros et le serial killer. Un roman dont il sera difficile de parler, car il est plein de surprises, dans le fond comme dans la forme, de l'intrigue jusqu'à la trame narrative qu'il utilise. Et, comme j'ai lu "Comme une ombre dans la ville", de Nicolas Zeimet (en grand format aux éditions du Toucan), peu de temps après son précédent thriller, "Seuls les vautours", il est intéressant de remarquer que ces deux livres sont sensiblement différents, avec toutefois quelques pistes de réflexions communes... Bienvenue à San Francisco, cadre de cette histoire pas ordinaire, construite autour d'un personnage qu'il est bien difficile de cerner...



Jérôme Dubois est un jeune Français, pas encore trentenaire, venu tenter sa chance aux Etats-Unis. Un peu plus de deux ans plus tôt, il a posé ses valises à San Francisco, peinant à voir sa carrière de dessinateur décoller. Mais, là, grâce au tuyau que lui a donné son meilleur ami, Michael, peu après leur rencontre, il a trouvé le boulot de ses rêves dans un studio produisant des comics.

Le voilà donc dessinant des super-héros pour gagner sa vie, un véritable rêve pour celui qui, enfant, timide, réservé, solitaire, ne semblait manifester que cet unique talent : le dessin. Devenu adulte, il n'a guère changé : Michael est une de ses rares relations, il a quelques liaisons qui ne durent jamais bien longtemps et consacre le plus clair de son temps au dessin.

Mais plusieurs événements vont venir perturber cette tranquille existence. Et, en particulier, une série de meurtres de jeunes femmes qui ensanglante la ville. L'une des victimes est une serveuse que Jérôme a rencontrée peu avant qu'elle soit assassinée et le dessinateur semble bouleversé par cette nouvelle...

Un serial killer est à l'oeuvre dans la ville et Jérôme se met en tête de retrouver sa piste. Car l'anonyme petit frenchie possède un don, un don qu'il n'a plus expérimenté depuis un moment, depuis son adolescence, un don qui pourrait lui permettre de sauver la vie de la serveuse et, par-là même, de découvrir l'identité de son assassin...

Oui, je sais, dit comme ça, ça semble fou, et, rassurez-vous, même à Jérôme, cela semble fou, mais son don lui a déjà permis, des années auparavant de sauver son père d'une mort accidentelle. La nature de ce don ? Ah, là, on arrive dans un domaine où je ne vais pas m'aventurer, il vous faudra le découvrir par la lecture...

Une chose est certaine, c'est que Jérôme ne se prend pas pour autant pour ces super-héros qu'il dessine. Il n'a pas l'intention de se costumer, comme Peter Parker, ce garçon timide auquel il pourrait s'identifier et qui devient Spiderman, pour faire régner la justice sur San Francisco, ville qui en aurait pourtant bien besoin, étant donné ses catastrophiques statistiques en matière criminelle...

Non, et Jérôme le dit dès la première phrase du livre, il n'est pas un héros et encore moins un super-héros. Sans oublier cette autre information qui a de quoi perturber n'importe qui : suite à un accident de la circulation, due à sa coupable et habituelle étourderie, Jérôme a passé un scanner. Et, sur les clichés de son crâne, une vilaine tache est bien visible...

Je crois avoir planté le décor, sans trop en dire. Restons-en là pour la partie récit. De la même manière, je n'entrerai pas dans le détail de la construction narrative, car elle est très surprenante. Mais de quoi allons-nous bien pouvoir parler dans ces conditions ? Eh bien, je vais y réfléchir, le temps d'une page de publicité... Euh, qu'est-ce que je raconte, moi ?

Même s'il faut laisser bien des aspects de ce thriller dans l'ombre, celle qui plane sur la ville, selon son titre, sans doute, il y a tout de même bien des aspects à aborder, rassurez-vous. A commencer par une remarque qui me tient à coeur : le thriller est un genre où l'on trace souvent son sillon, parfois un peu trop, et la rupture d'un livre à l'autre, surtout quand ce sont des one-shots, n'est pas toujours évidente.

Ici, entre "Seuls les vautours" et "Comme une ombre dans la ville", tout change, ou presque. Du village perdu au fin fond de l'Utah, on passe à la grande ville californienne, de l'emprise mormone sur Duncan's Creek, on se retrouve à San Francisco, l'une des villes les plus libérales du pays, du thriller choral, avec de multiples personnages, on se retrouve avec un seul homme au coeur de l'intrigue...

On pourrait sans doute encore poursuivre ces différences, mais on peut tout de même noter aussi quelques parallèles. En particulier, l'importance des secrets de famille, des choses que l'on cache, que l'on tait, qu'on essaye même d'enfouir au fond de son esprit et d'oublier... Et puis, il y a la place donnée au fantastique.

Dans "Seuls les vautours", cela tournait autour de la culture indienne, et cela fonctionnait parfaitement. Dans "Comme une ombre dans la ville", c'est donc le mythe du super-héros qui cristallise cela. Mais, dans le premier cas, on ne peut pas dire pour autant que le livre est un roman fantastique. Qu'en est-il pour ce nouveau thriller ?

Eh bien, vous vous en doutez, je ne vais pas vous répondre de façon claire et lapidaire. Mais, il convient d'expliquer que, là encore, Nicolas Zeimet amène le lecteur à se poser bien des questions. Jérôme le dit, il n'est ni un héros, ni un super-héros, et pourtant, il nous explique dans le même temps qu'il possède un don tout à fait remarquable et qui défie notre rationalité.

Mais alors qu'en est-il vraiment ? Peut-on croire ce que nous raconte Jérôme ? Non, il faut poser la question autrement : doit-on croire ce que nous dit Jérôme ? Le fantastique, c'est un contrat que le lecteur passe avec un auteur. Ce dernier dit : il se passe telle chose, croyez-le, comme un axiome mathématique dont on affirme la vérité mais sans pouvoir la démontrer.

Alors que nous dit Nicolas Zeimet ? Eh bien... à vous de vous faire une idée à ce sujet, car c'est, pendant un long moment, un sujet de cogitation qui vous occupera. Et ce n'est évidemment pas anodin, puisque cela influe directement sur la traque du tueur en série qui opère depuis quelques semaines dans les rues de San Francisco.

Et puis, il y a cette rencontre au sommet que nous propose Nicolas Zeimet : celle du super-héros d'un côté et celle du serial killer de l'autre. Ces dernières années, ces deux mythes modernes ont pris une place de plus en plus importante dans notre imaginaire, que ce soit en littérature, au cinéma ou à la télévision. Mais, les confronter n'est pas si évident.

Vous allez me dire que Batman, par exemple, traque des personnages qui n'ont rien à envier aux tueurs en série. C'est vrai, mais ceux que poursuit l'Homme Chauve-Souris sont eux aussi des personnages d'un univers fantastique. Alors que le tueur dont nous parlons est un simple humain, avec un pet au casque, sans doute, mais sans autre pouvoir que sa soif de souffrance et de sang.

Plus généralement, ce sont deux archétypes forts que Nicolas Zeimet met face-à-face dans ce thriller. Les incarnations les plus puissantes du bien et du mal que notre société connaisse. Super-héros, n'entrons pas dans le détail, c'est comme le Port-Salut, c'est écrit dessus. Quant au tueur en série, je vous renvoie à un certain nombre de billets sur ce blog où je décris ce personnage comme le croquemitaine du XXIe siècle.

Ah si, il y a quand même un mot à dire sur le super-héros tel que Nicolas Zeimet le met en scène dans "Comme une ombre dans la ville". Le parallèle que je vais faire n'est pas physique, mais purement dans la mise en perspective de l'archétype : il y a dans Jérôme quelque chose du personnage que Bruce Willis incarne dans le film de M. Night Shyamalan, "Incassable".

J'ai trouvé, même si les finalités sont différentes, que l'écrivain et le réalisateur jouait avec l'idée du super-héros un peu de la même manière, en confrontant à ce statut un personnage qui ne demande rien et qui n'aspire pas du tout à devenir une icone. Un super-héros malgré lui qui voudrait échapper à ce destin.

Laissons Bruce à son poncho dégoulinant qui ressemble à une cape de super-héros, et concentrons-nous sur Jérôme. Il nous l'explique : ce super-pouvoir, il l'a découvert enfant, en a fait usage pour sauver son père et puis, en grandissant, il l'a refoulé, au milieu de ses autres problèmes... Mais là, face à une adversité exceptionnelle et avec à coeur de sauver une victime de meurtre, il décide de le réveiller...

Une décision ponctuelle, on ne sent pas qu'il y ait chez Jérôme un déclic qui fait que, bientôt, il se planquera dans les dernières cabines téléphoniques existantes afin de délaisser un moment sa personnalité de dessinateur sans éclat pour devenir un des justiciers à costume extravagant qu'il a l'habitude de faire naître sur le papier.

Non, Jérôme n'est pas un super-héros, il n'en a pas la vocation mais peut assurer cette mission de façon intérimaire, quand la situation l'exige absolument. Et cela se présente quand il sent qu'il a, en face de lui, son âme damnée, son Venom, si l'on reprend le parallèle avec Peter Parker (comme le fait Jérôme dans le roman) ou son Samuel L. Jackson, si l'on reste sur "Incassable".

Reste à savoir comment peut réagir le tueur en série à cette adversité-là qui, il est vrai, peut surprendre... Mais, là encore, on a un être pluriel que travaillent des tendances profondes, une violence brute mise au service ou d'une folie, ou d'une perversité, il faudra voir ça de plus près, et cela peut s'avérer tout aussi explosif. Qui sait si ce tueur ne disposerait pas d'une forme de kryptonite capable de mettre en échec le super-héros à ses basques ?

Laissons ce débat en suspens, c'est au lecteur que vous êtes de le démêler, désormais, en vous plongeant dans "Comme une ombre dans la ville". Nicolas Zeimet nous emmène dans un univers torturé qui m'a également rappelé un épisode d' "Esprits criminels", me semble-t-il, mais chut, n'insistons pas là-dessus.

Le dénouement du roman est un point d'orgue, une espèce de long plan-séquence qui tressaute, nous embrouille, nous piège avant de déchirer le voile. On se dit qu'on voit venir le truc et puis non, et puis... Et puis on revient à cette construction narrative très intéressante qui nous donne une dernière partie ultra-efficace qui nous scotche à notre siège.

Nicolas Zeimet joue autant avec les aspects généraux de son intrigue qu'avec des détails, habilement glissés, ici et là, et qui alimentent les questionnements et les doutes du lecteur. Ensuite, il modifie quelques paramètres et ce simple changement de point de vue modifie toute la donne. C'est joliment fait, ça marche bien et ça tient en haleine le lecteur d'un bout à l'autre.

J'ai découvert ce jeune auteur à l'occasion d'un café littéraire que je devais animer (c'était il y a quelques jours) et je ne le regrette pas une seconde. Quel privilège j'ai de pouvoir profiter, chaque année, de cette position d'animateur pour faire des découvertes ! A se demander si ce ne serait pas mon super-pouvoir à moi, tiens...