mercredi 28 janvier 2015

"Les chanteurs meurent, les guitaristes s'en tirent".

L'Afrique, encore, dans ce roman plein de nostalgie et de musique, dont nous allons parler aujourd'hui. Une histoire qui met en scène des personnages réels en leur conférant une dimension romanesques par une prise de distance avec la réalité. Gonflé, et pourtant, plus on avance, mieux on comprend la démarche de l'auteur. En prime, un voyage dans un pays qu'on connaît peu voire pas du tout, la Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise, située sur le littoral Atlantique, entre le Sénégal, au nord, et la Guinée Conakry, au sud. Avec "les Grands", publié chez Gallimard dans la collection l'Arbalète, Sylvain Prudhomme nous fait revivre quarante années entre rêve, idéalisme, lutte, désillusion et musique. Peut-être, justement, parce que, sur cette période, la seule chose qui n'a perdu ni de sa force, ni de son pouvoir, qui touche encore les êtres au plus profond, c'est la musique. Et plus encore : une voix.



Lorsque Couto se réveille, ce matin-là, c'est pour s'entendre annoncer une terrible nouvelle : elle est morte. Elle, c'est Dulce Neves, la voix de la Guinée-Bissau, comme Amalia Rodrigues au Portugal ou Cesaria Evora au Cap-Vert. Pour le moment, l'information n'a pas été rendue publique et Couto est l'un des premiers, l'un des seuls à la connaître.

Et s'il est parmi les premiers prévenus, c'est parce qu'il a bien connu Dulce. Ils ont été amants, avant qu'elle ne le quitte pour épouser un des personnages les plus puissants du pays, le général Gomes. Mais, surtout, ils se sont bien connus parce qu'ils appartenaient au même groupe, le génial Super Mama Djombo, le groupe le plus célèbre du pays pendant de nombreuses années, juste après l'indépendance du pays.

Alors, ce décès, forcément, ça le laisse un peu KO, ce bon Couto, qui était le guitariste du Super Mama Djombo. D'une seul coup, ce sont quarante années qui passent devant les yeux de cet homme qui n'a jamais eu la vie dont il rêvait dans sa jeunesse, quand il se battait pour chasser l'armée portugaise de son pays et obtenir l'indépendance.

Puis, la musique, la gloire, les tournées dans toute l'Afrique, mais aussi dans le monde, en Europe, à Cuba... Le temps qui passe, le pays, devenu indépendant, qui plonge dans la dictature, vit au rythme des coups d'Etat, ne connaît pas de stabilité politique ni de développement économique, malgré ses nombreux atouts naturels.

Lui-même, après avoir été une star, rempli des salles, des stades, fait danser des foules, enregistré des disques devenus cultes, a connu la précarité matérielle. Oh, sans doute s'est-il laissé un peu aller, sans doute n'a-t-il pas eu l'ambition de certains des autres membres du groupes, partis à l'étranger, mener des carrières plus ou moins réussies, vivre des vies plus ou moins heureuses.

Mais lui, il n'a jamais pu se résigner à quitter sa terre. C'est elle qui coule dans ses veines, qui le tient en vie, qui le nourrit, loin d'elle, il dépérirait, il en est sûr. Alors, il a progressivement abandonné la plupart de ses rêves, des plus sérieux, voir régner l'égalité et l'harmonie dans cette Guinée-Bissau qu'il aime tant, au plus légers, comme la musique, qui n'est plus son activité principale.

Pourtant, la musique revient peu à peu dans la vie de Couto. De jeunes musiciens sont venus rejoindre les vieux de la vieille pour faire revivre le Super Mama Djombo. Et, ce soir là, le groupe doit rejouer, justement. Un  concert à tout casser, le plus grand de tous, espèrent-ils. Mais la mort de Dulce, l'être qui manque et dépeuple tout, change la donne.

Voilà qui devrait rajouter à l'émotion de se retrouver sur scène. La fête sera un peu moins joyeuse, sans doute, mais la musique devrait faire d'autant plus vibrer les spectateurs qui répondront forcément présents. Restera à gérer un impondérable de taille. Car le décès de Dulce n'est pas arrivée à n'importe quel moment...

Ce jour-là, en Guinée-Bissau, on vote. Les élections présidentielles, qui sont le point d'orgue d'une campagne électorale sans pitié. L'élection du général Gomes quasiment assurée, un résultat contesté avant même son officialisation et une tension qui monte, d'abord imperceptiblement, jusqu'à ce que les rumeurs d'un coup d'Etat, encore un, se répandent dans Bissau, la capitale.

"Les Grands", c'est le récit de cette journée pas ordinaire, où se télescopent des événements de plus ou moins grande importance. L'échelle, elle, est toute relative, bien sûr, et tout le monde sait que l'annonce officielle du décès de Dulce fera déferler une vague d'émotion sur le pays, à moins qu'il ne soit plongé dans le chaos d'un énième coup d'Etat.

Au milieu de tout cela, Couto revit ces décennies qui ont fait de lui l'homme qu'il est. Et puis, surtout, malgré la relation torride qu'il entretient avec la magnifique Esperança, se réveille le souvenir de son existence aux côtés de Dulce. Sa voix s'est tue et pourtant, elle n'a jamais été aussi présente dans l'esprit du guitariste.

Cette voix si particulière qui les a envoûtés dès le premier jour, sortant de cette personne dont ils ne soupçonnaient pas le charisme. Et la magie a fait effet, ce timbre a porté le groupes aux nues, a fait son immense popularité, a rendu l'effet de la musique entraînante ou pleine de saudade du Super Mama Djombo, lui a donné un supplément d'âme. Sans cette voix qui s'est éteinte, le groupe n'aurait jamais été le même.

Avec la mort de Dulce, Couto prend conscience de manière très brutale, inattendue, qu'une page ce tourne. Comme si, brusquement, il prenait conscience du poids de ces quarante années, il réalisait qu'elles ont passé et emporté avec elles ses illusions, ses rêves, ses attentes les plus profondes. Et il accuse le coup.

Pourtant, "un bon guitariste, ça a le cuir dur", ce n'est pas moi qui le dit, c'est Couto qui le dit dans le roman. Mais, là, c'en est un peu trop pour lui. La goutte d'eau qui fait déborder le vase de son amertume. Les guitaristes s'en tirent, oui, c'est certain, mais à quel prix ? Celui de la souffrance et de la tristesse ?

La chanteuse est morte et pourtant, elle habite les 250 pages de ce roman, comme si elle en était le personnage central. Un petit bout de femme à la voix extraordinaire et au caractère bien trempé. Elle qui a longtemps défié le pouvoir jusqu'à le rejoindre dans son lit, sans pour autant jamais désarmer, jusqu'à ce qu'elle ne se réveille pas, en ce matin fatidique.

Avec la mort de Dulce, c'est un bout d'âme de Couto, du Super Mama Djombo, de Bissau et du pays tout entier qui s'en va. Mais, contrairement à ce que dit le guitariste, certes, les chanteurs meurent, mais leurs voix, gravées sur des disques, vinyles, CD ou même en MP3, désormais, demeurent. Et continueront à donner le frisson. Et donneront, c'est vrai, une vilaine nostalgie qui peut piquer un peu les yeux.

"Les grands" est un roman particulier. Parce qu'il joue habilement avec des éléments qu'on pourrait penser inversés. En effet, si Couto, le personnage que l'on suit au cours de cette longue journée, entre errance, tristesse et désillusion, est un pur personnage de fiction, Dulce, elle, existe bien. Et je rassure tout le monde, elle n'est pas morte, elle va bien et chante certainement encore.

Sylvain Prudhomme a fabriqué ce guitariste nostalgique, héros de l'indépendance et homme vieillissant loin de ses idéaux de jeunesse, l'a intégré à un groupe musical existant, le Super Mama Djombo et permet ainsi de raconter aussi bien son histoire que celle de ce pays qui s'est libéré par la force de son joug colonial.

Et, dans le même temps, il a brodé sur le véritable personnage qu'est Dulce, toute une histoire qui la fait entrer un peu plus dans la légende et, surtout, la lie étroitement à l'Histoire en marche de son pays. La mort de Dulce, en tout cas son annonce, qui ouvre le livre, comme ce coup d'Etat qui se profile, marquent la fin d'une ère.

Un ère à laquelle appartient le Super Mama Djombo, dont les textes étaient en créole, pas en Portugais, la langue du colonisateur. Il y a une scène frappante, d'ailleurs, dans la dernière partie du livre, où Couto parle avec une très jeune femme. Elle entend la musique de Super Mama Djombo et déteste. De la musique de vieux !

Pour elle, la seule musique, c'est le rap et les jeunes groupes actuelles qui remplissent à leur tour les salles que Couto et ses amis faisaient vibrer en leur temps. Mais, quand retentit la voix de Dulce, tout change. La jeune femme, subitement, change de ton. Dulce, non, ce n'est pas pareil, c'est... au-delà des genres musicaux, du temps qui passe. Immortelle et intergénérationnelle.

Couto, qui prend un coup de vieux quand sa jeune interlocutrice parle avec dédain du Super Mama Djombo, de cette musique qu'il a jouée avec ses tripes, revient aussitôt en grâce quand il lui raconte qu'il a bien connu Dulce, très bien connu... La gamine est alors à une main de Dulce dont la voix la transcende, malgré l'écart de temps, de goût, de culture...

Couto, c'est la Guinée d'hier, en tout cas, c'est l'impression qui le gagne peu à peu au fil de cette journée.La Guinée de demain, ce sont ces rappeurs, ces gamins dans la rue, prêts à se joindre aux barricades qui ne manqueront pas de se construire en cas de coup d'Etat, ce sont ces p'tits jeunes qui font revivre le Super Mama Djombo en lui impulsant un sang neuf, mais aussi un regard nouveau.

Has been, Couto ? Je n'ai pas trouvé. Son côté pathétique et sa douleur non-feinte le rende même assez sympathique. Son attachement viscéral à ce pays que tant ont fui, fuient toujours et fuiront encore à l'avenir, pour trouver ailleurs une vie qui ne sera que rarement meilleure, le rend même touchant. Et son côté désabusé, presque fataliste, en fait un vrai personnage romanesque, plein de failles.

De la même façon qu'il l'a fait pour Dulce, Sylvain Prudhomme joue avec le contexte. Le coup d'Etat dont il est question est celui de 2012, le général Gomes est ce favori des urnes qui sera renversé. Mais, là encore, le romancier prend des libertés avec le réel pour donner de la chair à son cadre romanesque et surtout, créer cette relation triangulaire si étrange avec Dulce et Couto.

Et puis, évidemment, il y a la musique. "Les Grands" est un livre qu'on ne peut pas écouter sans aller sur un moteur de recherche pour écouter le son du Super Mama Djombo, la voix de Dulce, les sonorités métissées de la musique bissau-guinéenne... Je ne connaissais pas ce groupe, à la vérité, mais je dois dire que leur musique est au diapason du roman.

Les titres que je vous propose pour conclure ce billet ne sont pas choisis au hasard. Ils sont cités dans le roman, à des moments précis de l'histoire. Leur texte est cité pour l'un d'entre eux, et la chanson est même expliquée pour la replacer dans son contexte. Pour moi qui aime bien lire en musique, c'est parfait...

D'abord "Dissa na mbera", chanson d'opposition au pouvoir et aux classes dominantes...



Et puis "Djan Djan", la chanson de l'exil, dans une version signée par la nouvelle formation...


En tendant l'oreille, je suis certain que derrière les voix, dont celle de Dulce, vous entendrez la guitare de Couto...

vendredi 23 janvier 2015

"J'ai peur de rester éternellement une âme en peine".

Voici un bien étrange roman. La preuve qu'il ne faut jamais ouvrir un livre avec des souhaits, des idées, des envies, mais être une page blanche, sans jeu de mots. Si j'avais voulu absolument aller où j'imaginais que ce roman irait, je me serais pris une porte en pleine figure, parce qu'il ne va pas du tout dans cette direction. Depuis que je l'ai refermé, j'essaye de le cerner et, comme souvent, au moment de taper les premiers mots de ce billet, j'ai cette sensation de ne pas être capable de rendre justice à ce livre. En route pour l'Inde, l'Europe et l'Afrique, à travers le destin de trois femmes liées entre elles. Pour son premier roman, Cécile Huguenin, jeune écrivain de 74 ans, nous dépayse complètement avec "la saison des mangues", qui vient de paraître aux éditions Héloïse d'Ormesson. Un roman aux mille couleurs, aux mille saveurs, en particulier celle du curcuma, mais, derrière cela, traite de sujets bien plus profonds : les racines, la culture, la famille, la maternité, , la condition de le femme, la spiritualité, le(s) racisme(s) mais aussi le métissage... Le tout, empreint d'une bouleversante nostalgie.


Anita est Indienne, jusqu'au bout des ongles, et pourtant, elle est métisse et n'a passé que quelques années de sa vie sur le sous-continent. Voilà des années qu'elle vit à Paris, depuis que son époux, François, qui est ce qu'on appelle un "fou d'Inde", a décidé de rentrer dans son pays à lui. Et plus jamais elle n'est retournée sur cette terre où sont pourtant, malgré tout, ses racines.

Alors, pour entretenir le souvenir de ses racines, de ce pays qu'elle a chevillé au corps, Anita se rend chaque semaine au Passage Brady, dans le 10e arrondissement, pour y acheter des épices, en particulier du curcuma, qu'elle saupoudre partout, et pas seulement dans la nourriture. Son goût, mais aussi sa couleur, la font voyager jusque là-bas.

Pourtant, Anita n'est pas née en Inde, mais en Angleterre. Et elle est métisse, puisque son père était un militaire de l'Empire britannique. Un homme dur qui, après un coup de foudre, a traité  Radhika, la mère d'Anita, avec dureté, violence, même. Sans compter une belle-famille qui n'a jamais accepté de le voir s'allier à une Indienne...

Alors, à la mort de leur époux et père, Radikha et Anita ont fui l'Angleterre pour retrouver l'Inde, s'y ressourcer, y revivre... Mais, comme je l'ai dit, pour Anita, cette période n'aura duré que quelques années, le temps pour François de se repaître de ce pays qui le fascine. Et puis, la France, la maternité, la naissance de Mira, une vie qui se construit dans un certain chaos...

Enfin, il y a cette troisième génération, Mira, donc, qui va se rebeller, refuser ses racines, couper les liens, vouloir qu'on l'appelle Mari-sans-e et fuir définitivement en choisissant d'aller vivre en Afrique, de se consacrer aux populations déshérités de ce continent. Celle qui va noter, un jour, dans ce grand cahier où elle note tout, ce mot de "quarteronne", ne fuit pas que ses racines, même lointaines.

Non, elle a également choisi de se couper de la spiritualité, pourtant si riche en Inde, comme en Afrique. Mira se bat pour l'éducation des populations qu'elle côtoie et, de son point de vue, les croyances, les superstitions, sont des freins. Attention, Mira ne méprise, ni ne méconnaît ces croyances, elle veut simplement qu'elles s'effacent pour permettre d'avancer.

On touche là à des sujets d'actualité brûlante, et je dois dire que lire ce livre au moment des événements de ces dernières semaines a résonné bizarrement en moi. D'autant que ce que je viens d'écrire est loin d'être anodin pour la suite de ce récit... Mais je n'en dis pas plus, simplement que, lorsque l'on rencontre Anita, elle se ronge les sangs, car voilà plusieurs mois que Mira a disparu... Et l'optimisme n'est pas de mise.

Anita est le pivot de cette histoire. C'est le premier personnage de ce roman que l'on rencontre. Ensuite, à travers elle, on fera connaissance de sa mère, Radhika, et de sa fille, Mira. On découvrira leurs tribulations et leurs choix de vie. De génération en génération, alors que le sang se mélange, que les gènes se marient, l'indépendance gagne aussi du terrain.

Radhika, femme soumise parce que c'est dans son éducation, dans sa culture, va, au contact de la civilisation européenne, cruelle avec elle, gagner en indépendance, presque malgré elle, tant sa solitude et son isolement sont grandes. Et, dès que l'occasion se présentera, alors, elle retournera au pays maternel y vivre le reste de son âge.

A l'autre bout du spectre, Anita est l'incarnation de la femme moderne, libre, rejetant tous les carcans sociaux imposés aux femmes, que ce soit dans la civilisation indienne, européenne ou africaine. Elle rompt avec sa double culture, choisissant un troisième continent pour y vivre et s'épanouir et va même, et je n'en dirai pas plus sur ce sujet, briser aussi le tabou de la maternité.

Anita est beaucoup plus stable et posée, en tout cas en apparence. Mais, on comprend au fil des pages de la première partie, que sa situation est sans doute bien plus délicate et douloureuse que ce qu'elle laisse paraître. De sa mère, elle a conservé cette discrétion et cette manière d'intérioriser ses émotions. Il n'y a guère que ce curcuma, répandu sur ses oeufs au plat, pour dire quelque chose d'elle : l'alliance de sa double origine.

Mais, jamais elle n'évoque sa fille disparue ou la vie malheureuse de sa mère en Angleterre. Elle vit, simplement, tranquillement. Avec, en tout cas, c'est mon impression, quelque chose de fataliste, sans doute là encore inhérent à sa culture. Mais ne tombons pas dans les clichés un peu faciles. Anita est un beau personnage, auquel on s'attache.

Et puis, alors qu'on s'attend à voir les autres femmes de cette lignée être les centres des parties suivantes du roman, on passe à tout à fait autre chose. Changement de décors, de personnes, d'univers, de narrateurs, et pourtant, on reste bien ancré dans notre sujet. Là encore, permettez-moi de ne pas en dire plus, la surprise a été grande et la suite du roman, qui permet d'éclairer un certain nombre de choses, prend des directions tout à fait inattendues.

Différents drames se nouent sous nos yeux. Certains, terribles, marqueront profondément le lecteur. Mais, à chaque fois, l'aura de ces trois femmes agit comme un baume, peut-être pas forcément sur elles-mêmes, d'ailleurs. Douloureux paradoxe qui va voir ces trois femmes, liées si étroitement, ne jamais vraiment résoudre leur principal problème.

Mais, jamais, au grand jamais, ne se dégagera d'elle une quelconque violence ou une quelconque haine. De la passion, certainement, très intérieure, chez Anita, par exemple, mais qui l'aide à rester debout, incroyablement digne, malgré tous les aléas de son existence. De la passion beaucoup plus volcanique chez Mira, qui, telle que je l'imagine, doit irradier ceux qui la croisent.

Elle aussi est un personnage fascinant, à sa façon. Contrairement à Anita, on ne la rencontre pas directement, on nous parle d'elle. Contrairement à Anita, son caractère est affirmé et, quand elle a quelque chose à dire, elle ne mâche pas ses mots. Sa sincérité peut froisser, mais elle est aussi méritoire et rafraîchissante dans un monde où l'on confond souvent diplomatie et hypocrisie.

Mira a en elle une farouche détermination, l'enthousiasme de la jeunesse et de l'idéalisme et elle se fout bien de tout bousculer sur son passage. A commencer par les traditions les plus profondément ancrées et les idées reçues les plus répandues. Là où l'on pourrait croire sa démarche un peu égoïste, en particulier vis-à-vis de sa mère, on comprend qu'elle n'est que don. Un don d'elle-même absolu.

Et les hommes, dans tout cela ? On pourrait croire leur rôle secondaire, mais il n'en est pas moins important. Parce que, en ce qui concerne Radhika et Anita, ne serait-ce qu'en tant que géniteurs, leur rôle est fondamental. Et aussi parce que leurs comportements ont contribué à faire de ces femmes ce qu'elles sont devenues.

La relation aux hommes est encore un domaine où Mira se différencie de ses aïeules. C'est elle qui va influencer leur vie, plus que cela encore. Leur donner la force, la confiance, aussi. Et puis, par la suite, la volonté de survivre. Le dénouement de "la saison des mangues", aussi inattendu et pourtant imparable, est magnifique, puissant.

Ce livre est un hymne à la mixité, au métissage, au mélange des couleurs, des cultures, des idées, et de tant d'autres choses qui nous sont constitutives et que, trop souvent, on oppose. Est-ce plus simple que d'accepter cet enrichissement réciproque ? Possible, mais on a aussi toujours peur de ce qu'on connaît mal. Et Mira, pour cela, est un exemple éclatant, dans ce qu'elle va faire.

Face à elle, il y aura cet homme, dont je n'ai pas parlé, volontairement, dans ce billet. Vous le rencontrerez, quelque part, dans ce livre. Un homme qui va tant apprendre d'elle, mais aussi sur lui-même grâce à ce qu'elle va lui montré. Mal dégrossi, maladroit, rebelle plus par nécessité que par conviction, fils prodigue, il va se métamorphoser à son contact.

C'est lui qui prononce cette phrase qui sert de titre à ce billet. Et que je pourrais m'appliquer parfaitement à moi-même. L'héritage de Mira, ce sera sans doute de l'aider à comprendre comment franchir cette étape vers la paix. Car, c'est un homme profondément bouleversé dont on fait la connaissance. Et qui, par un lent processus, va sentir infuser en lui ce qu'il a appris à son contact.

Car, de Radhika à Mira, en passant par Anita, ces trois femmes, elles, ont su trouver la paix pour leur âme. Oh, le chemin est escarpé, difficile, plein d'ornières, le voyage va laisser des cicatrices, peut-être pire encore, mais, au bout, plus qu'une lumière au bout d'un tunnel, c'est cet accomplissement, cette plénitude infinie qu'il y aura... Malgré tout.

Cécile Huguenin est notre guide dans ce voyage, le peintre qui trace ces portraits de femmes et d'hommes aux histoires complexes et parfois tumultueuses, comme le destin de François, par exemple. Elle nous prend par la main dans une narration, comme je l'ai dit, qui empreinte des chemins détournés, alors qu'on s'attend à une autoroute rectiligne.

Son récit est riche de sensations en tout genre, en particulier les goûts, les odeurs, les couleurs, très présentes, et très importante tout au long de cette histoire. Que nos existences semblent grises et fades, d'un seul coup, face à celle d'Anita et de Mira. Le contraste est encore plus saisissant pour Radhika, dont on a l'impression qu'elle arrive dans un Manderley hithcockien, en noir et blanc, sinistre et tout sauf accueillant.

Par cette gamme chromatique et sensorielle, Cécile Huguenin nous transmet la sérénité revigorante qui émane de ces femmes, et surtout d'Anita. Une leçon de vie, peut-être pas d'optimisme mais une façon d'envisager la vie différemment, même en cas de coups durs. Une autre philosophie, mue par d'autres priorités. Et, chez ces trois femmes, il est certain que le karma sera plus que clément...

mercredi 21 janvier 2015

"Un Basque n'est ni Français, ni Espagnol, il est Basque et c'est tout" (Victor Hugo).

La France, contrairement aux Etats-Unis, par exemple, a toujours eu du mal à regarder ses problèmes en face. Comme si ne pas en parler les effaçait, hop, d'un claquement de doigts. Voilà pourquoi, mais je me trompe peut-être, je trouve que les questions corses et basques, qui semblent pourtant fertiles en intrigues possibles, pour des thrillers, mais pas seulement, sont sous-traitées. J'avais, au tout début de ce blog, évoqué le roman de Philippe Ward, "Mascarades", qui nous emmenait au Pays Basque, voici un autre thriller, lui aussi dans cette région si particulière, qu'on n'évoque souvent qu'au gré des arrestations de leaders de l'ETA et plus que rarement le reste du temps. Avec "l'homme qui a vu l'homme" (en grand format chez Ombres Noires et, depuis quelques jours à peine, en poche chez J'ai Lu), Marin Ledun nous plonge dans un panier de crabes terrifiant où idéologie, raison d'Etat, terrorisme, militantisme et journalisme composent un cocktail particulièrement dangereux.



Le 24 janvier 2009, alors que la tempête Klaus commence à souffler fort sur le littoral atlantique, la famille et les amis de Jokin Sasco ont convoqué la presse. L'homme a disparu sans laisser de trace depuis trois semaines maintenant, et ils redoutent le pire. Mais pourquoi avoir attendu d'aussi longues semaines avant d'attirer l'attention du public ?

Dans la salle où se déroule la conférence de presse, se trouve deux journalistes. Un jeune homme, Iban Urtiz, curieux et ambitieux, et un photographe, plus ancien dans le métier, blasé et taciturne, Marko Elizabe. Tous les deux sont envoyés là par leur journal, Lurrama, un quotidien basque, pour couvrir l'événement. Rien de plus.

Ils ont beau être collègues, tous sépare ces deux-là. Iban n'a pas encore 30 ans, ce poste est son premier véritable emploi. Son père était basque, mais il n'a pas grandi dans la région. Lorsque ce poste s'est présenté, il a postulé et a été pris, mais il n'arrive pas au Pays Basque pour remédier à un éventuel déracinement. D'ailleurs, il ne parle pas basque. Il est ce que l'on appelle, avec un peu de mépris, un erdaldun.

Au contraire, Marko est un pur basque, parlant la langue, mais surtout, maîtrisant les subtilités de cette culture très particulière. Il connaît les équilibres délicats qu'il faut savoir ménager, possède le réseau et le carnet d'adresse nécessaire pour accomplir son métier de journaliste en obtenant les bonnes informations des bonnes personnes et sans risquer de froisser quiconque.

Entre les deux hommes, cette première rencontre lors de la conférence de presse de la famille Sasco n'est pas franchement une réussite. Et, d'ailleurs, lors de tout ce qui va suivre, ils vont le plus souvent enquêter seuls, chacun dans son coin, chacun dans une direction. Chacun en prenant des risques, aussi, car, à partir delà, ils ont mis le doigt dans un terrible engrenage.

Le plus surprenant, pour Iban, c'est de découvrir que cette affaire ne semble intéresser que les médias locaux. Pas de chaîne d'info continue, pas de télé ou de radio nationale, pas de quotidiens ou de news magazines de la capitale... Juste des organes de presse basques, s'adressant aux Basques. De quoi rendre l'atmosphère de cette conférence très particulière...

La police aussi est absente. Enfin, plus exactement, elle est bien là, mais à l'extérieur, en alerte, comme pour éviter des débordements. Elle ne semble pas plus que ça concernée par la disparition de Jokin et la détresse de ses proches. Non, là encore, pour Iban, comme pour le lecteur erdaldun, il se passe des choses étranges.

D'autant plus étranges que, dans la région, ces dernières années, ces derniers mois, ce n'est pas la première fois, loin s'en faut, que de jeunes hommes et femmes disparaissent. Le plus souvent, on ne les voit plus pendant quelques jours, jusqu'à ce qu'il réapparaissent, le plus souvent bien amochés, mais vivants.

Ceux qui les ont enlevés ne leur ont pas fait de cadeaux avant de les relâcher et les victimes, depuis, se font particulièrement discrètes. Jokin a-t-il subi le même sort ? Mais, alors, pourquoi n'a-t-on plus entendu parler de lui depuis trois semaines ? Et pourquoi personne, en dehors de ses proches, ne semble-t-il pas s'intéresser à son sort ?

Tout cela aiguillonne forcément la curiosité d'Iban, tandis que Marko, lui, reste distant. Les Sasco, Jokin, mais aussi son frère Peio et sa soeur Eztia, sans oublier sa mère et sa compagne Elea, sont connus pour être proches de l'ETA, peut-être même plus que cela pour la fratrie, mais entre la disparition soudaine et inexpliquée de Jokin et une arrestation, il y a un monde.

Un monde en guerre. Une guerre souterraine, sans merci, où la ligne de front est sans cesse mouvante, où tout le monde ne joue pas ni avec les mêmes armes, ni avec les mêmes règles. Une guerre dont les soldats sont cagoulés et les généraux, dans l'ombre. Difficile, dans ces conditions de savoir exactement qui fait quoi et qui en veut à qui.

J'ai chois de commencer ce billet sans vous parler de la scène d'ouverture du roman, qui donne au lecteur certains éléments capitaux. Pas pour comprendre la situation dans son ensemble, car c'est évidemment là que se trouve le coeur de l'intrigue. Mais pour donner un temps d'avance au lecteur sur les personnages. Oh, un temps bien mince, mais très important.

Elle fournit également un élément qui sera un des fils conducteurs de l'histoire et un de ses détonateurs. Car "l'homme qui a vu l'homme" est un thriller noir, très noir, dur, très dur, violent, très violent, servi par une écriture sèche, sans fioriture. Des phrases courtes, affûtées comme des lames, qui vont à l'essentiel. On ne perd pas de temps en blabla, en chichi, en longues descriptions.

Tous les personnages sont d'ailleurs assez peu bavard et expansifs, finalement assez solitaires, pour ne pas carrément dire seuls. Ils ne se lient guère, font peu confiance aux autres. Et, il faut reconnaître que, au fil des pages, on finit par les comprendre un peu. L'ambiance est si lourde, si tendue et les interrogations si nombreuses qu'il est bien peu aisé de se laisser aller;

Par-dessus cela, souffle la tempête Klaus, bien moins anodine qu'il n'y paraît au départ. Parce que la disparition de Jokin Sasco va elle aussi faire se lever des vents d'une violence plus grande encore, qui pourraient bien faire plus de ravages que la véritable tempête. Des ravages qui sont d'ailleurs d'une toute autre nature.

Vous connaissez l'aile de papillon, tout ça ? Eh bien là, pareil, mais avec un papillon un poil plus violent. Et, à partir de là, le souffle est tel que tout est emporté, que ceux qui pensaient maîtriser la situation ne maîtrisent plus grand-chose et doivent parer au plus pressé. Une spirale impossible à arrêter une fois qu'elle a été lancée.

Mais, le talent de Ledun, c'est d'harmoniser l'ambiance de son roman, son histoire et son écriture avec ces intempéries, qui ne jouent pas un rôle de premier plan, mais conditionnent aussi la tension environnante. Par moments, on jurerait entendre siffler ces vents déchaînés à l'extérieur de l'endroit où l'on lit et les personnages sont emportés comme des fétus par un vent tout autre, celui d'un destin qui s'emballe.

Au milieu de tout cela, il y a donc Iban. Le lecteur, en tout cas, celui qui, comme moi, n'a qu'une vague idée de ce qui se passe entre Bayonne et Bilbao, entre le pays basque nord et le pays basque sud, se trouve dans une position plus proche de la sienne que des autres protagonistes, façonnés dans cette culture et dans cette lutte permanente, qui a dépassé depuis longtemps le simple stade de l'opposition au franquisme.

Il n'a pour lui que son intégrité et son insatiable curiosité (troisième fois, il me semble, que je l'évoque, non ?). Mais elle le porte, elle le pousse à braver bien des dangers simplement parce qu'il veut comprendre. Oh, on est, à mon avis, au-delà du simple chercheur de scoop qui sent l'affaire juteuse et veut en faire un tremplin professionnel.

Je ne suis même pas sûr, en tout cas dans un premier temps, qu'il soit animé par une soif de justice. Peut-être cela vient-il par la suite, mais au départ, c'est vraiment cela : comprendre. Cerner enfin cette histoire et, à travers elle, les personnes, la région, la culture et aussi les enjeux puissants qui traversent cette région depuis plusieurs décennies.

Pour être franc, et je n'ai pas de raison de douter que Marin Ledun ne s'appuie pas sur des éléments concrets et objectifs, j'ai du mal à imaginer que cela puisse se passer comme cela, aussi proche de nous. 2009, c'est hier, or, ce qu'on découvre à l'action, ce sont des pratiques d'une époque qu'on pourrait croire révolue.

Dans "Mascarades", que j'évoquais plus haut, Philippe Ward évoque le décalage très important qu'il y a entre les différentes générations d'etarras. Chez Ledun, on a bien une jeune génération qui a englobé dans son logiciel idéologique bien plus que les simples revendications territoriales. Ce sont des défenseurs d'une culture toute entière, à tout prix, même la violence.

Il serait un peu trop simpliste de réduire "l'homme qui a vu l'homme" à une histoire de gentils et de méchants. Pas plus qu'on ne peut dire qu'il n'y a que des méchants non plus, non, cette distinction n'a en fait pas vraiment de sens. La violence a phagocyté tout dialogue entre les partis et certains ont franchement perdu les commandes, laissant des éléments incontrôlables n'en faire qu'à leur tête.

Et puis, il y a, comme toujours, une question de gros sous. Le Pays Basque n'est pas la Corse, je ne pense pas qu'on puisse parler, chez les Basques, de dérive mafieuse, comme avec la Brise de Mer, par exemple. Mais il y a beaucoup d'argent en jeu, car il est le nerf de toute guerre et on peut aussi se battre pour cela.

L'intrigue de Marin Ledun laisse longtemps planer le mystère sur le rôle véritable des uns et des autres. Puis, le voile se lève petit à petit et l'on comprend alors l'ampleur du désastre et du scandale. Il y a quelque chose d'un roman de John Grisham, un des maîtres du thriller de politique fiction, dans "l'homme qui a vu l'homme", avec les mêmes sous-entendus qui font mal.

Il y a, dans la volonté de l'auteur de dénoncer des heures sombres, où l'on s'assoit sur bien des principes qu'on serait prêt à défendre mordicus par ailleurs, quelque chose de très troublant. Je ne sais pas si le Pays Basque unifié et indépendant serait un pays viable, heureux, calme, pacifié. J'ai tendance à penser que, dans le monde actuel, rajouter des frontières, des barrières entre les hommes ou s'enfermer à triple tour dans une culture, aussi riche, ancienne et originale soit-elle, n'est pas forcément souhaitable.

Mais, dans l'autre sens, la mise en valeur de ces cultures et leur préservation me semble aussi un enjeu majeur. Le recours à la violence, d'où qu'il vienne, n'est certainement pas la solution, même pas un dernier recours. Oui, j'ai un côté candide, limite Miss France, qui ne passera sans doute jamais, veuillez me pardonner.

Allez, je ne résoudrai pas ici les problèmes liés au Pays Basques, passés, présents et à venir. En revanche, cette lecture m'a un peu plus convaincu qu'il y aurait beaucoup à faire pour que la littérature s'empare de la culture basque pour aider à sa diffusion. Je connais mal cette région, elle n'est pas montré là sous son meilleur jour, et pourtant, j'aurais bien envie d'aller m'y plonger de plus près, d'apprendre à la connaître.

dimanche 18 janvier 2015

"Tu es la fange de notre espèce, tu es sa part d'ombre, son dysfonctionnement incarné".

Maxime Chattam fait partie des auteurs de thrillers français à grand succès. Chacun de ses livres est attendu par un grand nombre de lecteurs, dont je fais partie, même si je dois reconnaître l'avoir délaissé un temps puis y être revenu avec son diptyque "le Léviatemps / Le Requiem des Abysses". Mais, en ce tout début 2015, l'auteur lui-même avait prévenu, via les réseaux sociaux, son nouveau livre serait différent, si ce n'est dans le fond, au moins dans la forme. "Que ta volonté soit faite", que vient de publier Albin Michel, n'est en effet pas un thriller en forme de page-turner, mais un roman noir, à l'américaine, oppressant, lancinant, dérangeant. Ce livre ne le fera sans doute pas plus aimer de ceux qui ne l'aiment pas, mais il risque de désarçonner par mal de fidèles. Pourtant, ce sont bien les thèmes qui lui sont chers qu'on y retrouve, traités différemment. Et, en particulier, la question du Mal.



Est-ce parce qu'il a été (littéralement) baptisé dans le sang que Jon Petersen, né à Carson Mills, un bled paumé du Midwest, entouré de champs fleuris de coquelicots, au coeur de cette Amérique profonde comme une belle endormie, dans les années 50 (j'ai déduit la période, on n'a que peu de repères chronologiques), est devenu un homme mauvais ? Que dis-je, un monstre ?

Dès le plus jeune âge, Jon a montré des signes inquiétants, un caractère difficile, taciturne, porté sur la violence. Si son grand-père et ses tantes, avec qui il vit, n'en ont d'abord pas vraiment pris conscience, peu à peu, l'évidence est apparue : il y a quelque chose en lui qui ne tourne pas rond, un je ne sais quoi qui... Euh, désolé, je m'éloigne...

Le lecteur, lui, assiste médusé à l'émergence de ce monstres, à ses premières pulsions destructrices, à ses premiers actes de violence, à cette montée d'un être sans foi, ni loi, qui, en grandissant, va monter les échelons de l'horreur et de la perversion. Mais, si on se méfie de lui, on ne lui reproche rien ouvertement. Comme si, même encore gamin, on avait peur de se frotter à lui.

Pourtant, la très tranquille bourgade de Carson Mills va commencer à connaître des événements inédits. Des actes ignobles, dont certains sont cachés, d'autres révélés du bout des lèvres, avec la volonté d'en trouver l'auteur, oui, mais si possible, dans la plus grande discrétion. Car, il ne faudrait pas qu'on sache que...

D'autres actes, eux, sont de notoriété publique, mais reste des énigmes. Oh, il y a bien quelques soupçons, mais comment imaginer que quelqu'un du coin, qui plus est un jeune de la ville, même difficile, puisse faire cela ? N'est-il pas plus rassurant de penser que ce sont les actes d'un routard de passage, déjà loin ?

Mais, désormais, il plane sur Carson Mills comme une aura de crainte. Plus personne ne se sent vraiment tranquille et l'on redoute de nouveaux drames. Et Jon Petersen grandit, devient adulte, voit sa famille se disperser, s'amenuiser, aussi, fonde la sienne, à sa façon, dans la violence. Dans la ferme des Petersen, on ne rigole pas.

Mais, il y en a un qui aimerait bien comprendre ce qui se passe dans sa ville si calme devenue si inquiétante. C'est le shérif Jarvis Jefferson. Jamais il n'avait eu à gérer autant de faits graves. Voilà qui pique son orgueil, d'autant qu'il ne parvient pas à trouver de pistes sérieuses. Les quelques présomptions qui pourraient le mener chez les Peterson, à l'écart du centre-ville, sont bien peu de choses.

Et, avec les moyens dont il dispose, aux antipodes d'un épisode des Experts, question d'époque, de moyen, de géographie, aussi, il va devoir ronger son frein et compter sur son flair, mais aussi, espère-t-il, sur un coup de main du destin pour élucider des affaires qui n'ont a priori pas de lien entre elles...  Obtenir l'indice fondamental qui lui permettra de découvrir le loup tapi dans la bergerie.

"Que ta volonté soit faite", c'est le parcours, non pas parallèle, car ce ne serait pas tout à fait exact, mais disons complémentaire entre Jon Petersen et le shérif Jeffers. Avec pour trait d'union, un enfant, le propre fils de Jon Petersen, Riley (la raison du choix de ce prénom est carrément glaçante), qui a un rôle moteur dans l'histoire, mais dont je ne parlerai pas plus ici, pour ne pas en dire trop sur l'histoire elle-même.

Je reste volontairement vague, comme vous le voyez, car le diable est dans les détails, plus encore que d'habitude et parce qu'il faut au lecteur vivre cette montée en puissance, apprivoiser ces personnages et cette ambiance si particulière, très sombre, très lourde, que plante parfaitement un premier chapitre d'une rare violence, et pas seulement physique.

Oui, dès les premières pages, on est fixé sur ce à quoi on aura affaire. Mais, toute cette première partie réussit à mettre franchement mal à l'aise, à pousser jusqu'à l'écoeurement le lecteur, qui est au fait de tous les travers de Jon Petersen. De cette montée chromatique dans la violence jusqu'aux plus sordides de ses actes.

Complaisance ? Parfois, on peut le penser, la frontière est si ténue, dans ce domaine. Mais, peu à peu, quand se met en place l'intrigue, si on peut appeler ça ainsi, tant sa construction est différente des schémas classiques, on comprend bien la nécessité d'insister sur la monstruosité de Jon. La rédemption ? Si vous pensez cela, c'est que vous n'avez pas encore saisi qui est Jon Peterson.

Non, "Que ta volonté soit faite" est justement tout sauf une histoire de rédemption. Une des dimensions-clés de ce roman est pourtant liée à la religion, très présente à Carson Mills, ville coupée en deux entre Méthodistes et Luthériens, deux clans inconciliables. On n'est pas dans une guerre de religion, ce n'est pas non plus les Hatfields et les McCoys, non, une cohabitation froide. La plupart du temps, en tout cas.

Mais on ne peut pas passer sur cette dimension religieuse. Ne serait-ce qu'en raison du titre, qui renvoie évidemment à la prière du Notre Père. La sentence, par certains aspects, est assez terrifiante, parce qu'elle revêt un certain fatalisme, comme on en rencontre souvent lorsqu'on se plie aux dogmes. La volonté divine s'applique, même pour les monstres.

Car qui a fait de Jon Petersen un monstre, si ce n'est Dieu. Le roman s'étend, je dirais, sur une trentaine d'années, mais on est loin des techniques de pointe du profilage. L'idée même de serial killer, au moins dans toute la première partie, est inconnue. Non, s'il y a une explication à ce qu'est Jon Petersen, puisqu'on ne peut objectivement l'expliquer autrement, c'est bien que joue une volonté qui nous dépasse tous.

Froid dans le dos. L'incarnation du mal serait-elle une fatalité, alors ? Et dans ce cas, comment faire pour s'en débarrasser ? Là, on retrouve toute la réflexion que mène Maxime Chattam à travers une bonne partie de ses thrillers. Le Mal, les personnages qui le symbolisent, la façon dont l'auteur de ce genre de livres vit cette plongée dans ces univers et ces personnalités perverses et dysfonctionnelles.

Avec quelques variantes, car vous aurez bien compris que je ne vous ai pas tout dit, et heureusement. La façon dont Maxime Chattam mène sa barque avec nous dedans, nous entraînant dans l'horreur avec un but précis, est, pour moi, la vraie réussite de ce livre, où l'on est surpris au moment où l'on s'y attend le moins.

Mais, surtout, pour revenir à ce titre à connotation religieuse, il sert aussi à l'auteur à nous prendre à partie, nous, lecteurs. Par le choix narratif qui est fait, Maxime Chattam va pouvoir s'adresser directement à nous, nous faire entrer dans le livre, nous donner une part de responsabilité dans les événements qui y sont racontés. Oui, dit comme ça, je le reconnais, c'est étrange.

Pourtant, c'est le cas, à travers une fin très ouverte, très étonnante, qui, je suis certain, ne plaira pas à tout le monde. Ainsi, on retrouve une des autres marottes de l'auteur : la fascination que ce mal, abject, insupportable, exerce sur nous, qui la rejetons dans la réalité et nous en délectons, lorsqu'il s'agit de fiction. Etrange paradoxe du lecteur de thrillers, de polars, interpellé dans son incohérence...

Mais, cette volonté, que souligne le titre du livre, c'est aussi celle, implacable, de Jon Petersen. "Maîtriser, asservir, détruire", est-il écrit. Une espèce de règle de vie pour un homme qui impose à tous sa volonté, quitte à recourir aux pires extrémités envers ceux qui ne l'accepteraient pas. On pourrait parler longuement de ce grand-père, démuni devant ce rejeton avec lequel il a été sévère, mais juste. J'ai été bouleversé par ses choix, d'une infinie dignité.

Pourtant, à sa manière, lui aussi accepte cette fatalité sans combattre le mal qu'il voit se développer sous son toit. Et que pourrait-il faire, d'ailleurs ? Lui, l'homme dur, intègre, taiseux, l'homme de la terre, qui s'y consacre corps et âme et impose aux siens une austérité certainement pesante avec notre regard si éloigné de tout cela... Le chef de famille qui, soudain, sent que son statut ne tient plus qu'à un fil parce que le diable est entré chez lui...

Dans les livres, comme parfois dans la vie, on croise des personnes qui ont une aura, qui irradie une certaine lumière. C'est, d'une certaine façon, le cas de Jon Petersen, sauf que sa lumière est noire et que, comme le trou de la même couleur, il absorbe et absorbe tout ce qui passe un peu trop près de lui. On retrouve chez lui ce charisme du mal, cet attrait terrifiant des vrais monstres, les plus dangereux...

Pourtant, je ne peux m'empêcher de préférer le personnage du shérif. Pas du tout par opposition entre le bien et le mal, mais parce qu'il est bien moins monolithique que Jon. Jon grandit, Jeffers vieillit, la nuance est d'importance à mes yeux. Et surtout, il incarne la persévérance et la volonté de justice. La nécessité de comprendre.

Il fait partie des rares personnages de ce livre qui incarnent la sagesse. Longueur de temps font plus que force ni que rage, a-t-on envie de dire à son égard. Un adjectif pour le qualifier ? Débonnaire, sans doute. Le parfait shérif pour une ville comme Carson Mills, celui qui connaît tout le monde, désamorce les conflits du quotidien, écoute autant qu'il agit.

Mais, face à la violence brute qui va frapper sa paisible ville, il sera un temps désarmé. Découragé. Mais jamais abattu, jamais vaincu. L'homme tient ses promesses, qu'il s'agisse de celle, faite à sa femme, d'arrêter de fumer, comme celle qu'il s'est faite à lui-même de découvrir les causes des drames qui se sont déroulés sur son territoire.

Enfin, finissons avec la dimension "roman noir". En plantant le décor de son livre dans ce Midwest rural et un peu coupé de tout, Maxime Chattam lorgne vers des auteurs comme Cormac McCarthy (d'ailleurs cité en exergue) ou Donald Ray Pollock. Je ne compare pas, j'explique. L'ambiance sombre, ambiguë, violente mais aussi austère et froide m'a conquis et la morale, puisqu'il en faut bien une, de cette histoire, malgré quelques pages qui auraient pu être simplifiées sur le plan de l'écriture, je trouve, fonctionne.

L'effet répulsion-attraction est efficace, on se laisse entraîner dans un premier temps dans la folie de Petersen. Cette première partie est assez éprouvante, mais il faut vraiment faire l'effort. On se demande dans quelles affres va nous emmener ce personnage, jusqu'à quel cercle de l'enfer il va nous guider. Cela demande de prendre un peu sur soi avant d'arriver, par la suite, sur quelque chose qu'on n'attendait sans doute pas. Et qui laisse pantelant.

samedi 17 janvier 2015

"Une idole, nommée Nuit, sur un trône noir règne debout".

Cinq ans après "Monster", Patrick Bauwen propose un roman qui n'est ni une suite, ni un "prequel", mais une histoire reprenant les personnages de ce précédent livre, en forgeant une toute nouvelle histoire autour d'eux. Bienvenue à Eden, charmante petite bourgade de Floride, enfin, charmante, ça dépend un peu des jours. "Les fantômes d'Eden", récemment sorti chez Albin Michel est un thriller à conseiller aux amateurs d'histoires bien tarabiscotées, énigmatiques et embrouillées, qui se dévoilent peu à peu jusqu'à un dénouement en forme d'apothéose. Une histoire à rebondissements qui plonge ses racines dans l'enfance des personnages et une dimension proche, très proche, du fantastique, qui vient ajouter une touche de mystère et de tension. On se pose énormément de questions, le récit se ramifie avec plein de racines, comme ces plantes géantes qui pullulent dans les marais proches d'Eden... Précision : il n'est pas nécessaire d'avoir lu "Monster" avant "les fantômes d'Eden".



Paul Becker a très mal vécu la période qui a suivi les mésaventures qui lui sont arrivées dans "Monster". Son couple est parti à vau-l'eau, son travail aussi, dans ce dispensaire où il soignait les plus pauvre et les personnes ne bénéficiant pas d'assurance-maladie. Malgré l'aide (financière, mais pas seulement) de ses deux amis, Jerry et Cameron, l'établissement court à la faillite.

Quant à Paul Becker lui-même, il a plongé dans une profonde dépression qui a transformé le sémillant médecin en épave. C'est dans la nourriture qu'il a trouvé refuge pour soigner ses maux, devenant atrocement obèse. Mais, lorsqu'un arrêt cardiaque manque de l'envoyer ad patres, il comprend qu'il ne peut continuer ainsi.

Incapable de continuer comme ça, au bord de la ruine, il décide alors de fuir Eden la mal nommée, sur un coup de tête, du jour au lendemain, sans prévenir personne, il récupère le peu qui lui reste et prend la route, sans véritable but. Juste s'éloigner de cet endroit où il a tout connu, les grands bonheurs de l'enfance, un premier amour inoubliable, un mariage et un métier qu'il chérissait... Et la descente aux enfers...

Enfant, il a formé une bande indissociable avec ses potes, Jerry, dit le Bigleux, et Cameron, dit Big Cam, déjà évoqués, mais aussi Stan, le cousin de Cameron, dit Stan le Dingue. Paul, lui, on l'appelait le capitaine, parce qu'en cet été 1979, c'est pour des pirates que la petite bande se prenait dans des jeux pas toujours tranquilles.

Des amis inséparables, même lorsque Paul est devenu la tête de turc d'un balèze, Teddy Theroux, le fils d'un des hommes les plus puissants de la région. Des amis inséparables aussi lorsqu'une demoiselle, fraîchement débarquée à Eden avec sa famille, les a rejoints. La jolie Sarah, sans doute la seule demoiselle qui aurait pu rejoindre et attendrir cette bande de garnements.

C'est dire s'il la décision de quitter Eden a été motivée par un cas de force majeur. Par la honte, aussi, celle de paraître dans cet état physique effroyable, dans ce corps qui pourrait bien le lâcher à chaque instant, celle d'avoir coulé psychologiquement parlant, celle d'avoir entraîné ses amis dans le naufrage de sa clinique. La honte, enfin, d'avoir sans doute pris bien des mauvaises décisions.

Pendant une année, plus personne ou presque à Eden n'aura de nouvelle de Paul Becker, parti sans laisser d'adresse. Une année d'angoisse pour ses amis, jusqu'au jour où la nouvelle tant redoutée est arrivée en Floride : Paul Becker est mort. Oh, sans doute cette annonce n'a-t-elle pas surpris grand-monde plus que cela, mais forcément, mourir à 42 ans, ça fait un choc...

C'est donc entre quatre planches, comme on dit (bizarre, pour moi, il en faut 6 pour faire un cercueil, mais bon...), que Paul Becker rentre à Eden, la ville de son coeur, là où, enfin, il goûtera un repos éternel, débarrassé, espérons-le, de tous les maux qui l'ont poussé à se détruire consciencieusement durant les derniers mois de son existence terrestre...

Mais, si c'est bien Paul Becker qui se trouve dans cette boîte massive que les servants ont du mal à soulever et à soutenir en raison du poids énorme de son occupant, pourquoi, dans une voiture garée à l'entrée du cimetière d'Eden, le narrateur se trouve-t-il là, à prendre des photos et à se faire passer pour un journaliste ?

Et pourquoi nous explique-t-il s'appeler... Paul Becker ?

Un Paul Becker métamorphosé par une année d'ascétisme, à tel point que plus personne à Eden ne peut le reconnaître Un parfait anonymat, renforcé par une coiffure différente et une barbe, pas du tout postiche. Oui, c'est bien le docteur Becker qui est là, bien vivant, revenu à Eden pour comprendre qui a essayé de le tuer et pourquoi...

Je n'en dis pas plus, comme je ne vais rien dire de cette "année sabbatique" dont le récit occupe une portion importante de la première partie du roman. Nous ne sommes que dans le préambule de ce roman tentaculaire de près de 630 pages, qui va, à partir de là, nous entraîner dans d'étonnantes aventures, présentes et passées, qui vont éclairer ces événements.

Si "les fantômes d'Eden" se présente au départ comme un thriller assez classique, sur une base à la Monte-Cristo, avec un Becker/Dantes  revenu confondre son "assassin", en tout cas, celui qui a tout fait pour l'être. Comme le personnage de Dumas, le médecin, méconnaissable, se mêle à cette société qu'il a bien connu pour sonder les uns et les autres. Car, il n'en doute pas : pour savoir où le trouver, il fallait être un de ses proches, peut-être un de ses amis.

Son enquête est délicate, il ne faudrait pas risquer de griller sa couverture par une remarque maladroite. Et puis, le tueur est toujours là, quelque part. Il doute le connaître, mais il n'en va certainement pas de même pour celui, celle, ceux, comment savoir, qui l'a, l'ont envoyé pour accomplir sa sale besogne.

Alors, même si Paul Becker n'est peut-être pas le sujet le plus excitant dont puisse rêver un journaliste, cette profession qu'il a endossée lui permet de fureter et de poser des questions sans qu'on se doute de son véritable projet. Reste à savoir comment les différents fers qu'il a mis au feu pour comprendre ce qui est venu si brutalement troubler sa nouvelle vie.

Mais, curieusement, s'il avait déjà beaucoup changé quand on a attenté à sa vie, il n'avait sans doute pas encore retrouvé complètement le goût de vivre. Avec cette enquête, c'est une raison de vivre qu'il s'est découvert. Et ça lui manquait. Le fantôme de Paul Becker, tout vivant qu'il soit, est aussi bien décidé à ce qu'on lui fasse justice, afin de redevenir lui-même le plus tôt possible.

Dans tout cela vient se glisser une dimension fantastique très bien exploitée, je trouve, parce qu'elle alimente sans jamais diminuer, une partie de la tension qui habite le roman. Cette facette du livre prend racine à Eden, dans ces marais si propices à faire naître des histoires. Des croquemitaines qui effrayent les enfants lors des veillées, des histoires qu'on se transmet et qui permettent toutes sortes d'expérimentations qui forment la jeunesse, autant que les voyages.

C'est là qu'on retrouve l'étrange sentence, récurrente dans le livre, qui sert de titre à ce billet. Elle émane d'une vieille femme, déjà vieille dans l'enfance des personnages, plus que centenaire dans la partie contemporaine. Une vieille femme noire qu'on verrait sortie du bayou de Louisane, mais qui ne dénote pas du tout dans les marais de Floride.

Ce personnage-là aussi, comme la manière dont Bauwen le met en scène, évoque ces terres fécondes en légendes horrifiques et installe un climat tout à fait spécial, humide et lourd, chaud et oppressant, collant et inquiétant. Le décor qui va avec, ces marais, ces maisons à faire passer la Bates Motel pour une riante chaumière, ces bruits bizarres, ces ombres jusque dans le cimetière... Tout cela participe à l'atmosphère d'Eden.

Dans cette ambiance, évolue notre "Club des Cinq". Oh, oui, la référence est sans doute un peu facile, mais il y a vraiment de ça, dans la soif d'aventures et la curiosité insatiables de ces petits monstres. A une différence près : lorsqu'ils se mettent joyeusement dans la mélasse, c'est de justesse qu'ils s'e sortent et les traces que laissent ces événements sont indélébiles.

Mais, on retrouve dans cette partie d'enfance quelques moments palpitants, dont certains lorgnent gentiment vers Stephen King, dont on sait qu'il adore mettre en scène des enfants, et aussi des enfants ayant grandi. L'imaginaire galope dans ces moments, sans doute renvoient-ils aussi à des expériences propres au lecteur que je suis, à des souvenirs de grandes odyssées imaginaires, avec bandeau sur l'oeil et sabre de bois, quand on en avait marre d'être un cow-boy...

Tandis que les deux histoires séparées par 30 années s'entrelacent comme des brins d'ADN (je suis fier de cette comparaison, vous ne pouvez pas savoir à quel point ! Elle m'est venue en croisant brièvement Crick et Watson, en court d'histoire... Bref...), l'intrigue nous embrouille gentiment, nous emmenant dans plein de directions différentes avant que le dénouement ne ramène tout cela à son épicentre.

Un dénouement, oh, allez, je vous le dis, n'y voyez pas un grand reproche, j'ai bien apprécié, un dénouement, donc, qui m'a semblé un peu "too much". Un déferlement si soudain et mis en scène de façon très cinématographique qui m'a fait sourire, comme lorsque je regarde la fin d'un film de Quentin Tarantino, tiens. Mais bon, ça dépote et on a les réponses qu'on attendait, alors...

En fait, on revient à une ambiance très particulière, comme si cet endroit, Eden, si loin et pourtant si proche du paradis dont il porte le nom, tant l'endroit pourrait, sous un autre jour, être idyllique, était une espèce de faille, un triangle des Bermudes en pleine Floride, un endroit où, sans qu'on sache trop pourquoi, se déchaînent d'un seul coup des forces pas très naturelles...

Et, de King, qu'on voyait pointer par moment le bout du museau, on dérive vers une autre catégorie de thrillers fantastiques, ceux que co-signent Donald Preston et Lincoln Child. En fait, j'ai même un titre précis d'un roman de ces deux-là en tête, et je m'attendais par moments à voir débarquer à Eden l'agent (très) spécial du FBI, Aloysius Pendergast. En vain...

Reste l'excellent titre choisi par Patrick Bauwen pour son quatrième roman. Car des fantômes, ce roman en est plein. J'allais écrire au propre comme au figuré, je me rends compte à quel point cette formule est bizarre... Mais, j'ai vraiment aimé voir tous les types de fantômes qu'on croise à Eden et autour de Paul Becker.

Le romancier joue parfaitement avec les différentes acceptions du mot, les différentes façons d'être hanté et tout l'imaginaire que cela peut véhiculer. Sorte de roman à tiroir, "les fantômes d'Eden" dresse cette galerie de spectres tout au long du récit jusqu'à la fin de cette histoire, pour une ultime pirouette en guise de conclusion.

Que va-t-il advenir d'Eden, désormais ? Je ne le sais pas. Patrick Bauwen choisira-t-il de nous y emmener une troisième fois, pour nous montrer ce lieu sous un troisième angle différent, ou bien décidera-t-il de refermer ce chapitre et de nous emmener ailleurs, vers d'autres histoires à frissons, mais dans des contextes différents.

Je n'en ai aucune idée. Et pourtant, que j'aimerais en savoir plus sur le devenir de certains personnages. Les voir évoluer dans une ambiance apaisée, avec des soucis différents, mais plus aisément gérables, aussi. Avant, probablement, parce que c'est la règle du jeu, de voir une nouvelle tempête se lever et les emporter dans son tourbillon.

Mais je ne suis pas l'auteur, juste un simple lecteur...

lundi 12 janvier 2015

"Vains rêves, faux espoirs, réalités, mensonges, Fantôme de moi-même en des jours anciens, Frère que j'ai perdu, raconte-moi tes songes Pour que je sache un peu s'ils sont restés les miens" (Emile Henriot).

Ah oui, je suis allé chercher loin pour cette citation, mais elle colle plutôt pas mal à notre roman du soir. L'actualité des derniers jours m'a un peu bloqué, question lecture et écriture, mais il faut s'y remettre, et c'est au Danemark que nous allons partir, sans aucun lien avec quelques caricatures que ce soit. Depuis quelques années, le roman noir nordique est très présent et marche fort en France. Anders Bodelsen, né en 1937, fut un des pionniers de cette vague et, après les éditions Autrement, c'est Folio qui édite, dans une version poche, cette fois, un livre resté inédit chez nous pendant plus de 20 ans : "Septembre rouge" (attention, en grand format, le titre était différent : "Rouge encore"). Une histoire de famille, d'amitié, de politique, de violence, aussi, de trahison et de loyauté (ne marche-t-elle pas toujours ensemble, ces deux-là ?), de rébellion et de lutte contre un ordre établi... Un pur roman noir, où l'ambiance est aussi importante que la construction de l'intrigue.



Au départ, il y a juste une erreur de navigation. Un automobiliste qui se perd sur le chemin du retour après avoir été acheté des plantes. Banal à pleurer. Mais, lorsque Jens se rend compte de son erreur et qu'il décide de faire demi-tour, sa vie bascule. Il a choisi, par le plus grand des hasards, une place, pas loin de l'aéroport de Copenhague, où l'on trouve un bar et une station-service désaffectée.

Le genre d'endroit où on n'aurait pas l'idée de s'arrêter en temps normal. Mais voilà, le temps de replacer les plantes sur la banquette arrière et de remonter en voiture et Jens a le choc de sa vie. Devant la station-service, un homme. Il l'a vu, l'a reconnu. Il en est, oh, à 95% sûr. Pas plus, parce que cet homme... est mort depuis des années.

Et cet homme, c'est son frère aîné, disparu des années plus tôt dans un accident de montagne en Autriche, alors qu'il couvrait, pour le journal pour lequel il travaillait, de terribles intempéries et le glissement de terrain qu'elles avaient occasionné. Alors, comment un homme mort peut-il se retrouver là, bien vivant ?

Jens pense d'abord s'être trompé, illusion d'optique, erreur de physionomie, simple mirage né de son imagination... Mais, cela taraude Jens, qui finit par reprendre contact avec sa belle-soeur, qui était en Autriche avec Soren, au moment de sa disparition. Aussi abasourdie que lui par cette histoire, elle lui redit que son frère est bien mort et qu'il est impossible que ce soit lui...

Pourtant, le doute s'est installé. Et Jens est de plus en plus persuadé que c'est son frère qu'il a vu. Il en est tellement sûr que le vernis finit par craquer et Vera, sa belle-soeur, lui avoue aussi qu'elle est certaine que le corps qu'elle a reconnu des années plus tôt, n'était pas celui de son époux, Soren. Qu'elle le croit vivant mais n'en sait pas plus.

Alors qui est Soren et pourquoi est-il revenu à Copenhague ?

Et là, je me rends compte que je suis à un point où je ne peux quasiment pas en dire plus, non seulement sur l'histoire, mais même sur ses développements (j'ai les noms de ceux qui ont fait "ouf"). Car on a là une mécanique de précision et quelques renversements de situation assez étonnants qui vont placer les deux frères dans des situations délicates, mais aussi face à eux-mêmes.

Bon, je ne vais quand même pas vous abandonner aussitôt, il ne faut pas exagérer ! Mais rien de plus sur l'histoire elle-même. "Septembre rouge", je l'ai dit en préambule, et les vers placé en titre de ce billet le confirment, est une histoire de famille. Une histoire de frères. Des frères séparés par le destin, mais pas uniquement.

Car le coeur de ce roman, c'est l'idéal, comment on le vit, comment on cherche à le mettre en pratique, comment il perdure ou comment il s'érode. Jens et Soren sont quadras, ce sont des enfants nés dans les années 40 et qui ont donc accompagné, dans leur jeunesse et dans le début de leur âge adulte les évolutions des sociétés occidentales.

Ensemble, Soren menant Jens dans ses combats, ils ont embrassé des idées, les ont défendu, avec coeur, force, hargne. Et puis, les années ont passé, ils ont grandi. Ils sont entrés dans la vie civile, l'un journaliste pour un quotidien conservateur, le comble, l'autre, haut fonctionnaire, et peu à peu, ces idéaux qu'ils avaient chevillés au corps se sont dissous... Jusqu'à ce jour et ce hasard inouï.

Il y a une fameuse question qui m'est venue en tête, au point que j'ai songé un moment à la mettre en titre. Vous savez, l'impayable : "Dis, si je tuais quelqu'un, tu m'aiderais à cacher le corps ?" Le genre tarte à la crème rangée sur la même étagère que "Sucer, c'est tromper ?" ou "Plutôt Hitler ou Staline ?" Ces questions si subtiles qu'il n'y a évidemment aucune réponse à donner.

Finalement, j'ai opté pour un autre titre, parce que celui-ci vous aurait induit en erreur quant à l'histoire de "Septembre rouge". Mais, je l'utilise dans mon développement parce que je peux expliquer pourquoi  c'est ce qui m'est venu à l'esprit pendant la lecture du livre d'Anders Bodelsen. Enfin, je crois pouvoir l'expliquer...

Il y a, entre ces deux frères une étrange relation. On sent bien que, s'ils sont sincères, dans leurs idées, leurs choix, leurs pensées, l'un a toujours été un peu plus meneur que l'autre. Mais, plus profondément encore, c'est leur relation à leurs parents qui les différencie l'un de l'autre. En tout cas en apparence, car, et c'est tout l'objet de la première partie du roman, ce n'est pas la mort qui les a séparé, mais tout à fait autre chose.

Des retrouvailles particulières et des prises de conscience, aussi. Tous les deux ont une certaine nostalgie que ce retour inattendu va réveiller en eux. Mais pas tout à fait du même genre. Leurs nostalgies se croisent comme leurs parcours l'ont fait des années auparavant. L'un retrouve un foyer, l'autre sent se raviver les flammes endormies sous des braises refroidies.

Mais, par-dessus tout, c'est leur fraternité qui renaît. Eloignés l'un de l'autre, bien moins unis à l'âge adulte qu'ils ne l'avaient été dans leur jeunesse, les revoilà prêts à tout l'un pour l'autre. Prêt à aller enterrer un cadavre, donc, pour reprendre notre métaphore. Je le précise, avant qu'on me hurle dessus et m'accuse de spoiler devant la Cour Pénale de La Haye, ce cadavre aussi est métaphorique...

Le danger, en revanche, est bien réel. Parce que ce passé, on le traîne longtemps, sans doute toujours. Le genre d'étiquette impossible à décoller capable de vous attirer les pires ennuis. Si Soren est toujours aussi impliqué sur le plan idéologique, il est revenu de pas mal de choses. Sa clandestinité lui a aussi permis de comprendre qu'il s'était fourvoyé, si ce n'est sur la manière, au moins sur ses compagnons.

Pas de trahison, chez lui, une loyauté sincère à la cause. S'il y a des traîtres, ce sont les autres, ceux avec qui il frayait avant de disparaître. Des pieds nickelés, des gens pas très sérieux qui envisageaient leur idéal avec une certaine légèreté quand elle demandait de la dureté extrême. Anders Boldersen s'appuie d'ailleurs sur un facteur-clé qui est un événement réel de l'histoire contemporaine du Danemark.

Un événement dont on comprend, au fil des pages, l'importance pour ce roman. Et plus ce qui l'entoure ce dessine, plus ce qui cause tout ce tumulte apparaît et plus on a froid dans le dos en se disant que le pays est peut-être passé à côté de quelque chose d'effroyable. Et là aussi, se constate le changement qui s'est opéré chez les deux frères depuis leurs jeunes années, dans leur façon d'appréhender cette question.

Anders Bodelsen réussit remarquablement à créer la tension tout au long de ce roman, non exempt de violence, mais où elle tient une place particulière. Car, si elle est bien centrale, elle n'est qu'évoquée, que conceptualisée, si je puis dire. La violence est tapie, elle est un enjeu, à la fois source et conséquence de ce qui se déroule sous nos yeux de lecteurs.

En entretenant longtemps le flou qui entoure Soren, mais ses relations avec un autre personnage, dont je n'ai pas du tout parlé ici, eh oui, ne croyez pas que je dise tout, bien au contraire, l'auteur met le lecteur dans l'inconfort. On ne sait pas sur quel pied danser, on ne sait pas quel parti prendre avec ces personnages, on ne sait pas non plus comment Jens va réagir.

La tension s'installe telle une épée de Damoclès, on ne sait pas vraiment qui frapper et surtout pas quand. Le pourquoi, on ne le découvre que bien plus tard et l'on se rend compte, au passage, que ces pays du nord de l'Europe, dont on imagine toujours qu'ils ont coulé des heures paisibles durant toutes ces dernières décennies, ont été en proie à des questions et des déchirements profonds.

Je généralise, mais je retrouve, d'une certaine façon, des questionnements idéologiques qui ne sont pas si éloignés de ceux de Mankell, Indridason ou même de Stig Larsson. On oublie que ces nations, bien avant qu'un fou furieux en transforme l'île d'Utoya en champ de bataille, avait été secoué par des conflits idéologiques et que le sociale démocratie a toujours été fortement contestée sur sa droite comme sur sa gauche.

On est nous aussi bousculé, parce que la construction du roman, en 3 actes, on pourrait dire, est assez surprenante. Une première partie dont Jens est le centre, la seconde qui se focalise sur Soren et la troisième... Vous verrez bien vous-mêmes ! Et, dans tout cela, une lancinante question : qu'est-ce qu'être libre ?

Non, rassurez-vous, je n'entame pas maintenant une dissertation philosophique, mais cette liberté, qu'on trouve bien souvent en s'accomplissant, est bel est bien là, dans "Septembre rouge". Soren et Jens se sont-ils accomplis ? Ont-ils gagné la liberté qu'ils recherchaient ? Pourraient-ils mieux s'accommoder, 20 ans après, du monde tel qu'il va et qui ne leur plaisait pas il y a 40 ans ?

Refaire le monde. Ils en ont rêvé, ils ont agi pour cela, n'y sont pas parvenus, en tout cas de leur point de vue. Il y a quelque chose d'assez prémonitoire dans ce livre, publié en 1991, rappelons-le, quelque chose qui fait écho à une certaine résurgence des idéologies actuelle, alors même qu'il était écrit juste à la fin de la Guerre Froide.

On retrouve un climat, je trouve, qui pourrait, sous des formes à la fois comparables et différentes, se comparer à celui de 2015. On retrouve en tout cas ce même questionnement sur l'engagement, la forme à lui donner et les moyens qui peuvent le rendre (ou pas) efficient. Moi qui ne suis que très peu engagé, qui n'ai pas cette fibre, je suis toujours un peu méfiant à l'égard de ceux qui font cette démarche. Et ici, il y a aussi de quoi l'être pendant un bon moment, avant que n'intervienne une forme de rédemption qui n'est certainement pas un reniement.

Et puis, après tout, oubliez tout cela, tout ce laïus, car, "Septembre rouge", c'est avant tout l'histoire d'un lien fraternel d'une immense force, distendue par les non-dits et la pudeur, et soudain resserré dans l'adversité la plus noire. Ces deux-là n'ont rien perdu de leur amour et c'est dans l'épreuve qu'ils vont affermir cela une nouvelle fois. Peut-être une dernière fois.

dimanche 4 janvier 2015

"Le drame de la mort, je me demande si c'est la mort, ou si ce sont les héritiers" (Henry de Montherlant).

Ah, qu'elle sonne juste, cette phrase de titre ! Et qu'elle colle bien avec notre roman du jour, à un petit détail près : on y trouve un bon nombre de créatures qui ont une fâcheuse tendance à ne pas mourir de leur belle mort. Soit ils vivent éternellement, soit il faut un léger coup de pouce, oh, trois fois rien, une légère décapitation, un petit pieu de rien du tout planté dans la poitrine, trois fois rien, je vous dis. Avec "L'héritière" (en grand format aux éditions Actu SF), Jeanne A. Debats s'attaque à ce qu'on appelle couramment "la bit-lit", j'emploie le terme pour généraliser, simplifier, diront certains, mais je ne suis pas là pour une étude des niches littéraires... Si on veut faire savant, alors, disons que nous sommes, avec ce qui sera normalement, le premier volet d'un cycle intitulé "Testament", dans de l'Urban Fantasy. Mais, si on veut être plus prosaïque, voici un roman plein de créatures et de monstres qui dépote et où on se marre comme des petits fous.



Agnès, 27 ans, est ivre morte quand elle escalade, en cette douce soirée de printemps, les grilles du cimetière du Père Lachaise. Elle se rend pour la première fois sur la tombe de ses parents et de son frère, décédé peu de temps auparavant dans un accident de la route. Et, si elle a choisie d'y aller bourrée comme une huître, ce n'est pas un hasard.

Depuis toute petite, elle passe le plus clair de son temps à la maison, là où elle se sent en sécurité. Car Agnès est la proie, dès qu'elle s'éloigne un peu du domicile familiale, d'assauts de la part de fantômes et d'esprits de tout poil qu'elle est incapable de maîtriser, d'éloigner, de dissiper, rayez les mentions inutiles ou ajoutez-en d'autres. Sauf lorsqu'elle est dans un état d'ébriété avancé ou défoncée au dernier degré...

Bref, elle est agoraphobe de chez agoraphobe, mais pas à cause des vivants. Et son nouveau statut d'orpheline va devenir problématique, car il n'y a plus personne pour la protéger ou pour au moins l'aider à mettre le moins souvent possible le nez à l'extérieur de son antre... Alors, en plus de la nécessité d'éloigner les spectres pour s'assurer une visite vespérale tranquille, il y a effectivement de quoi se piquer la ruche, et sévèrement.

Pourtant, Agnès n'est pas vraiment seul. Il y a bien cet oncle, Géraud, qu'elle n'a plus vu depuis longtemps et qui choisit justement ce soir-là pour réapparaître. Encore un drôle d'énergumène, celui-là, Un personnage austère, strict, rigide. Pas franchement le roi de la déconne, l'oncle Géraud. Il faut dire qu'il a dû en voir des vertes et des pas mûres au cours de sa vie d'immortel...

Oui, force est de reconnaître que la famille d'Agnès est un peu spéciale. Surtout du côté maternel, le côté paternel étant tristement composé de communs des mortels. Mais voilà qui vaut bien des tourments à la jeune femme, coincé au milieu du gué génétique, si on peut dire. Sorcière, mais pas vraiment, pour résumer de façon plutôt lapidaire.

Et si Géraud est revenu, c'est pour prendre sous son aile protectrice, cet oisillon tombé du nid et en faire un coq en pâte. Avec, pour commencer, un poste de secrétaire dans son étude notariale. Oui, un boulot, et en or, s'il vous plaît ! Au calme, loin des esprits frappeurs et des ectoplasmes envahissants. Un job peinard pour lui permettre de s'assumer.

Et l'occasion de se faire de nouvelles relations, puisqu'elle va rencontrer dans cette étude ceux qui vont devenir ses collègues de travail : la très coquette et bizarre Zalia, qui lui sert de chaperon-chauffeur, et le sexy-de-la-mort-qui-tue Navarre, le genre de mec pour qui on se damnerait volontiers, si lui ne l'était pas déjà, damné. Navarre est un vampire au charme fou et à la décontraction déconcertante (personnage qu'on a déjà croisé pas mal de fois dans les précédents ouvrages de Jeanne A. Debats).

J'ai dit boulot peinard... Oui, c'est certainement vrai, la plupart du temps. Ou, plus exactement, ça dépend un peu des jours, quand même. Surtout quand d'autres vampires débarquent à l'étude avec armes, crocs et bagages, pour régler un dossier de succession apparemment un tantinet épineux. L'objet de la discorde s'appelle Herfauges.

Un garçon qui, comme Navarre, possède, outre une dentition un peu trop acérée du côté des canines pour être parfaitement honnête, un charisme dingue. Mais, lui, c'est un vénéneux, on le sent bien. Un vrai dandy du côté obscur, déroutant et terrrrrriblement attirant (oui, ça vaut bien 6 r), le danger incarné, aussi horrifiant que séduisant. Et bien conscient de ces qualités. Et de ces défauts.

A Géraud et son équipe de choc, Navarre en tête, de s'occuper de cet olibrius, qui ferait bien d'Agnès, son quatre-heures, et réciproquement, mais pas tout à fait dans le même sens de l'expression... La jeune femme est une douce oie blanche, qui ne connaît pas grand-chose à la vie, encore moins à la vie de l'Alter-Monde, où se côtoient toutes ces créatures...

Commence alors une histoire qui va emporter Agnès comme une bourrasque déplace un fétu de paille. Au milieu des ambitions des uns, des volontés des autres de conserver leurs positions, leurs statuts, leurs possessions, elle va découvrir qu'entre l'action à outrance et le home, sweet home, son coeur balance, mais aussi connaître l'amour, ah, l'amour, et énormément de désillusions...

Disons-le d'emblée, je ne suis pas un grand connaisseur de ce genre de littérature fantastique. En plus, comme je l'ai déjà dit ici, les romans où le sexe tient une place volontairement importante me gonflent vite, parce qu'il n'y a rien qui m'ennuie plus à lire que les scènes de séduction "clic-clac, j't'r'egarde, j't'emballe, j'te..." vous me suivez ?

Ici, ce n'est pas le cas du tout. Il y a bien une importante dimension de séduction, au travers des deux vampires, aux comportements diamétralement opposés mais au charme irrésistible, chacun dans son genre. Mais, le but n'est pas d'enquiller les scènes chaudes qui n'apportent rien au récit, voire de plonger avec une certaine complaisance dans une vulgarité de mauvais aloi.

Non, ici, le propos est tout autre : détourner tous les codes du genre, les triturer, les malmener, les faire dérailler et en tirer des situations cocasses, surprenantes ou carrément déjantées, sans jamais perdre de vu l'action, et même, distiller quelques gouttes de cet affreux poison qui pique les yeux : l'émotion.... Un joyeux cocktail foutraque qui fait plaisir à lire.

Dans lequel on trouve, pêle-mêle, des sorciers et des vampires, j'en ai déjà parlé, mais aussi des sirènes, des loups garous, des anges de la mort, des gentils, des méchants, des encore plus méchants que les méchants, des demoiselles un peu concons, et bien d'autres personnages qui vont entourer Agnès pour le meilleur et pour le pire.

Car il y a aussi de la castagne, des poursuites, des intrigues, des trahisons, des pièges, des alliances et encore bien d'autres choses dans ce roman captivant, qui se déroule dans un Paris légèrement futuriste (on se situe dans une quinzaine d'années par rapport à notre époque) dont la sociologie est passionnante et fait vraiment partie de l'histoire de ce roman.

Les vampires sont comme les aristocrates ou les grands bourgeois, vivent dans l'ouest de la capitale et se comportent comme si le monde était à eux, ce qui n'est peut-être pas si loin d'être le cas. De l'autre côté, le populo est composé par les loups garous, qui ont su, dans l'est de Paris, se constituer une société clanique et solidaire, proche de l'esprit de meute.

Pourtant, bien que fondamentalement différents, sans doute portés à s'affronter, ces deux communautés coexistent, travaillent même parfois ensemble. L'Alter-Monde est complexe, délicatement équilibré et chaque onde de choc, même le battement de l'aile d'un papillon (vampire ou loup garou, on s'en fout), peut remettre en cause ce fragile édifice, que ma succincte description simplifie sans doute un peu trop.

Jeanne A. Debats s'en donne à coeur joie dans ce roman plein de créativité et de trouvailles qui, je l'espère, vous amuserons autant que moi (surtout si la guimauve, au sens strict comme au figuré, vous débecte). On entre dans un univers qui confine au burlesque, au cartoon aussi, avec des personnages qui n'ont rien de héros parfaits, en tout cas pour la plupart, mais auxquels on s'attache volontiers, et quelquefois parce qu'ils font juste bien marrer.

Tout cela sous le regard hautain et hiératique de l'oncle Géraud, sorte de statue du Commandeur, qui n'a pas du tout, mais alors pas du tout, la tête à ce genre de blagues de potaches et de complications qui gâchent le métier et font perdre du temps. Et surtout, il faut vite retrouver l'introuvable héritière qui, par sa simple présence, devrait pouvoir mettre un terme à tout ce bor... euh, pardon, ce chahut.

En respectant, ce qui n'est pas toujours le cas, loin de là, dans ce que j'ai appelé la bit-lit, les archétypes des personnages fantastiques, en les utilisant tels qu'ils ont été créés ou imaginés, en tout cas, véhiculés par les mythes et légendes, la romancière réussit à mettre sens dessus dessous des univers pourtant très codifiés. Et c'est aussi ce décalage qui crée l'amusement.

N'oublions pas le personnage d'Agnès, narratrice du roman, qui participe aussi beaucoup par sa personnalité à ce décalage et à ces situations inattendues. Sa candeur, sa naïveté, sa découverte d'un monde qu'elle n'ignorait pas mais qu'elle découvre véritablement de l'intérieur, puisque, enfin, elle vit hors du cocon familial, tout cela la rend aussi attachante qu'agaçante, par moments.

Coincée entre cette timidité et son état de jeune femme plutôt mignonne, quoi qu'un peu maigrichonne à son goût, elle doit jongler avec ses propres sentiments et ses émotions, dans un contexte qui n'est pas vraiment idéal pour les affaires sentimentales...D'ailleurs, à ce petit jeu, elle n'a pas fini de se surprendre elle-même et va finir par en apprendre beaucoup sur ce qu'elle est.

Et, pour servir cela, Jeanne A. Debats recourt à une gouaille qui fait mouche, un talent pour dénicher les expressions et les reparties qui frappent, permettant aussi de constater que la demoiselle (je parle d'Agnès, entendons-nous bien, pour Jeanne, c'est déjà de notoriété publique) a un sacré caractère. Les répliques fusent, les dialogues sont très réussis aussi et participent activement, à mon goût, au plaisir du lecteur que je suis.

Variant les niveaux de langue, jouant avec les mots, Jeanne A. Debats nous offre une sacrée galerie de personnages, qu'on a envie de retrouver, du moins, pour la plupart, dans la suite de cette série. On verra d'ailleurs comment tout ce petit monde évoluera et dans quelle sarabande ils nous entraîneront dans les prochaines histoires.

Difficile de ne pas terminer ce billet sans évoquer la magnifique et passionnante postface de Jean-Luc Rivera, grand érudit et connaisseur émérite de ces mondes fantastiques et des créatures qui les habitent. En quelques pages, il donne des clés de lecture fort intéressante, replace "l'Héritière" dans le contexte plus global de l'Urban Fantasy.

Et, pour les béotiens dans mon genre, c'est utile, et plus que cela encore. On comprend tout de suite mieux l'ampleur du travail effectué par Jeanne A. Debats (euh, je ne veux pas dire qu'il faut le minimiser, hein... ?) et comment elle a utilisé son matériau littéraire, légendaire, mythologique, comme de la pâte à modeler pour façonner ses personnages.

Enfi, grâce à Jean-Luc Rivera, on comprend bien que "l'Héritière" est une espèce d'OVNI dans le paysage de l'imaginaire français, puisqu'il s'attaque à un genre jusqu'ici exclusivement anglo-saxon. Peut-être serais-je entré à reculons dans cet Urban Fantasy, mais tout ce que je viens de vous raconter m'a mis en confiance et m'a fait passer un bon moment. Au point que j'aurais bien envie, maintenant, de découvrir d'autres auteurs du genre...

vendredi 2 janvier 2015

"C'est par l'affrontement des corps que la sagesse se transmet".

Voici un roman que j'ai lu il y a quelques semaines, maintenant, et auquel j'ai eu peur de me frotter, je dois l'avouer. A chaque fois que je commence un billet, j'ai la préoccupation première de ne pas trahir le livre et son auteur, et j'espère y parvenir le plus souvent. Mais, j'essaye aussi de rendre, quand c'est nécessaire, ce qui a pu me faire vibrer au moment de la lecture, et c'est loin d'être toujours facile. Avec "Rivage des intouchables", de Francis Berthelot, je me retrouve dans cette situation. Ce roman, publié chez Denoël en 1990, est désormais disponible chez Folio SF et c'est l'occasion de plonger dans un univers d'une grande richesse, dans un récit de science-fiction qui nous parle bien de nous et de notre époque mais qui délivre surtout un message de tolérance et d'universalité d'une grande force. Et évoque la fin de la parenthèse enchantée des années 70, lorsque le sida a fait son irruption au début des années 80...



La planète Erda-Ramm se divise en deux civilisations rivales, incompatibles, qui se complètent autant qu'elles se repoussent. D'un côté, il y a les Gurdes, civilisation de la terre, du sable, dont le corps est couvert d'écailles ; de l'autre, se trouvent les Yrvènes, peuple de la mer, qui sont, pour leur part, couverts de pigments sur une peau lisse et muqueuse.

Mais, car il y a un mais, Erda-Rann est avant toute une planète maritime. La mer y tient la plus grande place et, surtout, cette gigantesque étendue d'eau est une entité vivante, baptisée Loumka, une sorte de divinité qui est à elle seule la conscience et le principal pouvoir décisionnaire de la planète. Elle ordonne, les peuples exécutent. Et ne se mélangent pas.

Oh, les générations adultes n'en ont guère l'envie, car cela fait tant de temps que les deux civilisations sont à couteaux tirés que personne chez les Gurdes comme chez les Yrvènes, ne pourrait imaginer côtoyer ceux de l'autre communauté. Mais la situation est différente chez les jeunes générations qui vont être élevées et grandir pour la première fois dans un climat pacifié.

En effet, la dernière guerre entre Gurdes et Yrvènes a été si épouvantable que, lorsqu'on y a enfin mis un terme, on a décidé de fonder une paix durable, une coexistence sur cette planète, mais pas de mixité. Et, pour asseoir cet état de fait, pour être bien certain que Gurdes et Yrvènes n'iront pas se mêler les uns aux autres, la Loumka a imposé aux deux peuples la Loi d'Instinct.

Une Loi impitoyable qui interdit tout contact physique de quelque sorte que ce soit entre un(e) Gurde et un(e) Yrvène. Pas la moindre caresse, pas de poignée de main, et, évidemment, aucun rapport intime ou sexuel. Rien qui puisse permettre aux écailles des uns de toucher les pigments des autres. Et réciproquement. Enfreindre la loi d'Instinct serait un crime, un péché capitaux.

C'est dans ce contexte que naît Arthur, un enfant Gurde, quelques mois après la fin du dernier conflit, terrible guerre qui a laissé les deux communautés si mal en point qu'elles ont décidé de cet accord en trompe-l'oeil. Très jeune, lors de vacances au bord de la Loumka, il se sent, malgré ses origines, irrésistiblement attiré par la mer. Cette mer dans laquelle il ne peut plonger.

C'est lors de ces mêmes vacances qu'il va rencontrer Cassiãn, un garçon un peu plus âgé que lui. Et un Yrvène. De la graine de voyou, je ne sais pas pourquoi, il me fait penser à James Dean, celui de "la Fureur de vivre", c'est bizarre, les idées qu'on a en tête quand on lit. Mais surtout un garçon au charisme incroyable, qui fascine Arthur.

C'est avec lui que Arthur va enfreindre la Loi d'Instinct pour la première fois. Devenir ce qu'on appelle un transvers, statut pire que celui des Intouchables en Inde. Plus tard, des années plus tard, devenu de jeunes adultes, ils se retrouveront, au même endroit. Presque par hasard. Retrouveront leur complicité, immédiatement. Puis s'entoureront d'amis, tous en révolte contre la Loi d'Instiinct, issue d'un passé révolu à leurs yeux et qui les empêche de vivre leur existence comme ils l'entendent.

Dans la ville des bords de la Loumka où se sont connus Arthur et Cassiãn va alors se constituer une nouvelle communauté, plus bohême, constituée d'artistes, de marginaux, mais aussi de personnes qui ne veulent pas vivre sous le joug de la Loi d'Instinct et veulent briser le carcan que la Loumka impose aux Gurdes et aux Yrvènes.

Ils appartiennent à ces deux peuples, de différentes races, ethnies, orientations sexuelles, la couleur de leurs écailles et de leurs pigments varient. Ils sont tous différents mais ne forme enfin qu'une seule famille humaine. Au point de se faire implanter des pigments ou des écailles, pour marquer leur volonté de partage, comme on ferait des tatouages.

Au milieu de cette joyeuse bande, qui a laissé ses problèmes derrière elle, mais reste marquée, individuellement, par les discriminations et le rejet dont ses membres ont ou font l'objet, Arthur et Cassiãn vont développer une amitié qui transcendent toutes ces différences, leurs origines, même, qui ne les prédisposaient sans doute même pas à se rencontrer un jour...

Jusqu'à ce que la maladie ne se déclare et devienne épidémie...

Une maladie qui ne touche que les Transvers, que ceux qui ont choisi de ne plus respecter la Loi d'Instinct. Un fléau divin ? La preuve de l'incompatibilité entre Gurdes et Yrvènes, qui s'empoisonneraient les uns, les autres ? "Ce qui me paraissait juste (dans mon enfance) est devenu porteur de mort", dit même Cassiãn.

Mais laissons le récit à ce point, peut-être suis-je même déjà allé trop loin. Parlons du personnage d'Arthur. Un garçon né dans une famille gurde traumatisée par la dernière guerre et pour qui sa naissance est un bienfait mais aussi une source d'angoisse. D'autant que le jeune garçon s'avère vite... spécial. Quasi muet et pourtant utilisant les mots de manière exceptionnelle.

Très inhabituel, car les Gurdes sont plutôt un peuple manuel, les arts sont plutôt le domaine des Yrvènes. Or, très tôt, Arthur va afficher son ambition : devenir écrivain. Voilà qui en fait encore un peu plus un être à part. Mais, on comprend vraiment qu'il a cette fibre en lui, cette sensibilité profonde, mais aussi une difficulté à affronter les problèmes.

Tout cela le poussera parfois à des choix contestés par d'autres, y compris par Cassiãn et même au plus fort de l'épidémie. Il est sincère mais désemparé, ce n'est pas son courage qui est en cause, mais simplement sa volonté de faire cesser la catastrophe en revenant en arrière, quand son ami, lui, toujours aussi rebelle, ne voudra pas entendre parler d'un retour à la Loi d'Instinct.

Je ne pense pas révéler un secret en disant qu'il me semble qu'il y a beaucoup de Francis Berthelot dans le personnage d'Arthur. Quelques points autobiographiques distillés ça et là, avec énormément d'élégance, afin de lui permettre aussi de raconter cette période des années 80 qui l'a tant marqué, qui l'a tant bouleversé.

Bien sûr, cette "épidermie", pour reprendre le nom qu'on donne à la maladie dans "Rivage des Intouchables", fait rapidement penser au sida et certains passages sont vraiment poignants, très durs, mais nécessaire. Indispensables pour rappeler que, dans ces débuts, la "maladie des pédés et des drogués", pour reprendre un vocable hâtivement défini, a fait des ravages.

Et qu'il fallait lutter seuls. Parce que, à l'exclusion dont étaient déjà victimes ceux qui ne se fondaient pas dans le moule, vient s'ajouter cette espèce de peste qui les isole encore plus, leur vaut d'être encore plus exclu. Drôle d'impression de voir tous ces braves gens s'estimer à l'abri et pourtant craindre la contamination... Bref...

La souffrance que provoque l'épidermie est terrifiante, donnant aussi à ce mal une dimension qui dépasse tout autre mal connu et renforce l'impression de châtiment, qu'il soit le fruit de la colère de la Loumka ou autre. La situation devient alors inextricable et, pire que tout, la culpabilité finit par s'installer chez ces êtres qui l'avaient toujours combattue...

Pourtant, je trouve qu'il serait restrictif de limiter les questions abordées à la simple situation des homosexuels. Evidemment, elle est au coeur du récit, mais ce sont toutes les formes de discriminations qui sont dénoncées dans le roman, à travers des personnages dont la peau, cette frontière naturelle qui est la nôtre et qu'on peut choisir de rendre mitoyenne ou pas, les oblige à garder leurs distances.

Je l'ai dit plus haut, mais certains personnages incarnent d'autres formes de discrimination, comme le racisme, dont la formidable Léonore est l'exemple parfait. Il y a, dans cette volonté de briser la Loi d'Instinct, d'abattre toutes les cloisons qui séparent les êtres, un message plein d'humanité et d'universalisme qui se heurte encore aux conservatismes de tous poils.

Mais, ne nous arrêtons pas là. "Rivage des Intouchables", c'est aussi une écriture remarquable qui fonde l'univers d'Erda-Ramm. Un univers incroyablement visuel et coloré. Visuel, parce qu'il faut rendre cette étrange planète, ses décors, son urbanisme, cette mer, qui évolue en fonction des humeurs de Loumka... Et coloré, parce qu'il y a toutes ces peaux différentes, dans leurs substances, comme dans leurs tonalités.

Il faut rendre cette dimension très particulière qu'on pourrait assimiler au toucher, puisque tant de choses reposent sur ce sens, dans ce livre. Mais, il n'est pas le seul à être stimulé : la vue et l'ouïe tiennent aussi une bonne place. Il faut faire passer tout cela et, sur ce plan, on voyage vraiment sur cette planète qui paraît à la fois si bizarre et pourtant si proche de la nôtre.

Cette écriture nous plonge aussi dans un univers très poétique, assez lunaire, à l'image de ce qu'est Arthur. Cela glisse tout seul, cela nous emporte dans la première partie. Puis, on participe à la fête, à l'explosion que représente la période entre la volonté de remettre en cause la Loi d'Instinct et l'apparition de la maladie. La parenthèse enchantée, très contagieuse...

Enfin, il y a la noirceur profonde et le désespoir terrible de la dernière partie du livre, lorsque tout ce qui a été construit en prenant tant de risques, tout ce qui a été obtenu par la force de l'amour, du respect, de l'union de ceux qu'on a toujours voulu séparer, s'écroule comme un château de cartes. Tant d'effort réduits, non pas à néant, mais à l'état de ruines. La nuance est sensible : l'épidermie ne détruira pas tout, ne déracinera pas ce qu'ont planté les Transvers.

Voilà, j'arrive au bout de ce billet et, comme prévu, j'ai le sentiment de ne pas rendre justice à ce beau roman, à la fois doux, violent, profond et humain. Je l'ai lu près d'un quart de siècle après son écriture et j'y ai vu des problématiques qui sont toujours autant d'actualité. Les partisans de la Loi d'Instinct se font entendre avec force, sur Terre, et l'harmonie entre les êtres ne règne toujours pas...

J'ai été remué par ce texte et par ce qui s'en dégage. Sans fard, sans filtre, c'est la douleur et la révolte qui s'expriment, mais aussi l'impuissance devant le mal qui s'est répandu si vite, si fort, qui a emporté tant de personnes en si peu de temps. "Rivage des Intouchables", c'est aussi cela, un hommage aux chers disparus tombé aux champs d'honneur de la liberté et de la tolérance. De l'amour et de l'amitié.