En ce chaud matin d'été, Jean-Baptiste Adamsberg rend service à un collègue, malade, et se rend chez un particulier constater un décès tout ce qu'il y a de plus naturel. Enfin, c'est ce que tout le monde croit... tout le monde, sauf le commissaire qui, à peine arrivé chez ce vieux couple dont l'épouse vient de mourir, est persuadé qu'il y a eu meurtre. Mais un meurtre qui, s'il est le fruit d'une rancune assez banale, n'en est pas moins un crime au mode opératoire inédit. Voilà la première histoire qui va commencer à trotter dans la tête, un tantinet en fouillis, du plus lunaire des policiers...
Un peu plus tard, voilà Adamsberg alpagué en pleine rue, juste devant son commissariat, par une étrange vieille dame au discours assez peu clair... Après un bon moment passer à mettre en confiance cette visiteuse pas ordinaire, Adamsberg finit par obtenir les éléments pour comprendre sa requête : elle vient de Normandie, d'un village appelé Ordebec. Si elle est à Paris, c'est qu'on lui a donné le nom du commissaire, car la gendarmerie locale l'a éconduite.
Quant au sujet de sa visite, il est plus... épineux. La fille de cette brave femme a été le témoin d'un phénomène extraordinaire entré dans la légende locale. Elle a vu, au détour d'un chemin forestier, passer ce qu'on appelle "l'Armée furieuse", une armée de spectres assoiffés de justice, qui "saisit" les personnes ayant de vilain secrets à cacher pour rendre un jugement fatal. Dans sa "vision", la jeune femme a vu 4 personnes terrorisées emportées par la nuée... 3 qu'elle a sues nommer et une qu'elle n'a pas reconnue.
Or, la légende de "l'Armée furieuse" est millénaire et, dans ce coin paisible de Normandie, chacun sait quel sort attend les saisis. Mais, les faits anciens montrent que, souvent, effrayée, la population peur se retourner violemment contre celui ou celle qui a vu passer "l'Armée furieuse". Voilà pourquoi la vieille dame a fait le voyage à Paris : pour convaincre Adamsberg de venir protéger sa fille...
Quant aux "saisis", elle considère déjà que leur sort est scellé... Adamsberg, toujours pragmatique, voit dans cette affaire des menaces peser sur différentes personnes. L'affaire titille son instinct mais comment obtenir une affaire qui n'existe pas ?
Tout comme ce pigeon, trouvé dans la rue, les pattes attachées, manifestement victime d'un tortionnaire sur lequel Adamsberg aimerait bien mettre la main pour lui donner une bonne leçon... Le pigeon, recueilli par le commissaire, va devenir un personnage à part entière du roman et son triste sort, un nouveau rouage du complexe engrenage cérébral d'Adamsberg...
Enfin, alors que le cerveau d'Adamsberg commence à bouillonner et à penser à la Normandie, le voilà chargé d'une pénible affaire : un vieil homme a été retrouvé carbonisé dans sa voiture en plein Paris. Pas besoin de chercher loin pour trouver le coupable : Momo, dit Momo-Mèches-Courtes, est un pyromane bien connu, même si, jusque-là, aucun des incendies de voiture qu'il a provoqués, n'a eu de mortelles conséquences...
Avec ce dernier élément, voilà le décor planté : Adamsberg doit retrouver au plus vite Momo, car le corps dans la voiture est celui d'une grosse légume et on s'agite, dans les hautes sphères, devant ce drame national. Mais Adamsberg ne croit pas à la culpabilité de Momo et, afin d'apporter les preuves de son innocence et de confondre le véritable coupable, il va faire évader Momo et l'exiler en Normandie, où il compte bien comprendre cette histoire d'Armée furieuse... Une armée qui semble bien avoir laissé dans son sillage un premier cadavre.
Voilà tous les ingrédients de ce roman en place, il ne reste plus qu'à secouer tout cela dans le shaker cérébral d'Adamsberg pour donner un roman riche en rebondissement, en fausses pistes, en assassinats et tentatives, en fuites et en découvertes...
Au coeur de tout cela, un village hors du temps, avec son château, son comte, qui joue les seigneurs et maîtres sur ses terres et ses gens, ses rancunes, ses secrets inavouables, ses rumeurs, ses petites frayeurs attisées par le moindre souffle... Et puis, une famille, les Vendermot, la famille de la vieille dame venue voir Adamsberg et de sa fille qui a vu l'Armée furieuse. Une famille aussi simple et étrange en apparence, que ses membres sont intelligents. Une fratrie où chacun a des spécificités qui ont de quoi inquiéter autour d'eux. Ainsi qu'une naïveté tellement touchante qu'elle pourrait en devenir suspecte... Une famille qui semble fasciner Adamsberg, à plus d'un titre...
Bien sûr, ce résume peut ressembler aux yeux de ceux qui n'ont pas lu le livre, à un inextricable capharnaüm. C'est vrai ! Mais dites-vous que vous avez ainsi la même vision que celle d'Adamsberg où tout s'embrouille, se lie, se mélange, s'agglomère pour faire émerger des vérités et l'identité des coupables. De tous les coupables, qu'ils aient tué leur épouse, torturé un oiseau, fait brûler vif un vieil homme, mis le feu à des voitures ou commis des assassinats multiples... Car Adamsberg ne fait pas de hiérarchies dans les crimes et entends bien faire punir tous les coupables.
Mais il va d'abord devoir faire le tri dans ses pensées ou, au mieux, attraper à la volée les associations d'idées confuses qui vont jaillir... Quand on évoque les flics de fiction, on met souvent en exergue l'instinct de certains d'entre eux. Mais, de tous, Adamsberg est de loin le plus instinctif de tous. Car, il ne maîtrise absolument rien de la chimie complexe de son cerveau. Il passe même pour un ahuri, un hurluberlu aux yeux de ceux qui le découvre, loin des limiers héroïques que l'on redoute. Et pourtant, c'est lui qui impose son rythme à l'enquête et à ceux qu'il poursuit, jusqu'à les prendre au piège.
Au-delà du récit lui-même, il faut se demander pourquoi cet entrelacs d'enquêtes en vient à ce point à obséder Adamsberg... Peut-être parce que dans chacune d'entre elle, il se retrouve. Le vieil homme qui tue sa femme le ramène à sa peur du quotidien, renforcé depuis peu, depuis qu'il a découvert ce fils adulte, Armel, et que celui-ci s'est installé chez lui. Le pigeon prisonnier le renvoie aux propres liens qui entravent son naturel libre et indolent, comme le respect des procédures, la hiérarchie ou les apparences... Momo lui permet de réaffirmer sa haine de l'injustice mais aussi sa volonté de défendre les faibles (j'allais écrire la veuve et l'orphelin , mais n'en faisons pas trop...) face à plus puissant qu'eux. Enfin, il y a la famille Vendermot, déphasée, en marge malgré elle, montrée du doigt, moquée autant que crainte, apparemment inconsciente de ce qu'elle inspire ou, en tout cas, ne faisant pas grand cas de tout cela, ayant une vie compliquée, pleine de douloureux secrets... Comment Adamsberg ne pourrait-il pas, consciemment ou non, se sentir proche de cette famille qui, finalement, lui ressemble tant...
Enfin, et élément tout aussi important, à mes yeux, Adamsberg se retrouve aussi en phase avec les victimes annoncées de l'Armée furieuse. Car lui aussi, à sa manière, est la proie d'une armée furieuse, moins dangereuse pour sa vie, mais pas pour sa carrière : en agissant contre toutes les règles en laissant Momo prendre la fuite puis en le cachant, il devient l'homme à abattre, la cible d'autres spectres bien réels, ceux-là, tels que ses supérieurs, le préfet de police et jusqu'au ministre.
Comme les fantômes aperçus dans la forêt normande, ils sont prêts à se ruer sur Adamsberg, gravillon douloureux dans leur chaussure, et à lui faire un sort, en punition de ses actes, certes, mais aussi de sa personnalité atypique, qui dérange.
Adamsberg, c'est l'éloge de la modestie, d'une simplicité benoîte, d'un bon sens chevillé au corps, loin du brain-storming, de la science reine et des musculatures triomphantes. Adamsberg ne ressemble à rien, ni à personne et c'est ce qui le rend terriblement attachant.
Toutefois, eh oui, un bémol, la loufoquerie générale qui règne dans ce roman, toute sympathique et amusante qu'elle soit, peut lasser ou dérouter les lecteurs, même les habitués de Fred Vargas. La surenchère va peut-être un peu loin et l'intrigue gagnerait à un peu plus de simplicité.
Quant au trompe-l'oeil fantastique, sur lequel repose l'histoire, comme à chacune des enquêtes d'Adamsberg, il est bien moins intégré que dans les précédents romans où il interroge le lecteur jusqu'au bout. Là, c'est moins le cas et même les enquêteurs laissent vite tomber cette hypothèse, dommage.
Mais, je me suis bien amusé, j'ai passé un agréable moment de lecture, alors je ne vais pas bouder mon plaisir et nulle doute que je retrouverai Adamsberg et ses collègues aussi barrés que lui, soit dans les prochains romans de Fred Vargas, soit dans ceux déjà publiés que je n'ai pas lus.
Selon moi, un des meilleurs polars de l'année !
RépondreSupprimerJ'adore Vargas et son personnage d'Adamsberg ... À consommer sans modération !
Je suis un peu moins enthousiaste, Richard, mais oui, je le conseille. Pour autant, si on n'a encore jamais lu de roman de Vargas, je ne pense pas qu'il faille commencer par celui-là. Non en raison de sa qualité, mais parce qu'il faut bien connaître Adamsberg et son univers pour entièrement adhérer à cette histoire.
RépondreSupprimerTu me fais saliver d'avance ! J'ai découvert Fred Vargas il n'y a pas si longtemps que ça, et je lis ses romans dans un désordre anarchique. Mais quel plaisir ! Quelle plume !!
RépondreSupprimerEt franchement, celui-là me tente énormément. Ta chronique, que je n'ai lu qu'en diagonale pour ne pas trop me spoiler, me donne encore plus envie. Mais elle est loin de sortir deux romans par an, donc je savoure chaque roman, espaçant autant que possible leur lecture. J'attendrai donc sa sortie en poche pour céder ^^
Rassure-toi, Blanche, j'en dis finalement assez peu, malgré les apparences... Tout simplement parce que c'est impossible à raconter ! J'espère que, lorsque tu l'auras lu, tu reviendras donner ton avis ici (et, accessoirement, relire ce billet, sans la diagonale...).
RépondreSupprimerUn joyeux bazar... Fred Vargas, sans doute pas aussi folklo dans la vraie vie, fait partie des auteurs que je suis depuis des années, au rythme d'un livre par an environ.
RépondreSupprimerMême si cela peut dérouter, je crois qu'il y a quelque chose de salutaire dans ce déferlement irrationnel, surtout pour nous, imbibés de raison raisonnante et cartésienne.
Et puis, quand il s'agit de décrire le déclenchement d'une épidémie, et les réactions des gens, elle en parle savamment.
Merci pour cette critique détaillée.
Rebonjour, c'est avec ce roman que j'ai découvert Fred Vargas (eh oui!), j'ai adoré tant l'histoire que l'écriture. Je compte bien en lire d'autres. Bonne après-midi.
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