samedi 9 février 2013

Vanité, Idéologie, Coercition, Enrichissement...

Les plus perspicaces d'entre vous auront repéré l'acronyme qui se cache dans le titre de ce billet et qui forme le mot VICE... Tout un programme, mieux encore, une règle d'or, dictée au héros de notre roman du jour par ses patrons. Ca donne envie, non ? A ma connaissance, voici le premier roman qui s'attaque de façon direct à l'un des plus puissants contre-pouvoirs de la société contemporaine américaine, que dis-je ?, à ce groupe d'hommes et de femmes qui font la pluie et le beau temps sur Washington : les lobbyistes. Avec "les 500", publié en grand format au Cherche-Midi, Matthew Quirk, journaliste spécialisé dans les questions de criminalité, a jeté un pavé dans la mare de la capitale fédérale des Etats-Unis. Loin de l'image lisse et ennuyeuse qu'on véhicule souvent, il nous décrit un sacré panier de crabes dans un excellent thriller mené à toute vitesse.


Couverture Les 500


Mike Ford est étudiant en droit à Harvard. Issu d'un milieu pas franchement privilégié, couvert de dettes contractées pour aider sa mère à soigner le cancer qui l'a finalement emporté, il se sent un peu à part dans cet univers si particulier. Pourtant, lors d'un séminaire consacré à l'Histoire, c'est bel et bien lui qui se fait remarquer au milieu de tous les fils à papa trop sûrs d'eux qui composent sa classe. L'intervenant de ce séminaire est le professeur Henry Davies et, quand il propose à Mike de venir travailler dans sa boîte à Washington, le jeune homme, sans recours face à des créanciers impitoyables, n'hésite pas longtemps avant d'accepter.

Comment dire non à Henry Davies ? Il est une légende à Washington, où il est établi depuis plus de 40 ans. Il y a servi deux présidents, le démocrate Lyndon Johnson, puis le républicain Richard Nixon. Il s'est ensuite lancé dans les affaires et sa société, sobrement baptisée "le Davies Group", est particulièrement florissante, portée par l'aura incomparable du boss...

Pourtant, lorsque Mike Ford accepte l'offre de Henry Davies, il ne sait pas encore vraiment où il va mettre les pieds. En revanche, très vite, il se retrouve catapulté dans un autre monde : finies les dettes et les inquiétudes concernant l'avenir, mais bonjour les responsabilités, les journées interminables, les épais dossiers à ingurgiter au quotidien, les risque de se faire jeter du jour au lendemain sans même avoir le temps de dire ouf !

Et s'il n'avait pas d'idée véritable du travail accompli par la boîte de son mentor, à peine a-t-il commencé à y oeuvrer que plus aucun doute n'est possible : il a été embauché par un lobbyiste, peut-être même le plus influent de Washington. L'homme capable de faire pencher les décisions politiques les plus importantes dans le sens qui lui sera indiqué par le plus offrant... Un homme qui connaît sur le bout des doigts les habitudes et les petits secrets de ceux qu'on appelle "les 500", comprenez les cinq-cents personnes les plus puissantes de la capitale.

Mike Ford est un petit veinard, car, manifestement, Davies ne l'a pas seulement repéré dans un amphithéâtre, il a véritablement décidé de prendre le jeune homme sous son aile, de lui apprendre les ficelles du métier dans lequel il excelle depuis tant d'années. Sans pour autant le ménager : son premier dossier est retoqué plusieurs fois, et il va falloir à Mike puiser dans toutes les ressources dont il dispose pour enfin convaincre Davies et son bras droit, William Marcus.

Et les ressources qu'il va déployer, ce n'est pas à Harvard qu'il les a apprises... Non, il a acquis ces talents "particuliers" dans sa jeunesse, aux côtés de son père, avec ses copains... Et ses talents, ce sont ceux d'un cambrioleur chevronné, doublé d'un redoutable manipulateur. Il croyait avoir laissé tout cela derrière lui des années plus tôt, quand son père était tombé après une énième escroquerie qui, cette fois, avait mal tourné pour lui... Et pour toute sa famille, dans la foulée.

Gagnant ainsi ses premiers galons, obtenant un confiance renouvelée de la part de ses chefs, Ford découvre alors une nouvelle facette de son métier : voilà ce jeune homme, ancien délinquant, transformé en mondain, présent à toutes les soirées du Washington qui chante et qui pétille, chargé de devenir le meilleur copain de tel ou tel élu en vogue afin de détecter ses failles, les défauts de sa cuirasse, ses faiblesses coupables pouvant devenir autant de leviers qui, sans jamais user du chantage, oh, non, mais qu'allez-vous penser là ?, aideront au moment adéquat à modeler un avis allant dans le "bon" sens, et rapportant, au passage, quelques millions au Davies Group...

Des soirées bien arrosées qui, si elles permettent de se frotter aux coulisses du pouvoir, se terminent, parfois,  de façon... inattendue, propulsant un jeune homme encore naïf malgré son passé tumultueux dans des univers qu'il n'imaginait même pas pouvoir exister... Il s'imaginait devenu respectable, vivant d'un labeur honnête et lucratif, aux antipodes de ce passé qu'il s'est juré de laisser derrière lui. Et pourtant, le voilà menottes aux poignets après une soirée dans un bordel faisant office de fumerie de meth... Tout ça pour plaire à un des 500 avec qui il doit devenir inséparable...

Bien sûr, Davies va vite le sortir de là, bien sûr, l'expérience et les atouts maîtres qu'elle va fournir à Davies pour influencer un jour les décisions de ce jeune élu si convaincu de sa mission de représentant du peuple, bien sûr, cette soirée va aider Ford à grimper quelques échelons supplémentaires dans la hiérarchie du Davies Group... Le jeune loup est décidément plus que prometteur, mais il commence aussi à se poser quelques questions sur l'essence même de son boulot et des actions qu'il le pousse à commettre...

C'est quelques semaines plus tard que ces questionnements vont prendre une toute autre résonance... En pleine ascension, Mike est convié par Davies et Marcus à les accompagner en Colombie pour un voyage d'affaires. Un nouveau client à rencontrer... Un client pas franchement recommandable, a priori, mais ne dit-on pas que l'argent n'a pas d'odeur ? Alors, les demandes de ce client doivent être traitées avec toute l'expertise possible, afin d'obtenir le résultat souhaité.

Sur place, Mike est surpris de se sentir mis à l'écart des négociations... On lui signifie même clairement, fermement, qu'il va devoir oublier ce dossier dont il n'aura plus à s'occuper... Pourquoi l'avoir emmené en Colombie pour ensuite le mettre au rencart sans ménagement ? La curiosité de Mike est émoustillée, il a envie d'en savoir plus sur ce dossier dont on lui a refermé la couverture au nez.

Alors, une nouvelle fois, il met ses talents en action et récupère un enregistrement qui va lui faire froid dans le dos... Aucun doute possible, ses mentors évoquent quelqu'un, un mystérieux sujet n°23, qu'il va falloir mettre au pas, si nécessaire de façon définitive... Jamais Ford n'avait envisagé que la violence, le meurtre, même, puisque c'est ce qui est sous-entendu dans cette conversation... Le jeune homme tombe des nues, le vernis de respectabilité de son nouveau job s'effrite d'un seul coup et son vieil honneur de voleur (oui, je sais, c'est paradoxal...) le titille.

Le voilà décidé à découvrir qui est le n°23 et, contre ses mentors, à le mettre au parfum de la menace qui pèse sur lui. Mais, bien sûr, pour cela, il lui faut découvrir l'identité de la cible. Alors, il se mue en espion, au risque de se faire prendre et de perdre tout ce qu'il vient de mettre en place en entrant au Davies Group, sa vie professionnelle, son aisance financière nouvelle, son amour pour Annie, une de ses collègues, et même la vie de son père, enfin sorti de prison grâce à l'entremise de Davies...

Il va devoir défier un adversaire de taille, terriblement puissant et déterminé, accro au pouvoir et prêt à tout pour faire fructifier ses affaires... D'abord chasseur, il va vite devenir la proie de ceux qui croyaient en lui. Ce qu'ils savent de son passé, personnel comme familial, vont aussi en faire un coupable idéal pour endosser leurs manigances sanglantes. Mike Ford s'est jeté dans la gueule du loup, par idéalisme, par naïveté, pour sauver un honneur écorné, il est seul, car à qui peut-il se fier ?, à pouvoir se sortir de là.

Et, pour y parvenir, il va devoir se montrer plus malin que ceux qui veulent désormais sa peau. Retrouver ses réflexes d'escroc, refoulés loin dans sa mémoire, monter au bluff une arnaque simple mais efficace, ce qui ne veut pas dire sans danger, bien au contraire, pour déstabiliser ses adversaires, leur faire commettre des erreurs. Bref, en quelques mots, comme en cent, les battre à leur propre jeu, en se montrant plus roublard et malin que ces manipulateurs aguerris...

"Les 500" commence presque comme un roman initiatique, un jeune homme un peu perdu qui cherche sa voie après avoir rompu avec son passé et qui trouve son mentor... Presque un conte de fée, quoi. Mais qui va vite tourner au vinaigre quand il se rend compte que, finalement, sa vie de voleur à la petite semaine n'a rien à envier, bien au contraire, à ces personnages qui ont pignon sur rue mais usent de méthodes sordides pour asseoir leur pouvoir et leur richesse.

Le VICE, qu'il applique d'abord docilement, va vite prendre tout son sens au fur et à mesure d'expériences plus déconcertantes les unes que  les autres. Sans doute, sans la révélation des menaces sur le sujet n°23, aurait-il pris son parti, se serait-il habitué à ce mode de vie spécial... Mais le truand qu'il a été s'est toujours mis un limite : ne jamais faire couler de sang. Or, sa découverte fortuite va à l'encontre de sa morale, pourtant assez souple.

Ford ne se voit pas en justicier, il est plus un anti-héros qu'un super-héros. Il se refuse à croire que celui qui est venu le chercher et faire de lui une espèce d'héritier puisse recourir à la violence, la violence la plus radicale, pour promouvoir ses activités de lobbyiste. Mais, l'autre révélation majeure, c'est que ce job si sérieux, qui fait et défait les hommes et les femmes de pouvoir au sommet de l'Etat américain, utilise à peu près les mêmes ficelles que celui des truands les moins reluisants... Et avec encore moins de scrupules, moins de garde-fous, servi par une puissance financière hors-norme, la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de concours...

Quirk, à travers les aventures et mésaventures de son personnage (qui va bientôt devenir un personnage hollywoodien et reviendra dans de nouveaux romans), dénonce avec férocité et pertinence ce monde si opaque des lobbyistes. Chose surprenante, alors que le flou qui les entoure serait propice à stimuler l'imagination de bien des auteurs de thrillers, ce sujet n'a pas été si souvent traité...

Bien sûr, en évoquant Quirk, on pense à Grisham. "Les 500" est souvent comparé à "la Firme", ce qui n'est pas illégitime. Mais, car il y a un mais, j'ai toujours eu du mal avec les romans de Grisham, auteur à qui je reproche de parfois ne pas être assez explicite quant aux "méchants" qu'il cible. Quirk a ce mérite d'afficher clairement la couleur d'entrée et de donner à Davies et Marcus des curriculum vitae qui ajoutent aux inquiétudes qu'on peut nourrir quant aux pouvoirs exorbitants dont disposent les lobbyistes de Washington.

Sur la forme, "les 500" est un thriller assez classique, qui prend des allures de page-turner dès que Ford décide de faire capoter les projets criminels de Davies et Marcus. Mais ne vous attendez-pas à un thriller qui révolutionne le genre, j'ai même, pour tout dire, trouvé la fin un peu angélique, pas très réaliste ou alors franchement onirique... A croire que, une fois le règlement de comptes à OK Washington terminé, le conte de fée du début peut reprendre...

Bon, je suis un peu de mauvaise foi, cette fin est assez logique, il faut plus y voir, je pense, une espèce de parabole en appelant à la moralisation des pratiques dans le nid de vipères de la capitale et appelant sans doute à nettoyer les écuries d'Augias, dont les voiles épais qui les entourent de longue date ne suffisent plus à masquer les ordures et les odeurs nauséabondes... Finies les turpitudes, dit Quirk, qui brocarde autant les méthodes des lobbyistes que les modes de vie des 500, dont l'intérêt général a cessé depuis un bail d'être la préoccupation majeure...

Resteront quand même quelques scènes d'anthologie qui valent le coup d'oeil du lecteur, comme le cambriolage dans un club très sélect que doit réaliser dans des conditions périlleuses et sans filet, Mike Ford pour remplir le premier contrat qui lui a été confié. Et puis, plus tard dans le roman, lorsque la chasse au Ford sera bien lancée, on le retrouve coincé dans une salle d'archives, ne trouvant le salut, pour se protéger des flammes, qu'en s'enfermant dans un coffre-fort qu'il réussit ensuite in extremis à crocheter de l'intérieur pour se sortir d'un piège funeste... Montée d'adrénaline garantie !

Enfin, quand j'évoque "Règlements de comptes à OK Corral", ce n'est pas pour rien, la scène finale rappelle furieusement ce film, tiré d'un célèbre épisode de l'histoire américaine, avec, toutefois, des moyens de destruction bien plus performants... Là, Ford se retrouvera devant un cas de conscience. Il devra choisir entre adopter les règles du jeu de ses adversaires (ou, plus exactement, l'absence de règles...) et respecter les limites qu'il s'est fixé.

Mais, quand on applique au quotidien le VICE, la fin ne justifie-t-elle pas les moyens ?

Encore une fois, le thriller montre qu'il est un genre parfait pour dénoncer certains travers d'une société. Evidemment, on est dans une fiction, le trait est grossi (enfin, j'espère...), mais mettre en lumière ces lobbyistes au pouvoir démesuré et qui influencent sans vergogne le choix d'élus aux convictions à géométrie variables, surtout de la part d'un journaliste spécialiste des affaires criminelles, n'a rien d'anodin. Encore moins lorsqu'un tel roman sort en pleine campagne pour les présidentielles américaines...

Nul doute que nous serons amenés à reparler de ce Matthew Quirk et de son personnage récurrent, Mark Ford et que ce nouveau talent saura faire son trou dans le petit monde des auteurs de thrillers qui comptent. Juste avec sa plume, sans l'aide de lobbyistes...


1 commentaire:

  1. Intéressant de s'attacher aux pratiqes des lobbyistes et qui plus est sous la forme d'un thriller, genre que j'apprécie beaucoup.

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