mardi 6 mai 2014

"Contre l'inconvénient de se faire une trop haute idée d'autrui, il n'est pas meilleur antidote que d'avoir, au même moment, une excellente opinion de soi-même" (Sir Walter Scott).

Ne croyez pas que je sois allé piocher un titre chez Walter Scott par hasard, même si ce n'est pas la référence première mise en avant par l'éditeur de notre roman du jour. Mais voilà, dans mon esprit (pas toujours bien ordonné...), c'est vers cet auteur que je me suis tourné. Avec un premier roman et une découverte pleine de promesses, "le Bâtard de Kosigan", de Fabien Cerutti (en grand format chez Mnémos). Un livre qui se partage entre deux époques, l'une médiévale, l'autre plus proche de nous, pour une double intrigue entre roman de chevalerie et roman policier du tournant des XIXe et XXe siècles. De l'aventure, de la bagarre, des tournois. Et des questions, plein de questions ! Le tout autour d'un personnage charismatique à souhait et d'une France revue à travers le prisme du merveilleux.





Pierre Cordwain de Kosigan ne s'en cache pas, il gagne sa vie comme mercenaire. On m'embauche et on le paye (bien) lui et son équipe pour accomplir des missions délicates, le tout, dans la plus grande discrétion. Et, dans ce domaine, il est le meilleur. Partout, la réputation de celui qu'on appelle "le Bâtard" le précède. Auprès de ses amis... comme de ses ennemis.

Né des amours d'un aristocrate bourguignon de renom, Gregor de Kosigan, et de sa cuisinière, le Bâtard a vite été chassé des terres familiales à la mort de son père. Le frère de Gregor, Borogar, comte de Bourgogne, ne pouvait tolérer la présence de cet enfant illégitime dans son entourage proche. Pierre est donc parti en exil, a donné des lettres de noblesse à sa bâtardise et a appris à tuer.

Au mois de novembre 1339, le Bâtard de Kosigan et sa troupe de mercenaires d'élite (dont nous allons, les uns après les autres, découvrir les talents, parfois surprenant), se trouvent en Champagne. Kosigan doit y participer au tournoi d'hiver, organisé en mémoire de feu le Comte de Champagne, par son épouse, la Comtesse Catherine de Champagne.

Or, Catherine n'est pas n'importe quelle Comtesse : elle descend d'un peuple elfique et elle est la dernière souveraine de ce genre en Occident, les peuples anciens ayant été traqués et décimés des siècles plus tôt par l'Eglise et son Inquisition. En outre, son comté, coincé entre deux ambitieux voisins, le royaume de France et le comté de Bourgogne, aiguise bien des convoitises...

Le tournoi d"hiver est un événement majeur de l'année. Les plus grands chevaliers viennent des quatre coins de l'Europe pour en découdre : le Prince Noir, Edward, fils aîné du roi d'Angleterre sera à Troyes pour l'occasion, comme le Bourguignon Gérard d'Auxois ou le prince Robert de Navarre, sénéchal du Roi de France...

Autant de personnalités de très haut rang, avec qui Kosigan a eu ou a encore des démêlés... D'ailleurs, il semble bien qu'on veuille profiter de la période du tournoi pour régler son compte à l'encombrant Bâtard une bonne fois pour toutes. Il n'y a pas que dans la lice, pendant le tournoi, que Kosigan risque de prendre un mauvais coup, les nuits troyennes sont bien dangereuses, à cette époque...

Mais ses amis veillent et il en faut plus au fameux Bâtard de Kosigan pour se faire piéger. Toutefois, il aimerait bien savoir qui lui en veut à ce point, et, malgré une grande force de persuasion (avec un couteau à la main, on est tout de suite plus convaincant, par exemple), il ne parvient pas à dissiper ce mystère.

Et comme tout le monde, seigneurs, épouses, vassaux, maîtresses, semble en vouloir à ce brave garçon, consciencieux et roublard, il n'est pas évident de deviner qui essaye de le laisser sur le carreau. A moins que les coups tordus pendant le tournoi soient un indice important. Ou juste une énième tentative de régler quelques comptes passés...

Pourtant, le tournoi n'est pas le seul événement important se déroulant à Troyes en ce mois de novembre. D'intenses pourparlers diplomatiques se déroulent également en marge des cérémonies. Car la Comtesse Catherine a une fille, Solenne, qui arrive en âge d'être mariée. Et, comme je l'ai dit plus haut, une alliance avec la Champagne satisferait les plus puissants seigneurs, par la position géographique du comté, mais aussi du fait des origines elfiques de cette famille.

Pas étonnant, donc, que Troyes grouille de gentilshommes de haute lignée, mais aussi d'espions, de spadassins et... de mercenaires. Reste à savoir le rôle que joue les différents protagonistes, le Bâtard de Kosigan en tête, dans ce jeu d'échecs diplomatique où cavaliers, fous, tours, reines et pions s'échangent et se renversent en réalité...

En soit, on a déjà là les ingrédients d'un excellent roman plein d'action et de surprises. Mais voilà, ce n'est pas tout ! A intervalles irréguliers, le récit du Bâtard de Kosigan s'interrompt et laisse place à une correspondance. Des lettres signées par un certain Michaël Konnigan, qui se présente comme professeur d'archéologie médiévale et qui vit entre Londres, Paris et la Russie... en 1899 !

Au fil de ces lettres, adressées à différentes personnes, on comprend que ce "Konnigan" a bien des choses à cacher... On découvre aussi qu'il vient d'hériter d'un curieux objet, un coffre magnifiquement ouvragé, qu'il a bien du mal à ouvrir. Pourtant, son contenu n'a pas fini de le surprendre et va l'entraîner dans une étrange enquête...

Des recherches qui vont surtout valoir à "Konnigan" bien des ennuis. Il va devoir se replonger dans son trouble passé, mais aussi comprendre ce qu'il a entre les mains. Et comprendre, c'est bien tout le problème, car rien ne colle, en fait... Et il semble que la révélation du contenu du coffre ne fasse pas plaisir à tout le monde.

Je n'en dis pas plus sur les liens entre ces deux époques, d'autant que je n'en sais pas beaucoup plus, même en ayant fini ce livre... De là à penser qu'une suite arrivera pour nous donner quelques réponses supplémentaires... Cela expliquerait aussi la présence d'un sous-titre, "L'ombre du pouvoir". Et je ne serais pas fâché de poursuivre l'aventure aux côtés du Bâtard et de sa troupe...

Si vous aimez les romans de chevalerie, alors, "le Bâtard de Kosigan" devrait vous plaire, car on a droit à des tournois magnifiquement décrits (Fabien Cerutti est scénariste de jeux en ligne, ça se ressent) mais aussi des scènes d'action dans différents lieux, différents contextes, en intérieur, comme en extérieur. On ne s'ennuie pas une seconde.

Mais, au format classique du roman de chevalerie, l'auteur ajoute donc de la magie et du fantastique, avec quelques créatures survivantes du temps où les peuples anciens, elfes, nains, fées, et autres, peuplaient la Terre en grand nombre. Ne vous attendez pas à des débauches de fantastique, non, ça reste léger et surtout, cela sert remarquablement l'intrigue. Pas d'esbroufe, de l'efficacité avant tout !

J'aimerais aborder d'autres aspects avec vous, mais je ne le peux pas. Eh oui, vous connaissez sans doute mon amour pour l'histoire, en romans, en polars, en fantasy, en récit, etc. Vous adorez, si, si, ne le niez pas, mes digressions dignes de cours magistraux dispensés par des professeurs passionnants et qui transmettent cet amour des faits passés. Vous dévorez avec avidité les passages de mes billets dans lesquels je remets le contexte historique en perspective...

Eh bien, ici, pas du tout. J'voudrais ben, tsoin, tsoin, tsoin, mais j'peux point, comme le chanterait Annie Cordy au meilleur de sa forme (appréciez la référence, s'il vous plaît !). Non, je ne peux pas, car ce contexte historique est en effet très important dans le déroulement du roman. Il faudra juste faire avec l'année 1339 et, sincèrement, laissez-vous porter par ce récit rondement mené jusqu'à son terme.

Dans la présentation du roman, les éditions Mnémos mettent en avant l'influence de G.R.R Martin sur le travail de Fabien Cerutti. Avis aux amateurs du Trône de Fer, donc. Mais, ce qui est amusant, c'est que Martin avoue avoir été influencé par la saga historique de Maurice Druon, "les Rois Maudits", qui se déroule dans la France du XIVe siècle... comme le Bâtard de Kosigan... On en perd sa langue d'oïl !

Je vous voir venir ! Martin trucide à tour de bras, en est-il de même chez Cerutti ? Pour être franc, il y a de la violence, dans "le Bâtard de Kosigan", y compris dans les scènes de tournoi, où les combattants ne se ménagent guère et n'en sortent qu'assez légèrement meurtris que parce que les armes utilisées sont émoussées...

Et puis, ses personnages sont du genre durs au mal, voire carrément résistant. Je n'en ai pas encore parlé, mais le Bâtard, appelons-le ainsi, a une constitution un peu particulière. Sans doute bénéficie-t-il aussi d'un métabolisme spécial... Oh, ça fait partie des questions qu'on se pose sur lui : Bâtard, d'accord, mais ne cacherait-il pas, même à son insu, d'autres secrets surprenants ?

Comment savoir ? Le Bâtard est le narrateur de la partie médiévale, sans doute se donne-t-il le beau rôle, même si, parfois, il regrette, toujours trop tard, une certaine impulsivité. Mais que voulez-vous, c'est un bagarreur né, ce garçon, et quand ça commence à barder, il fonce la tête la tête la première dans la  mêlée pour distribuer abondamment (et recevoir aussi généreusement) les horions.

Pierre Cordwain de Kosigan est un personnage formidable, charismatique, sans doute séduisant, en tout cas, il use et abuse de son charme dans le roman (et l'on comprend que ce n'est pas la première fois). Mais, méfiez-vous de lui ! C'est un rusé, un roué. Les scrupules ne l'étouffent pas et, sans être vénal, ses services vont au plus offrant. Reste qu'il passe, et ses amis avec lui, avant tout, en particulier pour les questions de sécurité. Tous prennent des risques, mais ils ont été mesurés avant. Et, si ça ne se passe pas comme prévu, alors, le facteur humain prime.

Il est impossible à cerner, ce Bâtard. Il fait ce qu'on n'attend pas, se retrouve dans des situations impossibles, s'attire les ennuis et les inimitiés comme d'autres feraient leurs courses, il donne l'impression de tout maîtriser même quand il ne maîtrise rien, et réciproquement, il a plusieurs coups d'avance... A moins qu'il ne bluffe...

Pardonnez-moi cette référence pour le moins anachronique : il me fait penser à Hannibal Smith et ses amis mercenaires, c'est l'Agence Tous Risques, mais version médiévale. Je dois même vous avouer que j'ai songé un bon moment à intitulé ce billet : "J'adore qu'un plan se déroule sans accroc", suivant la fameuse maxime cher au personnage qu'incarnait George Peppard dans la série...

Insaisissable, comme tous ces héros qui ont fait la gloire des romans de chevalerie, les Robin des Bois, les Ivanhoé et tant d'autres qu'on imitait, enfants, dans nos jardins, nos cours de récréation, en rêvant que nous portions l'armure et l'épée en chevauchant un fier destrier... Insaisissable dans tous les sens du mot, physiquement, comme intellectuellement.

Oui, on tient là un grand personnage romanesque, à la fois fascinant et imparfait, altruiste et pourtant très égocentrique, gentil mais auquel on ne doit pas forcément se fier, héroïque et rebelle, mais ne crachant certainement pas sur l'argent qui reste sa motivation, coeur pur, sans doute, mais qui brûle de se venger un jour de ceux qui l'ont chassé de son domaine familial...

Le Bâtard de Kosigan n'est pas un personnage unidimensionnel et monolithique, non, il est riche, complexe, profond, imprévisible, sans doute un peu cinglé, mystérieux, même pour lui-même, redoutable et rancunier, séduisant mais volontiers menteur et trompeur. Ce Bâtard, wesh, c'est trop un mec que je kiffe ! Hum... Veuillez m'excuser pour ce débordement coupable, ça ne se reproduira plus...

Oui, j'ai aimé ce roman, ses situations pleines de bruit et de fureur, mais aussi de raffinement et de cruauté. J'ai aimé ces personnages hauts en couleur, bien tranchés, avec des gentils qu'il ne faut pas trio chercher quand même, sinon, ça avoine, et des méchants plein de morgue et de duplicité, imbus d'eux-mêmes, sûrs d'être dans leur bon droit en toutes circonstances, même lorsqu'ils violent toutes les convenances.

Des archétypes, mais sans tomber dans la parodie ou la caricature. La magie et le fantastique viennent ajouter un petit plus, sans là non plus, tomber dans les Deux ex Machina faciles. Tout est cadré au millimètre, avec la précision d'une horlogerie suisse. Le lecteur est baladé par le bout du nez et fini par ne plus savoir à quels saints se vouer...

Et en plus, il est fort possible que tout ce que je viens de dire n'ait aucun sens !

Alors, oui, on tient là une vraie découverte que vous partagerez avec nous, j'espère. En attendant de retrouver Pierre Cordwain de Kosigan et sa troupe de joyeux drilles (si, si, j'ose !) dans de nouvelles aventures qui, espérons-le (ou pas, d'ailleurs) nous apporterons quelques éclaircissements... Même si c'est rudement bon de se faire trimbaler gentiment par un auteur et ses personnages !

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