lundi 16 mars 2015

"Marseille est ville de lumière. Et de vent. Ce fameux mistral qui s'engouffre dans le haut de ses ruelles et balaie tout jusqu'à la mer" (Jean-Claude Izzo).

Jean-Claude Izzo, pour évoquer Marseille, personnage central de notre roman du jour, quoi de plus logique ? Et même si ce n'est pas le Marseille qu'arpente Fabio Montale, puisqu'on sera dans un autre siècle, cette citation colle parfaitement. Un premier roman, vivant, épique, remarquablement construit et qui nous présente un événement historique méconnu, en tout cas, que j'ignorais personnellement. "Royaume de vent et de colères" (aux éditions ActuSF), de Jean-Laurent Del Socorro, nous emmène dans la cité phocéenne à la fin du XVIe siècle et nous propose un roman historique, d'aventure, de cape et d'épée et même, de fantasy. Je rassure tout de suite ceux que ce dernier mot pourrait effrayer, il y a effectivement un peu de magie, mais franchement, c'est léger ça passe tout seul. Le reste, c'est un roman choral avec des personnages riches et profonds qu'on découvre au fil des pages jusqu'à un dénouement attendu, redouté, une page qui va se tourner. Pour la ville comme pour les personnages.



Février 1596. Voilà 5 années que Charles de Casaulx, leader de la Ligue à Marseille, s'est auto-proclamé Consul, à la tête d'une cité phocéenne devenue République. L'homme, qui a le soutien d'une grande partie de la population, refuse d'accepter Henri IV, protestant converti, comme légitime roi de France. Alors que le souverain a repris Paris, Marseille est la dernière enclave de son royaume qui ne reconnaît pas son règne.

Henri IV décide de lancer ses troupes plein sud pour faire tomber cette République et enfin étendre son pouvoir sur la totalité de son Royaume. Avec l'espoir, enfin, de tourner la page des guerres de religion, près d'un quart de siècle après la Saint-Barthélémy. Mais, Casaulx et ses partisans ne l'entendent pas de cette oreille et, bénéficiant d'alliances, certes fragiles, avec la Savoie et l'Espagne, ils se préparent à résister.

C'est dans ce contexte que le lecteur entre à la Roue de la Fortune, une auberge marseillaise bien achalandée. Le lieu est propre, on y mange bien, l'accueil y est cordial... La réputation du lieu dépasse largement les limites de la ville et nombreux sont les habitués et les gens de passage à s'y retrouver. Voilà notre principale unité de lieu.

Axelle est la patronne de la Roue de la Fortune. Depuis quelques années, elle a pris les commandes de cette auberge avec son époux, Gilles, faisant table rase d'un tumultueux passé, qui la démange encore parfois. La dynamique jeune femme, qui a récemment donné naissance à une fille, n'est pas seulement connue pour la qualité de sa cuisine et son caractère bien trempé, mais aussi pour sa peau noire, peu courante encore en Métropole, à cette époque.

Cette semaine-là, l'auberge est bien remplie, comme souvent. On y croise Victoire, Une vieille femme, d'allure plutôt noble et austère. Mais qu cache bien son jeu. Car, Marseille n'a aucun secret pour elle, elle connaît la ville comme sa poche pour y avoir exercé des activités peu avouables pendant de nombreuses années. Et, si elle est là, c'est pour mettre un plan à exécution. Sans doute son dernier plan.

Gabriel lui aussi, loge à la Roue de la Fortune. Un client permanent depuis longtemps. Un vieux chevalier qui, de temps à autre, de rechigne pas à donner quelques cours d'escrime à Axelle. Débonnaire en apparence, il cache lui aussi de sombres secrets et surtout, il est rongé depuis bien longtemps par une effroyable culpabilité. Pour lui aussi, l'heure d'expier tout cela approche.

Enfin, il y a Armand. Lui n'est pas seul. Il s'est installé avec son compagnon Rolland, dans l'attente du bateau qui pourra leur permettre de quitter la France. Car les deux hommes sont en fuite. On le comprend rapidement. Et pas uniquement en raison de leur intimité. Ils sont Artbonniers et possèdent des savoirs qui pourraient pousser leurs poursuivants éventuels à vouloir les faire disparaître. Le temps presse aussi parce que la santé de Rolland semble plus que fragile.

Axelle, Victoire, Gabriel et Armand sont nos narrateurs. En alternance, ils sont le centre des chapitres d'un roman découpé en trois parties. Ah, stop, je n'en dis pas plus, surtout si vous ne connaissez pas, comme c'était mon cas avant d'ouvrir ce roman, l'épisode historique en question. Mais je vais quand même vous parlez d'eux, sans en dévoiler plus que nécessaire.

Pas sur leur histoire personnelle, qui va se dévoiler peu à peu au lecteur par une ingénieuse construction narrative qui donne un pep's fou à cette histoire. La deuxième partie, qui s'intéresse de près à ces quatre-là, utilise des chapitres très brefs, très vif, donnant presque un effet stroboscopique à la lecture, mais lui confère aussi quelque chose de terriblement addictif, dans l'envie de suivre les trajectoires agitées des uns et des autres.

Non, ce qui m'intéresse dans ce billet, c'est de vous parler de leurs caractères, qui éclairent le titre du roman, très beau titre, au passage. On comprend mieux ce pluriel au mot "colères", car voilà ce qui les anime, ce qui les alimente, ce qui leur donne une raison de vivre. Chacun d'entre eux à en lui une colère immense qui couve, parfois contradictoires entre elles, et qui ne demande qu'à exploser.

Une colère née de ce passé qui est le leur, des vicissitudes et des injustices de l'existence, de vie pas vraiment choisies, mais plus subies. Sans oublier cette culpabilité, que j'ai évoquée plus haut pour Gabriel, mais qui vaut aussi pour les trois autres. La tension qui monte dans la ville à l'approche des troupes royales pourrai bien aussi mettre le feu à ces poudres-là.

Axelle, la volcanique, la bagarreuse, Victoire, la forte femme, qui a su s'imposer malgré le mépris et la défiance des hommes qui l'entouraient, Gabriel, hanté par ses souvenirs et se nourrissant de la haine qu'il ressent pour lui-même, pour sa lâcheté, Armand, trompé, bafoué, condamné malgré lui, amoureux clandestin et qui refuse le destin tracé pour lui, inéluctable.

Voilà ces personnages tellement différents les uns des autres qui, rassemblés à la Roue de la Fortune, vont tous participer, plus ou moins directement, aux événements qui vont se dérouler à Marseille en ce mois de février 1596. Leurs rôles, leurs motivations, leurs actes, leurs forces mais aussi leurs faiblesses, c'est tout l'enjeu du roman de Jean-Laurent Del Socorro.

Et puis, il y a Marseille. La ville n'est pas seulement un décor. Sa position géographique en fait un personnage-clé de l'histoire. Là encore, je n'entre pas dans les détails, mais Jean-Laurent Del Socorro n'a rien inventé. En particulier, ce vent, qu'on retrouve dans le titre, aux côtés des colères. Ce vent qui rend fou, dit-on, le mistral.

D'aucuns verraient rapidement un signe (divin ?) dans le rôle que va jouer le mistral dans cette affaire. Mais, au-delà de ça, ce vent fripon a le don de taper sur les nerfs et donc d'accentuer un peu plus les tensions qui s'exacerbent. Il attise, comme de nos jours les incendies de forêt qui frappent régulièrement la Provence.

Et le souffle de ce roman n'est pas seulement éolien, il est aussi épique (ça, c'est de la transition !). Au-delà du pur aspect historique, que Jean-Laurent Del Socorro respecte scrupuleusement, même s'il l'adapte dans son final pour les besoins de sa trame romanesque, il crée quatre magnifiques destins qu'il nous raconte comme si on y était.

Là encore, on ne nous épargne ni bruit, ni fureur, ni sang. Des champs de bataille, nombreux en cette époque tourmentée, aux quais de Marseille où les savonniers ont des activités bien moins nobles que la transformation d'huile d'olive en savon, sans oublier la quiétude qui devrait régner sur un monastère, tous ces décors sont propices aux aventures.

Chaque personnage en a eu son content avant d'arriver à la Roue de la Fortune et le prologue du roman a des airs d'oeil du cyclone, d'accalmie avant que la tempête ne se déchaîne encore plus sauvagement. Un temps de pause. Avant le dénouement qui va décider du sort de nos quatre personnages.

Tous, on s'en doute, ne sortiront pas indemnes de cette affaire, mais ceux qui en réchapperont verront, à l'image de la France et de la ville de Marseille, une page se tourner et une nouvelle ère débuter. Certains seront vus comme des héros ou comme des traîtres, selon le point de vue, d'autres vont chercher à sauver leur peau, à avancer, mais tous vont foncer tête baissée quand les événements vont se précipiter.

Dans l'interview qu'on peut lire en fin d'ouvrage, Jean-Laurent Del Socorro explique se sentir plus à l'aise dans les formats courts, en particulier la nouvelle. Pourtant, ce premier roman est une vraie réussite pour le lecteur que je suis. Peut-être parce que, d'une certaine manière, il s'agit d'un faisceau de nouvelles mettant en scène chacune un personnage, rassemblées et mixées pour converger vers ce mois de février 1596.

En lisant "Royaume de vent et de colères", j'ai pensé à un autre auteur de la région, l'Aixois Jean d'Aillon. Il n'y a pas chez Del Socorro la profusion d'informations qu'on peut trouver chez le créateur du personnage d'Olivier Hauteville et qui font de ses livres une véritable chronique de l'époque. Mais, j'y ai retrouvé la même passion de l'histoire et le même souffle qui anime les personnages.

La magie, que j'ai brièvement évoquée, reste très légère, mais tient tout de même un rôle très important pour l'un des personnages, surtout en influant sur son destin de différentes manières. Mais, je le redis, si cette présence vous inquiète, vous effraie, passez outre, je ne pense pas que vous serez déçu, c'est même un petit plus imaginaire qui amène un grain de sel supplémentaire.

Un dernier mot, puisque j'ai évoqué le goût de l'auteur pour les nouvelles, Le livre s'achève par un court texte, dans lequel on découvre un peu mieux deux personnages secondaires du roman, Gabin, le jeune commis qui travaille à la Roue de la Fortune, et Silas, le sicaire maure, dont le rôle dans les événements de février 1596 est obscur mais fondamental.

Un texte qui éclaire certains aspects du roman que, de par la construction narrative, Jean-Laurent Del Socorro ne pouvait développer dans le corps de son texte principal. Et je dois dire que Gabin, ce "gamin sans aime", comme il se surnomme, n'en devient que plus attachant. Un minot, un vrai, et un sacré petit bonhomme.

Et cette nouvelle, qui ne dénote pas du roman, au contraire, dont il est une sorte de "spin-off" pour employer un jargon bien contemporain, permet de terminer agréablement ce bon moment de lecture. Bravo à ActuSF d'avoir encore une fois su dénicher un nouveau talent français dans le domaine de l'imaginaire. Dont on attendra avec impatience la confirmation.

1 commentaire:

  1. J'ai tellement pensé à Jean d'Aillon que je lui ai suggéré la lecture du Del Sorocco :)

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