mercredi 8 juillet 2015

"La ville garde toujours son visage impassible. Elle ne se soucie pas plus des oeuvres du démon que de celles de Dieu ou de l'homme. La ville s'y connaît en ténèbres et les ténèbres lui suffisent" (Stephen King).

Ce n'est pas à Salem (roman dont est tirée la citation ci-dessus) que nous partons aujourd'hui, mais dans une ville bien différente, avec, toutefois, un point commun : il plane sur cette cité une ombre ténébreuse et dangereuse. Voilà un roman de fantasy très agréable qui réussit à planter son décor sans être ennuyeux une seconde, parvient à entretenir une atmosphère oppressante sans oublier de glisser un peu d'humour. Avec "Le héraut de la tempête", s'ouvre le cycle de Richard Ford intitulé "Havrefer" (en grand format chez Bragelonne). Havrefer... Une ville qui fut prospère et puissante, un exemple, un phare, et qui connaît désormais des temps plus difficiles et se voit menacée d'envahissement par un adversaire qui ne fera pas de quartier. Un contexte présent mais encore assez discret, car c'est bien dans les murs de Havrefer que se déroule ce premier tome, plein de drames, d'intrigues, de mystères et qui nous présente une belle galerie de personnages qui vont s'animer et se croiser sous nos yeux, dans une construction narrative audacieuse.



Havrefer est une cité portuaire dont la puissance rayonnait sur l'ensemble des Etats Libres. Cette puissance était le fruit de la politique éclairé de son roi, Cael, surnommé l'Unificateur. Mais, cette histoire là, c'est du passé. Cael est désormais loin de sa ville et de son trône, parti guerroyer bien loin pour défendre les Etats Libres.

Il s'agit d'empêcher les troupes du terrible Amon Tugha de déferler sur les Etats Libres et de mettre un terme à la période de paix que Cael a su installer. On va comprendre, au fil des rares informations qui arrivent du front, que les troupes de Cael ont fort à faire et ont toutes les peines du monde à empêcher l'ennemi de déferler sur Havrefer...

Pendant ce temps, la ville, privée de son monarque, sombre dans le chaos. La situation extérieure n'est pas étrangère à ce basculement, mais des forces internes sont aussi à l'oeuvre, à commencer par la Guilde. Cette société secrète, qui gère toute l'économie souterraine et illégale de Havrefer, semble être devenue le véritable pouvoir dans la cité. Et cherche à l'asseoir un peu plus.

C'est donc dans ce contexte tendu que s'ouvre le livre, dans une cité qui n'est plus que l'ombre de ce qu'elle a été. Sale, appauvrie, en proie aux bandits, à la violence, sans même parler des espions et des tueurs qui rôdent un peu partout dans des rues qui n'ont plus grand-chose d'accueillant pour celui qui s'y retrouve.

Janessa est la fille du roi Cael. Elle n'est encore qu'une adolescente insouciante, profitant de la vie dans son palais et s'amusant avec sa meilleure amie, Graye, bien loin des questions politiques et du pouvoir. Bien sûr, elle garde en tête son père bien-aimé et s'inquiète pour lui, mais elle reste avant tout une jeune femme de son âge.

Chaperonnée par le fidèle Odaka, homme de confiance du roi Cael, sorte de régent en l'absence du roi, même s'il n'en a pas le titre, Janessa va pourtant bientôt devoir grandir et devenir adulte et responsable, malgré elle... Une situation délicate à appréhender mais qui va surtout la placer sous une menace directe.

Kaira Feuillevent, pour sa part, se destine à une carrière religieuse. Un peu particulière, car les jeunes femmes qui servent le dieu Arlor sont autant des prêtresses que des guerrières. Lorsque nous faisons sa connaissance, Kaira vit au Temple d'Automne et encadre les novices. Remarquable combattante, elle doit pourtant se méfier d'un caractère impétueux qui pourrait bien lui jouer des tours...

Lorsque sa supérieure vient lui confier, ainsi qu'à sa meilleure amie, Samina, une importante mission elle en est très honorée. Mais elle est aussi inquiète, car elle sait qu'aucune erreur, aucune faute ne sera tolérée. Vous vous en doutez, les choses vont tourner au vinaigre et la vie de Kaira va basculer. Sa rédemption passera par un changement de cap radical.

Merrick Ryder est un beau gosse. Il le sait, il en joue, il en vit. En effet, le jeune homme, joueur invétéré, toujours en quête d'argent sans jamais trop se fouler, a choisi la carrière d'escroc et de gigolo pour s'assurer un revenu suffisant. Mais, à Havrefer, il commence à être connu pour le loup blanc et sa dernière conquête l'a rapidement démasqué.

La vie de Merrick ne tient alors plus qu'à un fil. Au mieux, il va s'en tirer avec une bonne raclée, au pire, sa dernière heure est venue... Sauvé in extremis, le voilà aux mains de la Guilde qui voudrait s'assurer ses services pour une mission où son bagout et son pouvoir de séduction seront utiles. Mais acceptera-t-il de vendre son âme au diable en s'acquittant d'une mission qui le dégoûte ?

Loque est une gamine des rues. Un vrai personnage à la Dickens, qui vit de petits larcins pour manger chaque jour, si possible. Elle vit au sein d'un groupe d'orphelins, comme elle, livrés à eux-mêmes et survivant comme ils peuvent dans Havrefer. Pour eux, le danger n'est pas symbolisé par les Manteaux Verts, la police de Havrefer, mais par la Guilde qui apprécie moyennement qu'on marche sur ses plates-bandes...

Loque est l'un des voleuses les plus douées du groupe. Jusqu'au jour où elle est le témoin d'un drame. Désormais, rien ne sera plus pareil. Les événements vont la pousser à quitter le groupe d'orphelins auquel elle appartenait pour tenter sa chance auprès de la Guilde. Mais, l'enfant peut-elle espérer y faire son trou, parmi d'impitoyables malandrins ?

Nobul Jacks est forgeron. Cet ancien soldat est même devenu l'un des artisans les plus en vue de Havrefer. L'extrême qualité des armes qu'il fabrique a fait sa réputation et le travail ne manque pas. Pourtant, il lui faut faire avec le racket qu'exerce la Guilde sur les activités légales de la cité. Taiseux, Nobul paye sans rechigner, mais cela ampute sensiblement ses revenus.

Nobul est veuf et il se consacre tout à son métier et à l'éducation de son jeune fils. Avec ce dernier, il se montre autoritaire, parfois même brutal, au point que l'enfant a tendance a prendre la poudre d'escampette le plus souvent possible. Un jour, l'histoire tourne mal et Nobul laisse alors sa vie de père, d'époux et d'artisan derrière lui pour se lancer dans une quête de justice...

Waylian Grimm, c'est un peu l'anti-Harry Potter. Venu d'une province lointaine pour apprendre la malégie dans le meilleur établissement de Havrefer, le pauvre garçon a bien du mal. Il est le souffre-douleur de Gelredida, sa magistra, qui l'asticote et se moque de lui sans cesse. Sans cesse largué lors des cours, incapable de concrétiser son enseignement, il est au bord du découragement.

Il songe même à faire ses bagages et à rentrer dans sa province natale, auprès de sa famille, et d'y vivre la vie paisible mais peu excitante qu'il aurait dû suivre si ses capacités scolaires n'avaient pas été remarquées. Pourtant, à sa grande surprise, c'est lui que Gelredida va choisir pour l'épauler dans une enquête de tous les dangers...

Enfin, il y a Rivière. En un mot comme en cent, Rivière est un assassin. Une tradition familiale, qui se transmet de père en fils. Rivière est une ombre, mortelle, redoutablement efficace, capable d'accomplir les contrats les plus délicats. Mais le jeune homme est aussi encore assez inexpérimenté et il lui arrive de commettre des erreurs de débutant...

Comme laisser derrière lui un témoin gênant. Une gaffe qui va lui valoir bien plus que les remontrances paternelles, pourtant sévères. Non, c'est une totale remise en cause de ce qu'il est, de ce qu'il fait, qui va s'opérer. Et ses talents particuliers de tueur froid ne seront pas de trop pour mener à bien cette émancipation fort risquée...

Voilà les personnages que l'on suit dans ce premier tome de "Havrefer". J'ai choisi de les présenter ainsi, car Richard Ford lui-même les présente de cette façon : les 7 premiers chapitres ne semblent ainsi avoir aucun lien les uns avec les autres, puisque les personnages ne se connaissent pas, n'évoluent pas dans les mêmes sphères, ni les mêmes quartiers.

Et pourtant, les intrigues croisées qui vont se dérouler vont amener les uns et les autres à se rencontrer, à interférer les uns avec les autres. Le début de la lecture est assez étrange, car on ne sait pas du tout où Richard Ford veut nous emmener. Mais, avec ce système, en posant plein de questions, l'auteur parvient à installer son univers sans que cela soit fastidieux.

C'est souvent un écueil des cycles de fantasy : construire l'univers et le présenter au lecteur, pour qu'il y trouve des repères. C'est évidemment indispensable, sauf qu'on ne peut servir une espèce de manuel scolaire d'histoire-géo, rébarbatif à souhait et susceptible de faire fuir à toutes jambes le lecteur vers d'autres contrées, vers d'autres livres.

La particularité de cette construction narrative, c'est que, justement, il nous emmène à travers toute la ville, comme une visité guidée, d'un quartier à l'autre, d'une classe sociale à l'autre, d'une histoire à l'autre. Et, bien que déroutant au départ, c'est finalement très réussi, car on ne s'ennuie pas une minute afin de cerner les rôles des uns et des autres.

Il manque tout de même un personnage. Curieusement, vous direz-vous, je n'ai pas commencé avec lui alors que c'est le premier personnage qu'on voit lorsqu'on commence la lecture. Mais, il y a plusieurs raisons à cela : Massoum Abbassi n'est pas citoyen de Havrefer, contrairement aux autres, et surtout, sa vie ne sera pas complètement bouleversée entre le début et la fin du roman.

Je l'ai aussi mis à part, car c'est également celui qu'on voit le moins dans ce premier tome, alors que son rôle est très important. Cet homme est un diplomate. En tout cas, c'est ainsi qu'il se présente... Il vient d'au-delà des mers et sa mission reste bien floue. Et plus que son origine, ce sont ses contacts dans Havrefer qui ont de quoi intriguer...

On l'a dit, Havrefer n'est plus la cité glorieuse qu'elle fut quelques années plus tôt encore. Cela se ressent à travers la présence de ces enfants orphelins et mendiants auxquels appartient Loque, par exemple. L'omniprésence de la Guilde, qui semble avoir mis la ville en coupes réglées, met en évidence la vacance d'un pouvoir fort à Havrefer en l'absence du roi.

Dans cette ambiance difficile, instable, incertaine quant à l'avenir du conflit, Havrefer va aussi connaître des événements inquiétants qui laissent à penser qu'une autre puissance, dangereuse, violente, est tapie en ses murs... Ce sera également un des enjeux de ce premier tome de définir ce nouveau péril, capable de faire vaciller un peu plus la cité sur ses bases et de l'affaiblir encore...

Malgré tout, malgré la tension, les craintes, la noirceur, Richard Ford n'oublie pas l'humour. Le romancier, taquin, nous offre un personnage d'apprenti magicien qui rappelle furieusement Harry Potter, en plus maladroit. Ce personnage est un vrai ressort comique, ce qui ne l'empêche pas de tenir un rôle-clé dans l'histoire.

Lorsque s'achève ce premier tome, le lecteur se retrouve bien démuni : non seulement il manque encore des informations plus précises sur la menace extérieure qui pèse et se rapproche dangereusement de Havrefer, mais les différents personnages ont tant évolué entre les premières et les dernières pages qu'on voudrait voir quel rôle ils vont être appelés à tenir à l'avenir.

Installés dans de nouvelles positions, de nouvelles responsabilités, on est curieux de voir ce qu'il adviendra d'eux dans une ville (ou ailleurs...) qui pourrait bien devenir très rapidement l'objet d'un siège forcément terrible à vivre. On voudrait aussi que les véritables alliances, les enjeux et les forces en présence se dévoilent clairement... Vivement le tome 2 ! Qui sera certainement tout aussi riche en aventures que ce premier volet.

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