lundi 14 septembre 2015

"Jal, Celui-qui-ose".

Voilà un livre dont j'aurais dû vous parler fin mai, début juin, puisqu'il faisait partie des lectures me permettant d'alimenter une rencontre lors des dernières Imaginales. Et puis, un peu de friture sur la ligne, un exemplaire récupéré en catastrophe, les premières pages lues en catastrophe la veille au soir... Depuis, le livre dormait sagement sur une pile, mais l'envie de le reprendre et, cette fois, d'aller au bout, restait forte. Et j'ai passé un bon moment dans cette vallée de Thorkel, même si l'atmosphère y est plutôt belliqueuse. Avec "le septième Guerrier-Mage" (en grand format chez Bragelonne), j'ai découvert l'univers de Paul Beorn, où l'ironie apparente n'empêche pas de proposer des situations difficiles, voire graves, et de parler de sujets sérieux, comme l'aspiration légitime de chacun à la liberté. De la fantasy somme toute assez classique, mais divertissante et proposant une galerie de personnages assez hauts en couleur.



Lorsque Jal se réveille, ce jour-là, il est bien mal en point. Blessé, et salement, il agonise en plein air dans une région paumée qu'il cherchait, ça il s'en souvient à peu près, à fuir. Oui, Jal est un déserteur qui s'était fait la malle avec deux complices, Grand Hulan et Petit Joss, et un précieux butin razzié discrètement lors du pillage d'un monastère.

Mais, leur cavale n'est donc pas allée très loin et Jal semble bien être le seul survivant de cette épopée. Et quand je dis seul, cela comprend l'escouade de poursuivants qui cherchaient à les rattraper... Près d'une vingtaine de cadavres entoure Jal, sans qu'il puisse s'expliquer comment ce massacre a pu se produire... Car Jal a la mémoire qui flanche. Le choc, sans doute.

Seule a survécu Gloutonne, une écureuil à l'étonnante histoire (non, n'insistez pas, je ne dirai rien), qui est devenue la seule amie de Jal, sa compagne de voyage et sans doute, le seul être auquel ce garçon se soit jamais attaché... Un soulagement, pour le jeune homme, qui ne se verrait pas continuer sans elle à ses côtés...

Pour autant, la situation de Jal est loin d'être idéale. Le voilà aux mains de villageois qui n'ont pas l'air très accueillants. En fait, ce n'est pas tant l'accueil que leur origine qui pose problème : Jal, qui est Sudien, est désormais entre les mains de Skaviens, les ennemis héréditaires de son peuple... Le village le plus proche en est rempli et, vu son état, il est à leur merci...

Mais Jal n'est pas au bout de ses surprises. D'abord, parce que les Skaviens locaux ne vont pas l'achever, ouf ! Ensuite, parce qu'ils vont le confier à Nola, une ravissante Alfing (un des autres peuples de ce monde), qui sert d'assistante au guérisseur du village mais qui est, en fait, son souffre-douleur. Un coeur pur, Nola, qui veille avec grand soin sur son jeune frère, Paol.

Il y a toutefois une petite contrepartie au fait que le village accueille ce soldat ennemi : qu'il s'engage à défendre ce lieu tranquille, encore épargné par l'effroyable guerre qui fait rage sur tout le continent, contre tout visiteur inopportun. Dans son triste état, difficile de refuser, même si le déserteur n'entend pas s'éterniser ici et filer sous d'autres cieux dès qu'il en sera capable...

Rapidement, il va avoir l'occasion de prouver sa valeur et surtout d'honorer son serment : d'autres déserteurs, venus d'autres régiments, originaires d'autres peuples, ont eux aussi trouvé le chemin du village et leurs intentions n'ont rien de pacifiques. Des pillards sans foi, ni loi, près à tout raser, tout razzier, comme de sinistres éclaireurs des armées déchaînées qui détruisent tout sur leur passage.

Là encore, à sa grande surprise, il va faire preuve de capacités exceptionnelles et ramène les pillards à la raison. Le voilà dans le costume du sauveur qu'on lui a imposé... Et, à sa grande surprise, Dame Rikken, une espèce d'amazone pas très commode qui appartient à l'aristocratie locale, le présente comme un Guerrier-Mage. Un Guerrier-Mage, lui ? Et puis quoi, encore ?

Pourtant, ce qu'il a fait face aux déserteurs a de quoi marquer les esprits de villageois, guère ravis de recevoir un Sudien chez eux et de voir leur sécurité dépendre de lui... Avant d'être adopté, il va falloir en dézinguer, du barbare ! Car, même le Ka, le chef du village, ne l'a pas franchement à la bonne. Ca tombe bien, Jal n'a aucune affection pour des Skaviens qu'on lui a toujours appris à détester...

Mais, bientôt, la menace se précise, les armées du Vieux Dragon, qui pratique la politique de la terre brûlée, ne sont plus très loin de la vallée de Thorkel. Malgré ses doutes, malgré ses ressentiments, malgré l'impression d'être un paria, malgré son envie de fuir, il va devoir fédérer toute cette turbulente communauté pour combattre un adversaire tellement puissant qu'on tremble rien que d'y penser...

Et, pendant ce temps-là, dans l'esprit de Jal, reviennent en boucle les préceptes du mystérieux Maître Hokoun. Un enseignement bien particulier, le lecteur s'en rendra vite compte, qui reste un peu nébuleux dans l'esprit du jeune guerrier. Il ne sait pas ce qu'il fait là, mais il se passerait bien de cette voix intérieure qui le harcèle. Tout comme ces cauchemars terribles qui l'épuisent dès qu'il s'endort.

Ce préambule paraît un peu long, et pourtant, il ne fait que planter le décor de ce roman de près de 530 pages, rempli d'action, de combats, mais aussi d'humour, on reviendra sur cet aspect particulier. Je ne vais pas aller plus loin, soyez rassurés, et j'ai laissé beaucoup de choses dans l'ombre, promis. Mais il fallait cela pour présenter les enjeux de ce livre.

"Le septième Guerrier-Mage" n'est pas sans rappeler, dans une version fantasy, l'histoire des "Sept Samouraïs" ou de son remake western, "les Sept Mercenaires". Un village à défendre contre une force supérieure et impitoyable et la tache confiée à un groupe restreint d'individus qui va devoir se débrouiller avec les moyens du bord et un courage proche de l'inconscience.

Ici, on le comprend rapidement, c'est la magie qui va vite marquer le récit de son sceau et sa maîtrise sera quelque chose de très important, ne serait-ce que pour repousser l'échéance inéluctable d'une destruction annoncée de Thorkel et de ses habitants. Mais, celui qui concentre l'attention, c'est le personnage de Jal, qu'on cerne difficilement en début de livre.

Pour une simple raison : lui-même ne se cerne plus vraiment ! Le passé de Jal est bien flou dans sa mémoire, à peine se rappelle-t-il de la manière dont il s'est retrouvé dans la vallée de Thorkel. Le reste... Une amnésie qui semble cacher de biens noirs souvenirs et une enfance bien douloureuse. Qui est donc Jal ?

L'un des axes du récit pourrait se résumer en un fameux adage : l'union fait la force. Oui, mais voilà, la population de la vallée est, certes, à majorité skavienne, mais ses renforts, eux, sont issus d'autres peuples, souvent ennemis. Quant aux Skaviens eux-mêmes, il leur arrive de se montrer assez fourbes et changeants, au point de faire passer leurs préjugés devant la survie de leur village.

Jal, bombardé chef de la défense du village, va devoir évidemment faire avec cela, les trahisons, les haines recuites, la méfiance qui devient vite défiance, et aplanir ces différences difficilement surmontables pour parvenir à opposer à l'adversaire un front uni, à défaut d'être aguerri, équipé et assez nombreux pour faire face.

Il faut alors miser sur l'effet de surprise, sur une organisation défensive mise en place en catastrophe, mais capable de retarder un peu un ennemi aussi déterminé, ou encore sur la connaissance parfaite d'un terrain qui cache quelques pièges mais aussi quelques parcours invisibles à ceux qui n'ont jamais mis le pied sur les rives de Thorkel.

L'autre, c'est évidemment le combat intérieur que mène Jal pour comprendre qui il est et d'où il vient. Une lutte difficile, pénible, qui met au supplice le jeune homme, capable, en quelques instants, de passer du guerrier inflexible à un enfant apeuré et larmoyant. C'est un personnage complexe, en tout cas, tant qu'on ne possède pas toutes les clés, tiraillé entre des objectifs et des émotions diamétralement opposés.

C'est un déserteur, un homme qui en a soupé, de la guerre, des massacres, des pillages... Il ne veut plus tuer et, paradoxalement, lui qui ne rêve que de se trouver un petit coin tranquille pour mener une existence paisible, le revoilà lancé au coeur du combat, contre ses propres camarades et face au rouleau compresseur lancé vers lui à toute vapeur...

Ce à quoi aspire véritablement Jal, c'est à la liberté. A se libérer de son état de guerrier, je viens de le dire, mais surtout, de ce passé qui, il le sent bien, le ronge, même s'il ne s'en souvient plus... Rompre avec l'arbitraire et la tyrannie pour mener son existence comme il l'entend. C'est d'ailleurs, le seul véritable point commun qu'il a avec les habitants du village, puisque ceux-ci, presque comme coupés du monde, vivent dans un petit paradis qu'ils entendent préserver coûte que coûte.

Cette quête de liberté et la manière dont les événements la contrecarrent est vraiment très bien mené, car les obstacles devant Jal sont non seulement nombreux mais aussi presque insurmontables, au moins en apparence, et sans un petit coup de pouce (des amis ou de la magie). Et la recherche de son passé, qui se dévoile, peu à peu, mais ne se révélera dans son ensemble qu'en toute fin de livre, est très intéressante.

Un dernier point que je voulais aborder, c'est l'humour. D'abord, parce que Jal, qui est le narrateur, nous relate ses aventures avec une ironie très agréable pour le lecteur que je suis. Malgré les moments difficiles, douloureux, même, il garde toujours ce côté pince-sans-rire avec lequel il essaye de dédramatiser des situations pas toujours simples. Politesse du désespoir, sans doute.

A cela, viennent s'ajouter quelques scènes amusantes, car, malgré la guerre et le danger et les haines, etc., ces aventures ne sont jamais complètement dramatiques. On joue même sur certains running-gags, dont un, pardonnez-moi, m'a marqué. Un long passage au cours duquel Jal va se retrouver sans pantalon, les fesses et le reste à l'air, le tout, occasionnant effectivement quelques échanges cocasses, là encore, alors qu'on est plutôt dans un moment de forte tension.

Paul Beorn propose ici un roman classique, dans le fond comme dans la forme. Pas de révolution, mais de la belle ouvrage, agréable à lire, sans se prendre la tête. On s'attache à un cercle précis de personnages (j'en ai cité certains, mais vous en découvrirez d'autres au fil de votre lecture), on a envie d'en écrabouiller d'autres. J'ai pris du plaisir à cette histoire, pleine de rebondissements et d'action.

Car, j'en ai volontairement peu parlé, pour ne pas trop déflorer, mais les combats et la magie permettent de nous offrir quelques scènes particulièrement spectaculaires, qui prennent un relief intéressant grâce à l'écriture très visuelle de Paul Beorn. Un style qui permet aussi de matérialiser la lutte entre le bien et le mal, entre l'ombre et la lumière, entre la liberté et la soumission, qui sont au coeur de ce récit.

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