dimanche 13 novembre 2011

"L'opéra, c'est moi !"

Une citation, non pas du personnage dont nous allons parler, mais extraite de sa biographie romanesque écrite par Vincent Borel. Le personnage en question, c'est Lully, le fameux musicien de l'époque de Louis XIV, personnage central et narrateur (voilà une des originalités de la chose) de "Baptiste", sorti en poche chez Points Seuil, et la phrase fait bien sûr référence à la fameuse phrase du Roi Soleil : "l'Etat, c'est moi !".



"Baptiste", c'est le récit d'une ascension exceptionnelle, celle d'un homme que ni la naissance, ni le caractère, mi les moeurs ne prédisposaient à monter si haut. Car, Baptiste est fils d'un meunier florentin, initié très tôt aux amours contre-nature, se découvrant des talents musicaux par hasard et une prédisposition pour les fêtes bien arrosées et les blagues de potaches.

Repéré par un membre de la famille de Guise lors d'une de ces fêtes, le tout jeune Giambattista est acheté à ses parents et offert à la Duchesse de Montpensier, qui va lui donner le prénom sous lequel tout le monde finira par l'appeler : Baptiste.

Mais, tout doué qu'il soit, voilà Baptiste dans la fosse aux lions : propulsé au sein de la bande des six violons, chargés de jouer pour la Duchesse quand bon lui semble, Baptiste doit se frotter aux jalousies de ses collègues : il est italien, n'a pas appris la musique dans une académie mais est autodidacte et surtout, il n'est pas issu d'une famille de musiciens comme c'est l'usage à l'époque. Pourtant, il fait petit à petit son trou à Paris, grâce à son don, c'est vrai, mais aussi à une capacité de travail et une ambition chevillées au corps.

Et, dès cette jeunesse plutôt insouciante, libertine et alcoolisée, il va se constituer ce clan qui lui manquait jusque-là. Et comme il est dégourdi et malin, c'est cette fois de Mazarin qu'il va parvenir à se faire remarquer. Un soutien tacite, pas uniquement dû aux origines communes des deux hommes, qui va ouvrir les portes de la Cour à Baptiste.

Là encore, son talent mais aussi son tempérament, son intégrité, son ambition et son orgueil vont en faire un homme incontournable du cercle proche du jeune Louis XIV. A la mort de Mazarin, haï par tout le royaume, y compris la Cour, c'est sous l'aile de Colbert qu'il trouvera protection. Oh, pas celle d'un mécène, non, car Colbert et Lully sont bien trop habiles politiques pour se fier à qui que ce soit.

D'ailleurs, citons ce passage du roman de Borel, lors de la première rencontre entre Lully et Colbert. Ce dernier, ombre de l'éminence Mazarin, a repris ses dossiers et révèle au musicien comment le voyait la cardinal : "talent... nouveauté... volontaire... plaît au Roi... orgueilleux... peu influençable...Homme utile à garder auprès de sa Majesté..."

Malgré ses origines italiennes très modestes, malgré ses moeurs dissolues et condamnées par la morale de l'époque (quoi que pratiquées par beaucoup d'hommes en vue), malgré son originalité musicale qui heurte les très académiques musiciens de l'époque, Baptiste va devenir indispensable au jeune Roi. D'abord, en en faisant ce roi danseur dont on parle encore, en lui donnant le goût de ces ballets incroyables auxquels toute la Cour participait, ballets pour lesquels il composa des musiques devenues très populaires (ce qui était loin d'être le cas de ses collègues), des mélodies reprises dans les rues par un peuple souvent dans la difficulté matérielle mais en osmose avec son jeune souverain.

Une fois devenu LE musicien du Roi, Lully va imposer ses vues musicales et artistiques à tous, éclipsant tous les autres compositeurs du Royaume et tous ceux qui ne voulaient pas de ses directives. Mais Louis XIV apprécie tant la musique de Baptiste qu'il va l'installer, d'abord comme surintendant de la musique royale, puis directeur de l'Académie Royale de Musique (dont il acquerra le privilège, arme absolue contre ses concurrents) puis le corps des secrétaires du Roi, un des postes les plus élevés de la Cour.

Et c'est justement comme directeur de l'Académie Royale de Musique qu'il va imposer sa patte à tout le royaume : poussé par Colbert qui veut "un opéra à la Française", et non plus l'opéra à l'italienne, Lully va définir le cadre de ce nouveau genre, un genre dont il s'arrogera le monopole, au nez et à la barbe de ses confrères. Une décision indispensable à une époque où Louis XIV commence à délaisser les ballets et attend des spectacles nouveaux pour chanter sa gloire.

Lully saura parfaitement cela. A sa mort, en 1687, il aura su obtenir des postes et des privilèges (donc transmissibles à ses héritiers) de haute tenue, il aura su faire oublier ses origines étrangères et roturières en devenant le maître de la musique "à la française" et Monsieur de Lully. Il aura su avoir l'oreille de Louis XIV pendant plus d'un quart de siècle, devenant le seul musicien à composer pour lui. Il aura su échapper aux jalousies, aux chausses-trappes politiques et courtisanes, mais aussi à tous les dévots qui réprouvaient son homosexualité et ses débauches. C'est pourtant la religion qui le perdra et le fera tomber en disgrâce, Louis XIV subissant l'influence très religieuse de sa favorite, Mme de Maintenon.

En faisant de Lully le narrateur de sa propre vie, Vincent Borel nous en dresse un portrait loin des clichés véhiculés sur lui depuis des siècles et qui en font un véritable tyran. Ambitieux et orgueilleux, oui, courtisan, oui et non, car s'il a su s'approcher bien près du Roi Soleil et si son oeuvre n'a cessé de rendre des hommages appuyés au souverain, il est l'antithèse de ces courtisans qui sont nés nobles, n'ont rien eu à faire pour rejoindre la Cour, n'ont ni talent ni besoin d'en avoir pour être quelqu'un.

Son ambition est, c'est vrai, très personnelle (devenir quelqu'un envers et contre tout en partant du bas de l'échelle sociale, devenir plus Français que ces Français qui le raillent) mais aussi artistique. Car c'est lui qui a su casser la tradition musicale, complètement  pour régénérer le ballet ou acculturer l'opéra à la culture française. Avec un unique désir : faire du beau.

Car Lully n'est pas qu'un "simple" compositeur : il est multi-instrumentiste, même si le violon semble être son instrument deprédilection, il est chef d'orchestre, danseur, chorégraphe, comédien, chanteur, se mettant en scène dans ses oeuvres en même temps que le Roi et toute sa Cour... Homme d'affaires, également, qui sait faire valoir ses droits, allant jusqu'à réclamer son dû à Colbert en personne, un poil avare, même, ne jurant que par l'or qu'il amassera tout au long de sa vie, laissant à ses descendants une fortune immense.

Et l'on découvre que la musique, en cet Ancien Régime verrouillé (par Richelieu, d'abord, Mazarin ensuite, et enfin, par Louis XIV lui-même), un mode de communication entre grands du Royaume, un outil politique d'importance, un objet de pouvoir, indispensable à maîtriser dans un pays où, même lorsqu'on est en guerre, une seule chose a de l'importance : faire la fête.

Dans cette atmosphère orgiaque quasi permanente, Lully se sent chez lui. La fête fait partie de son caractère, l'abus de vin, de tabac, les liaisons avec des hommes, les blasphèmes, sont son quotidien. L'homme est truculent (attention, on aime ou pas, mais il a un côté paillard et pas du tout hypocrite qui charme en cette époque de Tartuffes), entièrement centré sur son art.

Et, même si aujourd'hui, son nom n'est pas le premier qui vient à l'esprit lorsqu'on demande de citer un musicien classique, il faut se souvenir que la musique de Lully va influencer tous les compositeurs européens à venir. Son aura posthume brillera longtemps, malgré sa disgrâce finale.

Pour en revenir au livre de Vincent Borel, il s'agit bien d'un roman, presque d'une réhabilitation du personnage. Il n'hésite pas à prendre des libertés avec les biographies officielles : point, par exemple, de coup de bâton sur le pied déclenchant la gangrène, comme on l'apprend à l'école ou comme on le trouve dans la plupart des livres ou sur Wikipedia. Lully devient un véritable personnage de roman au fil des pages et l'on a envie de (re)découvrir sa musique pour accompagner sa lecture.

Un personnage qui s'adresse directement à nous, lecteurs de 2011, comme s'il nous apparaissait. Ce qui permet à ce garçon espiègle de jouer astucieusement avec l'histoire et la culture de son époque pour des clins d'oeil souvent très drôles. On le suit jusqu'à l'épilogue où il nous emmène dans l'église Notre-Dame-des-Victoires, à Paris, où il repose.

Enfin, "Baptiste", c'est aussi la passionnante chronique d'un règne, en tout cas de la première moitié du règne de Louis XIV. Arrivé en France juste avant la fronde, Lully meurt en 1687 alors que la Cour s'apprête à prendre ses quartiers à Versailles. Il a connu la meilleure partie du règne du souverain, lorsque celui-ci sut conquérir le coeur de son peuple, être un roi ouvert, joyeux, fin politique, le Roi Soleil dans toute sa splendeur.

Lully disparaît alors que les nuages commencent à masquer le soleil : la révocation de l'édit de Nantes a réveillé les querelles religieuses, un fanatisme catholique gagne la cour (jusqu'à l'entourage proche de Lully, pourtant peu enclin à la dévotion...), les caisses ont bien du mal à se remplir, les impôts écrasent le peuple qui ne mange pas à sa faim, l'ennui a gagné la noblesse, de plus en plus oisive et renfermée sur elle-même et le pouvoir se concentre dans les mains d'un monarque désormais tout-puissant, incarnant seul l'Etat, pour le meilleur et pour le pire.

Comme si l'ère des réjouissances, des fêtes grandioses, des ballets et des opéras magnifiques était morte en même temps que Lully...


Alors, pour finir, écoutons la musique de Lully...
- Son premier grand ballet, "le triomphe de l'amour".
- L'un de ses ballets les plus connus, composé pour une des pièces de son complice Molière, "le Bourgeois Gentilhomme". La relation orageuse entre Lully et Molière est l'un des épisodes marquants de "Baptiste".
- un extrait de son premier grand opéra : "Alceste".
- un extrait d'une de ses oeuvres majeures : l'opéra "Atys".
- enfin, son "Te Deum", une de ses rares oeuvres sacrées. L'oeuvre qu'il dirigeait lorsqu'il se serait donné un coup de canne fatal sur le pied... Idée non reprise dans "Baptiste"...


2 commentaires:

  1. Voilà une lecture à accompagner de musique !
    Même si je ne suis pas trop fan de la musique de Lully et lui préfère des compositeurs plus tardifs, sa vie attire ma curiosité.
    Heureusement que tes chroniques sont là sinon ce livre serait très certainement passé sous mon radar.

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  2. Un des intérêts de la musique de Lully, c'est d'être bien moins chargée d'ornements que celle de tous ses contemporains. Comme toi, cette époque n'est pas forcément celle que je préfère sur le plan musical, mais il ne faut pas oublier que Lully a influencé Haendel, Purcell, Rameau et même Bach, qui eux-mêmes vont influencer les suivants, etc. Donc, sans Lully, la musique que tu apprécies aurait forcément été différente ;-)

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