vendredi 18 novembre 2011

"Quoi ! Des phalanges mercenaires terrasseraient nos fiers guerriers !" (extrait de... "la Marseillaise").

C'est la première fois que je participe à un partenariat proposé par le site Livraddict.com, ça s'arrose, non ? Bon, pas tout de suite, j'ai encore tout un billet à rédiger. Et ce billet va concerner un thriller politique plutôt réussi, en tout cas agréable à lire, publié de façon originale par une maison d'éditions que je ne connaissais pas mais dont je vais me souvenir, Scrinéo. Un thriller signé par... un officier de police (à la Brigade de Répression du Banditisme), Marc Wilhem. Autant dire qu'il sait de quoi il parle dans ce quatrième livre, intitulé "Contractors".


Couverture Contractors


Un "contractor", c'est ce que l'on appelait il n'y a pas si longtemps encore un mercenaire. Un contractor est, pour utilisé le mot français équivalent, un contractuel, un soldat qui a signé un contrat avec une Société Militaire Privée (SPM), secteur économique en plein essor depuis ces dernières années.

Stéphane Muller est l'un de ces contractors. Ancien militaire, il est passé dans le privé et travaille pour une boîte française chargée de sécuriser des lieux, des sites industriels, des transports de marchandises ou autres. Pour l'heure, sa mission l'emmène au Brésil où, pour le compte d'une entreprise chinoise, il doit, avec ses hommes surveiller un chantier d'exploitation forestière dans un coin perdu de la forêt amazonienne.

L'objectif des mercenaires : empêcher quiconque d'approcher de trop près ce chantier totalement illégal qui vise à faire transiter des bois précieux jusqu'en Chine sans respecter une seule seconde les conventions internationales et les lois brésiliennes, mais avec l'assurance de dégager au final un copieux bénéfice.

Voilà comment Stéphane et ses acolytes (Johannes, le Sud-Africain, Boris, le Russe ou Boiselet, le Français,  en rupture avec l'armée pour cause d'idées d'extrême-droite très affirmées, etc.) vont s'en prendre à une escadre de l'armée brésilienne venue sur place voir ce qui s'y passe. Une escadre dirigée par Thomas, un officier sûr de son fait, conscient de la noblesse de sa mission, persuadé que le pays doit lutter contre ce genre de trafic pour grandir et gagner ses galons de puissance mondiale plus seulement émergente.

Dans l'embuscade, Thomas va laisser son meilleur ami, tué par les balles des mercenaire. Il va aussitôt se jurer de retrouver ces assassins où qu'ils aillent, où qu'ils se trouvent...

Et il va devoir en effet traverser le globe sur les traces de Stéphane et de ses hommes. Car, ceux-ci doivent escorter le chargement de bois par les mers jusqu'en Chine, en passant par des secteurs où sévissent des pirates qui ne font pas vraiment de quartier... Une fois le chargement arrivé à destination sans trop d'embûches, si ce n'est une petite bataille navale réglée en deux temps, trois mouvements, Stéphane et son équipe pourront revenir en France.

Mais ce retour dans l'Hexagone n'est pas synonyme de vacances, au contraire, une nouvelle mission y attend les contractors, secrète, sensible, dangereuse... et pas que pour Stéphane et ses hommes.

Nous sommes en effet en pleine pré-campagne présidentielle. L'actuel locataire de l'Elysée ne se représentera pas et deux hommes sont favoris pour lui succéder : le premier ministre, Darcourt, et le ministre d' intérieur, Bellestra. Deux hommes qui ne s'apprécient guère, bien que du même bord politique. Alors, tous les coups sont permis.

Samir est un jeune journaliste. il travaille pour Amicus, une agence de presse indépendante qui réalise des reportages d'investigation assez poussées sur des sujets qui défrayent la chronique. Enfin, indépendante, tout est relatif. Car l'agence appartient à un groupe industriel qui détient également la plus grande chaîne de télé du pays et l'un des quotidiens les plus suivis. Et comme le groupe est plutôt proche du ministre de l'intérieur, trouver deux ou trois trucs pour entamer la popularité et l'aura immaculée du premier ministre serait parfait.

Samir va s'y coller et trouver la faille... Gagnant ainsi ses galons de grand reporter, le jeune homme va alors se voir confier une autre enquête d'envergure. Mais, entre information et manipulation, il n'y a plus qu'un pas, de nos jours...

Marc Wilhem a donc choisi de nous éclairer sur ces Sociétés Militaires Privées qui fleurissent depuis la fin de la guerre froide. Pas en nous emmenant dans territoires évidents où l'on sait bien qu'elles sévissent (Irak, Afghanistan...) mais dans des territoires où la guerre qui fait rage est économique ou politique.

Nous ne sommes plus au temps de Bob Denard et de la Françafrique triomphante, mais dans une époque où les intérêts sont tels, aux quatre coins du monde, qu'il faut des hommes capables de défendre mais aussi d'attaquer, d'utiliser la force armée dans la plus totale illégalité ou en état de légitime défense, si l'occasion se présente. Wilhem, entre Brésil, côtes somaliennes, Chine et France, met en place des théâtres d'opération particuliers où le front est économique, diplomatique et politique et plus à proprement parler militaire.

Mais, au-delà de la description des agissements plus ou moins coupables de ces barbouzes du XXIème siècle, Wilhem dessine une trame de fond passionnante à partir de faits réels, que ce soit l'exploitation clandestine des bois tropicaux (j'allais dire le braconnage...), l'interventionnisme discret mais de plus en plus téméraire de la Chine à travers le monde, la piraterie moderne ou encore les relations sulfureuses entre médias, industriels et politiques.

Et il utilise pour cela des évènements que le lecteur reconnaîtra parfois aisément, puisque ce sont de vraies affaires, revues et un poil corrigées (enfin, j'espère !) qui sont le cadre de cette affaire. Les intérêts de chacun s'entremêlent et l'engrenage fonctionne parfaitement jusqu'au dénouement et aux révélations finales qui vont s'ensuivre.

Wilhem choisit à juste titre, à mes yeux, de ne pas recourir au manichéisme dans le traitement de ces SMP : à tour de rôle, on voit Stéphane et ses hommes agir "bien" ou "mal", selon des valeurs qui ne s'appliquent pas vraiment au monde des mercenaires, qui n'ont en tête que la réussite de la mission qui leur a été confiée. Ils sont payer pour obéir aux ordres, pas pour porter des jugements moraux dessus.

Pourtant, Stéphane Muller est atypique dans sa manière d'appréhender le job, puisque lui, conserve cette espèce de sens du devoir qui lui fut inculqué lorsqu'il était dans l'armée régulière. A contrario, Thomas, l'officier brésilien qui se lance à la poursuite des barbouzes pour venger son ami d'enfance va choisir volontairement de sortir du cadre très ordonné, très carré, qui est le sien au quotidien, de laisser la noblesse de ses idéaux au vestiaire le temps de régler ses comptes. Enfin, Samir, de par sa jeunesse, son inexpérience, a une vision naïve et idéalisée de son métier de reporter. Il fonce tête baissée, sans penser une seconde que les tuyaux qu'il dégote soient un peu percés. Et voilà comment le piège va se refermer sur lui...

Mais, au-delà de leurs erreurs, de leurs défauts, de ces destins si différents, ces trois-là possèdent encore, envers et contre tout (ou tous) quelque chose qui les différencie de tous les autres personnages de "Contractors" parce que ces autres ne l'ont pas ou plus. Et ce quelque chose, c'est le sens de l'honneur, dans une société où cette valeur est plus qu'obsolète...

Un dernier mot, non plus sur le roman, mais sur le livre et sur une excellente initiative des éditions Scrinéo : à la fin de chacun des livres de cette collection de thriller, l'éditeur invite un spécialiste pour proposer un cahier documentaire sur le sujet central du roman. En une douzaine de pages, on a donc un tas d'informations très intéressantes pour mieux nous permettre d'appréhender le coeur du récit qu'on pourrait ne pas ou mal maîtriser.

Ici, pour "Contractors", la parole est donnée au journaliste Jacques Massey, connaisseur pointu des questions de sécurité. Ils nous donne des explications précises et circonstanciées de ce que sont vraiment les SMP, les cadres législatif et international dans lesquels elles évoluent, les explications sur leur développement exponentiel ces dernières années mais aussi les inquiétudes que ce développement peut légitimement poser et la position des politiques sur ce sujet...

Une initiative remarquable et une très bonne idée qui permettent au lecteur d'approfondir la réflexion après avoir fini le roman proprement dit. Encore une fois, c'est un leitmotiv chez moi, c'est bien la preuve que le thriller, genre souvent synonyme de divertissement et de détente, peut aussi être un genre intelligent qui peut faire fonctionner à plein régime les petites cellules grises de ses lecteurs.

2 commentaires:

  1. Ca m'a l'air pas mal du tout. Je note. J'ai découvert les éditions Scrineo avec "Les ombres" et c'est une nouvelle approche du thriller, plus réaliste et plus intelligente.

    RépondreSupprimer
  2. Je ne connaissais pas du tout ce bouquin mais après avoir lu ton avis c'est tout à fait le genre de bouquin que j'aime découvrir. Je le note !

    RépondreSupprimer