Comme son nom l'indique, James Nicholson est américain. Et longtemps, il s'est cru un américain à 100%. jusqu'au jour où son père, sur son lit de mort, lui apprend que la grand-mère de James est française, qu'elle vit encore dans la commune du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire.
Estomaqué, profondément touché par la disparition de son père, James ne parvient pas à se décider : doit-il traverser l'Atlantique et aller se présenter à cette grand-mère inconnue ou bien faire fi de cette nouvelle ? Au bout d'une longue période de tergiversation, il se décide à partir à la rencontre de cette femme dont il ne sait rien.
Arrivé au Chambon, il s'installe dans un hôtel un peu... particulier : le One Toutou (nom choisi par sa tenancière en relation avec son idole, mère maquerelle à Paris lorsque les maisons closes ne l'étaient pas complètement...). Mais, lorsqu'il se rend de l'hôtel à la maison de retraite où vit sa grand-mère, Louise, il est trop tard : la vieille femme s'est éteinte brusquement, sans prévenir.
Et voilà James Nicholson nanti d'une énorme frustration et d'un maigre héritage... Quelques souvenirs qui esquissent trop brièvement la femme que fut Louise et que James ne connaîtra donc jamais.
A moins que... Parmi les objets qu'on a remis à l'Américain, un cahier, un cahier à couverture rouge. Un cahier que James ne peut se résoudre à ouvrir, comme si ce qu'il contenait ne pouvait lui être vraiment destiné. Alors, de retour au centre-ville, après avoir mangé dans le restaurant voisin de son hôtel, il a une idée : sur le papier où la serveuse, Nina, a imprimé son addition, il laisse un mot lui proposant de venir le rejoindre à 20h dans sa chambre, la 17.
Oh, pas pour ce que vous imagineriez, même si Nina a un certain charme, non... La transaction que James Nicholson va proposer à la jeune femme n'a rien de sexuel : si elle accepte de lire au visiteur le contenu du cahier, à raison d'une dizaine de pages par soirée, il lui versera à chaque fois une somme d'argent plus que convenable...
Intriguée, très curieuse de pouvoir approcher d'aussi près un Américain, comme si Nicholson était l'incarnation d'un mythe inatteignable pour le commun des mortels du Chambon, Nina accepte l'offre, sans doute avec, dans un coin de sa tête, l'idée qu'il y a là une opportunité qui ne se représentera peut-être jamais de quitter sa vie monotone dans un endroit triste à mourir...
Alors, elle entame cette lecture qui va les renvoyer 60 ans en arrière, ouvrant, sans qu'elle le sache, une véritable boite de Pandore. Car la vie de Louise, pendant ces années noires de l'Occupation, a changé de cours de façon si violente et irrémédiable, que ces révélation pourrait, malgré le temps qui a passé, bouleverser de façon tout aussi irrémédiable la vie de ses descendants. De James Nicholson, surtout.
Mais, au-delà de ce drame familial et personnel, l'arrivée dans ce (trop ?) paisible coin de France d' un Américain, parent d'une femme considérée comme irréprochable, dans un village qui est le seul de France à avoir obtenu la distinction de "Juste parmi les Nations" pour son aide apportée à plusieurs milliers de juifs fuyant la déportation, va réveiller des frustrations, des jalousies, des haines, un rejet de cet étranger venu on ne sait trop pourquoi, mais jouant les séducteurs auprès des filles du coin, Nina en tête.
Pour les garçons du village, aucun doute sur les prestations que demande James à Nina chaque soir, à commencer par Pierre, un garçon handicapé depuis un accident survenu dans son enfance. A chaque jour qui passe, son ressentiment croît pour cet Américain à qui il a à peine adressé la parole mais qui semble tourner la tête de Nina et lui donner des idées saugrenues. La séduire, la lui prendre...
Alors, pendant que James souffre un peu plus à chaque page lue, bouleversé par les révélations qu'il entend de la voix de Nina, une ambiance très tendue, violente, malsaine, s'instaure dans le village. Dans son sillage, le paisible Chambon va replonger dans un passé forcément plus trouble qu'il n'y paraît et la violence va monter telle une marée, entraînant des évènements terribles. Comme si l'horreur et la folie qui s'étaient déchaînées 60 ans plus tôt avaient resurgi du cahier rouge pour éclabousser l'époque actuelle.
J'ai choisi d'en dire peu sur ce qui se passe dans "la vie contrariée de Louise" (moins que sa quatrième de couverture, en tout cas) parce que chacune des révélations, dans la montée dramatique parallèle entre les deux époques, a été un choc, un coup de poing, une douleur. Je me suis finalement identifié à ce pauvre Nicholson qui n'imaginait pas une seconde où il avait mis les pieds...
Corinne Royer, en nous emmenant au Chambon-sur-Lignon pendant la IIème Guerre Mondiale, nous transporte dans un lieu particulier, dans un village qui a dit "non", comme le veut la formule, qui a pris des risques énormes pour protéger des juifs fuyant l'avancée des armées nazies et le zèle croissant des autorités françaises à soutenir les déportations.
Elle nous fait découvrir cet épisode méconnu, voire inconnu (et c'est vraiment dommage) de l'Histoire de France, appuyant sa création de fiction sur ce contexte réel. Tout en nous rappelant, qu'en la matière, rien n'est jamais ni tout blanc, ni tout noir et que, si le Chambon fait figure d'exception en terme de comportement, ce n'est pas pour cela que des "anicroches", des "incidents" qu'avec notre recul et notre politiquement correct, nous pourrions considérer comme impardonnables, ne se sont pas produits.
Corrine Royer n'oublie en rien l'humanité de ses personnages, une humanité qui a des revers, comme les médailles. Et, comme tout humain, aucun n'est parfait, chacun peut commettre des erreurs. Des erreurs dont les conséquences peuvent vite devenir incontrôlables. Et lorsque Louise tombe amoureuse du mauvais homme, dans l'entière sincérité de sa fin d'adolescence, pouvait-elle imaginer où cela la mènerait. Pire encore, que cet "écart de conduite" deviendrait un secret purulent comme un abcès, profondément enkysté, ne ressortant que bien longtemps après s'être constitué.
Mais Louise reste un ange, si on la compare aux énergumènes auxquels Nicholson va être confronté, sans même le vouloir, 60 ans plus tard, dans ces mêmes lieux ! Aucun n'est très finaud, reconnaissons-le, ils sont confits dans cet ennui gluant qui nous attache tous plus ou moins à notre terre natale, n'ont de perspectives d'avenir qu'un brouillard dense.
Et voilà cet "Américain" (nuance de dédain, dans ces guillemets) qui voudrait tout bouleverser par sa simple présence, donner de l'espoir (totalement factice, en tout cas, au départ) à Nina, remettre en cause la hiérarchie établie.
Le grand talent de Corinne Royer, c'est de mettre en place une montée dramatique parallèle où Louise comme Nicholson deviennent des boucs émissaires, à tort ou à raison, car, si Nicholson subit les évènements, Louise a commis une faute aux yeux de son temps. Mais, au fur et à mesure que Louise dévoile sa jeunesse terrible, Nicholson sent monter la pression... Pas forcément celle des jeunes du Chambon, d'ailleurs.
Mais, son malaise croissant met son courage à rude épreuve, au point d'hésiter à aller au bout du récit. Un malaise contagieux, puisque Nina, elle aussi, est gagnée par le doute, au point de se demander si elle doit ou non révéler les évènements relatés dans le cahier. Elle a compris que jamais Nicholson n'osera seul se plonger dans le cahier et que, pour l'épargner, elle pourrait tout à fait travestir les faits.
Et cette incapacité à ouvrir le cahier est ce qui va faire diverger les destins de Louise et de son petit-fils, jusque-là parallèle. Car, en refusant de regarder à l'intérieur (ce qui nous renvoie au titre de ce billet, à cette phrase fondamentale que sut interpréter trop tard Louise, à son grand dam) du cahier, Nicholson va éviter la confrontation au réel, trop touché déjà par la vie de sa grand-mère. Louise, elle, avait eu ce courage (insensé, avec le recul) de vouloir savoir et avait finalement regardé à l'intérieur du médaillon contenant une vérité à double tranchant.
Pour Nicholson, non seulement il ne sera pas rasséréné par l'initiative de Nina, mais il va tout de même devoir affronter le drame final, derrière le drame.
Car, "la vie contrariée de Louise", c'est ça : des drames en poupées gigognes qui viennent un peu plus meurtrir des personnages peu épargnés par les évènements. Et, par ricochet, le lecteur...
Et, pour ajouter à ce malaise de lecteur (attention, c'est tout sauf une critique pour moi, je le redis, j'apprécie qu'un auteur me mette mal à l'aise), il y a cette ambiance globale très glauque, où le désir sexuel, omniprésent, ne semble mener qu'à la frustration et au malheur. En cela, et pardon de contredire la quatrième de couverture (oui, je m'acharne...), j'ai trouvé qu'on était loin de l'ambiance du "Liseur", car Schlink instillait le malaise une fois la relation entre les deux personnages consommée.
Pour autant, j'ai dévoré ce roman et, comme je le disais en préambule, j'y ai repensé longtemps après. Et l'histoire de Louise, si édifiante soit-elle, même si la morale, parfois, se mêle de ce qui ne la regarde pas, nous interroge forcément sur la vérité : est-elle toujours bonne à dire ? En la consignant à la fin de ces jours dans ce modeste cahier rouge, Louise nous donne sa réponse : en refoulant son secret, elle a su aller au-delà et se (re)construire pour mener une vie moins... contrariée, par la suite.
Eh bien, mon avis est totalement opposé au tient ! Tu en dépeints un livre formidable quand je dépeint un livre décevant ^^ C'est amusant de voir deux avis aussi divergent sur un bouquin =)
RépondreSupprimerN'est-ce pas justement là tout le charme de la lecture ? J'ai aimé cette histoire terriblement violente, j'ai aimé le côté sombre, très sombre du roman, que ce soit dans la période de guerre ou dans la période contemporaine, j'ai aimé la douleur de Nicholson et sa lâcheté qui le sauve, d'une certaine façon, j'ai aimé le courage de Louise, qui a fait sa vie malgré tout... Oui, j'ai aimé tout cela, mais cela ne veut pas dire que le roman est parfait, attention. Et je suis parfaitement conscient que tout ce que je viens d'énumérer peut justement désarçonner d'autres lecteurs, leur déplaire... C'est le jeu !
RépondreSupprimerJe venais justement voir ta chronique mais je me rends compte que je l'avais déjà lu et commenté ^^
SupprimerTu mets 3/20 sur LA, parce que tu n'as pas aimé, c'est un mauvais livre ?? Ensuite, je lis ton billet, pour moi, il n'y a aucun argument, tu ne parles jamais de l'histoire, tu te contentes d'un ressenti personnel que je juge, mais je peux me tromper, superficiel et tu déconseilles la lecture d'un livre alors qu'il n'y a rien de plus subjectif qu'une lecture. Je lis trop de billets qui, pour moi, ne parlent pas des livres sur la blogo et je ne comprends pas qu'on puisse se faire un avis à partir de ça. Pardon, je vais peut-être te paraître dur dans cette réponse, mais je te trouve irrespectueuse vis-à-vis de Corinne Royer. Il y a énormément de blogueurs qui oublient que, sans auteur, ils ne pourraient pas lire. Et pour finir, après t'avoir lue, je me suis dit : ce n'est pas le livre qui est mauvais, c'est elle qui ne sait pas choisir ses lectures.
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