samedi 26 mai 2012

Vendetta à la mexicaine...

Du noir, du très noir, du violent, du très violent... Voilà le menu du jour ! Un roman exigeant, aussi, du fait d'un style elliptique qui ne livre les pièces du puzzle que petit à petit, sans forcément recourir à la linéarité, qui mâche le travail du lecteur. Voilà quelque temps, en tout cas, qu'un roman noir ne m'avait pas à ce point bougé et on y trouve quelques scènes d'anthologie qui devraient, je pense, attirer l'oeil de quelques scénaristes et réalisateurs... Ce roman, c'est "Eden", d'Alain Claret, sorti chez Robert Laffont, livre reçu dans le cadre d'un partenariat avec LivrAddict et Robert Laffont (que je remercie beaucoup tous les deux, et mille excuses pour ce retard indépendant de ma volonté...). Un roman qui, malgré son titre, n'a rien de paradisiaque ; ce serait plutôt tout le contraire !


Couverture Eden


Non contents content d'avoir mis en coupe réglée la région du Mexique dont ils sont originaires, les hommes du cartel de Sinaloa ont débarqué en France. Avec un objectif clairement défini : faire main basse sur le marché de la drogue à Paris, d'abord, dans le reste du pays, sans doute, par la suite. Et ce, quitte à éliminer sans faire de quartier la concurrence...

Mais cet impitoyable cartel, qui ne recule devant aucune violence, a choisi notre pays pour une autre raison : remettre la main sur quelques milliards de dollars composant leur trésor de guerre. Des milliards, confiés à des hommes d'affaires peu regardants, qui se sont évaporés dans les mystérieux circuits financiers mondiaux, au gré de placement hasardeux...

Et celui que le cartel considère comme le responsable de ce fiasco, celui qui doit payer, dans tous les sens du terme, c'est... Eden. Un maillon de la chaîne, sans doute, mais une victime idéale et désignée...

En outre, ce "malheureux" Eden n'a pas que le cartel aux trousses... Il doit aussi redouter un duo peut-être plus terrible, peut-être plus impitoyable, sans doute plus intelligent et déterminé que tout le cartel réuni. Un duo féminin, Juana et Madeleine.

Juana est la fille illégitime d'un sénateur mexicain et d'une paysanne indienne, aussi pauvre qu'inculte. Le sénateur, lui, a des accointances très nettes avec le cartel de Sinaloa, et c'est même une partie de l'argent qui lui revient qui a disparu... Madeleine, elle, est française, d'une mystérieuse et envoûtante beauté, à la fois éthérée et désespérée, elle est devenue l'amante de Juana, son alter ego, même après que la mexicaine l'eut sauvée d'une tentative de suicide pourtant proche de réussir...

Ne croyez pas que Juana soit déterminée à retrouver Eden et les milliards pour rendre service à son cher papa... Non, ce serait même tout l'inverse, en fait. Si elle réussit à mettre la main sur Eden, c'est avec l'idée de se venger de ce père indigne qui l'a laissé dans sa fange et qu'elle tient pour responsable de la mort de sa mère. Quant à Madeleine, il y a bien longtemps qu'elle n'a plus rien à perdre dans cette vie qui ne l'intéresse plus vraiment...

Voilà pourquoi ces deux-là sont bien plus cruelles et redoutables que les hommes d'un cartel pourtant éclaboussé de litres de sang...

C'est dire si les jours d'Eden sont comptés... Et il sait bien qu'il a une énorme cible dans le dos, désormais.

A moins qu'il ne lui reste quelques amis, déterminés à le tirer de là, ce que Eden lui-même ne soupçonne pas. Oh, pas par charité, mais avec des idées pleines de dollars derrière la tête aussi...

Entre ces 3 parties qui vont tout mettre à feu et à sang, Eden est pris dans une nasse inextricable et accepte les choses presque avec fatalisme, on dirait. Mais ces rivalités mortelles retardent sans cesse l'échéance. Et, petit à petit, on se dit que Eden va peut-être se sortir de ce bien mauvais pas, sa sortie de secours étant un massacre général qui laisserait tout le monde sur le carreau... sauf lui...

Illusion, sans doute. Mais le cas Eden ne va, effectivement pas se régler aussi facilement !

Car Eden est une sorte de Roi dans un jeu d'échecs grandeur nature, monstrueux, et dont il ne maîtrise aucune des règles. Face à lui, celle qu'il appelle "la Dame" est en fait une Reine adverse aux motivations bien différentes de tous ceux qui se débattent dans ce "panier de crabes".

Claret choisit donc de nous proposer une narration elliptique, presque déstructurée, qui demande parfois des efforts au lecteur pour se situer. Le récit est dense, complexe mais passionnant et le fil conducteur, sans être le narrateur, est l'un des porte-flingues du cartel, un certain Manuel (évitez de lui dire : "oh, Manuel, tu descends ?", parce que descendre, c'est son job, justement...). Un assassin, sans scrupule, ou presque, que rien ne semble effrayer, ou presque.

Organisateur des basses oeuvres du cartel, il est l'homme de confiance d'Enrique, la tête du cartel en France. Et il obéit aux ordre avec zèle et efficacité... Jusqu'à sa rencontre avec Juana qui va changer beaucoup de choses... Car, loin d'être impressionnée par cette univers au combien machiste et viril, c'est elle qui va rapidement mener tout le monde à la baguette, agissant tant par la séduction que par une cruauté épouvantable.

Le tout, sur fond de religion. Enfin, de religions, devrais-je écrire, tant la foi de Juana, issue tout droit des cultes indigènes, primitive, lorgnant vers la magie, l'ensorcellement, va se heurter au catholicisme, bizarrement ancré dans tous les actes et les gestes des membres du cartel. Entre croyances et superstitions, l'une est transcendée, les autres, comme paralysés...

Munie de ce pouvoir ancestral, Juana va accomplir sa vengeance, lentement, avec une perversité et une délectation qui font froid dans le dos... Et ceux qu'elle n'éliminera pas, elle les tiendra par la peur...

Tout au long de ce roman, Claret nous offre des descriptions très réalistes et détaillées, très dures, très violentes des scènes d'action, mais il s'applique à mettre la même minutie à la description des lieux, qu'on se trouve au bas d'une cité de banlieue, sous le périph' avec les junkies, dans des hôtels plus ou moins minables de la capitale, dans un restaurant, jusque dans ses chambres froides...

Et cette qualité de description atteint son paroxysme dans une scène finale ultra-violente qui restera dans la mémoire des lecteurs, je suis prêt à y mettre ma main à couper... Je n'en dirai pas plus ici, évidemment, mais, cela, et bien d'autres aspects, m'ont fait pensé à Scarface, évidemment, sans doute l'idée qui vient le plus naturellement à l'esprit. Mais, on se croirait aussi par moment dans un film à la Tony Scott,; "True Romance", par exemple, l'humour en moins, parce qu'on rigole peu, en lisant "Eden", reconnaissons-le.

Et, puisqu'on est dans les rappels, les associations d'idée, j'ai aussi songé en lisant "Eden" à un roman d'Arturo Perez-Reverte, "la Reine du Sud", pour le côté femme mafieuse et impitoyable... Même si les destins des personnages n'ont pas grand rapport au-delà de ce point commun.

J'avais, même si je n'aime pas trop ça, entendu de bonnes, de très bonnes choses sur ce roman, d'un auteur que je ne connaissais pas, malgré une bibliographie déjà imposante (mea culpa !) et c'est ce qui m'a décidé à postuler sur ce partenariat. Pas une seconde, je ne regrette ce choix, "Eden" restera une lecture marquante, même si, je le redis, c'est un livre qui demande pas mal d'attention, qu'on ne lit pas d'une traite ou dans n'importe quel contexte.

Je le conseillerai à des lecteurs de romans noirs aguerris, car il faut quand même s'accrocher devant le déferlement de violences qu'on retrouve dans cette histoire... Je n'ai pas compté les victimes, c'est d'ailleurs impossible, mais quelle hécatombe ! Alors, âmes sensibles ou novices dans ce genre littéraire, revenez plus tard...

Les autres, eux, je le souhaite, passeront un très bon moment, comme moi, au fil des pages d'un roman qui, aussi étrangement que cela puisse paraître après ce que je vous ai raconté, et surtout après plus de 400 pages noires comme de la poix, s'achève sur une lueur au bout du tunnel... Un ouf de soulagement, l'espoir de se sortir sans trop de dommage d'un tel carnage.

Mais, l'heureux(se) élu(e) ne sera pas forcément celui ou celle que l'on imagine...


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