mercredi 5 février 2014

Voltaire veut en finir avec l'ancien régime...

Ce titre n'est pas un scoop, mais un odieux calembour... Mea culpa ! Oh, et puis non, ne nous excusons pas, je me mets au diapason de notre auteur du jour, avec ce bon mot (qui m'a déchiré les méninges, tant j'ai eu du mal à trouver un titre à ce billet...). Car, c'est un roman assez inclassable que j'ai en main, une espèce d'oignon avec plusieurs couches, un roman facétieux à multiples facettes... Voltaire revient dans une nouvelle enquête signée Frédéric Lenormand, "Crimes et condiments", chez Lattès. Ou comment revisiter une Histoire classique à la sauce philosophique, avec une entrée pleine d'humour et un dessert en forme de polar, qu'on pensait avoir perdu de vue en cours de lecture...





En cette année 1734, Voltaire a plusieurs fers au feu. Ses "lettres philosophiques", si scandaleuses, n'ont jamais été aussi près d'être publiées. Elles courent sous le manteau, mais les ouvrages n'attendent que le feu vert de l'auteur pour répandre la bonne parole voltairienne à travers le royaume... Mais, ledit auteur hésite toujours, il sait que cet ouvrage peut lui rapporter autant de gloire que d'ennuis.

Alors, il a décidé de diversifier ses activités et s'est lancé dans le commerce. Pas n'importe lequel : l'import-export, avec les Indes Occidentales, comprenez l'Amérique du Sud. Produits agricoles, comme ces étranges "bananas", qui ne sont pas au goût de tous, produits textiles, tout cela peut rapporter gros...

Sauf que tout cela est interdit et que ce commerce, comme son activité philosophique, doit être mené dans la plus grande discrétion, voire l'anonymat... Sans cela, le meilleur ennemi de Voltaire, René Hérault, lieutenant général de police, tiendrait enfin là l'occasion qu'il attend depuis si longtemps d'envoyer le sieur Arouet croupir à la Bastille...

Malgré le bon accueil que lui réserve le débonnaire gouverneur de la forteresse parisienne, Monsieur de Launay, Voltaire préférerait largement s'installer à l'Académie Française et mène campagne pour cela... Il est débordé, notre bon philosophe, se démène pour la gloire de la philosophie, bien sûr, et aussi, un peu, pour trouver les subsides lui permettant de continuer à philosopher confortablement...

Il ne se méfie pourtant que de Héraut alors que, dans l'ombre, on ourdit contre lui... On aimerait bien que son nom rime enfin avec le verbe "taire" et ce, de façon définitive... Et pour cela, on lance à ses trousses un assassin chargé de lui faire passer l'envie de remettre en cause les fondements de la monarchie absolue...

Voltaire a pourtant d'autres soucis en tête... Son petit commerce transatlantique est dans le collimateur de Héraut, il lui faut encore une fois trouver de nouveaux paniers pour y placer ses oeufs... En fait, l'urgence, c'est surtout d'écouler le sucre, les fruits et autres denrées périssables qu'il entasse chez lui, avant qu'elles ne causent sa perte...

Voilà pourquoi, avec l'aide d'un cuisinier littéralement kidnappé dans une maison de maître, et dont il ignore jusqu'au nom, Voltaire va révolutionner la cuisine ! Finis, les repas pantagruéliques, interminables et collectifs... Place à des repas courts, légers, aériens, moins bourratifs et pleins de créativité !

Avec l'aide de ce cuisinier hors-pair, Voltaire entend bien arriver à ses fins dans ses différents projets... Mais les rumeurs de guerre enflent et le duc de Richelieu, non, pas le Cardinal, son petit-neveu, un libertin notoire, entend bien aller redorer son blason en se couvrant de gloire sur le champ de bataille...

Or, Richelieu est l'un des puissants du royaume qui alimente les caisses voltairiennes. S'il lui prenait l'idée saugrenue de se faire tuer au combat, voilà une grosse somme d'argent mise au service de la philosophie irrémédiablement perdue... Alors, Voltaire se lance dans une nouvelle carrière : celle d'entremetteur ! Si Richelieu trouve une épouse, il peut bien aller se faire tuer, la veuve pourra continuer à verser la rente...

Et, ça tombe bien, Voltaire connaît la candidate idéale : la princesse de Guise...

Alors, vous allez me dire : mais, c'est vraiment un polar, ça ? Eh bien, euh, en fait, euh, là, vous me prenez un peu de court... C'est un peu plus compliqué que ça, "Crimes et condiments", c'est un vrai plateau-repas, de l'entrée au dessert, qui se dévore ou se déguste selon le lecteur...Ôtez un ingrédient et tout sera gâté...

D'abord, on rit. En tout cas, moi, je me suis amusé comme un fou devant le festival de bons mots et de situations comiques que nous offre Frédéric Lenormand (service et TVA compris). Mention spéciale pour la scène où Voltaire se retrouve à voguer sur la scène sur un morceau de glace détaché du bord... Mais, le pauvre philosophe est maltraité pour notre plus grand plaisir tout au long de ce roman.

Ensuite, on se régale... Que ce soit ce que j'ai appelé "l'ancien régime", ces repas qui nous nourriraient pendant une semaine au moins de nos jours (et en s'y mettant à plusieurs), repas dont on découvre en annexe un menu complet, impressionnant, ou bien "la nouvelle cuisine à la Voltaire", plus proche de notre mode de consommation contemporain, nous avons droit à des recettes qui mettent l'eau à la bouche durant une grande partie du livre.

Là aussi, l'humour se mêle à la gastronomie et j'ai cru remarquer une influence toute "goscinnienne" dans certains passages, dans le maniement de l'anachronisme et la loufoquerie de certaines situations, comme la création de la crème Chantilly, qui, en d'autres circonstances, aurait pu, aurait dû, porter le nom d'un bienfaiteur de l'humanité et des arts culinaires...

Mais, il n'y a pas que la gloutonnerie et la rigolade... Il y a aussi, et peut-être pour la première fois, des sentiments explicites. Oh, pas clairement énoncés, non, mais pudiquement soulignés... Je ne parle pas des jeunes mariés, Richelieu est un libertin cynique et débauché et la princesse de Guise, une oie blanche...

Non, je veux parler de Voltaire et d'Emilie du Châtelet. Si leur complicité était évidente dans les trois premiers volets de cette série, j'avais trouvé, peut-être à tort, que la nature exacte de leur relation n'était jamais vraiment abordée... Ici, même si on n'appelle jamais un chat, un chat, on comprend parfaitement quel tendre sentiment les unit et que leur histoire n'est pas seulement le rapprochement intellectuel d'une scientifique et d'un philosophe...

Il faut dire que, pour la première fois aussi, dans cette série, le lien entre Voltaire et Emilie ne se limite pas à la complicité d'un tandem d'enquêteurs amateurs aux prises avec un assassin mystérieux dont il faut remonter la piste... Et l'on réalise à quel point ces deux-là sont étroitement liés, à quel point, allez, je le dis, ils s'aiment...

Parce que c'est dans la difficulté qu'on remarque vraiment cela. Et les événements, même si Frédéric Lenormand sait toujours garder sa tonalité légère et humoristique, va les malmener. Il faut dire qu'on arrive à une période compliquée de la vie de Voltaire, qui va devoir prendre des décisions difficiles...

Ici, comme tout au long de ce roman, et même de la série, Lenormand joue avec les faits historiques, s'inspirant d'éléments avérés pour tisser sa fiction. Et, en particulier, sur la biographie de Voltaire. Ce n'est pas tout de lui inventer une vie de détective et des aventures rocambolesques, il faut que cela reste dans l'ordre des choses... Et c'est toujours un plaisir de lire les dernières pages, des annexes en forme de recueil de citations qui viennent éclairer le roman qu'on vient de terminer et montrer d'où sort l'imagination du romancier (en partie, seulement...).

En fait, restant sur les impressions des précédentes enquêtes, je me suis lancé dans la lecture de "Crimes et condiments" en m'attendant à un polar classique, un crime ou une série de crimes, un chantage de Hérault, Voltaire menant des recherches pour retrouver l'assassin et l'intuition d'Emilie faisant le reste...

Que nenni ! Me voilà avec une comédie de moeurs en main ! Une première partie, jusqu'au mariage, qui ressemble à un vaudeville, avec du rythme et des gags, mais pas vraiment de fil conducteur... En apparence, tout du moins, car, petit à petit, tout s'emboîte et l'on se rend compte qu'on n'a jamais cessé d'être dans un polar...

Cerise sur le gâteau, on se rend même bientôt compte qu'on s'est fait gentiment balader... Sur toute la ligne ! On retrouve soudain l'intrigue, elle rebondit et change de cap... Il y a de l'action, des poursuites, des bagarres, des situations surprenantes, on voit même Voltaire faire des choses qu'on ne l'imaginerait pas faire, même pour se défendre, on le voit risquer sa peau et même être à deux doigts d'y passer... Et pas qu'une fois...

Avec, dans toute cette histoire, la sempiternelle ambiguïté dans la relation de Voltaire à l'aristocratie. La dénonçant d'un côté, dans ses travers, ses débauches, ses errements, ses injustices, et l'utilisant de l'autre côté pour son propre intérêt... Sans oublier sa permanente recherche d'argent, son orgueil démesuré et ses petits plans à court terme...

La plus éclatante manifestation de ces contradictions, c'est son lien à l'armée, lorsqu'il investit dans les munitions, tout en déplorant la guerre et les dégâts qu'elle occasionne... Il y a des pages où l'on imaginerait presque Voltaire avec un philosophe auréolé sur une épaule et un banquier cornu sur l'autre, lui soufflant à l'oreille comment agir pour son bien... ou le bien commun.

Pourtant, ici, on le voit également se conduire avec courage, montrer des sentiments sincères, l'amour, j'en ai parlé, mais aussi un certain désespoir, voire du découragement... On découvre un Voltaire humain, loin de ce personnage survolté, veule et obséquieux, d'une grande mauvaise foi et un tantinet égoïste...

Oui, il m'a touché, le Voltaire de la fin du roman. Et ça a commencé à faire tourner les rouages de mon cerveau... Pour une fois, Voltaire ne se présente pas comme le plus grand tragédien de son temps, l'homme qui va révolutionner le théâtre... En revanche, on évoque le succès de "Zaïre"... Un conte philosophique ? Et si, au-delà du polar, de la gastronomie, de l'histoire d'amour, des rebondissements, de l'aventure, du comique de situation, c'est ce que nous avions en main ?

Et si Voltaire, dans "Crimes et châtiments", était tout à la fois Candide et Pangloss ? Il y a d'ailleurs un clin d'oeil appuyé à "Candide", puisque Voltaire s'entiche (ou est-ce l'inverse ?) au début du roman d'un cabot qui va finir par le suivre partout et qu'il va finir par baptiser... Leibniz ! Enième facétie d'un roman qui en compte beaucoup.

Ce quatrième volet est sans doute le plus décousu depuis le début de la série, mais on s'y fait vite. Et l'intrigue passe rapidement au second plan, avant de rejaillir en fin de récit. Pour autant, le plaisir de lecture est intact, parce que c'est loufoque et vachard. Je suis curieux de voir désormais, quelle tournure Frédéric Lenormand va donner à sa série...

Car, on arrive à un tournant de la vie de Voltaire...

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