dimanche 11 mai 2014

"L'animal est fait pour nourrir l'homme. A son tour, l'homme peut nourrir le Gardien."

Je reprends la plume, enfin le clavier, quoi, après quelques journées très chargées (que d'autres suivront...) pour évoquer le deuxième tome d'un cycle de fantasy dont j'avais apprécié le Livre Premier. J'y disais qu'on avait l'impression de lire un seul et même roman coupé en parts, je n'ai donc eu aucun mal à rentrer dans le Livre Deux du "Sang des 7 Rois", de Régis Goddyn (disponible à l'Atalante). Evidemment, ce billet s'adresse en priorité à ceux qui ont déjà lu le tome 1, je ne le précise pas à cause d'éventuels spoilers, mais parce que vous risquez surtout de ne rien comprendre à ce qui va suivre. Je restais sur une somme de questions, sur ce qui se passait dans cet univers très intéressant, à propos de deux personnages, Orville et Rosa... Je ressors de ce deuxième tome avec quelques réponses, pas mal de surprises, une intrigue qui se précise mais encore bien des interrogations !





Faisons le point. Orville, auto-proclamé roi du Huitième Royaume, qui ne comprend en fait que l'île du Goulet et les îlots alentours, est en exil sur un coquille de noix, accompagné du seul Pétrus, musicien et poète, mais qui semble mieux savoir naviguer que l'ancien soldat. Voilà les deux acolytes en fuite, mais entre récifs, hauts fonds, pirates et même la menace des Gardiens, difficile de savoir s'ils vont pouvoir s'en sortir.

Les objectifs exacts d'Orville, étonnamment serein malgré la situation quasiment désespérée dans laquelle il se trouve, reste flous, surtout pour le pauvre Pétrus. Mais Orville reste obnubilé par sa mission première : retrouver les deux enfants enlevés en Hautterre. Il maîtrise de mieux en mieux la Clairvoyance et les autres pouvoirs qu'il s'est découvert récemment et cela semble lui donner une grande confiance en lui, et en son avenir...

Avant d'envisager revenir à l'île du Goulet, il va sans doute devoir retourner sur le continent, où il se sait recherché... Mais, il va lui falloir se faire oublier avant d'espérer faire valoir son bon droit et reprendre son trône. Car les Gardiens ont brisé des Lois fondamentales des 7 Royaumes en le menaçant et en le poussant à quitter son île...

Rosa, elle aussi, commence à mesurer l'ampleur de ses capacités nouvelles. Comme Orville, c'est pourtant du sang bien rouge qui coule dans ces veines... L'adolescente est encore trop jeune pour se poser ce genre de questions, mais avec le danger, on mûrit vite. Poursuivie par Cravan, Gardien impitoyable qui veut sa mort, elle s'est réfugiée avec le théocrate Lambret au sein d'un groupe de fuyards.

En son sein, des hommes, mais pas des guerriers, des femmes, dont certaines enceintes, des enfants, nombreux, bref, pas vraiment la troupe capable de résister à Cravan et ses soldats expérimentés... Rosa et ses amis sont partis dans une région difficile d'accès, aride, escarpée, qui ne leur facilite pas la tâche, mais celle de Cravan non plus.

Leur seul objectif : retarder l'échéance, lorsque Cravan, en qui certains membres du groupe voient un démon, les rattrapera... En attendant, il reste la ruse. Et Rosa. La ruse, c'est brouiller les pistes au maximum. Quant aux pouvoirs de Rosa, bien utilisés, ils pourraient assurer la subsistance du groupe... Voilà comment Rosa, accompagnée de Fernest, se retrouve sur les crêtes, à cheminer seuls... Joli petit couple, non ? Mais je m'emballe...

Sylvan est Gardien. Un des rares qui respectent encore les règles et les traditions ancestrales, on dirait... C'est lui qui est à la tête de la Garde sur l'île du Goulet, lui qui reconnaît, parce que c'est ainsi, la souveraineté d'Orville, lui qui est, par son exceptionnelle rapidité, un combattant remarquable. Et ce qui se passe ne lui plaît pas du tout...

Et comme il n'est pas d'accord avec les ordres, ses positions déplaisent à Lothar, le général de la Garde. Ce dernier voudrait bien se débarrasser de l'empêcheur de tourner en rond et mettre à sa place Aldemond, un jeune garde, à la rapidité impressionnante, mais qui brille plus par sa curiosité intellectuelle que par son esprit guerrier. Lothar pense que, quand Aldemond aura remplacé Sylvan, il le manipulera sans problème...

Il faut encore comprendre qui pousse Lothar à se conduire ainsi, contre toutes les règles en vigueur. Mais la Lignée, autrement dit ces nobles qui ont du sang bleu (ardoise, disent les uns, myrtille, disent les autres) est au coeur des préoccupations et de ces grandes manoeuvres, violentes, cruelles, meurtrières et arbitraires, entreprises par la Garde... Et si d'autres voulaient, au contraire, relancer cette Lignée ?

Vous l'aurez compris, plus encore que le Livre Premier, ce Livre Deux entremêle les récits, les points de vue, les situations. La liste des personnages est longue, c'est un vrai roman d'aventures épiques, bourré de surprises, de rebondissements et de nouvelles perspectives qu'on imagine voir développées dans les tomes suivants.

Evidemment, je ne vais pas en dire plus, et, si vous vous plongez dans ce cycle, vous comprendrez à quel point ces quelques paragraphes sont une goutte d'eau tombée dans la mer intérieure où navigue Orville. Mais, comme lors de la lecture du Livre Premier, j'ai été frappé par la cohérence de l'ensemble, l'impression que rien n'est laissé au hasard, que Régis Goddyn sait parfaitement où il va et qu'il va nous mener là-bas par le bout du nez encore un moment.

La manière dont les personnages se dévoilent à nous, parfois en même temps qu'ils se dévoilent à eux-mêmes, est très bien faite. Comment voir venir certaines choses, quand les indices se cachent dans les corps ? Ce fameux sang, qu'on guette chez les uns ou les autres, est-il rouge, est-il bleu ? Et encore ! Voilà des êtres à sang rouge capable de choses extraordinaires... Mais que diable se passe-t-il dans les 7 Royaumes ?

Dans mon souvenir, j'avais évoqué dans le billet sur le Livre Premier, les questions d'épuration ethnique et de génétique appliquées à un cycle de fantasy. Dans ce second volet, tout cela se confirme et parfois, c'est troublant, presque dérangeant, tant on reconnaît des épisodes qui ont marqué notre imaginaire collectif, notre culture...

Les rafles, les exécutions sommaires, l'arbitraire totalitaire à l'oeuvre, jusque dans les plus abominables des crimes. On voit des populations réduites en esclavage, déportées, on évoque des camps, les descendances à endiguer, un sang qu'il faut tarir, absolument... Comment ne pas penser à la période nazie, bien sûr... Mais pas seulement, on y reconnaît d'autres crimes odieux du même genre...

J'en parle de cette façon, car ce n'est pas le coeur de ce Livre Deux, mais tout cela y est, en toile de fond. Tandis que l'on suit les pérégrinations, les (més)aventures des personnages évoqués plus haut, tout cela s'organise, se déroule, au vu et au su de tous, mais sans que cela soit aussi évident. La peur règne sur les 7 Royaumes, on le sent bien, et les Gardiens pourraient porter des uniformes noirs ornés de runes rappelant des S que ça ne serait pas plus étonnant que ça...

Régis Goddyn applique ces sinistres agissements à son univers de fantasy avec finesse, mais surtout, dans un but bien précis. On n'en cerne qu'une toute petite partie, pour le moment, mais il est évident que tout cela n'a rien de superfétatoire (j'aime énormément ce mot, je suis ravi d'enfin pouvoir le placer dans un billet !), que ce sera au service de l'intrigue centrale à un moment ou à un autre...

Non, on ne comprend pas tout ce qui se passe. On commence à avoir une idée de ceux qui agissent, mais pourquoi, sur ordre de qui ? Là, on est encore dans le noir complet. Pourtant, ce qui m'a intéressé dans ce deuxième tome, c'est que, parallèlement à la mise en action lente mais inexorable et redoutablement efficace de l'horreur, des oppositions s'organisent...

Les victimes, bien sûr, mais aussi ceux qui sont évincés, comme les Théocrates, des personnes, comme Orville, qui ont sans doute d'abord des raisons personnelles de ne pas accepter la chape qui tombe sur les 7 Royaumes, et même quelques hommes qui auraient dû se mettre au service de ce pouvoir monstrueux qui refusent, parce que cela contrarie leur éthique, leur intégrité.

Là encore, comment ne pas avoir à l'esprit le mot "résistance" ? C'est bien ça, pour le moment, diverse, éparpillée, désorganisée, ignorant même qu'elle puisse avoir une existence concrète pour le moment. Comme pour le génocide, cette apparition diffuse de ces mouvements, collectifs ou individuels, aux motivations variées, nous est soumise presque insidieusement, en marge des histoires principales, mais c'est bien là, c'est évident...

Comment les personnages principaux vont-ils s'articuler dans cette mise en place ? Comment les destins individuels et les aspirations collectives (qu'elles soient positives ou franchement néfastes) vont-ils s'entrecroiser, se compléter ou s'opposer ? Ce seront, parmi d'autres, les enjeux que je guetterai dans les prochains tomes (en croisant les doigts pour ne pas me faire berner une fois de plus par Régis Goddyn, maître ès-fausses pistes...).

Tout ça ne serait pourtant rien si cela ne se fondait pas dans un formidable roman d'aventures, entre terres, mer, montagne, dans des décors qu'on imagine somptueux, autant qu'hostiles, des lieux allant du sinistre au majestueux... A l'image de l'univers du "Trône de fer", on passe de l'un à l'autre de ces cadres qui, minent de rien, jouent leur rôle dans l'évolution et des personnages, et de l'intrigue.

Il y a des poursuites, du suspense, des bagarres, là encore dans des conditions sensiblement différentes, n'engendrant donc jamais de monotonie. La multiplicité, même si elle dérangera ceux qui aiment les récits simples et linéaires, est un formidable atout dans la manche de Régis Goddyn pour sans cesse relancer la mécanique.

D'ailleurs, parmi les personnages évoqués dans la première partie de ce billet, certains traversent le roman, d'autres n'y font que des apparitions, mais devraient revenir plus tard, d'autres seront simplement de passage, enfin, la situation de certains personnages changent radicalement entre le début et la fin... Là, c'est un autre parallèle qui le vient à l'esprit, dans la structure, pas dans le fond : la série "24h chrono".

Chaque livre est comme un épisode indissociable de son tout, comme chaque heure de la série impliquant Jack Bauer/Kieffer Sutherland. A la fois indépendante et pourtant, part essentielle de l'ensemble. Je suis bluffé par la façon dont Régis Goddyn construit son cycle, avec la même sérénité que son personnage d'Orville.

Vous croyez qu'on louvoie ? Je ne suis pas si sûr, le puzzle a 10000 pièces, toutes petites, qui paraissent toutes se ressembler, on a encore que les coins, mais on sait qu'on aura une image complète lorsque le cycle s'achèvera... Et cette image, Régis Goddyn l'a parfaitement en tête. Ne lui reste plus qu'à la mettre en mots, pour encore quelques tomes (le troisième est déjà disponible, le quatrième annoncé...).

Et le lecteur, lui, est accro, parce que ce qui se passe dans les 7 Royaumes poussent sévèrement à l'addiction. On veut comprendre ce qui se passe, qui tire les ficelles et pourquoi, comment ces projets démoniaques seront mis en échec (ah ben oui, quand même, on reste optimiste !), ce qu'il arrivera aux différents personnages, auxquels on ne s'attache pas forcément (peu le sont vraiment) mais dont le destin peu ordinaire et les questions qu'il suscite sont assez forts pour nous attacher à eux...

Le tome 3 est là, posé pas loin, me nargue presque... Je te lirai, un jour, je te lirai !

Et je saurai ce qu'il y a de pourri dans les 7 Royaumes...

1 commentaire:

  1. Tout à fait d'accord avec toi : cette série est épatante. Pas encore eu le temps de me plonger dans le tome 3, mais le 2 s'achève de façon vraiment incroyable : j'ai hâte d'en savoir vraiment plus sur ce monde-là.

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