lundi 11 août 2014

"Amour, quand je pense au mal terrible que tu me fais souffrir, je vais en courant à la mort, pensant terminer ainsi mon mal immense" (Miguel de Cervantès).

Je souris en pensant au décalage entre la phrase qui sert de titre à ce billet et le roman dont nous allons parler. Et pourtant, le lien existe et ce n'est même pas moi qui l'ai inventé. Enfin, si, un peu, mais en cela je suis parfaitement fidèle à l'esprit de l'auteur. Explications plus détaillées dans quelques paragraphes. Avant cela, ambiance musicale sur le blog, entre musique psychédélique, rock expérimental, rock progressif et musique répétitive, si j'ai tout bien saisi (exemple en bas de la page) pour planer grave. Le Stoner Rock, vous connaissez ? En lisant "Stoner Road", de Julien Heylbroeck, paru aux éditions ActuSF, je me suis senti dans les pantoufles à pompon de Monsieur Jourdain, car j'ai découvert que j'en avais écouté sans le savoir... Mais, au-delà de la musique et des substances le plus souvent prohibées qui l'accompagnent, voici un roman en forme de road movie, de buddy movie, de film d'horreur et de série Z, mais aussi et surtout, une histoire d'amour...





Cet été 1996 Josh est malheureux. Car Josh a été plaqué par Ofelia, la ravissante Mexicaine qui partageait sa vie jusqu'à il y a peu. Lassée de ce garçon à la motivation rarement très affirmée, et c'est un euphémisme, la demoiselle a pris ses cliques et ses claques et s'est barrée, oh, l'ignoble manque d'originalité du drame, avec Matt, son meilleur ami.

Mais, enfin, Josh a décidé de se retirer les doigts du... euh, de se bouger le... enfin, bref, de se secouer les puces, car sa belle Ofelia, il veut la reconquérir. Pour ça, direction le désert, au milieu de nulle part, là où doit se dérouler une Generator Party, une sorte de rave, mais pour amateurs de rock planant, si j'ai tout bien capté.

Josh sait parfaitement où doit se dérouler cette fête plus ou moins improvisé où l'on se défonce joyeusement aux rythmes lancinants du Stoner Rock, le souci, c'est qu'il a plusieurs jours de retard, au moment de monter dans sa vieille Pontiac. Et pour cause, il vient lui-même tout juste de redescendre d'un nuage psychotrope tout rose qui l'a emmené, mais genre too high, tu vooooiiiis ?

Voilà un des trucs qui a poussé Ofelia à le quitter : si elle utilise volontiers les drogues de façon récréative, Josh, lui, est un vrai junkie qui ne se déplace jamais sans sa pharmacie portative, sauf qu'il n'y a pas vraiment de sparadrap et de mercurochrome en cas de premiers soins à donner. Un produit pour chaque circonstance de la vie et, évidemment, quelques extras pour les cas de force majeure. Ce n'est pas pour rien qu'on l'a affublé du doux sobriquet de Doc Défonce...

Bref, tel le lapin d'Alice (lui aussi, il a du piocher dans les poches de Doc Défonce, d'ailleurs...), Josh est en retard. Il ne se fait aucune illusion, il va arriver après la bataille, lorsque le gros des troupes de teufeurs aura regagné ses pénates, mais il en reste toujours qui prolonge la fête ou, tout simplement, on du mal à se remettre de leurs émotions. Un brin chimique, quand même, les émotions...

Mais Josh compte sur ces traînards pour lui donner quelques indices concernant la direction prise par sa bien-aimée une fois la fête terminée. Et par son bellâtre, à qui il mettrait bien son poing dans la figure... Josh file, file, file sur la route qui va vers Ofelia (non, ça, ce n'est pas du Stoner Rock) pour arriver au plus vite.

Sauf que, sur place, rien ne se passe vraiment comme prévu. D'abord, on cuit, il n'y a rien de rien dans ce foutu désert, à part du sable et de la rocaille, et les rares personnes encore présentes sur les lieux de la fête n'ont même plus l'air de se souvenir de ce qui s'est passé les derniers jours. Il devait y en avoir de la bonne en circulation, parce qu'ils ont tous de la cervelle de canut dans le ciboulot.

La seule chose qu'apprend Josh, c'est le programme de cette Generator party, et la présence, manifestement décoiffante, d'un groupe au nom tellement bizarre que personne n'arrive à le retenir et encore moins à le prononcer. Un nom aux consonances aztèque, on dirait, avec des t et des l partout. Déjà, à jeun, pas évident, alors en fin de trip...

En plus de leur musique, c'est ce qu'ils ont distribué qui, apparemment, a eu de l'effet sur le public présent. Des champignons hallucinogènes, mais bien plus que ça encore, au point d'avoir eu le trip de chez trips... sans plus se souvenir de rien ! Voilà qui n'arrange pas les affaires de Josh, qui ne trouve aucune trace d'Ofelia sur place. Aucune de Matt non plus, mais ça, il s'en fout un peu...

Malgré un état de dépendance prononcé, Josh se lance dans une quête pour retrouver sa belle évanouie. D'abord, retrouver les groupes avec qui Ofelia, jeune fille sérieuse et délicate, aurait pu partir, de gré ou de force, on ne sait jamais, avec tous ces produits aux effets bizarres. Mais, de cette enquête, rien ne va sortir, Josh manquant même y laisser la vie.

Voilà comment il va rencontrer un gars qui est tout son contraire : Luke. Un redneck pur sucre, plus porté sur la country que sur le rock, raide comme la justice, n'aimant que l'Amérique, avec un A doublement majuscule. Le genre à rejoindre une milice pour chasser les wetbacks et les hippies hors des frontières de son pays chéri... Un bon gros néo-con, si vous voyez ce que je veux dire...

Pas vraiment le genre à traîner avec Josh ou Ofelia. Mais lui aussi cherche une femme, sa soeur, disparue comme Ofelia, lors d'une Generator party à laquelle participait le même groupe au nom bizarre... La coïncidence est trop grande, le groupe trop mystérieux et les causes trop nobles pour que ces deux là essayent de passer outre leurs différences fondamentales de points de vue... J'ai bien dit : essayent.

A eux deux, tant bien que mal, ils vont reprendre l'enquête, pénétrant chacun à leur tour dans le monde de l'autre, et, celui de Josh comme celui de Luke est plutôt haut en couleur, tant au niveau des lieux que des personnages qu'on y rencontre. Et tant bien que mal ils vont remonter la piste de ce groupe dont les concerts sont aussi rares que mystérieux.

A aucun moment, ils ne s'attendent à ce qu'ils vont, à force de persévérance, découvrir. Tout simplement, parce que cela dépasse l'entendement. Mais, pour l'amour d'Ofelia, Josh est prêt à tout, même à braver la folie, la violence, la monstruosité... Et même à supporter quelques jours de plus l'insupportable Luke, aux idées bien, bien courtes...

Alors oui, "Stoner Road" est un road movie. Josh, seul ou accompagné, parcourt sans doute quelques milliers de kilomètres au long du livre, dans une Amérique encore plus en déshérence que celle que traverse à Road 66. Là, aux frontières avec le Mexique, où l'on finit par ne plus trop savoir si on l'a franchie ou pas, il n'y a rien. Hostile, la nature...

Une Amérique loin d'être celle des cartes postales. On n'y croise que des freaks, des brutes, des cas sociaux, des zinzins, des foutraques... Et ça, sans même compter les drogués ! J'ai l'air de me moquer, mais l'Amérique de "Stoner Road" est tout simplement et volontairement délirante. La normalité, si tant est que ce mot ait un sens, y est quasiment absente.

Accrochez-vos ceintures, parce que cette Amérique-là n'est certainement pas celle des guides touristiques. Et, parce qu'il y a une cohérence dans tout cela, on comprend bientôt qu'il faut se méfier des apparences et que les monstres, puisque c'est ainsi qu'on baptise souvent un peu trop vite ces êtres, c'est vrai peu ordinaire, ne sont pas ceux que l'on croit. Et entre les potes zarbis de Josh et les copains propres sur eux de Luke, mon choix est vite fait, au final.

"Stoner Road" est aussi un buddy movie. Je ne vais pas entrer dans le détail, car il faut lire pour mieux se rendre compte de ce que l'attelage entre Josh et Luke a d'inconciliable. Tout les sépare et les séparera sans doute toujours. Et, comme souvent, dans les bons buddy movies, on finit par se demander lequel des deux personnages est vraiment le boulet. Là encore, j'ai mon idée, renforcée par la chute très drôle du roman, en forme de morale (celle du moraliste, pas du moralisateur).

Heylbroeck force le trait, sur Josh, comme sur Luke, et il fait de cet improbable duo le moteur de son roman. Un moteur qui dérate, qui tire à hue et à dia, qui tourne en rond aussi, parce qu'à force de ramer dans des sens contraires, c'est ce qui se passe, mais un duo qui doit aussi ne pas oublier ses motivations profondes. Et, là, l'union doit faire la force, malgré tout.

"Stoner Road" est aussi un roman fantastique tirant sur l'horreur, façon série Z. Là, vous allez devoir me croire sur parole, parce que l'irruption de ces éléments ne peut être racontée. Il faut la découvrir en lisant le roman. Disons qu'on est quelque part entre "Une nuit en enfer" et "Las Vegas Parano", une version sous acides, mais costauds, les acides, d' "Armageddon Rock", de George R.R. Martin (qui fera l'objet du prochain billet sur ce blog, minute teasing !).

Je me suis follement amusé à lire ce roman. Il faut dire que j'avais pour référence une nouvelle de Julien Heylbroeck parue dans l'anthologie du festival Zone Franche 2013, qui mettait en scène un tueur en série visant des obèses à la sortie de fast-foods... J'ai retrouvé dans "Stoner Road" cette même folie, ce sens de l'humour décalé et pince-sans-rire. Avec, à la clé, de l'horreur, oui, mais la encore traité d'une façon telle, qu'on a plus envie d'exploser de rire que de se cacher les yeux avec les mains.

Ou alors, je suis bien plus gravement atteint que je ne le croyais...

Reste l'histoire d'amour... En fin d'ouvrage, vous trouverez une interview de l'auteur, qui vous donne quelques clés de lectures. Franchement, lisez-les annexes, vous apprendrez plein de choses, sur le Stoner Rock, mais pas seulement. Et vous verrez que Julien Heylbroeck y évoque sa volonté, qui ne saute pas tout de suite aux yeux, d'écrire avant tout un roman d'amour.

Non, ça ne saute pas aux yeux, mais petit à petit, on collecte des éléments qui ramènent à quelques grandes histoires d'amour tragiques de la littérature. Mais la motivation de Josh est unique : reconquérir Ofelia (dont le prénom est déjà un indice). Elle aurait pu s'appeler Eurydice ou Guenièvre, car Lancelot et Orphée sont des références du roman.

Pourtant, celle que j'ai retenue, et qui explique le choix d'une citation de Cervantès, c'est Don Quichotte. Josh, c'est l'homme de la Manche, lancée dans une quête pour retrouver sa Dulcinée et se faire aimer d'elle. A ses côtés, Luke fait figure de Sancho Panza assez convaincant, même s'il n'a pas la bonhomie du personnage originel et si son bon sens le mène à quelques idées extrêmes et racistes qui ne le rendent pas aussi sympathique que son modèle.

Josh a sa vieille Pontiac pour Rossinante, même si c'est avec un tout autre destrier qu'il foncera vers son destin (amateurs de belles caisses, accrochez-vous !) et rien ne peut l'arrêter ou le dissuader de poursuivre sa quête. Contrairement à l'original, fou à lier, Josh est sain d'esprit mais la quantité de produits qu'il absorbe ne l'a pas franchement arrangé.

Toutefois, la folie est omniprésente dans "Stoner Road", à la fois source et génératrice de peur, comme si l'une et l'autre s'alimentaient en circuit fermé. Mais non, Josh, lui, contrairement à un personnage secondaire digne du personnage incarné par Sam Neil dans "l'Antre de la folie", n'est pas fou.

La preuve ? Les géants aux cent bras qu'il va charger, en digne hériter du chevalier à la triste figure ne sont pas des moulins à vent... Et le risque est bien plus grand que de se retrouver accrocher à leurs ailes, tournant lentement, ridicule et désarmé, à la merci du moindre souffle d'air, dans une position bien peu noble...

J'ai fait long, non ? Alors, je m'arrête là, juste en vous redisant que "Stoner Road" est un excellent divertissement et une play list portative. Car quoi de mieux que d'utiliser des titres emblématiques de ce genre musicales pour nommer les chapitres et permettre aux lecteurs de se plonger en quelques clics dans l'ambiance (euh, seule la musique est fournie, je précise) ?

Je vais faire de même pour conclure ce billet, en vous proposant deux titres de cette imposante et passionnante discographie. En l'occurrence, si je ne connaissais pas le premier groupe, originaire d'Allemagne, j'ai pas mal écouté le second, made in USA et un peu plus pêchu... Monsieur Jourdain, je vous l'ai dit !

Le premier, c'est Kadavar :





Le second, c'est Queen of the Stone Age :



3 commentaires:

  1. Ouah !!!!! Ça me donne vraiment super envie! Bon... C'est pas trop mon type de lecture mais là... ^^
    Par contre... Est ce qu'il y a des longueurs ? Parce-que Don Quichotte est un des rares romans que je n'ai jamais pu finir (malgré que ce soir une lecture imposée dans mon cursus :-P)
    Ça va être l'achat de septembre !
    Merci pour ce billet !
    Et j'aime beaucoup ta narration :-)

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    1. Je lis souvent ce mot, "longueur", je n'ai aucune idée de ce que ça veut dire. Pour moi, un livre est une globalité, j'ai besoin de le finir. Mais, je ne pense pas, vu que c'est un rythme de road movie, avec des chapitres courts.
      Entendons-nous bien, ce n'est pas une relecture de Don Quichotte, c'est un hommage aux grandes histoires d'amour et, pour moi, particulièrement à Don Quichotte. On est vraiment plus proche de la série Z voire du pulp que d'un classique. Et dans le fond, et dans la forme.
      Mais c'est bien dommage, Don Quichotte est un livre magnifique où il y a énormément à apprendre ;)

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  2. Oh! Je ne dis pas le contraire ;-) Toutefois l'écriture ou la traduction ne m'ont pas emportée... Je m'ennuyais fermement. (d'où l'emploi de "longueurs" car ça ne concernait pas tout le roman)
    J'essaierai sûrement un jour de le relire :-)
    J'avoue qu'en dehors de la trame c'est ce côté décalé qui me tente.

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