vendredi 8 août 2014

"Rome, partie de modestes débuts a crû au point de plier sous le poids de sa propre grandeur" (Tite-Live).

Avouez que ce titre de billet en jette, non ? Eh oui, nous allons plonger dans l'Empire romain, mais pas vraiment celui que l'on connaît. Non, un Empire uchronique, qui a duré, a crû et s'est développé bien au-delà des frontières qu'on lui connaît. Un Empire romain élargi et modernisé qui devient un immense terrain de jeu pour l'esprit créatif et facétieux d'un romancier. Un Empire où il se passe des choses étranges, où les dieux des panthéons ne sont jamais bien loin, où les identités s'affirment, où l'on est prompt à la trahison... Bref, des promesses d'aventures dans un univers plein de surprises et de trouvailles, voilà ce que propose Julien Pinson dans "la plume du Quetzalcoatl" (sans l'accent sur le o, désolé, moi et les caractères spéciaux...), publié aux éditions Voy'El. Un voyage plein d'humour et de rebondissements, avec un duo de personnages centraux digne des meilleurs buddy movies. Un excellent divertissement.


Couverture La plume du Quetzalcoatl


Arthorius est Pacifieur Impérial. Comprenez qu'il occupe un poste important dans la diplomatie romaine, pour laquelle il travaille à l'intégration dans l'Empire des populations récemment colonisées. Voilà 7 années qu'il accomplit sa mission au Nouveau Monde, où l'Empire a fini par s'imposer après un long conflit.

7 années qu'il n'est pas revenu au pays natal. Mais le revoilà. Pas de gaieté de coeur. Non pas qu'il ne se sente plus romain, mais parce que, s'il revient, c'est pour une raison inquiétante. Il doit référer d'une découverte pas très rassurante au Panthéon, afin que ceux-ci jugent des décisions à prendre et de la nouvelle mission dont il devra s'acquitter.

A son arrivée, Arthorius se retrouve flanqué d'un étrange personnage, un satyre appelé Dom, un vétéran de la légion dont le franc-parler et le cynisme parfois rafraîchissant, parfois dépassant les convenances, va demander un temps d'adaptation à Arthorius. Mais, on ne se débarrasses pas de Dom comme ça et, sans le savoir, une complicité entre les deux personnages s'instaure, qui sera au coeur du roman.

Alors, pourquoi Arthorius est-il revenu après une si longue absence ? A cause de ce qu'il a dans ses bagages. Surprise pour le Pacifieur, lui qui souhaitait rencontrer le Conseil Restreint, se voit convoqué devant le Grand Conseil. La plus haute instance de l'Empire, rassemblant l'ensemble des dieux du Panthéon.

Cela fait 60 ans qu'un mortel, comme Arthorius, n'a plus été convoqué devant le Grand Conseil, c'est dire si l'heure est grave. L'événement est rarissime dans l'Histoire et se termine rarement bien pour l'humain concerné... A Athorius de tout faire pour se faire bien voir de ce conseil parfois capricieux, souvent dissipé et toujours impitoyable.

Qu'est-ce qui peut bien motiver un tel branle-bas ? Quelque chose qui se trouve dans un coffret, dans les bagages du Pacifieur. Quelque chose qui remet en cause l'entière position de l'Empire romain au Nouveau Monde. Quelque chose qui est le symbole d'un danger imminent dont il va falloir s'occuper le plus rapidement possible sous peine d'une sacrée déconvenue outre-mer.

Une plume.

Ah oui, je vous sens dubitatif. Mais ce que rapporte Arthorius du Nouveau Monde et qui semble inquiéter l'ensemble des divinités romaines, c'est une plume. Pas n'importe laquelle, forcément. Une plume qui brille d'une infinité de couleurs. Une plume dont la vue peut glacer d'effroi une assemblée de dieux parmi les plus puissants du monde connu.

Une plume qui, selon toute logique, devrait être grise, dépourvue de toute couleur, morte. Comme celui à qui elle appartient, le Serpent à Plumes, le dieu Quetzalcoatl. Ce dieu même que les légions romaines, soutenues par les dieux, ont combattu au Nouveau Monde afin de le conquérir. Ce dieu qui a été vaincu et tué.

Ou pas.

Eh oui, cette plume qui irradie signifie que le dieu ennemi est toujours envie. Et pas besoin d'être soi-même un dieu pour comprendre les implications de cette découverte : vivant, Quetzalcoatl doit panser ses plaies et ruminer quelque part sa vengeance. Et préparer son prochain plan d'action pour repousser l'Empire romain et redonner au Nouveau Monde son indépendance.

Arthorius va devoir éclaircir tout cela, découvrir où se cache Quetzalcoatl, ce qu'il prépare... Un seul indice, c'est dans la coiffe d'un natif du Nouveau Monde que Arthorius a trouvé la plume. Et ce n'est pas non plus une bonne nouvelle : si tous les peuples du Nouveau Monde s'unissent, les légions romaines présentes là-bas auront bien du mal à résister.

Pourtant, à peine sorti du Conseil, et tout étonné d'être encore entier, Arthorius comprend que sa mission, déjà complexe, sera encore plus difficile que prévu : on a manifestement décidé de lui mettre des bâtons dans les roues. Peut-être de le faire disparaître, avant qu'il ait pu reprendre la mer... Mais qui ? Qui d'autre qu'un dieu romain pour savoir ce que sait le Pacifieur ?

Commence un périple dans ce Nouveau Monde, de Néo Rhodes, immense cité surplombée par la statue du Colosse, aux montagnes Rocheuses, avec, à chaque escale, de nouvelles rencontres, de nouvelles aventures, de nouveaux dangers. Et surtout, l'impérieuse nécessité de trouver, pour celui qui est avant tout un diplomate, des solutions à la crise qui approche...

Bien sûr, la trame de ce roman est assez dramatique si l'on s'en tient à ce résumé, mais ne vous y trompez pas, on rigole énormément à la lecture de ce roman. Le mélange entre fantasy et uchronie est très bien réalisé et l'on retrouve aussi bien du steampunk que des mafieux dignes du Chicago d'Al Capone, et même un côté western. Le tout... en toges.

Julien Pinson joue à merveille des clichés de ces différents genres, du péplum au film de gangsters, crée une ambiance très particulières, qui m'a rappelé "Tintin en Amérique", sans les questions raciales que peut souvent poser l'oeuvre d'Hergé, en particulier à ses débuts. Mais l'auteur s'amuse et nous avec, même si, peu à peu, il noue les fils d'un dénouement bien plus sérieux.

Car rester sur le simple décalage comique serait une erreur. "La plume de Quetzalcoatl" est avant tout un roman d'aventures et d'action avec au coeur du récit, une guerre qui menace et une ambiance propice à la trahison et aux coups fourrés en tous genres. Et l'on retrouve, mise en action, la fameuse maxime "si vis pacem, para bellum", "si tu veux la paix, prépare la guerre".

Et puis, il y a ce duo central. Arthorius, guindé, empesé par sa fonction et sa prestance de diplomate, sérieux jusqu'à l'ennui, peu porté sur l'action mais aussi assez taciturne. Et à ses côtés, Dom, le satyre, le boute-en-train qui n'a jamais, au grand jamais, sa langue dans sa poche et peut vous créer des ennuis en aussi peu de temps qu'il faut pour balancer une grosse vanne...

Pardonnez-moi ce lien, mais j'ai eu, dès son apparition, l'impression de voir en Dom la réincarnation de l'âne de Shrek. Dom parle dans ma tête avec la voix d'Eddy Murphy, ce sourire perpétuellement moqueur dans la voix et cette capacité à mettre le doigt juste là où ça fait mal, à toucher là où ça vexe... Un bel enquiquineur, en somme !

Mais aussi, un personnage terriblement attachant, finalement, même pour ce grand gars si sérieux d'Arthorius. Leur entente va leur permettre de se tirer de bien des mauvais pas et de faire avancer la quête du diplomate. Mais à qui se fier pour pacifier ? Voilà la question qui hante Arthorius, bien seul, malgré la présence de son nouvel ami et d'autres connaissances, que je vous laisse découvrir.

Arthorius doit justement gérer ce délicat équilibre entre guerre et paix. Il est diplomate, rappelons-le, et, manifestement, dans son genre, il se débrouille bien. Son action a commencé 7 ans plus tôt à l'issue d'une guerre, mais là, elle risque bien de prendre fin, et pas seulement son action, par une autre, s'il ne réussit pas à trouver les bons interlocuteurs et à empêcher un nouveau conflit dévastateur.

Cependant, Pacifieur ne veut pas dire victime sacrificielle montant docilement à l'autel où elle sera immolée. En latin dans le texte : "faut pas prendre les enfants des bons dieux romains pour des canards sauvages à la graisse d'urus (avec du miel ?)". Et s'il n'a guère de doute sur ce que le fatum pourrait bien lui réserver, il n'est pas décidé à le laisser s'accomplir sans s'être auparavant battu unguibus et rostro.

L'univers créé par Julien Pinson est vaste, il y a sans doute encore énormément à exploiter. J'ai évoqué Tintin, mais on pense aussi évidemment à Astérix, pour le jeu sur les clins d'oeil, les anachronismes et les trouvailles. L'auteur s'amuse, et nous avec, quand il nous emmène à Yellowstone, dans un parc gentiment revisité.

Oui, je pense que cet univers, mais aussi le duo Arthorius / Dom, même si je ne veux pas trop en dire sur l'évolution de leurs relations au fur et à mesure que leurs aventures se déroulent, mériteraient de nouveaux développements, car il est certain, et pas seulement en allant vers le Nouveau Monde mais en explorant, pourquoi pas, de nouvelles contrées, qu'ils pourraient vivre de nouvelles aventures. Enfin, loin de moi l'idée de mettre la pression sur un auteur, bien sûr...

Julien Pinson s'inscrit dans cette tendance très actuel qui consiste à faire intervenir les panthéons dans la vie des humains, concrètement, comme une continuation des mythologies antiques, en revisitant cela avec les techniques et les outils de la fantasy. On pense à Neil Gaiman, Christophe Lambert, Sylvie Miller et Philippe Ward et d'autres, certains dont j'ai parlé ici déjà, d'autres à venir, mais je ne les cite pas tous, parce que, parfois, les irruptions divines sont des surprises à ne pas dévoiler...

J'ai lu ce roman, le premier de Julien Pinson, il me semble, pour préparer une table ronde des Imaginales, consacrée à Rome. "Tous les chemins mènent à Rome" en était le thème, et on a pu le vérifier avec Cristina Rodriguez, Fabien Clavel et Johan Héliot, aux côtés de Julien Pinson. Et je ne regrette pas cette plongée, car je me suis énormément amusé.

C'est un roman parfait pour cette période estivale à qui veut se détendre, se distraire et jouer avec les clins d'oeil, nombreux, qui jalonnent le texte. Et puis, c'est aussi une belle occasion, dans un contexte jamais facile, de faire découvrir ou redécouvrir une petite maison d'éditions indépendante spécialisée dans la SFFF, les éditions Voy'El.

2 commentaires:

  1. Merci pour cette chronique élogieuse qui ravira certainement l'auteur de ce roman.

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  2. Un très grand merci pour cette critique.
    Je garde un excellent souvenir de la table ronde que tu animais cette année aux Imaginales. J’espère sincèrement que nous aurons encore l’occasion de nous croiser à Epinal.
    Julien Pinson

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