vendredi 10 avril 2015

"Le spiritisme est une science (...) qui traite de la nature, de l'origine et de la destinée des esprits, et de leurs rapports avec le monde corporel. Il faut y croire. Mais pour y croire, il faut comprendre".

Cette citation, longue, oui, je sais, mais c'était difficile de la raccourcir sans lui faire perdre de son sens, est parfaite pour introduire notre roman du jour, aussi bien dans le fond que dans la forme, nous y reviendrons plus en détails. Et, si nous avons devant nous un polar historique avant tout, force est de constater qu'il faudra lui ajouter une mention fantastique. Eh oui, le grand vilain sceptique que je suis n'est pas en désaccord fondamental avec le titre de ce billet, mais, il me manque certaines clés. Alors, en attendant... En attendant, je suis ravi de retrouver Achille Bonnefond, laissé bien mal en point à la fin de sa première enquête, "la Vierge-Folle". Et cette fois, il s'attaque à du lourd, des adversaires plus que redoutables et dangereux. Dans "59, passage Sainte-Anne", de Frédérique Volot (aux Presses de la Cité), on retrouve Paris sous le Second Empire, mais c'est un monde occulte et hostile qu'il va falloir visiter pour réussir à mettre fin aux agissements d'un tueur de chair et de sang, celui des esprits...



Après ses (més)aventures récentes, Achille Bonnefond s'est mis au vert en Touraine, dans sa propriété, avec sa maîtresse, Marthe, et quelques amis, dont Félix et Baise-la-Mort, rencontré lors de sa précédente enquête et qu'il a nommé régisseur des lieux. Du calme, du bon air, de la bonne nourriture et de la bonne humeur, un cocktail idéal pour se requinquer.

Mais, cette parfaite convalescence est bientôt bouleversée par un télégramme. Celui-ci annonce à Marthe la mort brutale d'une de ses amies, Mimi Pattes-Maigres. Une comédienne, une courtisane, mais qui n'aura pas eu la chance, comme Marthe, de trouver assez tôt le protecteur (comprenez le riche mari) qui puisse lui assurer un confort matériel à long terme.

Comédienne médiocre, cantonnée aux rôles secondaires, Mimi Pattes-Maigres avait dépassé l'âge d'être l'élu d'un coeur vieillissant et solitaire. Sans amant, encore moins mari, elle a vite dépérit, plongeant dans l'alcool et la pauvreté, jusqu'à commettre l'irréparable : un suicide. L'annonce de son décès et de la cause de celui-ci ne sont donc pas franchement une surprise pour Achille.

Mais Marthe, elle, n'en démord pas : impossible que son amie, même dans la mouise jusqu'au cou, même désespérée et sans ressource, ait pu attenter à ses jours. Cette mort, c'est un meurtre, clame-t-elle à qui veut l'entendre ! Et ils ne sont pas beaucoup à le vouloir... Pas plus Achille que les autres. Entre les amants, la routine a fait son oeuvre, il y a maintenant carrément de l'eau dans la gaz.

Quelques semaines passent et, un jour de novembre 1861, alors que Achille a regagné son domicile parisien, on vient lui apporter un message. Anonyme, comme il se doit. Un rendez-vous, à propos de Mimi Pattes-Maigres... Et si Marthe avait eu raison ? La curiosité l'emporte, Achille se rend au lieu dit, à l'heure dite, mais la rencontre tourne au drame.

Rien d'accidentel, bien au contraire... La mort de Mimi Pattes-Maigres prend alors un tout autre relief et Achille n'est plus du tout certain de son suicide. Voilà sa nouvelle enquête. Mais quel point de départ choisir ? Son équation ne comporte que des inconnues. Exceptée Mimi Pattes-Maigres. La fouilles des rares affaires de la défunte va pourtant être riche, avec un étrange message découvert dans la doublure d'une de ses robes.

Commence alors une enquête incroyablement dangereuse pour Achille, dans laquelle va l'accompagner sa cousine Garance (qui ne le laisse pas indifférent). Une enquête qui l'emmènera, entre autre, au 58, passage Sainte-Anne, au domicile d'un personnage dont la célébrité ne cesse de grandir à cette époque : Allan Kardec.

Le chantre du spiritisme, activité en plein essor, à cette époque. Toute la haute société s'y adonne, même des figures telles que Victor Hugo y ont recours. D'autres en ont fait une activité de loisirs, où l'on se fait peur à peu de frais, en convoquant des esprits malins. Mais, Allan Kardec, lui, prône une toute autre vision du spiritisme. Un lien entre foi et raison.

C'est là qu'intervient notre digression sur le titre de ce billet, le fond, la forme, tout ça... C'est Allan Kardec qui prononce ces phrases. Mais, elles sont plus qu'un dialogue de roman. En effet, s'il n'est pas rare de croiser dans les romans historiques, des personnages ayant existé, il est moins courant, sauf dans un contexte biographique, de leur faire dire leurs propres mots.

Ici, Frédérique Volot a pris comme option d'utiliser les écrits d'Allan Kardec, incroyablement populaires à l'époque, pour façonner ses dialogues. Et, pour cette phrase en particulier, elle est une mise en situation d'un passage-clé de "Evangile selon le spiritisme", dont on retrouve l'extrait in extenso en fin d'ouvrage.

Vous le savez, si vous êtes de fidèles de ce blog, il n'a ni vocation à ouvrir des débats de fond, ni à expliquer ce qu'il faut lire ou ne pas lire, simplement parler des livres tels qu'ils sont. Nous ne poserons donc pas la question "pour ou contre le spiritisme ?", puisque ce n'est pas le sujet de ce roman. Le spiritisme en est une part importante, et ce qu'il est tout à fait passionnant de découvrir.

Quelque part, je me dédit, en ajoutant la mention fantastique aux libellés de ce billet, mais c'est ainsi : les séances de spiritisme auxquelles nous allons assister dans le cours de cette histoire ont tout de manifestations surnaturelles, et c'est d'ailleurs, par moment, particulièrement réaliste. Au contact d'Achille, Kardec va être rattrapé par la fiction et son expérience du dialogue avec les esprits va en être durement éprouvée.

La manière dont le spiritisme vient s'intégrer à l'intrigue est très bien mené, alors qu'on pouvait craindre un côté un peu didactique au départ. Mais, bien vite, on n'y pense plus, même si on ne perdra pas de vue les réflexions d'Allan Kardec, qui méritent qu'on y réfléchissent par soi-même une fois le livre refermé.

Et cette dimension-là donne un caractère tout à fait particulier dans ce livre. En fait, très curieusement, j'ai repensé à "la Vierge-Folle", roman dans lequel Achille "s'infiltrait" dans le Paris des chiffonniers, devenait l'un d'eux, découvrait les us et coutumes d'un monde différent du sien, comme s'il était passé dans une dimension parallèle.

Dans "59, passage Saint-Anne", c'est la même chose, même si le passage d'un monde à l'autre est plus abstrait. Là encore, Achille Bonnefond pénètre dans un univers qui, au départ, lui est parfaitement inconnu. Sceptique, il l'est certainement d'emblée... avant de devoir se rendre à l'évidence et surtout, accepter les règles édictées par Allan Kardec.

Evidemment, tout cela est bien plus complexe que de demander à un esprit frappeur, un coup pour oui, deux coups pour non, qui est l'assassin, ah, ah, ah... Et surtout, infiniment plus dangereux, car on ne pénètre pas sans risque le monde des esprits. Cela donne une deuxième partie de roman non seulement passionnante, mais aussi très impressionnante et menée grand train.

Un rythme de thriller fantastique où Achille doit se démultiplier, car son enquête se passe aussi bien dans son décor habituel, Paris, que dans ce sombre panorama qu'entraînent les séances avec Allan Kardec. Et, face à lui, que ce soit en chair et en os, ou en esprit, il doit faire face à des adversaires redoutables, déterminés et mus par le mal...

Pour le reste, on retrouve la vie dans le Paris du Second Empire, même si, cette fois, on ne s'aventure guère dans des quartiers hors de ce coeur moderne façonné par le Baron Haussmann. Cette seconde enquête est très nettement centrée sur Achille, car, outre ses investigations à proprement parler, c'est lui qu'on voit changer sensiblement (même si cela restera à confirmer).

Célibataire endurci, séducteur mais un tantinet misogyne, Achille Bonnefond s'est toujours fait fort de rester un homme, un vrai, un indépendant, et, la pauvre Marthe peut en témoigner, n'est pas née celle qui lui passera la bague au doigt. Voilà comment on pourrait décrire l'Achille de "la Vierge-Folle", ce qui lui occasionnera quelques désagréments à la fin de ce livre.

Fidèle à lui-même, Achille se comporte comme un goujat avec Marthe, au début de "59, passage Sainte-Anne", lui faisant fermement comprendre que leur relation ne dépend que de son bon plaisir à lui... Mais, voilà que Garance, sa cousine, perdue de vue depuis un bail, réapparaît dans sa vie. Et ce bon vieil Achille, qui n'a jamais vraiment été un fan des réunions de famille, y trouve, brusquement, un intérêt certain...

L'armure n'est pas encore fendue, mais elle a peut-être un peu fondu. C'est un Achille amoureux que nous avons là, Mesdames et Messieurs, pour de vrai, pas pour la galerie ou pour le menu plaisir, non, il a le coeur qui bat la chamade, les papillons dans le bide, les pensées, qui s'évadent... Un vrai adolescent en pleine montée de sève !

J'ai l'air un peu moqueur, dans ces quelques lignes, mais je crois que si j'étais un proche d'Achille, c'est exactement ce que je ferais, tant sa métamorphose en amoureux transi a de quoi susciter de gentilles taquineries. Mais, au-delà de l'anecdotique, Frédérique Volot en fait aussi un élément important de son intrigue et Achille se mue en preux chevalier, lui, l'homme des conquêtes éphémères.

J'avais beaucoup aimé le côté roman historique du premier tome, ici, les sensations sont différentes. D'abord, c'est un roman plus sombre que le précédent où, malgré l'immense pauvreté qui y régnait, il y avait une certaine joie et une certaine lumière. Ici, c'est l'obscurité que l'on fend, lorsqu'on en appelle aux esprits. La plongée se fait dans le noir et la plupart des scènes importantes s'y déroulent.

Ensuite, je n'y reviens pas, il y a cette dimension fantastique, qui n'est pas surjouée ou surchargée d'effets faciles, mais au contraire, très dense et bien exploitée pour mettre le lecteur sous tension. On part nous aussi dans l'inconnu, on a un peu peur que ce monde des esprits nous aspire, un peu comme un trou noir. Qu'à la suite d'Achille, funambule de l'entre-deux-mondes, on y tombe, inexorablement.

Enfin, il y a ce personnage d'Achille, aussi attachant qu'il peut être pénible, pédant et insupportable. J'aime son côté bon vivant et sa détermination, mais son caractère est loin d'être parfait. Pourtant, on le suit aveuglément dans ses aventures, bravant les dangers considérables qui se dressent devant lui. Ce n'est pas l'inconnu qui l'effraie, au contraire, ça le motive. Et cela le rend passionnant.

Si vous découvrez cette série, il est évidemment mieux de commencer par la première. Mais les deux enquêtes sont indépendantes. C'est vraiment un plaisir de lecture, richement documenté, bien mené, on apprend plein de choses. Sans oublier un épilogue glaçant, parce que tout est fini, mais rien ne l'est vraiment...

Allez, Achille, remets-toi de tes émotions, on t'attend pour une troisième aventure qui, je l'espère, nous emmènera encore dans des domaines, des lieux, des recoins surprenants et fascinants. Une nouvelle enquête forcément pleine de dangers pour l'intrépide détective. Un peu trop, même, parfois, car il ne se ménage guère !

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