jeudi 23 avril 2015

"Les meilleures manipulations sont celles dans lesquelles tout le monde se trouve persuadé de détenir la vérité".

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE 2e TOME D'UNE SERIE.

Il y a des sorties qu'on attend avec impatience, mais aussi un peu de crainte. Parce que c'est la suite d'un livre qu'on a beaucoup aimé. Alors, on est heureux de retrouver un univers, des personnages, une intrigues, mais on se dit aussi qu'il faut absolument que ce soit au même niveau ou même mieux que le premier tome. Pari réussi pour notre livre du soir, deuxième volet du "Bâtard de Kosigan", de Fabien Cerutti, tout juste sorti aux éditions Mnémos; intitulé "le fou prend le roi". Pari réussi, parce que ce deuxième volet, tout en gardant les recettes du premier, est un livre sensiblement différent, qui ne laisse aucun répit au lecteur, embarqué dans un tourbillon incessant de rebondissements et d'action. Sensiblement différent, ai-je écrit ? Oui, car, si le premier volet faisait la part belle à la dimension historique, dans un contexte particulier, mais tout de même, celui-ci est un pur roman de fantasy historique, avec magie et créatures à gogo. Un kif... ENORME !



Pas de round d'observation. Lorsque nous retrouvons le Bâtard de Kosigan, il est en fâcheuse posture. En cet été 1340, il essaye de sortir la fille du Connétable de France, Adelys de Quiéret. Les voilà sur le toit d'une auberge proche de Lens, investie par des soldats anglais. Et la posture n'est pas fameuse, il va falloir ruser pour espérer se sortir de là...

On comprend, alors que la situation empire, que cette opération aurait dû être une formalité, puisque montée en concertation avec le Bâtard... Mais voilà, le plan ne se déroule manifestement pas sans accroc et Kosigan n'adore pas ça, mais alors pas du tout. Parce que cela ressemble à un magnifique guet-apens, alors qu'il aurait dû, lui, tenir les rênes...

Sorti in extremis de ce piège, le Bâtard en profite pour se retrouver au plus près du Roi de France. Une aubaine, c'était le but de l'opération. Mais aussi quelque chose de délicat, parce qu'après son intervention dans l'affaire de Champagne, quelques années plus tôt, il n'est pas franchement en odeur de sainteté auprès des Français.

Et l'accueil est pour le moins frais. Les accusations fusent. Dont une, qui surprend quelque peu le Bâtard : on verrait bien en lui l'assassin du Prince Jean, le fils aîné du Roi, tué la veille... Décidément, la période est bien mouvementée et Kosigan va devoir gagner la confiance de Philippe VI, le Roi de France, quitte à enquêter pour lui. Mais il lui faudra jouer serré, puisqu'il sera en mission à la fois pour les Anglais et pour les Français.

Voilà cependant l'occasion idéale de comprendre ce qui se joue exactement dans cet été caniculaire, dans le comté de Flandres... Les tensions sont telles d'un côté comme de l'autre que la guerre semble devoir inéluctablement éclater. Tout geste, tout propos, toute action prend des allures de trahison et, à Lens, on a vite fait de se retrouver en prison, en attendant de se balancer au bout d'une corde.

Rien ne va vraiment comme il devrait aller et le Bâtard de Kosigan, condottiere, chef d'une brigade de mercenaires, commencent à trouver que les événements s'agencent un peu trop bien afin de précipiter l'affrontement entre les deux plus grandes puissances européennes de l'époque. Habitué à maîtriser ses missions à la perfection, Kosigan est clairement dans le brouillard.

Mais, ce qui va petit à petit se dessiner devant lui dépasse tout bonnement tout ce à quoi il pouvait s'attendre. Et le complot qu'il met au jour est simplement gigantesque et pourrait, s'il aboutissait, changer complètement la face du monde, rien que ça, et non, je ne plaisante pas. D'un seul coup, Kosigan comprend que ses missions et ses manigances personnelles ne sont rien en comparaison.

Le danger, désormais, est partout, immense et mortel. Et Kosigan va se mettre en péril lui-même, mais aussi toute sa meute de mercenaires pour découvrir les tenants et les aboutissants du plan qui est à l'oeuvre. Le Bâtard de Kosigan sait que des forces occultes sont là et qu'il va lui falloir convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé...

Et, pendant que l'on découvre ce que traverse Kosigan, en 1340, son descendant, Michaël Konnigan, lutte contre la mort, suite à l'explosion intervenue à Maulnes. Ses amis, Charles Chevais Deighton, le professeur Ernest Lavisse et Léopold Delille se débattent pour comprendre ce qui a pu se passer, mais aussi pour décrypter les mémoires du Bâtard de Kosigan.

Avec elles, de nouvelles surprises, qui remettent en question l'Histoire de France telle que nous la connaissons. Mais, comment accréditer cela ? Les trois hommes, dans différents lieux, de la Bourgogne à Bruges, en passant par Londres et Paris, se lancent eux aussi dans une enquête aussi délicate que dangereuse, que l'on suit à travers leur correspondance.

Fabien Cerrutti se lance dans ce deuxième épisode sur les chapeaux de roue. Il attrape son lecteur par le col et ne le lâche pas, enchaînant à un rythme effréné les scènes d'action ou de suspense. Avec un avantage : il a plusieurs théâtres d'opérations, qu'il peut manier à sa guise, sans que jamais la tension ne redescende, puisque, en 1340 comme en 1899, le danger rôde.

Et, comme si cela ne suffisait pas, il donne un rôle un peu plus important à certains des loups de Kosigan. Edric, le jeune écuyer, et Dun, la Changesang, ont ainsi droit à leurs moments à eux, sur le devant de la scène, en pleine lumière. Cette dernière, surtout, se voit attribuer un rôle de confiance très important, qui pourrait être décisif pour l'avenir de la meute. Et sans doute plus encore.

Kosigan délègue, et il faut bien ça, tant il est mis à rude épreuve dans cette histoire. Toujours sur le fil du rasoir, sentant le souffle de la Faucheuse sur sa nuque à plusieurs reprises, faisant face à une multitude d'adversaires, dont le principal, qu'il va dénicher et pousser à sortir de sa cachette, est certainement le plus coriace qu'il lui ait été donné d'affronter.

L'intéressant, c'est qu'on est loin de l'archétype du chevalier sans peur et sans reproche. Quand Edrin est proche de faire dans ses chausses, on peut aisément le comprendre, car c'est encore un jeune homme peu aguerri. Dun, qui a déjà connu son lot de souffrance, cela surprend un peu plus. Mais Kosigan aussi ressent cette sensation crue et glaçante : la trouille.

Il n'est pas du genre à se laisser paralyser par elle, mais il lui faut aussi l'affronter, et avec elle, celui qui l'accompagne bien souvent dans son sillage : le doute. Douter de tout. De tous. Peut-être aussi de lui-même. Kosigan reste un héros roublard, pragmatique, intelligent, réactif, courageux et, évidemment, adroit et fort, mais on le sent à plusieurs reprises envisager l'échec.

Ce n'est certainement pas la première fois qu'une mission se goupille mal, on l'imagine, mais ici, l'échec n'aboutit qu'à une seule issue : la mort. Pas seulement la sienne, mais beaucoup de morts. La pression et l'urgence pèse sur les épaules de Kosigan et, au mieux, il va y laisser des plumes. Et sans doute aussi des amis.

Je l'ai dit, le rythme de ce roman est intense. On a droit à un nombre de scènes d'actions incroyables, utilisant aussi bien les situations classiques du roman de cape et d'épée que d'autres, tout aussi oppressantes, des poursuites, des interventions in extremis, des pièges qui se referment, des adversaires qui ont tout en contrôle...

D'ailleurs, c'est vraiment l'impression que j'ai eue au cours de cette lecture : dès le début, tout échappe au Bâtard de Kosigan, qui se retrouve sans cesse contraint à la réaction plus qu'à l'action. Et, lorsqu'il croit enfin reprendre les choses en main, c'est vite démenti par les faits. Comme une corde qui vous glisse entre les mains et fait que vous descendez bien plus vite que vous ne souhaiteriez le faire.

Vous remarquerez que je n'entre que peu dans les détails, que j'ai laissé bien des éléments dans l'ombre. C'est évidemment volontaire, car il faut laisser un maximum d'effet de surprise au lecteur. En revanche, et nous allons nous arrêter un peu sur cet aspect-là, "le fou prend le roi" est un pur roman de fantasy.

Le premier tome l'était aussi, mais les données de fantasy étaient plus contextuelles et on était, dans le récit lui-même, plus proche d'un roman de chevalerie. Ici, dès les premières pages, on comprend que les éléments de fantasy seront plus nombreux, plus présents et surtout, étroitement liés au récit lui-même. Magie, créatures diverses et variées, sans oublier l'adversaire principal du Bâtard...

Un Bâtard lui-même sur lequel on en apprend plus. Dans le premier tome, on avait déjà compris qu'il avait quelques secrets, le surprenant parfois lui-même. Disons-le tout net, si on commence à en savoir un peu plus sur ce personnage, on n'aura pas encore toutes les réponses. Mais, il est certain que ses spécificités et ses origines seront là encore des idées forces des tomes à venir.

Vrai roman de fantasy, disais-je, et grand spectacle en perspective, avec un déploiement tout à fait fascinant, au milieu de la Guerre de Cent Ans naissantes, de forces surnaturelles en nombre. Et pas franchement des plus sympathiques, pour la plupart. La magie, elle, est discrètement présente, mais partout, car les charmes volent bas.

A noter que j'ai hésité un temps à mettre une autre phrase, qui me semblent poser un peu mieux le coeur du roman, mais elle en dévoilait plus que je ne le souhaitais sur l'intrigue. Elle avait pourtant le mérite d'aborder la question des religions, des cultes et des croyances. Le sujet est abordé de manière très intéressante par Fabien Cerutti dans ce deuxième volet.

On le sait, si on a lu le premier tome, l'Eglise a largement contribué à éliminer tout autre culte sur le sol européen. La lignée elfique de Champagne, au coeur du premier tome, était une des rares résurgences de l'ancien monde. Ici, on note certes quelques tolérances, en particulier pour les sangs mêlés, mais la méfiance qu'ils inspirent est forte.

On a même, parmi les personnages ayant un rôle important dans ce deuxième livre, un inquisiteur. Avec des pouvoirs un peu particuliers, il est vrai, mais tel qu'on peut imaginer un personnage de ce genre. Encore un protagoniste qui ne nourrit guère de sympathie pour notre Bâtard... Et, si la religion catholique occupe une fonction coercitive, elle va plutôt se retrouver à son avantage au vu des circonstances qui vont émerger.

Pour une fois, cette question souvent posée par la fantasy historique, on le voyait encore il y a quelques jours lors du billet consacré à "la Voie de l'Oracle", penche plutôt du côté de la religion du Christ, par rapport aux cultes anciens. J'ai trouvé que cela avait une certaine originalité et surtout, c'est parfaitement cohérent avec l'ambiguïté entretenue sur la dimension uchronique du récit du Bâtard.

La dimension religieuse est vraiment au coeur de ce tome 2. Une terrible lutte d'influences avec, à la clé, la menace d'une situation chaotique au possible. Voilà ce que doit affronter un Bâtard qui n'est plus seulement coincé entre le marteau français et l'enclume anglaise, mais se retrouve à devoir combattre des forces bien plus puissantes encore.

Voilà, je me laisse emporter et le billet dure, dure, s'allonge... J'aimerais vous en dire plus encore, entrer dans le coeur, les tripes de ce livre, vous évoquer telle ou telle scène, vous emmener sur mer, sous terre, dans les airs, que sais-je encore, mais non, il vous faudra me croire sur parole. J'ai pris un énorme plaisir à ce deuxième tome, où l'on a pas le temps de s'ennuyer une seconde.

Un bémol ? Allez, je me suis creusé la tête, mais peut-être la fin est-elle un peu abrupte. Mais, c'est vraiment pour chipoter. Quant aux situations que l'on laisse, aussi bien en 1340 qu'en 1899, à la fin de ce volet, elles promettent de nouvelles péripéties passionnantes, avec une nouvelle direction prise par le Bâtard et sa troupe, qui laissent présager de nouvelles embrouilles.

Et de nouvelles découvertes sur les différents personnages des différentes époques. Avec aussi, espérons-le, un peu de répit pour nos braves protagonistes, car ils ont été durement éprouvés dans cette histoire. Oui, c'est sombre, oui, c'est douloureux, parfois, oui, c'est compliqué et rien de ce qui a été acquis n'est définitif, mais le lecteur, lui, sort le pop-corn et profite. Un vrai plaisir de gamin dévorant des romans d'aventures, vraiment !

2 commentaires:

  1. Un démarrage en trombes, c'est vrai ! Ensuite, je trouve que ça s'essouffle un peu.
    Et je n'arrive pas à m'intéresser à l'intrigue de 1899, même si on avance un peu par rapport au 1er tome...
    Mais c'est tout de même :"Un vrai plaisir de gamin dévorant des romans d'aventures" : tu as tout fait raison.

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  2. La partie de 1899 permet de penser que celle du XIVe est vraie et donc, que l'Histoire telle qu'on la connaît est fausse, et c'est ce qui fait tout son intérêt.

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