lundi 30 novembre 2015

"Jamais tu ne dois révéler qui tu es. Si vraiment tu dois parler de ton histoire, n'en livre que quelques bribes (...) Ces éléments superficiels suffiront à contenter ceux qui croiront alors connaître tes secrets".

Il est des périodes où il fait bon rire, se détendre. Même si ce rire n'est pas exempt de gravité et que l'histoire aborde des sujets, hélas, très présents dans notre actualité récente. Mais ne boudons pas notre plaisir et réjouissons-nous avant tout de retrouver des personnages qu'on a aimés lors de leurs premières aventures. Eh oui, c'est déjà la quatrième enquête de Jean-Philippe Lasser, le Détective des Dieux, que viennent de publier Sylvie Miller et Philippe Ward, aux éditions Critic. Mais, si notre Marlowe gaulois, amateur de whisky et aimant à emmerdes, est bel et bien présent, et quelle présence !, dans "Dans les arènes du temps", il partage cette fois la tête d'affiche avec Fazimel, qui prend du galon. Personnage remarqué lors des précédents tomes de la série, la jeune femme restait mystérieuse. Une fois ce dernier volet en date lu, vous en saurez (un peu) plus sur elle. Et elle ne sera plus jamais une simple assistante après cela.



En cette année 1937, Lasser a réussi ce qu'il croyait impensable à son arrivée en Egypte : gagner la confiance des Dieux. Non seulement il est devenu leur détective officiel, grâce à quelques succès retentissants, mais il a su obtenir un respect sincère de leur part. Cela ne l'empêche pas de rester méfiant et de déplorer leurs comportements vis-à-vis des humains, mais il se sent plus considéré.

Malgré cela, Lasser broie du noir. Son amour perdu pour Médée a laissé des traces et le détective se cautérise le moral au seize ans d'âge, au comptoir du Sheramon. Aussi, quand Isis fait son habituelle apparition éclair pour lui confier une nouvelle enquête, Lasser décline. Il n'est pas prêt à reprendre le boulot, même pour elle...

Or, le dossier en question n'est pas rien : Isis, depuis peu, a décidé d'étendre son empire, de se trouver de nouveaux fidèles, histoire d'asseoir un peu plus sa position dans le concert international des Dieux. Et, comme l'Egypte est déjà à ses pieds, c'est de l'autre côté de la Méditerranée qu'elle a choisi d'étendre son empire.

Depuis peu, un temple lui est dédié dans une ville du sud de l'Italie, Pompéi. En plein territoire du panthéon romain. Dans ce bâtiment construit entièrement à sa gloire, la déesse a fait installer une magnifique statue la représentant. Une statue qui a malencontreusement disparu. Enfin, malencontreusement, pas vraiment : tout indique qu'elle a été volée.

Un affront que la déesse, déjà un poil irascible en temps normal, ne peut laisser passer. Et pourtant, au lieu de menacer Lasser des pires tourments s'il ne se dépêche pas de se lancer à la recherche de la statue, Isis lui laisse le choix. De quoi réveiller l'instinct embrumé du détective, qui se méfie d'un tel comportement.

Mais, le détective n'est pas au bout de ses surprises : alors qu'il explique pourquoi il n'est pas apte à enquête en terre romaine, qu'il ne connaît pas les coutumes, ne parle pas la langue, tout ça, voilà que Fazimel propose son concours. Isis accepte, à une condition : que Lasser prenne le plus grand soin de son assistante, sinon, il lui en cuira !

Voilà le duo parti pour Pompéi où ils ne vont avoir qu'une semaine pour démasquer le voleur et remettre la statue à sa place, Une enquête délicate, car Lasser et Fazimel ne sont pas les bienvenus chez les Dieux romains, agacés de la présence d'Isis et des divinités étrangères de plus en plus nombreuses sur leur sol.

Pourtant, malgré quelques difficultés, après avoir bravé quelques dangers et avoir vu un Lasser toujours aussi prompt à s'attirer tous les ennuis du monde, l'affaire est résolu dans les temps et sans froisser personne. Et il n'est pas faux, bien au contraire, de dire que Fazimel a largement contribué à ce succès.

Une telle réussite que, peu après leur retour, Lasser reçoit une surprenante visite : Don Provenzano, en personne, parrain de la Mafia, dont l'aide fut précieuse, lors de la recherche de la statue d'Isis. Celui-ci est envoyé par Jupiter en personne qui a un problème à régler à Rome et aurait besoin d'aide pour cela.

Eberlué de se voir proposer un engagement par le Dieu romain, Lasser n'est pourtant pas au bout de ses surprises. En effet, ce n'est pas lui que Don Provenzano est venu chercher, mais... Fazimel ! Les ordres divins sont clairs : c'est la jeune femme qui mènera l'enquête, avec Lasser comme assistant (et garde du corps, les ordres d'Isis quant à sa sécurité restant plus que jamais en vigueur).

Et voilà le duo à Rome, cette fois, aux prises avec une enquête des plus complexes. Très dangereuse, aussi, et pleine de surprises. Pour les personnages... et pour le lecteur ! Mais, ce séjour romain, qui n'a rien de vacances (Lasser ne ressemblant pas vraiment à Gregory Peck, de toute façon), va aussi être l'occasion d'en savoir plus, enfin, sur la mystérieuse Fazimel...

Commençons par là : lors des premières enquêtes de Lasser, on a souvent croisé la jeune femme, réceptionniste au Sheramon et assistante à temps partiel du Détective des Dieux, mais elle restait un personnage secondaire. Ce qui ne l'avait pas empêché de charmer les lecteurs, mais aussi de laisser quelques indices montrant qu'elle n'était peut-être pas juste ce qu'elle laissait paraître.

Quelques aptitudes, quelques connaissances qu'on ne trouve pas dans les papyroïdes, qu'elle lit pourtant avec assiduité, quelques secrets qui restaient à éclaircir. Dans ce quatrième tome, un coin du voile se lève. A la fois au cours de l'action proprement dite, où elle ne va pas seulement faire preuve d'initiatives pleines de sagacité, mais aussi de capacités à rendre jaloux Lasser.

Mais aussi sans qu'elle le sache, à travers des conversations que Lasser va avoir avec un autre personnage, dont je ne vais rien vous dire ici, eh oui... Le détective lui aussi se posait quelques questions au sujet de son assistante, il ne va pas être déçu des réponses, car ce qu'il va apprendre et les secrets dont il va devenir dépositaires pourraient bien lui poser à l'avenir quelques cas de conscience...

Fazimel gagne d'ailleurs concrètement ses galons, puisqu'elle devient co-narratrice du roman, ne laissant plus au seul Lasser la tâche de raconter ses enquêtes. Si ça, ce n'est pas de la promotion ! Le lecteur découvre alors à quel point la jeune femme est différente de son alter ego, patiente, intuitive, méticuleuse, mais aussi parfois naïve et impulsive.

Nul doute que ce que l'on sait désormais de Fazimel aura un poids important dans les prochaines aventures de Lasser. En introduisant ces informations dans ce tome, Sylvie Miller et Philippe Ward font franchir une nouvelle étape à leur série. La personnalité de Fazimel et tous les ressorts, à la fois comiques (des quiproquos...) que dramatiques (une révélation fracassante, que sais-je ?) qu'elle offre donnent de nombreuses opportunités de développements futurs.

Il y a une vraie complémentarité entre les deux, même si, au cours de cette enquête romaine, Lasser, en maladroit accompli, va laisser Fazimel mener sa barque. Et pour cause, pendant que la détective en herbe remplit le rôle qui lui a été confié, son aîné va s'embarquer accidentellement dans une étonnante odyssée à travers le temps...

C'est d'ailleurs dans ce voyage pas vraiment maîtrisé que l'on retrouve toute la fantaisie et l'inventivité dont font preuve Sylvie Miller et Philippe Ward depuis qu'ils ont créé cette série. Les époques, lieux et événements où va atterrir Lasser bien malgré lui sont la partie la plus drôle d'un quatrième tome à la tonalité générale un peu plus sombre que les précédents.

Pas seulement parce que Fazimel est un personnage un peu plus sérieux que Lasser, mais aussi parce que les thématiques qui sont abordées l'imposent. Venons-en à une thématique qui est présente dans chaque volume de la série, mais prend ici, par l'intervention d'un nouveau personnage (non, sur lui non plus, je ne dirai rien, n'insistez pas), une dimension particulière.

Cette problématique, ce sont les guéguerres permanentes entre dieux. On se jalouse, au coeur des panthéons, on recherche l'adoration de fidèles chaque fois plus nombreux, alors qu'on les méprise le plus souvent. On se chicane et, désormais, on s'asticote entre panthéons, puisque les frontières sont ouvertes et les uns s'installe chez les autres, comme on l'a vu avec Isis.

On était pourtant encore bien loin de guerres de religions telles qu'on peut les entendre dans notre monde, même si la question de l'intégrisme était déjà abordée directement dans le précédent volet, "Mystère en Atlantide". Dans "Dans les arènes du temps", une nouvelle marche est gravie dans ce domaine, avec, cette fois, une dénonciation brute et finement menée de la folie fanatique.

Alors que la visite de Fazimel et de Lasser à Rome ne fait pas que des heureux dans l'entourage de Jupiter, loin de là, une autre véritable menace est ourdie dans l'ombre. Les mêmes jalousies et bisbilles observées par le détective en Egypte se reproduisent à Rome, mais elles ne sont que de la roupie de sansonnet à côté de ce qui se trame réellement.

D'ailleurs, et c'est aussi certainement ce qui apporte le côté un peu plus sombre de ce quatrième tome, c'est vraiment la première enquête de Lasser où il lui faut se mesurer à un tel adversaire, aussi sombre et dangereux. Car les bâtons dans les roues que Lasser a dû éviter jusqu'ici n'étaient que de la petite bière comparés à cet ennemi-là...

Oh, ne croyez pas pour autant que Sylvie Miller et Philippe Ward ont abandonné la recette initiale de la série. On retrouve dans "Dans les arènes du temps" les mêmes clins d'oeil, les mêmes jeux avec des éléments décalés et ce mélange entre fantasy, uchronie, roman noir et humour. Sans oublier le voyage temporel, bien sûr.

Le principal clin d'oeil, je dois dire, m'a beaucoup amusé. Comme ils l'ont fait régulièrement dans les trois premiers volets (et Fazimel, inspirée par Mélanie Fazi, en est l'exemple-type), les deux facétieux auteurs ont choisi un de leurs camarades bien connus du monde de l'imaginaire pour en faire un personnage de leur roman. Et je dois dire qu'ici, c'est particulièrement réussi !

On ne peut pas terminer ce billet sans évoquer un peu plus Don Provenzano, le plus charmant et charmeur des parrains que la Mafia ait connu. Un homme aux relations fort utiles aux deux enquêteurs venus d'Egypte et qui va d'autant plus se plier en quatre que Fazimel, alias la Ragazza, ne le laisse manifestement pas indifférent...

Une nouvelle facette du roman noir passe à la moulinette du noir duo, avec ces mafieux, discrets et efficaces, mais aussi un peu dépassé par les événements par moments, car le duo Fazimel/Lasser est totalement imprévisible et capable de se fourrer dans les pires situations. Mais, en toutes circonstances, Don Provenzano garde sa contenance et son calme, tout en dégageant une autorité naturelle et une aura dangereuse qui rend le personnage très intéressant.

Encore une fois, Sylvie Miller et Philippe Ward nous divertissent, nous surprennent, nous font rire tout en nous interpellant. Ils poursuivent surtout la construction de leur univers, en l'étendant un peu plus géographiquement (et ce n'est pas fini !), en le complétant, en y ajoutant quelques nouveaux dieux, potentiellement hostiles, quelques personnages, et pas des moindres.

L'équilibre entre l'intrigue elle-même, pleine de tension et de suspense, l'action, l'humour et les révélations autour de Fazimel prend encore parfaitement et, la dernière page tournée, on est déjà impatient de retrouver Lasser, Détective des Dieux, et son assistante, en passe de devenir bien plus que cela, pour de nouvelles aventures bien déjantées.


Les billets sur les précédents tomes :
- "Un privé sur le Nil".
- "Mariage à l'Egyptienne".
- "Mystère en Atlantide".

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