Le SDPJ93 est sur les dents. Il est très tôt, ce matin-là, avant même que le jour se lève, et le groupe du capitaine Victor Coste est réuni au grand complet. L'alerte a été donné par Fleur Sainte-Croix, magistrate à Bobigny, et on ne refuse rien à cette jeune femme, même lorsqu'on a peu dormi après une journée de détente bien arrosée.
La raison de ce réveil en fanfare, c'est la disparition d'un jeune homme, Marc Sebag, âgé de 19 ans. Le samedi soir, il a disparu à la sortie d'une boîte de nuit, alors qu'il cherchait à se procurer de la cocaïne. Une banale disparition, a priori, jusqu'à ce que les parents ne reçoivent, en pleine nuit du dimanche au lundi, un sms leur réclamant une rançon pour revoir leur fils...
Affaire délicate, mais les hommes de Costa sont rompus à ce genre d'opérations. Seul hic, deux officiers de la BRI qui débarquent, preuve du peu de confiance qu'on fait aux policiers du 9-3... Mais aussi de la crainte en haut lieu de voir se reproduire une nouvelle affaire Ilan Halimi, le disparu étant juif, lui aussi...
Alors, oui, les hommes de Coste savent parfaitement comment gérer ce genre d'affaire. Mais, ce jour-là, une série de petits détails va tout faire partir en vrille. Et salement. L'affaire Sebag, modèle pour un désastre, le genre de fiasco à enseigner dans les écoles de police. Un temps de retard du début à la fin que Coste et ses hommes ne vont jamais pouvoir rattraper...
Conscients d'avoir merdé sur toute la ligne, les hommes de Coste ont soif de revanche et souhaitent coincer rapidement les kidnappeurs de Marc Sebag. Mais, ce sera sans leur chef charismatique. Usé, à bout, Coste a décidé de prendre du recul après cette opération loupée. Une mise au vert nécessaire, mais peut-être pas suffisante pour raviver une flamme en train de s'éteindre...
Seulement, il était dit que rien, vraiment rien ne se passerait comme prévu dans cette histoire... A peine Ronan, Sam et Johanna ont-ils remis un peu d'ordre, à défaut de pouvoir réparer les conséquences des erreurs commises, que le SDPJ 93 se retrouve devant une nouvelle affaire qui la fout carrément mal...
Un cambriolage. Un bête cambriolage, oui. Mais pas n'importe où : dans la salle des scellés du tribunal de Bobigny, là, à deux pas de leur commissariat... Des preuves qui disparaissent et cinq dossiers sont gravement compromis. Comprenez : des assassins, un braqueur et un pédophile vont être remis en liberté, puisque le principal élément à charge a disparu...
"Surtensions" est un roman sponsorisé par la Loi de Murphy. Vous savez, celle qui dit que tout ce qui est susceptible de mal tourné, tournera nécessairement mal... Vous en avez eu un échantillon, déjà, avec l'affaire Sebag. Mais, force est de reconnaître que ce n'est qu'un exemple parmi d'autres dans ce polar à tiroirs.
Si vous le lisez ou si vous l'avez déjà lu, peut-être serez-vous surpris de mon choix de centrer le résumé sur Coste et son groupe, alors qu'il se passe beaucoup de choses avant qu'on les retrouve. Mais je ne veux pas dévoiler certains aspects de l'intrigue, qui fait appel à différents fils narratifs que les flics vont devoir démêler.
Avec un point commun : que ce soit les histoires impliquant directement les hommes de Coste ou ces autres histoires, toutes vont avoir droit à leur petit grain de sable, le petit rien, l'imprévu, le truc à la con qui fait tout foirer ou complique la donne. Une montre, un numéro mal écrit, par exemple, et ce brave Edward A. Murphy Jr nous ressert sa loi, et l'emmerdement maximum qui va avec...
On est loin des héros infaillibles et des méchants imprévisibles que peut nous servir Hollywood à la louche dans ses grosses productions. Dans "Surtensions", les erreurs, les bourdes et les vilains petits coups du sort sont équitablement partagés entre le camp des gentils et celui des méchants, entre lesquels se trouvent une zone grise où se débattent certains personnages embarqués dans la spirale dramatique...
Un engrenage fatal qui semble s'emballer au fil des chapitres, et l'on imagine une manivelle tournant à toute vitesse, comme folle, que personne ne parvient à maîtriser pour la faire repartir dans le bon sens... Et le lecteur assiste, impuissant, à ce scénario catastrophe où rien ne se passe comme prévu. Enfin, presque rien...
Comme il l'a fait dans les deux premiers romans du triptyque, Olivier Norek a choisi des angles bien particulier pour évoquer le département dans lequel il a travaillé lui-même pour le SDPJ : la Seine-Saint-Denis. Pour "Surtensions", l'un des angles forts, c'est le délabrement du système pénitentiaire et le manque de moyen de la justice pour remplir correctement ses missions.
On plonge d'abord dans l'enfer de Marveil, le plus grand centre pénitentiaire d'Europe. Entre surpopulation carcérale, locaux vieillissants et inadaptés, personnels insuffisants et démotivés, budgets sans cesse à la baisse, c'est un endroit dantesque que l'on découvre, où il ne fait pas bon atterrir, surtout lorsqu'on n'y est pas préparé.
Envoyez-y un condamné lambda qui n'a pas les épaules ni la carapace nécessaire pour supporter les violences, y compris sexuelles, les brimades, la solitude, l'absence des proches, le peu de soutien de l'administration et vous n'avez pas 36 solutions : où il devient lui aussi une bête sauvage ou il pète les plombs...
La première partie de "Surtensions" est dure, violente, dérangeante. On est loin de la prison outil de réinsertion. Non, c'est une gigantesque zone de non-droit où la seule loi qui vaille est la loi du plus fort. La République, qui est pourtant en charge de ce lieu (imaginaire, je le précise, mais qui fait penser à Fleury-Mérogis, prison située en Essonne) est aux abonnés absents.
Et puis, il y a le tribunal de Bobigny, institution qui fait souvent la une de l'actualité, et qui vient ici incarner la justice et ses maux. Là encore, manque de moyens et de personnel, surabondance d'affaires à traiter, directions changeant au gré des alternances politiques, tout cela est mis en exergue à travers un des rebondissements forts du livre : le cambriolage de la salle des scellés.
Comment dire ? On entre dans ce tribunal comme dans un moulin, a-t-on l'impression. Les cambrioleurs eux-mêmes paraissent surpris de la facilité avec laquelle ils pénètrent dans les lieux et en ressortent. Sous le nez des policiers qui se trouvent dans le bâtiment voisins... Dans cette époque pleine de menaces, il y a dans ces scènes de quoi avoir froid dans le dos...
Dans un pays où il est souvent de bon ton d'opposer police et justice, il n'est sûrement pas anodin de voir un policier devenu écrivain faire ses constats, les mettre au coeur de son roman et s'en servir dans un contexte sans concession. Un contexte parfait pour y situer un roman noir, mais, au-delà du côté littéraire, au lecteur aussi de se sentir interpellé par ces constats tragiques.
En filigrane, mais là, je ne vais pas en dire trop, d'autres thèmes apparaissent et en particulier, les convoitises que le département de Seine-Saint-Denis attisent chez certains. Là encore, le constat est inquiétant (au-delà de la licence romanesque utilisée dans ce domaine) et ne laisse rien présager de bon, le profit immédiat semblant l'emporter largement sur le développement, malheureusement...
Reste l'état des troupes. On se souvient que "Code 93" débutait par le départ d'un flic du 9-3 pour un poste plus tranquille, à la campagne, où il pourrait profiter de sa famille à l'écart de cet éprouvant maelström. Et on se souvient que, déjà, on sent un Coste, charismatique mais taiseux, sujet à bon nombre de questionnements existentiels.
Au fil des romans, on ne peut pas dire que sa situation s'améliore, au contraire. Et avec parfois, la sensation désagréable qu'il ne parvient même pas à apprécier ce qui se présente de positif. Qu'il le repousse, comme s'il se voyait comme un poids énorme susceptible d'entraîner tout le monde par le fond à sa suite.
Victor Coste connaît les affres de la dépression. Sisyphe moderne, il a pris conscience de la vacuité de son action eu égard à l'importance de sa mission. On pourrait multiplier les métaphores mythologiques, en disant que les flics du 9-3 sont comme les Danaïdes qui, aux Enfers, sont condamnées à remplir un tonneau sans fond...
Coste est le personnage fort du triptyque, ses états d'âme sont aussi un élément-clé de ce dernier volet. Peut-il endiguer sa descente aux enfers ou, au contraire, les événements vont-il précipiter sa chute ? A sa façon, il incarne certainement bien des policiers, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, qui ne supportent plus la pression quotidienne qui pèse sur leurs épaules...
Dans "Surtensions", on sent Coste sur un fil. Autour de lui, il y a les drames, les erreurs, le stress, la peur, aussi, les responsabilités d'un chef de groupe... Et puis, il y a les guéguerres entre services, les mouvements hiérarchiques, les perspectives d'avenir incertaines... Tout ce qui contribue aussi à rendre le boulot inconfortable.
"Surtensions" vient clore le triptyque d'Olivier Norek sur une note bien sombre, à l'image de l'humeur de son personnage central. On cherche fébrilement une lueur d'espoir et on peine à la voir apparaître. On finit cette lecture sonné par les événements et les dernières lignes ne font rien pour nous apaiser véritablement.
Une fin ouverte, qui laisse la porte entrouverte pour que le triptyque n'en soit plus un, dans un avenir plus ou moins proche. Et, dans le même temps, on se dit qu'une nouvelle page ne peut être que très différente, par la force des choses. Mais, plus que de Norek, c'est de Coste que doit venir la réponse... Laissée en suspens.
une superbe analyse! surprenant !
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