jeudi 17 novembre 2016

"Il portait cette armature rigide, l'apparence. Il était monstre en dessous ; il vivait dans une peau d'homme de bien avec un coeur de bandit..." (Victor Hugo).

Ah, le monstre... Il revient, à intervalles réguliers, hanter les lignes de ce blog, sous diverses formes, sous diverses plumes, dans différents contextes... En voilà un nouvel exemple, avec un roman qui est sorti il y a un petit moment, a connu un joli succès, en particulier pour un premier roman, et vient de ressortir en édition de poche. Je l'avais, non pas dans une pile, mais au chaud dans une liseuse depuis un petit moment et je me suis lancé il y a quelques jours, curieux de découvrir ce livre dont j'avais beaucoup entendu parler. "Block 46", de Johana Gustawsson (paru chez Bragelonne et disponible en poche chez Milady), est un premier thriller très efficace, avec des côtés très originaux, d'autres plus classiques, tout comme les ficelles utilisées. Mais, on est happé d'emblée et on ne décroche plus jusqu'aux dernières pages, et c'est finalement ce qu'on attend de ce genre de livre. Un essai prometteur, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui ne demande qu'à être transformé.



Alexis Castells est écrivaine et son domaine de prédilection, ce sont les tueurs en série. A l'instar d'un Stéphane Bourgoin, elle leur consacre des ouvrages très documentés et n'hésite pas, pour cela, à aller les rencontrer, les interviewer dans leurs prisons. Une vocation qui, on le comprend à l'inquiétude de ses parents, ne doit rien au hasard.

Alexis vit à Londres et, malgré l'intensité de son travail, elle conserve tout de même du temps pour ses amis. L'une d'entre elles, Linnéa Blix, doit présenter dans la capitale britannique la collection de bijoux qu'elle a dessinés pour Cartier. Un petit nombre de personnes est invité à cette soirée, dont Alexis, qui sort sa plus belle robe pour l'occasion.

Mais, lors de cette soirée, ne manque qu'une personne : la star attendue de la soirée, Linnéa Blix. On se dit d'abord qu'elle a du retard, puis qu'elle a sans doute eu un problème... La créatrice partait souvent se ressourcer en Suède, dans un coin à l'écart du monde. Un incident quelconque a dû se produire en chemin, rien de grave.

Jusqu'à ce que son compagnon débarque affolé à la soirée... Peter Templeton non plus n'a pas de nouvelle de celle qui partage sa vie et là, c'est franchement plus inquiétant. Qu'elle ne donne pas de nouvelle depuis la Suède, c'est habituel, mais qu'elle rate la soirée la plus importante de sa vie, c'est juste impensable, sauf gros souci.

Tout indique qu'elle n'a jamais quitté la Suède... C'est donc dans ce pays que se rend au plus vite Alexis, afin d'essayer de retrouver son amie. Mais, sur place, c'est la plus effroyable des nouvelles qui les attend : alors que ses amis se faisaient un sang d'encre, le corps de Linnéa était découvert par hasard, à Falkenberg, près de la maison où elle aimait tant se ressourcer...

Une mort qui n'a rien de naturelle. Un crime qui n'a rien d'anodin. Linnéa Brix a été massacrée, il n'y a pas d'autre mot. Et les traces laissées sur son corps par le tueur posent question. Comme ce Y gravé sur son bras... Alexis, déjà sous le choc de la nouvelle de la mort de son amie, est un peu plus touchée par ces informations.

Elle voit alors débarquer en Suède une de ses connaissances. La présence d'Emily Roy dans cette région est tout à fait inattendue. Une profileuse, l'une des plus renommées, qui se pointe dans un village côtier en Suède, ça ne se voit pas tous les jours. Et, si elle est là, c'est pour de bonnes raisons, qui aiguisent la curiosité de l'écrivaine...

Alexis y voit la confirmation que Linnéa n'a pas été tuée par un simple rôdeur. Elle a été victime d'un tueur en série. Mais, il y a un hic, et de taille : Linnéa ne ressemble pas du tout aux victimes précédentes, recensées en Angleterre. Jusqu'alors, ce sont des enfants qui ont été tuées selon ce mode opératoire. Pourquoi avoir changé d'aire géographique et de profil de victime ?

Emily, qui traque le tueur depuis de nombreux mois, et Alexis, qui veut comprendre ceux qui est arrivé à son amie, mènent l'enquête. Elles l'ignorent encore, mais leurs investigations vont les mener dans les zones les plus sombres de l'âme humaine. Et les transporter près de 70 ans en arrière, dans un lieu aux allures d'enfer : le camp de Buchenwald.

C'est évidemment le lien entre ces deux périodes qui est au coeur de l'intrigue. Sans en dire plus, Johana Gustawsson choisit de mettre en parallèle ces deux trames narratives, l'enquête d'Emily et d'Alexis, à notre époque, et une autre histoire se déroulant dans le camp d'extermination nazi. Si je l'évoque, c'est parce que ce second récit apparaît très tôt dans le roman.

Mais, si j'en parle, ce n'est que pour l'effleurer, car cette partie, il vous faudra la découvrir, au fur et à mesure, faire connaissance avec les personnages et l'atroce engrenage dans lequel ils sont embarqués. Et puis, pour le reste, laissez-vous porter par cette histoire haletante, addictive, qu'on ne lâche plus une fois lancé...

La force de "Block 46", c'est de mettre deux formes d'horreur en parallèle : celle attachée aux camps d'extermination nazis et l'autre, ce croquemitaine moderne qu'est le tueur en série. Deux thèmes qui, indépendamment, font déjà frémir quand on les évoque, alors, lorsqu'on les rassemble, à condition de bien mener sa barque, on tient un fort sujet de thriller.

Johana Gustawsson tient bien ses rames. L'affaire est rondement et parfaitement menée, avec son lot de rebondissements, de découvertes, de fausses pistes, jusqu'aux révélations finales. La tension monte régulièrement, les questions que l'on se pose, les hypothèses que l'on ébauche, tout cela fait de "Block 46" un vrai page-turner.

Il y a, au coeur de ce roman, de troublantes et passionnantes interrogations sur la nature humaine. Sur le monstre, pour revenir à notre titre. Certains écrivains travaillent sur ce sujet, recherchent des explications, des causes... Johana Gustawsson choisit une option un peu différente et qui, je dois le dire, m'a fait passer un frisson le long de l'échine.

Là encore, n'entrons pas dans le détail. Disons qu'il est question de transmission. D'apprentissage... Je referme vite cette boîte, même s'il y aurait énormément à dire sur cette dimension-là de l'intrigue. C'est aussi un des aspects les plus étonnants de cette histoire : le véritable moteur de l'intrigue est là, ses clés, aussi, du moins, un certain nombre. Si loin des lieux des crimes, dans le temps et l'espace.

Alors que Emily, avec ses méthodes peu orthodoxes, et Alexis collectent des informations, des indices, recherchent des pistes concrètes, échafaudent des théories, le lecteur est le témoin direct des événements anciens dont il ressent l'importance. Et, petit à petit, Johana Gustawsson nous mène vers une hypothèse saisissante, effarante, douloureuse. Folle, presque...

Maintenant, distribuons aussi quelques bémols, car si "Block 46" a su me captiver et me faire passer un bon moment de lecture, ce thriller possède quelques petites faiblesses, de mon point de vue. En commençant par l'autre face de ce que je viens d'évoquer : la technique d'écriture du thriller est très bien maîtrisée, mais certaines ficelles utilisées sont beaucoup plus classiques.

On a un contexte original qui permet de ne pas se dire qu'on lit un énième thriller sur un serial-killer, mais certains ressorts de l'intrigue ne possèdent pas cette originalité. Bon, même les plats les plus savoureux ne se préparent pas avec des ingrédients qu'on utilise nulle part ailleurs. Mais, dans "Block 46", si ça ne grippe pas la mécanique, ça vient atténuer la force de l'ensemble.

Et puis, mais là, il est possible que je chipote et que d'autres fans de thrillers ne partagent pas son avis, il m'a manqué un peu plus de profondeur dans les personnages centraux, une dimension psychologique un peu plus fouillée. Je le sais, ce n'est pas forcément prisé par tout le monde, certains trouvent que cela freine le rythme des thrillers. Bon.

Pour ma part, il m'a manqué quelques développements. En particulier sur nos deux enquêtrices : Emily Roy, mystérieuse, originale, compétente, capable d'une incroyable empathie dans son métier mais pas dans ses relations personnelles ; et Alexis, que l'on suit en premier mais qui, j'ai trouvé, s'efface petit à petit...

J'aurais aimé qu'on s'arrête un peu plus longuement sur ces deux jeunes femmes, sur leur précédente rencontre, sur les zones d'ombre que recèlent leurs personnalités. On ressent, dans un premier temps, qu'elles ont de lourds et douloureux secrets, on les découvre ensuite. Mais, à mon grand regret, je trouve ces deux personnages un peu mince, manquant d'épaisseur.

"Block 46" fait 336 pages, il devait peut-être y avoir moyen de consacrer quelques pages supplémentaires pour une caractérisation un peu plus riche et des profils psychologiques tout à fait intéressant. A moins que Emily et Alexis soient appelées à revenir, dans de prochains romans, permettant d'enrichir leurs personnalités mais je ne connais pas les projets de Johana Gustawsson.

A un degré moindre, je trouve que la partie "Buchenwald" souffre du même genre de problème. Il y a un processus à l'oeuvre, il y a quelque chose de terrible et de captivant qui se déroule sous nos yeux, mais il manque là aussi quelques éléments et d'autres qui sont trop rapidement esquissés chez les protagonistes de cette seconde trame. Oui, je chipote, je chipote...

C'est curieux de se dire qu'on a pris un plaisir sincère à lire un livre mais qu'il aurait pu être plus grand encore... Au-delà de ce roman précisément, le thriller a cette tendance à se diluer dans l'efficacité, au détriment de la psychologie, désormais l'apanage du polar et plus encore du roman noir. Ne coupons pas les liens entre ces trois genres si proche, continuons à alimenter les vases communicants entre eux.

Reste que "Block 46" est un premier roman qui atteint certains de ses objectifs, et assez largement au-dessus de la moyenne. C'est dur, violent, par moments très dur et très violent, que ce soit dans les années 2010 ou dans les années 1940. On touche à des sujets que certains lecteurs n'aiment pas, parce que ça peut vite devenir insoutenable.

Johana Gustawsson n'en rajoute pas dans les effets, mais son intrigue n'épargne pas non plus le lecteur. Je suis très curieux de voir ce qu'elle nous proposera dans ses futurs romans, car je pense que cette jeune femme, dont le grand-père connut lui-même la déportation, possède une vraie marge de progression, une imagination fertile, une technique déjà affûtée et un coeur bien accroché.

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