vendredi 1 mars 2019

"Moi aussi, j'avais peur. Avant (...) Je la connais, maintenant. C'est mon amie (...) Elle n'est pas méchante, tu sais. Elle veut juste qu'on l'aide".

Sortie de son contexte, cette citation (qui est en fait un dialogue, les passages retirés sont les réponses) ne paie pas de mine. Et pourtant, il y a beaucoup de choses : le sentiment de peur, ressenti par les deux personnages, mais pas au même moment, le lien entre le personnage qui parle et l'objet de la peur, l'appel à l'aide... Bref, bien des choses qui constituent le coeur de notre roman du jour. Un thriller fantastique destiné à un jeune public, très intéressant pour découvrir le genre, d'ailleurs. "Celle qui marche la nuit" (paru dans la collection Wiz des éditions Albin Michel) ne marque pas la première incursion de Delphine Bertholon en jeunesse, ni même d'ailleurs dans le thriller aux accents "kingiens" (on se souvient du très flippant "Grace"). Et cette fois, elle propose un roman très contemporain dans la forme, à travers son langage, ses références, mais capable de s'adresser aussi bien aux petits qu'au grand. Avec un final absolument glaçant...



Malo, 15 ans, vit à Paris avec son père, sa belle-mère et sa demi-soeur, Jeanne, qui a une dizaine d'années de moins que lui. Mais, en cet été très chaud qui s'annonce, l'adolescent et sa famille vont quitter la capitale pour aller s'installer dans la région nîmoise. Le garçon n'est pas enchanté de ce brutal changement, de laisser ses habitudes et ses amis derrière lui, mais c'est la volonté de son père.

Et celui-ci n'a pas seulement trouvé un boulot qui lui convient, il a également acheté la maison de ses rêves. Fini la vie citadine, pour ce nouveau chapitre de leur existence, Malo et les siens vont découvrir la vie à la campagne. Et même en rase campagne, parce que la maison (qui, même "de ses rêves", a bien besoin de quelques travaux) se trouve au milieu de nulle part.

Pas de voisin, le plus proche village est à une bonne distance. Il n'y a aux alentours qu'une nature assez luxuriante et quelques ruines. Dont cette grande baraque abandonnée depuis un bail, que Malo va découvrir par hasard lors d'une de ses promenades à vélo (un de ses moyens pour tuer le temps) et que les habitants du coin ont ironiquement surnommé le Château.

Oui, Malo s'ennuie dans cette nouvelle existence. Ce sont les grandes vacances, pas la meilleure période pour faire des rencontres, nouer de nouvelles amitiés. Il y a bien la jeune factrice, qui leur apporte le courrier, mais elle a bien cinq ou six ans de plus que lui et, même en se vieillissant, il est peu probable que ça aille plus loin que "Bonjour, bonsoir".

Alors, il explore le coin, il s'épuise en balades sans véritable but, donne un coup de main aux travaux, mais pas trop non plus, quand même, cherche de quoi s'occuper alors que la chaleur écrase tout, à l'exception des orages diluviens qui s'abattent parfois sur la région... Et il peine à apprécier les lieux, tant la maison, qui le met vaguement mal à l'aise, que ses alentours.

Mais bientôt, Malo va se trouver face à une situation qui va occuper une bonne partie de son esprit. La première nuit passée dans leur nouvelle maison, Jeanne a fait un cauchemar. Rien de très inquiétant, le changement brusque, la nouvelle maison, tout cela pouvait expliquer que la petit fille fasse un mauvais rêve.

Cependant, lorsque cela se reproduit quelques jours après, alors que toute la famille commence à prendre ses marques, tout le monde flippe. Il faut dire qu'aux hurlements, la fillette a ajouté un regard fixe très impressionnant, comme une somnambule avant une interminable crise de larmes. Mais le plus troublant, c'est que, le lendemain, Jeanne affirme que ce n'est pas elle qui pleurait...

Par la suite, d'autres signes vont interpeller Malo : on croirait que Jeanne s'est créée une amie imaginaire avec qui elle passe désormais le plus clair de son temps. Encore une fois, ça n'a rien d'exceptionnel, à l'image de son grand frère, elle doit s'habituer à cette vie nouvelle et à l'isolement de ces vacances pas comme les autres.

Sauf qu'il y a quand même des trucs qui ne collent pas dans tout ça... Ce n'est pas seulement parce que Jeanne semble dialoguer avec son amie imaginaire, ça, c'est plutôt normal, mais parce que cette amie imaginaire... ne semble pas si imaginaire que ça... Malo a du mal à en croire ses yeux, mais il jurerait avoir été témoin de... manifestations... De quoi lui faire froid dans le dos...

Alors, en "Sherlock Holmes du dimanche", comme va le surnommer son père, l'adolescent va se lancer dans une espèce d'enquête pour comprendre ce qui peut se passer dans cette maison. Pourquoi son nouveau domicile pourrait bien être... hanté. Oui, c'est le mot... Et comme personne ne croira jamais à son histoire, il va devoir agir seul, trouver lui-même pistes et indices...

Pauvre Malo ! Ceux qui ont connu ce genre de mésaventure, je veux parler du déménagement soudain qui vous coupe de vos amis, de vos habitudes et vous impose un changement radical, pas seulement de cadre, de région, mais carrément de monde, comprendront aisément le peu d'enthousiasme qui est le sien au moment de tourner la page.

Mais voilà qu'il arrive devant sa nouvelle maison dans un instant d'apocalypse ! Un orage monstre qui transforme la maison des rêves de son père en "baraque de Psychose", avouez que ça donne envie. Et la première impression, si importante, se résume à une formule lapidaire, clin d'oeil de la romancière et annonce de ce qui va suivre : "on se serait cru dans un bouquin de Stephen King".

Malo ne sait pas encore à quel point son sentiment est prémonitoire, puisqu'il va se retrouver embarqué dans une histoire qui aurait pu sortir de l'imagination de l'auteur de "Carrie" et de "Shining". Avec, là encore, une idée fort bien menée : entre ennui, découverte des lieux et du voisinage, cauchemars de Jeanne, l'imagination de l'ado s'emballe...

L'imagination, vraiment ?

Dans "Grace", roman destiné à un public plus adulte (même si j'ai toujours un peu de mal avec les classifications par tranches d'âge), Delphine Bertholon avait créé une histoire reposant sur l'ambiguïté très forte entre réalité et imagination, entre réel et fantastique. Et l'on peut se dire d'abord qu'il y a aussi un peu de ça, chez Malo.

Un gamin de 15 ans qui, pour meubler son temps libre bien trop vide, s'invente une histoire romanesque à souhait et qui fait bien peur, un jeu dont il est le héros, mais aussi le concepteur. Une enquête qui va aller de rebondissements en rebondissements jusqu'à ce qu'il se lasse, passe à autre chose ou que des choses plus intéressantes se présentent à lui.

Mais bientôt, on doit réviser cette impression. Parce que le garçon ne peut pas tout inventer, parce qu'il y a des indices tangibles. Et le plus symbolique, on en reparlera, c'est une K7. Oui, une vieille K7 à bande ! Comment voulez-vous qu'un gamin né au XXIe siècle puisse imaginer une histoire avec une K7, alors qu'il ne jure que par Skype ou Snapchat pour communiquer avec ses amis ?

Peu à peu, on se prend au jeu aussi : et si Jeanne avait un peu plus qu'une amie "imaginaire" ? Et dans ce cas, comment expliquer ce phénomène ? Comment venir en aide à "celle" qui le demande ? Il ne va pas seulement falloir à Malo du courage, de l'énergie et de la jugeote, mais il va devoir comprendre où il est, c'est-à-dire mieux connaître l'histoire de cette maison et de toute la région...

Je ne veux pas trop entrer dans les détails, j'en ai peut-être d'ailleurs déjà un peu trop dit malgré mes précautions. Il n'est jamais évident de parler de ce genre de livre, de savoir où on place la limite de ce qu'on peut évoquer et de ce que l'on doit impérativement taire. La K7 est un bon exemple : on en parle en quatrième de couverture, donc ça doit aller... Et il suffit de ne pas trop contextualiser.

Plus sérieusement, "Celle qui marchait la nuit" est un roman qui peut se lire à partir de 12 ans, c'est un livre par conséquent assez court qu'un adulte lira d'une traite sans souci, en se laissant embarquer par l'histoire bien ficelée. Certes, elle paraîtra probablement très classique aux lecteurs aguerris, mais pour de jeunes lecteurs, c'est une remarquable porte d'entrée dans le genre.

Le fantastique est présent, sans être partout tout le temps, il est finement utilisé, avec des effets pas forcément ultra-spectaculaires, mais qui marque l'esprit et qui, à l'image de Malo, font naître l'inquiétude. Un petit frisson dans le dos, parce que ce que voit Malo n'est pas ordinaire. Et, plus que son malaise, c'est le calme de Jeanne qui prend d'un seul coup une dimension très flippante...

Au fantastique, Delphine Bertholon ajoute un contexte général qui joue parfaitement son rôle. La maison, objet incarnant le fantastique s'il en est, en est le premier exemple. Mieux, ce n'est pas une, mais deux maisons qui vont, en fonction des moments, du temps qu'il fait, de l'heure qu'il est, prendre des aspects plus ou moins menaçants.

Il y a le domicile de Malo et de sa famille, et puis le fameux "Château", laissé à l'abandon depuis si longtemps. Aussitôt, l'imagination de Malo tourne à plein, et celle du lecteur embraye. L'ado exprime remarquablement ses impressions, avec des images qui frappent et qu'on comprend tout de suite, il en va de même des références (l'image du Titanic pour évoquer la grande salle du Château, par exemple).

Avant même que l'histoire commence, le décor est planté et nous influence tous, Malo, comme les lecteurs. Tout peut prendre des allures inquiétantes, et l'imagination qui tourne comme un cochon d'Inde dans sa roue fait des films... Ici, ce ne sont pas les pieds de vigne de "Grace", mais une forêt qui devient vite une jungle dans ces conditions...

Malo nous emmène dans son histoire, avec le courage du môme qui veut se prouver des choses, mais qui a aussi envie d'en prouver aux grands, ah, ces grands, quels rabat-joie ! Il y a son père et sa belle-mère, qui ne le prennent guère au sérieux, et ça l'énerve (en mode Helmut Fritz). Et puis, il y a Lili, la factrice... Ne rougis pas, Malo, reconnais qu'elle aussi, tu voudrais bien l'impressionner !

On pourrait ajouter ce dernier élément : venir en aide à cette... entité qui en a besoin. Parce qu'il faut aussi permettre à Jeanne de se libérer de cette emprise qui lui fait faire des cauchemars terribles à intervalles réguliers... Oui, Malo a bien des objectifs en se lançant dans cette enquête pas comme les autres. Et qui pourrait, qui sait, s'avérer dangereuse ?

Le lieu, l'ambiance, le fantastique, les ingrédients sont tous là et sont agréablement mariés pour donner un roman qui se lit très bien. Reste un aspect qui est, je crois, un des plus intéressants : la manière dont Delphine Bertholon parle à ses lecteurs : Malo est le narrateur, c'est donc un ado d'aujourd'hui qui s'adresse à nous, avec son corpus de références, avec son style, ses mots.

Pour autant, le lectorat se doit d'être plus large et les vieux c..., hum, les vieux lecteurs dans mon genre ne doivent pas se retrouver largués. Or, la romancière parvient à mêler les références, les images, les expressions, les mots, pour qu'aucun lecteur ne se sente dépassé ou perdu. La mayonnaise n'était pas évidente à faire monter, le résultat est goûteux.

Il faut dire, mais passons vite là-dessus pour ne pas trop en dire, que le contenu de la fameuse K7 ajoute à cela, créant un lien entre deux ados à travers le temps, à travers les époques et les modes. Et dans ce sillage, les lecteurs qui, eux aussi, appartiennent certainement à des générations différentes. Cet objet désuet, obsolète, est plus qu'un symbole du temps qui passe.

C'est un témoignage venu du passé, et l'on ne peut s'empêcher, comme Malo, de ressentir une véritable émotion lorsqu'il appuie sur la touche "lecture" (tiens, ça me rappelle quelque chose...) du magnétophone (heureusement que son père ne jette rien...) et lorsque... ah non, ça, vous devrez lire le livre pour le découvrir...

Mais où tout cela nous mène-t-il, vous demandez-vous peut-être en lisant ces lignes ? A un dénouement glaçant. Et tout de même assez violent, reconnaissons-le. Mais remarquable par la force que cela donne à toute cette histoire et aux découvertes de Malo. Il ne s'agit pas seulement du contexte, mais bien des faits eux-mêmes, terrifiants.

Et franchement, ce final participe largement à faire de ce roman un excellent moment de lecture. Si vous êtes déjà amateur de Stephen King et de thrillers fantastiques, vous devriez y prendre plaisir, mais si vous n'êtes pas des connaisseurs en la matière, alors, c'est une manière intéressante de découvrir, avant, pourquoi pas, plus tard, de passer aux échelons supérieurs, à tous points de vue.

Un peu à l'image d'une joueuse de bridge annonçant ses enchères, Delphine Bertholon nous dit dès le départ sous quelle figure tutélaire elle a choisi de se placer, et elle remplit son contrat avec le respect du fan, mais sans chercher à en faire trop. Au contraire, c'est efficace sans effet superflu, jusqu'au geste final, que l'on découvre avec le coeur serré. Signe que Malo aussi a rempli son contrat.

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