Comme souvent, je n'ai pas attaqué une série par le début, c'est une triste habitude chez moi, mais il arrive que je rattrape. Bon, là, c'était plus facile, il n'y avait que deux tomes disponibles (le troisième arrive à l'automne, je crois), donc nous voici à jour. Avant, enfin après, mais en fait avant "Complot", il y a eu "Le Cri" (en grand format chez XO, disponible en poche chez Pocket), première rencontre avec Sarah Geringën, policière norvégienne pour le moins tourmentée. Et l'univers de cette première enquête n'a rien de vraiment apaisant, puisque tout part d'un hôpital psychiatrique. Un premier volet qui, comme "Complot", d'ailleurs, emmène le lecteur bien au-delà de la simple élucidation d'un meurtre, avec des questionnements scientifiques et philosophiques qui nous concerne toutes et tous et vont nous amener à réfléchir sur le sens de notre vie... et de notre mort.
Un matin, avant l'aube, Sarah Geringën, inspectrice de police, reçoit un appel téléphonique qui l'oblige à s'aventurer dehors par une nuit glaciale et verglacée. Le temps de passer prendre le médecin légiste et elle se rend sur la scène de crime, située dans l'hôpital psychiatrique de Gaustad, le plus ancien établissement du genre en Norvège.
Si l'on a fait expressément appel à Sarah, c'est qu'il a dû se passer quelque chose sortant de l'ordinaire. Certainement pas une mort naturelle, et s'il s'agit d'un crime, il doit largement dépasser le simple coup de folie d'un patient sur un autre... Car Sarah a la réputation de résoudre les affaires les plus délicates, les plus complexes. Les plus tordues.
Et là, du tordu, il y en a ! L'endroit est aussi sinistre que son histoire : on a pratiqué à Gaustad un nombre de lobotomies record par le passé et la rumeur évoque des recherches dépassant le cadre de ce que l'on peut tolérer de la science... Si les temps ont changé, l'endroit n'en est pas plus accueillant, surtout à cette heure matutinale, sous la neige et dans le froid...
Tout a commencé ce matin-là par la mort pour le moins énigmatique d'un patient. En effet, dans un premier temps, le gardien de nuit, qui a assisté à la scène devant ses écrans de contrôle, a cru à un suicide, avant de changer d'avis une fois sur place. Nouveau diagnostic : crise cardiaque... Mais les choses ne collent pas.
Selon le témoignage du gardien, le patient a essayé de... s'étrangler ! Ce qui est impossible. D'où le changement de diagnostic : arrêt cardiaque consécutive à une sévère crise d'angoisse. A 76 ans, c'est plausible, mais si on a tout de même appelé Sarah à la rescousse pour qu'elle donne son point de vue, c'est qu'il doit y avoir quelque chose de plus grave...
La vue du cadavre est terrifiante en elle-même, les traces autour de son coup, auto-infligées, sont impressionnantes. Mais ce que Sarah remarque immédiatement, ce sont ces cicatrices sur le front du mort. Des cicatrices qui forment un nombre, dont la signification échappe à tout le monde pour le moment : le nombre "488"...
Or, il se trouve que c'est ainsi que tout le monde l'appelait, car personne au sein de la vénérable institution psychiatrique, n'était capable de donner son état civil. Interné 36 ans plus tôt, il était alors amnésique et n'avait jamais retrouvé la mémoire. Et comme personne n'était venu prendre de ses nouvelles, il est donc resté anonyme tout ce temps. Même constat pour l'inscription sur son front...
Et puis, soudain, du nouveau : le légiste l'affirme, l'homme ne peut pas être mort là où on l'a trouvé. Son corps a été déplacé... Plus que déplacé, on l'a carrément changé de bâtiment, le plaçant dans celui des malades les moins graves, les moins dangereux. Pour eux-mêmes, et pour les autres... Quant à Sarah, elle comprend que tout ce début d'enquête est un tissu de mensonges.
Elle exige aussitôt d'être conduite dans la VRAIE chambre du patient 488, soupçonnant qu'on lui cache des choses. Et c'est bien le cas, mais sans doute pas ce qu'imaginait l'inspectrice : sur les murs blancs de la cellule, une multitude de graffitis, tellement serrés que c'en est illisible, si tant est que cela est un sens... Sam Neill dans "L'Antre de la folie" n'a pas fait mieux !
Sarah multiplie les questions, met la pression au directeur, aux gardiens, mais ils semblent tous incapables de lui dire exactement ce qui s'est passé cette nuit-là. Chaque information arrachée est rapidement démentie par les faits... Mentent-ils sciemment ou ont-ils d'autres raisons de chercher à brouiller les pistes ? Auraient-ils... peur ?
La seule chose qui semble certaine, c'est que, chaque jour, sans que les gardiens sachent pourquoi, on venait chercher celui qu'on ne connaissait que sous le matricule 488 et son voisin, un certain Janger, et ceux-ci semblaient terrifiés. Sarah décide donc de parler à ce Janger, peu importe la raison pour laquelle il croupit dans une chambre de ce sordide HP.
Au milieu des délires verbaux de ce dangereux malade, Sarah capte quelques éléments intrigants. Incompréhensibles, comme cette histoire de sommeil noir. Ou quelques mots concernant le directeur de l'hôpital, remettant en cause ce qu'il est en réalité... Mais rien de plus, rien qui suffise à comprendre ce qui se passe dans ce lieu effrayant...
Et pourtant, c'est bien de ce tissu de n'importe quoi, sans queue ni tête, bourré de mensonges plus ou moins volontaires, qu'elle va devoir extirper quelques embryons de pistes, et ce n'est pas gagné. A moins qu'elle réussisse enfin à obtenir quelques explications de la part de Hans Grund, ce si sympathique et sincère directeur.
Enfin, si elle lui remet la main dessus, car il semble avoir pris la poudre d'escampette...
Si vous aimez les débuts de thriller sacrément mouvementés où on se retrouve largués, incapables de savoir exactement ce qui se passe, "Le Cri" est un roman fait pour vous ! Que de mystères et quel rythme d'entrée de jeu ! C'est le début d'un roman plein de rebondissements et de surprises, qui va emmener Sarah (et le lecteur dans son sillage) bien au-delà de la mort d'un fou, interné depuis 36 ans.
Forcément, quand on a lu d'abord "Complot", comme c'est mon cas, on est moins surpris de découvrir les différentes facettes de Sarah Geringën. D'un côté, la policière, sûre d'elle, pleine d'une autorité naturelle, capable d'une concentration à toute épreuve et d'une intuition aiguisée, aussi à l'aise dans la réflexion que dans l'action (elle a commencé sa carrière dans les commandos).
Et puis, il y a Sarah, la femme, qu'on rencontre en fait en premier, avant de savoir tout ce que je viens de dire. Une femme perdue, en détresse, dont la vie par à vau-l'eau en raison de son incapacité à devenir mère... Au contraire de sa vie professionnelle, où elle est l'ultime recours dans les affaires les plus complexes, dans sa vie personnelle, elle est au désespoir...
Un personnage très intéressant, aussi taiseux et secret au quotidien qu'elle devient exubérante et presque hyperactive lorsqu'elle se lance dans une enquête. Une vraie métamorphose, presque inquiétante quand on y pense, tant il semble impossible qu'un seul être puisse abriter deux personnalités aussi opposées...
En cours de route, elle va faire la connaissance d'un journaliste français, Christopher, qui ne traverse pas non plus la meilleure période de son existence. Ce qui lui arrive, je ne vais pas vous en parler ici, c'est un second fil narratif très important, mais cette histoire personnelle va brutalement entrer en collision avec l'enquête menée par Sarah.
Et, si l'existence de Christopher est en train de s'écrouler, tandis que celle de Sarah est déjà par terre, ensemble, ils vont se lancer dans une enquête effrénée à travers le monde, dans l'espoir de comprendre, mais aussi de sauver ce qui peut encore l'être... Et mettre au jour des recherches tout à fait sidérantes...
L'arbre, le poisson et la flamme, dans tout ça, me demanderez-vous ? Ah... c'est un des mystères de ce roman, peut-être le fameux petit début de piste au coeur de l'écheveau découvert à l'hôpital psychiatrique de Gaustad... Trois... comment dire ? Objets, symboles, concepts ? Qu'importe, il faudra parvenir justement à les définir, à comprendre le sens qui se cache derrière eux...
La force du travail de Nicolas Beuglet, c'est de s'appuyer sur un très important travail de documentation afin que des informations réelles servent de base à sa fiction. Un véritable jeu de pistes, dans lequel le réel et l'imaginaire ne cessent de s'entrecroiser, la fiction permettant non seulement de révéler ces faits, mais aussi de leur donner une dimension plus flippante encore.
Derrière les événements de l'hôpital psychiatrique de Gaustad, on voit passer l'ombre de la CIA et il flotte des relents de Guerre froide sur cette affaire. Enfin, de recherches que la Guerre froide a permis de mener, cas de force majeure, vous comprenez... Quel magnifique preuve de cynisme ! Car les applications de tout cela vont évidemment bien au-delà de la lutte entre deux superpuissances.
Plus que l'hôpital dans lequel débute le roman (dont l'auteur a pris la façade en photo et qui se retrouve en couverture du livre), un autre lieu frappe les esprits : l'île de l'Ascension, minuscule point perdu au milieu de l'océan Atlantique, entre l'Equateur et Sainte-Hélène. Un lieu a priori insignifiant, partie émergée d'un volcan, mais au sujet de laquelle courent bruits, rumeurs, légendes... ou vérités ?
Ce blog n'est bien sûr pas le lieu pour entrer plus avant dans le détail de ce que Sarah et Christopher vont découvrir. Et c'est bien dommage, car c'est aussi passionnant qu'effrayant. Le thème d'origine du roman de Nicolas Beuglet est de plus en plus traité par les romanciers, et particulièrement les auteurs de thrillers, mais il l'aborde sous un angle original, car sa finalité est très inattendue.
Il y a surtout l'impression d'entrer dans quelque chose qui relève de l'infini et nous rabaisse, nous, pauvres, microscopiques et méprisables êtres humains, au rang de simple particule. Une créature éphémère, mais terriblement complexe, bien plus qu'on ne l'imagine. Avec, au centre de tout cela, ce cerveau, cet extraordinaire organe dont nous ne cernons qu'une infime partie des capacités...
On a beau savoir qu'on lit une fiction, il faut reconnaître qu'elle nous entraîne dans des territoires inattendus et captivants, et on lit fébrilement les passages où sont livrées aux personnages principaux les révélations, lorsque les pièces du puzzle commencent à s'assembler. C'est redoutablement efficace et cela pousse à se poser plein de questions, à faire quelques recherches.
Nicolas Beuglet a investi un créneau particulier, avec des thrillers dont les rebondissements mènent à des sujets universels, fascinants, susceptibles de remettre en question notre monde tel qu'il est, tel que nous l'envisageons. De plus en plus les thrillers essayent de ne pas se limiter au rythme, aux codes du genre, au côté hollywoodien souvent un peu creux.
Mais, l'auteur du "Cri" et de "Complot" ne se contente pas de donner des pistes de réflexion à ses lecteurs, elles touchent des questions très profondes, métaphysiques, à contre-courant, également. On s'approche de la science-fiction, la science tenant une place importante dans ces thrillers, science dure, mais aussi sciences humaines.
"Le Cri" est un premier roman, il a des défauts, c'est certain, dans le fond comme dans la forme. On sent déjà que "Complot" est plus abouti, qu'il y a moins de scories. "Le Cri" est captivant par tout ce qu'il raconte, par les thèmes qu'il aborde, mais dans la forme, il y a quelques imperfections qui vont se corriger, je pense, avec l'expérience.
Je suis d'ailleurs très curieux, dans les prochains jours, de voir ce que nous réserve Nicolas Beuglet, puisque dans moins de trois semaines, la nouvelle enquête de Sarah Gerigën, "L'Île du Diable", sera en librairie. De découvrir les thématiques qu'il abordera et ce qu'il nous fera découvrir, mais aussi de constater sa progression dans la forme, déjà entamée avec "Complot".
C'est tout à fait le genre de livre qui plaît ou déplaît, selon qu'on accepte d'entrer dans le jeu du romancier ou qu'on y reste réfractaire. C'est la loi du genre, en quelque sorte. En ce qui me concerne, c'est justement le genre de thriller que j'apprécie, parce qu'il parvient à concilier la tension et l'action du thriller classique, mais reste en tête longtemps après lecture par le grain qu'il nous donne à moudre.
Ah, un dernier mot, tout de même : le titre de ce roman est évidemment une référence au tableau le plus célèbre de l'artiste norvégien Edvard Munch, "Le Cri", sans doute un des rares tableaux qu'une majorité de personnes visualise sans avoir besoin d'ouvrir un moteur de recherches. Mais au-delà de l'attitude terrifiée et terrifiante du personnage, c'est une phrase de Munch qui a inspiré l'auteur.
On la trouve en exergue du roman, et elle servira de conclusion à ce billet, car elle est plus parlante que tout mon blabla : "Mes amis s'éloignaient et, seul, tremblant d'angoisse, j'ai pris conscience du grand cri infini de la nature"... Phrase qui peut sembler anodine hors contexte, mais qui va prendre une dimension toute particulière dans le contexte du roman de Nicolas Beuglet...
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