vendredi 11 mai 2012

"D'heure en heure, l'apiculteur se meurt..." (Alain Bashung).

Tout d'abord, permettez-moi de parler de moi... Vous aurez constaté que ce blog a "dormi" pendant deux mois. La faute à une hospitalisation qui vient de se terminer (et ce n'est pas trop tôt !). Mais l'heure est venue de réveiller ce blog au Bois Dormant (zut, comment on embrasse un blog, au fait ?) et de reprendre un rythme de croisière ; car, si, faute de connexion internet, je n'ai pu alimenter ce blog pendant cette période, en revanche, j'ai pu lire...

Et le livre dont je vais parler maintenant a été refermé la veille au soir de mon opération... Ce qui ne m'empêche pas d'en garder un bon souvenir. D'abord, parce qu'il m'a ramené dans cette Lorraine que j'aime tant ; ensuite, parce qu'il évoque une période peu traitée, je trouve, par la littérature : les débuts de la IIIème République. Mais, nous y reviendrons. Et nous évoquerons aussi, comme le titre de ce billet l'indique, la passion d'un visionnaire, qui, plus d'un siècle avant les inquiétudes que nous connaissons, avait mis en avant l'importance pour nos existences des abeilles.

Alors, place au premier roman de Frédérique Volot, "le rucher du Père Voirnot", publié aux éditions Presses de la Cité, dans la très intéressante collection "Terres de France".


Couverture Le rucher du père Voirnot



En 1900, l'Abbé Voirnot, curé de Villers-sous-Prény, un village lorrain depuis une trentaine d'années, profite d'une après-midi estivale dans le jardin d'une famille amie, une famille qu'il a toujours connue, une famille dont il a partagé les joies et les peines, comme en cette terrible année 1877, une famille qui a partagé la passion à laquelle il a consacré le temps que lui laissait son sacerdoce : l'apiculture.

Car, l'Abbé Voirnot a toujours eu cet amour des abeilles, il leur a toujours installé des ruches, et, plus remarquable encore, il a fabriqué, en cachette ou presque, une ruche révolutionnaire, une sorte de ruche idéale, alliant les avantages des modèles existant à l'époque, et qui va rester dans l'histoire, une ruche novatrice qui existe encore de nos jours et conserve un nom lié au prêtre qui l'élabora.

Mais le roman de Frédérique Volot ne se résume pas à cette invention. Celle-ci est le clou de la vie de ce prêtre qui va épouser son temps, tout comme la famille chez qui il déjeune, d'une certaine manière. Et si ce repas et ce moment de calme et de béatitude dominicaux sont si importants, c'est parce que, en ce tournant de siècle, l'Abbé Voirnot sait qu'il ne lui reste que peu de temps à vivre. Son foie est malade, incurable... Malgré son assez jeune âge, le prêtre se sait condamné (mais un prêtre peut-il redouter ce passage ?).

Alors, dans ce jardin, le prêtre, Camille, le père de famille, retracent les évènements arrivés ces trente dernières années, depuis la fin d'une guerre perdue à plate couture, depuis l'instauration d'une nouvelle république, depuis l'ordination du prêtre... Elise, l'épouse de Camille, veille à ce qu'ils ne manquent de rien et leur fils, le petit Pierre, qui, piqué, si j'ose dire, par la passion apicole du prêtre, espère reprendre son flambeau et brûle d'emmener l'invité au fond du jardin voir ses magnifiques ruches.

Frédérique Volot entrecroise alors présent et passé et nous emmène au coeur de cette IIIème République naissante. Oh, pour ces Lorrains, bien loin de Paris, ces changements sont bien abstraits. Mais ils vont vite se faire sentir dans le quotidien de ces paisibles villageois, marqués par les stigmates de la guerre de 70, si proche et si lointaine à la fois. Pour autant, c'est la vie de village, austère parfois, rude, souvent mais heureuse, la plupart du temps, qui prédomine.

Heureuse, la plupart du temps, oui, même si le destin sait aussi frapper durement ces hommes et ces femmes à la dignité inaltérable. Comme en cette année 1877, "annus horribilis", comme on dit du côté de Buckingham Palace... Une année qui marquera, laissera son empreinte profondément dans les mémoires et les âmes. A jamais.

Cette famille, ainsi durement éprouvée, c'est celle de Camille. Origines modestes, remontant même à des émigrés polonais, sans doute parmi les premiers à être venus s'installer en Lorraine dans les premières années de ce qu'on appellera la révolution industrielle, qui remodèlera complètement la région et lui apportera prospérité et prestige (l'acier de la Tour Eiffel sortira ainsi des usines de Pompey et la famille de Camille n'y sera pas étrangère).

De l'acclimatation aux débuts de l'exode rural, des paysans sempiternellement attachés à leur terre, aux premiers étudiants, jusqu'au diplôme de médecine décroché par Camille, une première, une fierté immense, cette famille va aussi connaître toutes les mutations sociologiques que l'époque entraînera (sans que les choix soient toujours volontaires).

A chaque étape, à partir de 1871, tout cela se passe sous le regard bienveillant et consolateur de l'Abbé Voirnot qui va lier des liens d'amitié très forts avec les différentes générations. Il préside aux enterrements comme aux mariages, comme celui de Camille avec Elise, une jeune femme rencontrée à la ville, à Nancy, cet univers si différent... Lui vient de la terre, d'une famille très modeste, elle est la fille d'un grand bourgeois que l'industrialisation a enrichi.

Choc des cultures, que ce mariage, très bien raconté par Frédérique Volot, en particulier le repas de noces, qui fait naître un sourire attendri, loin de toute moquerie ou de tout mépris, mais empathique et chaleureux pour ces personnes aux yeux écarquillés devant ce luxe inconnu, jusque-là inaccessible.

Même si, personnellement, mes goûts de lecteur me poussent à préférer les romans historiques chronologiques, les nombreux allers-retours entre 1900 et les années précédentes ne m'ont pas dérangé plus que cela. J'ai dévoré ce roman, qui se lit facilement (et ce n'est pas péjoratif de dire cela), que vous soyez Lorrains ou pas, d'ailleurs.

Car, au-delà de la narration, Frédérique Volot choisit de nous emmener dans une époque que la littérature traite peu : ces années 1870-1900, où la République s'installe (dans le sang, ne l'oublions pas...), supplantant cette fois définitivement la monarchie et autres empires. Et, avec cette installation, ce sont aussi de nouveaux repères idéologiques et tout un système de valeurs différents qui apparaît et se répand.

Avec, en tête de file, un anticléricalisme de plus en plus violent et confiant en sa victoire prochaine... A l'image de Désiré Millefeuille, le maire de Villers, républicain convaincu, sa foi aussi chevillée au corps que celle, d'essence plus divine, de l'abbé. Entre eux, la relation tourne vite au vinaigre, à l'affrontement par discours ou homélie interposés. On s'entend entre chien et chat et, même si l'humour affleure peu dans cette querelle à fleurets oratoires non mouchetés, on ne peut s'empêcher de penser à Don Camillo et Peppone, dont ils seraient les homologues lorrains.

Mais l'intolérance républicaine, ses brimades, ses attaques incessantes, vont contribuer à briser un abbé à la santé fragile qui capitulera, trouvant dans l'apiculture une échappatoire salutaire, au moins provisoirement. Et, au-delà du calme retrouvé, ce choix de l'apiculture est remarquable : quelle société harmonieuse, où chaque insecte sert le bien commun de la ruche ! Un modèle que l'abbé aurait aimé voir suivi dans la société des hommes ? Sans doute, mais sa disparition prématurée lui aura au moins éviter le choc d'assister au vote de la loi de 1905...

Attention, je ne prends pas partie, je suis bien dans la perspective du roman et du personnage (qui a réellement existé), auquel on s'attache.

Mais je ne peux finir sans souligner encore le regard visionnaire que l'Abbé Voirnot porta sur ses chères abeilles. Nous avons évoqué ci-dessus l'invention d'une ruche extrêmement bien conçue, avec, pourtant, une grande simplicité et beaucoup de logique. Mais Jean-Baptiste Voirnot fut aussi l'auteur d'ouvrages de référence en matière apicole. Et, enfin, il a eu, avant bien du monde, encore aujourd'hui, l'intuition de l'importance de l'abeille dans la vie des êtres humains et des dangers que nous courrions tous en cas de disparition de cette espèce. Voilà pourquoi il a essayé de trouvé un refuge idéal pour elle.

En cela, il est un écologiste bien avant l'heure et son travail mériterait sans doute d'être reconsidéré d'un oeil neuf et attentif de nos jours, alors que les essaims sont décimés, très probablement du fait de l'activité humaine. Oui, sans abeilles, plus de pollinisation, donc une flore en danger et, nous, en bout de chaîne, bien embêtés, bien démunis...

Alors, si vous ne connaissez pas, comme moi avant cette lecture, l'Abbé Voirnot, que vous êtes sensibles à ces sujets et curieux d'Histoire, alors, ce premier roman de Frédérique Volot n'attend plus que vous.

Et comme son nouveau roman, "Pour l'honneur de Blanche", sort dans quelques jours, le 16 mai, pour être précis, voilà aussi une occasion de découvrir une romancière (vosgienne, certes, mais cet élément ne joue absolument pas dans mon choix, juré...) !



J'allais oublier !!! Merci à l'inoubliable Alain Bashung (et son parolier, Jean Fauque) pour le titre de ce billet, extrait du titre "L'apiculteur".


5 commentaires:

  1. Frédérique Volot11 mai 2012 à 22:52

    Merci, Joyeux Drille, pour ces commentaires sur mon "père Voirnot", qui me touchent beaucoup. Je vais d'ailleurs de ce pas les transmettre à l'intéressé à qui je garde désormais une place de choix dans mon coeur pour toute l'oeuvre accomplie envers les "mouchottes". Des mouchottes pour lesquelles j'essaie de me battre afin qu'elles soient vraiment protégées, respectées et connues. La connaissance, c'est la clé de tout !
    Merci donc encore et encore ! Pour info, "Pour l'honneur de Blanche", qui se passe au 19ème siècle, est cette fois un roman historique bien chronologique !!! A bientôt Joyeux Drille. Je suis heureuse de voir que la forme revient bien ! Grosses bises, Frédérique Volot

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  2. Merci, Frédérique ! SI je suis resté fidèle à l'esprit du personnage et du livre, alors tant mieux ! Et je sais comme les Vosgiens sont effectivement concernés par le sort des abeilles, tant de bons miels, classés, médaillés, protégés, sont produits dans ce département, dont le fameux miel de sapin (je dis ça pour ceux qui découvriraient les richesses vosgiennes !).

    De mon côté, le cerveau n'a jamais vraiment été mis en pause. Juste un peu ensuqué pendant quelques semaines, le temps d'éliminer les anesthésiants qu'on m'a administré en quantité... L'envie de revenir au plus vite sur ce blog était forte, mais les conditions matérielles étaient un peu trop compliquées à réunir au quotidien pendant une si longue période.

    Mais, là, je suis revenu, et, comme j'ai pu lire, malgré une pause forcée d'un mois là aussi (ensuqué, je vous dis !), j'ai du stock de chroniques à vous proposer dans les prochains jours...

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  3. Whaou ! Quelle chronique ! Je suis impressionnée et tu as bien deviné ce livre pourrait certainement me plaire. Je l'ajoute à ma wish ! Merci pour cette découverte !

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  4. Merci à toi de la confiance que tu me fais ! J'espère ne pas te décevoir, mais, en général, je suis assez sûr de mes choix... Et puis, il n'y a pas que la Bretagne, dans la vie, PetiteMarie, viens découvrir la Lorraine, on y est bien aussi...

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    1. Frédérique Volot14 mai 2012 à 18:54

      Je confirme, Joyeux Drille, que la Lorraine est belle, même lorsqu'il gèle et qu'une partie de mes pieds de pommes de terre sont cuits... Il y a tout ce que j'aime : un paysage légèrement vallonné, des vaches dans les prés (j'adore les vaches..., des haies, des forêts de feuillus et de bons champignons... Et même le retour du loup ne me fait pas peur. Bien au contraire ! Frédérique

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