Aujourd'hui, ce n'est pas d'un, pas de deux mais de trois livres dont il sera question dans un seul billet. Non, ce n'est pas la période des soldes qui s'ouvre sur ce blog, mais je me voyais mal tronçonner cette série (dont je vais devoir attendre patiemment le quatrième volet ; ils m'énervent, ces auteurs et ces éditeurs, à nous faire poireauter, que dis-je ?, languir de cette façon...) alors que l'histoire est linéaire et que les thématiques des livres vont crescendo. Place, donc, à un personnage historique, sans doute aujourd'hui plus connu des cruciverbistes que du reste de la population, un personnage au destin pourtant hors du commun : le Chevalier d'Eon. C'est Anne-Sophie Silvestre qui a eu l'excellente idée de mettre ce curieux personnage historique à l'honneur dans une série historique destinée à la jeunesse (mais pas seulement !) intitulée : "Chevalier d'Eon, agent secret du Roi".
Dans les années 1750, Charles-Geneviève d'Eon de Beaumont est un étudiant un peu turbulent. Issu d'une famille noble mais sans le sou enracinée à Tonnerre, il est venu à Paris suivre des études de droit. Le jeune homme apprécie Voltaire et ces idées au point d'avoir un portrait du philosophe dans sa chambre. Mais il reste malgré tout un garçon tout juste sorti de l'adolescence. Et, comme il se doit, avec ses amies et amis, il multiplie les blagues de potaches, rien de bien exceptionnel ni de très grave à tout cela, a priori...
A priori seulement, car, c'est justement l'une de ses innocentes blagues qui va faire basculer la vie d'Eon (et de ses compagnes et compagnons, même si ce n'est pas le sujet de cette histoire) au point d'en faire un des personnages de l'histoire de France les plus mystérieux qui soit.
Quelle blague, me direz-vous ? Oh, juste l'idée de participer à un bal organisé à Versailles, un bal que Louis XV en personne pourrait bien honorer de sa royale personne. Rien de bien grave jusque-là, semble-t-il... Sauf que Charles-Geneviève, dont les camarades ont remarqué la beauté particulière, a fait le pari fou d'aller à ce bal... déguisé en femme !
Bien sûr, le risque est grand d'être découvert et d'encourir, outre le ridicule, des sanctions peu agréables, et, par-là même, de se voir interdire les portes de la Cour de façon définitive. Mais ce ne sont là que broutilles à côté de ce que va vivre réellement d'Eon lors de cette soirée... En effet, comme annoncé, le Roi en personne a fait une apparition. Louis XV, le bien-aimé, monarque connu pour son goût prononcé pour les charmantes demoiselles, souvent jeunettes, disons-le...
Vous l'aurez compris, c'est notre chevalier déguisé qui va "taper dans l'oeil" du souverain ce soir-là. Proie d'une vraie équipe de chasseurs de donzelles parfaitement rodée, il va se retrouver en moins de deux embarqué pour la fameuse résidence du Parc-aux-Cerfs, connue de nom, mais difficilement trouvable, où le Roi venait retrouver, et plus si affinités, des conquêtes forcément consentantes (car qui aurait l'idée de se refuser au Roi, n'est-ce pas ?).
S'ensuit une scène hilarante que je vous laisse découvrir où d'Eon cherche à sauver bien plus que sa vertu des assiduités d'un souverain chaud comme la braise... Avant la découverte d'un secret qu'il eût mieux valu ne jamais connaître. Mais, au lieu de finir à la Bastille, d'Eon va donner une idée à Louis XV. Une idée en forme de cadeau empoisonné pour celui/celle qui, par sa légèreté, a trompé le Roi de France.
Là encore, sans avoir le temps de dire "ouf", voilà notre jeune chevalier enrôlé dans le très restreint "Secret du Roi", une petite cellule chargée des missions les plus délicates. Celle qui sera imposée à d'Eon est très simple : se rendre à Saint-Petersbourg, à la Cour de l'Impératrice Elizabeth, celle qu'on surnomme "la Clémente", se faire remarquer d'elle et lui remettre un message de la plus haute importance, écrit de la main même de Louis XV. Et, pour cela, il devra se faire à nouveau passer pour une femme...
Car les temps sont durs pour le royaume de France, en perpétuel conflit : les plus proches conseillers de la Tsarine souhaite une alliance avec l'Angleterre au détriment de la France, alliée de longue date de la très francophile Russie. Une précédente mission a échoué, l'agent français envoyé clandestinement a même disparu, la mission n'est donc pas sans danger, mais d'Eon n'a guère de choix.
Préparé pour sa mission et surtout pour son rôle de parfaite demoiselle en un temps record, d'Eon, devenu Lia de Beaumont, va partir vers l'inconnu, accompagné de son "oncle", le chevalier écossais Douglas McKenzie, rebelle à la couronne d'Angleterre et également membre du "Secret du Roi".
Et, comme à Versailles, d'Eon va, à Saint-Petersbourg, séduire une nouvelle monarque. A peine a-t-elle vu Lia, à peine lui a-t-elle parlé qu'Elizabeth, tsarine de toutes les Russies, va faire de cette inconnue sa lectrice personnelle, faisant fi des questions et des jalousies de sa Cour. Pour Lia, une réussite exceptionnelle, puisque le message de Louis XV va être remis en mains propres à sa destinataire. Mais aussi le début d'un vrai casse-tête : sa mission accomplie, Lia devait rentrer aussitôt en France et disparaître à jamais. Or, voilà d'Eon/Lia "coincé" dans ce rôle prestigieux et honorifique qu'il ne peut quitter sans crier gare.
Commence une vie nouvelle pour d'Eon, celle d'un personnage important de la Cour de Russie, qui doit se méfier de tout le monde et éviter à tout prix que son véritable sexe soit découvert... Les conséquences seraient alors terribles pour lui et pour la France, responsable de cette supercherie.
Ce roman jeunesse est un excellent divertissement qu'apprécieront adolescents mais aussi adulte. A travers l'ascension fulgurante du chevalier d'Eon, que sa légèreté aurait pu conduire au cachot pour un bail, Anne-Sophie Silvestre nous emmène dans une période historique passionnante, où les alliances diplomatiques se font et de défont au gré des humeurs des puissants d'Europe.
En France, la noblesse, dans le sillage de son Roi, s'ennuie et préfère d'adonner au libertinage et à l'oisiveté qu'aux affaires de ce monde. La Russie, elle, est une puissance émergente, comme on dirait de nos jours, dirigée par la fille de Pierre Le Grand, la tsarine Elizabeth, une femme à poigne qui a pris le pouvoir pas la force et entend bien poursuivre le travail entrepris par son père afin de désenclaver et moderniser son empire.
D'Eon, lui, touche du doigt les aspects les moins agréables de la vie des femmes, avec des vêtements peu confortables, ce maquillage, encore plus indispensable pour lui que pour les autres, le regard des hommes, etc. Certes, il n'est pas Olympe de Gouges, mais son regard masculin sur le quotidien de l'autre sexe n'est pas inintéressant.
Avec le deuxième tome, apparaissent les véritables embûches que le Chevalier d'Eon va devoir éviter, les pièges dans lequel il ne devra pas tomber, les ennemis dont il devra se méfier comme de la peste... Elle doit (oups, intéressant lapsus), il doit s'habituer à ne plus être que femme, alors qu'il avait été préparé pour une courte mission... De quoi montrer que le jeune homme ne manque pas de ressource, ni de culot.
Mais, la situation de Lia/d'Eon peut aussi prendre des aspects assez comiques, voire totalement absurde, comme lorsque la Tsarine invite sa lectrice à participer à un bal costumé... où les hommes devront s'habiller en femmes et les femmes en homme... De quoi y perdre son latin !
Cependant, dans ce deuxième ouvrage, c'est aussi le moment où d'Eon, et le lecteur avec, en découvre plus sur la Russie, sa Cour, ses traditions. Et où l'on prend conscience de cette "Ame Slave" qui habite Elizabeth, Tsarine ambitieuse, déterminée à poursuivre la modernisation de son royaume pour en faire une puissance qui compte, tournée non plus vers ses frontières intérieures, mais vers l'ouest. D'où l'intérêt soudain que lui portent les grandes nations occidentales, Angleterre et France en tête.
Pour autant, Elizabeth est habitée par cette culture russe, à ces us et coutumes qu'elle tient à conserver et à mettre en valeur. Voilà pourquoi elle ne se montre pas prête non plus à n'importe quel compromis politique (sans oublier ses sentiments pour Louis XV auquel, dans leur jeunesse, elle fut, un temps, promise...).
On découvre aussi dans ce livre les fastes d'un palais pas ordinaire, le mythique Tsarskoie Selo, un endroit féerique, un lieu hors du temps, un site plein d'histoires et d'Histoire que j'adorerais visiter un jour...
Enfin, avec le troisième tome de cette série consacrée au Chevalier d'Eon, Anne-Sophie Silvestre nous présente un personnage qui ne cesse de gagner en assurance dans son rôle, aussi périlleux soit-il. Sa proximité avec la Tsarine confine même à l'intimité, au point de découvrir des secrets d'Etat bien cachés, privilège au combien remarquable.
Mais, si Lia n'hésite plus à prendre des initiatives, parfois extrêmement osées, il n'en mesure pas toujours les risques, lui qui gagnerait à la discrétion. Son inexpérience, sa naïveté, son inconscience juvénile sont autant d'inconvénients qui vont pousser McKenzie à modérer les ardeurs de son protégé.
Car Lia Beaumont a des ennemis. Beaucoup. Discrets. Mais prêts à tout pour se débarrasser de cette empêcheuse de jouer les courtisans en rond. En réussissant, presque par hasard, tant l'affaire a été mal ficelée, un coup d'éclat digne des meilleurs espions (un coup d'éclat que je vous laisse découvrir, évidemment...), d'Eon ne peut que s'attirer les foudres de puissants adversaires. A moins que ce ne soit l'envie et l'ambition qui pourraient pousser certaines courtisanes à la trahison...
Toujours est-il que ce troisième volet (le quatrième sortira avant la fin de l'année, en principe) s'achève sur un rebondissement aussi terrible qu'inattendu. Un rebondissement (je ne dis pas "twist", puisque, dans cette série, les Anglais ne sont pas nos amis...) qui laisse le lecteur languissant : LA SUIIIIIIITE, SVP !!!
A noter que, au fur et à mesure de l'histoire, d'Eon prend de plus en plus à coeur son rôle de femme, au point qu'une ambiguïté de plus en plus marquée entre masculinité et féminité s'installe. Comme par exemple, lorsqu'il se "déguise" en homme pour moins attirer l'attention... Et puis, sa relation avec la princesse Narichkine, elle aussi, prend une tournure de plus en plus embarrassante pour le jeune homme, car la séduisante princesse souhaite une proximité avec la lectrice de la tsarine qui paraîtrait bien inconvenante entre deux jeunes gens de sexe opposés...
Au final, j'ai dévoré ces trois livres avec passion et l'envie de lire le quatrième tome est forte. Juste une remarque, Anne-Sophie Silvestre a choisi un vocabulaire contemporain, pas forcément en phase avec l'époque du récit, mais facilement compréhensible. Restent quelques expressions qui peuvent sembler anachroniques, oui, je sais, je suis tatillon, mais je ne trouvais pas de bémol à faire, alors...
Et cela ne m'empêchera pas de vous conseiller vivement la lecture de ces trois premiers tomes et du quatrième à venir. Car, en plus des moments agréables de lecture qu'elle m'a procurés, Anne-Sophie Silvestre m'a donné envie de découvrir plus en détails la vie du Chevalier d'Eon, sans doute à travers une biographie complète.
Un billet qui viens de piquer ma curiosité au vif ! D'ici peu de temps cette saga va figurer dans les titres de ma bibliothèque tu peux en être sûr ! Merci pour ta chronique !
RépondreSupprimer