Certains risquent de trouver ce titre curieux, voire choquant. Laissez-moi vous convaincre qu’il n’en est rien, quelle que soit votre position sur la question des zoos. Voici, en effet, un roman dont on sort avec le sourire. Un roman plein d’optimisme et qui tourne autour d’une curieuse et véridique anecdote, pourtant sortie d’un contexte bien moins joyeux : le conflit israélo-palestinien. Un court premier roman, signé par un écrivain suisse, Marc Michel-Amadry, qui met en scène, outre de drôles d’humains que nous sommes tous, un couple de zèbres… pas comme les autres. « Deux zèbres sur la 30ème rue » est publié aux éditions Héloïse d’Ormesson, maison que je remercie pour la douceur et le plaisir ressentis lors et à l’issue de cette lecture.
James est journaliste pour le New York Times, plus précisément, il est le correspondant au Moyen-Orient de ce grand quotidien américain. Une région difficile, un métier compliqué, James, miné par ce qu’il rapporte de ses reportages, a peu à peu sombré dans une profonde dépression. Il y a perdu beaucoup ces derniers temps, à commencer par sa famille, sa femme ne pouvant plus supporter de le voir s’enfoncer dans ce mal terrible.
Malgré cette douleur supplémentaire, James a poursuivi sa tâche, sans entrain, sans espoir, face aux difficultés, aux horreurs qu’il découvre dans cette région sinistrée du monde. D’ailleurs, son prochain reportage, James doit le consacrer à la situation à Gaza, un an après la très violente opération israélienne lancée fin 2008.
Mais, plutôt que de décrire pour la énième fois la déplorable situation de ce territoire à la situation inextricable, James décide de prendre un contre-pied en racontant un fait a priori banal mais qui, pour la première fois depuis bien longtemps, avait su lui redonner le sourire.
Lors d’une de ses dernières visites à Gaza, James s’était rendu au zoo de la ville, car il y en a un. Un zoo en difficulté, comme n’importe quelle autre activité en cours à Gaza, du fait de l’embargo qui y règne. Mais, ce zoo pas comme les autres, le Zoo de la Joie, comme il s’appelle effectivement, est dirigée par un passionné qui entend, à n’importe quel prix, poursuivre sa mission.
A tel point que, n’ayant pas de zèbres à proposer à ses visiteurs, Mahmoud Barghouti n’a pas hésité à peindre des rayures sur des ânes pour créer une illusion salutaire. Quel plaisir ont les gamins de Gaza de pouvoir monter sur le dos de ces zèbres pas ordinaires ! Quant à James, cette vision si incongrue a rompu enfin la spirale dépressive dont il était prisonnier, provoquant un rire irrépressible.
Alors, plutôt qu’une litanie d’horreurs déjà vues, James décide de consacrer son article à ce zoo pas comme les autres et à ce directeur plein d’imagination et de ressource, capable de prolonger son activité apparemment futile et pourtant salutaire dans cette zone de guerre.
Et, au-delà de ce simple papier, James décide d’aller plus loin et de mettre ses contacts au service de Barghouti pour que celui-ci puisse se procurer de véritables animaux, afin de ne plus avoir à « déguiser » des ânes en zèbres… Pour cela, James va tout faire pour que Mahmoud vienne négocier en personne aux Etats-Unis avec quelques huiles et mécènes internationaux, chose peu évidente pour un citoyen palestinien en ces années d’après 11 septembre.
Il n’imagine pas un instant que son initiative va non seulement chambouler la vie de Barghouti et la sienne, mais aussi celle de trois autres personnages que l’anecdote des « zèbres » de Gaza va rassembler.
Il y a Jana, DJ allemande et maîtresse de fraîche date de James. Elle a été séduite par le journaliste dans une boîte de Berlin, lorsqu’il lui a raconté son incroyable histoire et, si le couple est souvent séparé par la force des choses et les professions de l’une et de l’autre, l’amour y est croissant.
Et puis, il y a un autre couple. Enfin, plus vraiment. Mathieu et Mila. Leur relation fusionnelle leur a fait plus de mal que de bien, à tel point qu’ils ont choisi de se séparer. Une séparation provisoire qui semble difficile à renouer. Lui travaille en Europe, elle est artiste à New York et chacun respecte un silence radio qui les bouffe.
Ces 5 personnages seront rassemblés en un même lieu par le hasard et l’entremise des zèbres de Gaza pour une nouvelle année qu’ils ne seront pas près d’oublier. Car, tous y verront là un nouveau départ à leurs vies.
Au-delà de l’anecdote amusante de ces ânes parés de rayures, Marc Michel-Amadry nous offre un court roman choral qui ne surfe pas que sur le conflit au Proche-Orient (sur lequel il pose d’ailleurs un regard dénué de manichéisme), mais aussi sur cette « ultra-moderne solitude », que chantait Alain Souchon.
Chacun des 5 individus impliqués souffre de solitude. Barghouti, malgré sa famille, ne vit que pour son zoo, au point de tenter l’insolite aventure aux Etats-Unis. Cette mission, c’est toute sa vie et parvenir à faire du Zoo de la Joie un parc zoologique digne de ce nom, capable d’en transmettre, de la joie, à un public qui n’en a pas tous les jours.
Jana, malgré sa réussite professionnelle, s’est murée dans ce rôle de DJ à succès, sans véritable attache, presque anonyme et sans véritable but existentiel. Sa rencontre avec James et sa passion contagieuse pour les zèbres de Palestine a éveillé quelque chose en elle, une étincelle, possible synonyme de sens donné à une vie laissée un peu à la dérive.
Mathieu, amoureux fou de Mila, incapable d’exprimer cet amour au point qu’il redoute de l’avoir définitivement perdu, va lui aussi, à la lecture de l’article de James, retrouver l’espoir. En se consacrant à une relation plus complète de cette étonnante anecdote des zèbres du zoo de Gaza, il croit enfin tenir la solution à son problème, le déclic qui lui permettra enfin de dire à Mila combien il l’aime… Tiens, en lisant, je me suis demandé s’il n’y avait pas du Marc Michel-Amadry, dans ce Mathieu.
Et puis, Mila, artiste talentueuse mais qui pense n’avoir jamais pu exprimer au mieux ce talent, va puiser dans l’absence de celui qu’elle aime, une intensité incroyable qu’elle saura rendre sur la toile. Une œuvre si expressive qu’elle saura séduire au-delà de la critique et lui ouvrir de nouvelles perspectives, plus ouvertes vers l’avenir et plus propice à un amour enfin libéré pour Mathieu.
Reste James. Ces deux zèbres l’ont libéré du poids moral qu’il supportait difficilement. Des zèbres qui vont devenir une espèce d’emblème de sa vie. Ils vont le suivre jusqu’à Berlin où ils orneront un des énormes dominos, symboles des éléments du mur de la honte abattu 20 ans plus tôt, qui chuteront fin 2009 lors des cérémonies anniversaires de cet évènement.
Un mur de Berlin qui en rappelle un autre, celui construit en Israël pour séparer l’Etat hébreu des territoires palestiniens de Cisjordanie. Et l’on se prend à rêver d’une fraternité nouvelle née dans un zoo, devant l’enclos de zèbres, de vrais zèbres, qui voisineraient avec de nombreuses autres espèces animales enfin rassemblées sous la houlette d’un Barghouti, homme de paix dont le cas devrait intéresser, disons, les Nobel, par exemple…
En servant d’intermédiaire entre le directeur du zoo et ceux qui vont l’aider à proposer à ses visiteurs un lieu exceptionnel, James va enfin combler le vide qui s’agrandissait en lui de plus en plus. Et, cette faille ainsi en voie de comblement, il pourra lui aussi faire des projets d’avenir aux côtés de Jana.
Au final, la morale de cette fable, c’est que tous ces humains sont comme les zèbres du zoo de Gaza : déguisés avec des rayures contrefaites pour ne pas laisser voir les états d’âme. Des rayures dont ils vont se défaire grâce à une sensibilité à fleur de peau, à une forte empathie et à une acceptation de ses sentiments, aussi difficile à vivre cela soit-il.
Des zèbres plus vrais que nature qui, finalement, pourraient être de vrais exemples à suivre dans le grand zoo dans lequel nous évoluons au quotidien…
très bien
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