Oui, je sais, ce titre n'est pas très inspiré. Mais il a le mérite de planter le décor : bienvenue dans un roman policier qui se déroule dans le Viet-Nam du XVIIème siècle, avec tout ce que cela nous offre de dépaysement, d'exotisme, de curiosités culturelles en tous genres. Un roman et une romancière qui célèbre la francophonie, puisque Tran-Nhut écrit dans notre langue, et très bien, qui plus est. Allez, je vous emmène en Asie, dans une contrée et une époque lointaine où il se passe des choses bien étranges, qui frisent parfois le fantastique. Poussons les portes ou plutôt ouvrons "le Temple de la Grue Ecarlate", de Tran-Nhut (en poche chez Picquier), la première enquête du Mandarin Tân.
Le mandarin Tân, sur lequel nous reviendrons plus en détails dans quelques instants, vient d'être nommé dans une région du fin fond de l'empire vietnamien, pas franchement le poste rêvé. Pourtant, l'accueil qu'il y reçoit est très chaleureux. Presque trop. Il semblerait que chaque famille importante de la région ait une fille à marier. Une fille très jeune, qui plus est. Et que le mandarin Tân, fraîchement nommé en remplacement d'un précédent magistrat moins jeune et dynamique que lui, représente le parti idéal...
Bref, cette prise de fonction est surtout marquée par une ribambelle de dîners aussi mondains qu'interminables (quoi que de fort belle tenue sur le plan gastronomique). Avec, toutefois, un sujet qui semble revenir systématiquement dans les conversations des uns et des autres : le temple de la Grue Ecarlate. Un lieu qui semble focaliser les inquiétudes voire les rancunes de toute la région.
Un lieu de culte tenu par un ordre de moines assez particulier, qui semblent placer la maîtrise des arts martiaux bien avant la méditation... Un lieu où il se passerait d'étranges choses, si l'on en croit les notables locaux, un lieu que ces mêmes huiles voudraient bien voir fermer, désaffecter et ses occupants chassés le plus loin possible...
Logique, donc, que le nouvel arrivant, épaulé par son fidèle ami et secrétaire, le lettré Dinh, se penche sur le cas de cette communauté religieuse lorsqu'est découvert le corps d'un enfant assassiné... Une piste d'autant plus logique que, outre des moines belliqueux, le temple de la Grue Ecarlate semble abriter et héberger pas mal d'enfants abandonnés...
Commence pour Tân et Dihn une enquête difficile, sombre, entre les ambitions des notables, apparemment tous ligués pour d'obscures raisons contre le temple, la situation bien ambiguë et mystérieuse des moines, moins préoccupés par Bouddha et son enseignement que par des sujets bien plus matériels. Sans oublier ces enfants livrés à eux-mêmes ou presque, abandonnés à cause de leurs difformités physiques et qui occupent, dans la communauté, tout un tas de ce que nous appellerions aujourd'hui des petits boulots.
Des enfants qu'on semble vouloir assassiner un par un, puisque la série de meurtres se poursuit malgré la volonté de Tân de comprendre...
Quel est le lien entre tout cela, quelles sont les vraies motivations des uns et des autres et surtout, qui en veut à ces enfants, quels secrets terribles leur sort cache-t-il ?
Pour comprendre tout cela et résoudre sa première enquête dans sa nouvelle fonction, le mandarin Tân va devoir remonter aux sources de l'histoire de cette région qu'il connaît mal. Aux sources, au propre comme au figuré, car, il lui faudra remonter un cours d'eau, loin dans les montagnes où personne ne semble vouloir s'aventurer pour découvrir non pas la, mais les vérités de cette sombre histoire.
Et faire justice, chez les uns comme chez les autres, car, derrière les apparences sociales, il y a beaucoup de secrets coupables qui dorment un peu partout, dans cette région que le prédécesseur de Tân n'a, semble-t-il, pas administré avec toute l'efficacité et la justesse qu'une telle fonction devrait requérir...
Difficile d'en dire plus sur cette histoire au rythme enlevé sans être effréné (on va au rythme des déplacements de cet immense empire au XVIIème siècle), pleine de rebondissements, de fausses pistes, de découvertes surprenantes et qui bénéficie de la présence de plein de coupables de quelque chose... Ce qui permet d'avoir, à la lecture, un suspense très présent jusqu'aux dernières pages même si, par moments, "le temple de la Grue Ecarlate" tient plus du roman d'aventures que du polar stricto sensu (ce qui n'est pas un reproche, bien au contraire), par exemple, avec l'épopée vers les sources, au sommet des montagnes...
Venons-en, comme promis, à Tân. Voilà un personnage à la carrure impressionnante, une stature qui, ajoutée à son statut, en impose, forcément. Un physique massif qui s'explique par un féroce appétit, que le magistrat peu exercer à l'envi au cours de cette aventure, puisqu'il est en permanence invité à des festins chez les notables.
Mais Tân n'est pas qu'un amateur de bonne chère. C'est aussi un magistrat compétent. Au fur et à mesure du récit, on comprend qu'il a su s'élever socialement jusqu'à atteindre ce poste de magistrat, certes dans une région reculée de l'empire, mais assez inespérée, eu égard à ses origines. Car Tân est loin d'être comme ces notables qui le reçoivent à bras ouverts, issus de familles riches, nobles ou bourgeoises. Non, Tân est né dans un milieu paysan, fort modeste au plan matériel, mais dont l'éducation reposait sur une solide culture classique, sur laquelle Tân a su s'appuyer pour devenir un magistrat compétent.
Et sa compétence prend plusieurs formes : d'abord, une grande perspicacité. Encore une fois, il n'est pas le plus brillant, le plus intelligent, le plus érudit... Mais, il a cette logique, cette capacité à raisonner qui lui permet d'assembler avec justesse les pièces du puzzle qu'on lui soumet. Ensuite, parce qu'il sait mettre la main à la pâte. Il n'est pas de ces magistrats qui ne quittent pas leur bureau pour mener l'enquête. Non, lui n'hésite pas à sortir de son antre et à quitter ses habits officiels pour s'impliquer directement dans les investigations nécessaires à la découverte de la vérité.
Enfin, dernière qualité primordiale, c'est un homme épris de justice et qui sait se montrer aussi bien magnanime que d'une extrême sévérité. Un homme juste, donc, au meilleur sens du terme. Mais pas monolithique. De par ses origines, et malgré le confucianisme ambiant qui préside aux destinées de l'empire, Tân reste sensible aux croyances, aux légendes, aux superstitions, nombreuses dans les cultures asiatiques et toujours présentes. Ce qui, au passage, donne un petit côté "fantastique" à son aventure. Un respect des traditions qui ne l'empêche pas, le moment venu, de s'appuyer sur des éléments bien réels et concrets pour attraper des criminels aussi mortels que lui et les punir comme il se doit.
Et, au cas où ces croyances viendraient à le faire douter, il peut compter sur son fidèle secrétaire, Dihn. Son alter ego, son complément parfait, puisque Dihn est un lettré, plus porté sur l'étude et l'activité intellectuelle que sur l'action (c'est peu de le dire, il se fait discret lors des embuscades, quand Tân n'hésite pas à riposter et à châtier leurs assaillants...), un homme aussi mince que Tân est corpulent, aussi ascète que Tân est bon vivant, on pourrait multiplier les exemples...
Je ne vais pas rallonger indéfiniment ce billet déjà long, mais laissez-moi dire un mot du style de Tran-Nhut, emballant, envoûtant. Elle nous offre plein d'expressions fleuries et parfumées, manie un humour aussi fin qu'amusant et nous distille avec une grande habiletés quelques allusions très amusantes.
Et puis, elle donne faim... Oui, je sais, je suis très (trop ?) sensible à ça... Que voulez-vous, c'est mon côté Tân ! On mange beaucoup dans "le temple de la Grue Ecarlate" et je dois dire qu'on aimerait bien être à table aux côtés du mandarin. Pas pour les mondanités, mais les menus bien alléchants...
Vous l'aurez compris, j'ai apprécié cette lecture à plusieurs niveaux et je vous encourage vivement à la partager. Mais, je m'en voudrais de ne pas finir sans citer Tran-Nhut. Je recours peu aux citations dans mes billets, à part pour certains titres, mais là, ça s'impose, vous allez voir :
"Dans la discipline bouddhiste, les Six Poussières sont les choses extérieures au corps humain qui sont en contact avec lui : la beauté, le parfum, le son, le toucher, la saveur, l'imagination. Pour atteindre à l'idéal, l'homme doit secouer la poussière qui adhère à lui".
Autrement dit, pour Bouddha, l'imagination est placée au même niveau que les cinq sens... Voilà une belle piste de réflexion, pour nous, amateurs de romans et, plus encore, de romans où l'imaginaire tient la place principale.
Drille tu abuse !!!
RépondreSupprimerMa wish s'agrandit . . . :D
Si je te donne envie de lire, c'est que j'ai réussi mon coup... Ce blog n'a pour unique but que de faire exploser les PAL !
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