samedi 15 septembre 2012

« Qui tue le lion en mange, qui ne le tue pas est mangé » (proverbe arabe).

Il y a des auteurs que je retrouve avec plaisir car je sais qu'ils vont me faire sourire et même rire. L'humour, en littérature, se fait rare, alors quand on trouve un auteur qui sait raconter de bonnes histoires avec la pointe de rigolade qui va bien, on ne le lâche pas. Voilà pourquoi je me plonge toujours avec plaisir dans les thrillers de Nelson DeMille, en particulier sa série mettant en scène John Corey, flic au cynisme réjouissant, en toutes circonstances. C'est une nouvelle fois le cas, malgré un contexte lourd et une menace latente, dans "le retour du Lion", publié en grand format chez Michel Lafon (pas de sortie poche annoncée pour le moment).


Couverture Le Retour du Lion


L'action se déroule peu de temps après le 11 septembre 2001, l'Amérique est sur ses gardes, prête à se lancer sur le sentier de la guerre et pourtant, déjà oublieuse des erreurs commises pour aboutir au désastre. Asad Khalil, terroriste libyen surnommé "le Lion", pourtant présent sur la liste des personnes les plus recherchées au monde, profite de ce relâchement de l'attention pour revenir aux Etats-Unis, où il a des comptes à régler.

En 1986, lors des bombardements américains visant le pouvoir de Khadafi, la majeure partie de la famille de Khalil a été tuée, le laissant plein de haine et de colère. Quelques années plus tôt, avant que le World Trade Center ne soit la cible d'attentats de très grande envergure, Khalil avait déjà frappé sur le sol américain (cf "la vengeance du Lion", du même auteur), réussissant à tuer plusieurs des pilotes américains ayant participé aux bombardements en Libye. Mais, il avait failli se faire prendre avant d'achever sa tâche, ne parvenant à s'échapper qu'in extremis, en tuant plusieurs agents et au nez et à la barbe de John Corey et de Kate Mayfield, deux agents chargés de le récupérer pour l'amener devant la justice.

Après avoir disparu pendant des années des écrans radars, le Lion revient donc aux Etats-Unis pour accomplir la deuxième partie de sa vengeance. Un dernier pilote est en tête de liste, mais aussi Corey et Mayfield, désormais mari et femme et travaillant tous deux pour une nouvelle agence anti-terroriste mise en place après le 11 septembre, l'ATTF.

Commence une odyssée sanglante, depuis la Californie jusqu'à New York. Le lion est aussi insatiable qu'impitoyable...

Et, lorsqu'il s'en prend à Corey et sa chère Kate, c'est avec une ruse effrayante. la scène sans doute la plus spectaculaire du livre est l'agression de Kate par Khalil alors qu'ils sont en train de sauter en parachute. Corey est aussi de la partie, impuissant témoin de l'agression de celle qu'il aime... Pourtant, presque miraculeusement, il va lui sauver la vie de justesse... mais en laissant s'enfuit un Lion qui n'en a pas fini avec lui...

Plus d'effet de surprise, désormais, Corey sait que le Lion est de retour et qu'il est sa proie... Mais le flic à l'humour dévastateur, un brin misogyne, pas très politiquement correct quand il évoque l'Islam et peu respectueux de sa hiérarchie, qui le considère comme un franc-tireur et se méfie de lui et de ses réactions, a lui aussi l'intention d'en finir une bonne fois pour toute avec Khalil. Corey aussi est en colère et le duel ne peut, on le sait, que se solder par la mort d'au moins un des deux protagonistes.

Les supérieurs de Corey ont beau essayé de le mettre hors de l'enquête, il parvient toujours à revenir par la fenêtre après avoir été expulsé par la porte. Tout en menant sa propre enquête, Corey disposant de quelques intuitions qu'il a choisies de garder pour lui, l'agent réfractaire aux ordres de ceux qui ne veulent pas écouter ses idées aussi alarmistes que fondées va tout faire pour retrouver Khalil avant que celui-ci ne le retrouve...

Attaquer le premier pour reprendre l'avantage, malgré la dizaine de cadavres que le Lion a déjà laissée derrière lui... Mais, pour mener à bien son projet, Corey va accepter de jouer le jeu en devenant l'appât idéal pour le Lion. Officiellement, il n'est plus sur l'enquête, mais il doit mener une vie de jeune veuf (Kate est gardée au secret dans un hôpital de New York et la nouvelle de sa mort a été mise en circulation), faire comme si de rien n'était et amener Khalil à l'approcher afin que les agents du FBI et du NYPD lui tombe dessus...

Corey sait bien que ce plan est voué à l'échec, que jamais le Lion ne tombera dans un piège aussi simpliste. Alors, il cherche à remonter la piste du Lion. Ca passera par le club d'un des mentors de Khalil. Boris, ancien agent du KGB, a aussi travaillé pour les services libyens après la chute du Mur de Berlin. Il y a formé le jeune Khalil, lui a appris à tuer, pas à canaliser sa colère. Boris aussi est une cible, car il a fui la Libye pour les Etats-Unis avant d'être éliminé par les hommes de Khadafi et a donné pas mal de renseignements sur le régime de Tripoli à la CIA.

Aujourd'hui, Boris est rangé des voitures, il dirige un club à la mode à Brighton Beach, le quartier russe de New York... Mais Corey est certain que Boris est à ses côtés, en haut de la liste des personnes que Khalil veut éliminer avant de partir. Là encore, en secret, il entre en contact avec Boris, persuadé que celui-ci pourra l'aider à débusquer le Lion...

Le jeu de cache-cache va se prolonger ainsi, en jouant au plus malin, jusqu'au duel final, presque une scène de western en plein New York. Un duel à mort entre deux hommes, mais pas seulement. Car plus le temps passe et plus Corey est persuadé que Khalil n'a pas pris le risque de revenir aux Etats-Unis juste pour assouvir sa vengeance. Le flic à l'intuition aiguisée et l'expérience de terrain incontestable redoute le pire.

Et s'il avait raison ?

"Le retour du Lion" est vraiment construit comme un drame en trois actes. D'abord, l'arrivée du Lion et le début de son rallye sanglant à travers les Etats-Unis, premier acte qui s'achève avec l'agression de Kate lors du saut en parachute. Deuxième acte : l'enquête. Corey et ses collègues n'ont plus de doute, Khalil est là, plus déterminé que jamais. Il continue à tuer pendant que l'ATTF s'organise péniblement. Ce deuxième acte est aussi celui de l'attente, pour un Corey devenu chèvre pour appâter le Lion. Une partie centrale qui repose beaucoup sur la psychologie des personnages et l'impatience de Corey. Et puis, troisième et dernière partie, où tout s'accélère, le duel final, qui ne s'arrêtera pas à la mort de l'un ou de l'autre. Car la thèse de DeMille à travers ce roman, c'est que les USA ne sont plus à l'abri et que l'attention ne doit jamais se relâcher, sinon d'autres 11 septembre, d'autres attentats aussi spectaculaires que meurtriers, se multiplieront...

Le talent de DeMille, qu'on pourra juger très conservateur, moins explicitement qu'un Dan Simmons, mais, à travers Corey, on sent l'Amérique revancharde qui veut écraser tout ce qui la menace, une Amérique arrogante et trop sûre d'elle toutefois et qui commet des erreurs terribles à cause de cela, le talent de DeMille, disais-je, c'est de parvenir à entretenir une tension permanente tout en conservant l'humour dévastateur de Corey jusque dans les moments les plus critiques.

On ne peut s'empêcher de sourire voire de rire (à condition d'adhérer à cet humour servi noir et sans sucre) à chaque intervention de Corey, narrateur de ses "exploits" et de son enquête. Certes, le duo détonnant qu'il forme avec Kate est cette fois un peu amputé, même si la grave blessure de son épouse donne au flic une raison supplémentaire et de taille pour régler son compte à Khalil.

Les scènes d'action, je le disais plus haut, sont épatantes (vraiment, je serais curieux de voir la scène du saut en parachute sur un écran de cinéma), même si j'ai trouvé le duel entre Khalil et Corey un peu trop rapide, pas expédié à la va-vite, mais presque accessoire, en raison de ce qu'il reste à faire ensuite. En revanche, ce codicille, si je puis appeler la fin du roman ainsi, fait remonter l'adrénaline d'un seul coup, aux taquets.

Là, c'est jusqu'au dernier mot de la dernière ligne du roman qu'il faut s'accrocher. Oh, non qu'il y ait un doute sur l'issue finale (quoi que...) mais parce que la tension y est encore une fois magistralement orchestrée, ajoutant au drame la symbolique idoine, celle qui renvoie aux heures sombres dont nous venons de nous souvenir il y a quelques jours à peine (je n'avais d'ailleurs pas fait le rapprochement entre l'histoire de ce roman et le calendrier).

Hélas, on peut rejoindre aisément Nelson DeMille quand il redoute de nouveaux attentats. Pour lui ("le retour du Lion" a été publié en 2010 aux USA), la menace est loin d'être dissipée et le territoire américain est une cible pour tous les fanatiques islamistes... Indépendamment de la réalité de ces craintes et de ce qu'elle peuvent véhiculer, elles nous promettent de nouvelles enquêtes pour un Corey au meilleur de sa forme, pour qui l'heure de la retraite (ou de la reconversion dans une agence privée, eldorado financier et oasis de calme par rapport à l'ATTF) est encore loin...

Bien sûr, traiter de la question terroriste est extrêmement délicat pour un romancier. Bien sûr, le thriller est un genre parfait pour cela. Bien sûr, le côté héros à l'américaine et gros méchant qui fait peur peut paraître irréaliste à certains. Moi, j'aime bien ces romans qui ne vous laisse aucune plage de repos, qui vous prennent et vous entraînent sur plus de 400 pages sans vous lâcher une seconde. J'insiste sur l'humour de DeMille, mais c'est pour moi une vraie plus-value par rapport à ses collègues écrivains.

Et, à l'arrivée, j'ai passé un excellent moment avec ce roman, cinquième volume de la série "John Corey" et je ne peux que vous conseiller de découvrir les romans de DeMille si vous ne le connaissez pas encore, le plus connu, en raison de son adaptation par Hollywood, devant être "le déshonneur d'Ann Campbell".

Lisez DeMille, Nelson, pas Cecil B., et vous m'en direz des nouvelles.


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