samedi 26 janvier 2013

"Mais que me servira cette vaine poursuite, si toujours les dragons sont prêts à t'enlever ?" (Corneille).

ATTENTION, CE BILLET TRAITE DU DEUXIEME TOME D'UNE TRILOGIE.

Quelques jours avant la fin de l'année dernière, je vous faisais part du plaisir que j'avais pris à lire "les Lames du Cardinal", de Pierre Pevel. J'avais dit que j'y reviendrai rapidement, voilà qui est fait puisque, en ce mois de janvier, je me suis attaqué au deuxième volet de cette trilogie mêlant fantasy et roman historique de cape et d'épée. Un deuxième tome sensiblement différent, qui s'intitule "l'Alchimiste des Ombres" (en grand format chez Bragelonne), qui m'a procuré un bon moment de lecture, mais des émotions elles aussi sensiblement différentes de celles ressenties en lisant le premier tome.


Couverture Les Lames du Cardinal, tome 2 : L'alchimiste des ombres


Un mois après avoir déjoué les plans de la Griffe Noire pour s'implanter à la Cour de France, les Lames du Cardinal sont de nouveau sur le pied de guerre. Le capitaine La Fargue et quelques uns de ses hommes doivent se rendre près d'Amiens (en 1633, la ville est en territoire espagnol) pour rencontrer une mystérieuse espionne italienne qui affirme posséder un secret susceptible de faire vaciller la monarchie française...

Malgré la sulfureuse réputation de celle qu'on surnomme l'Italienne, connue pour servir plusieurs maîtres et donc, être peu fiable, Richelieu estime sans doute ses révélations crédibles, voire importantes, et c'est pourquoi il a cru bon de confier la mission de rencontrer l'espionne aux plus remarquables de ses hommes... Car l'Italienne est dure en affaires et n'entend pas livrer les informations qu'elle possède aussi facilement.

En échange des documents qu'elle a en sa possession et qui accrédite la thèse d'un complot contre la couronne de France, elle veut la protection du Cardinal de Richelieu lui-même... Une demande délicate à accepter sans avoir pu consulter auparavant ces mystérieux documents et mesurer la gravité éventuelle de la situation. Et les ordres du Cardinal sont les ordres : La Fargue doit, si besoin, arrêter l'espionne et la ramener en France en vue d'un procès.

Mais, il faut vite prendre une décision, car, manifestement, les Lames ne sont pas les seules à avoir un vent des intentions de l'Italienne... Un commando de redoutables dracs noirs, des créatures créées par les Dragon Ancestraux pour leur servir "d'hommes de main", si je puis dire, approche lui aussi de la maison où se cache l'Italienne. Un commando "escorté" par un étrange nuage, qui laisse penser que les dracs sont aidés par une magie quelconque. Et les intentions de ces monstres brutaux sont sans doute encore moins bienveillantes que celles de La Fargue et de ses hommes...

Pendant l'affrontement entre les Lames et les dracs, l'Italienne disparaît, emportant son secret tant convoité avec elle... Reste que l'idée d'une menace visant possiblement Louis XIII ne peut être écartée et, devant le peu de coopération de l'Italienne, La Fargue et son équipe va devoir se débrouiller pour essayer de découvrir si danger il y a réellement et, si c'est le cas, de quelle nature il est.

La présence de dracs lors du rendez-vous avec l'espionne semble être un bon début de piste, mais bientôt, La Fargue va avoir vent de la possible présence en France de son ennemi juré... Un personnage mystérieux connu sous le nom d'Alchimiste des Ombres... Les Lames du Cardinal lui doivent leur plus cuisant échec et La Fargue entend bien obtenir réparation, si ce n'est vengeance. Et mettre hors d'état de nuire cet ennemi très puissant, aux pouvoirs magiques exceptionnels...

Au cours de leur enquête, alors que les Lames se muent peu à peu en espions et en gardes du corps, La Fargue et ses hommes vont croiser la route d'une femme ambitieuse et déroutante : Madame de Chevreuse. Aristocrate poussée par une ambition dévorante, ayant déjà connue la disgrâce mais revenue en cour et qui compte bien gagner un peu plus la confiance royale, en particulier, celle de la reine Anne d'Autriche, que son incapacité à concevoir un héritier du trône fragilise.

Mais ils vont surtout devoir déjouer le plan machiavélique que l'insaisissable Alchimiste des Ombres, dont personne ne connaît la véritable apparence, et le temps est compté avant que le piège ne se referme, inexorablement... Les Lames du Cardinal n'auront pas trop du renfort de Laincourt qui, malgré la fâcheuse posture dans laquelle il s'était mis lors de la première aventure, a su gagner la confiance de La Fargue.

Il serait illusoire, voire stupide, de penser que le coup porté un mois plus tôt à la Griffe Noire aurait décourager les Dragons qui se cachent derrière cette organisation secrète. Au contraire, leur ambition de poser leur pâte griffue sur la couronne de France n'a jamais été aussi forte. L'Alchimiste des Ombres sera leur bras armé, avec l'aide d'une magie puissante et redoutables.

Mais, en cas d'échec, les Dragons ont d'autres tours dans leur sac. Et si la ruse ne suffit pas...

Je ne veux pas trop en dire sur l'histoire car le risque est grand de trop en dire sur l'intrigue. Mais, comme dit en préambule, "l'Alchimiste des Ombres" ne ressemble pas aux "Lames du Cardinal". La magie, présente mais discrète dans le premier volet, joue ici un rôle bien plus important. La fantasy a gagné du terrain par rapport au roman historique, sans que cela soit le moins du monde dérangeant, je le précise, mais la tendance est nette.

Idem pour la partie cape et épée, elle aussi moins présente que dans "les Lames du Cardinal". On la trouve au début, comme je l'expliquais, avec la rencontre entre La Fargue et deux de ses hommes d'un côté et ces terribles dracs noirs de l'autre. Ensuite, jusqu'à la fin où l'on retrouve cet aspect, il se fait plus discret, laissant la place à un roman d'espionnage plus classique, une enquête qui va obligé certains membres des Lames, masculins ou féminins, à s'infiltrer, dirions-nous dans notre langage contemporain, dans des milieux bien différents de ceux qu'ils ont l'habitude de fréquenter...

Et, puisque j'évoque les différences entre ces deux volets, notons que Richelieu comme la Griffe Noire sont eux aussi bien plus discrets, laissant le devant de la scène aux Lames du Cardinal, évidemment, bien moins unis, si je puis dire, que dans le premier volet, d'ailleurs. Peu de scènes les rassemblent tous au même endroit au même moment, chacun a sa mission particulière à remplir dans un plan d'action qui nécessité de se multiplier...

On est également moins dans une filiation directe à Dumas (d'Artagnan apparaît mais furtivement), même si Madame de Chevreuse, personnage central de "l'Alchimiste des Ombres", apparaît, dit-on, dans "le Vicomte de Bragelonne", sous les traits de Marie Michon. Intéressant, le cas de cette Madame de Chevreuse. Certes, Pevel joue avec l'Histoire et les faits, mais il s'appuie tout de même sur la biographie de cette intrigante à l'étonnante vie.

Avec elle, on retrouve le Marquis de Chateauneuf, son amant, garde des sceaux de Louis XIII et rival de Richelieu, la Reine Mère, Marie de Médicis, exilée en Belgique, qui intrigue aussi contre son propre fils, et bien sûr, le couple royal, Louis XIII et Anne d'Autriche, de nationalité espagnole, pays ennemi de la France en ces temps troublés, ce qui n'arrange rien aux lézardes apparues entre les époux.

Pevel, comme le faisait si bien Dumas, s'empare d'une situation, de faits, et les réarrange à sa sauce pour parvenir à ses fins romanesques. Et force est de reconnaître que c'est fait avec beaucoup d'habileté. Car le mélange faits historiques, intrigues politiques, situation de la monarchie en cette année 1633, irruption de la menace que représente la Griffe Noire et les dragons, la magie, les chausses-trappes, les lieux assez baroques et inquiétant, comme ce château de Dampierre (pas celui que l'on peut voir aujourd'hui, construit sous Louis XIV, mais la demeure qui existait depuis la Renaissance à cet endroit), tout cela donne une nouvelle fois un résultat prenant qui n'hésite pas aussi à puiser dans les films de cape et d'épée des années 50, je pense en particulier à une poursuite entre une des Lames et un carrosse, scène dans laquelle Jean Marais aurait sans doute été parfait.

Dernier élément historique d'importance dans "l'Alchimiste des Ombres", les relations très tendues entre le Royaume de France et le Duché de Lorraine voisin. Un Duché où l'incorrigible Madame de Chevreuse passa justement une année de disgrâce près d'une décennie plus tôt. Les rumeurs de guerre enflent entre les deux Etats et l'on connaît les ravages que fera ce conflit dans la région... Le choix de faire intervenir, directement et indirectement la Lorraine dans son intrigue, n'est d'ailleurs sans doute pas innocent de la part du Nancéien Pierre Pevel...

Mais, tout ce que je viens d'énumérer contribue aussi à une atmosphère plus sombre que dans "les Lames du Cardinal". On entre directement dans le vif du sujet, cette fois, on connaît rapidement les forces en présence et, si les véritables enjeux ne sont évidemment pas révélés tout de suite, il n'y a pas de véritables temps mort. En tout cas, pas de temps pour les menus plaisirs du quotidien, entrevus dans "les Lames du Cardinal".

Pas de jeux, jeux d'argent ou de séduction, ou en tout cas, réduits à la portion congrue, pas d'agapes, pas d'entraînement au combat, pas de scènes ornées d'un panache à la Cyrano (d'ailleurs, saviez-vous que son Bergerac ne se trouve pas en Dordogne, mais dans la vallée de Chevreuse ? Merci, monsieur Pével !), pas de moments véritables de détente mais une tension soutenue d'un bout à l'autre du roman, car les heures qui y passent sont graves.

C'est sans doute essentiellement pour cela que mon plaisir de lecteur, bien réel encore une fois, a été très différent de celui ressenti à la lecture du premier tome. Ce changement d'ambiance, cette tension, on la ressent à chaque page, on voit bien que les personnages n'ont plus que peu d'occasions de laisser libre cours à la fantaisie (sans jeu de mots) qui les habitait presque tous dans "les Lames du Cardinal".

Même La Fargue, si serein dans le premier opus, est gagné par l'énervement, par la colère. Il s'implique bien plus que ne devrait le faire le chef de groupe qu'il est, mettant jusqu'à sa vie en jeu. Il arrive à un âge avancé pour un combattant, plus encore pour un homme aux yeux de l'époque dans laquelle il vit. Mais la soif de vengeance prend le dessus sur les douleurs, les blessure, les nouvelles comme les plus anciennes celles qui se réveillent. Et, finalement, l'orgueil bafoué du soldat prend aussi d'une certaine manière le dessus sur les ordres et les règles à respecter.

C'est ce carburant qui va l'aider à aller au bout de cette enquête, alors que l'on sent chez lui une grande lassitude, liée aux suites du fiasco de la Rochelle, dont on ne sait que toujours aussi peu de choses, à la trahison qui est revenue sur le devant de la scène à la fin des "Lames du Cardinal", au sort de sa fille et à de nouvelles inquiétudes qui se font jour dans le courant de ce roman.

Mais on sent qu'on approche de la fin d'une ère. Pas seulement pour les Lames elles-mêmes, dont certains membres ont des raisons de repenser leur avenir, mais aussi pour le Royaume de France. Car, en fin de roman, la menace se précise, prend de l'ampleur et les dernières pages de "l'Alchimiste des Ombres" annonce un tome final qui devrait dépoter...

Promis, on va s'y attaquer bientôt car, malgré les différences entre ces deux premiers épisodes, le plaisir reste le même et la curiosité de découvrir le sort que Pevel, et ces gros rancuniers de Dragons, réservent à des héros auxquels on s'attache encore un peu plus. Quelques zones d'ombre sont apparues, il y aura le sort collectif mais aussi individuel de ces hommes et femmes remplis de courage. Parmi eux, certains devront sans doute aussi faire des choix lourds de conséquences qui pourraient menacer l'existence même des Lames.

Alors, à suivre, très prochainement, pour le tome 3, "le Dragon des Arcanes".

Enfin, signalons que si je lis cette trilogie en grand format, la sortie en poche des trois volets est prévue pour cette année, "Les Lames du Cardinal" arrivant même en librairie dans ce format à la fin de ce mois de janvier, alors précipitez-vous si vous n'avez pas encore succombé à la tentation !

Ah oui, un dernier mot pour les plus curieux : la phrase de Corneille qui sert de titre à ce billet est tirée de sa tragédie "Médée", qu'on se le dise.


2 commentaires:

  1. Pour une fois que je peux commenter un bouquin que tu as lu, j'en profite !
    Comme toi, j'ai remarqué que le côté "cape et épée" s'efface un peu dans ce deuxième tome. Mais je trouve que c'est tout à fait cohérent.
    Dans le premier tome, les Lames reviennent en grâce pour contrer un danger immédiat. Cela mène forcément à plus d'action.
    Quant au deuxième tome, les Lames approfondissent les pistes et réflexions soulevées dans leur première aventure. Et puis ne l'oublions pas, les Lames sont les agents de l'ombre du Cardinal. Et qui dit agent de l'ombre, dit discrétion, intrigues, espionnage.
    Et puis, il faut lancer de nouvelles pistes et de nouveaux indices pour terminer la trilogie avec brio ! Donc, pour moi ce tome met en place les éléments pour un final explosif.
    D'ailleurs dans les trilogies c'est souvent le cas, le deuxième tome permet d’approfondir le sujet et les personnages.

    Là, je suis en train de lire le troisième tome, et je peux te dire que tu vas aimer !

    RépondreSupprimer
  2. Mais... Mais... Mais nous sommes d'accord, alors :-)

    Je partage ton analyse et j'attends effectivement ce troisième tome que je lirai, je pense, début février. Bien sûr, je ne peux pas écrire ici ce qui se passe dans les dernières pages de "l'Alchimiste des Ombres" et qui justifie une certaine impatience, mais effectivement, je pense que je ne serai pas déçu du voyage.

    RépondreSupprimer