lundi 10 juin 2013

"Alain, c'est Dieu, et moi, je suis Angèle, la seule Barbie en vrai."

A l'heure où les plus navrants fleurons de la télé-réalité font le buzz avec du vent (et du shampoing, aussi...), voici un roman qui ne peut que faire réfléchir à la vacuité de certaines "carrières artistiques" qui nous renvoient au temps glorieux des zoos humains et des femmes à barbe... Oui, ce préambule n'est pas d'une grande gaieté, je le reconnais volontiers, mais le livre du jour m'a terrifié. Dans le bon sens du terme, parce que le lecteur que je suis a besoin d'émotions variées. Là, j'ai été servi, dévorant ce livre avec une certaine fièvre, effaré devant l'histoire d'une femme transformée en "bête de foire" (sic) pour le bien-être d'un époux qu'on devine manipulateur et intéressé... Sans misérabilisme, ni cynisme, j'insiste là-dessus, le jeune romancière Alma Brami dresse le portrait de cette femme dans "Lolo", publié chez Plon, dans sa collection "Miroir". Le style est aussi brillant que l'histoire est triste...


Couverture Lolo


Angèle a rendez-vous chez le psy. Elle a besoin d'une attestation de sa part pour pouvoir procéder à une énième opération de chirurgie esthétique, visant à lui augmenter une nouvelle fois son tour de poitrine. Il faut dire que Angèle vit de ce corps, qu'elle affiche un peu partout en France et à l'étranger, au cours de spectacles, si on peut appeler cela ainsi, où sa plastique, dans tous les sens du terme, aiguise les plus bas instincts masculins.

Commence un monologue, au travers duquel on comprend que le psy n'est pas du tout prêt à donner son accord à une nouvelle opération et qu'il préférerait que Angèle poursuive la thérapie qu'elle a entamé sans même s'en rendre compte... Pourtant, Angèle va revenir, séance après séance, et se livrer de plus en plus à ce psy muet mais attentif au destin de cette femme pas comme les autres.

Le lecteur, presque dans la peau du psy, en tout cas disposant de cette vue subjective à travers lui, va découvrir la vie et le destin d'Angèle, connue du grand public sous le pseudonyme de Lolo... Mais, si nous mesurons rapidement la tristesse de la vie de cette femme, elle, de son côté, fait preuve d'une immense naïveté, une candeur, même, touchante, mais terriblement aveuglante...

On découvre le parcours d'une jeune fille, dotée un complexe d'infériorité abyssal et d'un total manque de confiance en elle. Angèle est l'aînée d'une famille nombreuse, son père est absent même quand il est là et sa mère est autoritaire et même violente. Angèle a subi ses foudres en permanence depuis toujours et, sous cette influence délétère, elle a fini par se persuader qu'elle est une moins que rien, une incapable, une ratée...

A 24 ans, elle a fait la rencontre de sa vie : Alain. Il sera l'homme de sa vie, espèce de coup de foudre réciproque. La mère d'Angèle, elle, voit en cet homme le seul moyen de caser cette fille, en qui elle n'a jamais fondé aucun espoir... Mais, Alain est plus un digne émule de Frankenstein que le mari parfait et , très vite, il va prendre en main la destinée d'Angèle... pour le meilleur et pour le pire...

A coups d'opérations esthétiques, plus d'une vingtaine, Alain va faire de la jolie Angèle, Lolo, people avant l'avènement des peoples, dont le titre de gloire restera d'avoir eu son nom et sa photo dans le livre des records pour être la femme à la poitrine la plus opulente du monde... Oui, j'ai dit jolie... Lors d'une séance, Angèle raconte qu'elle a retrouvé une photo d'elle avant... "J'ai vu une fille mince, mince, mince, belle comme une mannequin. J'ai dit : "c'est moi". Alain a répondu "c'était ! Tu es beaucoup plus femme, maintenant !" " Ca a au moins (seulement ?) le mérite d'être clair...

Pour financer toutes ces opérations, et sans doute pour assurer un train de vie confortable au couple, et plus particulièrement à lui-même, Alain devient l'agent de Lolo, voulant en faire une chanteuse, une actrice, une Star, avec un S majuscule... Un rêve quasi hollywoodien qui prendra vite du plomb dans l'aile pour devenir une carrière pathétique, aux relents de prostitution... Je n'en dis pas trop, mais les découvertes successives sur la vie du couple sont juste ahurissantes...

D'autant plus ahurissantes que Angèle elle-même ne semble se rendre compte de rien...En tout cas, sa nouvelle vie de Lolo est tellement plus féerique que son enfance et sa jeunesse, sous le joug d'une mère atroce, qu'elle semble refouler tous les indices qui montre qu'on se joue d'elle, qu'on a fait d'elle une créature, une "bête de foire", pour reprendre l'expression que découvre sur internet la jeune femme à son sujet, une marionnette totalement dépendante, et pour tout, jusque dans sa vie quotidienne, de cet homme, dont le portrait, page après page s'assombrit...

Oui, vraiment, Angèle est au pays des Bisounours, si on l'écoute. Elle n'a jamais été aussi heureuse que depuis qu'elle est avec Alain et qu'il a fait d'elle Lolo... En fait, Angèle est une enfant dans le corps d'une femme rendu difforme à force de vouloir l'embellir. Quel abominable paradoxe ! Oui, Angèle est une enfant et Alain, le père qu'elle aurait voulu avoir.

D'ailleurs, quand elle se rebelle, quand elle boude, quand elle conteste, elle se fait réprimander, gronder comme une gamine... Et, à chaque fois, elle capitule devant celui qui incarne la raison : "C'est pas ça être adulte ? S'excuser, reconnaître quand on a fait une bêtise ?", dit-elle... Eh bien non, ce n'est pas ça, être adulte...

Pourtant, au-dessus de ce discours tout rose parfumé à la guimauve, flotte un nuage noir persistant. Un nuage comme un sinistre présage. Angèle est apparaît si lunatique, changeant d'humeur d'une séance à l'autre, et même parfois durant une séance, qu'on comprend que le psy ait souhaité la suivre au lieu de lui filer le bordereau qu'elle était venue chercher...

Car Angèle semble être entourée par la mort. Pas celle de ses proches, non la sienne. Comme si elle avait depuis toujours été en sursis... Par moment, alors qu'elle se raconte, on réalise la dépression profonde dans laquelle elle évolue depuis très longtemps... La question du suicide revient à plusieurs reprises, à propos de son passé, puis, l'idée de se laisser mourir, d'en finir revient, lancinante, sans qu'on sache si elle y songe vraiment ou si c'est un moyen d'apitoyer son interlocuteur...

Mais, tout ce monologue est morbide, dans les deux sens du mot qu'on trouve dans le Larousse : celui de la maladie, car cette femme ne va pas bien, physiquement, moralement, c'est une évidence, et celui du caractère malsain de la situation, car on voit dans Angèle une victime consentante, inconsciente du mal qu'on lu inflige, racontant presque sur un ton badin, cette vie de souffrances, morales hier, physiques aujourd'hui (sa poitrine lui casse le dos, elle doit dormir seulement sur le côté, ses talons sont si haut qu'elle trinque aussi de ce côté-là... "Souffrir pour être belle, on dit ! Moi, je souffrais avant d'être belle, alors j'ai tout à gagner !" dit Angèle lors de la première séance à laquelle nous assistons...).

Si, peu à peu, au fil des séances, avec l'aide de ce monologue, répondant sans doute aux interrogations du psy, Angèle commence à douter du bien-fondé de la vie dorée qu'on lui fait mener, de la gentillesse et des bonnes intentions d'Alain, jamais elle ne va se révolter. Il y aura des escarmouches, mais jamais rien de plus. A chaque hésitation qu'on sent dans les paroles de Lolo, on se dit qu'elle va enfin se réveiller, qu'elle va comprendre que tout cela est criminel, qu'elle va rejeter cet homme qui a surtout fait son malheur... Et puis, non, plutôt que d'envisager autre chose, elle s'enfonce un peu plus dans la dépression...

La trinité de Lolo ? Amanda Lear, avec qui elle voudrait faire un duo, Pamela Anderson, à qui elle pense ressembler, et Marilyn Monroe, l'icône absolue, au point d'avouer au psy qu'elle s'est peut-être réincarnée en elle, puisque Angèle est née l'année de la mort de la star américaine... Poignant de la voir croire à cela, alors que son unique point commun avec Marilyn sera d'avoir abusé des médicaments et du champagne jusqu'à en mourir... Comme l'idole...

Bon, je ne vais pas tourner autour du pot 107 ans, évidemment, la Lolo au coeur du roman d'Alma Brami est Lolo Ferrari, décédée soudainement au printemps 2000 et à propos de laquelle les rumeurs les plus terribles continuent de courir et les procès de se tenir... Alors que la collection "Miroir", dirigée pour Plon par Amanda Sthers, propose habituellement des biographies romanesques de personnalités ayant marqué leur époque écrites par des romanciers, ce livre-là est un pur roman, puisque le nom des personnages a été modifié, seul le Lolo, certes transparent, aiguille le lecteur...

Mais, par les temps qui courent, avec l'ambiance pesante et les rumeurs que je viens d'évoquer autour de la mort de cette starlette, avec les procès qui se sont multipliés ces douze dernières années, mieux vaut brandir la licence romanesque pour parler de ce sujet... Entre Grégoire Delacourt, Lionel Duroy ou Christine Angot, les écrivains sont dans la ligne de mire des avocats... Et comme, autour de Lolo, on semble aimer beaucoup l'argent...

Voilà sans doute aussi pourquoi, au-delà des patronymes, Alma Brami a sans doute choisi de donner une forme narrative romanesque à son livre. Les séances s'enchaînent comme des chapitres, avec la date, le contexte, parfois dans la lignée de la précédente, parfois, en partant sur tout autre chose. Angèle est lunatique, je l'ai dit, et adepte du coq à l'âne...

Mais, c'est surtout dans le style que la force du roman réside, je pense. Le sujet pourrait être idéal pour exercer un cynisme facile et multiplier les sarcasmes. Ce n'est pas le cas du tout, ici. On ressent dès les première pages l'empathie d'Alma Brami pour son personnage. Elle n'a pas choisi de tirer sur l'ambulance, déjà, hélas, bien chargée, mais de dresser le portrait d'une femme victime d'un entourage dégueulasse, je ne vois pas d'autre mot, pardonnez-moi.

Alma Brami fait parler Lolo mais sans misérabilisme, sans voyeurisme aucun. A travers son écriture et ce qu'elle fait dire à son personnage, elle se fait vraiment l'avocat de cette femme démolie face à ceux qui ont contribué à son malheur. Par comparaison, je me trouve très dur dans ce que j'écris dans ce billet, par rapport à la douceur qui émane de l'écriture d'Alma Brami, malgré un fond plus que sombre... L'écrivain fait se raconter Angèle et met ainsi en exergue, un par un, toutes les pièces à conviction d'un dossier complexe... Car, si la mort de Lolo est sans doute accidentelle, elle n'est finalement que l'aboutissement logique d'une existence chaotique dont elle n'a pas maîtrisé une seule seconde...

J'ai utilisé plus haut le mot empathie, pour évoquer la relation de la romancière à son personnage, je ne vais pas l'utiliser pour qualifier ce que j'ai ressenti. Cette empathie-là, qu'on trouve à toutes les sauces, je n'en veux pas. Non, je ne suis pas entré en empathie avec Angèle/Lolo. Mais elle a provoqué chez le lecteur que je suis une grande palette d'émotions... Bizarrement, jamais dans des tonalités moqueuses, car, nobody's perfect, je tombe aussi facilement dans ce genre de travers...

D'abord, ce qui prédomine, c'est la tristesse... Oui, je me suis senti triste devant cette enfant maltraitée, il n'y a pas d'autre terme à mes yeux, devant cette immaturité scandaleuse (par moments, je lui en ai voulu aussi, à Lolo, de s'être laissée aller à ça !), je me suis mis en colère devant cette mère indigne qui revient, la bouche en coeur, quand sa fille "adorée" commence à faire parler d'elle, mais une mère qui finit toujours par montrer son vrai visage, en rabaissant toujours sa fille, en la blessant avec une cruauté ignoble...

Et puis, il y a Alain... Sujet d'ambivalence, chez moi... Evidemment, le sentiment le plus naturel, c'est le dégoût face à cet homme qui aurait autant eu sa place sur le canapé du psy que Lolo... Son obsession pour la beauté, enfin, pour ce qu'il dit être la beauté, est à vomir... Il a fait d'Angèle une poupée gonflable, un pur objet sexuel pour détraqués, un fantasme sordide...

Mais, il ne s'exprime jamais dans le livre, n'est jamais présent et ce qu'on apprend à son propos ne nous vient que de ce qu'en dit Lolo, prisme déformant par excellence... Difficile de décrire Alain avec objectivité, tant les informations le concernant sont parcellaires et à prendre avec des pincettes... C'est pourquoi, et c'est bien la preuve que moi aussi, je ne suis pas exempts de bas instincts, j'aurais voulu en savoir plus sur le bonhomme...

Oui, j'ai été frustré de ne pas me trouver directement face à face avec un personnage d'ordure, pervers et sacrément tordu, le genre de personnage de "méchant" qu'on aime détester dans un roman, sans doute mû par la cupidité, mais même cela n'est pas si évident... Non, j'ai comparé Alain à Frankenstein, pour moi, son problème réside plus là. Dans sa volonté d'être dieu, de créer un être, de le façonner à une certaine image, celle qu'il a de la perfection, et de jouir de ce pouvoir total, d'en tirer profit, oui, mais pas uniquement.

Il n'empêche que Alain, dans ce que nous raconte Angèle de lui d'une part, et dans la totale adoration qu'elle lui montre (même lorsque cela grince, par moments), résume parfaitement la problématique de ce roman. Alain, ce n'est pas que Frankenstein, c'est aussi le prince charmant arrivé pile au bon moment pour sortir la princesse des griffes de l'abominable marâtre qui la martyrise...

Mais, si Angèle a vécu un conte de fée ou eu l'impression d'en vivre un, nul doute qu'il a plus été écrit par Perrault que mis en scène par Disney... Car, au final, c'est une vie de misère, morale, intellectuelle, financière aussi, d'une certaine façon, qu'elle a vécu. Plus dépendante qu'un enfant en bas âge ou qu'un grabataire en fin de vie et exploité par celui en qui elle a placé toute sa confiance.

"Lolo", c'est un drame contemporain, celui de la célébrité facile et reposant sur la vacuité et l'absence de tout talent ou savoir faire. "Lolo", c'est l'incarnation du miroir aux alouettes de cette société du spectacle dénoncée par Debord ou Warhol (autre personnage de la collection "Miroir", sous la plume de Brigitte Kernel, une lecture à venir...) qui fabrique des "bêtes de foire" médiatiques...

Mais la force du roman d'Alma Brami, c'est de nous rappeler que "Lolo" est avant tout un être humain, passée à la moulinette de cette impitoyable société moderne... La preuve qu'en recherchant la célébrité à tout prix, on peut s'exposer aux pires désillusions, aux pires drames. Et le plus terrible, c'est que Lolo est décédée avant l'avènement de la télé-réalité reine et que personne, personne n'a retenu la leçon...


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