dimanche 1 février 2015

"Il ne faut jamais excuser les Monstres, jamais, à moins d'être le dernier des salauds".

Je suis un lecteur qui aime tenter. Bien sûr, tenter ne veut pas dire jouer avec le feu, tenter, c'est plus lire de nouveaux auteurs mais sur des sujets qui peuvent m'intéresser. Je suis curieux, pas maso. Voici encore un exemple intéressant avec un roman sorti en poche ces dernières semaines, d'une auteur au succès croissant, vers qui je n'étais pas encore allé et puis, je me suis laissé tenté. Intrigué par le titre, par le contexte du livre, par ce à quoi pouvait ressembler cette histoire aux allures de polar mais qui n'en est pas vraiment un, etc. Direction l'Argentine de la fin des années 80, encore traumatisée par les années passées sous la dictature militaire. Avec "la garçonnière" (désormais disponible chez Folio), Hélène Grémillon propose un roman étrange, mystérieux, parfois déroutant dans le fond et dans la forme. Et pose la question du mal et de ceux que nous appelons des montres, et qui ne sont pas tous aussi évidents que l'on croit.



Voilà 5 ans que la junte a quitté le pouvoir. En cette année 1987, l'Argentine et sa capitale, Buenos Aires, retrouvent peu à peu le calme et la routine. Mais les blessures, elles, subsistent dans beaucoup de familles, qui ont perdu un ou plusieurs êtres chers, ces tristement célèbres desaparecidos, rayés de la surface de la terre, à propos desquels les généraux et leurs sbires, refusent souvent de reconnaître leurs responsabilités.

Eva Maria fait partie de ces mères éplorées. Alors, depuis 5 ans, c'est auprès d'un psychanalyste qu'elle cherche le réconfort que les assassins de la dictature refusent de lui apporter, par de simples aveux. Mais, malgré des séances régulières, elle ne parvient pas à remonter la pente et l'on comprend que sa vie se délite peu à peu, quand elle ne se dissout pas dans l'alcool.

Mais, voilà qu'un jour, on découvre au pied de son immeuble le corps sans vie de Lisandra Puig, l'épouse de Vittorio Puig, le psychanalyste d'Eva Maria et de tant d'autres patients. Elle est tombée par la fenêtre de son appartement et, pour tout le monde, à commencer par la police, c'est une évidence, on l'a poussée.

Vittorio Puig, présent sur les lieux, est immédiatement considéré comme le principal, pour ne pas dire l'unique suspect, et est arrêté, au grand dam d'Eva Maria, qui perd, pour une durée indéterminée, l'une de ses dernières béquilles. Elle ne voit même plus son fils, qui vit pourtant avec elle, l'ignore totalement, abîmée, dans tous les sens du terme, dans ses idées noires et ses souvenirs.

Avec Vittorio, elle avait trouvé l'un des rares moments de respiration de son existence, sans lui, elle étouffe de nouveau. Alors, elle décide de mener son enquête. Impossible qu'un homme comme Vittorio soit un assassin, elle le connaît trop bien, c'est un homme bon, généreux, attentif. Le coupable doit être quelqu'un d'autre, et pourquoi pas un autre patient.

Entre visites au parloir pour parler avec Vittorio et recherches d'indices, Eva Maria se lance dans la quête d'un hypothétique meurtrier qui ait pu en vouloir à Lisandra, jeune femmes sans histoire, deux fois plus jeune que son époux, qu'elle ne connaît pas mais qui a pu être la victime collatérale d'une vengeance, d'un acte de jalousie voire d'un concours de circonstance...

Exaspérée par l'indolence d'une police persuadée de tenir le coupable, Eva Maria cherche, fouille, plonge corps et âme dans cette enquête qui l'habite au point de lui faire oublier sa hantise et son désespoir. Elle est si motivée, si pleine de foi en son psy qu'elle se démène pour l'aider... Et va peu ) peu tomber de haut...

Ce qu'elle découvre sur le travail de Vittorio, qu'elle ne connaissait qu'à travers leurs séances, et rien de plus, va d'un seul coup l'amener à douter, ou tout du moins à envisager cet homme qu'elle respecte tant d'un autre oeil... Delà à le voir coupable ? Pas forcément, mais à considérablement revoir le champ des possibles en matière de mobiles ayant pu mener à l'assassinat de Lisandra.

Je m'arrête là, pour ce qui concerne l'histoire à proprement parler, mais vous savez qu'ici, on plonge dans les livres, qu'on évoque différents aspects des romans. Et il y a, à propos de "la Garçonnière", pas mal à dire, car Hélène Grémillon ne cesse de surprendre dans le fond et dans le forme. Bien sûr, pour ce qui est du fond, nous n'entrerons pas dans les détails.

Reste la forme. Les narrateurs multiples, l'utilisation de l'italique, des polices de caractères, de mise en page particulières, parfois, comme ce passage où l'on suit Eva Maria montant l'escalier qui mène à l'appartement de Vittorio, son esprit tournant comme un hamster dans sa roue, tandis qu'elle compte le nombre de marches.

Beaucoup d'éléments de ce genre interviennent au fil de la lecture, sans pour autant nuire à la lecture, au contraire. A chaque fois, de nouvelles pistes s'ouvrent, de nouveaux éléments, souvent à charge, entre dans la danse, et l'on suit Eva Maria dans son parcours plein de mauvaises surprises, de désillusions aussi. A moins qu'elle ne soit aussi aveuglée par sa propre vision des choses et un manque de lucidité, allez savoir.

A lire la quatrième de couverture, à voir ces commentaires, on pourrait croire qu'on a un polar en main. Et pourtant, il est paru dans la Blanche, chez Gallimard, et dans la collection Folio habituelle, pas dans la Noire ou chez Folio Policier. Je dois dire que, tout au long du roman, je me suis demandé ce qu'un auteur de polars aguerri aurait pu faire de cette histoire.

Attention, entendons-nous bien, cette remarque n'est ni un reproche, ni une critique, juste une explication. Car, oui, je le pense, "la Garçonnière" n'est effectivement pas un polar. C'est un roman qui présente une galerie de personnages aux prises avec leurs destins, qui entrent en collision lorsqu'une mort brutale, violente, injuste, scandaleuse, se produit.

Enquête il y a, nous sommes bien d'accord, mais atypique. Le rôle de la police, la subjectivité des différents personnages, les éléments qui apparaissent peu à peu au fur et à mesure des pages qu'on tourne et qui viennent brouiller les pistes, l'ambiguïté aussi, des uns et des autres, en particulier Vittorio, sur qui on se pose de plus en plus de questions, chapitre après chapitre.

Et puis, il y a ce contexte très particulier, choisi pour développer cette histoire : l'Argentine de 1987, la présidence de Raul Alfonsin, élu à la fin de l'année 1983 dans un pays redevenu démocratique. Mais, un président qui va également chercher à réconcilier sa nation à coups de lois d'amnistie. Mais comment accepter ce pardon ? Comment laisser un certain nombre de tortionnaires en liberté, sans être condamné pour les actes qui sont commis ?

L'Argentine est alors divisée, véritablement, entre victimes et bourreaux, tous devant réapprendre à cohabiter. Eva Maria, détruite par ce qu'elle a vécu, par l'absence, par l'ignorance des faits, par un deuil impossible, vit dans ce pays qui recolle les morceaux comme on sonnerait la fin de la récréation. Mais la fin de la haine, du ressentiment, du désespoir, ça ne se décrète pas...

Comment faire confiance à qui que ce soit quand la personne qu'on croise peut parfaitement s'avérer être un monstre qui a torturé, balancé des gens depuis des avions en vol au-dessus de l'océan, remis en marche la gégène, élaboré quelques abominables actes de barbarie dont l'unique raison est d'infliger des souffrances à autrui...

Pourtant, comme dans "les Bienveillantes", de Jonathan Littell, comme chez Maxime Chattam, pour ne prendre que deux exemples qui me sont venus spontanément, il y a, je trouve, dans "la Garçonnière", posée la question du mal et de son incarnation, indépendamment du contexte. De tout temps, en tout lieu, on peut croiser ces monstres.

Mais, lorsque l'époque engendre un terreau favorable, ils peuvent laisser libre cours à leurs penchants sordides sans avoir besoin de se cacher, puisque cela devient une norme. La terrible parenthèse de la junte a transformé en monstres des êtres qui n'avaient jamais tué ou malmené quiconque auparavant et ne l'ont sans doute plus fait par la suite.

Et puis, il y a ceux qui sont des monstres de manière innée. Oh, oui, je sais, c'est tout à fait contestable, ce que je dis, et je ne prétends détenir aucune vérité en la matière. Formulons autrement, alors : certains humains ont, tapi en eux, ces instincts brutaux, destructeurs, ultra-violents et finalement meurtriers, qui attendent de pouvoir s'exprimer, sans que ce soit le contexte les entourant qui déclenche cette monstruosité.

Et puis, il y a le dénouement de cette histoire. J'ai lu quelques commentaires la trouvant attendue et sans surprise. Là encore, il y a le fond et la forme. Oui, j'avais envisagé cette fin parmi mes hypothèses, mais on parle de ce qui est arrivé à Lisandra, pas du pourquoi, qui, lui, est parfaitement imprévisible jusqu'à la fin.

Sans oublier le récit même, la façon dont Hélène Grémillon met scène ce dénouement. On peut trouver qu'il y a quelques artifices, que c'est un peu too much. Pour moi, c'est cohérent avec l'ensemble du livre, où l'on retrouve cela du début à la fin. Un jeu stylistique qui ne m'a pas choqué ou dérangé.

Et qui, surtout, ne nuit pas aux émotions que suscite ce dénouement. Des émotions multiples, car cette révélation, eh oui, c'en est une, n'en déplaise à certains, va agir comme par ricochets sur les différents protagonistes. On comprend alors que bien des éléments, même si on les pressentait, même si on les touchait du doigt, nous avait échappés jusque-là.

Et l'un d'entre eux, celui qui m'a le plus remué, c'est la signification de ce titre, "la Garçonnière". Bien sûr, puisqu'il y a un couple au coeur de cette histoire, un mari accusé du meurtre de sa jeune épouse, Peut-être même ce titre pourrait être une piste ? A moins que la dictature argentine, qui a laissé derrière elle des lieux maudits, soit passée par là ?

Je suis allé vers "la Garçonnière" sans a priori, favorable ou défavorable, je n'avais aperçu l'auteure que dans un salon parce que je venais papoter avec son voisin et je ne m'étais pas vraiment attardé sur ses livres, car la file d'attente pour la rencontrer était conséquente. A l'arrivée, j'ai passé un bon moment de lecture, avec une histoire qui a su me tenir en haleine, éveiller ma curiosité, me donner des émotions... Ce que j'attends d'un livre, non ?

Et je comprends parfaitement que ce livre soit sorti dans une collection de littérature générale. On a sans doute un argument voire quelques techniques qu'on retrouve dans des littératures de genre, en l'occurrence le côté polar et le contexte historique. Mais ce sont des outils, du décor, peut-être même un trompe-l'oeil.

J'ai fait preuve de curiosité, je ne le regrette absolument pas, bien au contraire. Mais, une nouvelle fois, j'y vois la preuve qu'il faut savoir choisir ses lectures : "le Confident", précédent roman d'Hélène Grémillon, ne m'attire pas du tout, il est peu probable que je le lise. Mais, "la Garçonnière" m'a tout de suite intrigué et je me suis plongé dans cette histoire sans réticence, d'un bout à l'autre.

Il manque un dernier élément de décor dont je n'ai pas encore parlé : le tango. Sa mélodie est très présente dans le livre, jusqu'à voir une partition apparaître au détour d'une page. Un air fameux, sur un sentiment qui, lui aussi, est omniprésent dans cette histoire : la jalousie. Par instants, particulièrement quand apparaît Lisandra, on a cette musique à l'oreille. Une des vraies réussites de ce livre, à mon goût...


2 commentaires:

  1. J'ai trouvé ce roman agréable, mais sans plus, j'ai de très loin préféré "le confident", dont la structure et la chute (sans jeu de mots) sont bien plus originales. C'est très différent mais vraiment intéressant. J'ai lu "la Garçonnière" après, parce que j'avais aimé le premier roman, peut-être cela explique-t-il ma petite déception ?

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    1. Première lecture de l'auteur, donc pas de repère particulier. Je l'ai lu, parce que le contexte de la dictature argentine m'intéressait. Je n'ai pas été déçu, je le suis rarement, tout simplement parce que je suis lecteur, pas juge, ni professeur, ni je ne sais quoi, juste un lecteur qui prend plaisir à ce que les auteurs lui mettent entre les mains. Ici, le sujet est bien mené, l'ambiance est sombre et tendue, la chute plutôt inattendue et la réflexion sur la monstruosité tout à fait intéressante. Il faut savoir prendre un peu de recul sur le texte, ne pas rester en superficie et l'émotion doit naître du fond, pas de la forme.

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