samedi 21 janvier 2017

"Moi, je crois au contraire que nous devons parler du passé, sans quoi nous ne pourrons pas reconstruire le présent".

Voilà un thriller pas ordinaire, à conseiller à tous les paranoïaques et tous les flippés, parce que ça ne devrait pas arranger leur cas. Vous allez voir qu'on entre dans ce livre avec une situation déjà particulièrement étrange, mais ce qui suit l'est de plus en plus, au point qu'on est complètement perdu, incapable de savoir si ce qu'on lit est avéré et si on peut faire confiance à l'un des personnages que l'on croise... Peut-être avez-vous déjà entendu parler de ce roman et de son titre lui-même fort étrange et intrigant : "l'opossum rose", de l'Argentin Federico Axat (traduction d'Isabelle Gugnon), aux éditions Calmann-Lévy. Une espèce d'OVNI qui tient en haleine jusqu'au bout et nous fait passer par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, par tous les sentiments envers le personnage central de cette histoire complètement folle (et ce n'est pas juste une façon de parler). Attachez vos ceintures, on décolle immédiatement pour plonger dans cette lecture tout à fait surprenante...



Ted McKay a décidé d'en finir. Une arme à la main, il est bien décidé à profiter de l'absence de sa femme et de ses enfants pour se suicider. Il a pensé à tout, cette absence qui lui offre un moment de solitude idéal pour mettre à exécution son projet, un petit mot pour avertir son épouse et éviter de traumatiser ses enfants, tout, vraiment tout.

Sauf...

Sauf ces coups frappés à la porte, pile au moment fatidique, juste avant qu'il n'appuie sur la détente et ne mette un terme à cette vie qui, selon lui, n'en vaut pas la peine... Qui peut bien venir le déranger à cet instant ? Résolu à ne pas ouvrir et à achever ce qu'il a entamé, Ted marque pourtant un nouveau temps d'arrêt.

Devant lui, un mot. Son écriture, mais des mots qu'il ne se rappelle pas avoir écrit... "Ouvre la porte. C'est ta dernière chance". Et l'autre, derrière la porte qui frappe, l'appelle par son nom, affirme savoir ce qu'il est en train de faire, l'exhorte à lui ouvrir... Déstabilisé, Ted sent sa volonté vaciller. Intrigué par tout cela, il finit par choisir d'ouvrir.

Devant lui, un homme qui se présente sous le nom de Justin Lynch. On pourrait croire à un quelconque colporteur, mais ce... Lynch en sait décidément trop. Ted accepte de l'écouter. Et ce qu'il va entendre retire tout intérêt aux bizarreries précédentes qu'il vient de vivre... Lui qui se voyait déjà mort, la tête explosée, se retrouve face à une proposition du genre qui fait réfléchir...

Lynch lui laisse le choix : soit Ted décide de se tuer quand même, et il ne l'en dissuadera pas, soit il travaille pour l'organisation très discrète qui emploie l'étrange visiteur. Un boulot très simple : tuer quelqu'un. Pas n'importe qui : tuer un tueur. Un nommé Blaine, qui a échappé à la justice pour des questions de procédure alors que tout semble indiquer qu'il a assassiné sa petite amie.

Puis, en échange de ce menu service, l'organisation s'arrangera pour que le suicide de Ted passe à son tour pour un meurtre. Ainsi, son épouse et ses filles n'auront pas à se demander pourquoi il a voulu en finir. Pas de culpabilité, simplement un sentiment d'injustice et de tristesse qui devrait s'apaiser plus facilement...

Malgré ses doutes, ses interrogations, Ted se laisse convaincre. Le voilà donc lancé dans cette drôle d'aventure, avec d'autant plus d'entrain qu'il espère vite passer de vie à trépas... Mais, que se passe-t-il exactement, là ? Et qui est ce Lynch, pour quelle organisation travaille-t-il, exactement ? Ted n'est pas le seul à se poser des questions, le lecteur aussi.

Personnage et lecteur ne sont pas au bout de leurs peines et de leurs surprises...

Voilà, voilà... C'est maintenant que parler de ce livre va devenir sacrément coton... "L'opossum rose" n'est pas un livre comme les autres. Il ne faut pas entrer dedans comme dans un thriller classique. D'ailleurs, rapidement, on comprend bien qu'il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire. Mais surtout, on se demande ce qu'on doit croire.

Tout ce qui se passe devient sujet à caution, rien ne dit que cela se passe exactement comme on nous le raconte. Lynch, par exemple, d'où sort-il ? Est-il celui qu'il prétend être ? Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, parmi tous ces personnages que nous n'évoquerons même pas dans ce billet, parce qu'il vous faut lire le livre pour faire leur connaissance...

On plonge dans une espèce de cauchemar, c'est ce qu'on se dit. Ted est peut-être sujet à des cauchemars particulièrement élaborés, qu'il traverse comme si c'était vrai. Oui, ça doit être ça. Des cauchemars dans lesquels rien ne se passe comme prévu et où Ted tombe de Charybde en Scylla... Vivement le réveil ! Enfin, si c'est bien ça son souci...

Et puis, soudain, au détour d'une page, tout change. Je ne vais rien dire de plus, mais le point de vue premier disparaît pour nous offrir un regard tout autre, en particulier sur Ted. Et rebelote, on perd tous ses repères, on doute de tout et de tous, des événements comme des personnes. Est-ce la réalité, cette fois ? Ou... autre chose, encore ?

La mécanique mise en place par Federico Axat est redoutable : le lecteur est largué, mais dans le bon sens du terme. Parce que cela devient aussitôt captivant : on nous a trompé une fois, on ne nous trompera pas mille fois, si vous voyez ce que je veux dire... Et puis, malgré l'attention renforcée, malgré les questions, les trucs que l'on croit voir, hop, on se fait illico mener en bateau, et pas qu'une fois...

Si vous avez aimé "Shutter Island", roman auquel on pense assez naturellement, même si la démarche est très différente, ou le "Puzzle" de Franck Thilliez, alors "l'opossum rose" est fait pour vous. Il faut absolument accepter la proposition de Federico Axat et se laisser porter, sans résistance. Après toutes ces histoires déroutantes, il est certain que la vérité finira par apparaître !

Mais oui, soyez-en sûr !

Bon, vous n'êtes pas non plus obligé de me faire confiance, en fait. Imaginez que, moi aussi, dans ce billet, je raconte tout et n'importe quoi. Après tout, tout est possible ! Mais il faut reconnaître que Federico Axat maîtrise parfaitement son sujet. Lui seul sait où il va et jusqu'où il nous emmène. Il n'y a qu'une seule personne de confiance dans cette histoire, et c'est lui.

Et le coeur de l'enquête, c'est de comprendre qui est exactement Ted, bien sûr. Il est le moteur de cette histoire, mais difficile avant un bon moment de le cerner. Victime ou coupable ? Et coupable de quoi, si c'est le cas ? D'ailleurs, même s'il est victime, alors qu'on a une raison crédible en main, de quoi est-il exactement victime, puisque rien de ce que l'on sait n'est fiable ?

En attaquant la lecture de "l'opossum rose", on entre dans un véritable mélange de labyrinthe et de train fantôme, dans lequel il y a des impasses, des chausses-trappes, des miroirs déformants, des monstres cachés dans l'ombre et même, oui, même des opossums ! Notre seul fil d'Ariane, ce sont les pages du livre qu'on doit tourner pour retrouver la sortie. Et sa santé mentale.

Ah, l'opossum, oui, il faut en dire un mot. Vous devez bien vous demandez ce que vient faire là ce brave animal, un marsupial appartenant à la famille des Didelphidés. On a tous en tête l'image d'Epinal de cet animal roupillant du sommeil du juste, la tête en bas, suspendu à une branche ou tout autre perchoir, par sa queue très souple...

On en retient le côté très sympa de cette bestiole, ce n'est pas tout à fait vrai, certaines espèces sont carnivores et peuvent se montrer assez agressives. On comprend ainsi mieux certaines réactions lorsque Ted croit en voir un et qu'il déclenche un mouvement de panique... Ah, dernier point : les plus fameuses espèces sont grises, et pas roses...

Le titre français, je ne vais pas vous l'expliquer, on le comprend, décidément, c'est une manie, dans les toutes dernières pages du livre. Mais, oui, il y a un ou des opossums dans le roman, aussi bizarre que cela puisse paraître. En fait, c'est même un des éléments qui ne plaident pas en faveur de Ted, qui semble en apercevoir dans les moments les plus incongrus...

Il y a ceux qui voient des éléphants roses quand ils ont un coup dans le nez, Ted, lui, voit des opossums, et sans aucune influence extérieure... Le hic, c'est qu'il est le seul à les voir, semble-t-il. Et comme le lecteur, déjà échaudé plus d'une fois, a tendance à se montrer encore plus sceptiques que Saint Thomas, alors, oui, on se dit que l'opossum est un signe que tout ne tourne pas rond chez Ted...

On se plaint souvent d'avoir l'impression de lire toujours la même chose, voilà un roman qui sort de l'ordinaire, je vous le garantis. Né en 1975 à Buenos Aires, Federico Axat signe avec "l'opossum rose" un quatrième roman particulièrement remarqué (le deuxième publié en France, après "la Transformation des papillons") qui en déroutera beaucoup.

Au bout de ces 430 pages, on respire enfin mieux, tout revient à sa place, tout reprend une forme claire et précise. On sait qui est qui, qui a fait quoi et pourquoi. Et c'est un vrai soulagement de pouvoir enfin se positionner face aux personnages et de se dire qu'on ne s'est pas trompé sur tel ou tel (ou plutôt, le contraire).

Oui, on respire mieux, et pourtant, une pirouette finale et le doute revient, insidieux, sournois. Federico Axat, le coquin, nous laisse là, perdus, pantelants, ne sachant sur quel pied danser, avec des questions qui entre en effervescence dans notre cerveau comme un cachet d'aspirine en train de se dissoudre dans un verre...

Et moi, j'adore finir un livre avec des noeuds au cerveau ! Bravo, Monsieur Axat, vous m'avez non seulement bluffé, mais vous m'avez captivé. Difficile de s'arrêter lorsqu'on a mis le nez dedans, surtout une fois la première partie passée, lorsqu'on se dit que, non, décidément, rien ne colle dans toute cette affaire...

Alors, maintenant, vous aussi, vous avez envie de voir des opossums roses ?

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