Après le thriller, la fantasy, mais toujours une variation autour des légendes arthuriennes. Après le duo Ravenne-Giacometti, un premier roman qui s'inspire des récits des chevaliers de la Table ronde pour en proposer une sorte de "sequel", mais sans tout à fait rester dans le cadre arthurien strict. On croise un sacré bestiaire, dans ce premier roman, premier volet aussi d'une série construite autour d'un adolescent qui doit faire face à son surprenant destin, et les rebondissements sont au rendez-vous pour un divertissement plutôt étiqueté jeunesse, mais qui devrait plaire également à quelques grands lecteurs, j'en suis l'exemple. "L'Héritier du roi Arthur", de Bertrand Crapez (aux éditions Zinedi), est donc le premier tome des "Chroniques des prophéties oubliées", nous emmène dans un royaume de Logres en décrépitude et dont l'avenir ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices...
Kadfael est un adolescent turbulent et un brin paresseux, au grand dam de son mentor, l'enchanteur Merlin en personne. Celui-ci s'occupe du garçon depuis sa prime enfance. Depuis, surtout, que son père n'est pas revenu d'une des fameuses quêtes visant à retrouver le Graal. Car Kadfael n'est pas n'importe quel adolescent : il est le fils de Perceval.
La raison de la mauvaise volonté de Kadfael, qui veut absolument qu'on l'appelle Kad, est simple : Merlin doit le former pour un faire, comme son père, un chevalier de la Table ronde, au service du roi Arthur. Mais, Kad, lui, ne l'entend pas de cette oreille : au contact du vieux mage, il s'est découvert une vocation et voudrait embrasser une carrière d'enchanteur...
Pourtant, en cet été paisible, alors que le royaume de Logres s'est assoupi depuis un moment et a perdu sa gloire d'antan, ce sont les événements qui vont décider de la carrière à venir du jeune garçon. Voilà que Camaaloth (je reprends l'orthographe utilisée dans le livre) fait l'objet d'une brutale attaque de la part d'une puissante armée.
Arthur, prématurément vieilli, abattu par les échecs répétés de ses chevaliers, dont beaucoup ne sont jamais revenus, comme Perceval, n'est plus que l'ombre du grand homme qu'il fut. Aussi, quand l'attaque survient, est-il incapable de riposter. Il faut dire que l'assaillant possède une armée nombreuse et renforcée par l'usage de la magie.
A sa tête, et c'est une vilaine surprise, se trouve Galaad, dont la réputation de pureté est à jamais perdue désormais, puisque le voilà félon. A moins que ses yeux d'un bleu particulier ne soit le signe d'un sort qui l'aura poussé à la trahison... A ses côtés, sa mère, la fée Viviane, mais aussi des Vikings, des banshees et autres créatures qui se sont soulevées pour renverser Arthur.
Courageux malgré sa faiblesse, Arthur résiste comme il peut, Excalibur au point, mais son ancien chevalier est bien trop fort et le monarque légendaire doit céder. Une fin pitoyable dont Kadfael est, par hasard, le témoin. Avant de succomber, Arthur lui confie le pommeau de son épée mythique, à lui, désormais, d'être le dépositaire du pouvoir légitime du royaume de Logres.
Un héritage qui va valoir bien des ennuis à Kadfael, désormais la cible de Galaad et de Viviane qui vont vouloir l'éliminer. Avec l'aide de Merlin et de la fée Adélice, il parvient à fuir Camaaloth. Mais que faire, désormais ? Kadfael n'est qu'un gamin immature et pas très courageux, incapable de sa battre, et Merlin, lui, semble avoir perdu la majeure partie de ses pouvoirs dans l'affaire...
Commence alors un long et dangereux voyage pour essayer de fédérer tous ceux qui ne voudront pas céder à Galaad et au pouvoir néfaste qu'il incarne. Mais c'est aussi la quête initiatique d'un adolescent pas encore dégrossi qui va devoir se muer rapidement en un chevalier digne de son père et de son roi, afin de rétablir la légitimité de la dynastie de Logres.
Ce voyage, c'est une vraie odyssée, entre Homère et Tolkien, où l'on chemine de Logres à l'immense domaine de Brocéliande, à travers des paysages et des contrées parfois déroutantes, dans lesquelles les dangers ne manquent pas, mais où se trouvent aussi des alliés potentiels. Le tout, en redoutant les sbires de Galaad lancés à la poursuite du petit groupe de fuyards, renforcé par le nain Dargo Brisefer, croisé en cours de route.
J'ai apprécié le mélange entre l'action et l'humour, entre le sérieux et la fantaisie, entre le drame et la comédie. Tout cela est étroitement lié dans cette aventure qui voit Kadfael quitter progressivement l'adolescence pour entrer de plain-pied dans l'âge adulte, celui des responsabilités (et celle qui reposent désormais sur lui sont énormes).
On est dans une quête initiatique des plus classiques, au moins si l'on s'en tient à cet aspect-là. Pour le reste, cela se déroule dans un univers très riche (certains trouveront peut-être même un peu trop), ce qui permet aussi de multiplier les péripéties. Bertrand Crapez choisit de s'émanciper du strict cadre arthurien pour ouvrir son roman à d'autres légendes et mythologies.
Bien sûr, le coeur de l'histoire reste le trône de Logres et tout ce qu'il représente. Sous la houlette d'Arthur, la quête du Graal a échoué, et l'on comprend que l'un des griefs de Galaad est là. Mais l'ancien chevalier n'apparaît plus comme l'incarnation de la pureté, il semble avoir quitté le camp du bien, si vous me permettez l'expression, pour des ambitions beaucoup moins nobles.
Kadfael, lui, m'a rappelé un personnage de Disney : "Moustique", le gamin maladroit et dégingandé qui deviendra Arthur, grâce aux enseignements de Merlin. Au début du roman, il y a vraiment un parallèle qui se fait et qui montre bien quel rôle aura Kadfael dans cette histoire : celui du héros providentiel... Mais pas dans l'immédiat.
Il va lui falloir sérieusement s'aguerrir avant d'en arriver là, et son odyssée est un parfait exercice, à condition d'en sortir entier, et de trouver quel sera le but de cette quête et quel usage en faire pour redonner à Logres son lustre perdu et empêcher Galaad et Viviane de mener à bien leurs sinistres projets. La chenille, le papillon, tout ça, vous voyez le genre...
Un changement qui est bien plus profond qu'il n'y paraît : le Kadfael des debuts, enfin Kad, est carrément insupportable, arrogant et immature, un chenapan qui mériterait une bonne leçon. Au cours de sa quête, il prend petit à petit conscience qu'il va lui falloir s'assagir, ou, plus précisément, gagner en sagesse, pour parvenir à ses fins.
Autour des mythes arthuriens, on trouve des créatures issues des mythologies celtiques, comme les banshees, évoquées plus haut, les leprechauns, aussi, et c'est finalement assez logique, la filiation est naturelle. Et puis, on croise des Vikings, maîtres de furieux dragons, ce qui ouvre déjà d'autres perspectives.
Mythologies nordiques, créatures de fantasy plus contemporaine (aux dragons, on peut ajouter les nains, par exemple), mais aussi mythologie gréco-romaine, faites-moi confiance, je ne donne pas d'exemple, ici, et pour cause, cela dévoilerait certains aspects de l'intrigue qu'il faut vous laisser découvrir.
Alors, oui, c'est riche, souvent surprenant, très souvent amusant, avec quelques quiproquos et situations comiques. La quête du fils de Perceval n'a rien d'une promenade de santé et, au fil des péripéties, on s'attache à ce groupe insolite, Kadfael, un Merlin vieillissant, une Adélice envers qui on peut nourrir quelques doutes, et un Dargo au caractère bien trempé et à la dalle bien en pente...
Mal assortis, c'est certains, pas toujours en phase, c'est évident, mais, leur voyage et les dangers qu'ils affrontent les rassemblent, les soudent et font de ce groupe hétéroclite et paraissant bien fragile face à l'adversité un premier noyau vers une reconquête espérée. Reste à savoir comment ils s'y prendront et s'ils y parviendront avant la fin de ce premier tome ou s'il faudra patienter jusqu'au suivant...
J'insiste sur l'humour, sujet toujours délicat tant sa perception varie de l'un à l'autre, mais je me suis bien amusé en lisant "l'Héritier d'Arthur". Jusqu'à rire bêtement alors que je lisais debout dans le tram, au milieu d'usagers à l'humeur moins badine que la mienne, heure matinale et de pointe (oui, je sais, c'est un zeugme et le zeugme, c'est pas beau) oblige.
Il y a plein de trouvailles très amusantes dans ce roman, je peux évoquer la Janlhyn, cette bière venue du Nord, dont est particulièrement friand Dargo. Mais d'autres gags, il faut appeler ça ainsi, me reviennent également en mémoire. Tout cela est, de mon point de vue, très prometteur et je lirai avec intérêt la suite de ces Chroniques et des aventures de Kadfael.
Bertrand Crapez, passionné par les cycles arthuriens, mais pas seulement, est aussi un enseignant (encore un prof qui écrit !). Et son roman devrait d'ailleurs plaire aux jeunes lecteurs, pour qui il est destiné, avec un classement en jeunesse. Mais le lecteur adulte aussi devrait prendre un vrai plaisir à ce divertissement bien mené, avec un vrai sens du spectaculaire.
Reste à connaître la suite des événements. Je suis très curieux de savoir ce que Bertrand Crapez nous réserve. Au lecteur, mais aussi à ses personnages, qu'il n'hésite pas à placer dans les situations les plus délicates et parfois très étonnantes. Et surtout, conserver ce bel équilibre entre comédie et drame, entre humour et action, mais aussi sa belle créativité.
Super article que je viens de découvrir sur Facebook. Je vous découvre aussi, car je ne vous connaissais pas...
RépondreSupprimerMerci, et soyez la bienvenue, alors :)
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