Presque deux ans après la sortie chez Folio du thriller post-apocalyptique de Laurent Whale "les étoiles s'en balancent", voici que le deuxième volet de ce diptyque rejoint lui aussi la fameuse collection de poche. "Les damnés de l'asphalte" n'est pas une suite directe, mais bien un second volet, à la fois dans la lignée du premier tome mais aussi sensiblement différent pour plein de raisons (que nous allons développer, bien sûr). On reste dans le côté thriller post-apocalyptique, mais le cadre et les enjeux ne sont pas les mêmes, le rythme n'est pas non plus le même. En revanche, on retrouve cette solidarité, cette fidélité qui caractérisaient déjà les personnages du premier roman. Mais aussi un univers oppressant et menaçant, pas plus rassurant pour "les damnés" que pour "les étoiles". C'est violent, tendu, sauvage par moments, mais, au milieu du chaos, l'amitié et l'amour qui unit les personnages est sans doute l'arme la plus puissante...
Quinze années ont passé depuis que Tom Costa et ses amis ont réussi à enrayer l'effroyable invasion qui menaçait la France. Pour autant, la situation du pays ne s'est guère améliorée : les centres urbains restent isolés au milieu de no man's lands où sévissent les "Hors les Murs", ces hommes retournés quasiment à la vie sauvage.
Politiquement, cette fin de XXIe siècle reste très instable et l'insécurité est omniprésente. Peu après leur victoire sur l'armée d'invasion, Tom Costa et sa tribu ont décidé de quitter l'Île-de-France pour se diriger vers le sud, région plus calme. C'est à Port Leucate, au bord de la Méditerranée, qu'ils se sont installés et vivent paisiblement.
Tom et son frère Erwan mettent à profit leurs talents de pilotes pour aller faire du troc de l'autre côté des Pyrénées. Des virées espagnoles facilitées par leur prise de guerre, un hélicoptère solaire et qui permettent à tout le monde de vivre relativement confortablement. Et ça tombe bien, car le groupe s'est élargi et va encore s'agrandir.
En effet, Miki, le jeune frère de Tom et Erwan va bientôt devenir père à son tour. Mais cet heureux événement annoncé ne peut cacher la tristesse qui habite le futur papa et ses proches : deux ans auparavant, Tom et Erwan ne sont pas rentrés d'un vol en Espagne. Ils sont toujours portés disparus, mais personne ne veut se résoudre à accepter leur mort.
Miki décide alors de se lancer à leur recherche, avec la conviction qu'il arrivera à les ramener au bercail pour fêter tous ensemble la naissance du petit dernier de la tribu. Avec lui, partent Toni et Cheyenne, les anciens du groupe, mais aussi Vincent, le fils de Tom, et sa petite amie, Marjorie, invitée surprise (voire clandestine).
Pas question d'utiliser les mêmes moyens que les oncles pour aller les récupérer : depuis leur disparition, le matériel aérien dont disposent Miki et ses amis souffre d'un manque d'entretien qui en rend l'usage périlleux. C'est donc à cheval et à pied que les sauveteurs se rendront en Espagne, avec tout ce que cela implique de difficultés mais aussi de dangers.
En revanche, pas de souci pour se défendre, tous ont la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de concours. Mais aussi des arcs et diverses armes blanches, sans compter ce qu'ils pourront trouver en chemin. Bref, ils sont vulnérables, mais ceux qui voudront leur chercher noise devront se préparer à un sacré combat et il restera du monde par terre...
Reste à savoir comment s'y prendre, car ils n'ont absolument aucune idée de ce qui a pu arriver à Tom et Erwan, ni de la direction qu'ils ont pu prendre. Alors, le premier objectif, tout en cherchant d'éventuelles pistes au long de la route, c'est de rallier la ville qu'on appelait Barcelone auparavant, et qu'on nomme désormais Barça.
Ce qui ressemble le plus à une grande ville dans ce monde qui a salement morflé et vu sa population décroître sensiblement depuis plus d'un demi-siècle. Là, ils espèrent qu'on saura les renseigner, qu'on aura vu passer les deux pilotes et que leur souvenir aura marqué les esprits. Mais, pour le reste, c'est vers l'inconnu qu'ils se lancent, avec tout ce que cela implique.
Dans "les étoiles s'en balancent", Laurent Whale s'appuyait sur sa passion pour l'aéronautique et faisait de l'ULM un des personnages centraux du récit, autant que ceux qui le pilotaient. Dans "les damnés de l'asphalte", comme le titre l'indique, les héros restent les pieds collés au sol, et, forcément, cela change beaucoup de choses.
Ne vous attendez pas aux combats aériens impressionnants qu'on trouvait dans le premier volet, ici, tout sera un peu plus conventionnel, forcément. Enfin, ne vous inquiétez pas, de l'action, il y en a, beaucoup, et pas piqué des hannetons (j'adore cette expression, on devrait l'utiliser plus souvent !). Il y en a, parce que, au sol, l'Espagne, ce n'est pas le paradis, sous la plume de Whale.
Entre les Sectiens, serviteurs fanatiques d'un culte qui entend s'imposer à tous et diriger ce qu'il est encore possible de diriger, et des rebelles qui ne se laissent pas faire, mais ont tout de même tendance à recourir aux mêmes méthodes violentes et inhumaines, preuve de la cruauté intrinsèque de l'homme dans ce monde abîmé, difficile de se fier à qui que ce soit.
Heureusement pour Miki et les autres, il reste quelques bonnes volontés dans ce chaos. Rares, mais précieux, capables de courir les plus grands dangers, de braver la mort pour venir en aide à leur prochain. Et dans le plus grand désintéressement, pas pour se faire mousser ou obtenir une gratification en retour. Oui, il reste de l'humain au milieu de cet enfer.
De l'humain, mais aussi du sauvage. Car, quand ce ne sont pas les hommes qui se comportent comme des loups pour l'homme, la nature se montre particulièrement hostile... Elle est plus excusable, victime de la folie des hommes, mais tout de même, elle est bien flippante, cette nature... Et, avec elle, on ne négocie pas.
Tout se ligue contre nos héros pour entraver leur odyssée ibérique, mais il possède une arme secrète : leur motivation profonde à retrouver Tom et Erwan. Leur groupe est uni par une fidélité sans faille qui fait qu'on se secourt en toute circonstance, qu'on avance ensemble, qu'on se fait confiance, qu'on ne lâche rien.
En fait, ils sont à l'opposé du monde dans lequel ils évoluent, où règnent le chacun pour soi et la loi du plus fort. Au milieu de cet univers en ruines où tout n'est que violence, ils forment une bulle d'humanité qui leur permet d'avancer et de survivre. Oh, il y aura des coups durs, des injustices, de l'inquiétude, du découragement, de la peur, de la colère, mais sans jamais briser le lien qui les réunit.
Dans "les étoiles s'en balancent", l'univers post-apocalyptique (précisons que, en tête de chaque chapitre, des archives retracent l'histoire du XXIe siècle et donnent des éléments sur la manière dont on en est arrivé là) était très dur au quotidien, puis il y avait l'irruption d'une puissance inconnue mais dévastatrice qui s'érigeait en danger supérieur.
Dans "les damnés de l'asphalte", j'ai eu la sensation d'une vie un peu plus douce. Tout est relatif, mais, à Port Leucate, on a l'image d'un certain bonheur tranquille. Et puis, il y a cette expédition dans une Espagne qui n'a rien à envier aux zones hors les murs de France. On est vraiment dans le côté post-apocalyptique des choses, et ça ne donne pas envie.
Quelque part entre "la Route" et "Mad Max" (oui, je sais, ça fait un peu grand écart, comme ça, mais ça me semble pertinent), "les damnés de l'asphalte" est un pur thriller d'aventures dans un monde en décomposition. Miki, Vince, Cheyenne et les autres n'ont pas l'ambition de le changer, d'instaurer un monde meilleur, ils n'en ont pas les moyens.
En revanche, ils ont parfaitement compris que les relations sociales au sein de leur petit groupes, autrement dit, la fidélité, l'amour, l'amitié, sont des armes très puissantes et que ces sentiments peuvent diffuser et combattre la peur. L'union fait plus que jamais la force, quand elle se fonde sur ces sentiments positifs (ce qui ne veut pas dire mièvres).
"La Route", forcément, le lien, on le voit : l'asphalte et ces rubans désormais abandonner, faute de véhicules motorisés pour les sillonner. Il y a le même sentiment d'une marche sans but véritable, sans fin, presque sans espoir. Bon, j'exagère un peu, car les personnages de Laurent Whale ont la conviction que ce qu'ils font est utile et débouchera sur quelque chose, contrairement à ceux de Cormac McCarthy.
L'autre différence, qui nous amène vers "Mad Max", c'est l'action. Chez McCarthy, on marche, on se défend, on cherche à se nourrir, à rester humain, à entretenir les sentiments filiaux (et, là, c'est un point commun avec Whale). Dans "les damnés de l'asphalte", on est clairement sur une construction de thriller assumée, avec de l'action, de la tension, de la violence, aussi...
Là encore, on retrouve ce côté "Mad Max" que symbolise aussi cet étrange char à voile qu'on voit en couverture de l'édition Folio. Ce ne sont pas les 4x4 vrombissants de la série de films australiens, mais un véhicule tout à fait surprenant que les personnages seront amenés à emprunter. Entre terre et mer, car, parfois, quand l'asphalte chauffe trop, prendre la voie maritime permet d'avancer plus sûrement.
J'ai été surpris de ne pas retrouver les mêmes ingrédients que dans le premier tome. On a un peu la sensation que les quinze années qui ont passé ont abouti à une nouvelle régression, d'une certaine manière. Le côté techno-thriller des "étoiles s'en balancent" a laissé la place à un thriller presque survivaliste, si je puis dire.
Mais on oublie rapidement tout cela pour se laisser embarquer dans cette aventure complètement folle. Bon, on se dit bien qu'ils vont trouver quelque chose, à moins d'un roman complètement nihiliste, ce qui ne cadre pas avec la dimension humaine du groupe de protagonistes. Cependant, on se demande bien où tout cela va nous mener et, franchement, le dénouement est inattendu, dans la forme, au moins.
On repartirait bien pour un tour avec ce petit monde, le culotté Miki, le taciturne Cheyenne, l'intrépide Vince et sa douce Marj', et quelques autres personnages qui rejoignent le groupe. On se dit aussi qu'il y aurait la place pour une génération supplémentaire qui se verrait confrontée à de nouveaux dangers mais défendrait une cause juste. On se dit, on se dit... Mais on n'est pas l'auteur...
En attendant la sortie prochaine, cet été, je crois, du troisième tome de la série des "Rats de poussière", on peut donc aisément patienter en lisant du Laurent Whale en poche, avec ce diptyque qui dépote et dépayse. Et plonger dans un monde pas si éloigné du nôtre, en espérant que les prévisions pessimistes du romancier resteront de la fiction...
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