lundi 9 avril 2018

"Nous sommes si bons. Nous ne pouvons pas être un monstre. Ni même ses enfants".

Ce début d'année 2018 est marqué par le retour en fanfare d'un auteur qui, depuis près de 25 ans, réapparaît sur le devant de l'actualité, à travers quelques romans très remarqués. Ce romancier (et ce n'est pas la seule corde à son arc), c'est Vincent Ravalec, révélé par le fameux "Cantique de la racaille". Deux romans qui sortent à deux mois d'intervalle, dans deux genres très différents. L'un est salué par la critique, "Sainte-Croix-les-Vaches", chez Fayard, l'autre est accueilli semble-t-il plus fraîchement, mais c'est bel et bien de celui-là que nous allons parler. Pourquoi ? Parce que je voulais voir ce que Ravalec pouvait faire en s'attaquant au thriller et parce que son sujet est très intéressant. "L'Origine du Venin", en grand format chez TohuBohu éditions, est le premier tome d'une trilogie intitulée "Sekt" et qui puise son inspiration dans le travail de la Miviludes, l'organisme gouvernemental chargé de lutter contre les dérives sectaires. Alors, oui, c'est particulier, c'est du Ravalec, mais c'est loin d'être inintéressant...



Laurent Tirson a pour profession d'être une éminence grise. Successivement attaché parlementaire, conseiller ministériel puis directeur de cabinet adjoint du Premier ministre, il vient de choisir de voler de ses propres ailes. Mais, à sa manière, en restant dans l'ombre, en se fabriquant un écrin idéal, un "joujou" qu'il pourra piloter.

Il vient ainsi de fonder la MIOLDS, la Mission Interministérielle d'Observation et de Lutte contre les Dérives Sectaires. Placée directement sous l'autorité du Premier ministre, ce nouvel organisme a tout d'une officine. Car, même si Tirson a eu cette idée en pensant à une de ses cousines, son idée est de mettre en place quelque chose qui puisse influer sur l'opinion en cas de besoin.

Et les sectes, c'est porteur, coco ! Ca peut arriver à tout le monde de se faire embrigader par un gourou à l'utopie rose bonbon à l'extérieur et bien cracra à l'intérieur. A tout le monde, et surtout à vos proches, vos enfants... Voilà qui peut fédérer le bon peuple autour d'une cause populaire et d'événements positifs, et ce serait alors tout bénef pour le PM. Un joker dans sa manche.

Pour mettre en branle ce nouveau bousin, Tirson a recruté deux personnalités mise au placard, qu'il pense pouvoir manipuler selon les besoins de son petit affairisme : une juge d'instruction et un flic, la loi et l'ordre, tandem idéal au service de la justice. Nous reviendrons plus loin en détails sur ces deux personnages à la dérive, en quête d'une impossible rédemption.

On a donc un magnifique objet en forme de coquille vide, mais pouvant servir l'image d'un politique en quête d'un regain immédiat de popularité, confié à deux losers au 36e dessous qui ont bien de la chance qu'on leur montre encore un minimum de confiance, alors qu'on devrait les envoyer se faire pendre ailleurs.

On a un organisme de façade qui, pourtant, six semaines à peine après sa mise en place, va lever un sacré lièvre : une intervention dans la Sarthe, auprès d'une secte catholique, qui permet de sauver un homme... de la crucifixion... Les leaders du mouvements et les autres participants ont beau affirmer à cors et à cris que le crucifié était volontaire, l'image frappe l'esprit des deux membres de la MIOLDS.

Mais, lors de l'interrogatoire, ils vont franchir une étape de plus dans l'horreur. Un des membres de la secte évoque en effet dans sa déposition, au milieu de son prêchi-prêcha, l'existence de sacrifices humains dans un but maléfique, tout le contraire de leur propre action, bien sûr. Une idée que la juge et le flic juge d'abord fantaisiste, mais qui va faire son chemin.

Retrouvant l'un et l'autre leurs réflexes professionnels, ils vont se lancer dans une enquête, exactement le genre d'investigation que n'envisageait pas Tirson en lançant la MIOLDS, un truc à grande échelle pour remonter la piste d'une hypothétique secte capable de mettre à mort des êtres humains pour servir... Quoi ? Ses intérêts ? Ou plutôt, ses instincts ?

Présenté ainsi, "L'Origine du Venin" a donc tout d'un thriller de facture classique sur un thème qui n'est finalement pas si courant : les sectes. En lisant le roman de Ravalec, je me faisais d'ailleurs la réflexion qu'il y aurait peut-être matière à une série télé autour de la lutte contre les sectes, une sorte d' "Esprits criminels" à la sauce Miviludes, mais c'est juste une idée en passant.

Facture classique, certes, mais "Sekt" (qui devrait être une trilogie) est un projet signé Vincent Ravalec, qui n'a rien d'un écrivain adepte des factures classiques. Au-delà du sujet que je trouvais intéressant, j'étais curieux de voir si l'auteur de "Cantique de la Racaille" ou de "Wendy" pouvait se plier aux codes si exigeant du thriller.

La réponse est évidemment non, "L'Origine du Venin" est d'abord un roman de Vincent Ravalec, porté par toute la folie et le côté iconoclaste de l'auteur, et ensuite un thriller, qui lorgne d'ailleurs en permanence vers le fantastique, ce qu'explique ce sujet bien particulier. Ce roman est un joyeux (enfin, pas tant que ça) délire, porté par des personnages à la dérive.

Venons-y à ces deux-là, en priorité. D'abord, Marie-Hélène, juge d'instruction. Une carrière prometteuse jusqu'au grain de sable, la boulette... Elle a fait remettre en liberté un criminel qui a profité de cette aubaine pour, dès la semaine suivante, violer et tuer deux adolescentes... Le genre de situation qui met un terme immédiat à ladite prometteuse carrière...

En plus d'une voie de garage professionnelle, elle va désormais devoir faire avec une culpabilité tenace et une peur de refaire une nouvelle erreur fatale. Cela explique son extrême prudence lors de ses premiers pas au sein de la MIOLDS. Elle ne se pardonnerait pas que ses actes, ses décisions, débouchent sur de nouveaux drames.

Mère d'une enfant en passe d'entrer dans l'âge périlleux qu'est l'adolescence, elle s'inquiète aussi énormément pour elle, comme si sa fille était un Chaperon rouge menacé par des milliers de loups affamés... Et l'idée que, quelque part, il y ait des gens qui cherchent des vierges à sacrifier, point de départ de son enquête, n'est pas faite pour la rassurer.

Plutôt BCBG, en tout cas, c'est ainsi qu'on l'imagine, réservée pour ne pas dire coincée, Marie-Hélène incarne la raideur de la justice, plus encore avec les craintes qui l'anime. Pourtant, au fil du récit, on va la découvrir sous un jour différent. Et l'un de ses traits de caractère assez particulier va apparaître : un rapport au sexe que rien ne laissait présager. La juge ne pense qu'à ça...

De son côté, Serge est un flic blanchi sous le harnais. Capitaine, il a derrière lui une carrière longue et agitée qui s'est brutalement achevée lors d'une intervention qui a tourné à la bavure. Et, de ce que l'on comprend, difficile de plaider le dérapage, la maladresse. Disons les choses clairement : ce qu'a fait Serge est un assassinat pur et simple, soigneusement préparé.

Suspendu pour avoir joué les Dirty Harry, voilà ce que retient Serge de cette expérience. Et qu'on ne lui dise pas, qu'en plus, son acte était ouvertement raciste, pour lui, il a juste fait son job et effacé une ordure, point barre. Contrairement à la juge, ce n'est pas la culpabilité qui l'étouffe, on pourrait même dire que la sanction qui l'a frappé n'a fait que renforcer sa colère et son sentiment d'injustice.

Mais Serge n'est pas que raciste. Il est aussi sexiste, homophobe, brutal, sans état d'âme, un flic à l'ancienne dont on se demande s'il ne serait pas plus voyou que flic, comme aux belles heures des polars à la Belmondo... Marié et père d'un ado bientôt majeur, il est aussi un tyran domestique, craint par son épouse et haï pas son fils, qui ne lui adresse qu'un mot : facho...

C'est dire si le tandem réuni par Laurent Tirson pour prendre en main son "joujou" est bien mal assorti, avec deux visions du monde et de la justice qui ne paraissent pas seulement très éloignés, mais carrément irréconciliables. Au-delà de leur boulot, il va falloir que ces deux-là s'apprivoisent, apprennent à travailler ensemble, à défaut de s'apprécier l'un l'autre.

"L'Origine du Venin" repose beaucoup sur ces deux personnages, deux merveilleux paumés comme Ravalec sait si bien en imaginer, qui vont largement évoluer au fil de cette histoire. Oserais-je dire qu'ils vont changer ? Oui, ça semble clair, chacun à leur manière. En bien ou en mal, je crois qu'on pourrait en discuter assez longuement, contentons-nous de dire qu'ils vont changer.

Et ce qui va les faire évoluer de cette manière, ce sont les mondes nouveaux qu'ils vont être amenés à découvrir, au fil de leur enquête. Je parle de mondes, car c'est vraiment ça, des visions du monde, en tout cas, complètement différentes de la leur. En travaillant pour la MIOLDS, ils ne s'attaquent plus à la criminalité classique, mais flirtent allègrement avec l'irrationnel.

C'est l'un des aspects très intéressant du livre : qu'est-ce qu'une secte, ou une dérive sectaire ? Je vous invite à cliquer sur ce lien pour lire la définition telle qu'elle est établie sur le site de la Miviludes, organisme heureusement nettement plus fiable que la MIOLDS imaginée par Laurent Tirson dans le roman.

Dans un XXIe siècle qui, à défaut d'être spirituel, pour reprendre la sentence attribuée à Malraux, est marqué par une considérable quête de repères et de moyens de se rassurer, les groupuscules divers et variés, professant religions, philosophies, idéologies, modes de vie alternatifs et autres mouvements de pensée sont nombreux.

Tous ne sont pas des sectes, tous ne dérivent pas vers une emprise privant leurs membres d'un libre arbitre indispensable et inaliénable. Mais, force est de constater qu'il est de plus en plus facile de se retrouver embarqué dans une situation difficile sans y être préparé et dont il est bien difficile de se tirer, encore moins sans dommage.

Vincent Ravalec joue avec le relatif flou de cette définition, car il faut bien dire que les pires phénomènes sectaires peuvent se montrer très insidieux, alors que d'autres, apparemment détachés des réalités au point d'inquiéter, ne sont peut-être que l'action de doux dingues inoffensifs qui ont trouvé une recette pour se sentir mieux...

Pas trop de doute sur les premiers intervenants et leur crucifiés, on a bien là une dérive sectaire. De même, à condition de prouver son existence, le mouvement qui sacrifierait des être humains après lequel vont courir Marie-Hélène et Serge, qui semble pencher plutôt du côté des nébuleuses satanistes, répond à tous les critères, en plus de représenter un danger immédiat pour les victimes désignées.

Et puis, il y a également dans le livre d'autres mouvements qui posent question. En parallèle de leur enquête sur les sacrifices humains, la juge et le flic doivent surveiller le fils d'un ministre qui semble, selon son illustre papa, fricoter un peu trop avec une mouvance, disons New Age, pour simplifier, composés d'illuminés (on est toujours un peu l'illuminé d'un autre)...

On pourrait sans doute discuter longtemps du parti pris de Ravalec à ce sujet, chacun aura son point de vue sur ce mouvement-là. Mais, restons sur le récit lui-même : c'est bien aussi au contact de ce mouvement que les deux personnages vont changer progressivement de point de vue et entamer leur mue, presque malgré eux...

N'allez pas croire que Ravalec écrive un plaidoyer sur tel ou tel mouvement, tel ou tel mode de vie alternatif (quoi que...), mais il avertit simplement qu'on ne peut pas mettre tous les oeufs dans le même panier de la dérive sectaire. Qu'il y a des nuances à apporter et que la question est complexe, parce qu'il n'y a pas de réponse universelle.

En gros, chacun est libre de pratiquer une activité, aussi bizarroïde puisse-t-elle paraître (les mauvaises langues rappelleront sans doute que les grandes religions établies sont des sectes qui ont réussi), il n'y a pas de jugement à porter là-dessus. Mais, il faut veiller à ce que les instigateurs de ces activités n'abusent pas de leur position, ne profitent pas de leur statut pour opprimer leurs adeptes.

Au coeur de "L'Origine du Venin", il n'y a pas des croyances, qui seraient meilleures ou pires que d'autres, des pratiques qui seraient plus efficaces que d'autres pour apaiser ceux qui y ont recours, de modes de vie plus propices au bonheur... Non, au coeur de ce premier volet, il y a bel et bien l'homme et lui seul, lorsqu'il devient prédateur et chasse au sein de sa propre espèce.

"L'Homme est un loup pour l'homme", l'adage est connu et a traversé les âges et les courants philosophiques, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Je ne vais pas disserter sur le sujet, mais simplement évoquer cette question de la prédation, évoquée en ouverture du roman de Vincent Ravalec, à travers un passage que je vais vous citer :

"Si l'apparition du venin paraît concomitante à l'essor de la prédation, la venimosité semble être néanmoins un caractère régressif tout au long de la courbe de l'évolution". La phrase fait partie des différentes exergues du roman, mais ce passage n'est pas signé, c'est donc un préambule signé par Vincent Ravalec lui-même, je présume.

Et si l'Origine du Venin, c'était l'homme lui-même, et rien d'autre ? Le reste n'est qu'une forme de créativité pour mettre en scène cette dimension prédatrice, qu'il s'agisse de croire en Dieu ou en Satan, en la dynamique, l'avènement prochain des extraterrestres, la fin du monde ou tout autre chose autour de laquelle on puisse se rassembler.

Oui, l'homme est et sera toujours un loup pour l'homme, c'est ainsi. Et le pouvoir de manipulation des gourous saura toujours se montrer plus efficace que la méfiance, saura trouver le chemin de la crédulité qui fait aussi partie de nous. Et, après tout, quelle différence avec nos hommes politiques, ces tribuns qui haranguent le peuple quand ils mènent campagne ?

Je suis provocateur, mais, d'une certaine manière, les ressorts sont les mêmes, si ce n'est le but. Mais, la politique est aussi un mode de manipulation et de contrôle des esprits, n'est-ce pas ? Ce que j'écris là n'a rien de gratuit (quoi que...), elle correspond aussi à ce qu'on trouve dans ce premier volet de "Sekt", à travers le personnage de Laurent Tirson.

Ce n'est pas le moindre des paradoxes de voir celui qui s'érige en principal artisan de la lutte contre les sectes envisager sa mission en fonction de ce qu'il faut faire penser à l'opinion... Ravalec profite de son histoire de secte pour balancer une féroce critique de la "compol", la communication politique, et l'un de ses outils les plus efficaces : le story-telling.

Cela m'a frappé dans un passage du roman en particulier, quand Tirson se dit que le moment est venu de mettre sa stratégie initiale en oeuvre et de profiter de la situation et des découvertes de ses deux subordonnés pour tirer les marrons du feu. Peu lui importe la vérité, ce qui lui plaît, c'est l'histoire qui sous-tend cette enquête.

Une histoire qu'il entend raconter à sa manière, si possible en en faisant un vrai petit feuilleton sur lequel se jetteront les chaînes d'info continue, et pas seulement elles. La lutte du bien et du mal soigneusement scénarisée, avec un scénariste parfaitement placé pour décider du casting et désigner les gentils et les méchants comme ça l'arrange.

Ca ne vous rappelle rien ?

Vincent Ravalec s'attaque à la terrible lutte du Bien contre le Mal, à cet Armageddon qui semble nous menacer jour après jour, sans qu'on soit vraiment certain que le Bien l'emporte, ou pire, que les vainqueurs incarnent vraiment le Bien... Ils nous met en garde contre tous ces amis qui nous veulent du bien et qui sont sans doute les pires loups attendant de nous croquer...

"L'Origine du Venin" n'est sans doute pas un roman parfait, même si j'ai pris du plaisir à sa lecture. Le thriller a besoin de suivre des codes et, en voulant parfois s'en affranchir, en jouant avec le destin de ses personnages comme il le fait habituellement, il peut tomber dans un certain fouillis, qui en dérangera sûrement certains, les lecteurs qui ont besoin de repères clairs et de stabilité.

Pour autant, brouiller ainsi les limites entre le bien et le mal, instiller un certain doute sur la rationalité de certains processus, faire douter les personnages, tellement ancrés dans leurs certitudes et leurs travers, tout cela est intéressant. C'est assez délirant, ça part un peu dans tous les sens, mais c'est du Ravalec, je vous avais prévenu !

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