lundi 5 mars 2012

"Une superstition vaut une espérance" (Honoré de Balzac).

Il y a quelques mois, les éditions de la Branche ont lancé une nouvelle collection intitulée "Vendredi 13". Une collection dirigée par Patrick Raynal, l'ancien grand manitou de la Série Noire. L'idée de cette collection ? Demander à 13 auteurs différents d'écrire chacun un roman sur le thème du vendredi 13. Parmi ces auteurs, Pierre Bordage a écrit le troisième roman de la série, sorti fin février. Un roman qui a pour titre "l'arcane sans nom" et qui mêle, autour de cette date du vendredi 13, une réflexion sur la société actuelle et un soupçon de fantastique, dans un roman noir en forme de course-poursuite haletante.


Couverture L'Arcane sans nom


Sahil, la vingtaine, est un jeune afghan qui a émigré en France dans la ferme intention de traverser la Manche et de gagner l'Angleterre (qui, à l'époque où se déroule le livre, n'a pas encore durci les conditions d'entrée sur son territoire des immigrés). Ecoeuré par la situation dans son pays et la guerre aveugle et meurtrière qui fait rage dans son pays, il a déserté l'armée régulière afghane pour venir en Europe.

Mais, arrivé ici, il a déchanté : la vie en camp de réfugiés est loin d'être idyllique et, sur le sol français, la politique de traque des clandestins s'est sensiblement accentuée. Or, s'il y a bien une chose que redoute Sahil, c'est d'être arrêté et renvoyé par le premier avion à Kaboul, où il ne se fait guère d'illusion sur le sort qui attend là-bas un déserteur...

Aussi, lorsque le camp de réfugiés dans lequel il survivait est démantelé, il se réfugie dans un squat parisien, auprès d'un groupe de satanistes qui l'accueille parce que Sahil a rendu service à l'un d'eux, surnommé Méphisto. Parmi les autres jeunes, qui composent ce groupe, Sahil a remarqué une jeune femme, peut-être même une adolescente, qui se fait appeler Ten, diminutif de Ténébreuse. Méphisto et elle préparent un happening prévu dans le cimetière du père Lachaise, la nuit du vendredi 13 août, auquel Sahil doit assister.

Mais ses plans vont changer brusquement. Au début de cette semaine-là, par l'intermédiaire de Méphisto, Sahil est contacté par un homme mystérieux qui lui propose un marché : il doit tuer quelqu'un et, en échange, il recevra une forte somme d'argent et un titre de séjour provisoire en règle (l'idéal pour espérer traverser ensuite la Manche sans redouter la police).

Fort de son expérience militaire, hanté par les assassinats qu'il a commis au cours de sa traque des Talibans, qui ont fait surtout des victimes civiles et innocentes, Sahil accepte ce contrat grâce auquel il entrevoit la fin de son errance et la possibilité d'entamer une nouvelle existence. Mais, lorsque sa cible se présente à l'heure dite sur le lieu décidé pour son meurtre, rien ne se passe comme prévu.

La cible est entourée de gardes du corps et Sahil comprend qu'il est tombé dans un piège et que, même s'il remplit sa part du contrat, il n'en sortira pas vivant. Il prend alors la fuite, avec dans l'idée, de récupérer l'argent qu'il a déjà toucher pour le meurtre, de quitter Paris et même la France où il se sait plus que jamais en danger, et de gagner coûte que coûte la Grande-Bretagne.

Mais, partout où il essaye d'aller, il est attendu par ceux qui veulent sa peau. Incapable de récupérer l'argent, sans lequel il ne peut rien, blessé à une cheville dans sa fuite, Sahil se croit perdu. Il va alors recevoir deux soutiens totalement inattendus : celui de Ten, la jeune sataniste qui ne le laisse pas indifférent, même s'il a envisagé un moment qu'elle puisse le trahir, et celui d'une gamine de 10 ans, entourée de mystère...

Djidjo est issue, comme Sahil, d'une communauté traquée par les autorités : les Roms. Elle s'est vue confiée par une femme de sa communauté, la vie de Sahil et, dès lors, est devenue, malgré son jeune âge, "l'ange gardien" de l'afghan (c'est lui-même, d'ailleurs, qui la qualifie ainsi à un moment). Elle va montrer à tous des "dons", des "compétences", des "aptitudes", je ne sais quel terme employer exactement, qu'on ne s'attend pas du tout à trouver chez une enfant de cet âge.

Et de fait, les 3 jeunes gens, un tel soutien, aussi inexplicable et inexpliqué qu'il soit, ne sera pas du luxe... Poursuivis par des tueurs impitoyables, vont, au cours de cette nuit du vendredi 13 au samedi 14 août, sans doute la nuit la plus longue de leur existence, se lancer dans une course effrénée vers le Nord de la France. Une course-poursuite bien peu discrète pour un clandestin cherchant avant tout à se faire oublier. D'autant que, en guise d'assurance, ils ont "choisi" d'emmener avec eux une monnaie d'échange aussi précieuse qu'encombrante...

Et au bout de la route, que trouveront-ils ? L'espoir ou... le pire ?

Je ne vous le cacherai pas, j'ai trouvé ce roman un peu trop manichéen à mon goût. Toutefois, cela s'explique par la construction du roman et la voie choisie par Pierre Bordage pour traiter de son sujet imposé du vendredi 13. Car, vous l'aurez compris, sans doute, en lisant le titre du roman, c'est de destin dont il est question. Comme si, en ce jour de superstition, symbole de noire malchance pour les uns, espérance d'évènements favorables pour les autres, la vie de Sahil, en équilibre précaire, allait basculer irrémédiablement du "bon" ou du "mauvais" côté...

"L'arcane sans nom" est le nom qu'on donne à la lame n°13 du tarot marseillais. Une carte à double tranchant, selon qu'on la retourne à l'endroit ou à l'envers, exactement comme le destin de Sahil, dont lui-même ne sait pas s'il lui réserve une sensible amélioration de son sort ou... une fin prématurée et violente...

Et, suivant cette logique, chacun des personnages qui gravitent autour du jeune déserteur joue le rôle d'une autre carte du jeu vital mis en scène par Bordage. Et chacune de ses cartes apporte à Sahil de bonnes ou de mauvaises influences, chahutant le jeune homme qui ne maîtrise plus grand chose de sa propre existence, en attendant de voir où cette lame... de fond va le mener.

On peut trouver que le récit aurait mérité d'être approfondi, tant dans les faits que dans la psychologie des personnages, mais c'est le format de cette collection qui demande un texte très ramassé, presque concentré. En revanche, le suspense est imparable, ça va vite, les rebondissements sont nombreux et, en corollaire de ce que je viens d'évoquer, on se demande à chaque apparition d'un nouveau personnage, de quel côté il se rangera, s'il contribuera à l'avancée des fuyards ou à les remettre dans le collimateur des poursuivants de Sahil, que ce soit des assassins ou des représentants de l'ordre.

Mais, plus largement, en prenant un peu de recul, on se rend compte aussi que "l'Arcane sans nom" est le combat de trois marginaux contre tout un système qui les rejette. Si on ne sait pas grand chose de Ten, on comprend que ce n'est pas par conviction qu'elle a rejoint un groupe sataniste, mais par besoin de se fondre dans un groupe, de ne plus se sentir rejeter et de crier un profond mal-être. Djidjo est Rom, communauté régulièrement choisie comme un bouc-émissaire d'à peu près tout et n'importe quoi, qui traîne une réputation funeste. A tel point que, dans la "salle d'attente" de la femme qui soigne Sahil, on ne trouve que des Roms, car, dixit Djidjo, personne d'autre ne ferait confiance à une Rom pour le soigner. Enfin, Sahil est un afghan, donc une graine de terroriste, forcément, un de ces réfugiés si différent aux yeux d'une France qui ne jure que par l'assimilation...

D'ailleurs, Sahil lui-même ne comprend pas ce monde nouveau où il a mis les pieds. Son éducation, sa culture, ses valeurs sont si éloignées de celles qui lui ont été inculquées dans son pays natal qu'il a bien du mal à comprendre tout ce qui l'entoure et, finalement, tout ce qui lui arrive. Cet eldorado, outre qu'il se révèle être d'abord une nasse, puis un piège bien pire encore pour lui, il ne lui trouve pas beaucoup de bons côtés, sa retenue et sa pudeur, entre autres, étant mises à rude épreuve dans une société où ces deux mots n'ont plus grand sens.

Mais, s'il ne comprend pas vraiment les motivations de ses ennemis, la fréquentation de ses alliés va lui en enseigner beaucoup. L'amour, la séduction, l'amitié, la solidarité, la fraternité (à défaut de liberté et d'égalité, difficilement atteignables dans ce contexte agité...), le désintéressement, la bonté, autant de choses qu'un ancien militaire d'un pays en grève aux us et coutumes très différents n'avait eu que peu d'occasions d'expérimenter.

Et puisque j'évoquais un manichéisme certain, dans ce roman, je note que les personnages féminins sont tous positifs et les personnages masculins, tous négatifs... Un peu facile, non, Monsieur Bordage ?

Pour autant, je vous conseille cette lecture, pas isolée, mais en lien avec les autres romans de cette collection qui, à terme, devraient aboutir à la réalisation de téléfilms... Et puis, j'avais très envie d'évoquer cette collection dont les couvertures (vous êtes nombreux, je le sais, à y être sensibles) sont très réussies : une couverture toute blanche, avec l'auteur, le titre et la maison d'éditions. Et, en son milieu, un triangle découpé qui laisse apparaître un oeil qui nous regarde, nous lecteurs. Un oeil qui appartient à l'auteur lui-même pour un effet saisissant (et, croyez-moi, ça rend mieux en vrai que sur la copie ci-dessus)...

Et nous en reparlerons bientôt de "Vendredi 13, car arrive à la fin de ce mois, le nouveau roman de Pierre Pelot, un des 13 auteurs choisis pour cette collection. Ca s'appelle "Givre noir" et j'ai hâte de m'y attaquer...

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