lundi 31 juillet 2017

"Chaque moment, chaque respiration est un choix. Mais la vie est imparfaite. Nous faisons les mauvais choix. Et nous finissons par vivre dans un état de regrets perpétuels".

Je cherchais une lecture, il y a quelques jours, et je suis tombé sur notre roman du jour dont l'histoire, m'a-t-il semblé, pouvait faire écho au "Replay" de Ken Grimwood, récemment évoqué sur le blog. Alors, j'ai plongé dans ce livre, sans trop savoir où j'allais, en fait. Un vrai divertissement, entre science-fiction et thriller, très différent dans la forme de "Replay", mais des questions effectivement assez proches, en particulier sur la manière dont on construit sa vie. "Dark Matter", paru il y a quelques mois dans la collection "Nouveaux Millénaires" des éditions J'ai Lu (traduction de Patrick Imbert), est un roman signé Blake Crouch, connu pour la trilogie "Wayward Pines". Une histoire à tiroirs où tous les éléments ne sont pas forcément de la plus grande originalité, mais le rythme, la tension et la mise en place des situations créent un intérêt certain pour le lecteur. Des questionnements existentiels se posent aux personnages principaux, mais aussi au lecteur, même si l'ensemble est nettement moins métaphysique que le roman de Ken Grimwood...



Jason Dessen vit à Chicago et enseigne la physique dans la modeste fac de Lakemont. Marié à Daniela, il est le père du jeune Charlie. Une petite vie bien tranquille, mais sans véritable éclat, un couple qui vivote, même si l'amour demeure, juste un peu terni par les années qui passent. Bref, une famille tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Pourtant, tout le monde s'accorde pour dire que Jason avaient les compétences pour réussir une formidable carrière de chercheur. Ses premiers travaux étaient très prometteurs et ses amis le voyaient déjà auréolé des prix les plus prestigieux existant. Pour sa part, Daniela a abandonné la carrière d'artiste lorsqu'elle est tombé enceinte et depuis, a choisi de se consacrer à sa famille...

Chacun a donc laissé derrière lui ses rêves, ses ambitions, pour une vie sans relief mais sans souci non plus. Jusqu'au jour où Jason s'en va boire quelques verres dans un bar pour fêter le prix Pavia attribué à son meilleur ami Ryan Holder. Au contraire de Jason, tout sourit à Ryan, devenue une véritable star du monde scientifique. Un rôle que tous pensaient dédié à Jason...

Des sujets qui agacent Jason, qui quitte le bar rapidement avant que la discussion ne prenne un tour peu compatible avec la fête organisée en l'honneur de Ryan. Un tour à l'épicerie et retour à la maison, à pied. Distrait, Jason évite de justesse un accident avec un taxi. Mais ce n'est rien par rapport à ce qui l'attend un peu plus loin.

Un inconnu portant un drôle de masque l'accoste, le menace d'une arme et le kidnappe. Il fait nuit, le coin est désert, Jason ne peut compter sur aucune aide et doit se résoudre à suivre son ravisseur. Celui-ci l'oblige à prendre le volant et à suivre l'itinéraire pré-enregistré dans le GPS de la voiture. Direction un terrain vague, ou plutôt une friche industrielle à l'abandon depuis longtemps.

Jason n'en mène pas large, car même masqué, l'homme ne semble pas décidé à le laisser repartir vivant... Il n'est pas un homme d'action, juste un prof de physique, et son instinct de survie ne donne que peut de résultat. Il se résigne à mourir, là, sans avoir pu prévenir Daniela, sans avoir pu dire à Charlie qu'il l'aime...

... Et il se réveille dans un endroit qui ne ressemble pas du tout à l'entrepôt où l'inconnu l'a emmené. En fait, cela ressemble à une espèce de laboratoire. On l'accueille à bras ouverts, Jason ne comprend rien à ce qui lui arrive, à ce qu'on lui raconte, ne reconnaît pas les personnes devant lui. Au point qu'il décide de s'enfuir...

Dehors non plus, il ne reconnaît plus rien. Et lorsqu'il arrive chez lui, l'appartement ne ressemble plus à celui qu'il a quitté en début de soirée. Tout y est mieux entretenu, plus luxueux. Et surtout, il est vide : aucune trace de Daniela ou de Charlie. Une seule personne vit là, et cette personne s'appelle bien Jason Dessen...

Sauf que ce n'est pas lui...

 Bien qu'abasourdi par ces événements, Jason décide de tout mettre en oeuvre pour comprendre ce qu'on a bien pu lui faire. Il n'imagine pas encore ce qu'il va devoir entreprendre pour remettre de l'ordre dans son existence. Une incroyable odyssée, pleine de désillusions et de dangers. Mais avec la détermination inépuisable de celui qui veut retrouver sa famille.

Je vais être franc, il y a un certain nombre d'éléments que le lecteur, témoin privilégié de ce qui arrive au pauvre Jason, devine et comprend bien avant lui. Est-ce un problème ? Ce le sera peut-être pour certains lecteurs, mais il faut aussi dire que ça ne nuit pas forcément au suspense et à la tension que Blake Crouch instaure.

Dans ce billet, je ne vais pas aller plus loin, je vais laisser le plus gros de ces éléments dans l'ombre, en tout cas, je vais essayer. Il va falloir marcher sur un fil, mais c'est aussi ce qui est amusant dans ce genre de billets. Et puis, quelques indices, plus ou moins explicites, apparaîtront probablement au bas de votre écran...

Au coeur de "Dark Matter", la question des choix que l'on fait et de la vie que l'on se construit. Jason et Daniela ont choisi de laisser derrière eux leurs rêves de jeunesse, leurs ambitions. Mais à quoi ressemblerait leur vie s'ils avaient fait des choix différents ? Ah, je suis déjà sur la corde raide ! Peu importe, avançons, avec prudence, certes, mais avançons.

"La vie est imparfaite", lit-on dans le titre de ce billet, dans cette phrase tirée de "Dark Matter". "Nobody's perfect", répondrait sans doute Osgood Fielding, troisième du nom, comme il le fait à la fin de "Certains l'aiment chaud". Et pourtant, quelque part, dorment des regrets, plus ou moins profondément enfouis. Et quand ils resurgissent...

Le paradoxe qui transparaît dans "Dark Matter", c'est qu'aucune vie n'est parfaite, parce qu'il manquera toujours un petit quelque chose. Parce que, lorsqu'on fait un choix, c'est au détriment d'éléments qui, plus tard, pourront manquer. En cela, on retrouve des interrogations voisines de celle que nous évoquions dans le billet sur "Replay" : quelle vie choisirais-je d'avoir si je pouvais apporter des corrections ?

Pour le reste, tout diffère pour arriver à ces questionnements pourtant si proches. Là où l'on aura tendance à classer "Replay" en fantastique, il ne fait aucun doute que "Dark Matter" est un roman de science-fiction. En tout cas pour le contexte. Peut-être les fans de SF purs et durs n'auront-ils pas envie de donner leur imprimatur.

A l'image de "Seul sur Mars", qui adopte un contexte science-fictif pour y développer une trame de thriller, "Dark Matter" nous offre ce cocktail qui penche finalement un peu plus vers le second que vers le premier. L'argument science-fictif est un peu un prétexte, une accroche, pour placer Jason dans une situation fort inconfortable et le pousser dans des aventures extraordinaires.

Les amateurs de science-fiction, et plus encore ceux qui apprécient  ce qu'on appelle la "hard science", risquent de déplorer ce déséquilibre. Trop de thriller et pas assez de science, en tout cas, de science crédible (je parle un peu au pif, les théories développées passent largement au-dessus de mon petit cerveau de littéraire)...

En revanche, qui apprécie le thriller sera servi ! Rebondissements incessants, poursuites, surprises et une dernière partie qui vaut son pesant de pop-corn ! Je suis certainement bon public, mais j'ai dévoré "Dark Matter" et je me suis bien amusé. J'ai suivi avec attention l'incroyable voyage que Jason va entreprendre et son retour qui fait passer celui d'Ulysse à Ithaque pour de la petite bière...

Une impression renforcée par une écriture volontairement lapidaire. Une litanie de phrases souvent très courtes, presque scandées, peu de temps morts, finalement, et, lorsque les scènes durent un peu, la tension retombe, certes, mais pour plonger Jason dans une forme de désespoir qui est aussi un des éléments forts de l'intrigue.

Jason est emprisonné dans une situation fort douloureuse, qui le pousse à faire des choix, on le dit et le redit, qui l'oblige à affronter des situations plus que délicates et même à être témoins d'événements carrément horribles, insupportables. Enfin, lorsque tous les obstacles semblent enfin franchis, voilà qu'il faut encore lutter, et contre des adversaires aussi redoutables qu'inattendus.

Un point, que j'ai trouvé très intéressant : Jason n'est pas un super-héros, pas même un héros. Au contraire, on le voit bien, c'est quelqu'un qui a laissé tomber ses ambitions pour une vie pépère, bien loin de ce que ses capacités pouvaient lui autoriser. Lors de son enlèvement, il est désemparé, incapable de réagir. Pas par lâcheté, mais parce qu'il ne sait pas quoi faire.

Plus tard, il va faire l'effort sur lui-même pour retrouver le fil. Et là, ce n'est toujours pas en héros qu'il va agir. Non, il va faire ce qu'il sait faire : examiner la situation en scientifique et agir en conséquence. Et d'ailleurs, toute la partie centrale du roman est une forme d'expérimentation scientifique grandeur nature.

Là encore, on retrouve des situations assez classique de SF, qu'on croise de "Docteur Jekyll et Mister Hyde" à "Des fleurs pour Algernon" (je me suis même demandé si appeler Charlie le fils de Jason n'était pas un clin d'oeil à ce livre). Il y a d'ailleurs dans "Dark Matter" un personnage de scientifique, égocentrique et suffisant, seul et malheureux, qui ressemble fort au personnage de Keyes, lorsqu'il est au top de son éphémère carrière.

Quelque part entre un épisode de la série "Fringe" (aïe, je cite une production de J.J. Abrams, j'aggrave mon cas) et "Matrix", deux références que je ne choisis pas du tout au hasard, vous le comprendrez, "Dark Matter" est un très bon divertissement qu'on sent parfaitement calibré pour devenir à court terme un scénario pour le cinéma, la trame d'un blockbuster bourré d'effets spéciaux.

Je sais bien que tout ce que je raconte est à double tranchant, que certains seront intrigués, que d'autres commenceront à sortir les crucifix et les gousses d'ail. En ce qui me concerne, je ne vais pas bouder mon plaisir. A vous désormais de faire des choix, puisque c'est l'un des thèmes de ce roman ! Et de décider si cela vous intéresse ou si vous allez passer votre chemin.

"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sans cesse et le repolissez ; ajoutez quelquefois, et souvent effacez" (Boileau).

Le temps, cet éternel mystère que l'on ne parvient toujours pas à comprendre... Voici un "vieux" roman, dont la durée de vie est assez extraordinaire. Paru en 1988 pour sa première version française, il continue à être lu et relu par différentes générations. Et peut-être a-t-il même inspiré certains romans plus récents, qui sait ? Pourquoi un tel attrait ? Parce qu'il pose une question qui nous fascine tous : que ferais-je si je pouvais recommencer ma vie ? Ce n'est pas le seul intérêt de "Replay", de Ken Grimwood (en poche chez Points Seuil, traduction de Françoise et Guy Casaril), qui plonge son personnage central dans une situation inexplicable, sans aucun mode d'emploi, sans aucune raison rationnelle apparente. On est dans un roman fantastique, aux limites de la science-fiction, car on joue aussi avec l'uchronie, mais on est surtout dans une quête impossible, celle d'une existence idéale. Un roman captivant, inquiétant par moments, dont on ressort avec mille questions en tête. Sur sa propre existence, son propre avenir...



Le mardi 18 octobre 1988, Jeff Winston est mort. A 13h06, alors qu'il est en pleine conversation téléphonique avec sa femme, Linda, il sent son coeur s'arrêter. Le stress d'une vie professionnelle au point mort, d'une vie conjugale dans l'impasse. Ce n'est pas que leur couple soit malheureux, mais il est incomplet, fragilisé par l'absence d'un enfant.

Jeff Winston est donc mort, à seulement 43 ans... Il en est certain, cette douleur, cette sensation que tout s'arrête brusquement. Et pourtant, le voilà qui rouvre les yeux. Autour de lui, rien de ce qu'il a quitté quelques instants plus tôt. Il y a de quoi être dérouté, remarquez, lorsqu'on vient de se voir mourir. Mais, là, sa perte de repères s'explique par autre chose.

Le temps de revenir de sa stupeur et l'évidence s'impose à Jeff : il n'est pas mort, mais il est revenu 25 ans en arrière ! Le revoilà dans la peau de l'étudiant qu'il était, sur le campus d'Atlanta, aux côtés de sa petite amie de l'époque. C'est complètement dingue ! D'autant qu'il se souvient parfaitement de sa... vie d'avant ?

Oui, il a de nouveau 18 ans, mais il garde le souvenir clair de tout ce qu'il a fait jusqu'au 18 octobre 1988, jusqu'à sa... mort ? Désemparé, on le serait à moins, Jeff essaye de comprendre ce qui lui arrive tout en recommençant cette période décisive de sa vie, celle des choix, celle qui conditionne sa vie d'adulte.

Doit-il tout recommencer comme avant, au risque de retrouver cette vie insatisfaisante qui était la sienne, mais aussi celle de Linda, ou bien doit-il tout faire différemment ? Doit-il profiter de sa connaissance du... futur ? pour améliorer sa situation et, pourquoi pas, celle du monde, tant qu'il y est ? Doit-il devenir quelqu'un d'autre ?

Et que se passera-t-il, le 18 octobre 1988 de cette nouvelle vie ? Refermera-t-il une parenthèse de 25 ans ou bien mourra-t-il encore ? Qu'adviendra-t-il, après ce... nouveau décès ? Plongera-t-il dans le néant ou bien repartira-t-il pour un tour gratuit, comme si ça vie était un manège dont il serait incapable de descendre ?

Ah, pas évident de parler de ce livre... Commençons par le début, alors. Le choix que va faire Jeff, une fois revenu en 1963. Peut-être le bête réflexe que nous serions nombreux à avoir : changer complètement de vie en profitant de son savoir... quasi médiumnique. En pariant sur des résultats sportifs dont il se souvenait, il amasse une véritable fortune et monte un empire industriel.

Mais, est-ce vraiment la recette du bonheur ? La richesse, le pouvoir, qui plus est acquis de manière assez contestable sur le plan moral, peuvent-ils conduire à ce mystérieux bonheur que nous recherchons tous, sans savoir exactement à quoi il peut bien ressembler ? Se fourvoie-t-il, en agissant ainsi, n'exprime-t-il qu'un penchant très humain ?

Ou bien, expérimente-t-il ?

A l'image de Jeff, le lecteur se pose de nombreuses questions. S'il y a bien une histoire où l'on essaye de se mettre à la place du personnage principal, c'est bien celle-là : et nous, comment agirions-nous si on nous... rendait ? 25 ans, si on nous... offrait ? la possibilité de reprendre notre vie, peut-être pas à zéro, mais de reconstruire notre vie d'adulte.

Comme Jeff, le lecteur avance dans l'inconnu, en ce demandant ce que lui réserve ce nouvel avenir, cette nouvelle vie. On l'observe, un peu choqué de le voir choisir la voie de l'utra-richesse, mais aussi de la solitude qui va avec. Car l'argent n'achète pas tout... Alors, après la vie conjugale inaboutie, après la fortune tombée du ciel ou presque, Jeff aura-t-il une nouvelle chance ?

On se retrouve quelque part entre "Un jour sans fin" et "Retour vers le futur", deux comédies devenues des classiques autour du retour en arrière, des choix qui se présentent à nous de changer, en mieux si possible, sa propre existence. Sauf que "Replay" n'a rien d'une comédie et que le jeu avec le paradoxe temporel n'a rien d'amusant.

Oh, si, peut-être un temps, mais ensuite, les questions existentielles reviennent au galop et Jeff est confronté à cette situation absurde d'une vie qui recommence, comme si on lui disait : "erreur. Essaye encore". Comme si on lui faisait comprendre qu'il pouvait faire mieux, qu'une autre vie était possible. Une vie... meilleure ?

Je ne vous mets pas tous les éléments en main, parce que si "Replay" n'est pas tout à fait un thriller, il faut reconnaître que ce que va traverser Jeff fait naître une tension. On plonge vers l'inconnu et la vie devient une sorte de jeu éducatif où l'on essaye différentes choses, où l'on vit différentes existences imparfaites, où l'on commet des erreurs d'appréciation, où l'on corrige le tir...

On pourrait gloser longuement sur ce que vit Jeff, lui-même, d'ailleurs, le fait, au cours de ses différentes existences : quelle entité supérieure est-elle à l'oeuvre ? Est-il le jouet d'une divinité aux méthodes particulières, d'extraterrestres procédant eux aussi à des expériences sur un cobaye humain, d'un phénomène inexplicable, d''une absurdité totale, qu'il ne faut pas chercher à comprendre ?

Allez, allons au bout du raisonnement : et si ces "replay", ces vies recommencées étaient une allégorie de la crise de la quarantaine, de ces moments où, parce que rien ne va, ni à la maison ni au boulot, on s'interroge sur la suite à donner ? Jeff n'imagine sans doute pas ce qui lui arrive, certains éléments tendent à montrer qu'il vit bien ce curieux tourbillon...

Mais que se passera-t-il quand la boucle sera vraiment bouclée ? Arrivera-t-il un 18 octobre où le processus s'achèvera ? Sera-ce le jour de sa mort, la fin de tout... Ou bien le premier jour du reste d'une vie nourrie par de multiples expériences, de multiples erreurs de parcours, aussi ? Ah, oui, pourquoi tout ce cirque si c'est pour s'arrêter brusquement à 43 ans, en pleine conversation téléphonique ?

"Replay", c'est un peu la version déjantée, troublante, flippante, de la maxime rabelaisienne "Fais ce qui te plaît". Mais, avant cela, il faut... se planter grave ? Souffrir ? Faire souffrir, aussi ? Que la vie est déjà compliquée sans ces circonvolutions ! Alors, imaginez les mille et unes possibilités qui se présentent à Jeff, sans qu'il sache qu'elle est... la bonne ? La moins mauvaise ?

Ah, oui, c'était dit dans l'introduction, ce billet est placé sous le signe du point d'interrogation ! Et de la métaphysique, ah, j'ai lâché le grand mot, diantre ! La force de "Replay", c'est d'être un roman captivant, porté par une imagination débordante, mais qui nous interroge aussi profondément sur nos propres choix, nos propres priorités. Nos regrets, peut-être aussi, qui en sortent relativisés (enfin, j'espère).

Lorsqu'on attaque "Replay", on se dit que Stephen King a dû lui aussi lire ce roman avec attention. La première partie du roman de Ken Grimwood contient en effet pas mal d'idées qu'on retrouve dans "22/11/1963". Les deux histoires divergent rapidement, mais c'est vrai que l'on est frappé de ces points communs... L'inspiration, tout ça... Une voie aussi impénétrable que celles du Seigneur...

D'autant que les mécaniques romanesques sont presque complètement opposées, Stephen King affirmant que "le passé ne veut pas être changé" et que ce n'est pas la solution pour parvenir à un avenir meilleur. Grimwood, lui, envisage le futur comme le fruit de plusieurs expériences, plus ou moins réussies, où l'on modifie et ajuste le passé...

Deux éléments sont venus ajouter à mon trouble, à mes questionnements. La première, c'est que les dernières pages, non je n'en dirais pas plus, se déroulent en 2017... Ce livre a près de 30 ans, je l'ai dans ma bibliothèque depuis un bon moment, déjà, et je choisis justement de le lire en 2017 ! Bon, coïncidence, ok.

Mais j'ai 43 ans, le même âge que celui de Jeff lorsqu'il meurt, et repart en arrière... Je ne suis pas très pressé d'arriver au mois d'octobre prochain, dites donc... Ou alors, je couperais le téléphone... D'ici là, je m'en vais méditer sur le garçon que j'étais à 18 ans, et ce que je faisais alors... Sur ce que je pourrais changer, améliorer...

Je prends peut-être cette lecture un peu trop à coeur, non ? Je me mets peut-être un peu trop dans la position de Jeff... Tout cela ferait un passionnant point de départ pour une conversation avec Ken Grimwood, ne trouvez-vous pas ? Sauf que c'est impossible : il est décédé en 2003, alors qu'il travaillait sur une suite à "Replay"...

Troublant, vous avez dit troublant ?

dimanche 30 juillet 2017

"Les morts et les sorciers ne nous empêcheront pas de faire notre cinéma".

Ce billet aurait pu s'intituler "Du rire aux larmes", car c'est une lecture qui s'est déroulée dans un contexte très particulier. Le rire, parce que notre auteur du jour était ainsi, drôle dans tout ce qu'il entreprenait, et ce roman n'échappe pas à la règle, même si sa tonalité est moins délirante que ce qu'on avait l'habitude de le voir faire, on y reviendra. Et les larmes, parce que Dylan Pelot nous a brutalement quittés au début de l'année 2013 et que son absence reste insupportable. Avant son décès, il s'était attelé à la rédaction de son premier roman, suivant ainsi le sillage de son père, Pierre Pelot. Le manuscrit était en cours de relecture au moment de sa disparition. Il a fallu que passe une période de deuil avant qu'il n'arrive jusqu'aux lecteurs. "Les Bracas", paru ce printemps aux éditions Bragelonne, est un roman autobiographique et fantastique, une histoire pleine de nostalgie et de folie douce, ode à l'amitié et au cinéma de série Z, on en reparlera à la fin de ce billet. Bien sûr, si vous connaissiez Dylan, si vous avez eu l'occasion de le croiser, si vous connaissez son travail artistique, c'est un livre qui devrait vous amusez et vous bouleverser. Pour les autres, je vous encourage à découvrir cette version vosgienne du "Club des 5", dernière étape avant l'entrée dans l'âge adulte...



Sacha, que tout le monde surnomme Cha, est un adolescent turbulent et créatif qui suit des études aux Beaux-Arts à Epinal, mais revient dès que possible dans son village natale de Saint-Morille-sur-Moselle, où vit sa mère, veuve depuis quelques mois. Là, il retrouve également sa bande de potes avec lesquels il fait les 400 coups et prépare le tournage d'un court-métrage d'horreur.

Cette bande se compose de Pilpoil, Zinzin, P'tit Ji, Fox et Taquet, tous des purs produits de ce village situé au pied des montagnes, dans une vallée enclavée où l'ennui peut vite gagner. Mais, ceux-là sont inséparables, depuis un bon moment, déjà et connus dans le coin pour leurs facéties, leurs sorties généralement bien arrosées, leur propension à se bagarrer et leur amour fanatique du métal.

En fait, ces six garçons ont toujours été un peu en marge, depuis leur jeune âge. Des gamins mis à l'écart, à la limite d'être les souffre-douleurs de leurs camarades. Voilà pourquoi ils se sont naturellement regroupés, parce que, ainsi, ils sont plus forts et qu'on vient moins leur chercher noise. Mais leur amitié, elle, n'est pas feinte : ils sont comme les six doigts de la main.

Dans la vallée, on les connaît sous le nom des Bracas, abréviation de Bras cassés, un clin d'oeil humoristique et plein d'autodérision que font ces garçons à ceux qui ne les apprécient pas. Si tout cela ne s'était pas déroulé au milieu des années 1980 mais dans les années 2010, peut-être se seraient-ils surnommés "les Boloss", qui sait ?

Cha est le moteur de cette bande, son leader naturel. Il possède ce charisme naturel qui fait qu'on le suit sans se poser de questions. Un charisme qui a fait ses preuves à Saint-Morille, mais qui commence aussi à s'installer à Epinal, où le style "métalleux" et les goûts artistiques si particuliers de Cha en font pourtant un étudiant à part.

Alors que les vacances de Noël approchent, Cha revient chaque weekend pour mettre le point final à la préparation du tournage du court-métrage dont il a écrit le scénario. Tous ses copains, et même bien d'autres personnes, ont été mises à contribution pour les costumes, le maquillage, les accessoires, et toute l'organisation, parfois sans même le savoir.

En plus du métal, la passion de Cha, c'est le cinéma d'horreur, le cinéma de série Z, connu pour ses histoires aussi improbables que ses effets spéciaux. "Citrouille Magik" met en scène un homme qui se transforme en citrouille après avoir bu un étrange breuvage et Cha sait en détails ce qu'il veut. Tout sera prêt à temps pour les vacances de fin d'année, son rêve deviendra alors réalité.

Un soir, alors que l'hiver n'en finit pas d'être rude, que les Bracas rentrent chez eux après une de leur fameuses virées, Cha découvre la maison de sa mère ouverte aux quatre vents. Elle n'est pas là, elle travaille dans un restaurant du coin, et pourtant, les portes sont ouvertes, la lumière allumée... Rien ne semble avoir été volé, mais Cha est inquiet.

Et puis, dans les jours suivants, cela se reproduit : on dirait que quelqu'un est entré, a pris un malin plaisir à tout allumer avant de repartir sans rien fermer derrière lui. Une fois, il semble à Cha que des objets ont été déplacé, qu'on a également fouillé dans l'atelier de son père et que certains tableaux ne sont plus à la même place.

Enfin, c'est le chalet où les Bracas entreposent le matériel qui doit servir au tournage qui est à son tour visité. Là encore, rien n'a disparu, mais celui ou celle qui est entré a laissé derrière lui d'étranges symboles recouvrant les murs. Cette fois, l'imagination de Cha et de ses amis tourne à fond : et si c'était une force surnaturelle qui se manifestait ?

La peur et la tension s'accumulent, les Bracas se retrouvent embarqués dans des bagarres de plus en plus violentes. Ils cherchent celui ou ceux qui les narguent ainsi, soupçonnant leurs anciens camarades, toujours aussi mal disposés à leur égard. Mais Cha, lui, pense à quelqu'un d'autre : Milo, un étrange personnage vivant en ermite, avec comme seul compagnon un énorme chien...

 Connaissant un peu le travail de Dylan Pelot, on pourrait s'attendre à ce que cette histoire ne dégénère vite en un slasher de la pire espèce, mais ce n'est justement pas du tout le cas. Le fantastique est finalement très discret et est un prétexte pour raconter une histoire qui tenait certainement à coeur de l'auteur : celle du premier tournage d'un ado rêvant de faire carrière un jour dans le cinéma.

J'ai croisé Dylan Pelot à plusieurs reprises, évidemment lors des Imaginales, mais je ne le connaissais pas plus que cela. J'ai animé cette année dans ce même festival la table ronde qui lui rendait hommage, en compagnie de Pierre Pelot et de Gérard Viry-Babel, rédacteur à "Fluide Glacial", ami proche de Dylan et continuateur de son travail.

Mais je suis certain que ceux qui l'ont connu, qui ont été ses amis, se reconnaîtront dans ce roman largement inspiré de sa propre adolescence. J'y ai d'ailleurs moi-même reconnu quelqu'un que j'ai côtoyé lorsque je vivais dans les Vosges, puisque nous partagions la même antenne lorsque je travaillais à Radio Gué-Mozot, la plus ancienne radio associative locale du coin.

On se retrouve donc avec ce livre en main, la gorge forcément serrée, et l'on plonge dans les aventures foutraques de ces six jeunes gens dans leur vallée perdue au pied des montagnes vosgiennes. Et la magie opère, parce que les Bracas sont terriblement attachants et que leur amitié réchauffe le coeur.

Et puis, il y a la préparation de ce film, un nanar horrifique conçu ainsi, fignolé avec des bout de chandelle, du matériel de récup', un savoir-faire distillé par Cha à ses compères, de la bonne volonté, de l'huile de coude et beaucoup, beaucoup de rigolade. La troupe n'engendre pas la mélancolie, c'est le moins que l'on puisse dire.

Pourtant, il y a ce nuage qui plane sur Saint-Morille, ces manifestations bizarres. L'enjeu du roman est bien sûr de comprendre ce qui se passe, mais, finalement, peu importe : ce qui compte, c'est cette histoire d'amitié, ce tournage, expérience formidable comme on en a tous connu quand nous étions nous-mêmes adolescents, ces aventures qui forgent des amitiés indestructibles.

Et puis, il y a l'attachement à une terre. Aux Vosges, mais surtout à Saint-Morille (comprenez Saint-Maurice-sur-Moselle, le village de la famille Pelot), à ce village, cette vallée, ces forêts, ces montagnes, tout cet univers familier dans lequel Dylan a grandi. Pardon, dans lequel Cha a grandi, le lapsus est révélateur !

"Les Bracas", c'est un livre sur l'adolescence et l'irresponsabilité qui l'accompagne, mais aussi la perspective de l'entrée prochaine dans l'âge adulte, qui signe la fin de cette insouciance. Cela s'accompagne de choix, parfois douloureux, parfois moins. Mais ici, l'idée de quitter le nid, de s'envoler pour ailleurs est un déchirement.

Oui, il y a dans ce livre une nostalgie contagieuse des années de jeunesse, des amitiés qu'on y a nouées, des bêtises qu'on y a commises, des décors dans lesquels tout cela a eu lieu, des musiques écoutées (Metallica en tête). De la famille, également, lorsqu'elle est un cocon protecteur, une bulle d'amour hors du monde au sein de laquelle on se sent invulnérable...

Là encore, avec le recul, en connaissant les événements, le destin tronqué de Dylan Pelot, on se retrouve face à une palette d'émotions contraires : le sourire devant les frasques de ces gamins complètement barges et la petite larme, devant ce que ce roman révèle de l'état d'esprit de son auteur et devant la douleur de l'absence.

Je vais terminer ce billet en évoquant un autre livre. La passion de Dylan Pelot pour le cinéma, plus particulièrement pour le cinéma d'horreur à petit budget, est au coeur des "Bracas". Là encore, on retrouve chez Cha bien des traits communs avec son créateur, qui a lui aussi beaucoup joué avec les séries Z.

Dylan Pelot a d'ailleurs bien réalisé, à l'époque où se déroule "les Bracas", deux courts-métrages, "Citrouille Magik" et sa suite. Il se passionnait pour les maquillages et a suivi plusieurs stages dans ce domaine. Plus tard, il mettra ce savoir-faire au service de la jeunesse, en donnant des cours en primaires et en étant "prof de monstres", à la MJC Bazin, à Nancy.

Tout cela a débouché sur la création de fiches techniques de films dont il imaginait le synopsis, le castong (ami des calembours bien foireux, régale-toi !) et dont il réalisait les affiches et les photos de tournage. Cette masse de documents, Gérard Viry-Babel en a rassemblé une partie dans un ouvrage absolument génial : "Les Grands succès du cinéma introuvable" (aux éditions Fluide Glacial).



L'imagination débridée de Dylan Pelot y apparaît avec une puissance comique extraordinaire. Je me suis énormément amusé, je riais tout seul dans mon salon en le feuilletant. Non seulement c'est très bien vu dans la forme, reprenant les clichés de genres cinématographiques tels que l'horreur, bien sûr, le western, la SF, le péplum, etc., mais aussi dans le fond, car c'est un magnifique hommage au nanar.

"Les canons de la patronne", "La machine à voyager dans le thon", "Pizz'attack", une série de Sissi qui n'ont plus grand-chose à voir avec l'impératrice autrichienne et Romy Schneider, une série de Tarzan, incarné cette fois par Jo Livestmohair (à lire à voix haute, on le pige mieux ainsi), "Deambulator", "Naft Aline contre Docteur Mite"... Autant de chefs d'oeuvre à découvrir !

Et puis, il y a un casting de rêve, dans ce livre. Sans doute y croise-t-on Pilpoil, Zinzin, P'tit Ji, Fox et Taquet, mais aussi les copains des Beaux-Arts, de la MJC et bien d'autres... Tous mis à contribution pour donner corps à ce cinéma introuvable, puisqu'il n'a jamais existé ailleurs que dans la tête de son génial créateur.

Mais aussi Pierre Pelot, bien sûr, dans l'immortel et charcutier "L'île du docteur Morteau", Jean-Jacques Beneix, Marc Caro, Pierre Bordage, Karim Berrouka, Gudule, Mélanie Fazi, Sara Doke, Manon Fargetton, Justine Niogret, Stéphane Marsan, magnifique dans "Cuisine à la tronçonneuse", et la liste est encore longue, à vous de vous amuser à les chercher dans les différentes affiches.

Ce recueil ne contient qu'une partie des films introuvables imaginés par Dylan Pelot, espérons que prochainement, un second volet verra le jour, pour retrouver la folie, l'humour, certes très particulier, de Dylan Pelot, mais aussi l'amitié et la complicité qui se dégage de toutes ces oeuvres. Il était capable de fédérer toutes ces bonnes volontés et tous ceux qu'on trouva là sont un peu des Bracas d'honneur.

Exemple d'affiche réalisée par Dylan Pelot.

Et puis, parce que je sens bien que vous êtes déjà fans, terminons avec un film, signé Dylan Pelot, au titre prometteur : "La nuit de l'invasion des nains de jardin venus de l'espace" :


samedi 29 juillet 2017

"Mami te protégeras toujours (...) Si tu jures de toujours servir Mami".

Avec Mélanie Fazi, nous évoquions le fantastique dans sa dimension onirique, mais ce soir, c'est le versant plus horrifique qui va nous intéresser. Avec modération, je rassure les âmes sensibles, et on verra bien pire dans les prochains jours dans ce domaine. Il y a un an, j'avais découvert ce jeune auteur lors des Imaginales. J'avais lu son premier roman, "Les Enfants de Peakwood", au retour et je l'avais trouvé prometteur malgré quelques défauts. J'attendais donc Rod Marty au tournant et voici son second roman, plus abouti, reposant sur une atmosphère lourde, oppressante, dans un décor très particulier : la Louisiane. "La Mère des eaux", paru aux éditions Scrineo, aborde des questions douloureuses, en particulier la difficulté à devenir mère. Et nous entraîne dans une véritable descente aux enfers, celle d'un couple sous pression qui doit résister sous peine de voir son existence partir à vau-l'eau...



Emily et Christopher vivent à San Francisco. Elle est peintre, il construit des sites internet. A première vue, c'est un couple heureux, tranquille. Mais, Emily ne parvient pas à réaliser son rêve : avoir un enfant. Elle a fait plusieurs fausses couches et, suite à la dernière, son médecin lui a appris qu'elle ne pourrait jamais mettre d'enfant au monde...

Elle est donc dans un état de fragilité qui l'empêche de travailler correctement. Elle peint moins, n'expose et ne vend presque plus ses toiles. L'activité de Christopher est également au point mort et le couple connaît, en plus de ses difficultés à fonder une famille, des problèmes financiers par loin d'être alarmants : ils ne sont pas loin d'être endettés jusqu'au cou.

Pendant que Emily s'enfonce dans une mélancolie proche de la dépression, Christopher cherche des solutions pour renflouer leurs comptes, en vain. C'est alors qu'il reçoit un coup de téléphone qui le laisse d'abord perplexe : l'appel émane de Maître Boudreau, notaire en Louisiane, qui annonce à Christopher que la grand-mère d'Emily vient de mourir, lui laissant un petit héritage.

Emily est orpheline, elle a été adopté par un couple gay de San Francisco après avoir été recueillie tout bébé sur les marches d'une église. Sa grand-mère ? Et comment le notaire a-t-il pu la retrouver, alors qu'elle ne porte plus son nom de jeune fille ? Mais Christopher n'est pas au bout de ses surprises quand Boudreau lui explique que la mère naturelle d'Emily, elle, vit encore.

Elle vit, certes, mais elle est lourdement handicapée et nécessite des soins et une attention constante. Or, avec le décès de celle qui veillait sur elle depuis tant d'années, la voilà seule et isolée. Emily est sa dernière parente connue. A elle de décider de l'avenir de cette femme qu'elle n'a jamais connue. Un séjour en Louisiane pourrait l'aider à faire son choix...

Il y aurait de quoi croire à une plaisanterie, mais, Emily comme Christopher voit dans cet appel une aide providentiel : pour elle, alors qu'elle pleure encore son propre enfant perdu avant terme, il y a la possibilité de renouer des liens familiaux qui lui ont toujours manqué ; pour lui, il y a la perspective de toucher une somme d'argent suffisante pour remettre leur couple à flots.

Alors, réunissant leur courages et leurs dernières économies, Emily et Christopher décident de prendre la route, direction la Louisiane. Et plus précisément, la petite ville de Lamarre, minuscule point sur les cartes de la région, situé sur une bande de terre coincée entre océan et marais... Un dépaysement total, sur lequel compte aussi le couple pour resserrer ses liens.

Mais, dès l'arrivée, il découvre que Lamar est une ville fermée. N'y entre pas qui veut, il faut montrer patte blanche et être attendu par quelqu'un déjà présent à l'intérieur. Une fois passée cette clôture, pourtant, l'accueil est chaleureux. Le couple californien est bien encadré et Emily rencontre enfin June, celle qui lui a donné le jour...

Des retrouvailles forcément tronquées, puisque June est dans un état végétatif et ne peut communiquer... Emily, sous le coup de l'émotion, peut heureusement compter sur l'aide de Michael et de sa fille, Meredith, qui continuent à prendre soin de la malade. Les habitants de Lamarre sont vraiment hospitaliers. Presque un peu trop, en fait.

Dans cette ambiance étrange, renforcée par l'humidité et la chaleur pesantes, les tensions s'exacerbent entre Emily et Christopher. Emily est hanté par d'étranges rêves qui confinent au cauchemar, tandis que Christopher doit gérer une situation aussi embarrassante qu'inattendue. Ce voyage à Lamarre n'a décidément rien d'une nouvelle lune de miel. Et ça ne fait que commencer...

Bienvenue à Lamarre, ville où rien n'est tout à fait ordinaire. Et vous allez vous en rendre compte au fur et à mesure que l'histoire se développe, à travers un truc de narration que je ne développerai pas dans ce billet. On sait que la Louisiane est un décor propice au mystère et aux ambiances oppressantes, "la Mère des eaux" n'échappe pas à cette règle.

Mais que s'y passe-t-il vraiment ? On a des indices un peu partout, à travers ce fameux "truc" que je viens d'évoquer, mais aussi à travers les rêves d'Emily, qui paraissent bien trop réalistes pour être de simples rêves. On ne va pas dire que l'on se sent d'emblée mal à l'aise à Lamarre, qu'on a l'impression d'être épié voire menacé, car ce serait faux.

Et ce, malgré cette enceinte close qui isole la ville et ses habitants du reste du monde et rappellerait presque Wayward Pines. Il y a la même volonté de vivre en reclus, de ne pas se confronter à l'autre, s'il n'appartient pas à la communauté. Mais, lorsqu'on vous laisse y pénétrer, alors, on vous considère comme un citoyen à part entière.

C'est assez troublant, ce mélange d'hospitalité et de méfiance. Surtout si l'on regarde les circonstances : personne ne connaît Emily à Lamarre, puisqu'elle a été abandonnée à la naissance ! Que représente-t-elle pour eux ? Et comment la jeune femme se situe-t-elle par rapport à cette "nouvelle" famille qui lui tombe presque du ciel ?

Alors que le lecteur s'interroge sur ce mystérieux endroit où nous ont conduit Emily et Christopher, c'est pourtant sur eux que se focalise le récit. Sur eux, et sur les fragilités de leur couple. L'impossibilité de devenir mère d'Emily pèse lourd, cela tourne à l'obsession pour elle. Elle ne se résigne pas à l'annonce de son médecin et son retour aux racines familiales n'arrange rien.

Rod Marty aborde cette question au combien délicate avec tact. On ressent la profonde douleur qui ronge Emily, dès le début du livre. On veut croire que l'air de la Louisiane l'apaisera, mais, au contraire, elle semble de plus en plus tourmentée par le sujet. Sa fragilité prend alors une autre forme, une espèce de détermination irrationnelle à devenir mère...

Quant à Christopher, je ne vous expliquerai pas ce qui le turlupine, car c'est l'un des ressorts de l'histoire qu'il ne faut pas dévoiler. Mais, cette situation est suffisamment dérangeante pour qu'il ne fasse plus assez attention à Emily. Ca, je peux le dire : Christopher va vite apparaître comme un homme égoïste et peu sympathique, un peu trop matérialiste aussi.

On le sent plus préoccupé par l'héritage que par son épouse. Il ne s'agit pas de cupidité, d'une certaine façon, on le comprend : ils ont besoin de cet argent. Mais tout de même... Et, au fil des pages, on le découvre menteur et lâche, et pas seulement pour ménager Emily, mais pour se protéger lui... Parfaite correspondance avec le portrait que fait Perdican des hommes dans "On ne badine pas avec l'amour".

J'ai parlé de descente aux enfers dans l'introduction, l'expression est un peu cliché, facilement galvaudée. Je plaide coupable, d'autant que c'est un enfer aquatique et végétal qui nous est proposé. On retrouve ce qui fait le charme, le mystère mais aussi le côté effrayant de la Louisiane, avec ces bayous, cette eau omniprésente, ce côté poisseux, collant, ce lent pourrissement...

Emily et Christopher sont d'ailleurs frappés par ce changement sensible entre San Francisco et Lamarre : plus de smog ou de fraîcheur de l'air marin, ici, tout stagne, l'humidité est palpable, les odeurs exacerbées, envoûtantes à la limite de l'écoeurement. Il y a comme une impression d'accablement sous une chaleur qui peut vite sembler étouffante.

Tout cela, plus l'impression de confinement liée à l'isolement de Lamarre, vous comprendrez aussi qu'on puisse y perdre sa sérénité... Mais la Louisiane reste aussi une terre fertile en matière de croyances et de superstitions, de mythes et de légendes. Un terrain de jeu passionnant pour un auteur de romans fantastiques, avec ou sans vampires...

L'eau... Sa présence dans ce roman, jusque dans le titre, pourrait faire l'objet de longs développements, je pense. Autour de ses différentes symboliques, la plus évidente étant celle de la maternité, on y revient toujours. Mais, cela nous emmènerait trop loin dans l'histoire, ce sera à vous de vous plonger (ah, ah, ah !) dans cette étrange histoire...

J'avais lu avec plaisir "les Enfants de Peakwood", tout en trouvant à ce premier roman pas mal de petits défauts et quelques références un peu trop appuyées. Mais, je me disais que Rod Marty avait certainement une belle marge de progression. Et je ne crois pas m'être trompé, cette "Mère des eaux" lui fait franchir un cap dans un genre de l'imaginaire qu'on oublie parfois : le fantastique.

Bien sûr, on a déjà beaucoup lu, beaucoup vu de films et de séries (dont, récemment, l'exceptionnelle première saison de "True Detectives") se déroulant en Louisiane. Parfois dans la bayou, mais pas toujours. Pourtant, il faut saluer Rod Marty qui, après la paisible bourgade de Peakwood, nous invente encore une ville où il ne fait pas bon vivre avec Lamarre...

Je me suis concentré sur Emily et Christopher, mais Lamarre est un personnage à part entière du livre. Une espèce de monstre endormi que l'arrivée du couple réveille. Oh, pas brutalement, non, c'est un processus lent, comme une ébullition, comme un serpent d'eau qui vous entoure de ses anneaux pour mieux vous étouffer ! Rod Marty est très fort pour installer et faire prospérer ce climat suffocant.

Forcément, on va devenir exigeant, avec Rod Marty. On va attendre de plus en plus de lui. D'être surpris par ses histoires, de changer radicalement d'univers d'un livre à l'autre mais tout en retrouvant ces qualités pour mettre le lecteur dans l'inconfort, lui faire ressentir ces atmosphères oppressantes qu'il semble bien maîtriser.

Tout comme le côté très noir des histoires qu'il nous raconte. Celui-ci est particulièrement sombre, car Lamarre pourrait bien être l'entrée d'un des cercles de l'enfer de Dante : quand on y pénètre, on laisse tout espoir à la porte... Et la musique de Jeff Buckley (clin d'oeil troublant, là encore), qui rythme le livre n'y change rien.

"C'est un vrai privilège d'être sans attaches (...) Moi, je sais ce que c'est de ne pas en avoir. C'est une force".

Bien sûr, il y a les auteurs que l'on connaît, que l'on suit, auxquels on est fidèle, dont on attend fébrilement la prochaine sortie. Et puis, il y a les auteurs que l'on découvre, souvent avec retard, quelquefois en ayant repoussé l'expérience pour plein de raisons. La période estivale est propice aux rattrapages et aux mea culpa, et voici donc un billet consacrée à un roman signé par une écrivaine que j'ai envie de découvrir depuis un bon moment : Mélanie Fazi. Certains d'entre vous la connaissent certainement, pour son travail de traductrice, mais aussi comme nouvelliste, car c'est dans ce domaine particulier qu'elle brille. Je dois avoir dans une pile deux, peut-être trois de ses recueils de nouvelles, saluées par beaucoup pour leur qualité. Mais, j'ai choisi de la découvrir à travers un roman. Je bats encore ma coulpe, je préfère les formats longs, honte sur moi... "Arlis des Forains", paru chez Bragelonne et disponible en poche chez Folio SF, est le deuxième (et dernier) roman de Mélanie Fazi, une lecture mélancolique et onirique, non exempte de violence, troublante et émouvante.



Arlis est un gamin de 11 ans qui a toujours vécu au sein de la troupe de forains qui l'a recueilli alors qu'il n'était encore qu'un nouveau-né. Là où la plupart des enfants grandissent entre la famille et l'école, lui n'a connu que les voyages et la fréquentation des artistes et des animaux qui composent la troupe : ours, singes, serpents...


Autour de lui, les forains forment tout de même une famille, différente du modèle traditionnel, peut-être, mais c'est la seule qu'il a connue. Lindy, la femme qui considère Arlis comme son fils, est une ancienne écuyère qui a renoncé à la carrière après une chute. Elle vit avec Emmett et dirige la troupe avec cet homme qui peut, parfois, se montrer brutal.

Et puis, il y a ses frères et soeurs d'adoption : Jared, le cul-de-jatte toujours jovial et de bon conseil ; Aaron, le dresseur aux doigts agiles, un peu trop, même, parfois ; et, enfin, la mystérieuse Katrina, qui s'entend mieux avec les serpents qu'avec les humains. Une beauté possédant quelques secrets qui commence à éveiller en Arlis quelques sensations qu'il ne comprend pas encore très bien...

Les forains ont installé leur tréteaux dans une petite ville du coeur des Etats-Unis, Bailey Creek. Ils vont y faire étape quelques temps et proposer leurs spectacles et leurs attractions aux habitants, comme ils le font un peu partout à travers le pays. Arlis est encore un peu jeune pour avoir son numéro à lui, des tâches à remplir. Il a donc pas mal de temps pour lui.

A Bailey Creek, il va faire une rencontre qui va pourtant changer pas mal de choses dans sa vie. Dans le regard qu'il porte sur elle, plus précisément. Faith n'a pas froid aux yeux, Faith est effrontée, Faith est impolie, se moque des règles et vole volontiers son prochain. Malgré son jeune âge, Faith est une provocatrice aguerrie qui sait comment se faire remarquer.

D'autant que Faith est la fille aînée du pasteur de Bailey Creek ! Un magnifique cas de rébellion adolescente. Arlis, qui n'a jamais vraiment fréquenté d'enfants de son âge, est subjugué par cette demoiselle au tempérament si affirmé. Elle est la meneuse, il la suit, prêt à toutes les découvertes, toutes les aventures, comme on peut en imaginer à cet âge.

Elle l'emmène dans les champs de blé qui entourent la petite ville et lui révèle qu'elle possède un secret : plutôt que de servir le Dieu de son père, Faith s'est vouée au culte des Seigneur des Moissons, un dieu "qui parle le langage de la lune avec la voix du vent". La jeune fille propose à Arlis de l'initié à ce culte païen, en procédant à d'étranges rituels au pied d'un épouvantail...

Arlis se prête au jeu, et j'emploie ce mot à dessein. Pour lui, qui n'a jamais connu aucune éducation religieuse au sein de la troupe de forains, les histoires de Faith ne sont rien d'autres. Un jeu d'enfants, comme leur imagination est capable d'en créer. Mais, force est de reconnaître aussi que le contexte, ces champs à perte de vue, sous la seule clarté lunaire, est particulièrement impressionnant.

Est-ce pour cela que Arlis commence à ressentir des présences mystérieuses, inquiétantes ? Est-ce pour cela qu'il est sujet à des apparitions, comme le lui avait expliqué Faith, sans qu'il y croie ? Et les personnages que lui envoie le Seigneur des Moissons se mettent à lui raconter une histoire qui va semer le doute dans l'esprit du garçon...

Lorsqu'on évoque le fantastique, avec des enfants, une Amérique profonde, on pense aussitôt à Stephen King. Il y a d'ailleurs un peu de ça, même si chez Mélanie Fazi, c'est du blé qui pousse, et pas du maïs. On retrouve une même atmosphère inquiétante et la candeur juvénile qui fait des protagonistes les cibles parfaites de manifestations surnaturelles.

Pourtant, limiter l'univers de Mélanise Fazi aux références à Stephen King serait réducteur. Il y a bien d'autres choses qui entourent Arlis et qui rappellent des romans comme "Morwenna", de Jo Walton, ou certains livres de Graham Joyce (d'ailleurs traduits par Mélanie Fazi). En fait, c'est ce qui fait la force et la richesse de l'univers fantastique de Mélanie Fazi : ses limites floues avec la réalité.

Il y a dans "Arlis des Forains" une certaine douceur, à l'image du personnage principal, ce garçon gentil, timide, presque effacé. Une douceur qui accompagne une vraie mélancolie. Oh, l'enfant ne qualifierait certainement pas ce qu'il ressent ainsi. Mais, il y a de cela, dans l'histoire d'Arlis, l'histoire d'un enfant de 11 ans qui commence à se poser des questions sur ses origines.

Au fil des années, il a eu droit à de multiples versions de sa découverte et de son adoption par les forains. En fait, les circonstances changent en fonction du moment et de la personne qui raconte... Ils sont ainsi, artistes à chaque instant de la journée, et Arlis s'y est fait. Mais, savoir qui sont ses parents et comment il s'est retrouvé chez Lindy devient un besoin de plus en plus impérieux.

Le voilà qui se retrouve devant Faith, une jeune fille qui a une famille et qui cherche à briser ce qui semble être un carcan. Au fil des pages, on comprend bien que la situation de la fille du pasteur est loin d'être parfaite. Et pourtant, elle est plus enviable aux yeux de celui qui n'a jamais eu vraiment de père ni de mère...

A Bailey Creek, dans ces champs immenses, Arlis décide de prendre le taureau par les cornes. Il découvrira son passé, ses origines, quel qu'en soit le prix. Il n'y a qu'une vérité, il sent qu'on la lui cache et il veut que cela cesse. Et il se pourrait bien que son meilleur allié dans cette quête soit le Seigneur des Moissons en personne...

Oui, il y a de la douceur et de la mélancolie, dans "Arlis des forains", mais il y a aussi de la colère, engendrée par les règles tacites en vigueur au sein de la troupe. On glisse les problèmes sous les tapis, on ne les affronte pas. On préfère les non-dits aux explications sincères, on tient un rôle en toutes circonstances, comme si la vérité ne devait pas exister.

Mais, pour Arlis, dont la vie change alors qu'il entre dans l'adolescence, tout cela devient insupportable (et on verra qu'il n'est pas le seul à ressentir cela). Ses vies rêvées, imaginées par d'autres, mais également par lui-même, ne lui suffisent plus. Il voudrait enfin qu'on cesse de le ménager. Ces contes ne sont plus que des mensonges.

Avec la colère, vient la violence, forcément. Elle est son corollaire, son inséparable compagne. La violence des sentiments, avant tout. Et la vie paisible d'Arlis risque bien de voler en éclats devant certaines révélations. Sans le savoir, c'est sa propre boîte de Pandore que le jeune garçon a ouverte à Bailey Creek.

On s'attache à ce garçon, comme au Rémi du "Sans famille" d'Hector Malot. On s'attache à lui comme à la mascotte de la troupe de forains, d'abord. Nous sommes alors des spectateurs parmi d'autres, accueillant les saltimbanques et se préparant à les applaudir sous leur chapiteau. Et puis, le point de vue change, lorsque l'on commence à suivre Arlis, à mieux le connaître.

On sent sa naïveté mais aussi sa détresse, ce que lui coûte de ne pas savoir d'où il vient, qui il est vraiment, si Arlis est son véritable prénom... On est devant un enfant qui grandit, simplement, qui cherche des repères solides sur lesquels s'appuyer. Et qui, paradoxalement, en partant à la recherche de son passé, essaye juste de poser les bases de son avenir.

Car où aller, si son univers se limite à la troupe et aux forains ? Comment envisager une vie différente, si jamais il se lasse du nomadisme et s'il ne réussit pas à devenir un artiste à part entière ? Où ira-t-il, lui, l'oiseau sorti d'un oeuf dont il ignore tout, s'il décide de quitter un jour le seul nid qu'il a connu ?

Il y a du merveilleux, dans "Arlis des Forains", c'est indéniable. Mais, l'enchantement s'assombrit rapidement. Insidieusement, devrais-je dire, à mesure que Arlis se pose des questions et cherche des réponses. L'atmosphère n'en demeure pas moins onirique et envoûtante, particulièrement lorsque la nuit tombe.

Sans oublier la peur, bien sûr, la peur de l'inconnu, de l'incompréhensible, de l'inexplicable aussi. "Arlis des Forains" n'est pas un roman dans lequel le fantastique bascule vers l'horrifique. C'est une quête initiatique, un roman qu'on pourrait presque qualifier de psychanalytique, tant Arlis puise dans les événements la force d'agir, de trouver les réponses qu'on lui cache.

Il y a un moment-clé dans ce livre. Je ne vais évidemment pas vous dire lequel ici. Mais il y a un moment fort, qui m'a laissé un instant pantois. La force de l'écriture de Mélanie Fazi réside également là, dans ces quelques lignes où, sans avoir l'air d'y toucher, elle nous assène un rebondissement qui change tout...

J'ai voyagé jusqu'à Bailey Creek, j'ai suivi Arlis dans les champs de blé, dans le sillage de Faith, j'ai accompagné le jeune garçon dans sa recherche de vérité. Oui, j'ai apprécié cet univers à la fois familier et pourtant totalement flou. Bailey Creek pourrait sortir tout droit d'un épisode de "la Quatrième Dimension", on s'attend à ce qu'il s'y passe n'importe quoi... Ou presque.

J'ai mis longtemps avant d'ouvrir un livre de Mélanie Fazi, je bats une dernière fois ma coulpe à ce sujet. Et, même si je ne suis pas un grand lecteur de nouvelles (ah, non, ce n'était pas le dernier battage de coulpe, j'en remets une couche), je ne laisserai pas traîner trop longtemps dans mes piles "Notre-Dame-aux-Ecailles" ou "le Jardin des silences".

J'en fais la promesse au Seigneur des Moissons !

jeudi 27 juillet 2017

"Nous sommes un cabinet d'ingénierie en occultisme industriel et commercial (...) Que pouvons-nous faire pour votre service ?"

Vous l'entendez, la petite note guillerette, aussi artificielle que l'odeur qui se dégage des désodorisants d'intérieur, cette amabilité forcée qui fait partie du bagage professionnel de tout bon standardiste ? En l'occurrence, comme l'entreprise en question ne comprend qu'un unique employé, son fondateur, c'est lui qui remplit aussi cette fonction d'accueil. C'est aussi lui qui est le narrateur du livre dont nous allons parler ce soir, un livre dont le titre est d'ailleurs son prénom : "Evariste". Signé Olivier Gechter, réédité en poche dans la collection Hélios sous la houlette des éditions Mnémos, c'est un roman de fantasy urbaine qui offre une variation pleine d'humour sur les romans noirs mettant en scène des détectives privés. La différence avec Marlowe, Spade et les autres, c'est que Evariste doit compter avec des phénomènes paranormaux et de la magie là où l'on trouve des armes plus traditionnelles habituellement. Un roman qui est servi par une savoureuse galerie de personnages, reprenant là aussi quelques fameux archétypes du roman noir...



Evariste Cosson a lancé sa boîte, "EC Consulting", dont il a installé le siège à la Défense. Une entreprise un peu spéciale, puisqu'il s'agit de fournir à d'autres entreprises des services d'un genre peu ordinaire : le paranormal. Ou le surnaturel. Ou tout autre mot pouvant qualifier ces phénomènes inexplicables pour le commun des mortels.

Bon, disons les choses franchement, c'est encore une jeune pousse, une entreprise balbutiante, et les premières affaires qu'il a traitées n'ont pas été passionnantes. Les clients ne se bousculent guère et les rares appels téléphoniques émanent de télévendeurs cherchant à lui fourguer un tapis, des fenêtres ou une cuisine tout équipée. Mais Evariste croit en sa bonne étoile et ne se décourage pas.

Ce jour-là, lorsque sonne le téléphone, il hésite à décrocher, redoutant de tomber sur un nouveau camelot. Mais, à l'autre bout du fil, c'est bien une cliente potentielle : Nadine Clédard. Elle est la gérante d'un cabinet de voyance par téléphone. Et, si le consulting végète, ce secteur-là est florissant. Nadine cherche de nouvelles recrues.

Mais, attention, pas question d'embaucher n'importe qui ! Le cabinet Elios emploie jusqu'ici des opératrices qui répondent aux clients ce qui leur passe par la tête Mais, Nadine veut changer d'ère et proposer un service sérieux à ses clients désormais. Autrement dit, elle souhaite remplacer les opératrices actuelles par de véritables médiums.

C'est donc aux qualités de chasseur de tête d'Evariste que fait appel Nadine Clédard : à lui de trouver une perle rare, un médium aux qualités avérées qui soit désireux de répondre aimablement à la clientèle et puisse leur apporter le service le plus satisfaisant possible, ce qui risque de ne pas courir les rues, même en élargissant les recherches à tout le Grand Paris...

Mais le jeune chef d'entreprise voit là l'occasion d'un marché fructueux, synonyme de mise à flot de son affaire (euh, à flot veut dire sur les flots, pas dessous...).  Reste à définir le profil exact que recherche Nadine pour occuper le poste prochainement créé. Et de découvrir que Nadine, en plus d'être une cliente potentielle, est une femme très séduisante.

Reste à trouver celui ou celle qui saura satisfaire la gérante du cabinet de voyance. Et là... il y a comme un os... Malgré la mise en oeuvre de toutes les ressources de "EC Consulting", la liste des candidats qui pourraient postuler est très restreinte. Et les candidats idéaux, eux, se comptent sur les doigts d'une main...

Plus ennuyeux encore, au cours de ses recherches, Evariste va susciter la colère et la réprobation de plusieurs personnes rattachées à une mystérieuse association : le Cercle des Arts Télésthésiques. Un mouvement qui souhaitent que les vrais possesseurs de dons médiumniques exercent leur art dans la plus grande discrétion. Et bénévolement.

Et, pour cela, le C.A.T. semble prêt à tout pour empêcher que des entrepreneurs tels que Nadine Clédard remplace ses opératrices qui racontent n'importe quoi aux gogos faisant appel à son cabinet de voyance par des personnes compétentes, capables d'apporter réconfort et confiance à des clients-rois... Voilà qui ne devrait pas faciliter la tâche du pourtant persévérant Evariste...

Je me suis bien amusé à cette lecture, qui joue et entrecroise les codes de différents genres, méthode que j'aime beaucoup. Ici, on retrouve la fantasy urbaine, avec ce Paris où opère la magie, où l'on peut invoquer les morts, où l'on croise des médiums parmi les populations les plus surprenantes... Tout ça au grand jour, à condition toutefois d'être initié.

Et puis, il y a le roman noir, avec Evariste dans le rôle du détective privé, remis un peu au goût du jour, puisqu'il ne démasque pas les maris adultères ou les escrocs à la petite semaine, mais vient en aide aux entreprises qui veulent réenchanter leur activité en y insufflant une bonne dose de paranormal.

Pourtant, bien vite, le voilà forcé d'endosser un costume bien plus proche de ces fameux détectives à l'américaine pour respecter son contrat avec sa nouvelle cliente (parfaite incarnation de la femme en détresse qui pourrait s'avérer à plus ou moins long terme fatale) et affronter des adversaires particulièrement remontés de le voir marcher sur leurs plates-bandes...

Evariste est encore jeune, il n'est pas aussi blasé que le sont les Marlowe ou les Spade, il n'est pas encore assez buriné par le temps, l'abus d'alcool, les soucis et les affaires sordides. Mais, il a déjà adopté le cynisme bon teint qui sied à sa situation de consultant paranormal. Et il en fait un usage exempt de toute modération.

Il faut dire que Evariste n'en impose pas physiquement. Il n'est pas costaud, il doit porter des lunettes s'il veut y voir quelque chose, il n'est ni un tombeur ni un bagarreur et se prend une bonne raclée de temps en temps. Mais, il a ce petit quelque chose qui en fait un personnage aussi attachant qu'il peut se montrer agaçant. Et puis, surtout, il maîtrise la magie sous différentes formes.

Ce n'est pas un grand mage, omniscient et omnipotent, mais il possède une palette assez large de compétences dans ce domaine et n'hésite pas à compléter régulièrement ce savoir. Des compétences indispensables dans son secteur professionnel, comme, par exemple, lorsque le musée du Quai Branly lui demande de s'occuper d'une de ses oeuvres qui semble être le vecteur d'une malédiction...

J'ai évoqué en préambule la galerie de personnages qui entoure Evariste. Je ne vais pas en faire un développement exhaustif, car il faut laisser dans l'ombre ceux qu'on va appeler, pour simplifier la donne, les méchants. Ils valent le coup d'oeil, mais aussi que vous fassiez leur connaissance en direct et non par mon intermédiaire.

Ce sera l'occasion de découvrir une drôle de troupe, des anti-super-héros, assez flippants parce qu'ils sont complémentaires dans la méchanceté et la violence... Mine de rien, on pourrait les croire sortis tout droit de Gotham, ou pire, des adaptations de Batman par Joel Schumacher... J'en frissonne rien qu'à l'idée... Et pourtant, ce seront de sacrés adversaires !

Parlons plutôt de celui qui sera le principal allié d'Evariste dans cette aventure. Il s'appelle Gidéon Bomba et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il fait impression lorsqu'on le rencontre pour la première fois... Originaire de Nouvelle-Guinée, il porte une barbe fournie, a des yeux au magnétisme indéniable, une silhouette trapue mais musclée...

Et surtout, il cache bien son jeu, histoire de rester bien tranquille dans son coin. Pas vraiment du genre liant, pas plus causant, ce cher Gidéon, mais une efficacité indéniable dès qu'il s'agit de parler magie... Sous son allure de SDF, se cache une personnalité riche, complexe, parfois inquiétante, mais téméraire et déterminé.

En fait, il est l'exact contraire d'Evariste, ou plus précisément son exact complément. Et le duo qu'il vont former, sans pourtant être toujours sur la même longueur d'ondes, va faire des étincelles, en mettant en commun leurs savoirs respectifs et en sortant de leurs sacs quelques tours remarquables. Mais aussi en prenant de gros risques.

Olivier Gechter s'amuse avec ses personnages et les compétences qu'il leur octroie pour transformer Paris en un champ de bataille magique. Il s'y passe d'un seul coup des choses bien étranges que la police, elle aussi impliquée dans cette affaire, peine à percevoir... Ainsi, le pauvre inspecteur Lepigeon (le bien nommé), malmené tout au long du roman, toujours en retard d'un ou deux trains.

Il m'a rappelé les policiers comme Ganimard, l'éternel poursuivant d'Arsène Lupin que sa cible ridiculise régulièrement en s'échappant à son nez et à sa barbe. Mais, Lepigeon est surtout un brave type qui n'a pas la moindre idée de ce qui se passe réellement. La magie, il ne croit sans doute même pas à son existence. Et la tête d'Evariste ne lui revient manifestement pas.

L'univers de ce roman, dont l'intrigue n'est pas forcément ce qui importe le plus, finalement, est riche, référencé, plein d'humour noir et d'ironie féroce, jouant avec les codes, mais aussi les clichés (en particulier ce qui touche à la magie, avec une série de notes de bas de page qui sont souvent très drôles). Et le spectacle lui aussi est au rendez-vous, quand se déchaînent les sorciers.

Olivier Gechter s'est lancé récemment dans un nouveau cycle, "le Baron noir", autre projet dans lequel il mélange les genres, steampunk, uchronie et espionnage, me semble-t-il. Il semble que "Evariste" doive rester un one-shot. Dommage, j'ai terminé cette lecture en ayant envie de retrouver le fondateur de "EC Consulting" et son alter ego, Gidéon Bomba.

Oui, j'aimerais les retrouver dans de nouvelles aventures et de nouvelles enquêtes pleines de magie et d'explosions. J'aurais aimé voir sa société prospérer ou, au contraire, voir Evariste contraint d'accepter n'importe quelle affaire, apparemment bien naze, mais ouvrant en fait vers de grandes aventures et de grands dangers.

Je ne sais pas si c'est dans les projets de l'auteur de reprendre cet univers et ces personnages dans un futur plus ou moins éloigné ou s'il en a abandonné l'idée pour diverses raisons. Ne voyez pas dans cette remarque un élégant (et discret) appel du pied, mais il y a un peu de ça : rendez-nous Evariste Cosson, consultant en occultisme industriel et commercial !

mercredi 26 juillet 2017

"Ce petit chimpanzé, promis à une mort certaine il y a moins de trois ans, a gravi, un à un, les échelons du rêve américain".

Une dernière lecture dédiée à la jeunesse (pour cette fois, bien sûr) avec un roman qui n'est pas un roman de SFFF, même si son thème a de quoi stimuler l'imagination et le rêve. Levons la tête, regardons le ciel et pensons à tous ceux qui, depuis une soixantaine d'années, ont voyagé au-delà de l'atmosphère, dans l'espace. Avant eux, les héros de la conquête spatiale furent des animaux et c'est justement à l'un d'entre eux que notre livre du jour rend hommage. Certains d'entre vous connaissent peut-être Fabienne Blanchut comme scénariste d'albums pour la jeunesse (citons les collections "Zoé, princesse parfaite" et "les Coquinettes"), mais, depuis cette année, elle se lance dans l'écriture de romans jeunesse. "1749 miles" (publié aux éditions De plaines en vallées) est le premier à paraître. Que vous soyez un jeune lecteur de 12 ou 77 ans, pour parodier une célèbre formule, je n'ai aucun doute : les histoires de Ham et de Joshua devraient vous émouvoir...



Joshua Shapiro est primatologue et il se prépare, en ce début d'année 2013, à donner une conférence comme il en a donné tant d'autres au long de sa carrière. Pourtant, alors qu'il approche des 70 ans, ce moment-là s'annonce très particulier et l'émotion l'étreint déjà. Un long voyage l'attend, mais celui qu'il entreprend d'abord est un voyage dans le passé, dans son passé.

A l'été 1957, alors qu'il s'apprête à fêter ses 13 ans, Joshua apprend qu'il va devoir quitter la ville de San Francisco, où il est né. En effet, son père, général de l'US Air Force, vient d'apprendre qu'il est muté au Nouveau-Mexique. Les Shapiro, les parents, Lucy, la soeur aînée de Joshua, Joshua lui-même et le chien de la famille auront déménagé là-bas d'ici cinq semaines...

Le choc est grand pour ce jeune garçon si timide, qui bégaye et s'évanouit quand les émotions sont trop fortes. Il va devoir quitter tout ce qui constituait son existence jusque-là et partir à l'inconnu. En plus, le Nouveau-Mexique, à côté de la côte californienne, ça fait moyennement envie... Mais Joshua suit le mouvement sans trop savoir à quoi ressemblera sa nouvelle vie.

Elle va d'abord ressembler à une base militaire, une base aérienne, pour être précis. Le père de Joshua va travailler au Holloman Aerospace Medical Center pour travailler sur le projet ultra-secret que les Américains mettent en place dans l'urgence pour conquérir l'espace. Un enjeu fondamental en cette période de Guerre froide...

En effet, les deux superpuissances sont au coude-à-coude dans cette course à l'espace, mais l'avantage est bien aux Soviétiques. A la fin de cette année 1957, le programme Spoutnik est lancé avec succès et le monde découvre la chienne Laïka, premier être vivant mis en orbite autour de la Terre. La réponse américaine doit être forte pour compenser ce retard, synonyme d'échec.

Joshua, lui, est outré qu'on ait ainsi sacrifiée la pauvre chienne pour ces expériences. Et sa colère grandit encore quand il apprend que son père va travailler sur le même genre de projet. Mais pas avec des chiens. La NASA a acquis des chimpanzés, qu'elle entend former au voyage dans l'espace, sous la houlette du général Shapiro...

Parmi eux, un tout jeune singe, sans doute retiré trop tôt à sa mère, paraît si mal en point que personne ne sait s'il pourra survive. Pourtant, il va s'accrocher et rejoindre la base d'Holloman sous le nom de "Numéro 65". Mais, pour Joshua, il va bientôt devenir Ham. Entre eux, quelque chose qui ressemble à une formidable amitié.

Et bientôt, Ham va entrer dans l'histoire en allant dans l'espace...

Je n'en dis pas plus, car l'histoire de Ham vous est racontée dans le livre. C'est une histoire vraie, que Fabienne Blanchut relate en y mêlant la partie fictionnelle que représente les Shapiro. Mais, le parcours du chimpanzé, lui, est tout ce qu'il y a de plus réel et absolument fascinant, tant il en dit long sur la proximité de ces animaux avec l'être humain.

D'ailleurs, on plonge brièvement dans les pensées de Ham, lors de certains passages, on découvre ses pensées, on ressent ses impressions, on découvre ce qu'il faut bien appeler des sentiments. A la fois personnage central de "1749 miles" et présence fugace, il marque le lecteur dès sa première apparition et l'on est ensuite pas près de l'oublier.

Alors, oui, évacuons tout de suite le sujet qui fâche, on peut aussi s'offusquer du traitement qui fut infligé à ces animaux pour faire avancer la science humaine. Laïka a payé le prix fort, sans doute empoisonnée alors qu'elle était encore en orbite pour lui éviter un retour trop incertain. Ce ne sera pas le cas de Ham, et c'est la suite de l'histoire. L'après voyage dans l'espace.

Et ce lien si fort avec Joshua. En fait, plus que les personnages pris individuellement, c'est bien cette amitié hors norme, d'une solidité qui ne disparaîtra jamais qui est le véritable thème de ce roman. Une relation qui dépasse ce qu'on va appeler la barrière des espèces, quelque chose qui relève de l'instinct autant que de l'intelligence. Et du coeur...

Il y a en fait plusieurs histoires dans ce roman, celle de Joshua, sa jeunesse, son déménagement et sa rencontre avec Ham ; le parcours de Ham lui-même, avec ses propres interventions ; les préparatifs, en 2013, de la conférence que doit donner Joshua ; le voyage, qui, vous le verrez, ne sera pas une sinécure ; enfin, la conférence proprement dite.

Sans qu'on puisse parler de suspense, il me semble important de ne pas trop en dire sur les autres fils du récit. En effet, Fabienne Blanchut met en place, entre fiction et réalité, des situations qui sont tour à tout très touchantes et amusantes, et qui constituent l'architecture du livre. Lisez "1749 miles" et la simple vue d'une pomme devrait vous plonger dans la mélancolie ou vous donner un franc sourire.

C'est aussi pour cela que je ne vais pas vous expliquer le sens du titre de ce livre. On a beau toujours se mélanger les pinceaux dans les conversions, il est évident que cette distance est bien trop faible pour évoquer un voyage dans l'espace. Non, l'explication est différente, mais elle a aussi un sens à la fois symbolique, mais tout à fait tangible.

De la même manière, cette conférence à laquelle doit participer Joshua est organisée dans un contexte particulier, là encore extrêmement touchant lorsque l'on en comprend les tenants et les aboutissants. Et tout au long du livre, à part les premières pages, avant l'apparition du chimpanzé, on peut dire qu'on ne pense plus jamais à Joshua sans penser à Ham et réciproquement.

J'ai lu ce livre d'une traite, une fin d'après-midi, regrettant que cela passe si vite. Je ne sais pas si on aurait pu développer plus largement la partie consacrée à Ham et à son extraordinaire expérience. Peut-être aurait-on aussi pu aller plus loin dans la partie qui suit le voyage, je pense en particulier au fait de lui redonner la parole... Je chipote !

Fabienne Blanchut saisit avec justesse ce lien qui unit Ham et Joshua, par des gestes simples, des expressions... Sans tomber dans un anthropomorphisme de mauvais aloi, elle présente tout de même l'animal comme un être sensible, doté d'émotions et d'une forme d'intelligence. De mémoire, aussi, et ce n'est pas anodin. Bref, il y a un message fort aussi sur la place des animaux dans la société.

"1749 miles", je le disais en introduction, n'est pas du tout un roman de science-fiction, comme on pourrait le penser en voyant la couverture. Non, les "Astrochimps", les chimpanzés de l'espace, ainsi qu'on surnomma Ham et ses congénères, ont contribué aux progrès de la science. Une étape très brève, puisque le vol de Youri Gagarine fera entrer les recherches dans une nouvelle phase.

Pour autant, si l'on doit le classer en littérature blanche, il se dégage de tout cela une nostalgie, mais aussi un rêve qui demeure, malgré les années, le progrès, les objectifs martiens désormais en vogue... Nous sommes tous, et les lecteurs à qui se destine ce roman plus encore, des Joshua. C'est un livre qui parle à notre âme d'enfant, et je vous assure que ce n'est pas un cliché.

A la fois, on se retrouve le nez dans les étoiles, sans peut-être mesurer tout à fait ce que ces informations devaient représenter à l'époque, et à la fois, on fond devant ce lien si particulier qui ne semble pouvoir exister qu'entre un enfant et un animal. Je suis un vieux lecteur, désormais, mais je crois que, si j'avais lu ce livre à 12 ou 13 ans, je l'aurais dévoré de la même façon.

Un dernier mot, sur quelque chose d'important : la transmission. Il y a celle qui passe par Fabienne Blanchut vers ses lecteurs. Mais, il y en a une lancée à l'instigation de Joshua dans l'histoire. Nous vivons dans un monde blasé, trop gâté. Mais aussi rempli d'incertitudes, de doutes. Nous sommes bien souvent, des plus jeunes aux plus âgés, trop terre-à-terre...

Or, Joshua insuffle du rêve dans les existences des personnes qui l'écoutent raconter son extraordinaire histoire. Sans jeu de mots, il met des étoiles dans les yeux des spectateurs, et particulièrement des plus jeunes d'entre eux. Et, j'en suis certain, cela dépasse le récit pour toucher également les lecteurs, eux aussi spectateurs des événements, mais plus distants.

Merci à toutes celles et tous ceux, écrivains et artistes qui, dans tous les domaines, permettent ainsi de réenchanter nos vies qui tombent trop vite dans la grisaille. Les scientifiques eux aussi, par leurs recherches, leurs découvertes, contribuent à cela. Et à créer des vocations, également. Ou à nourrir nos rêves...


Je ne voulais pas finir sans vous montrer Ham. Je n'ai pas trouvé la photo de lui aux côtés de JFK, évoquée dans le livre. Mais, si vous tapez son nom dans un moteur de recherche, on en trouve beaucoup. Je les trouve bouleversantes, même celles qui pourraient prêter le plus à polémique. J'en ai choisi une. Simplement parce qu'on y voit le Ham du livre. Et qu'on aimerait que ce soit Joshua avec lui...


mardi 25 juillet 2017

"Le monde n'existe que parce que nous l'inventons en permanence. Si vous oubliez ça, vous vous condamnez à la stagnation".

Un beau résumé du travail d'écrivain et du processus de lecteur, aussi, puisque le premier crée des univers, le second les reconstruit à sa manière... On reste dans la littérature jeunesse, avec un roman qui va vous dépayser, et pas uniquement parce qu'il débute à Madagascar. Préparez-vous à une odyssée (le mot n'est pas choisi au hasard) mouvementée dont l'objectif n'est rien moins que sauver le monde. Mais, pas de super-héros à l'horizon, non, juste des adolescents qui vont prendre conscience d'une chose : c'est entre leur main que réside l'avenir de la planète. Avec "Lemuria" (en grand format au Diable Vauvert), Ménéas Marphil propose une quête initiatique à plusieurs dimensions, sortie de l'enfance, mais aussi prise de conscience d'enjeux qui dépassent les destins individuels, et développe une vision de l'histoire où les mythes retrouvent une place qu'on leur a retirée.



Angelette et Andry ont 11 ans et vivent à Madagascar. Ils sont cousins et très complices, car ils ont passé la plupart de leurs vacances ensemble depuis leur plus jeune âge. Mais, cette fois, lorsqu'ils se retrouvent, l'un et l'autre sont inquiets. Chacun voudrait partager un secret avec l'autre, mais hésite à le faire de peur de se faire railler.

Pourtant, lorsqu'ils s'ouvrent l'un à l'autre, aucune moquerie. Au contraire, de la stupéfaction. Car ces secrets qu'ils redoutaient tant de révéler sont exactement les mêmes ! Depuis un certain temps, Angelette et Andry, qui ne vivent pas dans le même coin de la Grande Île, ont ressenti le même phénomène et, par la même occasion, la même frayeur.

En effet, depuis des semaines, ils ont régulièrement l'impression que quelque chose, à défaut de pouvoir mettre un autre mot sur cette sensation, que quelque chose les attrape par les chevilles, comme pour les attirer. D'abord, un souffle, puis, cette impression de saisissement, le phénomène s'amplifie. Et se fait de plus en plus fréquent depuis quelques jours...

Andry a même vu les créatures qui sont venus lui chatouiller et lui attraper les chevilles. Il n'a aucune idée de ce qu'ils sont vraiment, mais ils se sont présentés à lui sous une forme aisément reconnaissable pour ce jeune Malgache : des animaux vivants sur l'île, des Lémuriens. Mais ceux-là sont bien plus gros que ceux que l'on peut voir dans certaines zones de l'île !

La nuit suivant leur discussion, ces créatures entrent à nouveau en contact avec les deux jeunes gens. Mais, cette fois, elles ne se contentent pas d'un contact physique : elles se montrent et s'adressent à Angelette et Andry, essayent de les rassurer tout en leur montrant leur puissance. Puis, elles leur transmettent un message.

Elles ressemblent bien à des lémuriens, en bien plus gros, mais, et c'est très impressionnant, ne semble pas avoir de visage. Pas le temps d'avoir peur, ce qu'elles leur disent est encore plus inquiétant : la civilisation humaine est en grand danger. Et elle l'est par sa faute, parce qu'elle commet sans cesse des erreurs qui la conduiront inexorablement à sa perte si elle ne change pas.

Et les Lémuriens, appelons-les ainsi, expliquent qu'ils recherchent des messagers capables de pouvoir transmettre leur avertissement à l'humanité pour qu'elle change pendant qu'il est encore temps. Et Angelette et Andry feront partie de ces messagers, ainsi qu'une centaine d'autres jeunes gens, en espérant que leurs paroles feront ensuite tache d'huile.

Les deux jeunes gens ont du mal à comprendre exactement ce que l'on attend d'eux. Quel message devront-ils relayer, exactement ? Et comment convaincront-ils leurs parents, leurs amis ? Les Lémuriens leur expliquent qu'ils sauront tout en temps et en heure. Et, pour cela, ils leur proposent un voyage vers ce qu'ils appellent l'Hazoumang. Là, on leur apprendra tout ce qu'ils devront savoir...

Bientôt va débuter ce merveilleux mais dangereux voyage aux côtés des Lémuriens à la recherche de la sagesse des Aînés, tombée dans l'oubli. Angelette, Andry et des dizaines d'autres jeunes vont accomplir cette odyssée qui va changer ce qu'ils ont, mais surtout, leur permettre d'acquérir une vision du monde dans lequel ils vivent complètement différentes.

Voilà une présentation bien mystérieuse... Les lecteurs qui connaissent déjà Ménéas Marphil auront quelques repères supplémentaires, puisque ce n'est pas la première fois que l'auteur nous emmène à Madagascar, île chère à son coeur. Son premier roman, premier volet d'une trilogie, "la fabuleuse histoire des lunes de Pandor", s'intitulait "Abracadagascar" et il y était déjà question de l'Hazoumang.

Pour ceux qui vont découvrir cet univers particulier, pas de panique, il est tout à fait possible de commencer par lire "Lemuria", les histoires n'étant pas liées, mais l'univers, lui, forcément est proche. Peut-être aurez-vous envie de poursuivre l'aventure en compagnie de Ménéas Marphil, à la découverte non seulement de Madagascar, mais d'un univers très riche dont nous allons parler.

Bien sûr, il y a Madagascar, terre riche en traditions, qui est le point de départ de l'histoire. Puis, il y a ce voyage. A ce que j'en dis, je serais curieux de savoir comment vous l'envisagez. C'est justement l'un des intérêts de ce roman : qui sont donc ces étranges créatures qui prennent contact avec les deux jeunes Malgaches ?

L'idée même de prise de contact renvoie à la science-fiction, on entend cette expression et on pense aussitôt "extraterrestres". Et qui dit extraterrestres, dit voyage spatial, logique, emballé, c'est pesé ! Oui... Mais non, justement... Les Lémuriens ne sont pas des extraterrestres, c'est même plutôt l'inverse, on devrait en fait les qualifier d' "intraterrestres".

Eh oui, c'est vers l'intérieur de la Terre que l'on va se diriger, même si ce voyage-là n'a pas grand-chose à voir avec celui de Jules Verne. Cette plongée au coeur de notre planète est une façon de remonter aux origines de l'humanité, à travers les différentes ères qui sont comme les racines de cet arbre que Ménéas Marphil appelle l'Hazoumang.

Je ne vais pas entrer dans le détail, d'autant que je ne suis pas tout à fait assez calé sur le sujet. Ce que je peux en dire, c'est que le choix de donner l'apparence de lémuriens, ces primates si mignons, aux créatures qui viennent au devant des Humains n'est pas du tout un hasard. Et le lien avec Madagascar n'en est que plus fort.

Ce qu'on peut facilement dire, en revanche, c'est qu'au fil des ères, l'humanisation s'est accompagné d'un détachement avec la nature, dont le sort devient de plus en plus accessoire... Et c'est tout l'enjeu du message qui accompagne "Lemuria" : prendre conscience que l'homme, actuellement, est en train de détruire son bien le plus précieux.

Mais, avant de parvenir à cette prise de conscience, avant que cette jeune génération contactée par les Lémuriens ne puissent changer les choses, proposer l'entrée dans une nouvelle ère qui rompe avec les précédentes et reprennent le chemin initié par les plus anciens de nos prédécesseurs, il va falloir mener à bien ce voyage, que certains ne verront pas d'un bon oeil...

L'imaginaire de Ménéas Marphil est très riche, on le voit bien à travers l'ensemble de sa bibliographie. S'y mêlent de nombreux éléments, philosophiques, mythologiques, historiques, littéraires. C'est le cas dans ce roman, avec de nombreuses références qui apparaissent au fil des chapitres et du développement du récit.

Je n'en ferai pas la liste exhaustive, d'abord parce que j'en ai forcément loupé, ensuite parce que ce serait fastidieux et que cela nuirait certainement à votre lecture. Mais évoquons tout de même la mythologie grecque, bien représentée dans "Lemuria", à travers la rencontre avec certains personnages qui en sont directement issus.

Ils font le lien avec la littérature, puisqu'on retrouve ces personnages chez Homère et Virgile, parmi d'autres auteurs de l'Antiquité. Et c'est bien pour cela que je parlais d'odyssée pour qualifier le voyage entrepris par Angelette et Andry. On y retrouve un certain nombre d'éléments communs avec les classiques de l'Antiquité, dans le mélange, en particulier, entre réalité et merveilleux.

On peut évoquer également l'univers de Lovecraft, que l'on devine à travers certains indices semés par l'auteur. Ah, oui, ce n'est pas parce qu'on est dans de la littérature jeunesse qu'il faut rester passif ! Utilisez les moteurs de recherche, en particulier quand vous croisez des noms de personnages ou de lieux. Cela ouvre de nombreuses portes.

J'ai apprécié cela chez Ménéas Marphil : sa façon de partager, sans lourdeur, sans clins d'oeil appuyés qui détonent et font sortir le lecteur de l'histoire, ses références, ce qui nourrit son imaginaire. Et Lovecraft en fait partie, même si l'on peut se dire que de jeunes lecteurs ont bien le temps de le découvrir, lui et son univers si sombre.

C'est aussi l'occasion de revenir à une de mes marottes : l'importance de l'accompagnement des jeunes lecteurs. Oh, pas de manière envahissante, il faut laisser leur imaginaire se former, se forger. Mais, je crois à la sérendipité qui permet d'aiguiser la curiosité du lecteur et de lui faire découvrir quelques portes dérobés qu'il franchira, s'il le désire, par la suite, à condition qu'on le guide un peu.

Enfin, la dernière référence que je vais évoquer, concerne le nazisme. Ménéas Marphil le tourne en ridicule, à travers une espèce de dictateur fantoche et de son âme damnée. Mais, comme pour les Lémuriens, on comprendra que cette présence n'a rien d'un hasard. Là encore, cela répond à la logique que l'auteur met en place, à travers l'évolution de mots et de concepts au gré de l'Histoire.

Vous le voyez, c'est un roman très riche que nous avons en main. On prend le jeune lecteur au sérieux, on lui donne du grain à moudre, de quoi réfléchir et ce, à plusieurs niveaux. On l'enrichit, on lui ouvre des horizons. Le tout, en proposant un très agréable divertissement, car on se prend au jeu de cette aventure, on a envie de suivre Angelette et Andry au bout de cette folle histoire.

"Lemuria", c'est une belle initiation à l'humanisme, à l'écologie, l'occasion de mener, à la suite des personnages principaux du roman, sa propre prise de conscience. Sa remise en question, lorsqu'on est, comme c'est mon cas, un peu plus âgé (oh, à peine...) que les lecteurs auxquels ce roman est destiné. Pour ceux qui en douteraient encore, l'imaginaire est aussi une manière de parler du monde réel et de travailler à le rendre meilleur.

lundi 24 juillet 2017

"Quand on séjourne trop longtemps dans l'ombre du Dragon, on n'en sort pas indemne".

Un vent de jeunesse souffle sur le blog ces jours-ci et l'on reste dans la fantasy à destination des lecteurs à partir de 13 ans. Et nous serons amenés à croiser à nouveau quelques monstres, à la fois très différents de Zalim, que nous évoquions dernièrement, mais tout aussi dangereux et maléfiques... Direction la cité de Selenae où il se passe des choses pas jolies jolies autour de l'Empereur-Mage. Et pour que ça change, ce souverain vieillissant a besoin d'aide. Voilà le point de départ de "l'Appel du Dragon", un cycle de Jean-Luc Bizien dont les éditions ActuSF rééditent la première moitié dans la collection Naos, des Indés de l'Imaginaire. Préparez-vous à suivre des aventures mouvementées dans un univers très sombre, en compagnie de trois personnages centraux, une jeune fille et deux jeunes garçons, dont on va découvrir les qualités, le courage, mais aussi les zones d'ombre... Et l'on verra grandir et évoluer les principaux protagonistes de ce cycle au fil des histoires...



L'Empereur-Mage est fatigué. Âgé, usé, il sait qu'il n'aura pas l'énergie nécessaire pour lutter contre les forces du mal qui menace l'empire et voudrait bien se trouver un successeur. Pour cela, il faut lancer une sorte d'appel à candidats à destination des plus courageux prêts à gagner Selenae, où se trouve le trône d'onyx de l'Empereur-Mage. Mais y parvenir est particulièrement dangereux.

Le chemin qui y mène est semé d'embûches, il faut traverser des souterrains particulièrement dangereux. Et si l'on y parvient, par force ou par ruse, c'est pour émerger dans les arènes de Selenae où une ultime épreuve attend les éventuels survivants. Et cela fait des lustres que personne n'a réussi à se sortir de ce parcours des combattants...

Comme le temps presse, l'Empereur-Mage décide de dépêcher le grand prêtre de la Lune sombre, Arh'En Dal, pour qu'il parte à la recherche de jeunes gens dont les aptitudes, le courage, le maniement des armes ou de la magie leur permettront de se lancer dans cette terrible aventure et de briguer le trône de l'Empereur-Mage.

Bien sûr, le grand prêtre le sait bien, ce recrutement fera apparaître des candidats au coeur pur mais d'autres, probablement plus nombreux, qui seront d'abord guidés par leur ambition et leur soif de pouvoir. Mais les difficultés qui les attendront seront suffisantes pour assurer une sélection drastique. Seuls les meilleurs arriveront jusqu'à Selenae.

Parmi les jeunes gens que Arh'En Dal va guider vers les épreuves menant à Selenae, on trouve Kaylan, un adolescent intrépide, impulsif, mais aussi naïf qu'il semble sûr de lui. Il est le fils d'un ancien soldat venu s'installer dans un village à l'écart de la capitale comme paysan. Cet homme voudrait que son fils unique l'aide et reprenne ses terres, mais l'adolescent n'a aucun goût pour cela.

Il rêve de bien d'autres choses, et particulièrement d'aventures. Alors, quand le grand prêtre se présente à la porte de leur maison, Kaylan se porte volontaire au grand dam de son père, qui se résigne pourtant à le laisser partir. Quant au grand prêtre, il craint que la trop grande assurance du garçon soit un lourd handicap dans sa quête...

Aux côtés de Kaylan, part une jeune fille, Sheelba. Apprentie magicienne, elle aussi s'ennuie et considère sa vie comme un simple train-train. Certes, elle est encore inexpérimentée, mais elle pense maîtriser suffisamment son don pour tenter l'aventure avec de bonnes chances de franchir tous les obstacles et de parvenir jusqu'au trône d'onyx.

Au total, ce sont plusieurs dizaines de jeunes gens qui partent à la suite d'Arh'En Dal, tous sûrs de leurs forces, de leurs talents, de leur ruse. Tous persuadés qu'ils seront le prochain Empereur-Mage. Le grand prêtre doute pourtant que le successeur attendu se trouve au milieu de ces garçons et filles qui n'ont aucune idée des dangers qu'ils vont encourir.

Bientôt, ils ne pourront plus revenir en arrière. Bientôt, ils seront livrés à eux-mêmes et devront faire le choix de compter sur les autres ou, au contraire, de mener leur quête en solitaire. Certains vont renoncer, peut-être les plus sages, ou les plus lâches. Les autres, eux, vont entreprendre un voyage dont ils ne reviendront sans doute pas...

Au dernier moment, la troupe va voir un ultime renfort se joindre à elle. Un personnage un peu particulier : c'est un voleur, pris la main dans le sac alors qu'il faisait les poches des clients d'une auberge. Plutôt que de le pendre haut et court, ses victimes ont eu une autre idée : confier son sort au grand prêtre, puisque les chances de survivre aux épreuves sur la route de Selenae sont minimes.

Voilà comment Shaar-Lun va se retrouver lui aussi en route pour Selenae. Il est séduisant, habile, rusé, mais peu digne de confiance, puisque tous les autres savent que c'est un voleur. Il possède pourtant de nombreuses qualités qui pourraient s'avérer utiles au cours de la quête, s'il accepte de jouer le jeu.

Désormais, ils sont prêts à se lancer dans la plus difficile des épreuves, dont le nom seul fait trembler : la gueule du Dragon. C'est ainsi qu'on a surnommés les souterrains qui forment un véritable labyrinthe sous la citadelle de Selenae. Le pire endroit de l'Empire. Et encore, les candidats au trône d'onyx n'ont aucune idée de ce qu'ils vont devoir affronter...

Avant d'aller plus loin, quelques précisions sur le livre dont nous parlons. "L'Appel du Dragon" rassemble en fait deux histoires qui se suivent. Le résumé ci-dessus est celui de la première, "le Souffle du Dragon", qui est suivi par "L'Eveil du Dragon", dont je ne dirai rien. Ce sont deux histoires indépendantes qui se suivent.

"Le Souffle du Dragon" et "l'Eveil du Dragon" avaient déjà été publiés, chez Bayard, en deux tomes, ActuSF a choisi de les rassembler en un seul et le propose dans cette collection Naos, destinée aux aux adolescents et aux jeunes adultes. Un deuxième livre, qui contiendra deux autres histoires, dont une inédite, si j'ai tout bien compris, devrait suivre prochainement dans cette même collection.

Intéressons-nous maintenant à ces personnages évoqués plus haut. J'en ai sorti trois du lots, ils sont évidemment ceux qui vont porter l'histoire, mais les autres candidats à cette aventure ne doivent pas être oubliés, car c'est bien grâce à eux (ou à cause d'eux, plutôt) que Kaylan, Sheelba et Shaar-Lun vont se retrouver au premier plan.

Kaylan, c'est le fanfaron du lot, sûr de lui, de sa force. Insouciant, impétueux, susceptible, un peu casse-pied, quoi. Il s'enflamme vite, mais une fois les grandes manoeuvres entamées, la réalité va rapidement se charger de lui remettre les pieds sur terre et de lui apprendre la modestie et la modération... Il en va de sa survie !

Sheelba est certainement plus posée que son compagnon de voyage, mais elle aussi a péché par orgueil, en se lançant dans cette aventure. Oui, elle maîtrise la magie, mais elle a encore tant à apprendre ! Et puis, surtout, elle a négligé un élément très important : recourir à la magie est épuisant et, dans les souterrains de Selenae, on n'a le droit à aucun moment de faiblesse.

Enfin, Shaar-Lun, le roublard, le malin, celui qui a l'oeil qui frise, la remarque moqueuse au coin des lèvres et toujours un tour dans son sac. C'est aussi le plus énigmatique des personnages de ce roman, celui qu'on cerne le plus difficilement. Et, forcément, cela le rend inquiétant. Pour ses compagnons de voyage, comme pour le lecteur.

Qui est-il vraiment ? Un simple voleur de grand chemin ? On en doute rapidement, ce garçon cache des choses, c'est évident... Ou pas ? Ou alors, ce sont les autres qui ont des secrets ? Bref, au fur et à mesure que la quête se déroule, le lecteur perd certains repères et cherche la petite bête... Ah, les gentils et les méchants, ce n'est plus si évident que cela !

Mais, les personnages ne sont pas la seule chose qui vient troubler le lecteur : le contexte aussi. On l'a dit, il va falloir se dépêtrer du labyrinthe qui se trouve sous la citadelle de Selenae, plus plat de résistance que hors d'oeuvre, et du genre indigeste. Le hic, c'est que les lieux sont encore plus mal fréquentés qu'on ne l'imaginait !

Un mot sur un très beau personnage, Lucius. Il apparaît bien plus tardivement que les autres, on le rencontre par hasard. Il m'a touché, ce garçon, par sa fragilité, mais aussi son apparente inconscience des dangers qui l'entourent. "Heureux les simples d'esprit..." se dit-on en le voyant, sauf que son royaume à lui a quelque chose d'infernal...

On ne s'ennuie pas une seconde, pour être franc, j'aurais même aimé une aventure plus développée, mais c'est ainsi, je suis un vieux lecteur, je l'ai déjà dit. Et amateur de pavés, en plus... Alors, on se console avec une seconde histoire impliquant les mêmes personnages. Difficile d'en parler, car cela en révélerait trop sur ce qui se passe dans "le Souffle du Dragon".

Toutefois, le titre de cette deuxième aventure donne un indice clé : "l'Eveil du Dragon"... La bête n'est donc peut-être pas qu'une légende... A vous de découvrir cette autre histoire qui ne manque pas de piquant (non, ne cherchez pas de jeu de mots, il n'y en a pas). Avec un curseur qui monte d'un cran dans la noirceur.

Eh oui, comme souvent en fantasy, et peu importe la tranche d'âge, les quêtes sont aussi des quêtes initiatiques, au cours desquelles les personnages évoluent, changent, apprennent, se révèlent, s'endurcissent, mûrissent... C'est exactement le cas ici, chacun apparaissant à la fin sensiblement différent de la première impression qu'il nous a laissée.

Cet "Appel du Dragon" est assez classique, bien sûr, mais je dis ça avec un regard de lecteur ayant une certaine habitude de la fantasy. Mais, c'est certainement une bonne entrée vers le genre pour de jeunes lecteurs qui ne connaissent pas encore et, plus généralement, un excellent divertissement pour des collégiens, par exemple.

Je suis assez curieux de voir quelles nouvelles aventures les personnages devront affronter à l'avenir, dans le prochain livre. De voir aussi si ce cycle va rester aussi sombre, avec des menaces qui apparaissent avec brutalité. Et puis, parce que Jean-Luc Bizien nous laisse sur un cliffhanger du genre qui agace le lecteur impatient, je ne vous dis que ça !