mercredi 26 septembre 2012

"Le tambour attend avec la patience des objets inanimés et pourtant il guérit avec la vie elle-même."

Troisième expérience livresque avec Louise Erdrich, grande romancière américaine, au style certes austère, mais à la grande humanité. Une nouvelle fois, elle nous emmène au coeur de la communauté amérindienne, loin des stéréotypes et des images d'Epinal souvent véhiculées, mais dans la réalité de leur vie aujourd'hui, sans occulter les difficultés et les aspects les plus délicats. Grand merci à LivrAddict et au Livre de Poche qui ont permis cette lecture de "Ce qui a dévoré nos coeurs", pas une lecture simple (surtout à raconter) mais à propos de laquelle il y a beaucoup à dire.


Couverture Ce qui a dévoré nos coeurs


Faye Travers vit dans le New Hampshire où elle tient avec sa maman, Elsie, un magasin d'antiquités. On fait aussi appel à elles pour des expertises, lors de successions, par exemple. Sans qu'on ait beaucoup de détails, on comprend que la vie de Faye n'a pas toujours été rose et que, si ce n'est pas le Pérou aujourd'hui, c'est toujours un retour dans des eaux plus calmes.

Faye entretient une relation difficile et clandestine avec un des nombreux artistes qui ont choisi ce coin tranquille des Etats-Unis pour venir s'installer. Kurt, son amant, est un sculpteur d'origine allemande qui se rêvait auteur d'oeuvres monumentales et légendaires, mais qui vivote, tardant même à honorer ses commandes. Pour l'aider, il a engagé Davan Eyke, un jeune désoeuvré local. La relation entre Davan et Kendra, la fille de Kurt, va tourner au drame...

Un drame qui, outre les deux jeunes gens, va faire une victime collatérale : John Jewett Tatro, vieil excentrique qui vit dans une des plus vieilles maison de la région, une de ces baraques typiques de la Nouvelle-Angleterre, remplie d'un bazar incroyable. Car, chez les Tatro, on ne jette rien, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme... ou se stocke.

C'est Faye qui est justement chargée par la famille d'inventorier les possessions du défunt, ce qui s'annonce compliqué, tant il y a de choses rangées en vrac dans chaque pièce de la maison. Or, le grand-père de Tatro était un agent du Bureau des Affaires Indiennes, dans une réserve où naquit la propre grand-mère de Faye. De cette expérience, la famille Tatro a récupéré (spolié ?) bon nombre d'objets fabriqués par les tribus ojibwés.

Un héritage dont la fille de Tatro semble se désintéresser complètement. Elle donne carte blanche à Faye pour recenser le bric-à-brac, ce à quoi celle-ci s'attelle avec un enthousiasme mesuré... Jusqu'à ce que, lors de son exploration, elle tombe sur un objet qui va réveiller beaucoup de choses en elle, à commencer par ses racines culturelles et familiales, mais pas seulement...

C'est objet, c'est un tambour, incroyablement décoré, une pièce magnifique qui pourrait rapporter une fortune du fait de sa rareté. Mais, prise d'une impulsion soudaine, Faye emporte (vole ?) le tambour avec elle et le ramène chez elle, souhaitant le conserver malgré les avertissements et les reproches d'Elsie, qui craint un retour de bâton à cet acte.

Mais, c'est comme si le tambour avait envoûté Faye. Comme si elle l'entendait jouer, alors que personne n'y touche, et comme si cette mélopée venait la prendre aux tripes, au coeur et lui procurer un bien-être inédit, apaisant ses douleurs d'enfance, passant un baume musical sur des cicatrices jamais refermées, essentiellement les circonstances de la mort de sa petite soeur.

Faye et Elsie décident donc de ne pas rendre le tambour à ses propriétaires, mais à la famille ojibwé dont l'un des membres a fabriqué cet objet magnifique et mystérieux, espérant mieux comprendre l'attraction irrésistible qu'il provoque. Le retour du tambour dans son giron originel va, là encore, faire tomber des digues, celles de souvenirs enfouis. Et voici comment Faye et Elsie (et le lecteur, par conséquent) vont apprendre la véritable histoire de ce tambour...

Une histoire terrible, tragique, que je vous laisserai découvrir, bien sûr, mais qui va révéler des secrets familiaux qui expliquent pourquoi cette famille a un jour laissé partir ce tambour si important... Parce que les secrets qu'ils recelait alors étaient impossible à porter pour une famille déjà éprouvée.

Mais, avec ce retour au bercail, le tambour prodigue va donner toute sa mesure, agir là encore sur ces insupportables douleurs qui gangrenaient l'âme des descendants du créateur de l'instrument. Cette histoire si dure à verbaliser, enfin sortie de la bouche de Bernard Shaawano, petit-fils de celui qui a construit avec patience, amour et désespoir ce tambour, va trouver son apaisement dans la mélopée étrange de cet instrument dont personne ne joue...

Ainsi revenu entre les mains qui l'ont façonné, l'instrument va maintenant pouvoir faire entendre ses battements pour de bon et ce son si particulier saura apaiser les douleurs, les différends familiaux, les difficultés lourdes et redonner l'espoir... Même Faye, à son retour dans le New Hapshire, se sentira apaisera, soldera enfin les comptes, aura quelques éclaircissements sur le jour funeste où disparut sa soeur et se découvrira l'envie de redémarrer une nouvelle vie.

Rien de surprenant, d'ailleurs, à ce que ce soit Faye qui ait retrouvé et réveillé le tambour : elle habite sur Revival Road...

Oui, ce tambour a quelque chose de magique. Oh, ne pensez pas que "Ce qui a dévoré nos coeurs" soit un roman fantastique, ce n'est sûrement pas le cas. Pourtant, l'imprégnation des traditions et des croyances amérindiennes, d'abord refoulée par Faye mais réveillée par ce tambour, est réelle. La seconde partie du livre, le récit des évènements tragiques qui ont abouti à la fabrication du tambour, nous plonge dans une histoire typique des récits amérindiens et c'est la partie la plus passionnante et la plus terribles du livre.

Le roman est construit en 4 parties, dont la première et la dernière reprennent les mêmes personnages, Faye, Elsie, Kurt, dans le New Hampshire. La seconde, c'est donc le genèse du tambour et la troisième, son réveil en tant qu'instrument de musique et outil d'une médecine du coeur et de l'âme que seule la foi et la confiance peuvent expliquer... Bien sûr, il y a un peu de surnaturel dans le fonctionnement du tambour, on peut le voir ainsi. Mais on peut aussi dire qu'il renvoie aux racines, à la matrice, aux liens indestructibles de l'amour familial, un amour qui parfois se distend, jusqu'à se rompre, même, mais qui jamais ne disparaît complètement, parce qu'il s'inscrit de manière indélébile dans chacune des cellules de notre être.

Ce que le tambour réveille, ce sont ces liens qui nous unissent tous à nos proches, des liens éprouvés par la vie et ses vicissitudes, des sentiments qui se ternissent ou qu'on laisse se ternir avec le temps, faute de savoir les exprimer, faute de savoir, par la parole, exorciser les malheurs qui nous arrivent. Le tambour libère la parole, libère l'âme de ces poids moraux qui l'entravent depuis longtemps, parfois.

Ancrée au sein d'une communauté amérindienne déboussolée, qui a peu à peu perdu ses repères culturels, ses racines, diluées dans la société américaine à laquelle il a fallu s'intégrer pour éviter une exclusion plus radicale, cette histoire vient nous rappeler ce qui devrait être l'essentiel : d'où nous venons et grâce à qui nous sommes là. Nos ancêtres, nos racines, dont notre existence s'est nourrie, même indirectement.

Faye, Bernard, les deux narrateurs nommés du roman, ainsi que Ira, mère de famille débordée qui sera la première, avec ses trois enfants, à bénéficier de la musique ressuscitée du tambour, se sont, pour des raisons diverses, éloignés de ces racines, en grande partie pour oublier des évènements graves ou pour gérer des secrets trop lourds à porter. le tambour va réveiller leur conscience de Native Americans, comme si, à travers ses personnages et les battements du tambour, Louise Erdrich cherchait à réveiller toutes les consciences amérindiennes encore vivaces aux Etats-Unis, afin qu'elles se souviennent de la force et de la brillance de leur culture originelle, de leurs peuples ancestraux dont les gènes survivent en eux.

Mais, je crois qu'on peut aisément étendre la démonstration de Erdich à toute la population, à tous ses lecteurs, en premier lieu, évidemment. Car ce que montre me livre, au final, c'est que tous, nous devons nous libérer de ces entraves, ne pas laisser la douleur s'enkyster au plus profond de nous jusqu'à handicaper nos sentiments, mais percer les abcès avant l'infection quand il est encore temps.

Pas pour guérir le mal, oh non, hélas, ces choses-là demeureront toujours gravées en nous, mais à les atténuer et à les partager, parce que l'union fait la force, bien sûr, et qu'une douleur portée à plusieurs est un peu plus légère...

Et, en cela, on se débarrasse de ce sentiment horrible qui nous ronge de l'intérieur lorsqu'on se pense responsable, à plus ou moins grande échelle, de ces malheurs terribles. Car, la voilà, la vraie thématique que Louise Erdrich met en avant dans ce roman : ce qui a dévoré nos coeurs, c'est la culpabilité, voilà l'ennemie, voilà de quoi le tambour vient libérer les personnages de ce roman, tous lentement érodés par la culpabilité...

A chacun d'entre nous de trouver ce qui sera notre tambour et nous permettra, à nous aussi, de relativiser nos maux.


samedi 22 septembre 2012

"Personne ne se doutait qu'on hébergeait un héros."

J'ai attendu 48h après avoir refermé le livre pour vous en parler. Je ne voulais pas le faire trop à chaud. Car je suis sorti bouleversé de cette lecture, comme rarement cela m'arrive. Bouleversé, et un peu honteux aussi... Parce qu'à la lecture du nouveau roman de l'écrivain guinéen Tierno Monénembo, "le Terroriste Noir" (publié au Seuil), il y a de quoi être bouleversé et honteux devant le destin d'un personnage aussi impressionnant que Addi Bâ, surnommé "le Terroriste Noir" par les nazis. Des sentiments d'autant plus fort que, si le livre est  bien un roman, il s'inspire de faits réels, des faits étonnants, parfois troubles, des faits qui ont été oubliés avec les ans, avant de retrouver une existence 60 ans plus tard.


Couverture Le Terroriste noir


Nous sommes en 2003. Les Vosges, en particulier le canton de Lamarche, dans la plaine vosgienne, célèbrent la mémoire d'Addi Bâ, tirailleur originaire de Guinée, exécuté en 1943 à Epinal pour faits de résistance. La médaille de la résistance vient enfin de lui être décernée et le village où il a passé les 3 dernières années de sa vie vient de dévoiler une plaque à sa mémoire et de donner son nom à sa rue principale.

Pour cette occasion, on a fait venir de Guinée le neveu d'Addi Bâ, qui, curieusement, porte le même nom. Apparemment, retrouver la famille du tirailleur n'a pas été une mince affaire, mais ce neveu, douanier au pays, a accepté de venir dans les Vosges représenter sa famille, son village, dans ces cérémonies bien tardives.

Là, il rencontre Germaine Tergoresse, qui a conservé ces 6 dernières décennies quelques effets ayant appartenu à Addi Bâ. Elle a voulu rencontrer ce neveu venu de si loin pour les lui remettre mais aussi pour lui raconter le destin héroïque et dramatique de son oncle, dans ces temps si difficile où ce petit coin paisible des Vosges a été rattrapé très concrètement par la réalité du monde et par cette guerre, qui pouvait vraiment prendre le qualificatif de mondiale.

"Le terroriste noir", c'est donc le monologue de Germaine qui, comme ça lui vient, sans véritable fil conducteur, va raconter à cet homme noir qu'elle rencontre pour la première et sans doute la seule fois de leur existence, non seulement la vie d'Addi Bâ entre 1940 et 1943, mais aussi comment on l'a redécouvert pour enfin lui rendre les honneurs qu'il mérite.

Addi Bâ est né aux alentours de 1916 dans un village de Guinée. Mais, suite à une étrange prophétie dont son père a été témoin, il quitte sa famille à 10 ans pour Conakry, d'abord, puis la France, 3 ans plus tard. Il a été "confié" à un homme blanc, fonctionnaire français un peu surpris de ce "cadeau", mais qui va le ramener en métropole. C'est donc à Langeais, en Touraine, qu'il grandit.

Lorsque la guerre éclate, il devient tirailleur (tous les tirailleurs étaient sénégalais, dit Germaine, d'où qu'ils viennent) et participe à la drôle de guerre, jusqu'à ce que son destin bascule lors de la bataille de la Meuse, en mai 1940. Son régiment y est décimé lors de l'avancée nazie et Addi Bâ s'en sort de justesse, blessé et isolé.

Ne sachant où aller, il est découvert par hasard dans une forêt des Vosges par un père et son fils, les Valdenaire, qui cherchaient des champignons ! Le choc est d'autant plus fort que c'est la première fois que ces deux Vosgiens, rarement sortis de leur village, voient là pour la première fois un homme à la peau noire... Mais cela n'entre pas dans leurs considérations, ils décident d'aider ce soldat mal en point en lui fournissant de quoi ce nourrir et de quoi se soigner...

Peu à peu, Addi Bâ, qui reste muet, ne donne même pas son nom à ses sauveurs, va retourner vers la vie. S'installer dans le village des Valdenaire et reprendre une vie presque normale. Presque, car il refuse de quitter son uniforme de tirailleur, ce qui risque de lui valoir des soucis dans une France désormais occupée. Presque aussi parce que sa religion musulmane détonne forcément un peu...

Mais bientôt, il va devenir un Vosgien parmi les Vosgiens. Pris sous son aile par Yolande Valdenaire, épouse et mère des deux hommes qui l'ont découvert, Bâ a désormais une maison, un vélo sur lequel il commence à sillonner la région, des amis... La relation avec Yolande deviendra même assez particulière, lui l'appelant Maman, et elle, mon fils...

Car Addi Bâ est un homme à femmes... En quelques mois, sa réputation de tombeur fera le tour de tout le canton... On lui prête des aventures un peu partout et lui ne cache pas son amour immodéré des femmes... Ce qui ne sera pas sans aboutir à quelques désagréments par la suite...

Pour autant, il ne faudrait pas oublier que, si la guerre en tant que telle est terminée, la France est sous occupation nazie et, pour certains, c'est comme si la guerre continuait sous d'autres formes... En tout cas, pour les Allemands, il s'agit, par des moyens violents, d'imposer leur autorité... Cela vaudra à Bâ d'être arrêté, par hasard, conduit dans une prison. Son sort semble alors scellé : soit il rejoint les régiments "d'indigènes" que les nazis ont mis en place et à qui ils confient des tâches ingrates et dévalorisantes, soit il se retrouvera dans un camp en Allemagne ou plus loin encore, soit ce sera le poteau d'exécution...

Mais Bâ a des ressources et de la chance, aussi, si on peut dire... Le gendarme chargé de le transférer ne goût guère l'occupation nazie. Il lui file un tuyau qui va permettre à l'Africain de s'évader. ce qu'il réussit à faire. Retour à la case forêt vosgienne, dans des conditions de vie terrible puisque l'hiver est arrivé...Un hiver rude déjà pour un Vosgien pur sucre, alors, imaginez pour un Guinéen !

Là encore, il obtiendra l'aide de Vosgiens bienveillants, dont les Tergoresse, la famille de Germaine, 17 ans, lorsqu'elle voit Addi Bâ pour la première fois. Après cette évasion, le tirailleur, au caractère impétueux, soldat dans l'âme, va disparaître de plus en plus souvent, sur son vélo... Il vient d'entrer en résistance. Un résistance encore embryonnaire dans la région, mais les Vosges et leurs forêts intéressent particulièrement les têtes pesantes rassemblées à Londres et chargées de coordonner cette résistance...

Alors, naturellement, des Lorrains vont être contacté pour mettre en place des réseaux et même... les premiers maquis, afin de mener des actions pour désorganiser l'ennemi et préparer le terrain à un futur débarquement allié, déjà envisagé. Et ces Lorrains, qui ont eu vent de la présence de Bâ mais aussi de son expérience militaire, vont lui confier l'organisation de ce maquis...

Une tâche pas évidente, dont celui que les Allemands appellent désormais "le terroriste noir" va s'acquitter, profitant de la mise en place du STO pour récupérer ceux qui refusent de partir travailler en Allemagne. Planqué au milieu des forêts vosgiennes, ravitaillé par les producteurs du coin, ce premier maquis rassemblera 150 personnes environ, prêtes à en découdre... Mais comment et avec quelles armes ? L'impatience grandit, c'est elle qui aura raison de Bâ et de son action...

Rassurez-vous, si ce résumé vous paraît long, il ne fait qu'effleurer le récit de Germaine Tergoresse. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir dans le roman de Tierno Monénembo. En particulier parce que le livre, évidemment centré sur la personne d'Addi Bâ, est aussi une formidable chronique sur la vie d'une village de la France profonde sous l'occupation.

Un vrai tour de force, car le Guinéen Monénembo réussit vraiment à reconstituer la vie quotidienne dans les Vosges à cette époque, vocabulaire à la clef, on sent qu'il a creusé son sujet et ses personnages sont plus vrais que nature. Tout comme, hélas, ce qu'il raconte... Un village divisé en deux clans, deux familles, séparées par des différends ancestraux qu'on se transmet de génération en génération... Les Tergoresse d'un côté, les Rapenne, de l'autre. Des familles qui ont des origines communes, qui sont liées par le sang, on est tous cousins, dans ces villages...

Alors, on voit naître un étrange et étonnant parallèle entre la sociologie de ce village des Vosges et celle d'un village africain... Des points communs que met en lumière l'auteur, comme pour expliquer la facilité avec laquelle Bâ s'est intégré à cette population pourtant si différente et a été accepté par ces gens simples, aux idées pas toujours très larges.

En lisant "le terroriste noir", avec ses Vosges, ses forêts, ses villages où planent des secrets inavouables, des rancoeurs toujours prêtes à éclore, son ambiance lourde, encore alourdie par la guerre et ses conséquences quotidiennes, avec l'arrivée d'un "intrus", comme l'est Addi Bâ, je n'ai pu m'empêcher de penser qu'on avaot là des ingrédients qui auraient pu servir à Pierre Pelot pour nous donner un roman noir, très noir, dont il a le secret...

Mais Monénembo nous offre un roman qui vaut aussi par ce qu'il ne raconte pas... Car la vie d'Addi Bâ, avant même son arrivée dans les Vosges, est et restera pleine de zones d'ombre... Plutôt que d'essayer de combler les vides, comme il aurait pu le faire en tant que romancier, l'écrivain joue avec ces données inconnues pour tisser une sorte de légende, celle d'un héros oublié et redécouvert sur le tard.

La plus importante de ces zones d'ombre, c'est pourquoi et par qui Addi Bâ a-t-il été trahi... Il n'existe que des hypothèses, qui font froid dans le dos. Car, sans doute, n'a-t-il pas été trahi pour sa couleur de peau ou sa religion, même pas parce qu'il était entré en résistance, mais parce qu'il était un bouc émissaire idéal pour régler des comptes personnels en familles... Oui, un différend personnel a sans doute précipité la perte d'Addi Bâ, homme courageux et finalement, bien plus patriote que bien des Français dits "de souche" à la même époque. Et, avec lui, des hommes et des femmes courageux qui l'avaient suivi dans cette aventure... Un gâchis incroyable.

Mais, la vraie trahison a eu lieu à la Libération... Lorsque Bâ sera écarté des honneurs parce que noir et musulman... Alors, on va l'oublier. Oh, pas seulement à Paris, même dans les villages vosgiens qu'il a fréquentés pendant trois ans. Comme si, dans son sillage, tant de souffrances avaient été subies, qu'on ait été résistant, simple citoyen ou même un peu trop proche de l'occupant... D'un commun accord, accord tacite, instinctif, presque, ces villageois vont effacer Addi Bâ de la mémoire collective...

Et lorsqu'à la fin des années 90, on redécouvrira cette incroyable histoire, qu'on commencera à parler d'honneurs posthumes, la rumeur arrivera jusque dans les Vosges, par l'intermédiaire d'une femme étonnante, militante de toutes les causes en vogue, rebelle, ruant sans cesse dans les brancards, à la vie dissolue aux yeux des autres villageois (une lesbienne, quand même !), détesté parmi les siens, un brin mytho aussi, mais dont l'action débouchera enfin en 2003 par le baptême d'une rue au nom d'Addi Bâ dans le village. Et, chose incroyable, le maire de l'époque dira à cette femme qu'elle se trompe, qu'il n'a jamais entendu parler d'un soldat noir dans le village... Incroyable...

Evidemment, il n'est pas question de faire le procès d'une France rurale, isolée, repliée sur elle-même et vivant plus ou moins en vase clos. Encore moins de pointer du doigt le département des Vosges et ses habitants, sans doute ce genre d'histoire aurait-il pu se dérouler dans bien des régions à la même époque. Et peut-être même avec bien moins de tolérance pour ce "nègre"...

Mais la chronique de Monénembo vaut aussi pour cela, par cette mesquinerie qui tue, par ces secrets qui empoisonnent la vie de villages entiers, et pour longtemps, par ces rancoeurs déjà existantes qui s'exacerbent un peu plus, par cette lâcheté qui pousse à l'oubli plutôt qu'au souvenir de ses fautes...

Mais, que vaut un pays qui fait le tri parmi ses héros selon des critères qui n'honorent pas la République renaissante, comme si elle prolongeait le cauchemar d'un régime immonde ? Désormais, Addi Bâ est reconnu, enfin, 60 ans après sa mort, et Tierno Monénembo lui rend un hommage fervent et passionnant, ainsi qu'à ceux et celles qui le suivirent dans sa quête de liberté (en particulier Yolande Valdenaire, sa "maman"...).

Il n'est pas le seul à perpétuer la mémoire du "terroriste noir". Pour ceux qui veulent prolonger la découverte de cet homme étonnant, un héros plein de failles, de contrastes, sans doute pas un homme parfait, mais un homme courageux et plein de conviction, voici un blog qui lui est consacré et sur lequel vous retrouverez une bibliographie plus complète : http://addiba.free.fr/

Je termine en vous disant que j'espère que vous partagerez mon enthousiasme à propos de ce livre. Certes, j'ai des raisons personnelles de me sentir aussi ému face à cette histoire, mais je la pense universelle, bouleversante pour tous, que vous ayez ou pas vécu dans les Vosges.

J'espère également que nombreux seront mes amis Lorrains à lire ce roman et à se souvenir de cet épisode historique qui les concernent directement.


mercredi 19 septembre 2012

Maman est en voyage d'affaires...

Voilà près de 10 ans, que le temps passe vite, j'achetai un livre dont le titre m'intriguait : "autobiographie d'une courgette". Un très bon moment de lecture, plein d'émotions, allant du rire aux larmes. Avec, au coeur de l'histoire, les questions du deuil et de la solitude posée à un jeune enfant. Aujourd'hui, par la grâce d'un célèbre réseau social, j'ai eu l'occasion d'avoir quelques discussions intéressantes avec Gilles Paris, auteur de ce roman, et, de fil en aiguille, l'envie de lire son dernier livre, "Au pays des kangourous" (en grand format aux éditions Don Quichotte). Grand merci à vous, Gilles, pour ces échanges et pour ce livre.


Couverture Au pays des kangourous


Simon, 9 ans, est un petit garçon timide, curieux et rêveur. Il vit avec son papa, Paul, écrivain mais pas romancier, non, Paul écrit les livres des autres, qui oublient toujours de le remercier en citant son nom, et avec sa maman, Carole, cadre supérieure chez Danone, véritable working girl qui a choisi de faire passer sa carrière avant tout.

Preuve de cette ambition, Carole a accepté un poste qui l'oblige à passer la majeure partie de son temps en Australie, le pays des kangourous, comme l'appelle Simon. Un pays qui attire tellement Carole qu'elle y passe de plus en plus de temps, laissant son époux et son fils à Paris, loin d'elle... Il faut reconnaître que, même lorsqu'elle est là, Carole ne manifeste pas un enthousiasme débordant envers sa famille...

Simon, narrateur du roman, est témoin de disputes de plus en plus fortes entre ses parents et lui-même se sent un peu délaissé par cette mère qui ne s'est jamais vraiment occupée de lui. Et qui, les responsabilités aidant, semble s'éloigner de son foyer un peu plus chaque jour.

Jusqu'au jour où, semble-t-il, son travail au pays des kangourous l'accapare tellement qu'elle ne revient plus. Une absence qui intrigue Simon mais qui chamboule plus encore son père. Un matin, en se levant, l'enfant trouve son père allongé dans la cuisine, la tête dans le lave-vaisselle. Et Paul se montre manifestement peu désireux de quitter cette posture peu ordinaire et quelque peu gênante...

Simon appelle alors à sa rescousse Lola, sa grand-mère paternelle, une femme plutôt originale, pour ne pas dire extravagante, qui va le prendre sous son aile pendant "l'absence" de son père. Le jeu de mots est facile, mais derrière lui se cache une douloureuse réalité : Paul a sombré dans une profonde dépression. Fini la lueur vert feuille dans le regard devenu gris terne, finies les attentions et les gestes affectueux envers Simon, finies les grasses matinées dominicales et les après-midis DVD...

Entre le départ de sa mère, qu'on imagine définitif, et la défaillance de son père, ce sont tous les repères du garçonnet qui s'effondrent d'un bloc. Et, à 9 ans, difficile de comprendre le monde qui vous entoure. Alors quand tout ce qui vous permettait d'avancer, ou presque, tout ce qui vous protégeait et vous permettait de vivre sans crainte ni souci disparaît, c'est toute votre existence qui change, qui devient inquiétante, impossible à anticiper...

Ses planches de salut sont sa grand-mère Lola, chez qui il va habiter pendant que son père est hospitalisé, et les amies de celles-ci, une bande de "vieilles dames" indignes, amatrices d'ésotérisme et complètement loufoques, que Simon appelle (affectueusement ?) les sorcières.

Et puis, il y a Lily. Cette petite fille étrange aux yeux violets que Simon rencontre à chacune de ses visites à son père. Elle semble régner sur ces hôpitaux telle une princesse de contes de fée et prend le pauvre Simon, perturbé, perdu, sous son aile. Elle le rassure, lui qui voit en elle la soeur qu'il aurait rêvé d'avoir, lui assure que tout cela n'est qu'un état passager, non permanent, que tout reviendra bientôt à la normale.

A propos de Lily et de ses apparitions, on peut se poser énormément de questions. Mais, sans doute chaque lecteur a-t-il un avis personnel sur le sujet, donc, je ne vous influencerai pas... Elle est le lien entre la réalité et l'imaginaire dans lequel Simon a l'habitude de se réfugier lorsque la réalité devient trop pesante. Car, régulièrement, il s'évade dans des rêves qu'il nous raconte, des rêves d'une naïveté touchante, où il revisite les  cahots de sa jeune vie à sa sauce.

Lancé dans une vie de Bohême, l'enfant s'accroche à tout ce qui peut lui sembler stable, immobile, gravé dans le marbre. Difficile, pourtant, de prendre pour devise cette magnifique phrase prononcée par Lily : "je vérifie que rien ne change, c'est rassurant". Il va falloir quelques mois de tourbillon avant que la vie de Simon, et celle de son père, ne retrouve des mers plus calmes... Avec une douloureuse vérité à la clef, mais aussi, de nouvelles pages à écrire, à commencer par ce dixième anniversaire qui approche...

Bien sûr, si vous avez lu "Autobiographie d'une Courgette", vous trouverez dans "Au pays des kangourous", pas mal de points communs. A commencer par les thèmes centraux de ces histoires : la façon dont un jeune enfant affronte la disparition d'un de ces parents, rapidement suivi par l'abandon (absolument pas volontaire, précisons-le) du second parent.

A chaque fois, le regard enfantin sur ces situations difficiles engendre un cocktail d'émotions qui va du sourire aux larmes. Bien sûr, il est terriblement touchant, le petit Simon, désemparé devant ce monde de grandes personnes qu'il ne comprend pas. Mais il est aussi en perte totale de repères à un âge où l'on a bien besoin des guides que sont nos parents. Sa mère est au Pays des Kangourous, son père à l'hôpital, et ce n'est guère le mode de vie un peu foutraque de Lola, sa grand-mère, amoureuse d'un forain, qui améliorera la situation.

Sans jouer, une nouvelle fois, les psys de bazar, on peut légitimement se demander quelle part de lui Gilles Paris a mis de lui-même dans ses romans. La douleur qu'on y sent serre le coeur, mais le talent de romancier de Paris, c'est de "l'enfouir" sous la naïveté rafraîchissante du garçon, que ce soit Icare, surnommé Courgette, ou Simon.

Plutôt que d'aborder de front les délicates questions du deuil et de la dépression, comme on le voit parfois dans la littérature contemporaine, mais plus encore dans ces témoignages de célébrités qui envahissent les gondoles et les rayonnages des librairies, Gilles Paris a choisi ce biais original et qui allège considérablement l'atmosphère qu'est le regard de l'enfant. Pour autant, il ne met pas sous le tapis les vrais problèmes auxquels ses personnages sont confrontés, c'est bien ce prisme de l'ingénuité qui modifie la perception des choses.

Une méthode qui donne une grande impression de tendresse. Ce petit Simon, on a envie de le dorloter. Je crois que si j'étais à la place du père et de la grand-mère de Simon, je serais, comme eux, bien embêté pour lui expliquer la situation. Les mots de résolvent pas les situations, pire, ils peuvent les aggraver... Simon ne comprend pas ce qui arrive à son père, ni sa maladie, ni la "grosse bêtise" qu'il va commettre (heureusement sans succès) au cours de son hospitalisation, et il sera bien temps, quand il sera lui-même adulte, de réfléchir plus sérieusement à tout cela. Peut-être ira-t-il même alors au Pays des Kangourous pour y comprendre ce qui y attirait tant sa maman ?

En attendant, il s'agit de préserver l'enfance de Simon et voilà à quoi s'évertuent Lola, son forain et les sorcières. Voilà aussi le véritable rôle de la mystérieuse Lily, permettre d'évoquer avec des mots d'enfants des choses indicibles...

Une tâche complexe, car tout rêveur et gentil que soit Simon, c'est aussi un enfant inquiet, attentif à ceux qu'il aime, avec un regard aiguisé sur ce qui compose sa vie quotidienne. Et trouver son papa la tête dans le lave-vaisselle, même s'il ne comprend pas bien pourquoi, il sait tout de suite que ça n'a rien de normal.

Il faudra du temps et beaucoup d'amour pour que la vie de Simon retrouve son cours de long fleuve tranquille. Enfin, pas tout à fait, car d'autres changements se profilent, mais ceux-là, pour le meilleur.

"Au pays des kangourous" a beau traiter de sujets graves, difficiles, on n'en sort pas moins avec des étoiles dans les yeux (peut-être même de couleur vert feuille) mais aussi plein de sujets de réflexion. J'ai déjà employé le mot tendresse, mais ce roman en transpire, il y a aussi de beaux moments de joie, comme cette virée à la Foire du Trône avec les sorcières ou ces souvenirs de pique-niques en famille au Bois de Boulogne...

Mais ce que j'en retiens, c'est que le bonheur, c'est simple comme de toutes petites attentions, de tous petits gestes. Une main qui enserre un menotte, un baiser sur le front... Et que, face aux coups durs, aux embûches que la vie semble prendre plaisir à semer sous nos pas, il est important, fondamental, de conserver son âme d'enfant, bien au chaud, quelque part dans son coeur.


samedi 15 septembre 2012

« Qui tue le lion en mange, qui ne le tue pas est mangé » (proverbe arabe).

Il y a des auteurs que je retrouve avec plaisir car je sais qu'ils vont me faire sourire et même rire. L'humour, en littérature, se fait rare, alors quand on trouve un auteur qui sait raconter de bonnes histoires avec la pointe de rigolade qui va bien, on ne le lâche pas. Voilà pourquoi je me plonge toujours avec plaisir dans les thrillers de Nelson DeMille, en particulier sa série mettant en scène John Corey, flic au cynisme réjouissant, en toutes circonstances. C'est une nouvelle fois le cas, malgré un contexte lourd et une menace latente, dans "le retour du Lion", publié en grand format chez Michel Lafon (pas de sortie poche annoncée pour le moment).


Couverture Le Retour du Lion


L'action se déroule peu de temps après le 11 septembre 2001, l'Amérique est sur ses gardes, prête à se lancer sur le sentier de la guerre et pourtant, déjà oublieuse des erreurs commises pour aboutir au désastre. Asad Khalil, terroriste libyen surnommé "le Lion", pourtant présent sur la liste des personnes les plus recherchées au monde, profite de ce relâchement de l'attention pour revenir aux Etats-Unis, où il a des comptes à régler.

En 1986, lors des bombardements américains visant le pouvoir de Khadafi, la majeure partie de la famille de Khalil a été tuée, le laissant plein de haine et de colère. Quelques années plus tôt, avant que le World Trade Center ne soit la cible d'attentats de très grande envergure, Khalil avait déjà frappé sur le sol américain (cf "la vengeance du Lion", du même auteur), réussissant à tuer plusieurs des pilotes américains ayant participé aux bombardements en Libye. Mais, il avait failli se faire prendre avant d'achever sa tâche, ne parvenant à s'échapper qu'in extremis, en tuant plusieurs agents et au nez et à la barbe de John Corey et de Kate Mayfield, deux agents chargés de le récupérer pour l'amener devant la justice.

Après avoir disparu pendant des années des écrans radars, le Lion revient donc aux Etats-Unis pour accomplir la deuxième partie de sa vengeance. Un dernier pilote est en tête de liste, mais aussi Corey et Mayfield, désormais mari et femme et travaillant tous deux pour une nouvelle agence anti-terroriste mise en place après le 11 septembre, l'ATTF.

Commence une odyssée sanglante, depuis la Californie jusqu'à New York. Le lion est aussi insatiable qu'impitoyable...

Et, lorsqu'il s'en prend à Corey et sa chère Kate, c'est avec une ruse effrayante. la scène sans doute la plus spectaculaire du livre est l'agression de Kate par Khalil alors qu'ils sont en train de sauter en parachute. Corey est aussi de la partie, impuissant témoin de l'agression de celle qu'il aime... Pourtant, presque miraculeusement, il va lui sauver la vie de justesse... mais en laissant s'enfuit un Lion qui n'en a pas fini avec lui...

Plus d'effet de surprise, désormais, Corey sait que le Lion est de retour et qu'il est sa proie... Mais le flic à l'humour dévastateur, un brin misogyne, pas très politiquement correct quand il évoque l'Islam et peu respectueux de sa hiérarchie, qui le considère comme un franc-tireur et se méfie de lui et de ses réactions, a lui aussi l'intention d'en finir une bonne fois pour toute avec Khalil. Corey aussi est en colère et le duel ne peut, on le sait, que se solder par la mort d'au moins un des deux protagonistes.

Les supérieurs de Corey ont beau essayé de le mettre hors de l'enquête, il parvient toujours à revenir par la fenêtre après avoir été expulsé par la porte. Tout en menant sa propre enquête, Corey disposant de quelques intuitions qu'il a choisies de garder pour lui, l'agent réfractaire aux ordres de ceux qui ne veulent pas écouter ses idées aussi alarmistes que fondées va tout faire pour retrouver Khalil avant que celui-ci ne le retrouve...

Attaquer le premier pour reprendre l'avantage, malgré la dizaine de cadavres que le Lion a déjà laissée derrière lui... Mais, pour mener à bien son projet, Corey va accepter de jouer le jeu en devenant l'appât idéal pour le Lion. Officiellement, il n'est plus sur l'enquête, mais il doit mener une vie de jeune veuf (Kate est gardée au secret dans un hôpital de New York et la nouvelle de sa mort a été mise en circulation), faire comme si de rien n'était et amener Khalil à l'approcher afin que les agents du FBI et du NYPD lui tombe dessus...

Corey sait bien que ce plan est voué à l'échec, que jamais le Lion ne tombera dans un piège aussi simpliste. Alors, il cherche à remonter la piste du Lion. Ca passera par le club d'un des mentors de Khalil. Boris, ancien agent du KGB, a aussi travaillé pour les services libyens après la chute du Mur de Berlin. Il y a formé le jeune Khalil, lui a appris à tuer, pas à canaliser sa colère. Boris aussi est une cible, car il a fui la Libye pour les Etats-Unis avant d'être éliminé par les hommes de Khadafi et a donné pas mal de renseignements sur le régime de Tripoli à la CIA.

Aujourd'hui, Boris est rangé des voitures, il dirige un club à la mode à Brighton Beach, le quartier russe de New York... Mais Corey est certain que Boris est à ses côtés, en haut de la liste des personnes que Khalil veut éliminer avant de partir. Là encore, en secret, il entre en contact avec Boris, persuadé que celui-ci pourra l'aider à débusquer le Lion...

Le jeu de cache-cache va se prolonger ainsi, en jouant au plus malin, jusqu'au duel final, presque une scène de western en plein New York. Un duel à mort entre deux hommes, mais pas seulement. Car plus le temps passe et plus Corey est persuadé que Khalil n'a pas pris le risque de revenir aux Etats-Unis juste pour assouvir sa vengeance. Le flic à l'intuition aiguisée et l'expérience de terrain incontestable redoute le pire.

Et s'il avait raison ?

"Le retour du Lion" est vraiment construit comme un drame en trois actes. D'abord, l'arrivée du Lion et le début de son rallye sanglant à travers les Etats-Unis, premier acte qui s'achève avec l'agression de Kate lors du saut en parachute. Deuxième acte : l'enquête. Corey et ses collègues n'ont plus de doute, Khalil est là, plus déterminé que jamais. Il continue à tuer pendant que l'ATTF s'organise péniblement. Ce deuxième acte est aussi celui de l'attente, pour un Corey devenu chèvre pour appâter le Lion. Une partie centrale qui repose beaucoup sur la psychologie des personnages et l'impatience de Corey. Et puis, troisième et dernière partie, où tout s'accélère, le duel final, qui ne s'arrêtera pas à la mort de l'un ou de l'autre. Car la thèse de DeMille à travers ce roman, c'est que les USA ne sont plus à l'abri et que l'attention ne doit jamais se relâcher, sinon d'autres 11 septembre, d'autres attentats aussi spectaculaires que meurtriers, se multiplieront...

Le talent de DeMille, qu'on pourra juger très conservateur, moins explicitement qu'un Dan Simmons, mais, à travers Corey, on sent l'Amérique revancharde qui veut écraser tout ce qui la menace, une Amérique arrogante et trop sûre d'elle toutefois et qui commet des erreurs terribles à cause de cela, le talent de DeMille, disais-je, c'est de parvenir à entretenir une tension permanente tout en conservant l'humour dévastateur de Corey jusque dans les moments les plus critiques.

On ne peut s'empêcher de sourire voire de rire (à condition d'adhérer à cet humour servi noir et sans sucre) à chaque intervention de Corey, narrateur de ses "exploits" et de son enquête. Certes, le duo détonnant qu'il forme avec Kate est cette fois un peu amputé, même si la grave blessure de son épouse donne au flic une raison supplémentaire et de taille pour régler son compte à Khalil.

Les scènes d'action, je le disais plus haut, sont épatantes (vraiment, je serais curieux de voir la scène du saut en parachute sur un écran de cinéma), même si j'ai trouvé le duel entre Khalil et Corey un peu trop rapide, pas expédié à la va-vite, mais presque accessoire, en raison de ce qu'il reste à faire ensuite. En revanche, ce codicille, si je puis appeler la fin du roman ainsi, fait remonter l'adrénaline d'un seul coup, aux taquets.

Là, c'est jusqu'au dernier mot de la dernière ligne du roman qu'il faut s'accrocher. Oh, non qu'il y ait un doute sur l'issue finale (quoi que...) mais parce que la tension y est encore une fois magistralement orchestrée, ajoutant au drame la symbolique idoine, celle qui renvoie aux heures sombres dont nous venons de nous souvenir il y a quelques jours à peine (je n'avais d'ailleurs pas fait le rapprochement entre l'histoire de ce roman et le calendrier).

Hélas, on peut rejoindre aisément Nelson DeMille quand il redoute de nouveaux attentats. Pour lui ("le retour du Lion" a été publié en 2010 aux USA), la menace est loin d'être dissipée et le territoire américain est une cible pour tous les fanatiques islamistes... Indépendamment de la réalité de ces craintes et de ce qu'elle peuvent véhiculer, elles nous promettent de nouvelles enquêtes pour un Corey au meilleur de sa forme, pour qui l'heure de la retraite (ou de la reconversion dans une agence privée, eldorado financier et oasis de calme par rapport à l'ATTF) est encore loin...

Bien sûr, traiter de la question terroriste est extrêmement délicat pour un romancier. Bien sûr, le thriller est un genre parfait pour cela. Bien sûr, le côté héros à l'américaine et gros méchant qui fait peur peut paraître irréaliste à certains. Moi, j'aime bien ces romans qui ne vous laisse aucune plage de repos, qui vous prennent et vous entraînent sur plus de 400 pages sans vous lâcher une seconde. J'insiste sur l'humour de DeMille, mais c'est pour moi une vraie plus-value par rapport à ses collègues écrivains.

Et, à l'arrivée, j'ai passé un excellent moment avec ce roman, cinquième volume de la série "John Corey" et je ne peux que vous conseiller de découvrir les romans de DeMille si vous ne le connaissez pas encore, le plus connu, en raison de son adaptation par Hollywood, devant être "le déshonneur d'Ann Campbell".

Lisez DeMille, Nelson, pas Cecil B., et vous m'en direz des nouvelles.


lundi 10 septembre 2012

Aaron Qui ?

Thriller. Un genre dans lequel on trouve du bon, du moins bon et, parfois, du franchement raté. Et puis, dans ce genre, il y a les filons, qu'on suit consciencieusement, parce que ça marche bien et qu'on peut, en surfant sur une vague "bankable", vendre pas mal d'exemplaires... Bref, trouver l'original dans une production énorme, qu'elle vienne des Etats-Unis, d'Angleterre et bien sûr de chez nous, ça devient parfois compliqué. Alors, quand on tombe sur un livre qui sort de l'ordinaire, par son fond ou sa forme, on devient tout de suite plus attentif, on le dévore, on s'en repaît, sans savoir quand on retrouvera de telles sensations. Voilà pourquoi la lecture du roman de Terry Kay (publié en 1999 mais seulement cette année en français), "le kidnapping d'Aaron Greene" (Cherche-Midi) ne m'a pas pris longtemps.


Couverture Le kidnapping d'Aaron Greene


Aaron Greene est... personne, en fait, une ombre, quelqu'un qu'on oublie aussi vite après l'avoir croisé. A 18 ans, il suit des études à l'université de Georgia State et gagne petitement sa vie comme préposé au courrier à la Century National Bank d'Atlanta. Un garçon timide, effacé, que personne ne semble connaître dans les lieux qu'il fréquente au quotidien, qui n'imprime pas la rétine, ne prend pas la lumière. Un Anonyme, avec un grand A, et que tout prédestine vraisemblablement à le rester jusqu'à la fin de ses jours.

Alors, quand ce garçon se fait enlever en pleine rue, au vu et au su d'une population totalement indifférente, c'est l'incompréhension... Comment ce garçon sans relief, presque transparent, a-t-il pu être la cible d'un crime aussi grave ? Mais, ce fait divers n'en est encore qu'à ses débuts, le plus déroutant reste à venir...

Cody Yates est un vieux de la vieille du journalisme à Atlanta. Il travaille pour un quotidien d'Atlanta et se désole de voir la modernité fouler aux pieds les fondements de sa profession... Ecriture médiocre, pertinence en berne, intégrité aux oubliettes... La jeune génération ne trouve pas grâce à ses yeux, et en plus, on utilise des ordinateurs et on a remisé les bonnes vieilles machines à écrire qu'il appréciait tant...

Préférant les enquêtes en profondeur à la chasse effrénée au scoop pratiquée par ses jeunes collègues et ses homologues de l'audiovisuel, Cody Yates va se retrouver bien malgré lui embarqué dans l'affaire du kidnapping d'Aaron Greene. Car son journal reçoit bientôt une cassette audio (oui, çà existe encore !). Sur la bande, un message revendiquant l'enlèvement du jeune homme et annonçant qu'une demande de rançon sera prochainement formulée.

Le hic, pour Cody Yates, c'est que la voix qui énonce tout cela... est la sienne ! A sa plus grande stupéfaction, car s'il avait participé à un tel acte, il s'en souviendrait, n'est-ce pas ?

Mais allez expliquer ça à une population qui, dans les jours qui suivent le kidnapping, va se mobiliser en faveur d'Aaron... Aaron qui, déjà ? Car, même à la une de l'actualité, même devenu centre de l'attention de tout l'Etat de Géorgie et au-delà, même au centre des débats sur toutes les radios locales qui lui consacrent leur talk shows, même au coeur des préoccupations quotidiennes des autres anonymes qui cherchent à comprendre pourquoi lui, Aaron Greene reste un fantôme : à peine a-t-on vu ses traits qu'on les oublie, on ne ne souvient même pas de son nom complet...

Peu à peu, entre agitation médiatique et inquiétude légitime, une enquête se met en place. Vincent Menotti, de la police d'Atlanta, ami de longue date Cody Yates, en est l'un des fers de lance, sous la houlette de l'agent du FBI Oglesbee, alias "le Prince Africain"... Mais les enquêteurs pédalent dans la semoule. La faute à Aaron Greene lui-même, si peu consistant que sa vie laisse peu de prises pour comprendre pourquoi on aurait voulu le kidnapper.

Enfin, arrive la demande de rançon, 10 millions de dollars que la banque qui emploie Aaron Greene devra verser avant un mois sous peine de voir le jeune homme subir un sort funeste... Sauf que les responsables de la banque ignoraient que Aaron Greene travaillait pour eux... Oui, même ses employeurs ne le reconnaîtraient pas s'ils le croisaient... Un simple préposé au courrier ? 10 millions de dollars ? Vous n'y songez pas ! La décision du conseil d'administration de la banque de ne pas verser la rançon va déclencher une nouvelle vague d'indignation dans la population et même au-delà.

Ainsi Ewan Pendell, membre de ce conseil d'administration, un richissime vieillard connu pour ses actes philanthropiques, décide-t-il de démissionner de son poste (alors que c'est son grand-père qui a fondé la banque, un signe fort !) et de lancer une grande campagne intitulée "Réveillons l'Amérique !", dont le but est de rassembler les contributions, toutes les contributions, même les plus modestes, afin de réunir les 10 millions demandés par les ravisseurs d'Aaron Greene.

Entre une enquête qui patine, des médias qui relayent les rumeurs les plus folles sous couvert d'information et de liberté d'expression, un mouvement "Réveillons l'Amérique !" qui prend de l'ampleur dans toutes les couches de la société, une banque d'affaires qui éveille les soupçons et, peu à peu, étale son linge sale au grand jour et un Cody Yates qui se débat entre une vie personnelle compliquée et une vie professionnelle au rencard pour éviter tout doute, tant que sa voix servira à délivrer les messages des ravisseurs (les policiers sont certains que la voix de Yates a été enregistrée à son insu et qu'elle a ensuite été montée grâce à des logiciels dernier cri), le lecteur est finalement le seul à garder à l'oeil Aaron Greene.

Et ce que nous voyons a de quoi laisser pantois et multiplier les interrogations...

Je n'en dis pas plus, à vous de jouer si vous voulez, comme je l'ai voulu avidement, comprendre les tenants et les aboutissants du kidnapping d'Aaron Greene.

Intéressons-nous au fond du roman, à ce que Terry Kay a voulu nous dire à travers ce thriller passionnant mais très atypique. La question centrale, c'est : quel est le prix d'une vie. Et, en corollaire, ce prix varie-t-il en fonction du statut social du kidnappé ? En clair, si Aaron Greene ne vaut rien aux yeux de ses employeurs, en tout cas sûrement pas 10 millions de dollars, un des dirigeants de la banque, lui, pourrait les valoir s'il se retrouvait dans la même situation. Est-ce cohérent ?

Au-delà de cet argument sonnant et trébuchant, Terry Kay nous dépeint surtout une société de plus en plus égoïste, uniquement tourné vers un matérialisme à tout crin, avec comme unique pensée le profit, dans laquelle la vie d'un jeune homme aussi peu sûr de lui qu'Aaron Greene ne pèse pas lourd. Une société qui a oublié ce qu'était l'humain.

Une société de l'information qui rentre par une oreille et ressort par l'autre. A plusieurs reprises au cours du roman, Aaron Greene, toujours aux mains de ses ravisseurs, a l'occasion de rencontrer des personnes susceptibles de le reconnaître (un vendeur de journaux qui a sa photo sous le nez à la une des quotidiens, une star de cinéma devenu son principal soutien médiatique...) et pourtant, là encore, il passe inaperçu...

Terry Kay tire à boulets rouges sur cette presse (et ça ne s'est pas arrangé depuis 13 ans qu'il a écrit son live !) qui bondit sur la moindre anecdote croustillante, s'entiche d'une histoire, la décortique sous tous ses angles et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, passe à autre chose. L'affaire Greene, certes, va passionner les journalistes et leur auditoire pendant un mois. Mais, une fois terminée, qu'en reste-t-il ? Des gens incapables d'appeler Aaron autrement que Aaaron Qui ?

Cible particulière de Terry Kay, les radios (aïe...) qui ouvrent leurs antennes aux auditeurs en les laissant dire tout et n'importe quoi... Bien sûr, l'Amérique n'est pas encore traumatisée par le 11 septembre (je rappelle que le livre a été publié en 1999) mais Atlanta se souvient de cet attentat perpétré pendant des JO, 3 ans plus tôt. Aussi, la psychose s'installe rapidement et les rumeurs les plus folles fleurissent sur les ondes : acte antisémite, voire carrément néo-nazi ou au contraire, acte d'un groupuscule juif radical visant à récolter des fonds pour une hypothétique action au Proche-Orient... On se demande même si Aaron Qui ?, celui dont on n'arrive même pas à retenir le nom, ne serait pas l'instigateur de son propre enlèvement pour faire parler de lui !

Et tout ça avec la bénédiction de "la Reine des Ondes", l'insupportable Katie Harris, archétype de la journaliste ambitieuse et prête à tout pour obtenir l'info qui fera la une partout... A part peut-être enquêter sérieusement, évidemment, il ne faut quand même pas exagérer ! Voilà pourquoi il exaspère tant Cody Yates, qui redoute qu'en prime, Harris ne mette, par ses émissions sans limite, Aaron Greene (dont elle se soucie comme d'une guigne) en danger...

Restera à lever l'énigme Ewan Pendell... Est-il sincère dans sa démarche ou est-elle bien plus intéressée qu'il n'y paraît au premier abord ? Un homme aussi riche peut-il s'abaisser sans arrière-pensée à prendre le parti d'un Aaron Greene, quitte pour cela, à déclencher une réaction en chaînes capable de couler la banque fondée par sa famille ?

Bref, vous l'aurez compris, il y a beaucoup de questions, dans cette histoire, tant concernant les mobiles des ravisseurs, que concernant les agissements des différents acteurs, non pas du drame, mais de sa périphérie. Et puis, comme même les plans les mieux élaborés peuvent connaître des ratés, la belle mécanique va s'enrayer et tourner au drame. Parce que l'argent pourrit tout, même les mieux intentionnés, les mieux élevés (ou ceux que l'on croyait l'être...).

Peut-être que cette fin en désarçonnera certains, peut-être qu'elle déplaira aussi à quelques lecteurs qui, eu égard au début de l'histoire, auraient attendu un autre dénouement. Moi, je ne boude pas mon plaisir, mais je dois reconnaître que la fin est un peu en-dessous du reste, même si elle sert parfaitement le propos de l'auteur.

Une mention au personnage de Cody Yates, le genre baroudeur au cuir tanné, qui a tout vu et est revenu de tout, qui enquête à l'ancienne, pose les questions qui fâchent et, par conviction ou cynisme, reste sceptique à propos de tout, sauf peut-être de ce que lui souffle son instinct. Mais, jamais il ne publierait une information qu'il n'aurait pas recoupée, vérifiée ou dont il n'aurait pas une preuve évidente.

Peut-être est-il d'ailleurs un des seuls à sincèrement penser au sort d'Aaron Greene. Et, évidemment, si sa voix se retrouve sur les cassettes, c'est tout sauf un hasard. Ca aussi, il veut le comprendre. Son tandem avec Menotti, à la fois ami, complice et enquiquineur, fonctionne parfaitement et donne un petit côté cynique et blasé à toute cette histoire, un ton que savent si bien donner les auteurs américains de thrillers.

Un tandem, mais je dis ça sans savoir s'ils sont effectivement devenus les héros d'une série de romans, que j'aimerais bien retrouver dans de nouvelles enquêtes.


vendredi 7 septembre 2012

"La solitude, ça n'existe pas" (Gilbert Bécaud).

Direction le Québec pour notre lecture du jour, avec un joli roman, presque un conte de Noël arrivé en avance dans les librairies. Quelques pages de finesse dans un monde de brutes (et des brutes, il y en a dans le livre), un humour parfois léger, parfois jouant sur le comique de situation et une belle histoire de rédemption sur fond d'amour filial. Voici une brève introduction pour vous donner envie de découvrir le deuxième roman de Pierre Szalowski, "Mais qu'est-ce que tu fais là, tout seul ?" (aux éditions Héloïse d'Ormesson).


Couverture Mais qu'est-ce que tu fais là, tout seul ?


Martin Ladouceur, alias Ladouce, est une star du hockey sur glace professionnel. Enfin, je devrais plutôt dire "était une star"... Après avoir fait les beaux jours de la mythique franchise des Canadiens de Montréal et être devenu le digne successeur du légendaire Maurice "the Rocket" Richard, Ladouce a connu un sacré revers de fortune...

Oh, un revers qui n'est pas dû à ses performances sportives, mais à son comportement en dehors de la glace, car Ladouce, dans ses premières années professionnelles, s'affirma vite comme un joyeux luron, amateur de soirées très arrosées et en galante(s) compagnie(s) qui firent bientôt sa (mauvaise) réputation. Au point que le patron du club choisit de l'envoyer jouer à Winnipeg pour qu'il cesse de ternir la réputation d'une équipe aux 24 titres de champions NHL.

Voilà 7 années que Martin Ladouceur a entamé un exil sportif loin de Montréal. Sans pour autant changer ses habitudes... Partout où il passe, ses orgies font causer... Pourtant, à 36 ans, Ladouce se voit proposer de rejouer sous son maillot fétiche (floqué du n°69...). Les Canadiens de Montréal ont choisi de passer l'éponge sur le passé de la star vieillissante, à condition qu'il s'amende, bien sûr.

Et cette mission rédemption doit commencer dès sa première soirée dans la cité montréalaise. Car, même si c'est la veille de Noël, Ladouce devra se passer de fête, sous quelque forme que ce soit. Ordre du patron. Un ordre répercuté auprès du personnel du palace où Ladouceur doit passer cette nuit si particulière pour tant de monde, mais pas pour Ladouceur, monstre d'égoïsme, solitaire par choix.

Sous aucun prétexte, le hockeyeur, seul client du palace en cette soirée de réveillon, ne doit faire entrer quoi que ce soit qui pourrait alimenter ses goûts festifs. Et, plus particulièrement, des bouteilles d'alcool et des demoiselles court vêtues... Ladouceur, pas franchement près à se plier à ces diktats, risque donc de passer une soirée bien tristounette pour son retour à Montréal...

Pourtant, la soirée va prendre une tournure bien différente. Malgré l'insupportable, obséquieux Maxime, maître d'hôtel du genre petit caporal aux tendances un tantinet cafteuses... L'homme est le gardien du temple pour la nuit et entend bien se faire respecter de son turbulent client. D'autant qu'il doit organiser l'arrivée d'un charter de couples japonais récemment mariés, qui viennent passer leur lune de miel à Montréal.

Ladouceur va sympathiser avec Charles-David, jeune groom débutant, timide et inexpérimenté, plus impressionné par la carrure du hockeyeur que par sa carrière, car le garçon, chose rare, déteste le hockey... Il va aussi user et abuser des services d'un chauffeur de taxi d'origine haïtienne, Pierre-Léon, qui semble avoir choisi le palace comme point de chute pour sa nuit de travail. Il est d'une serviabilité, ce chauffeur, un vrai rêve !

Et puis, dans l'hôtel, travaille aussi une femme de ménage, très discrète, presque invisible, la douce (pour de vrai, ce coup-ci) Louise. Une Louise exploitée par un Maxime sans scrupule qui profite allègrement de son rôle de seul maître après Dieu (ou le Père Noël) dans le palace pour se conduire comme un dictateur...

N'oublions pas Georges d'Amour (oui, les hockeyeurs québécois ont souvent des noms mal assortis à leurs talents...), coéquipier de Ladouceur lorsqu'ils jouaient ensemble sous les couleurs montréalaises. Les deux hommes s'entendaient alors comme larrons en foire, surtout en dehors de la patinoire, car Ladouceur, plus âgé que d'Amour, a fait l'éducation de son cadet, de clubs de strip-tease en chambres d'hôtel saccagées... De quoi faire du timide Georges un sacré coureur de jupons...

Un coureur qu'on croit d'abord rangé des voitures, puisqu'il s'est marié, qu'il est désormais père de 4 filles, tout ce que Ladouceur a toujours refusé d'être, pour garder son indépendance et poursuivre ses frasques sans risquer trop gros, mais un coureur chez qui le naturel va revenir bien vite au galop, dans le courant du roman.

Voilà le décor planté. un peu longuement, mais je pense qu'il le faut, car je vais être beaucoup plus discret sur les évènements qui vont se dérouler au cours de cette nuit de Noël pas comme les autres que nous raconte avec humour et bienveillance Pierre Szalowski. A priori, à part l'hôtel, l'hiver et l'isolement, pas grand chose à voir avec "Shining", et pourtant, au détour d'un couloir...

Non, j'exagère. Mais c'est l'apparition soudaine d'un enfant qui va mettre sens dessus dessous. Mais qui est-il ? Je laisse le mystère sur cet aspect. En revanche, je peux vous dire que Ladouceur et le gamin vont s'enticher l'un de l'autre quasi immédiatement. Une relation comme le hockeyeur n'en a jamais connu jusque-là, lui qui ne considère les enfants que comme des réceptacles à autographes et qui s'en méfie comme la peste, parce qu'après la signature, si on laisse faire, il faut faire une photo, un bisou, se montrer humain, ouvert, sincère, autant de choses que Ladouceur a toujours évité soigneusement d'être.

Cette rencontre complètement inattendue avec un gamin redoutablement attendrissant va chambouler cette grosse brute sans coeur qui va en apprendre énormément sur lui-même au cours de cette nuit. Lui, pour qui "être père" n'avait jamais eu de sens jusque-là, va peu à peu se sentir submergé par un instinct paternel dont il n'imaginait même pas l'existence.

Il faut dire que Martin Ladouceur, s'il n'a pas eu une enfance malheureuse à proprement parler, n'a pas non plus été un enfant roi. Son père a projeté sur lui sa passion pour le hockey, ses ambitions déçues de joueur professionnel et a, dès son plus jeune âge, formaté le gamin pour en faire un Canadien de Montréal. Sous les yeux d'une mère effacée, aimante mais incapable de s'opposer à ce destin tout tracé.

Voilà aussi, amis de la psychologie de bazar, bonjour, ce qui explique peut-être la réticence de Ladouceur à envisager une paternité. Jusqu'à cette nuit-là. Mais, il va falloir encore surmonter pas mal d'obstacles avant que cette nouvelle lubie prenne forme et devienne une ambition. Et c'est cette nuit délirante, pleine de situations drôles, grotesques mais aussi émouvantes que ce roman raconte.

A travers la transfiguration de Martin Ladouceur, c'est chacun des autres personnages qui va changer au cours de la nuit, en bien... ou en mal. Chacun voit sa nature profonde affleurer et va devoir assumer les conséquences de ses actes.

Mais c'est bien ce colosse plus habituer à marquer des buts d'un tir puissant qu'à faire la démonstration de ses sentiments qui sortira de cette nuit complètement folle (l'arrivée des couples de Japonais en rut est à mourir de rire) le plus changé. Jusqu'à faire le point sur sa vie et se rappeler qu'avant de devenir père, si cela est possible, il doit aussi apprendre à redevenir fils.

Le deuxième roman de Pierre Szalowski est un hymne à la famille. Pas sur un ton moralisateur, comme certains discours actuels, mais juste en rappelant que la famille peut aussi être source de bonheur, de plénitude et d'épanouissement. Ce n'est pas pour rien si Szalowski se présente lui-même comme "bonheuraturge". Et son roman fait du bien au moral, c'est évident. on rit, on est ému, on réfléchit, c'est sérieux sans se prendre au sérieux.

Ladouceur, au-delà du rôle de brute sans coeur, cynique et égocentrique, qu'il s'est imposé depuis de longues années, est surtout un garçon épouvantablement seul. Paradoxal quand on pratique un sport collectif, mais la gloire, le succès, le statut de star rendent sans doute incompatible la vie avec l'amour, l'amitié, les valeurs familiales, etc. Pourtant, Szalowski veut croire que son hockeyeur, malgré tous ses défauts, peut fendre l'armure (ou plutôt, les protections obligatoires dans ce sport de contact) et comprendre enfin qu'il a manqué beaucoup de belles choses en choisissant de se couper ainsi de ses congénères, de rejeter toute forme de sentiment.

Voilà pourquoi je suis sorti de cette lecture en me disant que cette phrase "Mais qu'est-ce que tu fais là, tout seul ?" n'est pas seulement la phrase que Ladouceur pourrait dire au mystérieux gamin aperçu devant la porte de sa chambre d'hôtel mais que c'est la phrase que Ladouceur se pose à lui-même, lorsqu'il réalise la vacuité de son existence...

Et c'est grâce à un gamin inconnu, dont il se verrait bien devenir le père, qu'il va obtenir des réponses. Réponses qui vont lui ouvrir les portes d'une vie plus saine et enfin heureuse.

Enfin, c'est tout ce qu'on lui souhaite, à Ladouce !


mardi 4 septembre 2012

"La science, comme la poésie, se trouve à un pas de la folie" (Leonardo Sciascia).

C'est la rentrée littéraire ! Avec à la clef, quelques découvertes à faire. En voilà une, autant pour son auteur que pour le personnage qu'il met à l'honneur. Alors, bien, sûr, quand on voit "Peste & Choléra" sur la couverture, deux solutions : on fait le dégoûté et on passe à autre chose ou l'on prend quelques minutes à regarder ce qui se cache derrière un titre si... engageant. Je suis plutôt du genre à découvrir, alors j'ai voulu en savoir plus, jusqu'à avoir très envie de lire ce roman signé Patrick Deville et publié aux éditions du Seuil. Avec, pour mon plaisir de lecteur et ma grande surprise d'homme, la découverte d'un personnage au destin hors du commun : Alexandre Yersin (prononcez YersUN et pas Yersine !!).


Couverture Peste & Choléra


Alexandre Yersin, né en 1863, mort en 1943, scientifique de génie, incroyable touche à tout, disciple de Pasteur, pionnier de son Institut, découvreur du bacille de la peste et du vaccin contre cette épouvantable maladie, homme d'une profonde misanthropie sur qui la politique ou l'Histoire en marche semble glisser comme l'eau sur les plumes d'un canard, et pourtant, chef de bande, créateur d'un petit paradis en pleine Indochine, marginal au point d'en être oublié de ses pairs, idole en Asie, inconnu dans son Europe natale... Au long de ce billet, c'est un être humain comme on en croise peu que je vais essayer de vous donner envie de découvrir, un homme de son temps, la IIIème République, un drôle de citoyen pas avare de paradoxes.

Alexandre Yersin est né orphelin de père dans une petite ville suisse, Morges. Il conservera, lui, le solitaire, une relation très étroite avec sa mère et sa soeur jusqu'à leur mort. Mais, très vite, l'ambition du jeune Alexandre dépasse les limites du village. Il veut devenir médecin et entend "monter à la ville" pour mener à bien ses études. Lui rêve de Paris, ce sera Marburg, en Allemagne. Déjà, le destin du jeune étudiant sera marqué par la rivalité entre France et Allemagne...

Très vite, il est frustré, il rêve d'expérimentation quand on ne lui offre que théorie et observation. Yersin, c'est un homme d'action, il veut savoir faire. Alors, bien vite, il quitte la petite ville allemande de Marburg pour la lumineuse capitale française, vers laquelle il se sent attiré comme un insecte par une lampe. Une nouvelle aventure commence, ou plutôt, le vrai destin de Yersin commence à se dessiner ici. Car, à Paris, Yersin va devenir disciple de celui dont tout le monde parle : Louis Pasteur, celui qui a vaincu la rage.

Oh, en Allemagne, il y a bien Koch, le découvreur du bacille de la tuberculose, mais l'aura de Pasteur, en ces années 1880 est considérable. Yersin sera un des pionniers de l'organisme que le vieux sage veut mettre en place : l'Institut Pasteur. Pourtant, cela ne sera qu'un tremplin. Yersin est un passionné, un garçon terriblement doué, aussi doué qu'il est impatient et inconstant. Il se lasse de ce travail d'équipe, bien vite il ne supporte pas de rester devant sa paillasse, il envisage son travail hors les murs du laboratoire.

C'est décidé, il va quitter Paris car, s'il a réalisé son rêve de gosse, celui de voir la mer, ça lui a donné des envies : il sera... marin ! Pasteur et ses camarades n'y croient pas, mais bientôt Yersin s'embarque, en route pour l'Asie où il sera médecin de bord sur des lignes maritimes. Il va, à cette occasion, connaître un véritable coup de foudre pour cette région du monde où il décide de s'installer aussitôt. Dans un endroit qui s'appelle Nha Trang, en Indochine, lieu dont il fera, jusqu'à sa mort, un jardin d'Eden dédié à toutes ses passions...

Car, je vous l'ai dit, Yersin se passionne mais Yersin se lasse... Il se fait explorateur, géographe, ethnologue, photographe, urbaniste, architecte, agriculteur, éleveur, aviculteur, horticulteur, botaniste, agronome, physicien, mécanicien, astronome, météorologue, j'en passe et des meilleurs... Gagne sa vie grâce à l'exploitation du caoutchouc, après avoir importé des hévéas en Indochine et les avoir acclimaté à ces nouvelles latitudes. Il fera de même avec le quinquina, indispensable pour lutter contre le paludisme. Il tâte de l'aviation naissante, rêve d'ouvrir un aérodrome à Nha Trang... Tout cela sans jamais oublier son métier d'origine : bactériologiste. J'oublie encore sûrement quelques unes de ses activités, elles furent si nombreuses et variées... Chez d'autres, elles auraient été des lubies, chez Yersin, elles aboutiront toutes à des résultats concrets dont certains sont encore visibles aujourd'hui...

Et c'est au milieu de tout cela, à la demande pressante de ses amis parisiens, qu'il interviendra en Chine pour essayer d'endiguer une terrible épidémie de peste qui s'y est déclaré. Les disciples de Koch sont aussi sur place. Politique et géopolitique d'emmêlent, alors que Yersin déteste tout cela, qu'il prendra bien soin toute sa vie de se garder de ces activités humaines qui ne débouchent, à ses yeux, que sur des drames et des compromissions.

Alors, bien sûr, un goutte de hasard va se glisser dans cette aventure scientifique. Les brimades dont il est l'objet vont, paradoxalement, servir sa cause. Entre son intuition incomparable et ce coup de pouce du destin, c'est lui qui parviendra à isoler ce bacille qui, tout au long de l'Histoire du monde, aura causé tant de victimes, lui donnera son nom, Yersinia Pestis, et trouvera le moyen de le prévenir avec un vaccin, lui, le disciple prodigue de Pasteur, le chantre de la vaccination, au nez et à la barbe de l'équipe de Koch.

Pour autant, ce succès ne lui apportera que très peu d'honneurs. il s'en moque, remarquez, des honneurs, mais ne les refuse pas s'ils se présentent. Eloigné du microcosme scientifique, ours mal léché, capable du jour au lendemain de se lancer dans tout autre chose que ce pourquoi on l'a mandaté, incapable de se plier aux règles de la diplomatie, il sera peu à peu oublié par ses pairs (aucun Prix Nobel ne le récompensera, par exemple). Jamais par ses condisciples, Roux et Calmette en tête, avec qui il restera très lié, ni avec les générations suivantes de pasteuriens qu'il emploiera à Nha Trang.

Au-delà du portrait, plus que d'une biographie, même romanesque, que dresse Deville de Yersin, "Peste & Choléra" est aussi la chronique d'une époque : la vie de Yersin couvre la totalité de la IIIème République. Sa vie s'achève quasiment le jour de son dernier départ de métropole pour l'Asie. Nous sommes en 1940 et Yersin prend place dans le dernier avion qui décollera du Bourget avant que les Nazis n'occupent le pays et le cadenasse... Coupé de sa maison-mère, malgré son exil volontaire, il n'a jamais coupé les liens avec l'Institut, il finira sa vie dans son paradis personnel à traduire des classiques grecs et latins, lui qui n'a toujours eu que mépris et horreur pour l'art en général et la littérature en particulier.

Ce départ, ce long voyage dont il sait qu'il sera sans retour, est le fil conducteur du roman. Comme si le reste n'était que le regard d'un vieil homme sur sa longue existence. Autre trouvaille narrative, ce "fantôme du futur" qui côtoie parfois Yersin. Un fantôme qui se nomme Patrick Deville, écrivain à la conception proche de ce que fut Yersin : un écrivain voyageur, qui ne reste pas à son bureau à plonger la plume dans son jus de cerveau, mais aime suivre à la trace ses personnages. Un écrivain voyageur pour lecteurs amateurs de voyages immobiles...Curieux, non ?

Mais revenons à Yersin et l'Histoire. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, cet homme qui fuit la politique et l'Histoire en marche, est en même temps un personnage complètement en phase avec son époque. Né Suisse, il est en permanence entre le marteau français et l'enclume allemande, comme toute l'Europe qui, au long de sa vie, verra ces deux mastodontes, en découdre par trois fois...

Au cours de sa vie, Yersin nouera une longue relation avec un des symboles de la IIIème République : Paul Doumer, futur président de la République, assassiné en 1932. Longtemps en poste en Asie, il aidera Yersin à développer certains de ses projets, faisant naître une ville au milieu de nulle part, une véritable station balnéaire à la normande, sortie de terre en pleine jungle... Comme Yersin, Doumer est orphelin. Il a connu la misère avant de devenir un des hussards noirs de la République puis député. Ils sont complémentaires, Doumer sera ce que Yersin refusera toute sa vie d'être, tandis que, aux yeux du politique, le scientifique incarne des valeurs phares de son idéologie : le développement des sciences et de l'hygiène.

Car "Peste & Choléra" est aussi un roman sur le progrès. Ce passage du XIXème au XXème siècle est LA période du progrès. On a évoqué la vaccination, citons encore l'automobile, l'aviation, le caoutchouc et ses dérivés, le pétrole et ses premiers dérivés, le cinématographe et encore beaucoup d'autres choses. Le progrès est roi, la science mise en avant, car on est certain que tout cela est fait pour améliorer le bien-être des hommes.

Et dans un sens, oui, c'est le cas... Jusqu'à ce que l'homme lui-même ne trouve d'autres applications à tous ces progrès dans des buts bien moins glorieux, et certainement pas humanistes... Même s'il n'a entendu parler des tueries de 14 que de très loin, Yersin comprend, en quittant définitivement l'Europe un quart de siècle plus tard, que tout va de travers, que le progrès aussi peut être dévoyé par cette "saleté de politique"... La perte des dernières illusions d'un homme qui n'a jamais agi en songeant vraiment à son prochain mais qui n'a jamais perdu de vue l'utilité concrète de ses actes, même les plus abstraits.

Tel est Yersin, un personnage aussi imbriqué dans son époque, à la pointe de la modernité en permanence, et pourtant, qui a la volonté de s'isoler complètement de la marche du monde, un homme qui cultive amitiés et inimitiés et pourtant bien peu porté sur les relations humaines, un personnage à la vie d'une incomparable richesse, qui mit chaque instant de sa longue vie à profit, ne connaissant l'ennui que quand il avait l'impression d'avoir fait le tour de son sujet. Un humaniste misanthrope, bel oxymore, non ?

Deville nous emmène à sa poursuite, à la rencontre d'une légende, d'un vrai personnage de roman... Deville est Stanley, quand Yersin est Livingstone, un être sorti des livres de Verne, Conrad ou Stevenson. Un être aussi riche matériellement qu'intellectuellement, mais totalement désintéressé, comme s'il n'avait jamais été en prise avec les classiques contingences de la vie quotidienne...

Deville nous offre un portrait riche et complexe sur un personnage que je ne connaissais pas (j'avais entendu parler du Yersinia Pestis mais je n'avais pas songé que ce nom était un dérivé de celui d'un tel homme !) et que j'ai adoré suivre au long de cette vie extraordinaire. Un personnage qui donne envie de le rencontrer, malgré ses (menus) défauts et son caractère bien trempé...

Ah oui, un dernier mot... Pourquoi ce titre, "Peste & Choléra" ? Bien sûr, on comprend l'allusion à une fameuse expression, mais, en lisant le livre, le lien avec le choléra, maladie présente à l'époque de Yersin mais sur laquelle il travailla peu, ne saute pas aux yeux.

Pour moi, le choléra, c'était une métaphore pour le reste de ce monde que Yersin rejette avec force. Comme si tout cela lui empoisonnait l'existence en l'obligeant à se consacrer à autre chose qu'à ses envies. Mais, en tombant grâce à un fameux réseau social, sur une des rares interviews de Patrick Deville (pas un grand bavard, apparemment...), j'ai découvert une autre explication de la bouche même de l'auteur...

On y prend conscience d'un ultime paradoxe, concernant Yersin : et si ce scientifique pas comme les autres était si fascinant parce qu'il fut un explorateur alors que, du haut de notre XXIème siècle, nous connaissons tout ? Yersin carbure à la curiosité, chaque instant de sa vie éveille en lui ce sentiment et l'envie de comprendre, d'expliquer, de savoir... Nous sommes des enfants gâtés, le savoir n'a jamais été aussi facilement accessible et nous le négligeons sans cesse, lui préférant de l'artificiel, du superflu...

Yersin est un modèle, un personnage oublié de son temps qui mériterait une réhabilitation en bonne et due forme aujourd'hui afin d'en faire un exemple. Hélas, la Vème République n'a plus le goût, comme la IIIème, des exemples républicains et des saints laïcs... Entrer en Panthéon n'est plus que support idéologique et médiatique, aussi vite vu, aussi vite oublié.

Alors, merci à Patrick Deville de nous faire (re)découvrir Alexandre Yersin, "un anachorète retiré au fond d'un chalet dans la jungle froide, rétif à toute contrainte sociale, la vie érémitique, un ours, un sauvage, un génial original, un bel hurluberlu."