Pour ce 250ème billet, eh oui, en moins de 2 ans, ce n'est pas mal, j'ai donc renoué avec une tradition toute personnelle : le titre avec calembour bien pourri intégré... Mais ne vous fiez pas à ce trait d'esprit dont j'ai le secret (j'en profite pour dire à "Libération" et à "l'Equipe" que s'ils cherchent quelqu'un pour les leurs, de titres, je suis disponible), nous allons parler d'un livre qui est pour moi une véritable découverte. Découverte que je dois d'abord à mon camarade Laurent, qui m'a signalé ce roman en fin d'année dernière, et à la présence de son auteur aux Imaginales il y a quelques jours. Un roman historique, ça, c'est évident à la lecture de la quatrième de couverture, un roman d'aventures, on le devine également, mais, et là, c'est une surprise sur laquelle je resterai très discret, un roman où le fantastique fait irruption brusquement pour y jouer un rôle décisif. En route pour le début du XIVème siècle et, je vous préviens, on va voyager, suivant les pas d'un aristocrate lorrain en quête de rédemption. Voici "Bazérat, le Sceptre de Salomon", roman d'aventures historique signé par le romancier allemand Christoph Lode et publié aux éditions Anne d'Hercourt.
Raoul de Bazérat est un chevalier oisif et coureur de jupons, bien loin du modèle que fut son père, qui se croisa et partit combattre en Terre Sainte. Mais, un froid matin de printemps, en cette année 1303, la vie de ce costaud lorrain, volontiers bagarreur, va basculer. Au réveil, pris de toux, il découvre qu'il crache du sang...
Raoul n'a aucune envie que cela se sache, il essaye donc de cacher ce mal forcément inquiétant à ses proches, jusqu'à ce que l'un d'entre eux découvre le pot-aux-roses. Il doit alors, contraint et forcé, consulter Blaise, chapelain et médecin de la famille Bazérat. Blaise qui lui explique que ce dont il souffre est grave, sans doute mortel à assez court terme. Une tumeur au poumon, peut-être la phtisie...
De quoi en abattre plus d'un, mais pas Raoul de Bazérat, qui ne veut pas se résoudre à une mort prochaine et sans doute douloureuse. Alors, estimant que cette maladie est certainement une punition divine pour sa vie dissolue, le jeune noble lorrain décide d'entreprendre un pèlerinage à Rome où, espère-t-il, sa ferveur nouvelle saura lui attirer une grâce divine...
C'est le début d'un long, très long périple...
Car, à l'approche de la capitale de la chrétienté, Bazérat est témoin d'émeutes particulièrement violentes, au cours desquelles, il vient en aide au Cardinal Morra, qu'il tire d'une bien mauvaise posture... En remerciement, celui-ci l'invite à passer quelques jours dans sa demeure. Mais Morra n'est pas juste un prélat reconnaissant, une idée a germé dans son esprit de politique avisé...
En effet, voilà que le Cardinal a une proposition à faire à Bazérat. Il lui accordera une absolution pleine et entière de tous les péchés pour lequel il a été puni par la Providence et, en retour, Raoul devra remplir une mission de grande importance. Pas forcément simple, la mission, mais comme le Lorrain n'a plus grand chose à perdre, autant accepter !
Il s'agit de se rendre en Terre Sainte afin d'y porter un manuscrit très rare, récemment retrouvé. Un manuscrit dont Raoul, dans un premier temps, ne sait rien, mais qui va s'avérer être un objet des plus précieux... et surtout des plus convoités... Pour l'accompagner, Raoul se voit adjoindre un curieux personnage, Matteo Gaspare, scribe et polyglotte, dont les savoirs devraient lui être très utiles dans sa quête. Mais l'homme est tout sauf un homme de terrain et, face au danger, son aide sera bien plus relative...
Sur place, les deux hommes doivent retrouver Cristoforo Battista, un riche marchand vénitien qui vit et prospère depuis des années à Jérusalem, malgré l'instabilité qui y règne. Sa position, alors qu'il est chrétien, dans un territoire redevenu musulman, lui vaut la réputation d'être à la solde de Rome, mais son entregent et la connaissance des lieux sont bien sûr un atout pour Bazérat...
Pourtant, à peine Bazérat et Gaspare sont-ils arrivés sur place que la maison de Battista est attaquée par des spadassins. Leur mission, pourtant secrète, est manifestement parvenue à des oreilles ennemies et il est clair que le manuscrit intéresse fortement d'autres puissants... A la tête des tueurs, Kadar al-Munahid, un homme complexe, devenu chef d'une bande qu'il a nommée "les chacals", qui n'oublie jamais ses propres intérêts, même lorsqu'il accepte, comme cette fois, de remplir un contrat...
Et, celui qui les a payés pour attaquer Bazérat, Battista et Gaspare, et leur prendre le précieux manuscrit, c'est Harun ibn-Marzuq, un des vizirs du sultan du Caire. Un ambitieux courtisan, aux réseaux particulièrement bien informés (que ne fait-on pas avec quelque monnaie sonnante et trébuchante ?) qui se verrait bien principal conseiller du sultan (je vous vois venir, non, rien à voir avec Iznogoud...). Et, dans cette perspective, lui apporter le manuscrit serait évidemment un indéniable succès politique.
Mais, Marzuq est un courtisan, pas un soldat, et la décision du calife de l'envoyer sur le terrain l'a autant surpris qu'elle lui a déplu. Sans parler du fait de devoir vivre aux côtés des Chacals, dont le mode de vie est bien loin des conforts cairotes et de la vie de cour... Si Marzuq réprouve les agissements de la bande, il doit reconnaître que son chef, Kadar, est un homme des plus compétents... Un peu trop, même, car Kadar est loin d'être bête et a lui aussi flairé la bonne affaire...
On se bat donc pour ce précieux manuscrit. Et, quand je dis "se battre", c'est au sens propre. Entre le clan Bazérat et la bande des Chacals, ça barde pour entrer en possession du manuscrit. Et, quand bien même celui-ci changera-t-il de mains, l'érudition de Matteo va permettre à Bazérat de poursuivre ses adversaires, de savoir où ils se rendent très probablement, d'essayer de les retrouver, mieux, de les devancer, si possible...
A partir de là, commence à la fois une incroyable course-poursuite et une magnifique chasse au trésor. Car, si je ne peux pas trop en dire sur le contenu du fameux manuscrit, il me faut bien vous dire qu'il y est question d'un mystérieux bâton, qui aurait appartenu à Saint Antoine. Un objet légendaire, à l'image du mythique Graal, qui attise toutes les convoitises, et en particulier celles des autorités des deux grandes religions monothéistes qui, depuis des siècles, se disputent la Terre Sainte.
Arrivé outre-mer dans l'optique d'obtenir l'absolution en remettant à Battista le manuscrit, n'imaginant pas une seconde les conséquences et le tourbillon qu'allait déclencher son arrivée, Bazérat, résigné à agir pour le salut de son âme en attendant la fin inexorable, se trouve soudain une nouvelle raison de vivre : retrouver le manuscrit, ce qu'il recèle, comprendre pourquoi on veut le tuer à cause de lui... Bref, refuser une mort qu'il aurait presque trouvée douce quelques semaines plus tôt, avant de quitter la Lorraine...
A tel point que, si au départ, on voit le solide Lorrain affaibli, encaissant de plus en plus difficilement la fatigue des chevauchées et des combats, progressivement, le mal qui le ronge est refoulé, comme si la volonté de cette homme avait pris le dessus sur ce corps abîmé. Emporté dans cette nouvelle quête exaltante et pleine de promesses, l'homme se lance à coeur perdu dans la bataille et oublie ses poumons détruits.
Au fur et à mesure des événements, la quête de rédemption entreprise par Raoul de Bazérat va changer de dimension. Comme si sa nature profonde, celle du garçon bagarreur et courageux, reprenait le dessus. Mais cette fois, pour une bonne cause, une cause qui lui semble juste... Et, paradoxalement, c'est dans cette sensible mutation de sa quête première que Bazérat va voir poindre la rédemption et plus que cela encore...
Et puis, il y a Yada bint-Ghassan...
J'ai brièvement évoqué le bâton, présent dans mon lamentable titre... Voici la Cairote qui l'y accompagnait. Et, là aussi, je serai bref, laissant dans une ombre propice ce personnage que j'ai pourtant mis en exergue plus haut... Agaçant, non ? Allez, je peux simplement vous dire que Bazérat lui doit une fière chandelle mais que cela ne va pas apaiser les questions que le Lorrain va se poser à son sujet... Et le lecteur avec.
Pour la petite histoire, j'avais mis de côté ce livre en prévision des Imaginales, au cours desquelles je devais animer un café littéraire avec, entre autres participants, Christoph Lode, l'auteur de "Bazérat". Et puis, avec l'accumulation des lectures, j'ai pris du retard... Je n'ai pu commencer ce roman que le jour de mon départ pour Epinal. Presque 500 pages, avec un peu plus de 2h de train au menu, je me suis dit que, au pire, j'aurais bien avancé la lecture avant le début du salon...
Mais, j'ai été emporté... Et j'ai lu "Bazérat" en entier dans la journée, finissant à 1h30 du matin, un peu crevé, mais heureux d'avoir pu mener cette lecture à son terme, car voici un roman dont je vais me souvenir un bon bout de temps... Certains d'entre vous doivent se dire que je raconte ma vie, ce qui n'est pas faux, mais assez inhabituel. Pourtant, cela me paraît intéressant de jouer les cobayes pour vous.
Plusieurs de mes lectures préparatoires aux Imaginales, cette année, ont eu pour thème les Templiers, les croisades, les guerres en Terre Sainte... Bref, arrivant en fin de cycle, "Bazérat" devait relever un défi de taille : me replonger dans ce contexte sans me lasser. Or, de prime abord, je ne partais pas avec un a priori positif quand à l'originalité du projet.
Mais quelle erreur ! Quel idiot de lecteur plein de morgue et de préjugés je fais ! Dès les premiers chapitres, tout cela a été balayé ! J'ai parlé des émeutes qui se déroulaient aux alentours de Rome, à l'arrivée de Bazérat. Figurez-vous que j'ai découvert à cette occasion que les Cathares qui avaient survécu aux persécutions les visant en France quelques décennies plus tôt, avaient trouvé refuge en Italie...
Et, comme les fanatiques religieux sont souvent la proie des idées fixes, voilà que de nouveau, l'Eglise veut de nouveau éradiquer ce qu'elle considère comme une hérésie, et voilà la cause de ces émeutes violentes, de ces exécutions multiples, de ces incessantes représailles, dans lesquelles Bazérat va se retrouver impliqué bien malgré lui.
Ensuite, alors que je voyais l'histoire se dérouler en Terre Sainte, avec des Croisés luttant contre les Musulmans impies, bref, une intrigue tournant autour de ces sempiternelles guerres de religion, sur lesquelles planera l'ombre de Saladin, le Libérateur, vous voyez le topo... Et là encore, auto-critique et auto-flagellation, j'ai eu tout faux !!
Bien sûr, Bazérat et Matteo posent le pied en Terre Sainte, les premières escarmouches s'y déroulent. Puis, on voyage dans le bassin méditerranéen et, via Constantinople, on va partir vers des contrées à l'histoire et à la géographie méconnues. Mais, avant d'évoquer ces lieux et ces nouvelles découvertes faites par le grand dadais qui vous cause, un mot de Constantinople...
Sans doute, là aussi, ai-je soupiré, expirant très probablement un "encore" enduit de lassitude... Place au faste, à la puissance politique de cette ville, pendant oriental de Rome, à la magnificence d'une cité inégalable dont l'aura éclaire une bonne partie du monde connu... Que nenni, point du tout ! Nous sommes en 1303, voici un siècle que Constantinople a été saccagée par des Croisés pour des raisons d'idéologie religieuse assez sournoises et hypocrites...
Et, depuis ce pillage en règle, la ville ne s'est jamais remise. Elle n'est plus que l'ombre de la cité flamboyante qu'on croit connaître. Un tas de ruine, jamais reconstruit depuis 100 ans, un vestige d'un passé glorieux tombé aux oubliettes... Et je ne parle pas que sur le plan architectural. Constantinople est en ruine politiquement, culturellement, sur le plan religieux aussi, preuve que les machinations romaines du siècle précédent ont bien porté leurs fruits...
Et puis, je vous le disais, ce roman va nous emmener hors des sentiers habituellement rebattus par la littérature ayant pour cadre cette époque. Vous en connaissez beaucoup des romans dont une bonne partie se déroule... en Arménie ? Déjà, dans le contexte contemporain, ça ne doit pas courir les rayonnages des plus pointues des librairies, mais en plus, quand il s'agit de l'Arménie du XIVème siècle !
Pourtant, là encore, je ne peux que me rendre à l'évidence : en lisant "Bazérat", j'ai appris un tas de choses que j'ignorais (car, oui, on peut lire pour se détendre et apprendre des choses, si, si, ne croyez pas ces blogueurs/euses qui vous expliquent le contraire !). Ainsi, j'ai découvert que l'Arménie avait été, dès le IVème siècle, le premier royaume chrétien.
Une identité que les vicissitudes de l'Histoire n'ont jamais pu altérer. En effet, un millénaire après cette conversion, et malgré de multiples invasions et occupations, elle reste farouchement chrétienne. Lorsque l'action du roman de Christoph Lode s'y déplace, le pays est occupé par les Mongols qui voudraient bien soumettre ce peuple orgueilleux qui résiste depuis si longtemps à tout envahisseur...
On parlait d'instabilité plus tôt dans le billet, là encore, la vie est loin d'être un long fleuve tranquille et nos protagonistes vont devoir également composer avec les troubles qui agitent l'Arménie. Et chaque camp saura s'allier à celui des belligérants qui correspond le mieux à ses caractéristiques. Voilà de quoi pimenter un peu plus la chasse au trésor que nous suivons, de quoi rajouter des embûches et des périls que tous devront franchir pour achever leur quête.
J'en reste là de ces aspects historiques passionnants et inédits, je vous les laisserai découvrir par vous-mêmes et remises dans le contexte de la fiction, dans le fil du roman. Les plus attentifs d'entre vous auront noté qu'il manque un élément dans mon développement, pourtant évoqué en introduction... Oui, c'est vrai... Je n'en ai rien dit... Et je n'en dirai rien, en fait... Si ce n'est que, sans qu'on s'y attende, des éléments fantastiques se mêlent à un roman d'aventures au contexte jusque-là tout ce qu'il y a de plus historique...
Enième surprise de ce livre qui en réserve décidément beaucoup. Et n'est-ce pas après tout ce qu'on attend d'un livre ? Qu'il nous emmène dans un voyage immobile, à travers le temps et l'espace, dans des histoires les plus éloignées possibles de nos préoccupations quotidiennes, qu'il nous prenne par la main, pour reprendre une formule de Lionel Davoust entendue à Epinal, et nous procure des émotions, nous offre des situations qui nous laissent pantois et haletants ?
Si là se trouve la mission d'un roman, alors "Bazérat, le Sceptre de Salomon" en est un excellent exemple. Et, comment ne pas souligner ici l'importance de tous ces salons qui, certes, nous permettent de rencontrer nos auteurs préférés, parfois, mais qui aussi sont capables de dénicher au milieu d'une production gigantesque et de mettre en valeur des romans comme celui-ci, sortis dans l'anonymat, chez une petite maison et qui seraient, sans ces organisateurs, passés inaperçus ?
Bravo aussi à Anne d'Hercourt et à sa maison d'éditions d'avoir le nez mais aussi le courage et la passion pour éditer ce roman d'un auteur étranger inconnu et pour en parler avec tant de bienveillance et de plaisir... J'avais parlé avec cette éditrice avant lecture, elle m'avait un peu plus convaincu de lire "Bazérat" ; nous nous sommes croisés à Epinal et son enthousiasme et le mien se sont conjugués...
Et, puisque j'évoque le travail d'Anne d'Hercourt, comment ne pas vous faire partager le mail que j'ai trouvé lundi après-midi en rentrant d'Epinal ? Il m'arrive parfois de parler des influences, réelles ou supposées, que je crois déceler dans un livre. Ici, je ne me suis pas livré à l'exercice, car cela dépassait mes compétences. Mais Anne d'Hercourt m'a donné toute une liste de références littéraires pouvant accompagner la lecture de "Bazérat"...
Eh bien, Madame, vos compétences dépassent largement les miennes, alors, un immense merci pour toutes ces informations qui vont enrichir ce billet et m'ont permis de me coucher moins bête il y a quelques jours...
- Dans le roman, le personnage du vizir Ibn-Marzuq a pour passion la poésie. Il en écrit lorsqu'il se retire, loin de l'agitation du palais du sultan, sur les rives du Nil, comme le faisaient au bord de l'Euphrate, les poètes persans Firdousi, qui vécut aux Xème et XIème siècles, ou Hafiz, originaire de Chiraz, dans l'actuelle Iran, un contemporain de Raoul de Bazérat. Bien plus tard, ces deux auteurs influenceront Goethe ou Gide !
- Un des axes principaux du roman de Lode rejoint un roman de Flaubert, "la Tentation de Saint-Antoine". Flaubert qui, comme beaucoup de jeunes aristocrates ou lettrés de son temps, parmi lesquels Lord Byron et Mary Shelley, Lamartine, Fromentin, Maupassant, Dumas et même, un peu plus tard Marx, a fait son Grand Tour, comme on disait. Une espèce de voyage initiatique aux sources de notre civilisation à travers la culture et les arts. Mais aussi les us et coutumes. Une formation du corps, de l'esprit et des sens qu'ils sauront ensuite assimiler dans leurs oeuvres...
A sa manière, et plusieurs siècles avant cette jeunesse huppée des XVIIIème et XIXème siècle, Raoul de Bazérat a accompli son Grand Tour, certes bien plus périlleux, dont il ressortira forcément changé, même en faisant abstraction de l'épée de Damoclès que représente sa maladie...
Voilà de quoi faire, à vous de jouer, amis lecteurs !
"Il va falloir un jour qu'enfin je me décide à lire les livres que, depuis trente ans, je conseille à mes amis de lire". (Sacha Guitry)
vendredi 31 mai 2013
jeudi 30 mai 2013
"J’ai rêvé l’autre nuit que je retournais à Duinzicht..."
Ce titre rappellera sans doute quelque chose à quelques uns d'entre vous... Oui, je me suis honteusement approprié la première phrase de "Rebecca", de Daphné du Maurier, n'en modifiant que le dernier mot, Manderley devenant Duinzicht, là aussi un nom de lieu capital pour le roman qui nous intéresse et va nous emmener aux Pays-Bas. Avec un thriller psychologique de bonne facture, "Retour vers la côte" (disponible en poche chez Folio policier), signé par une romancière néerlandaise, donc, Saskia Noort. Ou la descente aux enfers d'une jeune femme, mère de famille, qui, suite à une décision au combien personnelle, va voir sa vie basculer dans un inexplicable cauchemar... Ca se lit tout seul, on ne se rend même pas compte qu'on tourne les pages, je me suis plongé dedans dans le TGV du retour d'Epinal et je n'ai pas vu passer le voyage !
Maria de Vos gagne sa vie comme chanteuse dans un groupe de seconde zone et mène de front une vie de maman de deux jeunes enfants. Merel, l'aînée, et Wolf, le cadet. Des enfants qu'elle a eu de deux lits et qu'elle élève quasiment seul. Quasiment, car Geert, le père de Wolf, son dernier compagnon en date, est dépressif depuis des mois. Une situation devenue si difficile à supporter que Maria a pris deux décisions fatidiques : le quitter et... avorter de l'enfant qu'elle attend de lui.
Mais, ces décisions tellement intimes, elle les a prises seule, mettant Geert devant le fait accompli. D'abord, ouste !, Du balai ! De régulier à ex en quelques secondes. Quant à l'autre nouvelle, elle ne lui en fait part qu'une fois l'avortement réalisé, malgré la colère qu'elle va forcément déclencher chez lui, partisan d'un agrandissement de la famille.
Pourquoi ce choix si dur à prendre ? Parce que Maria ne se voit pas mère presque célibataire, avec les revenus irréguliers d'une artiste qui ne deviendra jamais star et trois jeunes enfants à charge. En tout cas, c'est l'impression que l'on a dans les premières pages du roman, et l'on pourrait se contenter de cette seule explication si...
Si, quelques jours après l'intervention, n'avaient commencé ce qu'il faut bien appeler des menaces... Une lettre, des photos terriblement explicites, un colis bien peu ragoûtant, un canular d'un goût plus que douteux, autant d'éléments qui ont de quoi effrayer... Qui est au courant, à part Geert et elle ? D'autant que si elle sait que ses décisions ont peiné Geert, elle ne l'imagine pas se venger d'elle de cette façon... Et que penser du retour soudain de Steve, le père de Merel, réapparu comme par hasard ces derniers jours après avoir disparu de longues années ?
Petit à petit, la peur grignote du terrain, la paranoïa lui emboîte le pas, Maria devient de plus en plus nerveuse, inquiète aussi pour ses deux enfants... Car si c'est un fou qui lui en veut (et comment pourrait-il en être autrement ?), Merel et Wolf sont peut-être aussi en danger... Alors, dans l'affolement, Maria va prendre la seule décision que lui dicte son coeur de mère : la fuite.
Là encore, sans prévenir personne (en qui peut-elle avoir confiance, à Amsterdam ?), elle prend ses deux rejetons avec elle, tant pis pour l'école, et direction les bords de la Mer du Nord, à Duinzicht, là où les parents de Maria tenait une pension près des dunes, là où elle a grandi, avec sa soeur aînée, Ans. Après la mort de leurs parents, Ans n'a pas voulu quitter la maison, elle a racheté à Maria sa part pour faire de cette demeure sa maison... Quel autre havre pourrait-elle trouver pour échapper au danger que ce lieu familier ?
Pourtant, Maria n'aime pas Duinzicht. L'endroit lui rappelle trop de mauvais souvenirs d'une enfance marquée par les maux qui ont ruiné la santé puis la raison de sa mère... Elle n'aime pas cette maison trop grande, trop pleine de fantômes et de l'austérité qui caractérisait les parents d'Ans et Maria... Mais sa grande soeur, avec qui les liens se sont distendus, saura l'aider, elle en est sûre, la protéger...
Une nécessité qui tourne à l'indispensable quand, au lendemain de son arrivée sur la côte, Maria apprend qu'un incendie a détruit sa maison à Amsterdam... Trop évident pour croire à la simple coïncidence, c'est forcément un incendie criminel, l'acte du fou qui la harcèle depuis son avortement, il lui en veut, de façon de plus en plus personnelle, chacun de ses actes est plus fort, plus marquant, plus violent que les précédents... La peur et la paranoïa grimpe encore d'un cran ou deux...
Cependant, la police peine toujours à croire aux dires de Maria. D'abord, lorsqu'elle s'est décidée à aller les voir après la lettre et les photos, ils n'ont rien fait pour elle. Pas de délit constitué, pas d'enquête. A chaque nouvelle menace, le même immobilisme... Et là, alors qu'enfin, on devrait lui prêter attention, le doute s'installe : rien n'indique un incendie criminel. Les policiers penchent plus pour l'accident...
Déboussolée, Maria ne comprend pas... Pire, la voilà progressivement devenue suspecte... Et si elle était l'unique responsable de tout ça ? Une idée que son subconscient refoulait, mais comment s'empêcher d'y penser quand on a grandi auprès d'une mère folle ? Le flou grandit, Maria redoute à son tour d'avoir hérité cette prédisposition à tomber dans la démence... Oui, et si... ?
Le retour sur la côte, là où elle a vécu ce traumatisme, n'arrange rien, tout se brouille encore plus, les repères lui échappent et de nouveaux éléments, de nouvelles pistes apparaissent mais aussi de nouveaux doutes... A Duinzicht, Maria s'enfonce dans ses névroses et sa soeur, Ans, devenue psy, essaye de l'aider tant bien que mal. Y compris lorsque Maria perd les pédales, la mémoire et tout le reste, qu'elle ne contrôle plus sa vie et que la paranoïa devient la peur d'être devenue folle...
"Retour vers la côte" est un véritable thriller, car il repose sur tous les ressorts de ce genre et, en particulier, un crescendo dans la tension et une multiplication des questions que se posent aussi bien Maria que le lecteur. Mais, ne vous attendez pas pour autant à une débauche d'effets, de poursuites, de fusillades... Oui, le dénouement de ce roman va lorgner vers ces ficelles du genre, et plutôt bien, d'ailleurs, mais nous avons là un roman qui repose sur des effets avant tout psychologiques.
Lors de la première partie, on est mis devant le fait accompli : Maria a foutu son conjoint à la porte puis a choisi d'avorter. Un avortement qu'elle vit d'ailleurs assez difficilement, découvre-t-on. Car ses raisons sont douloureuses, il ne s'agit pas de se débarrasser de cet embryon encombrant, non, il s'agit d'autre chose, qu'on va découvrir et comprendre un peu plus tard. Comme une peur enfouie qui rejaillit, d'abord inconsciente, puis, qui revient à la surface sous la pression des événements...
Lorsque s'installe la possibilité que Maria soit folle, ou en tout cas, suffisamment déstabilisée par le choc subi lors de l'avortement pour avoir orchestré tout ça, hypothèse plausible, à laquelle Maria refuse d'adhérer, mais qu'elle n'écarte pas, elle est revenue dans ce cocon familial qu'elle a pourtant fui des années plus tôt. N'a-t-elle pas commis une erreur en revenant là où elle a tant souffert ?
Saskia Noort, en auteure de thrillers psychologiques émérite, nous distille alors à dose homéopathique les souvenirs de cette enfance pas vraiment heureuse... Et de nouvelles pièces s'emboîtent dans le puzzle, sans encore tout éclairer, au contraire, elles contribuent dans un premier temps à obscurcir encore l'intrigue, puisqu'on ne sait plus du tout sur quel pied danser...
Maria non plus, la pauvre. Elle qui rêvait d'un destin de star, la voilà en passe de virer cinglée sans tout le tralala qui va avec ce statut... Non, juste une pauvre folle qui pourrait mettre en danger ses enfants, ceux pour qui elle voulait se battre, au départ... A moins que toutes ces menaces soient réelles et qu'elle soit tombée la tête la première dans une épouvantable machination...
Bien sûr, comme souvent, on se dit "je le savais", mais c'est faux. Dire "c'est lui", c'est facile, expliquer le pourquoi du comment, expliciter le mobile, c'est tout autre chose... Dès les premières pages, on est aspiré dans cette histoire, très bien troussée et qui devient carrément machiavélique. On tourne les pages, on tourne les pages, et on se retrouve fort étonné lorsqu'on réalise qu'on a lu non stop pendant une heure, sans relever la tête et qu'on a bien avancé...
J'emploie souvent ce mot pour qualifier des thrillers, "efficace", en voilà un nouvel exemple. Avec, et j'y tiens, c'est un vrai cheval de bataille, quelques données en filigrane qui donnent une vision plus affûtée de la société néerlandaise. Oh, c'est pas petites touches, ici, on n'est pas dans un thriller politique, mais, en quelques mots, quelques situations, apparaissent quelques facettes d'une société à la fois si proche et si différente de la nôtre...
Mais "Retour vers la côte" est aussi un thriller sur la famille, sur l'hérédité aussi, d'une certaine manière, sur cette éducation, ces traits familiaux, ces secrets, plus ou moins cachés, qui nous marque forcément quand on les vit. Et qui nous marque de manière indélébile, même si, parfois, on réussit à enfouir tout cela au plus profond de soi... Mais, le serpent de mer de ces souvenirs guette le moment propice pour jaillir des profondeurs... Et là...
J'ai été frappé, lorsqu'on découvre peu à peu la vie de la famille Vos à Duinzicht, du parallèle qu'on peut établir entre Maria et sa mère, un parallèle troublant... Confrontée à cette évidence, à la façon de cela a pu influencer ses choix, on comprend alors le questionnement intime que peut avoir Maria en pleine tourmente, mais aussi le fait que cela puisse la paniquer complètement.
Oui, on a là un thriller dans lequel les spectres familiaux dansent sous nos yeux, terribles hantises. Maria n'a pas réussi sa vie de couple, Maria adore ses enfants mais sait que son mode de vie, les concerts, la vie nocturne, les à-côtés de la vie de chanteuses, clopes, alcool, drogue (je précise qu'il ne s'agit pas d'un point de vu moral, mais bien d'un constat fait par le personnage et qui émane d'une partie de son entourage), n'est pas idéal, Maria aime sa vie telle qu'elle est, lucide sur ses chances minimes de devenir une star, mais malgré tout consciente qu'elle est aux antipodes de la vie de ses parents...
Tout en elle la pousse, consciemment ou non, à ne surtout pas agir comme sa mère, mais aussi comme son père... Un père qu'elle aime, qu'elle a peut-être idolâtrer dans sa tendre jeunesse, mais qui a perdu de son lustre par la suite, devant sa façon de gérer le cas maternel. Un reproche sur sa soumission, sa démission... Et, là encore, il s'agit de crier dans chacun de ses actes, chacune de ses décisions "plus jamais ça".
La folie est aussi au coeur de ce livre. Elle l'imprègne, sauf qu'on ne sait pas qui est fou. On ne sait pas où se trouvent les îlots de raison dans cet océan de moins en moins pacifique au fil des pages. Et, lorsqu'on crois en toucher un, bien évidemment, c'est un leurre... Au point qu'on se demande, en même temps que Maria, si elle ne pourrait pas avoir pété les plombs suite à son avortement...
Pour ceux qui connaissent "Rebecca", je vous laisse juge, mais plus ça va, plus on voit quelques points communs que ce soit ces fantômes, cette demeure ou cette ambiance propice à perdre les pédales... Ca s'arrête là, ne comparons pas ce qui n'est pas comparable, pourtant, l'ambiance aussi, lourde, oppressante, m'a rappelé ce roman devenu un classique et son adaptation hitchcockienne...
Oui, l'image de Manderley s'est imposée à moi en découvrant Duinzicht. Là encore, de grosses différences, tant dans la disposition des lieux que dans la nature de la demeure, je le reconnais volontiers, mais bon, que voulez-vous, en ce moment, je fonctionne par associations d'idées, et là, ça a donné ça... Oui, je persiste et je signe, il y a un (petit) quelque chose !
Allez, cessons ces divagations, je ne voudrais pas à mon tour sombrer dans la folie. Mais j'ai beaucoup aimé ce livre, un premier roman, je crois que je ne l'ai pas encore signalé. Depuis, Saskia Noort a confirmé ses aptitudes, puisque son second livre, "Petits meurtres entre voisins" (disponible également chez Folio) a reçu le prix SNCF du polar européen il y a 3 ans. Et je me sens plutôt enclin, si l'occasion se présente, à retrouver cette romancière.
Une découverte que je dois au site LivrAddict et à l'éditeur, Folio Policier, puisque j'ai lu ce roman en partenariat avec eux. La preuve que ces offres peuvent, parfois, avec un peu de curiosité, de se retrouver avec dans les mains des livres à côté desquels on serait sans doute passé... Désormais, si on me parle de Saskia Noort, je saurai quoi dire et penser. Mais aussi, pourquoi pas, en conseiller la lecture !
Maria de Vos gagne sa vie comme chanteuse dans un groupe de seconde zone et mène de front une vie de maman de deux jeunes enfants. Merel, l'aînée, et Wolf, le cadet. Des enfants qu'elle a eu de deux lits et qu'elle élève quasiment seul. Quasiment, car Geert, le père de Wolf, son dernier compagnon en date, est dépressif depuis des mois. Une situation devenue si difficile à supporter que Maria a pris deux décisions fatidiques : le quitter et... avorter de l'enfant qu'elle attend de lui.
Mais, ces décisions tellement intimes, elle les a prises seule, mettant Geert devant le fait accompli. D'abord, ouste !, Du balai ! De régulier à ex en quelques secondes. Quant à l'autre nouvelle, elle ne lui en fait part qu'une fois l'avortement réalisé, malgré la colère qu'elle va forcément déclencher chez lui, partisan d'un agrandissement de la famille.
Pourquoi ce choix si dur à prendre ? Parce que Maria ne se voit pas mère presque célibataire, avec les revenus irréguliers d'une artiste qui ne deviendra jamais star et trois jeunes enfants à charge. En tout cas, c'est l'impression que l'on a dans les premières pages du roman, et l'on pourrait se contenter de cette seule explication si...
Si, quelques jours après l'intervention, n'avaient commencé ce qu'il faut bien appeler des menaces... Une lettre, des photos terriblement explicites, un colis bien peu ragoûtant, un canular d'un goût plus que douteux, autant d'éléments qui ont de quoi effrayer... Qui est au courant, à part Geert et elle ? D'autant que si elle sait que ses décisions ont peiné Geert, elle ne l'imagine pas se venger d'elle de cette façon... Et que penser du retour soudain de Steve, le père de Merel, réapparu comme par hasard ces derniers jours après avoir disparu de longues années ?
Petit à petit, la peur grignote du terrain, la paranoïa lui emboîte le pas, Maria devient de plus en plus nerveuse, inquiète aussi pour ses deux enfants... Car si c'est un fou qui lui en veut (et comment pourrait-il en être autrement ?), Merel et Wolf sont peut-être aussi en danger... Alors, dans l'affolement, Maria va prendre la seule décision que lui dicte son coeur de mère : la fuite.
Là encore, sans prévenir personne (en qui peut-elle avoir confiance, à Amsterdam ?), elle prend ses deux rejetons avec elle, tant pis pour l'école, et direction les bords de la Mer du Nord, à Duinzicht, là où les parents de Maria tenait une pension près des dunes, là où elle a grandi, avec sa soeur aînée, Ans. Après la mort de leurs parents, Ans n'a pas voulu quitter la maison, elle a racheté à Maria sa part pour faire de cette demeure sa maison... Quel autre havre pourrait-elle trouver pour échapper au danger que ce lieu familier ?
Pourtant, Maria n'aime pas Duinzicht. L'endroit lui rappelle trop de mauvais souvenirs d'une enfance marquée par les maux qui ont ruiné la santé puis la raison de sa mère... Elle n'aime pas cette maison trop grande, trop pleine de fantômes et de l'austérité qui caractérisait les parents d'Ans et Maria... Mais sa grande soeur, avec qui les liens se sont distendus, saura l'aider, elle en est sûre, la protéger...
Une nécessité qui tourne à l'indispensable quand, au lendemain de son arrivée sur la côte, Maria apprend qu'un incendie a détruit sa maison à Amsterdam... Trop évident pour croire à la simple coïncidence, c'est forcément un incendie criminel, l'acte du fou qui la harcèle depuis son avortement, il lui en veut, de façon de plus en plus personnelle, chacun de ses actes est plus fort, plus marquant, plus violent que les précédents... La peur et la paranoïa grimpe encore d'un cran ou deux...
Cependant, la police peine toujours à croire aux dires de Maria. D'abord, lorsqu'elle s'est décidée à aller les voir après la lettre et les photos, ils n'ont rien fait pour elle. Pas de délit constitué, pas d'enquête. A chaque nouvelle menace, le même immobilisme... Et là, alors qu'enfin, on devrait lui prêter attention, le doute s'installe : rien n'indique un incendie criminel. Les policiers penchent plus pour l'accident...
Déboussolée, Maria ne comprend pas... Pire, la voilà progressivement devenue suspecte... Et si elle était l'unique responsable de tout ça ? Une idée que son subconscient refoulait, mais comment s'empêcher d'y penser quand on a grandi auprès d'une mère folle ? Le flou grandit, Maria redoute à son tour d'avoir hérité cette prédisposition à tomber dans la démence... Oui, et si... ?
Le retour sur la côte, là où elle a vécu ce traumatisme, n'arrange rien, tout se brouille encore plus, les repères lui échappent et de nouveaux éléments, de nouvelles pistes apparaissent mais aussi de nouveaux doutes... A Duinzicht, Maria s'enfonce dans ses névroses et sa soeur, Ans, devenue psy, essaye de l'aider tant bien que mal. Y compris lorsque Maria perd les pédales, la mémoire et tout le reste, qu'elle ne contrôle plus sa vie et que la paranoïa devient la peur d'être devenue folle...
"Retour vers la côte" est un véritable thriller, car il repose sur tous les ressorts de ce genre et, en particulier, un crescendo dans la tension et une multiplication des questions que se posent aussi bien Maria que le lecteur. Mais, ne vous attendez pas pour autant à une débauche d'effets, de poursuites, de fusillades... Oui, le dénouement de ce roman va lorgner vers ces ficelles du genre, et plutôt bien, d'ailleurs, mais nous avons là un roman qui repose sur des effets avant tout psychologiques.
Lors de la première partie, on est mis devant le fait accompli : Maria a foutu son conjoint à la porte puis a choisi d'avorter. Un avortement qu'elle vit d'ailleurs assez difficilement, découvre-t-on. Car ses raisons sont douloureuses, il ne s'agit pas de se débarrasser de cet embryon encombrant, non, il s'agit d'autre chose, qu'on va découvrir et comprendre un peu plus tard. Comme une peur enfouie qui rejaillit, d'abord inconsciente, puis, qui revient à la surface sous la pression des événements...
Lorsque s'installe la possibilité que Maria soit folle, ou en tout cas, suffisamment déstabilisée par le choc subi lors de l'avortement pour avoir orchestré tout ça, hypothèse plausible, à laquelle Maria refuse d'adhérer, mais qu'elle n'écarte pas, elle est revenue dans ce cocon familial qu'elle a pourtant fui des années plus tôt. N'a-t-elle pas commis une erreur en revenant là où elle a tant souffert ?
Saskia Noort, en auteure de thrillers psychologiques émérite, nous distille alors à dose homéopathique les souvenirs de cette enfance pas vraiment heureuse... Et de nouvelles pièces s'emboîtent dans le puzzle, sans encore tout éclairer, au contraire, elles contribuent dans un premier temps à obscurcir encore l'intrigue, puisqu'on ne sait plus du tout sur quel pied danser...
Maria non plus, la pauvre. Elle qui rêvait d'un destin de star, la voilà en passe de virer cinglée sans tout le tralala qui va avec ce statut... Non, juste une pauvre folle qui pourrait mettre en danger ses enfants, ceux pour qui elle voulait se battre, au départ... A moins que toutes ces menaces soient réelles et qu'elle soit tombée la tête la première dans une épouvantable machination...
Bien sûr, comme souvent, on se dit "je le savais", mais c'est faux. Dire "c'est lui", c'est facile, expliquer le pourquoi du comment, expliciter le mobile, c'est tout autre chose... Dès les premières pages, on est aspiré dans cette histoire, très bien troussée et qui devient carrément machiavélique. On tourne les pages, on tourne les pages, et on se retrouve fort étonné lorsqu'on réalise qu'on a lu non stop pendant une heure, sans relever la tête et qu'on a bien avancé...
J'emploie souvent ce mot pour qualifier des thrillers, "efficace", en voilà un nouvel exemple. Avec, et j'y tiens, c'est un vrai cheval de bataille, quelques données en filigrane qui donnent une vision plus affûtée de la société néerlandaise. Oh, c'est pas petites touches, ici, on n'est pas dans un thriller politique, mais, en quelques mots, quelques situations, apparaissent quelques facettes d'une société à la fois si proche et si différente de la nôtre...
Mais "Retour vers la côte" est aussi un thriller sur la famille, sur l'hérédité aussi, d'une certaine manière, sur cette éducation, ces traits familiaux, ces secrets, plus ou moins cachés, qui nous marque forcément quand on les vit. Et qui nous marque de manière indélébile, même si, parfois, on réussit à enfouir tout cela au plus profond de soi... Mais, le serpent de mer de ces souvenirs guette le moment propice pour jaillir des profondeurs... Et là...
J'ai été frappé, lorsqu'on découvre peu à peu la vie de la famille Vos à Duinzicht, du parallèle qu'on peut établir entre Maria et sa mère, un parallèle troublant... Confrontée à cette évidence, à la façon de cela a pu influencer ses choix, on comprend alors le questionnement intime que peut avoir Maria en pleine tourmente, mais aussi le fait que cela puisse la paniquer complètement.
Oui, on a là un thriller dans lequel les spectres familiaux dansent sous nos yeux, terribles hantises. Maria n'a pas réussi sa vie de couple, Maria adore ses enfants mais sait que son mode de vie, les concerts, la vie nocturne, les à-côtés de la vie de chanteuses, clopes, alcool, drogue (je précise qu'il ne s'agit pas d'un point de vu moral, mais bien d'un constat fait par le personnage et qui émane d'une partie de son entourage), n'est pas idéal, Maria aime sa vie telle qu'elle est, lucide sur ses chances minimes de devenir une star, mais malgré tout consciente qu'elle est aux antipodes de la vie de ses parents...
Tout en elle la pousse, consciemment ou non, à ne surtout pas agir comme sa mère, mais aussi comme son père... Un père qu'elle aime, qu'elle a peut-être idolâtrer dans sa tendre jeunesse, mais qui a perdu de son lustre par la suite, devant sa façon de gérer le cas maternel. Un reproche sur sa soumission, sa démission... Et, là encore, il s'agit de crier dans chacun de ses actes, chacune de ses décisions "plus jamais ça".
La folie est aussi au coeur de ce livre. Elle l'imprègne, sauf qu'on ne sait pas qui est fou. On ne sait pas où se trouvent les îlots de raison dans cet océan de moins en moins pacifique au fil des pages. Et, lorsqu'on crois en toucher un, bien évidemment, c'est un leurre... Au point qu'on se demande, en même temps que Maria, si elle ne pourrait pas avoir pété les plombs suite à son avortement...
Pour ceux qui connaissent "Rebecca", je vous laisse juge, mais plus ça va, plus on voit quelques points communs que ce soit ces fantômes, cette demeure ou cette ambiance propice à perdre les pédales... Ca s'arrête là, ne comparons pas ce qui n'est pas comparable, pourtant, l'ambiance aussi, lourde, oppressante, m'a rappelé ce roman devenu un classique et son adaptation hitchcockienne...
Oui, l'image de Manderley s'est imposée à moi en découvrant Duinzicht. Là encore, de grosses différences, tant dans la disposition des lieux que dans la nature de la demeure, je le reconnais volontiers, mais bon, que voulez-vous, en ce moment, je fonctionne par associations d'idées, et là, ça a donné ça... Oui, je persiste et je signe, il y a un (petit) quelque chose !
Allez, cessons ces divagations, je ne voudrais pas à mon tour sombrer dans la folie. Mais j'ai beaucoup aimé ce livre, un premier roman, je crois que je ne l'ai pas encore signalé. Depuis, Saskia Noort a confirmé ses aptitudes, puisque son second livre, "Petits meurtres entre voisins" (disponible également chez Folio) a reçu le prix SNCF du polar européen il y a 3 ans. Et je me sens plutôt enclin, si l'occasion se présente, à retrouver cette romancière.
Une découverte que je dois au site LivrAddict et à l'éditeur, Folio Policier, puisque j'ai lu ce roman en partenariat avec eux. La preuve que ces offres peuvent, parfois, avec un peu de curiosité, de se retrouver avec dans les mains des livres à côté desquels on serait sans doute passé... Désormais, si on me parle de Saskia Noort, je saurai quoi dire et penser. Mais aussi, pourquoi pas, en conseiller la lecture !
mercredi 29 mai 2013
"Ma part d'ombre, c'est un autre moi, ça ne t'appartient pas..." (Eiffel).
ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE TROISIEME VOLET D'UNE TRILOGIE.
Un an ! Un an d'attente, de patience avant enfin de connaître le dénouement d'une trilogie... Et enfin, la délivrance, lorsque le livre arrive dans la boîte aux lettres ! Oui, il y a quelques jours, j'ai pu tenir dans mes mains le troisième roman de la trilogie "Léviathan", signée Lionel Davoust. Après "la Chute" (premier tome est sorti en poche il y a quelques jours, à bon entendeur, salut !) et "la Nuit", voici donc "le Pouvoir", que viennent de publier en grand format les éditions Don Quichotte. On va enfin comprendre pourquoi le personnage central de la trilogie, Michael Petersen, zoologiste marin souffrant pourtant d'une peur panique, voit sa vie s'écrouler autour de lui, tandis que se multiplient des phénomènes étranges et que, lui-même, est comme possédé par celui qu'on appelle l'Ombre... Un thriller fantastique dense et spectaculaire, proposant une réflexion très intéressante sur le sens de la vie humaine.
Après la mort très violente de Gordon Harper, l'ancien capitaine du Queen of Alberta, les Petersen ont choisi de quitter les Etats-Unis. Il faut dire que, plus que jamais, Michael est suspect dans une affaire de meurtre, lui qui a déjà été soupçonné dans d'autres décès aussi brutaux qu'inexplicables, puisque ces personnes sont mortes noyées alors qu'elles se trouvaient bien loin de la mer...
Avec l'aide de l'agent du FBI Andrew Leon et de sa collègue et maîtresse, Carolyn, Michael, Megan et leur fils Eric ont pu bénéficier d'une fausse identité pour prendre la direction du Canada. Pourquoi cette destination ? Petersen veut absolument revenir sur les lieux du naufrage du Queen of Alberta, qui eut lieu 30 ans plus tôt. Le zoologiste y a perdu ses parents et est resté gravement phobique, suite à ce traumatisme. Il est désormais certain que c'est là que tout à commencé qu'il comprendra les événements tragiques qui se multiplient depuis quelques mois autour de lui...
Mais, lorsque les Petersen approche du lieu de la catastrophe maritime, Megan essaye de dissuader Michael de plonger dans le but de voir l'épave. La jeune femme a de quoi être un peu effrayée : depuis le naufrage, Michael a toujours eu une peur bleue de l'eau, au point de ne jamais s'approcher de l'océan, même dans le cadre de son métier ! Pourtant, le voilà naturellement aux commandes d'une vedette, envisageant de plonger comme si c'était un geste quotidien...
La peur n'est pourtant pas la seule motivation de Megan : cette visite macabre en Colombie-Britannique risque de révéler bien des mensonges, dont a été victime le zoologiste, y compris ceux de son épouse. Alors, celle-ci, la mort dans l'âme, va devoir menacer l'homme qu'elle aime pour l'obliger à faire demi-tour... Et, en agissant ainsi, elle va réveiller la mer, une meute, il n'y a pas d'autres mots, d'animaux marins, orques en tête, qui poursuivent le bateau...
Pendant ce temps, l'agent du FBI Andrew Leon n'a pas encore de soucis avec sa hiérarchie, mais ceux qui l'attendent sont d'un tout autre calibre... En effet, l'algorithme qu'il a mis au point et qui permet, pardon si je simplifie abusivement, de détecter les phénomènes surnaturels là où ils se produisent, a attiré l'attention des deux Voies, d'abord la Main Droite, puis la Main Gauche.
La Main Droite a envoyé un de ses fers de lance, le bien nommé inquisiteur Mandylion. Ses arguments sont... musclés, à défaut d'être convaincants, en tout cas pour Leon. Celui-ci refuse de coopérer et provoque ainsi l'ire de Mandylion. Sans l'intervention d'une des mages de la Main Gauche, sans doute aurait-il fini dans les geôles de l'Inquisition, cet organisme d'un autre temps, dont le nom a changé, mais pas l'influence...
Pourtant, ce sauvetage, pour l'agent du FBI, c'est comme tomber de Charybde en Scylla... Les intentions de la Main Gauche n'ont rien à envier à celles de la Main Droite. Leurs méthodes, non plus. Quant aux scrupules, je ne suis pas certain qu'ils connaissent le sens de ce mot... Il va falloir à Leon subir la pire des épreuves et ne pas craquer s'il ne veut pas voir sa découverte utilisée à des fins terrifiantes...
L'Ombre, elle aussi, surveille les événements de près. C'est elle qui va tirer Michael des mauvais pas dans lequel il se retrouve, car l'étau se resserre, les mages de la Main Gauche fondent sur lui... Peu à peu, les motivations des uns et des autres se dévoilent, les rivalités aussi, au sein du Comité, où chaque mage nourrit des ambitions propres... Eh oui, pas pour rien que ce troisième tome a pour sous-titre "le Pouvoir"... Dans différentes acceptions du mot, d'ailleurs...
L'épouse de Michael, elle, doit jouer un bien dangereux double jeu si elle veut apporter son aide au zoologiste... Mais, cette ambiguïté risque de lui coûter son amour, sa famille, peut-être sa vie... La voilà condamnée à trahir, encore, cette fois-ci pour une cause en laquelle elle croit sincèrement, du plus profond de son coeur... Voilà qui ne s'annonce pas évidemment, entourée qu'elle est des mages les plus puissants qui soient...
Désormais, au Canada, les masques vont tomber, les affrontements décisifs vont se dérouler, chacun des personnages va se retrouver confronté aux autres, mais surtout à lui-même. Car, en plus des batailles titanesques qui vont définir des hiérarchies, régler des comptes et affirmer la puissance des uns et des autres, ce dernier volume de la trilogie de Lionel Davoust propose des combats intérieurs violents, où les caractères, les qualités et les défauts des protagonistes vont émerger...
Dans cette ambiance délétère, Michael Petersen sera une nouvelle fois le centre d'attraction de tout ce jeu d'influences, le coeur, le noyau de la puissance dépassant notre entendement qui va se déchaîner. Il est l'épicentre simultanément d'une explosion et d'une implosion formidables qui vont modifier bien des choses dans la perception de chacun de l'existence en général et de sa propre vie, en particulier.
Bien sûr, je ne suis pas très clair dans ce que je raconte. Mais, si vous avez déjà lu les deux premiers volets, il me semble très important de ne pas en dire trop sur les enjeux de ce dénouement ; et si vous tombez sur ce billet sans connaître le "Léviathan" de Lionel Davoust, là, je ne peux que vous conseillez d'entreprendre la lecture de ces livres, que l'auteur qualifie d'urban fantasy, que l'éditeur a choisi d'étiqueter "thriller" mais qui est un savant et savoureux mélange des deux, un thriller contemporain dense et efficace, mâtiné de fantasy, qui fait irruption dans l'histoire d'abord presque subrepticement, puis de manière de plus en plus spectaculaire...
Avant d'évoquer les thématiques de ce troisième tiers, une parenthèse subjective et toute personnelle. J'ai connu avec "Léviathan", et plus encore avec ce troisième tome, une expérience de lecture particulière... Tout au long de ces trois livres, j'ai eu la sensation de suivre un récit en noir et blanc... Je pense, pour avoir retourné cette question dans mon esprit malade, que j'ai été influencé par l'omniprésence de l'océan.
Mais pas un océan de carte postale, turquoise, apaisée, qui donne envie que piquer une tête illico... Non, l'océan noir, sombre, glacial, menaçant, tel qu'il apparaît par exemple à la fin du premier tome, lorsque Petersen disparaît, mais aussi, tout au long de ce troisième tome, où son rôle ne lui donne pas une image façon affiche publicitaire pour le Club Med.
Une noirceur qui m'a sans doute poussé à "voir" l'histoire se dérouler dans un camaïeu de gris, avec une nette tonalité sombre... Sauf, sauf pendant les scènes de combats, incroyablement chorégraphiées, terriblement visuelles et séduisantes... Un danger fascinant, explosif, étincelant, qui se pare de couleurs magnifiques et chatoyantes, dans mon esprit de lecteur...
En discutant lors des Imaginales d'Epinal de ce livre, on m'a dit, lorsque j'ai exposé cette lubie bizarre, que ça faisait penser au film "Sin City"... Oui et non. D'abord parce que je n'ai pas imaginé le côté graphique façon Comics de "Sin City", pour moi, "Léviathan" est un récit réaliste malgré le fantastique. Ensuite, parce que ce sont des personnages de chair et de sang que je vois évoluer au fil des pages... Mais, malgré ces différences, il y a quand même un peu de ça, oui...
Et puisque je parle de ce que j'ai "vu" en lisant ce dernier volet (amis lecteurs, vous savez ce que je veux dire, quand j'emploie le mot "voir" dans ce contexte, n'est-ce pas ?), je dois dire que les combats évoqués ci-dessus, sont encore une fois époustouflants ! Directement sortis de films de sabre asiatiques (les mages combattent en effet avec des épées rituelles), ils ont fait frétiller mon imagination et tout ce qui dans mon cerveau est chargé de transmettre...
Entre cette filière asiatique et ma lubie coloriste, figurez-vous que j'ai eu l'impression de lire un récit dans la lignée de "Hero", film juste splendide, où l'utilisation des couleurs, autant que les figures réalisées par les comédiens, joue un rôle aussi bien que les faits racontés eux-mêmes. C'est... juste beau, je ne vais pas m'appesantir, juste vous conseiller de voir "Hero", si vous ne connaissez pas encore, et de lire "Léviathan", évidemment ! Ah bon, je l'ai déjà dit ? Je radote, alors, l'âge, sans doute...
Refermons cette (longue) parenthèse si subjective, mais qui, j'en suis certain, pourrait ouvrir de longues discussions, tant, d'un lecteur à l'autre, ce genre de vision varie... Revenons au court plus classique de notre billet en approfondissant le point majeur déjà évoqué plus haut, point névralgique, pour moi, de ce troisième tome de "Léviathan" : la lutte, contre les autres, évidemment, mais aussi contre soi-même, pour faire sortir de la gangue un être nouveau, libre peut-être, assumant cette nouvelle voie, située entre la Main Droite et la Main Gauche, entre ces carcans que l'un comme l'autre camp cherchent à imposer.
Au sein du comité, les mages sont en lutte avec eux-mêmes, d'une certaine façon, car, petit à petit, leurs ambitions prennent le dessus sur le projet global de la Voie de la Main Gauche. Comme des coutures qui, l'une après l'autre, saute... Mais, on comprend peu à peu que Julius et Alukar ne sont pas les premiers à se laisser ainsi aller à vouloir suivre leur propre chemin, que les dissensions ne sont pas nouvelles entre les mages, que la belle unité affichée de longue date se lézarde de plus en plus.
D'où les oppositions frontales qui vont se déclencher, non comme des cerfs s'affrontant à la force de leurs bois pour atteindre une suprématie sur ses congénères, mais véritablement comme une quête individuelle pour un acquérir un pouvoir extraordinaire, difficilement qualifiable avec notre vocabulaire, croit-on, avant, en fin d'histoire, d'en mesurer l'ampleur...
Pour Megan et Andrew, là aussi, la lutte est autant intérieure qu'un combat contre une adversité. Bien sûr, chacun d'eux doit affronter la puissance destructrice des mages et tout ce qu'elle pourrait entraîner dans leur existence (à condition d'y survivre...). Mais leur survie dépend aussi d'eux-mêmes et peut-être avant tout d'eux-mêmes...
Megan doit se faire violence pour revenir vers ceux qui l'ont envoyée auprès de Michael et leur donner le change. Après avoir été séparée de son mari, devant veiller sur son fils, elle ne sait absolument pas ce qu'il va advenir de Michael, si elle a le moindre espoir de retrouver un jour l'homme dont elle est tombée amoureuse, en totale contradiction avec sa mission initiale...
Rejouer ce jeu de la femme soumise à la puissance magique, alors qu'elle n'y croit plus, qu'elle n'a plus aucune confiance en ses maîtres et qu'elle ne désire que comprendre ce qui arrive à Michael pour essayer de le sauver, le sauver de ces dangers dont elle a une idée, c'est vrai, mais finalement assez vague. Se mettre en danger ne sera rien, à côté de l'introspection qui commence dès les premières pages de cette dernière partie, introspection qui fait d'elle une traîtresse, une femme qui devra convaincre son homme qu'elle a toujours été sincère en matière de sentiments... Mais que les révélations seront lourdes et parfois inattendues !
Quant à Leon, pris au piège pour avoir découvert par accident ce fameux algorithme, il mesure vite l'enjeu. Pas difficile de comprendre, en même temps, que sa vie ne tient qu'à un fil : s'il lâche les éléments nécessaires pour qu'un autre que lui, forcément bien moins bien intentionné en prenne le contrôle, alors, on se débarrassera de lui aussitôt...
Au-delà du risque que sa découverte tombe entre de mauvaises mains, il y a donc sa capacité à survivre, à se battre contre lui-même, sa souffrance, son découragement, la folie aux confins de laquelle vont le conduire les traitements de choc auxquels il va être soumis. Mais ne pas lâcher, surtout ne pas lâcher, de sa résistance et de son combat contre lui-même dépend bien plus qu'une possible survie... Et, s'il y parvient, alors, sans doute se révélera-t-il à lui-même, bien au-delà de ce qu'il peut imaginer...
Enfin, Michael Petersen... Falot en début de trilogie, il a dû composer avec ce qui s'est éveillé en lui, ce qu'il a déclenché ou ce qu'on a déclenché pour lui, allez savoir... Bien sûr, après un premier volet qui nous laissait complètement dans la mélasse, on a vu s'esquisser dans le deuxième tome ce qui clochait chez ce garçon sans histoire... Ici, on va enfin mieux comprendre tout ce qui fait de ce gars anodin, transparent, le centre de toutes les attentions, la cible de puissances phénoménales.
Mais, là encore, au-delà de cette lutte pour survivre à ceux qui, manifestement, veulent le tuer, on découvre une lutte terrible d'un homme contre lui-même. Si j'ai un peu extrapolé pour rédiger les paragraphes précédents, ici, je suis tranquille, tout est dans le livre. Dans le tome 2, on avait vu apparaître celui qu'on appelait alors l'Ombre, je vais garder ce vocable, ce qui préservera le mystère sur son identité réelle.
Ce que je peux cependant dire, c'est qu'il y a véritable cohabitation entre Michael et l'Ombre. Et plus pour le pire que pour le meilleur. Deux revers d'une même médaille, tant ces deux-là paraissent opposés en tous points. Mais comment accepter que l'Ombre, fatale, venimeuse, impitoyable, soit une partie de soit ? Comment reprendre le contrôle de son esprit, de son existence ? Voilà ce que dois découvrir Michael Petersen, alors qu'il est une proie d'autres forces censées le dépasser...
Je ne vais pas plus loin, car voilà tout l'enjeu de ce dernier tome, tout ce qui va conditionner le dénouement de cette excellente trilogie qui vient confirmer le talent de Lionel Davoust, déjà bien apparent dans "la Volonté du Dragon", mais aussi dans la plupart de ses nouvelles. "Léviathan" est d'ailleurs pour moi dans la lignée de ce premier roman, purement du genre fantasy, celui-là, dans l'utilisation du jeu...
Dans "la volonté du Dragon", c'est un jeu qui ressemble fort à nos échecs qui est au coeur du récit. Dans "Léviathan", on est plus proche du jeu de rôles, chaque mage bénéficiant de spécificités individuelles, de forces et de faiblesses que les autres doivent exploiter. Qui jette les dés, qui décide des affrontements ? Ca... L'auteur, répond le blogueur qui se défile !
Cette impression a été renforcée par la structure des combats, souvent longs, où chacun des belligérants éprouve l'autre, cherche la faille, l'erreur, mais aussi à affaiblir son adversaire en espérant posséder une endurance supérieure. Le lecteur, témoin des joutes, voit comme des points de vie s'envoler, comme des barres de puissance se réduire...
L'enjeu de ce jeu de rôles grandeur nature n'est pas un fabuleux trésor, le coeur d'une belle princesse, la couronne d'un riche royaume, ni même un quelconque pouvoir terrestre, comme on pourrait l'entendre, mais quelque chose de plus précieux et de plus fort à la fois, quelque chose d'inestimable tant c'est difficile à acquérir : la liberté !
La liberté d'un homme, Michael Petersen, dont on l'a privé "à l'insu de son plein gré". Mais, sortons de la simple dimension livresque : le message est pour nous aussi, chaque lecteur de cette trilogie, pour que nous sachions à notre tour saisir notre liberté, en nous affranchissant des systèmes, des formatages, des contingences qu'on nous impose du berceau à la tombe.
Oui, ce Léviathan qui est en nous tous, mais que ceux qui nous dirigent veulent empêcher de sortir, à tout prix, c'est la Liberté...
A méditer...
(NDLA : le titre est tiré du texte de la chanson "Ma part d'ombre", du groupe Eiffel).
Pendant ce temps, l'agent du FBI Andrew Leon n'a pas encore de soucis avec sa hiérarchie, mais ceux qui l'attendent sont d'un tout autre calibre... En effet, l'algorithme qu'il a mis au point et qui permet, pardon si je simplifie abusivement, de détecter les phénomènes surnaturels là où ils se produisent, a attiré l'attention des deux Voies, d'abord la Main Droite, puis la Main Gauche.
La Main Droite a envoyé un de ses fers de lance, le bien nommé inquisiteur Mandylion. Ses arguments sont... musclés, à défaut d'être convaincants, en tout cas pour Leon. Celui-ci refuse de coopérer et provoque ainsi l'ire de Mandylion. Sans l'intervention d'une des mages de la Main Gauche, sans doute aurait-il fini dans les geôles de l'Inquisition, cet organisme d'un autre temps, dont le nom a changé, mais pas l'influence...
Pourtant, ce sauvetage, pour l'agent du FBI, c'est comme tomber de Charybde en Scylla... Les intentions de la Main Gauche n'ont rien à envier à celles de la Main Droite. Leurs méthodes, non plus. Quant aux scrupules, je ne suis pas certain qu'ils connaissent le sens de ce mot... Il va falloir à Leon subir la pire des épreuves et ne pas craquer s'il ne veut pas voir sa découverte utilisée à des fins terrifiantes...
L'Ombre, elle aussi, surveille les événements de près. C'est elle qui va tirer Michael des mauvais pas dans lequel il se retrouve, car l'étau se resserre, les mages de la Main Gauche fondent sur lui... Peu à peu, les motivations des uns et des autres se dévoilent, les rivalités aussi, au sein du Comité, où chaque mage nourrit des ambitions propres... Eh oui, pas pour rien que ce troisième tome a pour sous-titre "le Pouvoir"... Dans différentes acceptions du mot, d'ailleurs...
L'épouse de Michael, elle, doit jouer un bien dangereux double jeu si elle veut apporter son aide au zoologiste... Mais, cette ambiguïté risque de lui coûter son amour, sa famille, peut-être sa vie... La voilà condamnée à trahir, encore, cette fois-ci pour une cause en laquelle elle croit sincèrement, du plus profond de son coeur... Voilà qui ne s'annonce pas évidemment, entourée qu'elle est des mages les plus puissants qui soient...
Désormais, au Canada, les masques vont tomber, les affrontements décisifs vont se dérouler, chacun des personnages va se retrouver confronté aux autres, mais surtout à lui-même. Car, en plus des batailles titanesques qui vont définir des hiérarchies, régler des comptes et affirmer la puissance des uns et des autres, ce dernier volume de la trilogie de Lionel Davoust propose des combats intérieurs violents, où les caractères, les qualités et les défauts des protagonistes vont émerger...
Dans cette ambiance délétère, Michael Petersen sera une nouvelle fois le centre d'attraction de tout ce jeu d'influences, le coeur, le noyau de la puissance dépassant notre entendement qui va se déchaîner. Il est l'épicentre simultanément d'une explosion et d'une implosion formidables qui vont modifier bien des choses dans la perception de chacun de l'existence en général et de sa propre vie, en particulier.
Bien sûr, je ne suis pas très clair dans ce que je raconte. Mais, si vous avez déjà lu les deux premiers volets, il me semble très important de ne pas en dire trop sur les enjeux de ce dénouement ; et si vous tombez sur ce billet sans connaître le "Léviathan" de Lionel Davoust, là, je ne peux que vous conseillez d'entreprendre la lecture de ces livres, que l'auteur qualifie d'urban fantasy, que l'éditeur a choisi d'étiqueter "thriller" mais qui est un savant et savoureux mélange des deux, un thriller contemporain dense et efficace, mâtiné de fantasy, qui fait irruption dans l'histoire d'abord presque subrepticement, puis de manière de plus en plus spectaculaire...
Avant d'évoquer les thématiques de ce troisième tiers, une parenthèse subjective et toute personnelle. J'ai connu avec "Léviathan", et plus encore avec ce troisième tome, une expérience de lecture particulière... Tout au long de ces trois livres, j'ai eu la sensation de suivre un récit en noir et blanc... Je pense, pour avoir retourné cette question dans mon esprit malade, que j'ai été influencé par l'omniprésence de l'océan.
Mais pas un océan de carte postale, turquoise, apaisée, qui donne envie que piquer une tête illico... Non, l'océan noir, sombre, glacial, menaçant, tel qu'il apparaît par exemple à la fin du premier tome, lorsque Petersen disparaît, mais aussi, tout au long de ce troisième tome, où son rôle ne lui donne pas une image façon affiche publicitaire pour le Club Med.
Une noirceur qui m'a sans doute poussé à "voir" l'histoire se dérouler dans un camaïeu de gris, avec une nette tonalité sombre... Sauf, sauf pendant les scènes de combats, incroyablement chorégraphiées, terriblement visuelles et séduisantes... Un danger fascinant, explosif, étincelant, qui se pare de couleurs magnifiques et chatoyantes, dans mon esprit de lecteur...
En discutant lors des Imaginales d'Epinal de ce livre, on m'a dit, lorsque j'ai exposé cette lubie bizarre, que ça faisait penser au film "Sin City"... Oui et non. D'abord parce que je n'ai pas imaginé le côté graphique façon Comics de "Sin City", pour moi, "Léviathan" est un récit réaliste malgré le fantastique. Ensuite, parce que ce sont des personnages de chair et de sang que je vois évoluer au fil des pages... Mais, malgré ces différences, il y a quand même un peu de ça, oui...
Et puisque je parle de ce que j'ai "vu" en lisant ce dernier volet (amis lecteurs, vous savez ce que je veux dire, quand j'emploie le mot "voir" dans ce contexte, n'est-ce pas ?), je dois dire que les combats évoqués ci-dessus, sont encore une fois époustouflants ! Directement sortis de films de sabre asiatiques (les mages combattent en effet avec des épées rituelles), ils ont fait frétiller mon imagination et tout ce qui dans mon cerveau est chargé de transmettre...
Entre cette filière asiatique et ma lubie coloriste, figurez-vous que j'ai eu l'impression de lire un récit dans la lignée de "Hero", film juste splendide, où l'utilisation des couleurs, autant que les figures réalisées par les comédiens, joue un rôle aussi bien que les faits racontés eux-mêmes. C'est... juste beau, je ne vais pas m'appesantir, juste vous conseiller de voir "Hero", si vous ne connaissez pas encore, et de lire "Léviathan", évidemment ! Ah bon, je l'ai déjà dit ? Je radote, alors, l'âge, sans doute...
Refermons cette (longue) parenthèse si subjective, mais qui, j'en suis certain, pourrait ouvrir de longues discussions, tant, d'un lecteur à l'autre, ce genre de vision varie... Revenons au court plus classique de notre billet en approfondissant le point majeur déjà évoqué plus haut, point névralgique, pour moi, de ce troisième tome de "Léviathan" : la lutte, contre les autres, évidemment, mais aussi contre soi-même, pour faire sortir de la gangue un être nouveau, libre peut-être, assumant cette nouvelle voie, située entre la Main Droite et la Main Gauche, entre ces carcans que l'un comme l'autre camp cherchent à imposer.
Au sein du comité, les mages sont en lutte avec eux-mêmes, d'une certaine façon, car, petit à petit, leurs ambitions prennent le dessus sur le projet global de la Voie de la Main Gauche. Comme des coutures qui, l'une après l'autre, saute... Mais, on comprend peu à peu que Julius et Alukar ne sont pas les premiers à se laisser ainsi aller à vouloir suivre leur propre chemin, que les dissensions ne sont pas nouvelles entre les mages, que la belle unité affichée de longue date se lézarde de plus en plus.
D'où les oppositions frontales qui vont se déclencher, non comme des cerfs s'affrontant à la force de leurs bois pour atteindre une suprématie sur ses congénères, mais véritablement comme une quête individuelle pour un acquérir un pouvoir extraordinaire, difficilement qualifiable avec notre vocabulaire, croit-on, avant, en fin d'histoire, d'en mesurer l'ampleur...
Pour Megan et Andrew, là aussi, la lutte est autant intérieure qu'un combat contre une adversité. Bien sûr, chacun d'eux doit affronter la puissance destructrice des mages et tout ce qu'elle pourrait entraîner dans leur existence (à condition d'y survivre...). Mais leur survie dépend aussi d'eux-mêmes et peut-être avant tout d'eux-mêmes...
Megan doit se faire violence pour revenir vers ceux qui l'ont envoyée auprès de Michael et leur donner le change. Après avoir été séparée de son mari, devant veiller sur son fils, elle ne sait absolument pas ce qu'il va advenir de Michael, si elle a le moindre espoir de retrouver un jour l'homme dont elle est tombée amoureuse, en totale contradiction avec sa mission initiale...
Rejouer ce jeu de la femme soumise à la puissance magique, alors qu'elle n'y croit plus, qu'elle n'a plus aucune confiance en ses maîtres et qu'elle ne désire que comprendre ce qui arrive à Michael pour essayer de le sauver, le sauver de ces dangers dont elle a une idée, c'est vrai, mais finalement assez vague. Se mettre en danger ne sera rien, à côté de l'introspection qui commence dès les premières pages de cette dernière partie, introspection qui fait d'elle une traîtresse, une femme qui devra convaincre son homme qu'elle a toujours été sincère en matière de sentiments... Mais que les révélations seront lourdes et parfois inattendues !
Quant à Leon, pris au piège pour avoir découvert par accident ce fameux algorithme, il mesure vite l'enjeu. Pas difficile de comprendre, en même temps, que sa vie ne tient qu'à un fil : s'il lâche les éléments nécessaires pour qu'un autre que lui, forcément bien moins bien intentionné en prenne le contrôle, alors, on se débarrassera de lui aussitôt...
Au-delà du risque que sa découverte tombe entre de mauvaises mains, il y a donc sa capacité à survivre, à se battre contre lui-même, sa souffrance, son découragement, la folie aux confins de laquelle vont le conduire les traitements de choc auxquels il va être soumis. Mais ne pas lâcher, surtout ne pas lâcher, de sa résistance et de son combat contre lui-même dépend bien plus qu'une possible survie... Et, s'il y parvient, alors, sans doute se révélera-t-il à lui-même, bien au-delà de ce qu'il peut imaginer...
Enfin, Michael Petersen... Falot en début de trilogie, il a dû composer avec ce qui s'est éveillé en lui, ce qu'il a déclenché ou ce qu'on a déclenché pour lui, allez savoir... Bien sûr, après un premier volet qui nous laissait complètement dans la mélasse, on a vu s'esquisser dans le deuxième tome ce qui clochait chez ce garçon sans histoire... Ici, on va enfin mieux comprendre tout ce qui fait de ce gars anodin, transparent, le centre de toutes les attentions, la cible de puissances phénoménales.
Mais, là encore, au-delà de cette lutte pour survivre à ceux qui, manifestement, veulent le tuer, on découvre une lutte terrible d'un homme contre lui-même. Si j'ai un peu extrapolé pour rédiger les paragraphes précédents, ici, je suis tranquille, tout est dans le livre. Dans le tome 2, on avait vu apparaître celui qu'on appelait alors l'Ombre, je vais garder ce vocable, ce qui préservera le mystère sur son identité réelle.
Ce que je peux cependant dire, c'est qu'il y a véritable cohabitation entre Michael et l'Ombre. Et plus pour le pire que pour le meilleur. Deux revers d'une même médaille, tant ces deux-là paraissent opposés en tous points. Mais comment accepter que l'Ombre, fatale, venimeuse, impitoyable, soit une partie de soit ? Comment reprendre le contrôle de son esprit, de son existence ? Voilà ce que dois découvrir Michael Petersen, alors qu'il est une proie d'autres forces censées le dépasser...
Je ne vais pas plus loin, car voilà tout l'enjeu de ce dernier tome, tout ce qui va conditionner le dénouement de cette excellente trilogie qui vient confirmer le talent de Lionel Davoust, déjà bien apparent dans "la Volonté du Dragon", mais aussi dans la plupart de ses nouvelles. "Léviathan" est d'ailleurs pour moi dans la lignée de ce premier roman, purement du genre fantasy, celui-là, dans l'utilisation du jeu...
Dans "la volonté du Dragon", c'est un jeu qui ressemble fort à nos échecs qui est au coeur du récit. Dans "Léviathan", on est plus proche du jeu de rôles, chaque mage bénéficiant de spécificités individuelles, de forces et de faiblesses que les autres doivent exploiter. Qui jette les dés, qui décide des affrontements ? Ca... L'auteur, répond le blogueur qui se défile !
Cette impression a été renforcée par la structure des combats, souvent longs, où chacun des belligérants éprouve l'autre, cherche la faille, l'erreur, mais aussi à affaiblir son adversaire en espérant posséder une endurance supérieure. Le lecteur, témoin des joutes, voit comme des points de vie s'envoler, comme des barres de puissance se réduire...
L'enjeu de ce jeu de rôles grandeur nature n'est pas un fabuleux trésor, le coeur d'une belle princesse, la couronne d'un riche royaume, ni même un quelconque pouvoir terrestre, comme on pourrait l'entendre, mais quelque chose de plus précieux et de plus fort à la fois, quelque chose d'inestimable tant c'est difficile à acquérir : la liberté !
La liberté d'un homme, Michael Petersen, dont on l'a privé "à l'insu de son plein gré". Mais, sortons de la simple dimension livresque : le message est pour nous aussi, chaque lecteur de cette trilogie, pour que nous sachions à notre tour saisir notre liberté, en nous affranchissant des systèmes, des formatages, des contingences qu'on nous impose du berceau à la tombe.
Oui, ce Léviathan qui est en nous tous, mais que ceux qui nous dirigent veulent empêcher de sortir, à tout prix, c'est la Liberté...
A méditer...
(NDLA : le titre est tiré du texte de la chanson "Ma part d'ombre", du groupe Eiffel).
vendredi 17 mai 2013
"Sept templiers, trois portes, une seule vérité".
Il est des personnages récurrents, même très originaux, qu'on laisse voguer un temps sans nous, puis qu'on retrouve. Pour moi, c'est le cas d'Antoine Marcas, flic et franc-maçon, personnage créé par le duo Eric Giacometti et Jacques Ravenne. J'avais lu leurs premiers thrillers ésotériques sans déplaisir, bien au contraire, et puis, j'avais laissé ce personnage de côté. Je le retrouve grâce à la venue de ses créateurs à Epinal, pour les Imaginales, et je me suis pris au jeu de ce septième volet, intitulé justement "le septième templier" (en poche chez Pocket). Un roman où 3 récits s'entremêlent et où la fiction, on va le voir, est rattrapé par la réalité...
Philippe le Bel ne sait plus comment s'en sortir. En cette année 1307, les caisses du Royaume de France sont désespérément vides. Son homme de confiance, Guillaume de Nogaret, lui dresse un portrait plus qu'inquiétant du pays : les pauvres n'ont plus rien, les riches se révolteront si on leur fait porter le poids de l'impôt et faire payer l'Eglise risque de sérieusement froisser le Saint-Siège...
Il faut dire que Philippe le Bel a déjà eu de sérieux démêlés avec le précédent pape, Boniface VIII, échappant de peu à l'excommunication, alors, la diplomatie vis-à-vis de Clément V, désormais Souverain Pontife, demande un grand tact et quelques sacrifices. Mais, lorsque germe une nouvelle idée pour remplir les caisses, le roi de France et son ministre sont conscients qu'ils vont devoir s'allier avec le pape, sans lequel rien ne pourra se faire.
Cette idée, c'est s'accaparer, au nom du royaume, le trésor des Templiers, cet ordre de moines-soldats né au retour des croisades. Ce trésor, dit-on, serait tout bonnement faramineux, et nombre d'histoires et de rumeurs courent à ce sujet, laissant penser que cet or (oui, c'est forcément de l'or) a été acquis de façon malhonnête ou pire, mystérieuse...
Non, je ne vous raconte pas là le début des "Rois Maudits", mais bel et bien le point de départ du "Septième templier", ce premier récit, 100% historique, qui ne s'arrête pas au prologue, comme cela arrive parfois dans certains thrillers ésotériques (ce n'est pas une critique, juste une constatation), mais se poursuit tout au long du roman comme un thriller à l'intérieur du thriller.
Précisions, pour en finir avec cet aspect-là du roman, qu'il repose évidemment sur une relecture des faits historiques qui aboutiront à l'arrestation et au massacre de la majeure partie des templiers (avec quelques précisions intéressantes à remarquer, en fin d'ouvrage), mais aussi sur le destin, totalement fictif, du frère Guilhem, apothicaire à Saint-Germain-l'Auxerrois, que sa fascination pour l'anatomie humaine va propulser, bien malgré lui, dans des aventures dont nul ne sortira indemne...
Sept siècles plus tard (je me demande, faussement naïf, si le 7 n'aurait pas une signification maçonnique, dites donc...), Antoine Marcas, commissaire de police de son état mais aussi franc-maçon, est invité par un de ses amis, un aristocrate polonais un brin excentrique, lui aussi maçon, dans un château de République Tchèque. Il ne sait pas trop à quoi s'attendre, connaissant le Comte Potocki, mais ce séjour va s'avérer plein de surprises, et pas uniquement des bonnes...
D'abord, la présence d'un prêtre parmi les invités... En bon frère, Marcas se méfie instinctivement des ecclésiastiques, les relations entre le Vatican et la Maçonnerie étant plus que tendues depuis quelques années déjà. Mais, ce père Da Silva, un prêtre portugais travaillant justement à Rome semble... bien différent des idées reçues qu'on peut avoir, même pour un frère trois points. On voit même apparaître une certaine ressemblance entre les deux hommes, malgré tout ce qui peut les séparer...
Mais, ce séjour tchèque sera aussi l'occasion pour les invités de faire une hallucinante découverte dans ce château (je me suis un peu demandé, d'ailleurs, à quoi servait cette partie-là, si ce n'est affirmer une nouvelle fois l'intégrité de Marcas). Une découverte en prélude à un séjour enrichissant, dans tous les sens du terme, mais qui va tourner court pour Marcas.
La faute à un appel téléphonique sur le portable du commissaire. Une erreur, sans doute... C'est ce que crois Marcas, de prime abord, mais les mots, hachés, peu clairs, de l'interlocuteur, ont éveillé la curiosité du flic et du maçon qui cohabitent en lui... Le vocabulaire, l'homme qui l'appelle "frère", cette détonation soudaine et cette femme qui prend le combiné et raccroche après s'être excusée... C'est... bizarre...
Mais il va lui falloir attendre d'être rentré (en urgence) en France pour comprendre qu'il était bien le destinataire de cet appel et que la situation est critique : l'homme qui l'a appelé a été retrouvé mort dans son appartement, décapité... Une sale histoire qui va prendre un tour plus dangereux et personnel encore quand, au bas de l'immeuble de la victime, Marcas est enlevé...
Commence une course-poursuite à double enjeu, pour Marcas : comprendre pourquoi on a assassiné ce frère, appartenant à une loge assez mystérieuse, et échapper à ses kidnappeurs, menés par une tueuse redoutable surnommée la Louve... Une enquête absolument pas officielle au cours de laquelle Marcas va aller de découvertes en rencontres, au péril constant de sa vie... Son expérience maçonnique ne sera pas de trop pour résoudre les problèmes posés mais aussi pour survivre...
Et puis, troisième récit, troisième lieu : le Vatican. Un Etat menacé par un scandale capable de remettre en cause jusqu'à son existence même... Sans compter les dégâts auprès des catholiques du monde entier qui, si l'affaire était rendue publique, pourraient se détourner en masse de ce pouvoir moral, certes humain et temporel, mais régnant sur plus d'un milliard de fidèles...
L'affaire tombe d'autant plus mal que le Saint-Siège semble vivre dans une ambiance de fin de règne... Un pape âgé, malade, controversé sur le plan idéologique comme théologique... Son pontificat déjà délicat serait entaché de façon indélébile par un scandale peut-être encore pire que celui du Banco Ambrosiano, au début des années 1980 (tiens, il n'y avait pas des francs-maçons, aussi, dans cette histoire ?)...
Et voilà que, par-dessus le marché, le pape en personne pourrait être menacé. Les services de sécurité du Vatican sont sur les dents, leurs informations sont sans doute fiables, mais difficiles à recouper et le temps presse... Les intrigues politiciennes, dont la minuscule théocratie n'est pas exempte, loin de là, se multiplie tandis que la menace se précise...
Complots, manigances, secrets et l'éternel duo pouvoir-pognon qui corrompt tout... Voilà un cocktail idéal pour réveiller des idées endormies depuis longtemps mais qui, à intervalle régulier, resurgissent. Oh, c'est vrai, habituellement, c'est plutôt l'imaginaire collectif qui s'en charge, un best-seller, un blockbuster hollywoodien... Mais, les enjeux sont si énormes...
Pas besoin d'être grand clerc : voici en quelques lignes réunis tous les ingrédients qui font les thrillers ésotériques. Un genre en vogue, dans la foulée du "maître du genre", Dan Brown, mais qui nous offre souvent à boire et à manger, en terme de qualité, de niveau de théorie du complot, de facilités, de raccourcis, de clichés et de préjugés... Ici, je ne dis pas que c'est complètement différent, mais il y a certains éléments qui méritent qu'on s'y intéresse...
D'abord, parce que le coeur de cette série, c'est la franc-maçonnerie. Vous, je ne sais pas, mais moi, je ne suis pas un initié, j'en sais peu sur cette société aux facettes multiples et au rituel élaboré. Et le peu que j'en sais est souvent basé sur des on-dit, des poncifs (pas souverains, ceux-là), des a priori rarement positifs, des cas particuliers, des faits divers... Bref, rien qui suffise à se faire une idée par soi-même.
Or, même si Ravenne et Giacometti ont choisi le thriller, genre littéraire particulier qui se doit de se concentrer sur l'action, ils ont également opté pour la pédagogie : chacun de leurs romans se termine par des annexes très intéressantes. Un glossaire des termes maçonniques, plus large d'ailleurs que ceux qu'on peut rencontrer dans le livre (il faut dire que Marcas est un peu en jachère maçonnique, depuis quelques mois, lorsque commence le roman ; des mois qu'il n'a plus mis les pieds aux réunions de sa loge... Donc, peu de place au rituel, contrairement aux premiers livres de la série), des explications historiques, quand c'est nécessaire, des précisions sur certains faits évoqués dans le cours de l'intrigue, etc. A lire pour mieux appréhender la lecture...
Ensuite, il y a les personnalités des deux auteurs. D'un côté, Jacques Ravenne (c'est un pseudonyme), franc-maçon de haut grade, qui connaît donc bien le domaine, j'imagine, ses bons côtés et ses aspects plus sombres (on le voit encore avec l'affaire Cahuzac, l'ancien ministre étant un frère). Cela garantit l'exactitude en terme de rituel, de traditions, de connaissance des nombreuses obédiences (Marcas assiste dans ce roman à l'intronisation de soeurs dans une loge féminine, par exemple), de certains à-côtés aussi intéressants que troublants (ce frère obèse, par exemple, responsable d'un "rucher" bien particulier)...
De l'autre, Eric Giacometti, journaliste, qui n'a pas été initié mais qui s'est frotté au milieu franc-maçon dans le cadre de son métier. En particulier lors de reportages sur les scandales (eh oui, encore !) qui ont éclaboussé il y a quelques années les loges de la Côte d'Azur... Affaires ayant donné lieu à de belles théories conspirationnistes, à de mystérieuses disparitions de documents et à la nomination à Nice du juge Eric de Motgolfier, chargé "de faire le ménage", pour citer la garde des sceaux de l'époque, Elisabeth Guigou...
Car, et c'est un autre point : quel beau sujet pour des romanciers que la franc-maçonnerie ! Entre légendes, histoires, personnalités célèbres ayant été initiées, rumeurs, scandales, soufre, idées et ambitions, voilà de quoi servir de creuset idéal à des imaginaires débridés ! En revenant aux liens présumés entre les Templiers, leur mythique trésor et les origines de la maçonnerie, il y a de quoi faire...
Et là, ils ont eu une idée que je trouve parfaite pour un thriller ésotérique : et si, à sept siècle d'intervalle, les mêmes causes pouvaient produire les mêmes effets, et si des boucs émissaires comparables étaient sacrifiés de nouveau pour des raisons aussi similaires que bassement terrestres ? Leur talent pour jouer avec la maçonnerie, le vrai, le faux, le légendaire, la rumeur, le fait et l'inventé, fait le reste et nous offre une enquête qui a su conquérir le lecteur que je suis...
Ajoutez à cela un coup de pouce (providentiel ?) de l'actualité récente, et la lecture de ce thriller devient carrément passionnante ! "Le septième templier" est sorti en grand format en 2011, mais je l'ai lu dans sa version poche, il y a quelques jours... Et, à la lumière des événements récents qui ont défrayé la chronique vaticane, je dois dire que la lecture devient carrément étonnante. Bien sûr, tout ne colle pas comme un calque, il ne faut pas exagérer, mais certaines coïncidences, comme ce rapport et son contenu, sont troublantes...
Jetez au milieu de tout cela un personnage au charisme particulier. J'ai lu les avis de certains lecteurs qui n'accrochent pas avec Marcas. Il n'est pas bling-bling, ça non, c'est même tout le contraire, même si, depuis une enquête récente, il semble avoir gagné en séduction au point de se la jouer Casanova (tiens, encore un frère, je crois). Mais, le personnage de Marcas prévaut par sa double identité de flic et de maçon, chacune bien séparée de l'autre.
Marcas, on le voit encore ici, est un homme d'une intégrité sans faille. La loi et l'ordre, il incarne bien les deux, les faisant passer avant son idéal maçonnique, ou plutôt, il se complète dans la sincérité de l'engagement. Pour Marcas, pas de passe-droit ou de piston entre frères, et si l'un d'entre eux sort du droit chemin, alors, le commissaire sera le premier à lui mettre le grappin dessus. Pas un super-héros, un héros, oui, à la rigueur, selon les critères qui cadrent avec l'idée qu'on se fait d'un personnage central, mais surtout, une espèce rare : un honnête homme, au sens qu'on pouvait donner à ce terme dès le XVIIème siècle.
Alors, bien sûr, il faut adhérer au côté théorie du complot, quand même fort présente dans cette histoire, il faut aimer découvrir des passages secrets improbables, des symboles de partout qu'on ne décrypte quand même pas en deux coups de cuillère à pot, mais à peine plus longtemps, les découvertes abracadabrantesques mais auxquelles on aimerait tellement croire... Je me moque gentiment, parce que je suis très bon public pour ça et je dois dire que l'idée finale m'a particulièrement amusée, moi qui n'ai pas un amour immodéré, c'est le moins qu'on puisse dire, pour l'architecture du lieu où se déroule le dénouement...
Le rythme, lui, est là, la partie "Marcas" va à 100 à l'heure, mais les deux autres, même la partie médiévale, n'ont rien à lui envier, dans la construction des chapitres. Mieux encore, le découpage en trois récits parallèles permet aux auteurs de jouer du cliffhanger avec une grande facilité, puisqu'il suffit, au moment opportun, vous savez, celui où l'on attaque son deuxième ongle, le premier ayant déjà été rongé jusqu'au sang, de changer de cadre pour poursuivre une des deux autres intrigues... Et rebelote ensuite...
Bien sûr, on pourra toujours critiquer ce genre de roman, mais on est, qu'on le veuille ou non, dans l'imaginaire. Si vous voulez en savoir plus sur Philippe le Bel, les magouilles vaticanes ou la Franc-Maçonnerie, il y aura forcément de quoi assouvir votre curiosité dans les rayons "essais" des librairies. Là, on sait qu'on lit un roman, un thriller, et on en a pour son argent, si j'ose dire...
Philippe le Bel ne sait plus comment s'en sortir. En cette année 1307, les caisses du Royaume de France sont désespérément vides. Son homme de confiance, Guillaume de Nogaret, lui dresse un portrait plus qu'inquiétant du pays : les pauvres n'ont plus rien, les riches se révolteront si on leur fait porter le poids de l'impôt et faire payer l'Eglise risque de sérieusement froisser le Saint-Siège...
Il faut dire que Philippe le Bel a déjà eu de sérieux démêlés avec le précédent pape, Boniface VIII, échappant de peu à l'excommunication, alors, la diplomatie vis-à-vis de Clément V, désormais Souverain Pontife, demande un grand tact et quelques sacrifices. Mais, lorsque germe une nouvelle idée pour remplir les caisses, le roi de France et son ministre sont conscients qu'ils vont devoir s'allier avec le pape, sans lequel rien ne pourra se faire.
Cette idée, c'est s'accaparer, au nom du royaume, le trésor des Templiers, cet ordre de moines-soldats né au retour des croisades. Ce trésor, dit-on, serait tout bonnement faramineux, et nombre d'histoires et de rumeurs courent à ce sujet, laissant penser que cet or (oui, c'est forcément de l'or) a été acquis de façon malhonnête ou pire, mystérieuse...
Non, je ne vous raconte pas là le début des "Rois Maudits", mais bel et bien le point de départ du "Septième templier", ce premier récit, 100% historique, qui ne s'arrête pas au prologue, comme cela arrive parfois dans certains thrillers ésotériques (ce n'est pas une critique, juste une constatation), mais se poursuit tout au long du roman comme un thriller à l'intérieur du thriller.
Précisions, pour en finir avec cet aspect-là du roman, qu'il repose évidemment sur une relecture des faits historiques qui aboutiront à l'arrestation et au massacre de la majeure partie des templiers (avec quelques précisions intéressantes à remarquer, en fin d'ouvrage), mais aussi sur le destin, totalement fictif, du frère Guilhem, apothicaire à Saint-Germain-l'Auxerrois, que sa fascination pour l'anatomie humaine va propulser, bien malgré lui, dans des aventures dont nul ne sortira indemne...
Sept siècles plus tard (je me demande, faussement naïf, si le 7 n'aurait pas une signification maçonnique, dites donc...), Antoine Marcas, commissaire de police de son état mais aussi franc-maçon, est invité par un de ses amis, un aristocrate polonais un brin excentrique, lui aussi maçon, dans un château de République Tchèque. Il ne sait pas trop à quoi s'attendre, connaissant le Comte Potocki, mais ce séjour va s'avérer plein de surprises, et pas uniquement des bonnes...
D'abord, la présence d'un prêtre parmi les invités... En bon frère, Marcas se méfie instinctivement des ecclésiastiques, les relations entre le Vatican et la Maçonnerie étant plus que tendues depuis quelques années déjà. Mais, ce père Da Silva, un prêtre portugais travaillant justement à Rome semble... bien différent des idées reçues qu'on peut avoir, même pour un frère trois points. On voit même apparaître une certaine ressemblance entre les deux hommes, malgré tout ce qui peut les séparer...
Mais, ce séjour tchèque sera aussi l'occasion pour les invités de faire une hallucinante découverte dans ce château (je me suis un peu demandé, d'ailleurs, à quoi servait cette partie-là, si ce n'est affirmer une nouvelle fois l'intégrité de Marcas). Une découverte en prélude à un séjour enrichissant, dans tous les sens du terme, mais qui va tourner court pour Marcas.
La faute à un appel téléphonique sur le portable du commissaire. Une erreur, sans doute... C'est ce que crois Marcas, de prime abord, mais les mots, hachés, peu clairs, de l'interlocuteur, ont éveillé la curiosité du flic et du maçon qui cohabitent en lui... Le vocabulaire, l'homme qui l'appelle "frère", cette détonation soudaine et cette femme qui prend le combiné et raccroche après s'être excusée... C'est... bizarre...
Mais il va lui falloir attendre d'être rentré (en urgence) en France pour comprendre qu'il était bien le destinataire de cet appel et que la situation est critique : l'homme qui l'a appelé a été retrouvé mort dans son appartement, décapité... Une sale histoire qui va prendre un tour plus dangereux et personnel encore quand, au bas de l'immeuble de la victime, Marcas est enlevé...
Commence une course-poursuite à double enjeu, pour Marcas : comprendre pourquoi on a assassiné ce frère, appartenant à une loge assez mystérieuse, et échapper à ses kidnappeurs, menés par une tueuse redoutable surnommée la Louve... Une enquête absolument pas officielle au cours de laquelle Marcas va aller de découvertes en rencontres, au péril constant de sa vie... Son expérience maçonnique ne sera pas de trop pour résoudre les problèmes posés mais aussi pour survivre...
Et puis, troisième récit, troisième lieu : le Vatican. Un Etat menacé par un scandale capable de remettre en cause jusqu'à son existence même... Sans compter les dégâts auprès des catholiques du monde entier qui, si l'affaire était rendue publique, pourraient se détourner en masse de ce pouvoir moral, certes humain et temporel, mais régnant sur plus d'un milliard de fidèles...
L'affaire tombe d'autant plus mal que le Saint-Siège semble vivre dans une ambiance de fin de règne... Un pape âgé, malade, controversé sur le plan idéologique comme théologique... Son pontificat déjà délicat serait entaché de façon indélébile par un scandale peut-être encore pire que celui du Banco Ambrosiano, au début des années 1980 (tiens, il n'y avait pas des francs-maçons, aussi, dans cette histoire ?)...
Et voilà que, par-dessus le marché, le pape en personne pourrait être menacé. Les services de sécurité du Vatican sont sur les dents, leurs informations sont sans doute fiables, mais difficiles à recouper et le temps presse... Les intrigues politiciennes, dont la minuscule théocratie n'est pas exempte, loin de là, se multiplie tandis que la menace se précise...
Complots, manigances, secrets et l'éternel duo pouvoir-pognon qui corrompt tout... Voilà un cocktail idéal pour réveiller des idées endormies depuis longtemps mais qui, à intervalle régulier, resurgissent. Oh, c'est vrai, habituellement, c'est plutôt l'imaginaire collectif qui s'en charge, un best-seller, un blockbuster hollywoodien... Mais, les enjeux sont si énormes...
Pas besoin d'être grand clerc : voici en quelques lignes réunis tous les ingrédients qui font les thrillers ésotériques. Un genre en vogue, dans la foulée du "maître du genre", Dan Brown, mais qui nous offre souvent à boire et à manger, en terme de qualité, de niveau de théorie du complot, de facilités, de raccourcis, de clichés et de préjugés... Ici, je ne dis pas que c'est complètement différent, mais il y a certains éléments qui méritent qu'on s'y intéresse...
D'abord, parce que le coeur de cette série, c'est la franc-maçonnerie. Vous, je ne sais pas, mais moi, je ne suis pas un initié, j'en sais peu sur cette société aux facettes multiples et au rituel élaboré. Et le peu que j'en sais est souvent basé sur des on-dit, des poncifs (pas souverains, ceux-là), des a priori rarement positifs, des cas particuliers, des faits divers... Bref, rien qui suffise à se faire une idée par soi-même.
Or, même si Ravenne et Giacometti ont choisi le thriller, genre littéraire particulier qui se doit de se concentrer sur l'action, ils ont également opté pour la pédagogie : chacun de leurs romans se termine par des annexes très intéressantes. Un glossaire des termes maçonniques, plus large d'ailleurs que ceux qu'on peut rencontrer dans le livre (il faut dire que Marcas est un peu en jachère maçonnique, depuis quelques mois, lorsque commence le roman ; des mois qu'il n'a plus mis les pieds aux réunions de sa loge... Donc, peu de place au rituel, contrairement aux premiers livres de la série), des explications historiques, quand c'est nécessaire, des précisions sur certains faits évoqués dans le cours de l'intrigue, etc. A lire pour mieux appréhender la lecture...
Ensuite, il y a les personnalités des deux auteurs. D'un côté, Jacques Ravenne (c'est un pseudonyme), franc-maçon de haut grade, qui connaît donc bien le domaine, j'imagine, ses bons côtés et ses aspects plus sombres (on le voit encore avec l'affaire Cahuzac, l'ancien ministre étant un frère). Cela garantit l'exactitude en terme de rituel, de traditions, de connaissance des nombreuses obédiences (Marcas assiste dans ce roman à l'intronisation de soeurs dans une loge féminine, par exemple), de certains à-côtés aussi intéressants que troublants (ce frère obèse, par exemple, responsable d'un "rucher" bien particulier)...
De l'autre, Eric Giacometti, journaliste, qui n'a pas été initié mais qui s'est frotté au milieu franc-maçon dans le cadre de son métier. En particulier lors de reportages sur les scandales (eh oui, encore !) qui ont éclaboussé il y a quelques années les loges de la Côte d'Azur... Affaires ayant donné lieu à de belles théories conspirationnistes, à de mystérieuses disparitions de documents et à la nomination à Nice du juge Eric de Motgolfier, chargé "de faire le ménage", pour citer la garde des sceaux de l'époque, Elisabeth Guigou...
Car, et c'est un autre point : quel beau sujet pour des romanciers que la franc-maçonnerie ! Entre légendes, histoires, personnalités célèbres ayant été initiées, rumeurs, scandales, soufre, idées et ambitions, voilà de quoi servir de creuset idéal à des imaginaires débridés ! En revenant aux liens présumés entre les Templiers, leur mythique trésor et les origines de la maçonnerie, il y a de quoi faire...
Et là, ils ont eu une idée que je trouve parfaite pour un thriller ésotérique : et si, à sept siècle d'intervalle, les mêmes causes pouvaient produire les mêmes effets, et si des boucs émissaires comparables étaient sacrifiés de nouveau pour des raisons aussi similaires que bassement terrestres ? Leur talent pour jouer avec la maçonnerie, le vrai, le faux, le légendaire, la rumeur, le fait et l'inventé, fait le reste et nous offre une enquête qui a su conquérir le lecteur que je suis...
Ajoutez à cela un coup de pouce (providentiel ?) de l'actualité récente, et la lecture de ce thriller devient carrément passionnante ! "Le septième templier" est sorti en grand format en 2011, mais je l'ai lu dans sa version poche, il y a quelques jours... Et, à la lumière des événements récents qui ont défrayé la chronique vaticane, je dois dire que la lecture devient carrément étonnante. Bien sûr, tout ne colle pas comme un calque, il ne faut pas exagérer, mais certaines coïncidences, comme ce rapport et son contenu, sont troublantes...
Jetez au milieu de tout cela un personnage au charisme particulier. J'ai lu les avis de certains lecteurs qui n'accrochent pas avec Marcas. Il n'est pas bling-bling, ça non, c'est même tout le contraire, même si, depuis une enquête récente, il semble avoir gagné en séduction au point de se la jouer Casanova (tiens, encore un frère, je crois). Mais, le personnage de Marcas prévaut par sa double identité de flic et de maçon, chacune bien séparée de l'autre.
Marcas, on le voit encore ici, est un homme d'une intégrité sans faille. La loi et l'ordre, il incarne bien les deux, les faisant passer avant son idéal maçonnique, ou plutôt, il se complète dans la sincérité de l'engagement. Pour Marcas, pas de passe-droit ou de piston entre frères, et si l'un d'entre eux sort du droit chemin, alors, le commissaire sera le premier à lui mettre le grappin dessus. Pas un super-héros, un héros, oui, à la rigueur, selon les critères qui cadrent avec l'idée qu'on se fait d'un personnage central, mais surtout, une espèce rare : un honnête homme, au sens qu'on pouvait donner à ce terme dès le XVIIème siècle.
Alors, bien sûr, il faut adhérer au côté théorie du complot, quand même fort présente dans cette histoire, il faut aimer découvrir des passages secrets improbables, des symboles de partout qu'on ne décrypte quand même pas en deux coups de cuillère à pot, mais à peine plus longtemps, les découvertes abracadabrantesques mais auxquelles on aimerait tellement croire... Je me moque gentiment, parce que je suis très bon public pour ça et je dois dire que l'idée finale m'a particulièrement amusée, moi qui n'ai pas un amour immodéré, c'est le moins qu'on puisse dire, pour l'architecture du lieu où se déroule le dénouement...
Le rythme, lui, est là, la partie "Marcas" va à 100 à l'heure, mais les deux autres, même la partie médiévale, n'ont rien à lui envier, dans la construction des chapitres. Mieux encore, le découpage en trois récits parallèles permet aux auteurs de jouer du cliffhanger avec une grande facilité, puisqu'il suffit, au moment opportun, vous savez, celui où l'on attaque son deuxième ongle, le premier ayant déjà été rongé jusqu'au sang, de changer de cadre pour poursuivre une des deux autres intrigues... Et rebelote ensuite...
Bien sûr, on pourra toujours critiquer ce genre de roman, mais on est, qu'on le veuille ou non, dans l'imaginaire. Si vous voulez en savoir plus sur Philippe le Bel, les magouilles vaticanes ou la Franc-Maçonnerie, il y aura forcément de quoi assouvir votre curiosité dans les rayons "essais" des librairies. Là, on sait qu'on lit un roman, un thriller, et on en a pour son argent, si j'ose dire...
jeudi 16 mai 2013
"With a little help from my friends..."
Sans doute, la version la plus célèbre de cette chanson est une version live signée Joe Cocker. Presque dix minutes de nectar pour les oreilles... Mais n'oublions pas que c'est une reprise d'un titre des Beatles, et quoi de mieux que des scarabées pour commencer un billet sur un roman se déroulant en Egypte ? Il y a quelques semaines, je vous disais mon plaisir de lecture après avoir lu "Lasser, un privé sur le Nil", recueil de nouvelles hybrides, mêlant roman noir à l'américaine et fantasy, dans une Egypte des années 1930 revisitée par Sylvie Miller et Philippe Ward. Dans la foulée de ce premier tome si réussi (un prix aux prochaines Imaginales d'Epinal en témoigne), "le noir duo" a récidivé, cette fois, avec un véritable roman, une unique enquête dans laquelle les mêmes recettes sont reprises avec la même jubilation mais un penchant plus net vers le roman d'aventures et un Lasser qui m'a rappelé un autre grand héros de notre imaginaire collectif... Suspense, moi aussi, je ménage mes effets ! Et parlons donc de ce "Mariage à l'Egyptienne", toujours publié aux éditions Critic.
Après ses succès probants, Isis a décidé de faire de Jean-Philippe Lasser "le détective des dieux". Elle lui a même apporter une plaque à ce titre comme pour sceller ce contrat tacite... C'est dire que le mortel gaulois bénéficie désormais de la confiance pleine et entière du panthéon égyptien. Une situation à double tranchant : un confort certain, c'est vrai, mais aussi, l'impossibilité de refuser les affaires qu'on lui soumettra, s'il les juge trop risquées...
Et justement, celle que lui (impose) propose Isis en ce jour de 1935, alors que, comme à son habitude, Lasser sirote son whisky au bar de l'hôtel du Sheramon au Caire, est du genre cadeau empoisonné... Dans quelques jours, Horus, fils d'Isis et d'Osiris, doit épouser à Alexandrie la délicieuse Aglaé, une des trois Grâces, autrement dit, une divinité grecque... Un mariage sous haute tension diplomatique entre deux puissants panthéons...
Et voilà que Aglaé, qui n'a rien d'une oie blanche, a disparu... A-t-elle été enlevée ? Pourrait-elle avoir changé d'avis quant à cette union ? A-t-elle pris un peu de recul pour évacuer la pression qui pèse sur ses épaules ? Quelle que soit la raison, nul ne sait où est la future mariée et, si le secret reste bien gardé, il devient urgent de la retrouver avant qu'il ne lui arrive malheur ou que le mariage ne tombe à l'eau, ce qui serait dramatique...
A Lasser de retrouver, et fissa, la fiancée... Une mission, au combien délicate, qui pourrait bien, en cas d'échec, sonner le glas de sa carrière naissante de détective des dieux, avec, à la clef, une déchéance expresse, sans doute sous la forme d'une vaporisation divinement ordonnée... Et puis, pour Lasser, l'idée de se coltiner non pas un mais deux panthéons d'un coup n'a rien de réjouissant... Tout détective des dieux qu'il soit, moins Lasser les côtoie, mieux il se porte !
Mais Lasser ne peut refuser de s'occuper de cette histoire, d'autant que la police de Pharaon et son chef, Hussein Pacha Rouchdy, le meilleur ennemi de Lasser, sont d'une incompétence crasse... Alors, il se met au travail, direction Alexandrie, dans une voiture magnifique qu'il a pu acquérir grâce à ses gages auprès de Vulcain, autre dieu grec venu s'installer en Egypte et devenu concessionnaire automobile... Comme quoi, en forgeant, on ne devient pas que forgeron...
Mais, comme il le pressentait, cette enquête est un vrai bâton merdeux, pardonnez-moi l'expression : aucune piste, aucun indice susceptible d'aider Lasser, l'urgence plus forte à chaque instant et même Seth, ce dieu spécialiste des coups tordus, qui vient s'emmêler... Quoi que, pour une fois, Seth semble du côté de Lasser... Eh oui, lorsqu'on est le coupable idéal désigné par l'ensemble de ses divins confrères, on en vient parfois à des extrémités qu'on n'aurait jamais imaginées : devenir client de Lasser pour qu'il prouve son innocence...
A Lasser de jouer, donc, avec le peu dont il dispose... Et pourtant, de fil en aiguille, le limier va se lancer dans une enquête prodigieuse qui va l'entraîner à plusieurs reprises dans des lieux d'où un humain comme lui ne revient habituellement pas... Les dangers seront nombreux, les adversaires puissants et déterminés, la traîtrise, jamais bien loin, mais Lasser va se métamorphoser par rapport au personnage rencontré dans "Un privé sur le Nil".
Fini le loser (même pas) magnifique, alcoolisé du matin au soir, plus trouillard que super-héros, solitaire et paresseux. Place à un détective sobre, dynamique, efficace, déterminé, (presque) sans peur et sans reproche, à la fois instinctif et porté sur l'action. Bon, ce n'est pas Clark Kent devenant Superman, mais, je dois dire que ce Lasser nouveau m'a fait penser à Indiana Jones.
Peut-être l'époque a-t-elle influencé cette idée, comme les différents cadres mythologiques, d'ailleurs, mais les évolutions du personnage dans les différents décors, dans les scènes d'action, comme celle où ses cellules grises sont mise à l'épreuve, est, je trouve assez criante : fini le détective à la Marlowe, place à cet aventurier qui n'a jamais froid aux yeux...
Enfin, presque, parce que si la veulerie entrevue dans le premier tome n'est plus du tout à l'ordre du jour, il y a parfois des situations, comme lorsqu'il s'agit de plonger du sommet du plus haut monument du pays, où la raison prend le dessus sur le courage et où il faut se (faire) pousser... Oh, juste une chiquenaude, hein ? Ou une intervention divine, allez savoir...
Oui, Lasser, c'est Indiana Jones, fonçant dans la gueule du loup sans douter, approchant la mort de plus près encore que l'alias d'Harrison Ford, et trouvant les solutions pour se sortir, pas toujours sans encombre, mais presque, des pièges et des lieux étranges où vont le mener son enquête. Je sais, ce que je dis est très, trop allusif, sans doute, mais, pour une fois, on ne me reprochera pas d'en dire trop. En revanche, ainsi, je vous permets de profiter entièrement des surprises plus étonnantes les unes que les autres qui sont au programme de ce "Mariage à l'égyptienne".
Mais ce changement subtil bien que sensible n'est pas la seule chose qui frappe le lecteur ayant d'abord lu "Un privé sur le Nil". Dans mon portrait de Lasser, au cours de mon énumération des... hum... disons légers défauts du personnage, j'ai cité son côté solitaire. Or, tout au long des enquêtes résolues dans le premier volet de ses aventures, Lasser a noué des liens avec toute une galerie de personnages qui vont lui apporter un soutien non négligeable, même lorsqu'il est indirect, pour lui permettre de retrouver la trace d'Aglaé.
En commençant par Fazimel, la réceptionniste du Sheramon, personnage phare du premier volet, dont on devine quelques facettes mystérieuses. Cette fois, elle se fait moins présente, car l'essentiel de l'action se déroule loin du Caire, et son boulot ne lui permet pas de s'absenter autant qu'elle le voudrait pour prêter main forte à Lasser. Mais, c'est compter sans l'entregent de la demoiselle, dont les nombreux contacts dans les milieux hôteliers égyptiens et internationaux va se révéler d'une utilité et d'une efficacité décisives.
Et pour les fans de la demoiselle, à l'enthousiasme contagieux et au savoir-faire étonnant, mon petit doigt m'a dit que son rôle gagnera nettement en importance dans les prochains tomes (oui, j'ai un petit doigt super bien informé...).
Idem pour Hâpi, ce personnage à tête de taureau, tenancier de l'Argemmios, la boîte à la mode au Caire. Lui aussi joue un rôle important, même si on le voit assez peu, et pour cause, il est le grand échanson du mariage divin et doit s'employer à fournir aux panthéons réunis à Alexandrie de quoi se sustenter et s'amuser... La vie est une fête permanente pour tous ces dieux, qui font la nouba bien avant la noce (ou l'inverse, si vous préférez...).
Ouabou aussi fait partie de ces amis, oui, on peut le dire ainsi, de Lasser, qui vont le soutenir. Le matou égyptien aux caractéristiques... disons, hors norme, va lui jouer son rôle à plein, tant que l'enquête se déroulera sur le sol égyptien, où il est vénéré (eh oui, avant Facebook, on vénérait déjà les chats dans le monde, si, si...). Mais son action sera décisive lorsque Lasser aura à nouveau besoin de lui, pour arrondir des angles diplomatiques particulièrement saillants...
N'oublions pas U-Laba M'Ba, désormais responsable de la bibliothèque d'Alexandrie et de son infini savoir, et même Sphinxy, l'indic de Lasser, présent une nouvelle fois dans cette enquête. Oh, je vois quelques sourcils se lever, interrogatifs, et quelques regards sceptiques... Oui, oui, Sphinxy aussi est présent dans "Mariage à l'Egyptienne", dans un rôle très particulier et qui va pousser Lasser à se surpasser, à aller au-delà de son humaine condition pour les besoins de son enquête.
Mais Lasser, au long de ces 300 pages sans temps mort, va aussi faire de nouvelles rencontres. Parmi elles, mon préféré, Amr, le djinn. Un vrai génie, comme lui dit Lasser, ce bonhomme, avec plus d'un tour (de magie) dans son sac à malices. Avec lui, flotte sur le roman un petit air de Mille et une nuits très bien intégré dans l'enquête. Je n'en dit pas plus, mais lui aussi, je pense qu'on va en reparler. Sacré Amr !
Et puis, il y a Médée...
Une bombe atomique, cette Grecque-là ! Une journaliste, se présente-t-elle, chargée de couvrir le mariage divin pour son employeur. Mais une femme capable de faire de Lasser un loup de Tex Avery, les yeux sortant de leurs orbites, la langue pendante, et j'arrête ici la description anatomique qui pourrait, sinon, vite devenir graveleuse...
Oui, Lasser craque pour Médée... Mayday !! L'amour et le désir ne font pas partie des plaies d'Egypte, et pourtant... En jouant encore avec les mythes, Sylvie Miller et Philippe Ward nous offrent un personnage épatant (oui, je peux aussi utiliser des adjectifs très datés, si je veux, étant moi-même en voie de momification...), espèce de running gag parfaitement intégré à la construction dramatique du roman. Car, le rôle de Médée est aussi bien comique que tragique, et c'est aussi cela qui en fait une vraie réussite.
Bien sûr, on retrouve les recettes qui ont fait d' "Un privé sur le Nil" une vraie réussite : le mélange des genres, toujours réussi, l'humour, les clins d'oeil, les jeux avec la, et même les mythologies... Mais on pouvait s'interroger sur le passage de la nouvelle au roman : les mécanismes tiendraient-ils le rythme et la longueur du roman ?
Eh bien oui, mais c'est vrai en évoluant, en ne restant pas sur les acquis. Comme je l'ai évoqué à travers le personnage de Lasser, on n'est moins dans le roman noir à la Chandler ou à la Hammett et plus dans un roman d'aventures débridé mené avec un rythme d'enfer (sans jeu de mots, juré, craché !). On ne s'ennuie pas une seconde, on s'amuse, évidemment, et l'intrigue rebondit sans cesse, jusqu'à la découverte des raisons de la disparition d'Aglaé.
Mais reste encore à la ramener au bercail pour qu'elle puisse être menée à l'autel, et là encore, il va y avoir du sport (mais moi, j'reste tranquille...) et Lasser devra encore donner de sa personne pour remplir son contrat. Ne croyez pas que "Détective des Dieux" soit un métier de tout repos, car la divinité est susceptible et peu encline à obéir à une vermine humaine, même disposant d'un agrément d'une des plus importante déesse égyptienne... Tout fout le camp, que voulez-vous...
La série des enquêtes de Lasser était née, et bien née, avec "Un privé sur le Nil", elle se poursuit avec le même enthousiasme, tant celui mis par les deux auteurs et qu'on ressent, que celui que le lecteur que je suis a ressenti en le dévorant. Il y a quelques moments de gloire, comme une poursuite menée par des succubes, dignes des batailles de Starwars, mais aussi un parc d'attractions qui donne lieu à des scènes d'une réjouissante loufoquerie.
On sent aussi que la suite de cette série, si, si, il y en aura une, c'est annoncé pour l'an prochain (*danse de la joie, façon "Walk like an Egyptian"*) nous réservera pas mal de surprises, tant par le thème de la prochaine enquête de Lasser, dévoilé à la dernière ligne de ce second volet (hé, hé...), que concernant le rôle de certains personnages. On ne peut se fier à rien, c'est ce qu'il y a de grand avec l'imaginaire, tout y est permis, et, connaissant les deux auteurs, leur fantaisie (non, non, pas de faute d'orthographe) est sans limite et les sources d'inspiration, aussi intarissables que celles du Nil.
Oui, je le dis haut et fort, j'ai hâte de retrouver Lasser et son panthéon à lui, de voir évoluer ce personnages et tout le brillant casting de cette série. En attendant, nous aurons une belle occasion de fêter Lasser et ses auteurs à Epinal, pour les Imaginales, au cours desquelles "Un privé sur le Nil" recevra le prix décerné pour les nouvelles. Bravo !!
Qu'on se le dise, Lasser, je ne suis pas prêt de m'en lasser...
OK, je sors...
Après ses succès probants, Isis a décidé de faire de Jean-Philippe Lasser "le détective des dieux". Elle lui a même apporter une plaque à ce titre comme pour sceller ce contrat tacite... C'est dire que le mortel gaulois bénéficie désormais de la confiance pleine et entière du panthéon égyptien. Une situation à double tranchant : un confort certain, c'est vrai, mais aussi, l'impossibilité de refuser les affaires qu'on lui soumettra, s'il les juge trop risquées...
Et justement, celle que lui (impose) propose Isis en ce jour de 1935, alors que, comme à son habitude, Lasser sirote son whisky au bar de l'hôtel du Sheramon au Caire, est du genre cadeau empoisonné... Dans quelques jours, Horus, fils d'Isis et d'Osiris, doit épouser à Alexandrie la délicieuse Aglaé, une des trois Grâces, autrement dit, une divinité grecque... Un mariage sous haute tension diplomatique entre deux puissants panthéons...
Et voilà que Aglaé, qui n'a rien d'une oie blanche, a disparu... A-t-elle été enlevée ? Pourrait-elle avoir changé d'avis quant à cette union ? A-t-elle pris un peu de recul pour évacuer la pression qui pèse sur ses épaules ? Quelle que soit la raison, nul ne sait où est la future mariée et, si le secret reste bien gardé, il devient urgent de la retrouver avant qu'il ne lui arrive malheur ou que le mariage ne tombe à l'eau, ce qui serait dramatique...
A Lasser de retrouver, et fissa, la fiancée... Une mission, au combien délicate, qui pourrait bien, en cas d'échec, sonner le glas de sa carrière naissante de détective des dieux, avec, à la clef, une déchéance expresse, sans doute sous la forme d'une vaporisation divinement ordonnée... Et puis, pour Lasser, l'idée de se coltiner non pas un mais deux panthéons d'un coup n'a rien de réjouissant... Tout détective des dieux qu'il soit, moins Lasser les côtoie, mieux il se porte !
Mais Lasser ne peut refuser de s'occuper de cette histoire, d'autant que la police de Pharaon et son chef, Hussein Pacha Rouchdy, le meilleur ennemi de Lasser, sont d'une incompétence crasse... Alors, il se met au travail, direction Alexandrie, dans une voiture magnifique qu'il a pu acquérir grâce à ses gages auprès de Vulcain, autre dieu grec venu s'installer en Egypte et devenu concessionnaire automobile... Comme quoi, en forgeant, on ne devient pas que forgeron...
Mais, comme il le pressentait, cette enquête est un vrai bâton merdeux, pardonnez-moi l'expression : aucune piste, aucun indice susceptible d'aider Lasser, l'urgence plus forte à chaque instant et même Seth, ce dieu spécialiste des coups tordus, qui vient s'emmêler... Quoi que, pour une fois, Seth semble du côté de Lasser... Eh oui, lorsqu'on est le coupable idéal désigné par l'ensemble de ses divins confrères, on en vient parfois à des extrémités qu'on n'aurait jamais imaginées : devenir client de Lasser pour qu'il prouve son innocence...
A Lasser de jouer, donc, avec le peu dont il dispose... Et pourtant, de fil en aiguille, le limier va se lancer dans une enquête prodigieuse qui va l'entraîner à plusieurs reprises dans des lieux d'où un humain comme lui ne revient habituellement pas... Les dangers seront nombreux, les adversaires puissants et déterminés, la traîtrise, jamais bien loin, mais Lasser va se métamorphoser par rapport au personnage rencontré dans "Un privé sur le Nil".
Fini le loser (même pas) magnifique, alcoolisé du matin au soir, plus trouillard que super-héros, solitaire et paresseux. Place à un détective sobre, dynamique, efficace, déterminé, (presque) sans peur et sans reproche, à la fois instinctif et porté sur l'action. Bon, ce n'est pas Clark Kent devenant Superman, mais, je dois dire que ce Lasser nouveau m'a fait penser à Indiana Jones.
Peut-être l'époque a-t-elle influencé cette idée, comme les différents cadres mythologiques, d'ailleurs, mais les évolutions du personnage dans les différents décors, dans les scènes d'action, comme celle où ses cellules grises sont mise à l'épreuve, est, je trouve assez criante : fini le détective à la Marlowe, place à cet aventurier qui n'a jamais froid aux yeux...
Enfin, presque, parce que si la veulerie entrevue dans le premier tome n'est plus du tout à l'ordre du jour, il y a parfois des situations, comme lorsqu'il s'agit de plonger du sommet du plus haut monument du pays, où la raison prend le dessus sur le courage et où il faut se (faire) pousser... Oh, juste une chiquenaude, hein ? Ou une intervention divine, allez savoir...
Oui, Lasser, c'est Indiana Jones, fonçant dans la gueule du loup sans douter, approchant la mort de plus près encore que l'alias d'Harrison Ford, et trouvant les solutions pour se sortir, pas toujours sans encombre, mais presque, des pièges et des lieux étranges où vont le mener son enquête. Je sais, ce que je dis est très, trop allusif, sans doute, mais, pour une fois, on ne me reprochera pas d'en dire trop. En revanche, ainsi, je vous permets de profiter entièrement des surprises plus étonnantes les unes que les autres qui sont au programme de ce "Mariage à l'égyptienne".
Mais ce changement subtil bien que sensible n'est pas la seule chose qui frappe le lecteur ayant d'abord lu "Un privé sur le Nil". Dans mon portrait de Lasser, au cours de mon énumération des... hum... disons légers défauts du personnage, j'ai cité son côté solitaire. Or, tout au long des enquêtes résolues dans le premier volet de ses aventures, Lasser a noué des liens avec toute une galerie de personnages qui vont lui apporter un soutien non négligeable, même lorsqu'il est indirect, pour lui permettre de retrouver la trace d'Aglaé.
En commençant par Fazimel, la réceptionniste du Sheramon, personnage phare du premier volet, dont on devine quelques facettes mystérieuses. Cette fois, elle se fait moins présente, car l'essentiel de l'action se déroule loin du Caire, et son boulot ne lui permet pas de s'absenter autant qu'elle le voudrait pour prêter main forte à Lasser. Mais, c'est compter sans l'entregent de la demoiselle, dont les nombreux contacts dans les milieux hôteliers égyptiens et internationaux va se révéler d'une utilité et d'une efficacité décisives.
Et pour les fans de la demoiselle, à l'enthousiasme contagieux et au savoir-faire étonnant, mon petit doigt m'a dit que son rôle gagnera nettement en importance dans les prochains tomes (oui, j'ai un petit doigt super bien informé...).
Idem pour Hâpi, ce personnage à tête de taureau, tenancier de l'Argemmios, la boîte à la mode au Caire. Lui aussi joue un rôle important, même si on le voit assez peu, et pour cause, il est le grand échanson du mariage divin et doit s'employer à fournir aux panthéons réunis à Alexandrie de quoi se sustenter et s'amuser... La vie est une fête permanente pour tous ces dieux, qui font la nouba bien avant la noce (ou l'inverse, si vous préférez...).
Ouabou aussi fait partie de ces amis, oui, on peut le dire ainsi, de Lasser, qui vont le soutenir. Le matou égyptien aux caractéristiques... disons, hors norme, va lui jouer son rôle à plein, tant que l'enquête se déroulera sur le sol égyptien, où il est vénéré (eh oui, avant Facebook, on vénérait déjà les chats dans le monde, si, si...). Mais son action sera décisive lorsque Lasser aura à nouveau besoin de lui, pour arrondir des angles diplomatiques particulièrement saillants...
N'oublions pas U-Laba M'Ba, désormais responsable de la bibliothèque d'Alexandrie et de son infini savoir, et même Sphinxy, l'indic de Lasser, présent une nouvelle fois dans cette enquête. Oh, je vois quelques sourcils se lever, interrogatifs, et quelques regards sceptiques... Oui, oui, Sphinxy aussi est présent dans "Mariage à l'Egyptienne", dans un rôle très particulier et qui va pousser Lasser à se surpasser, à aller au-delà de son humaine condition pour les besoins de son enquête.
Mais Lasser, au long de ces 300 pages sans temps mort, va aussi faire de nouvelles rencontres. Parmi elles, mon préféré, Amr, le djinn. Un vrai génie, comme lui dit Lasser, ce bonhomme, avec plus d'un tour (de magie) dans son sac à malices. Avec lui, flotte sur le roman un petit air de Mille et une nuits très bien intégré dans l'enquête. Je n'en dit pas plus, mais lui aussi, je pense qu'on va en reparler. Sacré Amr !
Et puis, il y a Médée...
Une bombe atomique, cette Grecque-là ! Une journaliste, se présente-t-elle, chargée de couvrir le mariage divin pour son employeur. Mais une femme capable de faire de Lasser un loup de Tex Avery, les yeux sortant de leurs orbites, la langue pendante, et j'arrête ici la description anatomique qui pourrait, sinon, vite devenir graveleuse...
Oui, Lasser craque pour Médée... Mayday !! L'amour et le désir ne font pas partie des plaies d'Egypte, et pourtant... En jouant encore avec les mythes, Sylvie Miller et Philippe Ward nous offrent un personnage épatant (oui, je peux aussi utiliser des adjectifs très datés, si je veux, étant moi-même en voie de momification...), espèce de running gag parfaitement intégré à la construction dramatique du roman. Car, le rôle de Médée est aussi bien comique que tragique, et c'est aussi cela qui en fait une vraie réussite.
Bien sûr, on retrouve les recettes qui ont fait d' "Un privé sur le Nil" une vraie réussite : le mélange des genres, toujours réussi, l'humour, les clins d'oeil, les jeux avec la, et même les mythologies... Mais on pouvait s'interroger sur le passage de la nouvelle au roman : les mécanismes tiendraient-ils le rythme et la longueur du roman ?
Eh bien oui, mais c'est vrai en évoluant, en ne restant pas sur les acquis. Comme je l'ai évoqué à travers le personnage de Lasser, on n'est moins dans le roman noir à la Chandler ou à la Hammett et plus dans un roman d'aventures débridé mené avec un rythme d'enfer (sans jeu de mots, juré, craché !). On ne s'ennuie pas une seconde, on s'amuse, évidemment, et l'intrigue rebondit sans cesse, jusqu'à la découverte des raisons de la disparition d'Aglaé.
Mais reste encore à la ramener au bercail pour qu'elle puisse être menée à l'autel, et là encore, il va y avoir du sport (mais moi, j'reste tranquille...) et Lasser devra encore donner de sa personne pour remplir son contrat. Ne croyez pas que "Détective des Dieux" soit un métier de tout repos, car la divinité est susceptible et peu encline à obéir à une vermine humaine, même disposant d'un agrément d'une des plus importante déesse égyptienne... Tout fout le camp, que voulez-vous...
La série des enquêtes de Lasser était née, et bien née, avec "Un privé sur le Nil", elle se poursuit avec le même enthousiasme, tant celui mis par les deux auteurs et qu'on ressent, que celui que le lecteur que je suis a ressenti en le dévorant. Il y a quelques moments de gloire, comme une poursuite menée par des succubes, dignes des batailles de Starwars, mais aussi un parc d'attractions qui donne lieu à des scènes d'une réjouissante loufoquerie.
On sent aussi que la suite de cette série, si, si, il y en aura une, c'est annoncé pour l'an prochain (*danse de la joie, façon "Walk like an Egyptian"*) nous réservera pas mal de surprises, tant par le thème de la prochaine enquête de Lasser, dévoilé à la dernière ligne de ce second volet (hé, hé...), que concernant le rôle de certains personnages. On ne peut se fier à rien, c'est ce qu'il y a de grand avec l'imaginaire, tout y est permis, et, connaissant les deux auteurs, leur fantaisie (non, non, pas de faute d'orthographe) est sans limite et les sources d'inspiration, aussi intarissables que celles du Nil.
Oui, je le dis haut et fort, j'ai hâte de retrouver Lasser et son panthéon à lui, de voir évoluer ce personnages et tout le brillant casting de cette série. En attendant, nous aurons une belle occasion de fêter Lasser et ses auteurs à Epinal, pour les Imaginales, au cours desquelles "Un privé sur le Nil" recevra le prix décerné pour les nouvelles. Bravo !!
Qu'on se le dise, Lasser, je ne suis pas prêt de m'en lasser...
OK, je sors...
samedi 11 mai 2013
"Concevoir le diable comme un partisan du Mal et l'ange comme un combattant du Bien, c'est accepter la démagogie des anges" (Milan Kundera).
Eh oui, il sera question des anges dans le billet du jour. Oh, pas seulement, car les comportements et les faiblesses humains y auront une place prépondérante, bien sûr, mais les anges sont au coeur du roman dont nous allons parler. Mais ne vous attendez pas à un court de droit canon sur le sujet, la théorie développée autour de ces créatures est bien différente et, je dois le dire, assez gonflée... Faites-moi confiance sur ce point, qui sera sans doute à peine effleuré dans les lignes à venir, car ce serait trop en dire sur l'histoire. En tout cas, voici "le baiser du banni", de Cristina Rodriguez, publié en grand format au Pré aux Clercs, un thriller fantastique et ésotérique mené à mille à l'heure, un vrai page-turner redoutablement efficace, qui ne tombe pas dans les théories conspirationnistes faciles et propose des personnages très intéressants. Après d'excellents polars se déroulant à Rome, au cours du premier siècle de notre ère, voici une nouvelle corde à l'arc de cette auteure talentueuse.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Dalach Matamoros n'a pas un CV ordinaire. Je ne parle même pas de cet étrange état civil, qui en fait partie, bien sûr, mais d'une vie et d'une carrière hors norme. Sur la vie, les origines, nous reviendrons plus loin ; sur la carrière, on découvre qu'après avoir travaillé pour les services secrets du Vatican, Dalach a choisi de se mettre à son compte et se lancer en free lance dans un secteur en pleine expansion ces derniers temps : l'espionnage industriel...
Une activité dans laquelle Dalach a rapidement excellé, en particulier grâce à l'ambiguïté qui se dégage de son physique qui sort de l'ordinaire. Rien à voir avec un quelconque talent dans l'art du maquillage, comme les espions de "Mission : impossible", par exemple, non, c'est la génétique et la biologie qui sont à l'origine de cela : Dalach est hermaphrodite. Bien que disposant d'organes sexuels masculins, elle est une femme, mais sait jouer aussi bien de l'une et de l'autre de ses personnalités.
Lorsque s'ouvre "le baiser du banni", Dalach est à Washington pour un rendez-vous d'affaires important où son grain de sel pourrait faire basculer un gros marché aéronautique. Mais, alors qu'elle se prépare pour cette rencontre, elle reçoit un appel de son protecteur et mentor, le Padre Santiago. Celui-ci lui demande d'allumer la télévision, sur une chaîne d'informations continue, peu importe laquelle, toutes sont en boucle, relayant une incroyable information...
Deux fossiles ont été découverts lors de fouilles archéologiques en Chine. Des pièces extraordinaires, particulièrement impressionnantes retrouvées dans un lieu connu pour les nombreux fossiles d'oiseaux qu'il recèle. Mais, là, aucun doute, les squelettes que montrent les écrans de télé du monde entier à cet instant sont ceux de deux hommes, couchés en position foetale. Deux hommes, oui, c'est ce que l'on croit au premier abord... avant de découvrir que ces squelettes possèdent chacun une grande paire d'ailes !
Canular ou découverte hallucinante ? On en débat encore sur tous les networks du monde. Mais, on voit distinctement sur les images les os et quelques plumes qui y sont encore attachées. Déjà, les médias parlent des "anges fossiles" à propos de ces squelettes. Dalach, qui n'appartient pas franchement à la catégorie fervente croyant, malgré son passé au service du Saint-Siège, elle ne se sent pas vraiment concernée. Et pourtant, elle l'est, indirectement, même si elle refuse encore d'accepter cette idée...
Pour Dalach, à ce moment précis, une seule chose compte : son rendez-vous dans un restaurant français de la capitale fédérale américaine et la manière dont elle va influencer le marché qui se dessine, en faveur, bien sûr, du concurrent qui la rétribue grassement pour cela... Mais, décidément, cette journée n'a rien d'une journée normale... Voilà que Dalach se découvre un ange gardien, en muscles et en os, celui-là.
Quant au dîner, il tourne au carnage lorsque la tête de son voisin de table explose brutalement en pleine négociation... S'ensuit une pagaille indescriptible et un sauvetage in extremis, quand celui que Padre Santiago avait qualifié de "chasseur" quand il a informé Dalach de sa probable présence auprès d'elle, surgit dans une ruelle pour la sortir d'un bien mauvais pas...
L'aider ? Oui, sans doute, en éliminant sans pitié les personnes prêtes à tuer Dalach sans autre forme de procès ni explication. Mais pourquoi, ensuite, ce malabar, taillé dans le roc et aux dimensions remarquables, se conduit-il comme un kidnappeur ? Dalach a beau se démener, impossible d'échapper à ce géant qui la fait embarquer contre son gré dans un avion. Direction l'Espagne, bien loin du tumulte que les incidents du restaurant de Washington ne devraient pas manquer de créer...
C'est maintenant qu'il va falloir expliquer un certain nombre de choses à propos de Dalach, qui viendront, en partie seulement, éclairer toute cette situation. Dalach appartient donc à la famille Matamoros, véritable clan ancestral, dont les origines remontent loin, très loin dans l'Histoire. Mais, Dalach n'a jamais vécu au sein du clan, que sa mère, Elena, a fui alors qu'elle en était l'héritière.
La mère et la fille s'étaient réfugiées à Rome et s'étaient placées sous la protection du fameux Padre Santiago. C'est depuis cette époque que Dalach rend cette famille responsable de la mort de sa mère, qui n'a jamais cessée d'être harcelée par ses sbires pour retourner, de force, si nécessaire, au sein du giron. D'où son ressentiment tenace envers les Matamoros qu'elle n'envisage pas une seconde de reconnaître comme sa famille.
Pourtant, c'est bien auprès des Matamoros que l'emmène l'homme qui l'a à la fois sauvée et enlevée à Washington. Il s'appelle Angel Verdugo Matamoros, surnommé el Prédicador, le Prédicateur. Mais, même sans le prénom, son identité à de quoi faire frémir : Angel, l'ange, Verdugo, le bourreau... Un chasseur, a dit Padre Santiago à Dalach. L'homme, taciturne mais redoutablement efficace quand il s'agit de tuer... ou de contraindre Dalach au silence et à l'obéissance, est un des cousins de Dalach.
Et ce n'est que le premier membre de sa "famille" que va découvrir l'hermaphrodite. Les autres vont suivre, retranchés ou presque, dans une immense propriété digne d'une nouvelle de Poe ou d'un roman de Mary Shelley... Avec à la clef, des révélations qui vont bouleverser la vie de Dalach à jamais... Et lui faire prendre conscience que la découverte des "anges fossiles" n'a rien, mais alors rien d'anecdotique du tout...
Car, au-delà de la découverte archéologique majeure qu'on peut y voir, cette révélation va réveiller une ancienne guerre jamais vraiment endormie, entre les Matamoros et un clan rival depuis des siècles et des siècles, les Di Dante, une opposition frontale entre deux visions de l'humanité irréconciliables. Et on est prêt à tuer pour imposer sa vision. A beaucoup tuer...
Dans le sillage de cette guerre clanique d'un autre temps mais menée avec les moyens de pointe du XXIème siècle, vont se retrouver impliqués, outre les Matamoros et les Di Dante, le Vatican et ses plus hautes sphères, l'Etat d'Israël et même quelques personnages vivant dans une clandestinité élaborée soigneusement pour masquer un passé embarrassant, aux temps les plus sombres du XXème siècle...
Une guerre dont l'un des enjeux pourrait bien être ces mystérieux fossiles, ces "anges" curieusement retrouvés à point nommé, semble-t-il. Quant à Dalach, elle n'est pas au bout de ses surprises et des découvertes qu'elle va faire sur une situation dont elle ignorait tout jusque-là, mais aussi sur une histoire familiale bien éloignée de ce qu'elle considérait comme étant la vérité...
A travers cela, elle va en savoir plus sur elle-même et se découvrir des dons d'abord effrayants mais qui, lorsqu'elle saura les apprivoiser, pourront lui être bien utiles... Des informations et des aptitudes sur lesquelles planent des anges, bien vivants, ceux-là, même s'il faut reconnaître qu'ils sont bien loin de l'imagerie traditionnelle les concernant : ce sont plus des créatures spectrales que de majestueux personnages ailés... Et les raisons de leur présence sur terre sont aussi bien différentes de celles qu'on peut enseigner ici-bas, dogme oblige...
Je n'en dis pas plus, à vous de vous plonger dans le roman si le coeur vous en dit et si vous voulez mieux comprendre ce que je viens de vous raconter. Mais l'irruption du fantastique dans un thriller impeccable a quelque chose de surprenant. Au point que je me suis demandé si c'était bien nécessaire, avant de changer d'avis : nécessaire, non, indispensable !
Tant par le message véhiculé par ces anges que par leur personnalité, si je puis employer ce mot les concernant, ou encore, leur rôle concret dans cette histoire. Amusant de voir comme Cristina Rodeiguez lorgne même par moments vers le "Dracula" de Bram Stoker, dans l'étrange voyage des "anges fossiles" qu'elle nous relate...
Mais la vraie gageure de ce roman, sa vraie réussite, aussi, je trouve, c'est de réussir à centrer toute l'histoire autour d'un concept aussi marqué religieusement, tout en évacuant complètement le dogme, séparant l'ange en tant que créature de ce que l'Eglise catholique, en l'occurrence, mais on pourrait dire la même chose à propos des deux autres religions monothéistes, en a fait.
Pour cela, elle utilise deux facettes mal, peu ou pas connues du public : Lucifer et les anges déchus... Eh oui, si je vous dit "Lucifer", vous allez me répondre : Satan et tout un tas d'autres noms ou qualificatifs qui nous ramèneront au final à un unique concept, le diable, incarnation du mal absolu. Oui, certes, on peut voir les choses ainsi, mais c'est se contenter du petit bout de la lorgnette, voire faire carrément un contresens...
Le banni du titre du roman de Cristina Rodriguez, c'est Lucifer, justement. Celui qui, dit-on, prit la tête de la rébellion des anges contre Dieu et, vaincu, fut chassé, déchu de son statut d'ange. Pourtant, on est là dans une légende qui n'a rien de biblique. Plus encore, si l'on regarde d'encore plus près, une tradition veut que Lucifer n'ait pas été banni pour avoir rejeté Dieu, mais au contraire, pour avoir refusé de reporter son amour infini pour Dieu sur les hommes... Voilà qui change pas mal de choses dans la façon d'appréhender le personnage Lucifer...
Pourtant, oubliez ce paragraphe. Eh oui, je sais, je suis pénible, parfois ! Oubliez même tout ce que vous croyez savoir à propos de Lucifer, car Cristina Rodriguez va vous en proposer une autre "biographie", une autre fonction, également, ainsi qu'à un certain nombre d'autres anges, qui interviennent dans le cours de cette histoire. Une bataille angélique métaphorique et finalement plus intellectuelle, là encore, mot inadéquat, probablement, mais utiliser pour le sens que nous connaissons, que militaire.
Et surtout, dans cette rivalité entre créatures angéliques, aussi surprenant que cela puisse paraître, Dieu n'a aucun place. Peut-être même aucune existence... L'essence des anges n'y est pas divine, même si l'on peut tout de même y voir une certaine transcendance. Reste à découvrir ce qu'ils ambitionnent pour nous, pauvres humains, mais surtout ce que les humains concoctent de leur côté, infernales créatures qu'ils savent si bien être, pour ces anges, providentiellement redécouverts...
"Le baiser du banni" est un roman assez paradoxal : car, aussi étrange que cela puisse paraître, alors qu'on voit bien que deux forces, deux camps s'opposent, il n'est absolument pas manichéen. En clair, on ne peut pas dire qu'on soit dans un affrontement du Bien contre le Mal, en tout cas pas au sens où on l'entend habituellement.
On est vraiment dans un affrontement, disons, philosophique, idéologique, même. Si je devais chercher une comparaison, je crois que celle qui préside à la trilogie de Lionel Davoust, dont les deux premiers tomes sont chroniqués sur ce blog, pourrait coller : une opposition entre ce que l'auteur de "Léviathan" appelle la Voie de la main droite et la Voie de la main gauche...
Je ne vais pas trop développer, cela nous emmènerait un peu loin du "baiser du banni" qui, je le redis, j'insiste, est vraiment un page-turner, ces livres dont on ne peut arrêter de tourner les pages parce qu'on est embarqué dans l'histoire et qu'on ne veut pas fermer avant d'en avoir eu le fin mot. Ca dépote, avec des scènes d'action violentes mais remarquablement menées, des rebondissements permanents, des scènes fantastiques assez impressionnantes, dont un dénouement extrêmement spectaculaire... Tout pour un plaisir de lecture vitaminé, dont la réflexion n'est pas absente pour autant, loin de là.
Avec, cerise sur le gâteau, un autre aspect que j'ai aimé particulièrement. On le sait, et encore mieux depuis le succès de Dan Brown, un "bon" thriller ésotérique se doit de tomber dans le conspirationnisme de bon aloi le plus débridé... Soyons paranos, on nous cache tout, on nous dit rien et tout le monde, surtout religieux, maçonnique, fasciste ou le tout à la fois, nous en veut...
Ici, rien de cela, même si la religion, le dogme, la politique et les idéologies jouent effectivement un rôle. Mais, encore une fois, l'objectif n'est pas juste une question de pouvoir et de gouvernance de l'Humanité, mais plutôt ce qui touche au libre arbitre de chaque individu et aux manières qu'il peut avoir de l'exercer. C'est, n'ayons pas peur des mots, notre existence et la façon dont nous vivons qui sont en jeu ici, au-delà même de toute obédience, de quelque ordre qu'elle soit.
Paradoxal, ai-je écrit, pour qualifier "le baiser du banni", en expliquant que ce roman n'était pas manichéen. Pourtant, il repose bien sur une opposition de fait et, pour bien marquer cela, Cristina Rodriguez introduit un certain nombre d'ambivalence dans son roman, à travers ses personnages, souvent doubles, mais aussi par cette lutte à plusieurs niveaux que je viens d'évoquer. Une lutte qui, s'y j'en crois la fin ouverte du livre, est loin d'être achevée...
Ambivalence en particulier, et j'en resterai là, chez les deux personnages principaux. J'en ai déjà évoqué un, Angel, tueur au gabarit de brute épaisse, mais qui est un être doux, presque rêveur, pas du tout heureux de son sort, mais qui s'y attelle consciencieusement parce que c'est son devoir. Il a choisi en son âme et conscience d'accepter ce rôle de "chasseur" au sein du clan Matamoros et n'a aucun remords, peut-être quelques regrets, malgré tout...
Comme dit plus haut, tout le personnage est résumé dans ces deux mots qui sont son identité : Angel Verdugo. L'ange et le bourreau, tout à la fois. Parfait reflet humain et terrestre des créatures angéliques présentes dans le roman, qui ont le sort de l'humanité entre leurs mains... Lui aussi a une existence en main, mais pas la sienne, non, sa mission, c'est le sacrifice pour sauver la peau coûte que coûte de la personne qu'on lui a confiée à la vie, à la mort : Dalach.
Et on y vient, à Dalach, en guise de point final. Elle apparaît page 13, son prénom est le premier mot du chapitre et, dès cet instant, je me suis demandé ce que cachait ce prénom, fort peu courant... Un petit tour sur un moteur de recherche et, hop !, voilà une trouvaille qui vaut son pesant d'or : en hébreu, Dalach signifie "troubler", en parlant de l'eau. Comme quand on traverse la surface translucide d'un plan d'eau avec le pied et qu'on crée des vagues, qu'on fait s'agiter les sédiments, qu'on brouille la transparence...
Et c'est vrai que pour être ambivalente, Dalach est ambivalente... Je ne peux pas dresser une liste exhaustive, parce que cela en révélerait trop sur le roman, mais, évidemment, cela commence par son physique, son corps double, à la fois homme et femme et dont elle sait utiliser, selon les circonstances, tous les attributs... Son côté androgyne et sa séduction trouble ont jusque-là été des atouts majeurs dans ses différentes activités professionnelles, mais, dans le cas présent, cette double personnalité va prendre une toute autre dimension.
Dans un jeu d'échecs à plusieurs échelons, où le niveau terrestre est fondamental sans pour autant être celui qui possède tous les tenants et aboutissants de son destin, elle est une pièce centrale, à la fois Reine, dotée de pouvoirs au-dessus de toutes les autres pièces, fer de lance de son camp, et Roi, pièce la plus fragile du plateau, et cible principale des attaques du camp adverse...
A elle de déjouer, avec l'aide d'Angel et d'autres alliés fort puissant, les projets humains que la découverte des "anges fossiles" a remis en branle. Une autre et décisive ambivalence, car, entre clans angéliques et clans humains, les oppositions et les enjeux diffèrent de plus en plus clairement au fur et à mesure que le contexte apparaît aux yeux de Dalach (et aux nôtres, par la même occasion...).
Et, sans vouloir contredire Milan Kundera, à qui j'ai malicieusement emprunté une citation pour servir de titre à ce billet, je crains que ce soit la démagogie humaine qui est à l'origine de cette autre ambivalence entre anges et démons, que détruit Cristina Rodriguez dans "le baiser du banni" pour instaurer une toute autre conception de ces choses qui nous dépassent...
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Dalach Matamoros n'a pas un CV ordinaire. Je ne parle même pas de cet étrange état civil, qui en fait partie, bien sûr, mais d'une vie et d'une carrière hors norme. Sur la vie, les origines, nous reviendrons plus loin ; sur la carrière, on découvre qu'après avoir travaillé pour les services secrets du Vatican, Dalach a choisi de se mettre à son compte et se lancer en free lance dans un secteur en pleine expansion ces derniers temps : l'espionnage industriel...
Une activité dans laquelle Dalach a rapidement excellé, en particulier grâce à l'ambiguïté qui se dégage de son physique qui sort de l'ordinaire. Rien à voir avec un quelconque talent dans l'art du maquillage, comme les espions de "Mission : impossible", par exemple, non, c'est la génétique et la biologie qui sont à l'origine de cela : Dalach est hermaphrodite. Bien que disposant d'organes sexuels masculins, elle est une femme, mais sait jouer aussi bien de l'une et de l'autre de ses personnalités.
Lorsque s'ouvre "le baiser du banni", Dalach est à Washington pour un rendez-vous d'affaires important où son grain de sel pourrait faire basculer un gros marché aéronautique. Mais, alors qu'elle se prépare pour cette rencontre, elle reçoit un appel de son protecteur et mentor, le Padre Santiago. Celui-ci lui demande d'allumer la télévision, sur une chaîne d'informations continue, peu importe laquelle, toutes sont en boucle, relayant une incroyable information...
Deux fossiles ont été découverts lors de fouilles archéologiques en Chine. Des pièces extraordinaires, particulièrement impressionnantes retrouvées dans un lieu connu pour les nombreux fossiles d'oiseaux qu'il recèle. Mais, là, aucun doute, les squelettes que montrent les écrans de télé du monde entier à cet instant sont ceux de deux hommes, couchés en position foetale. Deux hommes, oui, c'est ce que l'on croit au premier abord... avant de découvrir que ces squelettes possèdent chacun une grande paire d'ailes !
Canular ou découverte hallucinante ? On en débat encore sur tous les networks du monde. Mais, on voit distinctement sur les images les os et quelques plumes qui y sont encore attachées. Déjà, les médias parlent des "anges fossiles" à propos de ces squelettes. Dalach, qui n'appartient pas franchement à la catégorie fervente croyant, malgré son passé au service du Saint-Siège, elle ne se sent pas vraiment concernée. Et pourtant, elle l'est, indirectement, même si elle refuse encore d'accepter cette idée...
Pour Dalach, à ce moment précis, une seule chose compte : son rendez-vous dans un restaurant français de la capitale fédérale américaine et la manière dont elle va influencer le marché qui se dessine, en faveur, bien sûr, du concurrent qui la rétribue grassement pour cela... Mais, décidément, cette journée n'a rien d'une journée normale... Voilà que Dalach se découvre un ange gardien, en muscles et en os, celui-là.
Quant au dîner, il tourne au carnage lorsque la tête de son voisin de table explose brutalement en pleine négociation... S'ensuit une pagaille indescriptible et un sauvetage in extremis, quand celui que Padre Santiago avait qualifié de "chasseur" quand il a informé Dalach de sa probable présence auprès d'elle, surgit dans une ruelle pour la sortir d'un bien mauvais pas...
L'aider ? Oui, sans doute, en éliminant sans pitié les personnes prêtes à tuer Dalach sans autre forme de procès ni explication. Mais pourquoi, ensuite, ce malabar, taillé dans le roc et aux dimensions remarquables, se conduit-il comme un kidnappeur ? Dalach a beau se démener, impossible d'échapper à ce géant qui la fait embarquer contre son gré dans un avion. Direction l'Espagne, bien loin du tumulte que les incidents du restaurant de Washington ne devraient pas manquer de créer...
C'est maintenant qu'il va falloir expliquer un certain nombre de choses à propos de Dalach, qui viendront, en partie seulement, éclairer toute cette situation. Dalach appartient donc à la famille Matamoros, véritable clan ancestral, dont les origines remontent loin, très loin dans l'Histoire. Mais, Dalach n'a jamais vécu au sein du clan, que sa mère, Elena, a fui alors qu'elle en était l'héritière.
La mère et la fille s'étaient réfugiées à Rome et s'étaient placées sous la protection du fameux Padre Santiago. C'est depuis cette époque que Dalach rend cette famille responsable de la mort de sa mère, qui n'a jamais cessée d'être harcelée par ses sbires pour retourner, de force, si nécessaire, au sein du giron. D'où son ressentiment tenace envers les Matamoros qu'elle n'envisage pas une seconde de reconnaître comme sa famille.
Pourtant, c'est bien auprès des Matamoros que l'emmène l'homme qui l'a à la fois sauvée et enlevée à Washington. Il s'appelle Angel Verdugo Matamoros, surnommé el Prédicador, le Prédicateur. Mais, même sans le prénom, son identité à de quoi faire frémir : Angel, l'ange, Verdugo, le bourreau... Un chasseur, a dit Padre Santiago à Dalach. L'homme, taciturne mais redoutablement efficace quand il s'agit de tuer... ou de contraindre Dalach au silence et à l'obéissance, est un des cousins de Dalach.
Et ce n'est que le premier membre de sa "famille" que va découvrir l'hermaphrodite. Les autres vont suivre, retranchés ou presque, dans une immense propriété digne d'une nouvelle de Poe ou d'un roman de Mary Shelley... Avec à la clef, des révélations qui vont bouleverser la vie de Dalach à jamais... Et lui faire prendre conscience que la découverte des "anges fossiles" n'a rien, mais alors rien d'anecdotique du tout...
Car, au-delà de la découverte archéologique majeure qu'on peut y voir, cette révélation va réveiller une ancienne guerre jamais vraiment endormie, entre les Matamoros et un clan rival depuis des siècles et des siècles, les Di Dante, une opposition frontale entre deux visions de l'humanité irréconciliables. Et on est prêt à tuer pour imposer sa vision. A beaucoup tuer...
Dans le sillage de cette guerre clanique d'un autre temps mais menée avec les moyens de pointe du XXIème siècle, vont se retrouver impliqués, outre les Matamoros et les Di Dante, le Vatican et ses plus hautes sphères, l'Etat d'Israël et même quelques personnages vivant dans une clandestinité élaborée soigneusement pour masquer un passé embarrassant, aux temps les plus sombres du XXème siècle...
Une guerre dont l'un des enjeux pourrait bien être ces mystérieux fossiles, ces "anges" curieusement retrouvés à point nommé, semble-t-il. Quant à Dalach, elle n'est pas au bout de ses surprises et des découvertes qu'elle va faire sur une situation dont elle ignorait tout jusque-là, mais aussi sur une histoire familiale bien éloignée de ce qu'elle considérait comme étant la vérité...
A travers cela, elle va en savoir plus sur elle-même et se découvrir des dons d'abord effrayants mais qui, lorsqu'elle saura les apprivoiser, pourront lui être bien utiles... Des informations et des aptitudes sur lesquelles planent des anges, bien vivants, ceux-là, même s'il faut reconnaître qu'ils sont bien loin de l'imagerie traditionnelle les concernant : ce sont plus des créatures spectrales que de majestueux personnages ailés... Et les raisons de leur présence sur terre sont aussi bien différentes de celles qu'on peut enseigner ici-bas, dogme oblige...
Je n'en dis pas plus, à vous de vous plonger dans le roman si le coeur vous en dit et si vous voulez mieux comprendre ce que je viens de vous raconter. Mais l'irruption du fantastique dans un thriller impeccable a quelque chose de surprenant. Au point que je me suis demandé si c'était bien nécessaire, avant de changer d'avis : nécessaire, non, indispensable !
Tant par le message véhiculé par ces anges que par leur personnalité, si je puis employer ce mot les concernant, ou encore, leur rôle concret dans cette histoire. Amusant de voir comme Cristina Rodeiguez lorgne même par moments vers le "Dracula" de Bram Stoker, dans l'étrange voyage des "anges fossiles" qu'elle nous relate...
Mais la vraie gageure de ce roman, sa vraie réussite, aussi, je trouve, c'est de réussir à centrer toute l'histoire autour d'un concept aussi marqué religieusement, tout en évacuant complètement le dogme, séparant l'ange en tant que créature de ce que l'Eglise catholique, en l'occurrence, mais on pourrait dire la même chose à propos des deux autres religions monothéistes, en a fait.
Pour cela, elle utilise deux facettes mal, peu ou pas connues du public : Lucifer et les anges déchus... Eh oui, si je vous dit "Lucifer", vous allez me répondre : Satan et tout un tas d'autres noms ou qualificatifs qui nous ramèneront au final à un unique concept, le diable, incarnation du mal absolu. Oui, certes, on peut voir les choses ainsi, mais c'est se contenter du petit bout de la lorgnette, voire faire carrément un contresens...
Le banni du titre du roman de Cristina Rodriguez, c'est Lucifer, justement. Celui qui, dit-on, prit la tête de la rébellion des anges contre Dieu et, vaincu, fut chassé, déchu de son statut d'ange. Pourtant, on est là dans une légende qui n'a rien de biblique. Plus encore, si l'on regarde d'encore plus près, une tradition veut que Lucifer n'ait pas été banni pour avoir rejeté Dieu, mais au contraire, pour avoir refusé de reporter son amour infini pour Dieu sur les hommes... Voilà qui change pas mal de choses dans la façon d'appréhender le personnage Lucifer...
Pourtant, oubliez ce paragraphe. Eh oui, je sais, je suis pénible, parfois ! Oubliez même tout ce que vous croyez savoir à propos de Lucifer, car Cristina Rodriguez va vous en proposer une autre "biographie", une autre fonction, également, ainsi qu'à un certain nombre d'autres anges, qui interviennent dans le cours de cette histoire. Une bataille angélique métaphorique et finalement plus intellectuelle, là encore, mot inadéquat, probablement, mais utiliser pour le sens que nous connaissons, que militaire.
Et surtout, dans cette rivalité entre créatures angéliques, aussi surprenant que cela puisse paraître, Dieu n'a aucun place. Peut-être même aucune existence... L'essence des anges n'y est pas divine, même si l'on peut tout de même y voir une certaine transcendance. Reste à découvrir ce qu'ils ambitionnent pour nous, pauvres humains, mais surtout ce que les humains concoctent de leur côté, infernales créatures qu'ils savent si bien être, pour ces anges, providentiellement redécouverts...
"Le baiser du banni" est un roman assez paradoxal : car, aussi étrange que cela puisse paraître, alors qu'on voit bien que deux forces, deux camps s'opposent, il n'est absolument pas manichéen. En clair, on ne peut pas dire qu'on soit dans un affrontement du Bien contre le Mal, en tout cas pas au sens où on l'entend habituellement.
On est vraiment dans un affrontement, disons, philosophique, idéologique, même. Si je devais chercher une comparaison, je crois que celle qui préside à la trilogie de Lionel Davoust, dont les deux premiers tomes sont chroniqués sur ce blog, pourrait coller : une opposition entre ce que l'auteur de "Léviathan" appelle la Voie de la main droite et la Voie de la main gauche...
Je ne vais pas trop développer, cela nous emmènerait un peu loin du "baiser du banni" qui, je le redis, j'insiste, est vraiment un page-turner, ces livres dont on ne peut arrêter de tourner les pages parce qu'on est embarqué dans l'histoire et qu'on ne veut pas fermer avant d'en avoir eu le fin mot. Ca dépote, avec des scènes d'action violentes mais remarquablement menées, des rebondissements permanents, des scènes fantastiques assez impressionnantes, dont un dénouement extrêmement spectaculaire... Tout pour un plaisir de lecture vitaminé, dont la réflexion n'est pas absente pour autant, loin de là.
Avec, cerise sur le gâteau, un autre aspect que j'ai aimé particulièrement. On le sait, et encore mieux depuis le succès de Dan Brown, un "bon" thriller ésotérique se doit de tomber dans le conspirationnisme de bon aloi le plus débridé... Soyons paranos, on nous cache tout, on nous dit rien et tout le monde, surtout religieux, maçonnique, fasciste ou le tout à la fois, nous en veut...
Ici, rien de cela, même si la religion, le dogme, la politique et les idéologies jouent effectivement un rôle. Mais, encore une fois, l'objectif n'est pas juste une question de pouvoir et de gouvernance de l'Humanité, mais plutôt ce qui touche au libre arbitre de chaque individu et aux manières qu'il peut avoir de l'exercer. C'est, n'ayons pas peur des mots, notre existence et la façon dont nous vivons qui sont en jeu ici, au-delà même de toute obédience, de quelque ordre qu'elle soit.
Paradoxal, ai-je écrit, pour qualifier "le baiser du banni", en expliquant que ce roman n'était pas manichéen. Pourtant, il repose bien sur une opposition de fait et, pour bien marquer cela, Cristina Rodriguez introduit un certain nombre d'ambivalence dans son roman, à travers ses personnages, souvent doubles, mais aussi par cette lutte à plusieurs niveaux que je viens d'évoquer. Une lutte qui, s'y j'en crois la fin ouverte du livre, est loin d'être achevée...
Ambivalence en particulier, et j'en resterai là, chez les deux personnages principaux. J'en ai déjà évoqué un, Angel, tueur au gabarit de brute épaisse, mais qui est un être doux, presque rêveur, pas du tout heureux de son sort, mais qui s'y attelle consciencieusement parce que c'est son devoir. Il a choisi en son âme et conscience d'accepter ce rôle de "chasseur" au sein du clan Matamoros et n'a aucun remords, peut-être quelques regrets, malgré tout...
Comme dit plus haut, tout le personnage est résumé dans ces deux mots qui sont son identité : Angel Verdugo. L'ange et le bourreau, tout à la fois. Parfait reflet humain et terrestre des créatures angéliques présentes dans le roman, qui ont le sort de l'humanité entre leurs mains... Lui aussi a une existence en main, mais pas la sienne, non, sa mission, c'est le sacrifice pour sauver la peau coûte que coûte de la personne qu'on lui a confiée à la vie, à la mort : Dalach.
Et on y vient, à Dalach, en guise de point final. Elle apparaît page 13, son prénom est le premier mot du chapitre et, dès cet instant, je me suis demandé ce que cachait ce prénom, fort peu courant... Un petit tour sur un moteur de recherche et, hop !, voilà une trouvaille qui vaut son pesant d'or : en hébreu, Dalach signifie "troubler", en parlant de l'eau. Comme quand on traverse la surface translucide d'un plan d'eau avec le pied et qu'on crée des vagues, qu'on fait s'agiter les sédiments, qu'on brouille la transparence...
Et c'est vrai que pour être ambivalente, Dalach est ambivalente... Je ne peux pas dresser une liste exhaustive, parce que cela en révélerait trop sur le roman, mais, évidemment, cela commence par son physique, son corps double, à la fois homme et femme et dont elle sait utiliser, selon les circonstances, tous les attributs... Son côté androgyne et sa séduction trouble ont jusque-là été des atouts majeurs dans ses différentes activités professionnelles, mais, dans le cas présent, cette double personnalité va prendre une toute autre dimension.
Dans un jeu d'échecs à plusieurs échelons, où le niveau terrestre est fondamental sans pour autant être celui qui possède tous les tenants et aboutissants de son destin, elle est une pièce centrale, à la fois Reine, dotée de pouvoirs au-dessus de toutes les autres pièces, fer de lance de son camp, et Roi, pièce la plus fragile du plateau, et cible principale des attaques du camp adverse...
A elle de déjouer, avec l'aide d'Angel et d'autres alliés fort puissant, les projets humains que la découverte des "anges fossiles" a remis en branle. Une autre et décisive ambivalence, car, entre clans angéliques et clans humains, les oppositions et les enjeux diffèrent de plus en plus clairement au fur et à mesure que le contexte apparaît aux yeux de Dalach (et aux nôtres, par la même occasion...).
Et, sans vouloir contredire Milan Kundera, à qui j'ai malicieusement emprunté une citation pour servir de titre à ce billet, je crains que ce soit la démagogie humaine qui est à l'origine de cette autre ambivalence entre anges et démons, que détruit Cristina Rodriguez dans "le baiser du banni" pour instaurer une toute autre conception de ces choses qui nous dépassent...
samedi 4 mai 2013
"Chacun est comme Dieu l'a fait, et bien souvent pire" (Cervantès).
Une phrase extraite du "Quichotte" pour ouvrir ce billet. Et je vais essayer de vous prouver plus loin que ce choix n'a rien d'anodin... Un roman bien, bien sombre, aujourd'hui, et pas seulement parce qu'il se déroule dans un monde post-apocalyptique. Mais un roman aussi très étrange, presque une parabole, avec, sans doute, une infinité de lectures possibles, une différente par lecteur, avant tout. Après deux premiers romans remarqués en fantasy, Justine Niogret choisit donc pour son troisième livre de se lancer dans la SF, via l'anticipation. Un roman intitulé "Gueule de Truie" et publié aux éditions Critic. Une espèce de quête initiatique hallucinée, entre cauchemar et réalité, entre symbolique et conte philosophique. Bref, un OVNI littéraire servi, comme pour les deux premiers romans, par une plume impeccable et qui se met au diapason du récit, se faisant minérale, lapidaire.
Le monde a donc été ravagé par une épouvantable catastrophe. On appelle ce moment décisif "le Flache", on parle de bombe, quelques fois, mais, on n'en saura pas plus sur les circonstances de ce drame, qui a détruit une bonne partie de l'humanité. Les survivants se sont organisés selon une société qu'on peut qualifier de société de castes. Au bas de l'échelle, "les Gens", puis vient "la Troupe". Au-dessus encore, les terribles "Cavales", que tout le monde redoute et qui n'ont de comptes à rendre qu'aux "Pères de l'Eglise", qui occupent le sommet de la pyramide.
Oui, après le Flache, le monde est devenu une théocratie. Plus que jamais, les Pères s'expriment au nom de Dieu. Un Dieu de colère que ce Dieu-là, puisque, expliquent-ils, c'est lui-même qui a provoqué la catastrophe. C'est de la Bouche de Dieu qu'est directement sorti le souffle apocalyptique, voilà le dogme. Mais, ce souffle n'a pas complètement atteint son but : des fragments d'humanité ont survécu...
Impensable pour les Pères qui, en dévoués interprètes de la volonté divine dans le monde, veulent terminer ce que le souffle du Flache a bien entamé : éradiquer ce qu'il reste de l'espèce humaine, afin d'accomplir la volonté de ce Dieu, manifestement froissé par le comportement de ses créatures. Pour mettre en oeuvre cette basse besogne, les Pères disposent d'un grand nombre de Cavales, qu'on peut comparer aux Inquisiteurs d'antan.
Les Cavales commande à la Troupe, chargée de retrouver la trace des Gens, ce peuple déjà décimé par la catastrophe et qui est donc loin d'être au bout de ses peines. Car, lorsque la Troupe repère des Gens, elle donne l'assaut, sans faire de quartier, ayant pour ordre de ne pas exterminer ceux parmi les Gens qui semblent avoir une aura de chef... Ceux-là reviennent aux Cavales, qui leur infligeront la question, afin de leur faire avouer tout ce qu'ils savent sur les Gens, leurs vies, leurs pratiques, leurs cachettes... Avant, bien sûr, de les éliminer à leur tour...
Celui qu'on appelle Gueule de Truie est une Cavale. Impitoyable, sans état d'âme, tueur froid et sans scrupule. Il faut dire qu'il a été conditionné pour cela depuis son plus jeune âge. On lui a inculqué la volonté divine d'éradiquer les gens et toutes les manières possibles et imaginables pour le faire. Et, c'est lors de son initiation qu'on lui a remis cette tenue si particulière, qu'on voit sur la couverture du livre, d'ailleurs, cette cagoule qui lui couvre la tête intégralement, ces verres fumés qui lui cachent les yeux et cette espèce de masque à gaz qui lui fait comme un groin et lui a valu son peu engageant patronyme...
Mais surtout, on a allumé en lui une haine inextinguible qui va au-delà du simple fanatisme religieux. Gueule de Truie hait le monde dans lequel il vit, celui d'avant le Flache, qu'il a pourtant très peu connu, comme celui d'après, dans lequel il évolue et est devenu ce tueur insatiable. Une haine des autres, mais une haine de lui-même, également... Tant de haines concentrées en une seule personne et qui rejaillissent sur la Troupe, qui sert la Cavale tant bien que mal et pour qui il n'a que mépris, mais surtout sur tous les Gens qui ont le malheur de croiser la route de Gueule de Truie...
C'est donc mû par ce carburant si spécial que Gueule de Truie s'acquitte consciencieusement de sa tâche : tuer le plus de Gens possible. Jusqu'au jour où, au hasard de ses pérégrinations, Gueule de Truie va rencontrer une fille. On n'en saura pas plus à son propos, elle est... une fille. Dans ses bras, elle serre obstinément une boîte en métal, je l'ai vue comme une espèce de boîte à biscuits, une boîte pas du tout luxueuse, ni remarquable en quoi que ce soit. Simplement une boîte, comme elle est simplement une fille...
Sur le contenu de cette boîte, je ne vous dirai rien, car c'est l'une des clés du livre. Pourtant, cette façon qu'elle a de s'accrocher vaille que vaille à cette boîte a de quoi aiguiser la curiosité, tant celle du lecteur que des personnages qui rencontrent la fille. Gueule de Truie n'échappe pas à cette règle mais ce mystère n'est sans doute pas suffisant pour expliquer pourquoi la Cavale, impitoyable, va s'enticher de la fille...
Son physique ? Comment savoir, on a si peu d'informations à son sujet ! Sa conversation qui aurait su émouvoir le coeur de l'inquisiteur ? Non, si la fille n'est pas muette, elle n'est pas bavarde non plus, loin de là. Elle parle extrêmement peu. Sa volonté, malgré tous les dangers, les embûches qui en décourageraient plus d'un, de rejoindre un lieu bien déterminé, avec à l'esprit un but bien précis et, en tête, l'espoir fou de voir se réaliser un voeu insensé...
Est-ce cet entêtement qui va briser quelque chose dans la carapace jusque-là imputrescible de Gueule de Truie. On peut se le demander, car, au lieu de faire machinalement à la fille ce qu'il fait depuis un long moment à tout ceux qu'il croise, en clair, la tuer, il va s'écarter de sa mission, et violemment, rejetant brutalement les ordres des Pères pour se lancer, avec la fille, dans une étrange quête, à la recherche du lieu où tout a fini... et commencé...
Un périple dans un monde très étrange. Vous allez me dire que si le monde d'après l'Apocalypse semblait parfaitement normal, il y aurait comme une incongruité. Et vous avez raison. Mais, quand je dis que ce monde est étrange, c'est parce que d'un univers de science-fiction, dans lequel on a évolué jusque-là, j'ai eu l'impression de passer dans un monde... de fantasy !
Oh, pas un univers de fantasy classique, sur fond médiéval, comme Justine Niogret nous en a proposé dans ses deux précédents livres, mais un univers qui paraît s'inscrire dans une dimension tout autre que la nôtre... Oui, j'ai basculé en même temps que Gueule de Truie et ce changement soudain m'a rappelé ces récits de voyage du Moyen-Age (eh oui, on y revient quand même, par la bande, certes, mais on y revient) sur le mystérieux Royaume du Prêtre Jean...
La comparaison ne vaut pas pour l'aspect utopique de ce royaume légendaire, son apparence semblable à l'Eden originel et à la société parfaite qui s'y est constituée. En fait, dans "Gueule de Truie", ce serait même tout le contraire, tant les lieux traversés par la Cavale et la fille sont sinistres, dénuées de beauté et franchement effrayant. Là, on ne croise pas âme qui vivent, en tout cas, pas âme humaine. Mais des créatures monstrueuses, inquiétantes, dangereuses, même, ou intrigantes...
Au lieu de ce royaume idéal qu'on attribuait au Prêtre Jean, ce monde sur lequel sont censés veiller d'autres prêtres aux ambitions bien moins utopiques, est désolé, dévasté, on se demande même ce que la fille, Gueule de Truie dans son sillage, peut bien y chercher. Mais sa volonté semble inébranlable et son sens de l'orientation indiscutable, car jamais elle ne cesse d'avancer, sûre de là où elle se rend, apparemment...
Mais il faut nous arrêter un instant sur ces créatures rencontrées par hasard par son deux pèlerins, ainsi que sur certains des lieux traversés. Je ne vais pas vous les décrire un par un, parce qu'il faut lire le roman de Justine Niogret pour en avoir une perception personnelle. Mais tous ont des symboliques fortes, puissantes, à la fois légendaires et spirituelles, comme par exemple, et le lien d'Elbakin n'est pas choisi au hasard, puisque c'est un site spécialisé en fantasy, le cerf blanc. Je crois même, si j'ai bien cherché et si je ne raconte pas n'importe quoi, qu'une de ces rencontres sort de "Donjons et Dragons" (merci à mon ami le moteur de recherche !).
Une chose est sûre, pour moi, car ceci est ma vision personnelle, tout ces éléments renvoient, alimentent l'impression mortifère qui se dégage de cet univers. Pas complètement anormal, puisque nous sommes dans un monde post-apocalyptique où le projet est de terminer ce que la catastrophe n'a pas réussi... Mais, mais, cette seconde partie et l'univers dans lequel elle se déroule paraissent si différents de la première qu'on se demande si tous ces symboles ne concernent pas autre chose... Et nous aurons, en tout cas, j'ai la mienne, dans les dernières pages...
Tous ces lieux, toutes ces créatures, toutes ces rencontres, tous ces symboles... Je me suis creuser les méninges... Et là, allez savoir pourquoi, un personnage est apparu dans mon esprit (un peu malade, je le reconnais) : Don Quichotte... Oui, le gentilhomme de la Manche, le chevalier à la triste figure mais à l'honneur immaculé, parti en quête d'exploits pour les beaux yeux de Dulcinée... Et si Gueule de Truie était un anti-Don Quichotte ?
Pas de Dulcinée, même si la relation avec la fille prend, par moment, un tour charnel, dénué tant de sentiments que de sensualité. Pas de code de l'honneur chevaleresque. Mais ce voyage à travers le monde dévasté et ces rencontres avec des créatures dont on peut légitimement se demander si elles sont réelles ou sorties d'un quelconque délire né dans la tête de la Cavale, tourneboulée depuis sa rencontre avec la fille.
Voilà le vrai lien avec le personnage de Cervantès : comme le Quichotte chargeait les moulins à vent en les prenant pour des géants munis de cent bras, par exemple, Gueule de Truie doit affronter ces bestioles pas franchement très ragoûtantes et qui ne sortent peut-être que de son imagination, afin de poursuivre sa quête, ou plutôt celle de la fille : rejoindre la destination qu'elle s'est fixée pour y apporter sa mystérieuse boîte...
Et, comme pour le héros de la Manche, l'arrivée au terme du chemin sera-t-il une terrible déception ? Qu'y a-t-il finalement à attendre pour la Cavale, mais aussi pour la fille, de ce voyage ? Leur relation est très particulière, déjà. Gueule de Truie ne sait que haïr. D'une certaine manière, la fille n'échappe pas à cet état de fait : la Cavale la bat, la malmène, la violente, la menace. Mais ne la tue pas. Même lorsque l'envie lui vient de le faire.
Son comportement, imprégné par cette haine tenace, inculquée depuis l'enfance comme un savoir-faire, évolue pourtant. Mais, s'il ressent le moindre "sentiment" (je mets des guillemets, tant ce concept paraît étranger à Gueule de Truie) pour la fille, comment les exprimer, puisque cela, on ne lui a jamais appris ? Il y a des scènes, à la fois bouleversantes et en même temps dérangeantes où la Cavale touche la fille, comme si c'est par ce sens plus que tout autre que se nouait leur relation sans équivalent.
Il la frappe, je l'ai dit, mais touche aussi son visage, oh, pas par des caresses, non, plus comme quelqu'un toucherait un objet inconnu dont il voudrait apprécier la substance, enfonçant son index dans sa joue, par exemple. Il concède même quelquefois de prendre la main de la fille dans la sienne, d'avoir des rapports charnels, mais lorsque c'est la fille qui prend les initiatives et lui les reçoit comme quelque chose qui n'est pas désagréable, mais dont il ne comprend pas l'intérêt, la portée.
Entre ces deux personnages, Gueule de Truie toujours au bord de l'implosion, contenant à grand peine la haine qui l'habite, et la fille, presque évanescente, silencieuse mais décidée, il y a un lien. Fort, au point de pousser la Cavale à renoncer à sa mission, à agir à l'encontre de tout ce qu'on lui a appris, à se mettre en danger en devenant d'une certaine façon un Gens, si je puis dire.
Pourtant, si la fille va obtenir de Gueule de Truie qu'il retire cette affreuse cagoule, qu'il se montre à elle tel qu'il est vraiment, dans son humanité ou ce qu'il en reste, elle n'aura pas l'influence suffisante pour qu'il la quitte. Toujours il la remet, affrontant le monde derrière cette protection qui est aussi un obstacle à sa perception des choses, une barrière face au monde réel.
Mais, et là encore, c'est une vision toute personnelle du roman, je vois autre chose dans la relation entre la Cavale et la fille. Une vision qui a pris forme une fois lu le dénouement du roman. Je ne vais pas complètement l'expliciter, même si j'ai une lecture précise des choses, hardie mais qui me plaît bien et me semble parfaitement cohérente.
Sans aller trop loin, donc (n'hésitez pas à me contacter si vous voulez en savoir plus), la rencontre avec la fille est une charnière dans l'existence de Gueule de Truie, exactement comme le Flache l'a été pour le monde : il y a un avant et un après, le second profondément modifié par rapport au premier. Et pourtant, dans un cas comme dans l'autre, il doit bien y avoir quelque part une continuité, continuité entre un passé et un avenir qui passe par le présent que nous relate l'auteur. Reste à comprendre où elle se loge, cette continuité. C'est la que ma théorie mystère intervient (*musique de suspense*... et grosse frustration pour vous, car je ne parlerai pas, même sous la question !)...
Comment ne pas terminer sur un nouvel éloge de Justine Niogret ? Tant dans la construction du récit que dans cette écriture toujours aussi efficace, elle nous propose un troisième roman dans la lignée des deux premiers. Avec toujours cette puissance descriptive qui m'impressionne à chaque fois. Mais sur des tons sombres, noirs, gris, bruns, blanchâtres, parfois, comme si l'on regardait à travers le masque de Gueule de Truie, les couleurs et les lumières filtrés par ces verres fumés dont il ne se sépare jamais.
Mais, malgré toutes les différences qui apparaissent entre le diptyque consacré au personnage de Chien du Heaume et ce roman de SF, certains liens sont clairs. Je ne reviens pas sur l'irruption de la fantasy dans la science-fiction, mais aussi sur le côté périple de ce roman, sans but bien défini. Un personnage solitaire, pas forcément sympathique au premier abord mais qui va entamer une sorte de mue au cours de sa quête.
On retrouve aussi ce lien à l'animalité, si fort dans "Chien du Heaume". Par le nom du personnage central, avant tout, bien sûr, mais pas seulement. J'ai évoqué le personnage du Cerf Blanc, plus haut, il en est un exemple parfait. Même s'il est morphologiquement très différent, même si son attitudes et ses aptitudes n'ont rien à voir, il m'a rappelé la Salamandre, croisée dans "Chien du Heaume" et "Mordre le bouclier".
Une animalité qui, là encore, c'est une vision personnelle, s'exprime aussi à travers Gueule de Truie. Son absence d'humanité dans sa besogne de Cavale, l'assimilation faite entre son apparence physique et l'animal qui lui sert de "totem", son fonctionnement social, plus instinctif qu'intellectuel, tout cela fait de ce personnage un autre exemple de l'irruption de l'animal au coeur de l'homme.
Sans doute pourrait-on multiplier ces exemples qui montrent bien que "Gueule de Truie", malgré le changement de genre littéraire, s'inscrit parfaitement dans une oeuvre cohérente en train de naître. Mais j'ai déjà fait long, je vais donc m'arrêter là. J'espère que vous aurez compris que je suis une nouvelle fois enthousiaste devant le talent de Justine Niogret, qui finira par ne plus être seulement "prometteur" pour devenir "confirmé".
Pourtant, "Gueule de Truie" est un roman qu'on pourra trouver hermétique, difficile d'accès. Certes, il ne s'agit pas d'un roman à lire avec passivité, non, il faut faire travailler ses petites cellules grises au risque d'être dérouté (jeu de mots : la quatrième de couverture fait référence à "la Route", de Cormac McCarthy, encensé par les uns, détesté par d'autres ; la référence me semble juste dans la noirceur du monde créé par Justine Niogret et l'absence totale de sociabilité qui y préside, mais ça s'arrête là, "Gueule de Truie" est très différent pour tout le reste).
Hermétique, sans doute, mais pas infranchissable ou illisible, car on s'attache aux pas de Gueule de Truie et de la fille, mais aussi à l'étrange duo qu'ils forment. Reste que je pense que chaque lecteur aura sa vision d'une fin très particulière. Et, à travers elle, du roman tout entier. Foin de rédemption, dans ce livre, juste une quête socratique de connaissance de soi.
Et puis, avant d'enfin me taire, si, si, c'est possible, un paragraphe pour saluer le travail de l'illustrateur qui a signé la couverture du roman de Justine Niogret. Il s'appelle Ronan Toulhoat et sa couverture est d'une extrême efficacité. Grâce à lui, on visualise parfaitement Gueule de Truie et l'on comprend d'un seul coup bien mieux comment le personnage a hérité de son surnom.
J'en ai fait l'expérience personnelle, d'abord, mais j'ai aussi pu le vérifier lors de discussion avec d'autres lecteurs intrigués par ce titre... "Gueule de Truie"... Un titre qui prête à rire quand on ne sait pas ce qu'il cache. Alors, vient la curiosité quant à l'origine de ce nom. Et là, mieux que tous les mots, montrer la couverture de Ronan Toulhoat s'avère d'une efficacité redoutable.
Le tandem Niogret / Toulhoat réussit alors collectivement à aiguiser la curiosité des uns et des autres... Je ne sais pas si ce billet servira de détonateur à certains pour se lancer dans l'aventure aux côtés de Gueule de Truie et de la fille, mais je ne peux qu'encourager ceux que le personnage et sa triste figure masquée d'anti-Don Quichotte intriguent à le faire. "Gueule de Truie" est un roman qui marque et qui reste en tête longtemps après la fin de la lecture.
Pour vous dire, ma théorie sur ce livre s'est mise en place la nuit dernière tandis que j'écrivais les premières lignes de ce billet. Une vraie révélation, intervenue plusieurs jours après la fin de la lecture. C'est dire la force de l'écriture et de l'univers romanesque de Justine Niogret. Pour cela, un grand bravo à elle et des encouragements sincères à poursuivre dans la voie qu'elle s'est fixée. Parce qu'on a là un écrivain, je pèse le mot, et un écrivain de talent !
Le monde a donc été ravagé par une épouvantable catastrophe. On appelle ce moment décisif "le Flache", on parle de bombe, quelques fois, mais, on n'en saura pas plus sur les circonstances de ce drame, qui a détruit une bonne partie de l'humanité. Les survivants se sont organisés selon une société qu'on peut qualifier de société de castes. Au bas de l'échelle, "les Gens", puis vient "la Troupe". Au-dessus encore, les terribles "Cavales", que tout le monde redoute et qui n'ont de comptes à rendre qu'aux "Pères de l'Eglise", qui occupent le sommet de la pyramide.
Oui, après le Flache, le monde est devenu une théocratie. Plus que jamais, les Pères s'expriment au nom de Dieu. Un Dieu de colère que ce Dieu-là, puisque, expliquent-ils, c'est lui-même qui a provoqué la catastrophe. C'est de la Bouche de Dieu qu'est directement sorti le souffle apocalyptique, voilà le dogme. Mais, ce souffle n'a pas complètement atteint son but : des fragments d'humanité ont survécu...
Impensable pour les Pères qui, en dévoués interprètes de la volonté divine dans le monde, veulent terminer ce que le souffle du Flache a bien entamé : éradiquer ce qu'il reste de l'espèce humaine, afin d'accomplir la volonté de ce Dieu, manifestement froissé par le comportement de ses créatures. Pour mettre en oeuvre cette basse besogne, les Pères disposent d'un grand nombre de Cavales, qu'on peut comparer aux Inquisiteurs d'antan.
Les Cavales commande à la Troupe, chargée de retrouver la trace des Gens, ce peuple déjà décimé par la catastrophe et qui est donc loin d'être au bout de ses peines. Car, lorsque la Troupe repère des Gens, elle donne l'assaut, sans faire de quartier, ayant pour ordre de ne pas exterminer ceux parmi les Gens qui semblent avoir une aura de chef... Ceux-là reviennent aux Cavales, qui leur infligeront la question, afin de leur faire avouer tout ce qu'ils savent sur les Gens, leurs vies, leurs pratiques, leurs cachettes... Avant, bien sûr, de les éliminer à leur tour...
Celui qu'on appelle Gueule de Truie est une Cavale. Impitoyable, sans état d'âme, tueur froid et sans scrupule. Il faut dire qu'il a été conditionné pour cela depuis son plus jeune âge. On lui a inculqué la volonté divine d'éradiquer les gens et toutes les manières possibles et imaginables pour le faire. Et, c'est lors de son initiation qu'on lui a remis cette tenue si particulière, qu'on voit sur la couverture du livre, d'ailleurs, cette cagoule qui lui couvre la tête intégralement, ces verres fumés qui lui cachent les yeux et cette espèce de masque à gaz qui lui fait comme un groin et lui a valu son peu engageant patronyme...
Mais surtout, on a allumé en lui une haine inextinguible qui va au-delà du simple fanatisme religieux. Gueule de Truie hait le monde dans lequel il vit, celui d'avant le Flache, qu'il a pourtant très peu connu, comme celui d'après, dans lequel il évolue et est devenu ce tueur insatiable. Une haine des autres, mais une haine de lui-même, également... Tant de haines concentrées en une seule personne et qui rejaillissent sur la Troupe, qui sert la Cavale tant bien que mal et pour qui il n'a que mépris, mais surtout sur tous les Gens qui ont le malheur de croiser la route de Gueule de Truie...
C'est donc mû par ce carburant si spécial que Gueule de Truie s'acquitte consciencieusement de sa tâche : tuer le plus de Gens possible. Jusqu'au jour où, au hasard de ses pérégrinations, Gueule de Truie va rencontrer une fille. On n'en saura pas plus à son propos, elle est... une fille. Dans ses bras, elle serre obstinément une boîte en métal, je l'ai vue comme une espèce de boîte à biscuits, une boîte pas du tout luxueuse, ni remarquable en quoi que ce soit. Simplement une boîte, comme elle est simplement une fille...
Sur le contenu de cette boîte, je ne vous dirai rien, car c'est l'une des clés du livre. Pourtant, cette façon qu'elle a de s'accrocher vaille que vaille à cette boîte a de quoi aiguiser la curiosité, tant celle du lecteur que des personnages qui rencontrent la fille. Gueule de Truie n'échappe pas à cette règle mais ce mystère n'est sans doute pas suffisant pour expliquer pourquoi la Cavale, impitoyable, va s'enticher de la fille...
Son physique ? Comment savoir, on a si peu d'informations à son sujet ! Sa conversation qui aurait su émouvoir le coeur de l'inquisiteur ? Non, si la fille n'est pas muette, elle n'est pas bavarde non plus, loin de là. Elle parle extrêmement peu. Sa volonté, malgré tous les dangers, les embûches qui en décourageraient plus d'un, de rejoindre un lieu bien déterminé, avec à l'esprit un but bien précis et, en tête, l'espoir fou de voir se réaliser un voeu insensé...
Est-ce cet entêtement qui va briser quelque chose dans la carapace jusque-là imputrescible de Gueule de Truie. On peut se le demander, car, au lieu de faire machinalement à la fille ce qu'il fait depuis un long moment à tout ceux qu'il croise, en clair, la tuer, il va s'écarter de sa mission, et violemment, rejetant brutalement les ordres des Pères pour se lancer, avec la fille, dans une étrange quête, à la recherche du lieu où tout a fini... et commencé...
Un périple dans un monde très étrange. Vous allez me dire que si le monde d'après l'Apocalypse semblait parfaitement normal, il y aurait comme une incongruité. Et vous avez raison. Mais, quand je dis que ce monde est étrange, c'est parce que d'un univers de science-fiction, dans lequel on a évolué jusque-là, j'ai eu l'impression de passer dans un monde... de fantasy !
Oh, pas un univers de fantasy classique, sur fond médiéval, comme Justine Niogret nous en a proposé dans ses deux précédents livres, mais un univers qui paraît s'inscrire dans une dimension tout autre que la nôtre... Oui, j'ai basculé en même temps que Gueule de Truie et ce changement soudain m'a rappelé ces récits de voyage du Moyen-Age (eh oui, on y revient quand même, par la bande, certes, mais on y revient) sur le mystérieux Royaume du Prêtre Jean...
La comparaison ne vaut pas pour l'aspect utopique de ce royaume légendaire, son apparence semblable à l'Eden originel et à la société parfaite qui s'y est constituée. En fait, dans "Gueule de Truie", ce serait même tout le contraire, tant les lieux traversés par la Cavale et la fille sont sinistres, dénuées de beauté et franchement effrayant. Là, on ne croise pas âme qui vivent, en tout cas, pas âme humaine. Mais des créatures monstrueuses, inquiétantes, dangereuses, même, ou intrigantes...
Au lieu de ce royaume idéal qu'on attribuait au Prêtre Jean, ce monde sur lequel sont censés veiller d'autres prêtres aux ambitions bien moins utopiques, est désolé, dévasté, on se demande même ce que la fille, Gueule de Truie dans son sillage, peut bien y chercher. Mais sa volonté semble inébranlable et son sens de l'orientation indiscutable, car jamais elle ne cesse d'avancer, sûre de là où elle se rend, apparemment...
Mais il faut nous arrêter un instant sur ces créatures rencontrées par hasard par son deux pèlerins, ainsi que sur certains des lieux traversés. Je ne vais pas vous les décrire un par un, parce qu'il faut lire le roman de Justine Niogret pour en avoir une perception personnelle. Mais tous ont des symboliques fortes, puissantes, à la fois légendaires et spirituelles, comme par exemple, et le lien d'Elbakin n'est pas choisi au hasard, puisque c'est un site spécialisé en fantasy, le cerf blanc. Je crois même, si j'ai bien cherché et si je ne raconte pas n'importe quoi, qu'une de ces rencontres sort de "Donjons et Dragons" (merci à mon ami le moteur de recherche !).
Une chose est sûre, pour moi, car ceci est ma vision personnelle, tout ces éléments renvoient, alimentent l'impression mortifère qui se dégage de cet univers. Pas complètement anormal, puisque nous sommes dans un monde post-apocalyptique où le projet est de terminer ce que la catastrophe n'a pas réussi... Mais, mais, cette seconde partie et l'univers dans lequel elle se déroule paraissent si différents de la première qu'on se demande si tous ces symboles ne concernent pas autre chose... Et nous aurons, en tout cas, j'ai la mienne, dans les dernières pages...
Tous ces lieux, toutes ces créatures, toutes ces rencontres, tous ces symboles... Je me suis creuser les méninges... Et là, allez savoir pourquoi, un personnage est apparu dans mon esprit (un peu malade, je le reconnais) : Don Quichotte... Oui, le gentilhomme de la Manche, le chevalier à la triste figure mais à l'honneur immaculé, parti en quête d'exploits pour les beaux yeux de Dulcinée... Et si Gueule de Truie était un anti-Don Quichotte ?
Pas de Dulcinée, même si la relation avec la fille prend, par moment, un tour charnel, dénué tant de sentiments que de sensualité. Pas de code de l'honneur chevaleresque. Mais ce voyage à travers le monde dévasté et ces rencontres avec des créatures dont on peut légitimement se demander si elles sont réelles ou sorties d'un quelconque délire né dans la tête de la Cavale, tourneboulée depuis sa rencontre avec la fille.
Voilà le vrai lien avec le personnage de Cervantès : comme le Quichotte chargeait les moulins à vent en les prenant pour des géants munis de cent bras, par exemple, Gueule de Truie doit affronter ces bestioles pas franchement très ragoûtantes et qui ne sortent peut-être que de son imagination, afin de poursuivre sa quête, ou plutôt celle de la fille : rejoindre la destination qu'elle s'est fixée pour y apporter sa mystérieuse boîte...
Et, comme pour le héros de la Manche, l'arrivée au terme du chemin sera-t-il une terrible déception ? Qu'y a-t-il finalement à attendre pour la Cavale, mais aussi pour la fille, de ce voyage ? Leur relation est très particulière, déjà. Gueule de Truie ne sait que haïr. D'une certaine manière, la fille n'échappe pas à cet état de fait : la Cavale la bat, la malmène, la violente, la menace. Mais ne la tue pas. Même lorsque l'envie lui vient de le faire.
Son comportement, imprégné par cette haine tenace, inculquée depuis l'enfance comme un savoir-faire, évolue pourtant. Mais, s'il ressent le moindre "sentiment" (je mets des guillemets, tant ce concept paraît étranger à Gueule de Truie) pour la fille, comment les exprimer, puisque cela, on ne lui a jamais appris ? Il y a des scènes, à la fois bouleversantes et en même temps dérangeantes où la Cavale touche la fille, comme si c'est par ce sens plus que tout autre que se nouait leur relation sans équivalent.
Il la frappe, je l'ai dit, mais touche aussi son visage, oh, pas par des caresses, non, plus comme quelqu'un toucherait un objet inconnu dont il voudrait apprécier la substance, enfonçant son index dans sa joue, par exemple. Il concède même quelquefois de prendre la main de la fille dans la sienne, d'avoir des rapports charnels, mais lorsque c'est la fille qui prend les initiatives et lui les reçoit comme quelque chose qui n'est pas désagréable, mais dont il ne comprend pas l'intérêt, la portée.
Entre ces deux personnages, Gueule de Truie toujours au bord de l'implosion, contenant à grand peine la haine qui l'habite, et la fille, presque évanescente, silencieuse mais décidée, il y a un lien. Fort, au point de pousser la Cavale à renoncer à sa mission, à agir à l'encontre de tout ce qu'on lui a appris, à se mettre en danger en devenant d'une certaine façon un Gens, si je puis dire.
Pourtant, si la fille va obtenir de Gueule de Truie qu'il retire cette affreuse cagoule, qu'il se montre à elle tel qu'il est vraiment, dans son humanité ou ce qu'il en reste, elle n'aura pas l'influence suffisante pour qu'il la quitte. Toujours il la remet, affrontant le monde derrière cette protection qui est aussi un obstacle à sa perception des choses, une barrière face au monde réel.
Mais, et là encore, c'est une vision toute personnelle du roman, je vois autre chose dans la relation entre la Cavale et la fille. Une vision qui a pris forme une fois lu le dénouement du roman. Je ne vais pas complètement l'expliciter, même si j'ai une lecture précise des choses, hardie mais qui me plaît bien et me semble parfaitement cohérente.
Sans aller trop loin, donc (n'hésitez pas à me contacter si vous voulez en savoir plus), la rencontre avec la fille est une charnière dans l'existence de Gueule de Truie, exactement comme le Flache l'a été pour le monde : il y a un avant et un après, le second profondément modifié par rapport au premier. Et pourtant, dans un cas comme dans l'autre, il doit bien y avoir quelque part une continuité, continuité entre un passé et un avenir qui passe par le présent que nous relate l'auteur. Reste à comprendre où elle se loge, cette continuité. C'est la que ma théorie mystère intervient (*musique de suspense*... et grosse frustration pour vous, car je ne parlerai pas, même sous la question !)...
Comment ne pas terminer sur un nouvel éloge de Justine Niogret ? Tant dans la construction du récit que dans cette écriture toujours aussi efficace, elle nous propose un troisième roman dans la lignée des deux premiers. Avec toujours cette puissance descriptive qui m'impressionne à chaque fois. Mais sur des tons sombres, noirs, gris, bruns, blanchâtres, parfois, comme si l'on regardait à travers le masque de Gueule de Truie, les couleurs et les lumières filtrés par ces verres fumés dont il ne se sépare jamais.
Mais, malgré toutes les différences qui apparaissent entre le diptyque consacré au personnage de Chien du Heaume et ce roman de SF, certains liens sont clairs. Je ne reviens pas sur l'irruption de la fantasy dans la science-fiction, mais aussi sur le côté périple de ce roman, sans but bien défini. Un personnage solitaire, pas forcément sympathique au premier abord mais qui va entamer une sorte de mue au cours de sa quête.
On retrouve aussi ce lien à l'animalité, si fort dans "Chien du Heaume". Par le nom du personnage central, avant tout, bien sûr, mais pas seulement. J'ai évoqué le personnage du Cerf Blanc, plus haut, il en est un exemple parfait. Même s'il est morphologiquement très différent, même si son attitudes et ses aptitudes n'ont rien à voir, il m'a rappelé la Salamandre, croisée dans "Chien du Heaume" et "Mordre le bouclier".
Une animalité qui, là encore, c'est une vision personnelle, s'exprime aussi à travers Gueule de Truie. Son absence d'humanité dans sa besogne de Cavale, l'assimilation faite entre son apparence physique et l'animal qui lui sert de "totem", son fonctionnement social, plus instinctif qu'intellectuel, tout cela fait de ce personnage un autre exemple de l'irruption de l'animal au coeur de l'homme.
Sans doute pourrait-on multiplier ces exemples qui montrent bien que "Gueule de Truie", malgré le changement de genre littéraire, s'inscrit parfaitement dans une oeuvre cohérente en train de naître. Mais j'ai déjà fait long, je vais donc m'arrêter là. J'espère que vous aurez compris que je suis une nouvelle fois enthousiaste devant le talent de Justine Niogret, qui finira par ne plus être seulement "prometteur" pour devenir "confirmé".
Pourtant, "Gueule de Truie" est un roman qu'on pourra trouver hermétique, difficile d'accès. Certes, il ne s'agit pas d'un roman à lire avec passivité, non, il faut faire travailler ses petites cellules grises au risque d'être dérouté (jeu de mots : la quatrième de couverture fait référence à "la Route", de Cormac McCarthy, encensé par les uns, détesté par d'autres ; la référence me semble juste dans la noirceur du monde créé par Justine Niogret et l'absence totale de sociabilité qui y préside, mais ça s'arrête là, "Gueule de Truie" est très différent pour tout le reste).
Hermétique, sans doute, mais pas infranchissable ou illisible, car on s'attache aux pas de Gueule de Truie et de la fille, mais aussi à l'étrange duo qu'ils forment. Reste que je pense que chaque lecteur aura sa vision d'une fin très particulière. Et, à travers elle, du roman tout entier. Foin de rédemption, dans ce livre, juste une quête socratique de connaissance de soi.
Et puis, avant d'enfin me taire, si, si, c'est possible, un paragraphe pour saluer le travail de l'illustrateur qui a signé la couverture du roman de Justine Niogret. Il s'appelle Ronan Toulhoat et sa couverture est d'une extrême efficacité. Grâce à lui, on visualise parfaitement Gueule de Truie et l'on comprend d'un seul coup bien mieux comment le personnage a hérité de son surnom.
J'en ai fait l'expérience personnelle, d'abord, mais j'ai aussi pu le vérifier lors de discussion avec d'autres lecteurs intrigués par ce titre... "Gueule de Truie"... Un titre qui prête à rire quand on ne sait pas ce qu'il cache. Alors, vient la curiosité quant à l'origine de ce nom. Et là, mieux que tous les mots, montrer la couverture de Ronan Toulhoat s'avère d'une efficacité redoutable.
Le tandem Niogret / Toulhoat réussit alors collectivement à aiguiser la curiosité des uns et des autres... Je ne sais pas si ce billet servira de détonateur à certains pour se lancer dans l'aventure aux côtés de Gueule de Truie et de la fille, mais je ne peux qu'encourager ceux que le personnage et sa triste figure masquée d'anti-Don Quichotte intriguent à le faire. "Gueule de Truie" est un roman qui marque et qui reste en tête longtemps après la fin de la lecture.
Pour vous dire, ma théorie sur ce livre s'est mise en place la nuit dernière tandis que j'écrivais les premières lignes de ce billet. Une vraie révélation, intervenue plusieurs jours après la fin de la lecture. C'est dire la force de l'écriture et de l'univers romanesque de Justine Niogret. Pour cela, un grand bravo à elle et des encouragements sincères à poursuivre dans la voie qu'elle s'est fixée. Parce qu'on a là un écrivain, je pèse le mot, et un écrivain de talent !
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