mardi 28 février 2017

"Ce qui rend un ami sûr de l'autre, c'est la connaissance de son intégrité. Il en a pour garants son bon naturel, sa fidélité, sa constance" (Etienne de La Boétie).

Presque deux ans après la sortie chez Folio du thriller post-apocalyptique de Laurent Whale "les étoiles s'en balancent", voici que le deuxième volet de ce diptyque rejoint lui aussi la fameuse collection de poche. "Les damnés de l'asphalte" n'est pas une suite directe, mais bien un second volet, à la fois dans la lignée du premier tome mais aussi sensiblement différent pour plein de raisons (que nous allons développer, bien sûr). On reste dans le côté thriller post-apocalyptique, mais le cadre et les enjeux ne sont pas les mêmes, le rythme n'est pas non plus le même. En revanche, on retrouve cette solidarité, cette fidélité qui caractérisaient déjà les personnages du premier roman. Mais aussi un univers oppressant et menaçant, pas plus rassurant pour "les damnés" que pour "les étoiles". C'est violent, tendu, sauvage par moments, mais, au milieu du chaos, l'amitié et l'amour qui unit les personnages est sans doute l'arme la plus puissante...



Quinze années ont passé depuis que Tom Costa et ses amis ont réussi à enrayer l'effroyable invasion qui menaçait la France. Pour autant, la situation du pays ne s'est guère améliorée : les centres urbains restent isolés au milieu de no man's lands où sévissent les "Hors les Murs", ces hommes retournés quasiment à la vie sauvage.

Politiquement, cette fin de XXIe siècle reste très instable et l'insécurité est omniprésente. Peu après leur victoire sur l'armée d'invasion, Tom Costa et sa tribu ont décidé de quitter l'Île-de-France pour se diriger vers le sud, région plus calme. C'est à Port Leucate, au bord de la Méditerranée, qu'ils se sont installés et vivent paisiblement.

Tom et son frère Erwan mettent à profit leurs talents de pilotes pour aller faire du troc de l'autre côté des Pyrénées. Des virées espagnoles facilitées par leur prise de guerre, un hélicoptère solaire et qui permettent à tout le monde de vivre relativement confortablement. Et ça tombe bien, car le groupe s'est élargi et va encore s'agrandir.

En effet, Miki, le jeune frère de Tom et Erwan va bientôt devenir père à son tour. Mais cet heureux événement annoncé ne peut cacher la tristesse qui habite le futur papa et ses proches : deux ans auparavant, Tom et Erwan ne sont pas rentrés d'un vol en Espagne. Ils sont toujours portés disparus, mais personne ne veut se résoudre à accepter leur mort.

Miki décide alors de se lancer à leur recherche, avec la conviction qu'il arrivera à les ramener au bercail pour fêter tous ensemble la naissance du petit dernier de la tribu. Avec lui, partent Toni et Cheyenne, les anciens du groupe, mais aussi Vincent, le fils de Tom, et sa petite amie, Marjorie, invitée surprise (voire clandestine).

Pas question d'utiliser les mêmes moyens que les oncles pour aller les récupérer : depuis leur disparition, le matériel aérien dont disposent Miki et ses amis souffre d'un manque d'entretien qui en rend l'usage périlleux. C'est donc à cheval et à pied que les sauveteurs se rendront en Espagne, avec tout ce que cela implique de difficultés mais aussi de dangers.

En revanche, pas de souci pour se défendre, tous ont la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de concours. Mais aussi des arcs et diverses armes blanches, sans compter ce qu'ils pourront trouver en chemin. Bref, ils sont vulnérables, mais ceux qui voudront leur chercher noise devront se préparer à un sacré combat et il restera du monde par terre...

Reste à savoir comment s'y prendre, car ils n'ont absolument aucune idée de ce qui a pu arriver à Tom et Erwan, ni de la direction qu'ils ont pu prendre. Alors, le premier objectif, tout en cherchant d'éventuelles pistes au long de la route, c'est de rallier la ville qu'on appelait Barcelone auparavant, et qu'on nomme désormais Barça.

Ce qui ressemble le plus à une grande ville dans ce monde qui a salement morflé et vu sa population décroître sensiblement depuis plus d'un demi-siècle. Là, ils espèrent qu'on saura les renseigner, qu'on aura vu passer les deux pilotes et que leur souvenir aura marqué les esprits. Mais, pour le reste, c'est vers l'inconnu qu'ils se lancent, avec tout ce que cela implique.

Dans "les étoiles s'en balancent", Laurent Whale s'appuyait sur sa passion pour l'aéronautique et faisait de l'ULM un des personnages centraux du récit, autant que ceux qui le pilotaient. Dans "les damnés de l'asphalte", comme le titre l'indique, les héros restent les pieds collés au sol, et, forcément, cela change beaucoup de choses.

Ne vous attendez pas aux combats aériens impressionnants qu'on trouvait dans le premier volet, ici, tout sera un peu plus conventionnel, forcément. Enfin, ne vous inquiétez pas, de l'action, il y en a, beaucoup, et pas piqué des hannetons (j'adore cette expression, on devrait l'utiliser plus souvent !). Il y en a, parce que, au sol, l'Espagne, ce n'est pas le paradis, sous la plume de Whale.

Entre les Sectiens, serviteurs fanatiques d'un culte qui entend s'imposer à tous et diriger ce qu'il est encore possible de diriger, et des rebelles qui ne se laissent pas faire, mais ont  tout de même tendance à recourir aux mêmes méthodes violentes et inhumaines, preuve de la cruauté intrinsèque de l'homme dans ce monde abîmé, difficile de se fier à qui que ce soit.

Heureusement pour Miki et les autres, il reste quelques bonnes volontés dans ce chaos. Rares, mais précieux, capables de courir les plus grands dangers, de braver la mort pour venir en aide à leur prochain. Et dans le plus grand désintéressement, pas pour se faire mousser ou obtenir une gratification en retour. Oui, il reste de l'humain au milieu de cet enfer.

De l'humain, mais aussi du sauvage. Car, quand ce ne sont pas les hommes qui se comportent comme des loups pour l'homme, la nature se montre particulièrement hostile... Elle est plus excusable, victime de la folie des hommes, mais tout de même, elle est bien flippante, cette nature... Et, avec elle, on ne négocie pas.

Tout se ligue contre nos héros pour entraver leur odyssée ibérique, mais il possède une arme secrète : leur motivation profonde à retrouver Tom et Erwan. Leur groupe est uni par une fidélité sans faille qui fait qu'on se secourt en toute circonstance, qu'on avance ensemble, qu'on se fait confiance, qu'on ne lâche rien.

En fait, ils sont à l'opposé du monde dans lequel ils évoluent, où règnent le chacun pour soi et la loi du plus fort. Au milieu de cet univers en ruines où tout n'est que violence, ils forment une bulle d'humanité qui leur permet d'avancer et de survivre. Oh, il y aura des coups durs, des injustices, de l'inquiétude, du découragement, de la peur, de la colère, mais sans jamais briser le lien qui les réunit.

Dans "les étoiles s'en balancent", l'univers post-apocalyptique (précisons que, en tête de chaque chapitre, des archives retracent l'histoire du XXIe siècle et donnent des éléments sur la manière dont on en est arrivé là) était très dur au quotidien, puis il y avait l'irruption d'une puissance inconnue mais dévastatrice qui s'érigeait en danger supérieur.

Dans "les damnés de l'asphalte", j'ai eu la sensation d'une vie un peu plus douce. Tout est relatif, mais, à Port Leucate, on a l'image d'un certain bonheur tranquille. Et puis, il y a cette expédition dans une Espagne qui n'a rien à envier aux zones hors les murs de France. On est vraiment dans le côté post-apocalyptique des choses, et ça ne donne pas envie.

Quelque part entre "la Route" et "Mad Max" (oui, je sais, ça fait un peu grand écart, comme ça, mais ça me semble pertinent), "les damnés de l'asphalte" est un pur thriller d'aventures dans un monde en décomposition. Miki, Vince, Cheyenne et les autres n'ont pas l'ambition de le changer, d'instaurer un monde meilleur, ils n'en ont pas les moyens.

En revanche, ils ont parfaitement compris que les relations sociales au sein de leur petit groupes, autrement dit, la fidélité, l'amour, l'amitié, sont des armes très puissantes et que ces sentiments peuvent diffuser et combattre la peur. L'union fait plus que jamais la force, quand elle se fonde sur ces sentiments positifs (ce qui ne veut pas dire mièvres).

"La Route", forcément, le lien, on le voit : l'asphalte et ces rubans désormais abandonner, faute de véhicules motorisés pour les sillonner. Il y a le même sentiment d'une marche sans but véritable, sans fin, presque sans espoir. Bon, j'exagère un peu, car les personnages de Laurent Whale ont la conviction que ce qu'ils font est utile et débouchera sur quelque chose, contrairement à ceux de Cormac McCarthy.

L'autre différence, qui nous amène vers "Mad Max", c'est l'action. Chez McCarthy, on marche, on se défend, on cherche à se nourrir, à rester humain, à entretenir les sentiments filiaux (et, là, c'est un point commun avec Whale). Dans "les damnés de l'asphalte", on est clairement sur une construction de thriller assumée, avec de l'action, de la tension, de la violence, aussi...

Là encore, on retrouve ce côté "Mad Max" que symbolise aussi cet étrange char à voile qu'on voit en couverture de l'édition Folio. Ce ne sont pas les 4x4 vrombissants de la série de films australiens, mais un véhicule tout à fait surprenant que les personnages seront amenés à emprunter. Entre terre et mer, car, parfois, quand l'asphalte chauffe trop, prendre la voie maritime permet d'avancer plus sûrement.

J'ai été surpris de ne pas retrouver les mêmes ingrédients que dans le premier tome. On a un peu la sensation que les quinze années qui ont passé ont abouti à une nouvelle régression, d'une certaine manière. Le côté techno-thriller des "étoiles s'en balancent" a laissé la place à un thriller presque survivaliste, si je puis dire.

Mais on oublie rapidement tout cela pour se laisser embarquer dans cette aventure complètement folle. Bon, on se dit bien qu'ils vont trouver quelque chose, à moins d'un roman complètement nihiliste, ce qui ne cadre pas avec la dimension humaine du groupe de protagonistes. Cependant, on se demande bien où tout cela va nous mener et, franchement, le dénouement est inattendu, dans la forme, au moins.

On repartirait bien pour un tour avec ce petit monde, le culotté Miki, le taciturne Cheyenne, l'intrépide Vince et sa douce Marj', et quelques autres personnages qui rejoignent le groupe. On se dit aussi qu'il y aurait la place pour une génération supplémentaire qui se verrait confrontée à de nouveaux dangers mais défendrait une cause juste. On se dit, on se dit... Mais on n'est pas l'auteur...

En attendant la sortie prochaine, cet été, je crois, du troisième tome de la série des "Rats de poussière", on peut donc aisément patienter en lisant du Laurent Whale en poche, avec ce diptyque qui dépote et dépayse. Et plonger dans un monde pas si éloigné du nôtre, en espérant que les prévisions pessimistes du romancier resteront de la fiction...

dimanche 26 février 2017

"Lysimaque est une fleur. Lysimaque est une ville. Lysimaque est une femme. Lysimaque est hérétique".

Chaque année, les éditions Mnémos misent sur un roman de fantasy et sur son auteur, avec une certaine sagacité, il faut le reconnaître (euh, je précise qu'elles ne sont certainement pas les seules à agir ainsi, mais on parle d'un bouquin de chez eux !) : après Fabien Cerutti et son "Bâtard de Kosigan", ou G.D. Arthur  et "Eos", voici le tour de Grégory Da Rosa qui nous propose en ce mois de février "Sénéchal". Je ne vais pas jouer sur le suspense, c'est un roman qui vaut vraiment le coup d'oeil et franchement remarquable pour un premier essai. Une fantasy médiévale, en huis clos, loin des romans épiques qui se multiplient dans le genre, mais pas exempt d'action. Un livre qui vaut d'abord et avant tout pour son ambiance, captivante, oppressante, déroutante, pour son personnage central, qui devrait diviser les lecteurs et pour son cliffhanger qui fait qu'on grogne en refermant ce livre parce qu'on voudrait connaître la suite dans la foulée. Eh oui, sans doute vous poserez-vous bien des questions, mais il vous faudra patienter pour avoir les réponses les plus importantes !



Tout commence par un réveil brutal. En pleine nuit, Philippe Gardeval, sénéchal du royaume de Méronne, est tiré de son profond sommeil par une terrible nouvelle : la capitale, Lysimaque, la ville fleurie, est assiégée. Au pied de ses murailles, se massent les troupes du royaume voisin de Castlewing et il ne fait aucun doute que l'assaut est imminent.

Gardeval rejoint alors la salle du trône, où les principales figures du royaume sont rassemblés pour chercher une parade à cette situation délicate. A commencer par le roi, Edouard VI. Philippe et Edouard se connaissent depuis leur jeunesse, leur confiance réciproque est totale et c'est pour cela que, malgré la modestie de ses origines, Gardeval occupe ce poste-clé, l'une des plus hautes fonctions du royaume de Méronne.

Mais le voilà sur la sellette : en effet, il a récemment envoyé la majeure partie des troupes basées à Lysimaque dans une autre ville du royaume. La défense de la capitale est dégarnie, le moment choisit pour le siège a bien trop l'air d'une coïncidence pour en être une... Cela n'a pas échappé au principal rival de Gardeval, le baron de Ligias, un ambitieux aristocrate récemment arrivé à Lysimaque et qui se verrait bien sénéchal à la place du sénéchal...

C'est alors qu'un nouvel événement se produit, qui ne va rien arranger à la tension ambiante : une femme de la haute noblesse s'écroule soudainement. Elle a goûté au vin qui vient d'être servi à toute la cour avant les autres. Bien mal lui en a pris : cette entorse à l'étiquette lui coûte la vie. Elle a manifestement été empoisonnée et, sans elle, c'est peut-être toute la cour, roi compris, qui aurait subi un tel sort...

Cette fois, le doute n'est plus permis, il y a bien quelque chose de pourri au royaume de Méronne ! Un traître rôde dans les murs de Lysimaque et ourdit la perte du royaume au profit de Castlewing. Mais qui ? Qui agit ainsi, au vu et au su de tous ? Il ne reste que peu de temps pour le démasquer avant l'inévitable assaut qui se profile.

A Gardeval de mener l'enquête pour sauver ce qui peut encore l'être, comprendre ce qui a mené à cette situation catastrophique. Et, accessoirement, éviter que pèsent sur lui les soupçons de traîtrise qui ne manqueront pas de fleurir dans l'entourage du roi. L'horizon s'assombrit d'heure en heure pour le sénéchal du royaume de Méronne qui ne sait plus vraiment à qui faire confiance...

La suite, c'est donc une enquête délicate, dans cette ville assiégée où il se passe pas mal de choses. Pourtant, en choisissant une narration ramassée, d'heure en heure, un peu à la façon de la série "24 heures", Grégory Da Rosa impose un rythme qui n'est pas échevelé. On n'est pas dans de la fantasy épique, on est plus dans une espèce de huis-clos, où c'est l'atmosphère qui prime.

Et c'est pour moi la première très grande réussite de ce roman : dès les premières pages, on est plongé dans cette ambiance lourde, pleine de peur et de suspicion, que chaque nouvel événement vient renforcer. On est happé dès le départ et on ne lâche plus jusqu'à la fin, un peu comme en apnée, craignant le prochain coup dur qui va immanquablement se produire.

La relative lenteur du récit est régulièrement brisée par des pics de tension et d'action qui font grimper un peu plus l'adrénaline. On était en temps réel, nous voilà en plus caméra à l'épaule, ou presque, au coeur de situation où l'on se bat, mais où l'on peut aussi recourir à la magie. Chaque nouvel événement rend la situation plus complexe. Plus fragile, aussi, pour Lysimaque.

L'autre point fort de "Sénéchal", c'est justement ce personnage de Philippe Gardeval. Il est le narrateur du roman, et c'est loin d'être anodin. Que sait-on de lui ? Il occupe donc un des plus hauts postes du royaume. Peut-être même le plus important après le roi, en tout cas, c'est ainsi que Philippe considère sa charge.

C'est d'autant plus remarquable que Philippe Gardeval est un roturier. Il n'est pas issu d'une riche famille noble, mais il s'est hissé là à force de compétence et aussi grâce à l'amitié qu'il entretient avec Edouard VI. Une longue amitié, qui remonte bien avant l'accession au trône d'Edouard. Mais qui n'efface pas les différences sociales.

Au fil des chapitres, on découvre à quel point Philippe souffre de ne pas être lui aussi un aristocrate. Il sait qu'il a atteint le sommet de sa carrière, qu'il n'ira pas plus haut, quoi qu'il arrive, puisqu'il n'a pas les quartiers de noblesse indispensables. Homme puissant, il se sait tout de même en position de faiblesse par rapport à la cour et, plus particulièrement, au baron de Ligias.

Cette faiblesse héréditaire, Philippe sait la camoufler parfaitement. L'habitude, sans doute. Mais, il reçoit aussi chaque affront comme une gifle donnée avec un gantelet d'acier. Il avale des couleuvres, encaisse le mépris de ceux qui sont bien nés, mais ne se laisse pas faire. Reste que la situation ne plaide pas en sa faveur, lui qui part déjà avec ce désavantage conféré par sa basse extraction.

Une ambivalence qui passe aussi par le langage. Philippe peut alterner entre langage soutenu, le langage de la cour, de la noblesse, et un niveau de langue nettement moins châtié quand il le juge nécessaire. C'est aussi l'occasion de souligner le magnifique travail de Grégory Da Rosa sur la langue, ciselée dans un esprit médiéval impeccable, qui nous plonge un peu plus dans une époque très peu contextualisée sinon.

Mais, revenons à Philippe Gardeval...

On découvre donc son orgueil puissant qui vient contrebalancer ses complexes. Un orgueil qui, par moments, le pousse à répondre directement aux attaques, faisant fi des différences, jouant de sa position élever au sein de la cour, mais nourrissant un peu plus le rejet d'un Ligias et, certainement, d'autres dignitaires de la cour de Lysimaque.

Enfin, dernier élément de ce portrait : l'âge. On ne le connaît pas exactement, mais on sait en revanche que son amitié avec Edouard dure depuis trente ans. Gardeval a également un fils qui n'est plus un enfant mais un adulte en devenir. Disons les choses franchement : dans ce contexte médiéval, Philippe Gardeval est un homme qui a la majeure partie de son existence derrière lui.

Gardeval est encore un homme vigoureux, ce n'est pas un vieillard chenu, mais il est à l'automne de sa vie, en a conscience et cela lui pèse également. Bien que marié et père de famille, c'est un homme bien solitaire que l'on découvre, s'accrochant à sa charge pour ne pas couler mais pas franchement épanoui. Un serviteur dévoué qui a sacrifié sa vie à sa tâche.

Oui, Philippe Gardeval est un très beau personnage, complexe, difficile à cerner, solide en apparence et pourtant fragile. Un homme qui intériorise beaucoup ce qu'il ressent, que ce soit positif ou négatif, d'ailleurs, et pour qui on ressent, de manière diffuse, une certaine sympathie pour ce qu'il a réussi et pour ce qu'il endure.

Et pourtant...

Pourtant, et c'est une autre des forces de "Sénéchal", on ne peut s'empêcher de se demander : et si c'était lui, le traître ? Ne voyez pas de spoiler dans cette remarque, pour la bonne et simple raison que je n'ai aucune idée de l'identité dudit traître. Mais, c'est la narration de Grégory Da Rosa qui mène à ce questionnement, en installant une terrible ambiguïté.

J'ai énormément apprécié cela, et l'alliance de l'atmosphère oppressante, de l'imminence de l'assaut et du doute qui pèse sur tous, à commencer par Gardeval, tout cela fait de "Sénéchal" un roman remarquable, sans même préciser que c'est un premier roman. On tient là un sacré raconteur d'histoire, qui ne fait pas dans la facilité mais sait user de la psychologie dans un genre où muscles et effets spéciaux dominent parfois.

Avant de refermer ce billet, un mot sur un des thèmes du roman que je n'ai pas encore évoqué : le fanatisme religieux. Je le mentionne, je vais peu contextualiser car il vous faudra le découvrir par vous-mêmes, mais c'est une des facettes importantes de cette histoire et un élément qui génère lui aussi beaucoup d'interrogations chez le lecteur.

C'est aussi l'occasion de découvrir une longue scène, spectaculaire et haletante, qui offre au lecteur bien des surprises. Sans doute attendait-on beaucoup de choses, ou peut-être, justement, n'attendait-on rien d'extraordinaire (au sens premier du terme) et pourtant, cette scène-là souligne notre erreur. Lysimaque n'est pas une ville comme les autres, Méronne n'est pas n'importe quel royaume.

Il est encore trop tôt pour développer plus en détails cette facette du récit. On ne dispose pas de suffisamment d'éléments pour cela, pour avoir une vision globale et savoir comment tout cela s'intègre dans la situation générale. Mais, il est certain qu'à lire la citation que j'ai placée en tête de ce billet, on comprend que Lysimaque n'est pas n'importe quelle ville, libre, laïque, où le pouvoir religieux est relégué au second plan. Et cela ne plaît pas à tout le monde...

Voilà, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'en dire plus. Ah, si, tout de même... On tourne les pages et on les voit diminuer en se demandant ce qui va bien pouvoir se passer. Et moins il reste de pages et plus on s'interroge (je me suis beaucoup interrogé, pendant cette lecture, semble-t-il...). C'est alors qu'on comprend qu'on n'est pas dans un one-shot et on se prend un de ces cliffhangers sur la truffe, mes aïeux !

Enfin, je suppose qu'on n'est pas dans un one-shot. parce que, mine de rien, j'ai beau cherché partout, je ne vois nulle part mention d'une suite... Devant ce final, cette dernière phrase qui coupe le souffle, on n'imagine pas qu'il n'y ait pas de suite. Et pourtant, un moment, je me suis dit qu'on pourrait parfaitement s'arrêter là...

Ce qui ferait hurler, j'imagine, si j'en crois déjà les réactions que je lis et qui en appelle à une suite. Soyons sérieux, oui, je me suis dit que "Sénéchal" pourrait être un one-shot. Mais pas longtemps. Trop de questions sont en suspens, la crise est à un point critique, il FAUT qu'on en sache plus sur le sort de Lysimaque et de ceux qui y vivent.

A commencer par le Sénéchal, ce personnage si intrigant...

"Le Royaume de Logres un jour sera sauvé par la venue d'un roi semi-fée".

Après le thriller, la fantasy, mais toujours une variation autour des légendes arthuriennes. Après le duo Ravenne-Giacometti, un premier roman qui s'inspire des récits des chevaliers de la Table ronde pour en proposer une sorte de "sequel", mais sans tout à fait rester dans le cadre arthurien strict. On croise un sacré bestiaire, dans ce premier roman, premier volet aussi d'une série construite autour d'un adolescent qui doit faire face à son surprenant destin, et les rebondissements sont au rendez-vous pour un divertissement plutôt étiqueté jeunesse, mais qui devrait plaire également à quelques grands lecteurs, j'en suis l'exemple. "L'Héritier du roi Arthur", de Bertrand Crapez (aux éditions Zinedi), est donc le premier tome des "Chroniques des prophéties oubliées", nous emmène dans un royaume de Logres en décrépitude et dont l'avenir ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices...



Kadfael est un adolescent turbulent et un brin paresseux, au grand dam de son mentor, l'enchanteur Merlin en personne. Celui-ci s'occupe du garçon depuis sa prime enfance. Depuis, surtout, que son père n'est pas revenu d'une des fameuses quêtes visant à retrouver le Graal. Car Kadfael n'est pas n'importe quel adolescent : il est le fils de Perceval.

La raison de la mauvaise volonté de Kadfael, qui veut absolument qu'on l'appelle Kad, est simple : Merlin doit le former pour un faire, comme son père, un chevalier de la Table ronde, au service du roi Arthur. Mais, Kad, lui, ne l'entend pas de cette oreille : au contact du vieux mage, il s'est découvert une vocation et voudrait embrasser une carrière d'enchanteur...

Pourtant, en cet été paisible, alors que le royaume de Logres s'est assoupi depuis un moment et a perdu sa gloire d'antan, ce sont les événements qui vont décider de la carrière à venir du jeune garçon. Voilà que Camaaloth (je reprends l'orthographe utilisée dans le livre) fait l'objet d'une brutale attaque de la part d'une puissante armée.

Arthur, prématurément vieilli, abattu par les échecs répétés de ses chevaliers, dont beaucoup ne sont jamais revenus, comme Perceval, n'est plus que l'ombre du grand homme qu'il fut. Aussi, quand l'attaque survient, est-il incapable de riposter. Il faut dire que l'assaillant possède une armée nombreuse et renforcée par l'usage de la magie.

A sa tête, et c'est une vilaine surprise, se trouve Galaad, dont la réputation de pureté est à jamais perdue désormais, puisque le voilà félon. A moins que ses yeux d'un bleu particulier ne soit le signe d'un sort qui l'aura poussé à la trahison... A ses côtés, sa mère, la fée Viviane, mais aussi des Vikings, des banshees et autres créatures qui se sont soulevées pour renverser Arthur.

Courageux malgré sa faiblesse, Arthur résiste comme il peut, Excalibur au point, mais son ancien chevalier est bien trop fort et le monarque légendaire doit céder. Une fin pitoyable dont Kadfael est, par hasard, le témoin. Avant de succomber, Arthur lui confie le pommeau de son épée mythique, à lui, désormais, d'être le dépositaire du pouvoir légitime du royaume de Logres.

Un héritage qui va valoir bien des ennuis à Kadfael, désormais la cible de Galaad et de Viviane qui vont vouloir l'éliminer. Avec l'aide de Merlin et de la fée Adélice, il parvient à fuir Camaaloth. Mais que faire, désormais ? Kadfael n'est qu'un gamin immature et pas très courageux, incapable de sa battre, et Merlin, lui, semble avoir perdu la majeure partie de ses pouvoirs dans l'affaire...

Commence alors un long et dangereux voyage pour essayer de fédérer tous ceux qui ne voudront pas céder à Galaad et au pouvoir néfaste qu'il incarne. Mais c'est aussi la quête initiatique d'un adolescent pas encore dégrossi qui va devoir se muer rapidement en un chevalier digne de son père et de son roi, afin de rétablir la légitimité de la dynastie de Logres.

Ce voyage, c'est une vraie odyssée, entre Homère et Tolkien, où l'on chemine de Logres à l'immense domaine de Brocéliande, à travers des paysages et des contrées parfois déroutantes, dans lesquelles les dangers ne manquent pas, mais où se trouvent aussi des alliés potentiels. Le tout, en redoutant les sbires de Galaad lancés à la poursuite du petit groupe de fuyards, renforcé par le nain Dargo Brisefer, croisé en cours de route.

J'ai apprécié le mélange entre l'action et l'humour, entre le sérieux et la fantaisie, entre le drame et la comédie. Tout cela est étroitement lié dans cette aventure qui voit Kadfael quitter progressivement l'adolescence pour entrer de plain-pied dans l'âge adulte, celui des responsabilités (et celle qui reposent désormais sur lui sont énormes).

On est dans une quête initiatique des plus classiques, au moins si l'on s'en tient à cet aspect-là. Pour le reste, cela se déroule dans un univers très riche (certains trouveront peut-être même un peu trop), ce qui permet aussi de multiplier les péripéties. Bertrand Crapez choisit de s'émanciper du strict cadre arthurien pour ouvrir son roman à d'autres légendes et mythologies.

Bien sûr, le coeur de l'histoire reste le trône de Logres et tout ce qu'il représente. Sous la houlette d'Arthur, la quête du Graal a échoué, et l'on comprend que l'un des griefs de Galaad est là. Mais l'ancien chevalier n'apparaît plus comme l'incarnation de la pureté, il semble avoir quitté le camp du bien, si vous me permettez l'expression, pour des ambitions beaucoup moins nobles.

Kadfael, lui, m'a rappelé un personnage de Disney : "Moustique", le gamin maladroit et dégingandé qui deviendra Arthur, grâce aux enseignements de Merlin. Au début du roman, il y a vraiment un parallèle qui se fait et qui montre bien quel rôle aura Kadfael dans cette histoire : celui du héros providentiel... Mais pas dans l'immédiat.

Il va lui falloir sérieusement s'aguerrir avant d'en arriver là, et son odyssée est un parfait exercice, à condition d'en sortir entier, et de trouver quel sera le but de cette quête et quel usage en faire pour redonner à Logres son lustre perdu et empêcher Galaad et Viviane de mener à bien leurs sinistres projets. La chenille, le papillon, tout ça, vous voyez le genre...

Un changement qui est bien plus profond qu'il n'y paraît : le Kadfael des debuts, enfin Kad, est carrément insupportable, arrogant et immature, un chenapan qui mériterait une bonne leçon. Au cours de sa quête, il prend petit à petit conscience qu'il va lui falloir s'assagir, ou, plus précisément, gagner en sagesse, pour parvenir à ses fins.

Autour des mythes arthuriens, on trouve des créatures issues des mythologies celtiques, comme les banshees, évoquées plus haut, les leprechauns, aussi, et c'est finalement assez logique, la filiation est naturelle. Et puis, on croise des Vikings, maîtres de furieux dragons, ce qui ouvre déjà d'autres perspectives.

Mythologies nordiques, créatures de fantasy plus contemporaine (aux dragons, on peut ajouter les nains, par exemple), mais aussi mythologie gréco-romaine, faites-moi confiance, je ne donne pas d'exemple, ici, et pour cause, cela dévoilerait certains aspects de l'intrigue qu'il faut vous laisser découvrir.

Alors, oui, c'est riche, souvent surprenant, très souvent amusant, avec quelques quiproquos et situations comiques. La quête du fils de Perceval n'a rien d'une promenade de santé et, au fil des péripéties, on s'attache à ce groupe insolite, Kadfael, un Merlin vieillissant, une Adélice envers qui on peut nourrir quelques doutes, et un Dargo au caractère bien trempé et à la dalle bien en pente...

Mal assortis, c'est certains, pas toujours en phase, c'est évident, mais, leur voyage et les dangers qu'ils affrontent les rassemblent, les soudent et font de ce groupe hétéroclite et paraissant bien fragile face à l'adversité un premier noyau vers une reconquête espérée. Reste à savoir comment ils s'y prendront et s'ils y parviendront avant la fin de ce premier tome ou s'il faudra patienter jusqu'au suivant...

J'insiste sur l'humour, sujet toujours délicat tant sa perception varie de l'un à l'autre, mais je me suis bien amusé en lisant "l'Héritier d'Arthur". Jusqu'à rire bêtement alors que je lisais debout dans le tram, au milieu d'usagers à l'humeur moins badine que la mienne, heure matinale et de pointe (oui, je sais, c'est un zeugme et le zeugme, c'est pas beau) oblige.

Il y a plein de trouvailles très amusantes dans ce roman, je peux évoquer la Janlhyn, cette bière venue du Nord, dont est particulièrement friand Dargo. Mais d'autres gags, il faut appeler ça ainsi, me reviennent également en mémoire. Tout cela est, de mon point de vue, très prometteur et je lirai avec intérêt la suite de ces Chroniques et des aventures de Kadfael.

Bertrand Crapez, passionné par les cycles arthuriens, mais pas seulement, est aussi un enseignant (encore un prof qui écrit !). Et son roman devrait d'ailleurs plaire aux jeunes lecteurs, pour qui il est destiné, avec un classement en jeunesse. Mais le lecteur adulte aussi devrait prendre un vrai plaisir à ce divertissement bien mené, avec un vrai sens du spectaculaire.

Reste à connaître la suite des événements. Je suis très curieux de savoir ce que Bertrand Crapez nous réserve. Au lecteur, mais aussi à ses personnages, qu'il n'hésite pas à placer dans les situations les plus délicates et parfois très étonnantes. Et surtout, conserver ce bel équilibre entre comédie et drame, entre humour et action, mais aussi sa belle créativité.

samedi 25 février 2017

"De l'histoire à la légende, il n'y a que le souffle du vent sur la chandelle de la raison".

J'aurais pu aller chercher une citation sur le merveilleux et le besoin que nous avons tous de réenchanter nos vies, question qui est très présente dans notre roman du jour, mais j'ai eu la flemme, na ! Mais, cette citation, qui arrive tôt dans le livre, est assez représentative, à la fois de l'histoire qui y est développée, mais aussi de toute la série dont ce roman est le dixième épisode. Entre histoire, Histoire et légendes, les deux auteurs jouent allègrement depuis une grosse décennie, nous faisant vivre des aventures étourdissantes aux côtés de leur personnage central, Antoine Marcas. Pour sa dixième enquête, le policier franc-maçon s'attaque sans doute au plus gros morceau de sa carrière (qui compte pourtant déjà quelques coups d'éclats !) : le Graal... "L'Empire du Graal", d'Eric Giacometti et Jacques Ravenne est, pour plusieurs raisons, un roman à part dans la série des enquêtes de Marcas. D'abord, parce qu'il marque un changement d'éditeur (bye bye le Fleuve Noir, bienvenue chez Lattès), ensuite, parce que les auteurs ont délaissé leur routine narrative habituelle. Enfin, parce que le fantastique, souvent présent dans les précédents livres de la série, mais avec parcimonie, est ici une composante centrale de cette histoire...



A Castel Gandolfo, la résidence d'été des papes, se réunit une cellule de crise. Le Saint-Père lui-même n'est pas présent, mais cinq de ses principaux cardinaux ont été rassemblés parce que la Chrétienté vacille : selon un algorithme dernier cri, il est possible de voir l'évolution du nombre de catholiques à travers le monde, et le moment où l'Eglise perdra son leadership...

Une date qui approche à grand pas, inquiétant les prélats, même les plus traditionalistes, que le recours à cette technologie ultramoderne laisse sceptiques. Tous tombent finalement d'accord sur un point : il est temps de retrouver la gloire d'antan, ternie par différents scandales, le matérialisme grandissant, la montée d'autres religions...

Pour y parvenir, il faut mettre au point une stratégie qui permettra d'enrayer ce déclin et de faire rentrer les ouailles au bercail. Les cardinaux se lancent alors dans un brain-storming qui va déboucher sur une idée lumineuse. Parce que, quoi qu'il arrive, c'est du gagnant-gagnant, comme on dit. Une idée qui pourrait paraître parfaitement saugrenue et pourtant, étonnamment logique...

A Paris, Antoine Marcas, commandant au sein de l'OCBC, est sur le point de démanteler une filière de trafic d'oeuvres d'art originaires du Moyen-Orient qui servirait à financer les activités de Daesh. Décidément, les mécènes, de nos jours, ont de drôles de fréquentations... D'un donjon SM à l'Hôtel Drouot, Marcas fréquent du beau linge, qu'il raccompagne, menottes aux poignets, à son bureau...

Mais, lors de sa visite dans la salle des ventes, la curiosité du policier le pousse à entrer dans une pièce où se déroulent des enchères. Le clou de cette vente a, pour le coup, de quoi intriguer, fasciner : un cercueil datant du Moyen-Âge et censé renfermer le corps... d'un vampire ! Le très cartésien Marcas s'amuse de cette histoire mais certains éléments titillent son esprit.

Antoine l'ignore encore, mais, en ne rentrant pas directement mener son interrogatoire, il a ouvert la porte à une nouvelle aventure. Les événements vont le mettre en présence de l'heureux acheteur de la sépulture, et cette rencontre impromptue va entraîner le commissaire à l'improbable recherche d'un des plus grands mythes que nous connaissions : le Graal...

Ainsi raconté, force est de reconnaître que l'enchaînement des faits n'est pas évident. C'est vrai, c'est évidemment fait exprès : l'huile dans les rouages, ce sont quelques rebondissements que j'ai laissés dans l'ombre. Mais, croyez-moi, on entre à toute vitesse dans cette histoire qui ne laisse aucun répit au lecteur.

Avec une nouveauté dans cette série. Depuis "le Rituel de l'ombre", première enquête d'Antoine Marcas, flic et franc-maçon, Giacometti et Ravenne nous ont habitués à faire alterner deux trames narratives, une contemporaine, l'enquête de Marcas, et une autre, situé quelques siècles plus tôt. Deux récits parallèles qui se répondent et se complètent.

"L'Empire du Graal" ne répond pas à ce schéma. D'ailleurs, on le voit dès le résumé : il n'y a pas de trame inscrite dans le passé. Non, on ne se concentre que sur Marcas et sa difficile quête, je n'emploie évidemment pas le mot au hasard. Un Marcas qui se trouve flanqué, dans cette histoire épineuse, d'un frère, embarqué également malgré lui dans ce qui est à la fois une chasse au trésor et une course contre la montre.

Cet homme s'appelle Derek Stanton, il est auteur de best-sellers, des thrillers ésotériques qui cartonnent dans le monde entier et lui assurent de confortables revenus. Difficile de ne pas penser  Dan Brown, lorsqu'on découvre Stanton, même si celui-ci n'est pas une caricature de l'auteur du "Da Vinci Code", mais bien un concurrent.

La transition est toute trouvée pour évoquer l'un des thèmes majeurs de cette dixième enquête d'Antoine Marcas : le merveilleux, l'imaginaire... Au fil des chapitres, on retrouve cette préoccupation à travers tous les personnages impliqués. Mais pas forcément en suivant les mêmes buts. Chacun cherche à retrouver cette puissance perdue qui a accompagné l'Homme depuis son apparition sur Terre.

Or, y a-t-il meilleure histoire pour évoquer cela que la quête du Graal et, plus largement, les cycles arthuriens ? Des histoires qui, elles-mêmes, ne véhiculent pas seulement des récits dont nous connaissons tous au moins des bribes, voire des épisodes majeurs, mais qui s'inscrivent elles-mêmes dans une mythologie propre.

Je m'explique, succinctement, car je ne vais vous laisser lire le roman pour plus de détails : savez-vous d'où viennent les légendes arthuriennes ? Qui est Chrétien de Troyes ? Mais aussi Robert de Boron ? Où se trouvent les sites de Camelot, Avalon et tant d'autres noms qui, juste en les prononçant, excitent notre imagination ?

A chacune de ces questions, auxquelles on peut ajouter la question du Graal elle-même (qu'est-ce exactement, d'où viennent les différentes hypothèses ?), on ne peut répondre de manière définitive. Il y a des zones d'ombre sur les personnages dont l'existence est attesté, des interrogations sur l'éventuelle dimension historique des personnages tels que le roi Arthur...

Bref, et l'on revient à notre titre de billet, on est aux frontières de l'Histoire, des histoires que l'on raconte, que l'on fixe sur le papier, et donc que l'on lit (l'origine du mot légende) et de l'imaginaire. Personne, de nos jours, ne penserait que les aventures des chevaliers de la Table ronde se sont déroulées comme écrites par Chrétien de Troyes. Et pourquoi pas ?

Nos vies modernes manquent cruellement de merveilleux. Sans doute la vie médiévale n'était-elle pas beaucoup plus marrante, sans préjuger de ce qu'était la vie à cette époque, mais on savait justement la réenchanter par ces récits. Et, d'une certaine façon, la foi, elle aussi, allait en ce sens. Les histoires, saintes ou profanes, les légendes et les mythes, adoucissaient le quotidien.

De nos jours, ce sont les romanciers qui occupent cette place. Enfin, une partie d'entre eux. Les auteurs de thrillers, mais aussi les auteurs de fantasy, de science-fiction, de fantastique, qui, par leurs écrits, par les histoires qu'ils nous confient, insufflent du merveilleux dans l'existence de leurs lecteurs. Et ils s'inscrivent dans cette même tradition que celle de Chrétien de Troyes.

Voilà aussi ce que Ravenne et Giacometti essayent de mettre en évidence dans "L'Empire du Graal". Il y a le vampire pour démarrer, même si, précisons-le, sa présence est assez anecdotique, si ce n'est pour le clin d'oeil aux mythes et légendes qui excitent notre curiosité contemporaine. Puis, le voyage à travers les terres celtes, de Stonehenge à Brocéliande, et quelques autres.

Autant de cadres, de décors, qui réveillent là encore des souvenirs de lectures, de films, de séries évoquant cette riche culture et cette mythologie profondément ancrées dans notre imaginaire collectif. On le voit d'ailleurs parfaitement, dans la manière dont certains de ces sites sont mis en valeur : c'est du théâtre, bien sûr, mais on joue sur la frontière réalité/fiction, comme lorsqu'on se retrouve, à Winchester, face à... la Table ronde !

Sans doute est-ce pour cela que, pour la première fois, Eric Giacometti et Jacques Ravenne ont décidé de franchir le pas menant au fantastique. Oh, bien sûr, depuis les débuts des enquêtes d'Antoine Marcas, les deux romanciers ont souvent flirté avec cette dimension particulière, jouant d'une certaine ambiguïté, mais sans aller au bout.

Dans cette dixième enquête, plus de doute, on y est franchement. Le pourquoi du comment, je ne vais évidemment pas le développer ici, ce serait en dire bien trop sur l'intrigue elle-même. Mais on ne peut pas ne pas évoquer cette dimension. Chaque lecteur aura sans doute une vision différente de cette partie du roman.

J'en ai une version et une lecture particulières. Passez ces quelques lignes si vous avez peur que j'en dise trop. En fait, Ravenne et Giacometti passent en revue les différentes formes qui, au fil des siècles, ont été données au Graal, y compris les plus récentes, comme dans "la Dernière croisade", troisième aventure d'Indiana Jones.

A mes yeux, les deux auteurs proposent une vision tout à fait en phase avec la série et le personnage de Marcas. Leur définition du Graal, forcément composite, alimentée par toutes les suggestions faites au fil des siècles, est une définition maçonnique du Graal. Je n'en dis pas plus, en tout cas, je ne détaille pas ce point de vue, mais le livre vous éclairera si vous voulez en savoir plus.

Peut-être cette vision en laissera-t-elle certains sur leur faim, parce qu'ils attendent que ce Graal-là prenne forme comme le trésor des Templiers, retrouvé précédemment par Marcas, ou celui de Rennes-le-Château. Non, ils ont choisi d'apporter une autre réponse et, qu'on soit maçon ou pas, qu'on adhère à cette pratique ou non, elle a le mérite d'ouvrir une réflexion puissante, que chaque lecteur pourra mener dans son coin.

Reste la dimension historique, eh oui, elle est tout de même là, concentrée au lieu d'être diffuse. Difficile d'en dire plus, car on touche au final du livre, mais, si elle n'occupe pas sa place habituelle dans l'intrigue, elle n'en est pas moins importante. Et, là encore, Ravenne et Giacometti choisissent de s'inscrire dans une continuité, dans la transmission de ces légendes et leur enrichissement permanent.

Je termine ce billet sur une note plus légère. J'ai bien ri, car "l'Empire du Graal" contient quelques clins d'oeil savoureux. Comme cet ex-flic travaillant désormais à Drouot, tellement sceptique devant ce cercueil contenant soi-disant un vampire, mais qui se nomme... Lestat ! Si ce nom ne vous dit rien, renseignez-vous vite !

"L'Empire du Graal" est un thriller captivant, que je n'ai pas lâché, où les deux auteurs jouent avec la dimension maçonnique de leur(s) personnage(s) et avec les mythes universels qui fondent notre imaginaire commun. Avec cette volonté de nous rappeler qu'il faut savoir s'échapper de la pesante réalité pour réenchanter nos vies, qui en ont bien besoin...

vendredi 24 février 2017

"Je n'aime pas les mystères et je n'aime pas quand les pièces ne s'emboîtent pas".

Il y a quelques mois, je me suis lancé dans la lecture de "Little Bird", première enquête du shérif Walt Longmire, sous la plume de Craig Johnson. Un voyage dans le Wyoming qui m'a captivé et m'a donné envie de poursuivre cette série. Chose faite, avec notre lecture du jour, "le camp des morts", dont l'action se déroule quasiment dans la continuité de "Little Bird" (disponible chez Gallmeister, en grand format et dans la collection de poche, Totem, mais aussi, depuis le début de l'année, chez Points Seuil). Une nouvelle enquête dans laquelle l'hiver, déjà bien présent dans la première enquête, vient mettre son grain de sel. Mais, ce n'est pas tout : une nouvelle fois, l'amitié entre les différents personnages va jouer un rôle-clé pour démêler une affaire qui va impliquer un des proches du shérif et l'obliger à plonger dans un passé bien lointain... Et s'intéresser à une communauté dont on découvre l'importance dans cet Etat du Wyoming : les Basques...



Un mois à peine s'est écoulé depuis le dénouement tragique de l'enquête relatée dans "Little Bird". et le shérif Walt Longmire a toujours le coeur lourd. A la tête des services de police d'Absaroka, le moins peuplé des comtés du moins peuplé des Etats américains, on pourrait se dire que la vie est plutôt tranquille, pour lui, mais rien n'est moins sûr.

Plus que jamais, Longmire envisage de passer bientôt la main. Victoria "Vic" Moretti, malgré ses manières parfois brutes et son langage de charretier, semble la candidate idéale. Mais il faut, avant cela, trouver une perle rare, un nouvel élément pour renforcer le département. Est d'ailleurs attendu dans les prochaines heures, un jeune flic qui, après deux ans à faire le maton, a envie d'air pur.

Il n'a toutefois pas choisi le meilleur moment pour débarquer dans le coin, car cet hiver-là est décidément particulièrement rude. On annonce l'arrivée de la troisième tempête de neige de la saison, et les mots ne sont pas trop forts. Un temps exécrable menace et risque de tout paralyser dans les prochaines heures...

On est dimanche, Walt Longmire se prépare à aller rendre visite à celui qui était shérif avant lui, Lucian, pour disputer quelques parties d'échecs. Ce dernier coule des jours presque heureux au Foyer des Personnes dépendantes, où ses gènes de flic ont tendance à se réveiller. Lucian est prompt à imaginer quelque crime ou complot au sein de l'établissement, qu'il se verrait bien résoudre...

Mais, lorsque Longmire arrive au Foyer, il tombe sur un Lucian hors de lui. Ce qui a mis le shérif à la retraite dans cet état, c'est la mort d'une autre résidente du foyer, Mari Baroja. Il semble certain que quelqu'un l'a assassinée et veut, à tout prix, empêcher qu'on emporte le corps pour que Walt l'examine et entame une enquête.

Longmire est éberlué, autant par l'énervement de son ami que par ce qu'il lui apprend. Il se demande si Lucian n'a pas perdu la raison. Septuagénaire, dans un état de santé pas très florissant, Mari s'est éteinte et rien ne paraît indiquer qu'on ait provoqué son décès de manière intentionnelle. Pourtant, cette histoire le travaille.

Il décide alors de chercher quelques informations sur la présumée victime, comme ça, au cas où, par acquit de conscience... Et aussi, parce que ce que Lucian lui a révélé a aiguisé sa curiosité. Alors, il se penche sur le passé de Mari, exhume quelques informations là encore surprenantes... Et commence à sérieusement suspecter Lucian...

Désormais, l'envie de connaître la vérité domine, chez Longmire. Mais aussi le fait qu'il ne peut pas croire que son ami soit coupable. Il lui faut comprendre ce qui s'est passé un demi-siècle plus tôt, bien avant qu'il ne rencontre Lucian, pour effacer de son esprit le terrible soupçon qui y est apparu. Commence une enquête qui n'a pas fini d'éclairer le passé d'une étrange lumière...

L'amitié, je l'ai dit, c'est l'un des thèmes forts de cette série de polars signée Craig Johnson. Il y a évidemment celle qui unit de longue date Longmire et Henry Stenading Bear, découverte dans "Little Bird", et qu'on retrouve, évidemment, dans cette deuxième enquête, même si elle semble d'abord en retrait. Et puis, il y a l'amitié avec Lucian Connally.

Sans tomber dans le cliché, entre l'ancien shérif et son successeur, c'est un lien familial qui s'est instauré au fil des ans. Un père et un fils, en tout cas, deux amis qui n'ont pas de secret l'un pour l'autre. Et pourtant, avec la mort de Mari Baroja, Walt tombe des nues et découvre tout un pan de la vie de Lucian dont il ignorait tout.

Bon, à la rigueur, chacun a son jardin secret, les choses qu'il tient à garder pour lui. Walt pourrait s'en tirer avec une légère vexation, et basta, mais les circonstances font que le shérif se retrouve bien embarrassé... Et si Lucian était un assassin ? Et si, toutes ces années, il avait en fait caché le plus terrible des secrets ?

C'est aussi à cela qu'on juge la profondeur d'une amitié : Longmire ne propose pas à son ami de l'aider à enterrer un cadavre, mais ce n'est pas si loin. L'enquête du shérif, au départ routinière et presque lancée par désoeuvrement, bascule dans une quête de vérité afin d'innocenter Lucian. Et d'apaiser la conscience malmenée de Longmire.

Vous vous doutez bien que ce voyage dans le passé n'est pas le seul fil narratif de cette enquête. Dans le présent aussi vont se dérouler des rebondissements et des histoires liés à la mort de Mari Baroja. Et, au fur et à mesure des investigations, le sentiment que Lucian s'est fourré dans une très, très sale et dangereuse affaire.

Après "Little Bird", qui avait des allures de western moderne, dans des décors somptueux, Craig Johnson ouvre de nouvelles perspectives avec une deuxième enquête beaucoup plus contemporaine, moins "carte postale", si j'ose dire. Apparaissent de nouvelles problématiques inhérentes à la situation du Wyoming, dont l'une tout à fait surprenante.

Mari Baroja est en effet issue d'une communauté basque assez nombreuse dans l'Etat. Des personnes aux racines basques assez éloignées, d'ailleurs, car beaucoup viennent en fait du Mexique, mais conserve cette culture profondément ancrée. Et pourquoi choisissent-il le Wyoming ? Eh bien, parce que beaucoup, comme leurs ancêtres, viennent exercer la profession de bergers...

Walt Longmire va donc s'intéresser à cette communauté, à laquelle appartient d'ailleurs son peut-être nouvel adjoint, Santiago. Ne vous attendez tout de même pas à un "Bienvenue chez les Basques", ce n'est pas non plus l'objet de ce roman, mais c'est un élément fort. Tout comme d'autres aspects qu'il vous faudra découvrir et qui sont au coeur de l'intrigue.

Pour le reste, on retrouve les ingrédients qui fondent cette série, et en particulier l'humour mordant qu'on retrouve tout au long de ce livre. Et en particulier, les vacheries que peuvent s'envoyer Walt et Henry, avec un coté pince-sans-rire qui est un vrai régal. Une décontraction qui tranche avec la tension qui croît régulièrement jusqu'à un final musclé.

Contrairement à "Little Bird", "Le camp des morts" ne flirte pas avec le fantastique. On y retrouve en revanche des points communs très forts. J'ai déjà évoqué l'amitié, et la fidélité est vraiment l'un des traits de caractère qui fait de Longmire un personnage fort sympathique, malgré ses doutes, malgré son sentiment d'usure.

Cette fois, ce n'est donc pas Henry qu'il décide de sortir du pétrin, mais Lucian. Le résultat est le même : une intégrité sans faille et une sagacité remarquable. Le rythme reste lent, mesuré, mais, comme évoqué précédemment, la situation s'accélère dans le final, avec quelques scènes tout à fait remarquables, avec de l'action, mais pas uniquement.

On est bien dans du polar, du vrai polar, avec un flic, et même des flics, qui font honneur à l'uniforme qu'ils portent. Le décor change forcément de ce qu'on à l'habitude de voir, on est loin des mégapoles ultra-violentes, mais le personnage de Walt Longmire n'a rien à envier à ses collègues des grandes villes, avec ses questionnements. Pourtant, jamais ses doutes n'empiètent sur ses compétences.

Deuxième rencontre avec Walt Longmire, et je me dis qu'il y a encore beaucoup à découvrir chez cet homme. On s'attache à lui, bien sûr, on lui souhaite de trouver l'apaisement et, qui sait, l'amour (encore raté, dans "Le camp des morts"), mais on s'attache en fait à tous les personnages qui l'entourent et qui forment une espèce de famille où l'on se serre les coudes en toutes circonstances.

Craig Johnson n'épargne pas ses personnages, il les met à rude épreuve et ce "Camp des morts" en est une nouvelle preuve. Mais, de cette façon, il renforce les liens entre eux. Et c'est aussi ce qui fait tenir Longmire, qui, sans doute, en d'autres circonstances, se serait effondré bien avant. La série met en avant Walt Longmire, mais, il ne faut pas le couper de son équipe, tout aussi importante.

dimanche 19 février 2017

Drone de drame...

Bizarre, ce titre, vous avez dit bizarre ? Et pourtant, il est tout à fait cohérent, puisque le narrateur de notre roman du jour est... un drone. Oui, curieuse idée, mais qui donne un roman certes assez complexe, mais intéressant. Une sorte de conte philosophique où il est question de la place de la femme dans la société et des ravages du monothéisme. Après "la Fleur du Capital", roman très remarqué, paru en 2015, Jean-Noël Orengo revient en ce début d'année 2017 avec une histoire qui en déroutera beaucoup, par son rythme, sa complexité, mais qui ne laissera certainement pas indifférent. "L'Opium du ciel" (en grand format chez Grasset) retrace l'odyssée, à travers le temps et l'espace, de Jérusalem, drôle de drone ayant pris son indépendance et regardant, depuis son point de vue imprenable, évoluer une humanité imparfaite mais qui possède aussi des attraits qu'une machine, même intelligente, ne pourra jamais goûter. Troublant, érudit mais souffrant parfois d'une narration qui laisse le récit de côté pour des digressions très denses, un livre qui offre cependant bien des sujets de réflexion

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Il s'appelle Jérusalem, et c'est un drone. Un drone qui, depuis le ciel, observe depuis des années le comportement des humains qui ont fait joujou avec lui avant qu'il ne vole de ses propres ailes, si je puis dire. Et, de là-haut, il regarde, désire, envie, critique, puis se détache de ces humains si spéciaux, si différents de ce qu'il est, et pourtant si proches.

Car, Jérusalem est lui aussi un enfant. Plus mécanique que biologique, mais il est le fruit du croisement entre deux drones : le premier, un appareil de loisirs, utilisé par une jeune fille dans une cité de banlieue qui va ensuite se radicaliser et l'emmener avec lui pour le faire travailler pour Daesh ; le second, un appareil militaire, téléguidé par une femme pour aller bombarder ces mêmes fanatiques.

On suit donc son parcours, avant sa naissance, puis sa création, ses changements de ciel, car Jérusalem n'aime pas s'attacher trop longtemps et a besoin de souvent changer d'air, de son enfance, aux côtés d'une femme et d'un homme qu'il considère comme ses véritables parents, son adolescence et son âge adulte, où il part en quête d'une espèce d'idéal.

A chaque étape de ce parcours, il tire des enseignements, regarde les êtres humains évoluer, fasciné par certaines de leurs facettes, agacé et consterné par d'autres. Bavard, un tantinet obsédé sexuel, frustré de ne pouvoir goûter à ce fruit qui lui est, plus qu'à tout autre, défendu, philosophe et moraliste, Jérusalem nous tend un miroir pour que nous voyions nos pires défauts, les erreurs que nous répétons sans cesse.

France, Syrie, Inde, Thaïlande, Venise, Jérusalem voyage, grandissant à chaque étape, gagnant en sagesse et en détachement et observant le monde à travers des prismes différents. Jérusalem s'arrête sur les humains qu'il côtoie au cours de cet étrange parcours, tout en approfondissant sa réflexion, à travers de nouvelles disciplines, telles que l'archéologie ou la théologie.

Evidemment, dès le titre du livre, on comprend bien qu'il sera question de religion. Jean-Noël Orengo, comme avec le Capital, dans son précédent livre, intègre d'emblée une notion marxiste dans son histoire. L'opium du peuple prend de la hauteur, chose presque paradoxale, si l'on considère la dimension symbolique que les croyants donnent au ciel.

Point de dieu dans les cieux que fréquente Jérusalem (nom autoproclamé lui aussi hautement symbolique, convenons-en), mais un recul et une différenciation qui permettent une objectivité que ne peuvent avoir les humains eux-mêmes. Ou, en tout cas, qu'il ont bien du mal à considérer. Mais le drone goûte aussi à une liberté inédite pour le commun des mortels.

Un des éléments très intéressants du livre, c'est la relation très ambiguë qu'entretient Jérusalem avec l'humanité, dans le sens des caractères qui font qu'on appartient à l'espèce humaine. Il est à la fois terriblement critique, parfois cynique, et pourtant, j'ai perçu une envie impossible à assouvir de rejoindre les rangs des humains, chez la machine, consciente de ses différences, de ses limites.

Jérusalem, m'a-t-il semblé, souffre de cette solitude née du fait qu'il ne soit pas humain, qu'il ne puisse se lier par des sentiments à ceux qu'il rencontre et accompagne, qu'il ne puisse assouvir le désir qu'il ressent à force d'observer les humains. Drone, il est, drone, il demeure, et cet état est à la fois sa bénédiction et son malheur.

Mais, le coeur du raisonnement de Jérusalem n'est pas dans ses propres états d'âme. Non, c'est dans une critique rageuse et virulente des comportements des hommes qui ont tout fait, depuis longtemps, pour écarter la femme des affaires importantes, s'arroger une domination sans partage sur l'humanité et la conduire avec brio au désastre.

A travers deux personnages, l'homme et la femme qu'il considère comme ses parents, Jérusalem examine la question avec soin et nous donne des informations fondamentales. Ces deux personnages ont vraiment existé : Marija Gimbutas et Raphael Patai, mais, curieusement, leur travail, ambitieux et sortant des sentiers battus, sont tombés dans l'oubli...

Restons succincts, pour aller plus loin, il y a bien sûr les développements du roman ou votre moteur de recherche préféré. Marija Gimbutas était une archéologue spécialiste de la préhistoire. Ses travaux ont porté sur des civilisations antiques, en Europe et en Orient, constituées en matriarcat autour d'une déesse-mère. Des civilisations construites autour de la femme, qui en occupe la place centrale.

Raphael Patai, anthropologue, ethnologue, spécialiste du Moyen-Orient, a lui aussi mené des travaux remettant en cause tous les fondements des sociétés contemporaines. Ainsi, a-t-il travaillé autour d'Ashérah, divinité que les anciens Hébreux auraient révéré et qui était l'épouse de Yahvé, avant qu'elle ne soit purement et simplement effacée.

Le point commun de ces deux chercheurs, c'est donc de rappeler que l'humanité s'est construite autour de mythes et de croyances fortement imprégnés de féminité, aux antipodes de ce que nous connaissons désormais. Je simplifie un peu, mais, chacun selon sa méthode, aboutit à une conclusion voisine : c'est l'émergence du monothéisme qui a tout changé, instaurant le patriarcat.

J'ai choisi de mettre en avant ces deux personnages en particulier, ils ne sont pas les seuls personnages réels que Orengo intègre à son roman, les autres, je vous les laisse découvrir (quelques explications importantes sont données dans la courte annexe qui suit le roman). Des personnages assez surprenants, parfois, d'autres que l'auteur contribuera certainement à faire découvrir à beaucoup.

Dans "l'Opium du ciel", Jean-Noël Orengo met lui aussi la femme en avant. Jérusalem, et avant lui les deux drones dont les pièces ont été assemblées pour lui donner le jour, ont été en lien direct avec des femmes. Curieusement, si je devais attribuer un sexe à Jérusalem, je le verrais plutôt comme un homme. Mais il est sensibilisé à cette cause féministe portée par ses maîtres.

A travers les informations qu'il dispense, à travers les réflexions que cela entraîne, se dessine une violente critique des religions modernes qui ont toujours cherché à écarter la femme, à la fois dans leurs dogmes, mais aussi dans leurs applications concrètes dans la société... En Europe, dans certaines parties de l'Orient, désormais, tout repose sur ces postulats misogynes.

En ouvrant son roman sur le conflit actuel en Syrie, qui manque sans cesse de basculer dans un conflit de civilisation, Jean-Noël Orengo met en évidence ce qu'il va démontrer ensuite. Une guerre voulue avant tout par des hommes, dans lesquelles les femmes ne sont que des pions qui n'ont guère leur mot à dire.

Il y a S., d'un côté, qui va jouer avec ce drone, une vraie nouveauté, un gadget qui connaît un vrai succès en tant que jouet pour grands enfants ou adultes, et qu'elle va, par la suite, emmener avec elle lorsqu'elle quittera Ivry-sur-Seine pour aller rejoindre les rangs des armées islamistes en Syrie ou dans un des pays de cette région en pleine effervescence.

De l'autre côté, celle que Jérusalem baptise Eureka, militaire de l'armée américaine chargée de piloter un drone. Soldat n'intervenant même plus sur le champ de bataille, tuant à distance, comme dans un jeu vidéo, elle obéit aux ordres sans rechigner, elle tue sans conséquence, parfait avatar de l'évolution moderne de l'art de la guerre où la confrontation est de moins en moins frontale.

Chose amusante, dans ce contexte, Orengo, qui n'est pas encore entré dans le vif de sa réflexion, évoque Lovecraft et la créature impitoyable qu'il a créée, Cthulhu, et culte sombre dont il va devenir l'objet. Dans l' "esprit" du drone, Daesh devient l'incarnation du Necronomicon, l'un des textes-phares de l'écrivain américain... Mythe contemporain et craintes éternelles...

J'ai lu avec intérêt "l'Opium du ciel", regrettant tout de même que le monologue du drone s'éloigne parfois un peu trop d'une histoire clairement définie pour plonger dans les digressions et les réflexions, entre philosophie et ego-trip. Mais, cela tient aussi au choix de faire de Jérusalem le narrateur du roman.

Cela donne quelque chose d'assez compliqué, peut-être même indigeste pour certains lecteurs. Moi-même, je suis certain d'être passé à côté de bien des choses, références, raisonnements, et je suis sorti frustré de cette lecture que j'ai l'impression de n'avoir que... hum... survolé, désolé pour ce jeu de mots bien involontaire.

Oui, j'ai l'impression de rester à la surface, d'avoir loupé des trucs, et ça m'agace. Ah, si, il y a tout de même quelque chose que j'ai remarqué : le soudain changement de style qui s'opère dans le récit du drone. Porté par de longues phrases, très longues, même, en début d'histoire, lyrique et presque pompeux, le débit de Jérusalem devient beaucoup plus syncopé dans la dernière partie.

Un changement de narration qui accompagne l'évolution du drone, en train de se détacher de plus en plus de sa condition (presque) humaine pour devenir quelque chose d'autre. Comme une Ascension, au sens chrétien du terme, un enlèvement vers des nues que le commun des mortels ne peut atteindre, mais que les plus méritants peuvent espérer un jour rallier.

Voici un nouvel exemple d'un roman de littérature blanche qui vient flirter avec les "mauvais genres". Ici, la science-fiction, même si, encore une fois, c'est plus la tradition voltairienne du conte philosophique qui fonde "l'Opium du ciel". Mais l'idée de personnifier un drone, d'en faire un personnage à part entière, doué de raison et de traits de caractère proches des nôtres, reste tout à fait originale.

Du ciel au Ciel, Jérusalem aspire à un rejoindre un monde meilleur, cet au-delà fantasmé depuis si longtemps par les hommes. Un monde nouveau dans lequel on retrouverait la dimension féminine fondamentale, matricielle qui a été écartée dans ce monde-ci et qui aurait été remise à la place d'honneur. Par le truchement du drone, Orengo livre son message qu'on pourrait résumer avec la dernière phrase du livre :

"Tout est féminin".

dimanche 12 février 2017

"Tout enfants, ils avaient eu le sentiment d'une petite catastrophe, d'une extinction à laquelle ils avaient fini par survivre, tout en mourant un peu".

On parle souvent de genres littéraires, on les cloisonne, on cantonne les livres, les auteurs, les lecteurs à un genre, et puis c'est tout... Pourtant, il n'y a rien de plus poreux que ces murs, les idées les traversent comme le Passe-muraille de Marcel Aymé et la littérature blanche, si noble, si supérieure, aux yeux de certains, sait aussi s'inspirer des "mauvais genres". En voilà un exemple, venu du Canada, avec ce qu'il faut bien qualifier de dystopie, "Oscar de Profundis", de Catherine Mavrikakis (aux éditions Sabine Wespieser). Direction Montréal, dans un monde qui fait froid dans le dos (et pas seulement parce que l'action se déroule en novembre). Un univers sombre et inquiétant, où le commun des mortels est à la merci de forces qui restent assez abstraites. Au coeur de tout cela, deux destins sensiblement différents, apparemment, mais un même désespoir lancinant. Et une romancière qui s'amuse à triturer les codes de la dystopie pour en faire quelque chose de carrément flippant.



Oscar de Profundis est une star. En tout cas, pour ceux qui peuvent encore se permettre d'avoir ce genre de préoccupation. Oscar est un chanteur punk, à la fois dandy et destroy (son pseudonyme ne s'inspire-t-il pas de Baudelaire et de Wilde ?), qui a su conquérir des générations de fans. Le voilà qui revient dans sa ville natale, Montréal, qu'il a quittée depuis longtemps pour fuir son enfance.

Quelques jours et il repartira, mais quelques jours, c'est déjà difficile, alors qu'il s'était promis de ne jamais y remettre les pieds. Oscar n'est pas heureux d'être là, il fera le strict minimum, les concerts prévus et basta. Le reste du temps, il se cloîtrera dans la maison Ormund, un bâtiment ancien de la ville où il s'est installé avec sa suite (ou devrait-on dire, sa cour ?).

Oscar est une star, riche mais désespérée, trimbalant derrière lui un aréopage qu'on pourrait juger parasite, mené par son ancien amant et homme de confiance, Edward. Une sorte de fête permanente, d'un coin à l'autre du monde, au gré des tournées, mais qui ne suffisent pas à contenter Oscar, dont l'état d'esprit est sombre.

L'argent ne fait pas le bonheur, dit le vieil adage, et, pour Oscar, c'est plus que jamais le cas. Il n'a jamais réussi à se défaire d'un profond désespoir qui l'habite. Il plonge souvent dans des idées noires qui le poussent au bord du suicide, la drogue venant alors l'aider à tenir le coup, bien loin de l'image récréative qu'on peut parfois lui donner.

Et pourtant, il est un privilégié. Autour de lui, le monde est proche du chaos. Le pouvoir mondial n'est concentré qu'entre quelques mains, politiques et industriels alliés pour écraser tout le reste. Une élite perdure, mais les centres-villes sont laissés aux mains de population miséreuses qui survivent tant bien que mal dans la plus grande détresse.

A Montréal, on survit comme on peut, bien loin des frasques de la bande d'Oscar de Profundis. Avec l'hiver québécois qui approche, forcément, cela n'inspire guère confiance en l'avenir. On se vêt comme on peut, on mange se qu'on trouve, on s'abrite où c'est possible... Et en plus, voilà qu'une étrange maladie, peste moderne, décime les rangs de ceux qu'on appelle les gueux.

Le mal ne semble toucher que les plus démunis, ce qui vivent à la rue, loin des douillettes banlieues où vivent les riches. Alors, la rumeur d'un complot des dirigeants de ce monde pour se débarrasser enfin des gueux monte... On veut les tuer, ils ne se laisseront pas faire. La tension monte de plusieurs crans et l'idée d'une énième révolte se diffuse.

Jamais ces révoltes, ces jacqueries, de plus en plus rares, d'ailleurs, n'ont permis aux gueux d'obtenir la justice et une amélioration de leur sort. Au contraire, Elles ont permis d'effroyables répressions dont le souvenir reste cuisant. Mais, là, perdu pour perdu, on ne va pas se laisser mourir dans la souffrance et la maladie, non, un baroud d'honneur est attendu.

Parmi les gueux, Cate Bérubé, femme mystérieuse, sur laquelle courent bien des rumeurs. En particulier sur son passé, qui ne la prédisposait pas à devenir une gueuse. Accompagnée d'un épervier et de quelques amis, elle a une autorité naturelle qui force le respect, dans ce monde où s'applique la loi du plus fort.

Comme Oscar, Cate connaît le désespoir, mais dans un cadre très différent : privé d'avenir, que la maladie soit provoquée ou non, condamnée à plus ou moins long terme, elle compte profiter de la situation de plus en plus chaotique pour agir. Une action d'éclat qui devrait marquer les esprits, tant chez les gueux, s'il en survit, que chez les nantis.

Même si le personnage de Cate est beaucoup moins présent que celui d'Oscar, c'est bien leur parcours parallèle qu'on découvre dans ce roman. Deux personnages aux sorts complètement différents, réunis par un même désespoir, et ce paradoxe : celui qui voudrait mourir continue à vivre, et dans le luxe, quand celle qui s'accroche à l'existence doit se préparer à disparaître.

Oscar est un personnage à la fois agaçant et passionnant. Agaçant, parce que sa posture suicidaire est contredite par ses actes. S'il voulait vraiment en finir, il n'y aurait rien de plus simple. Au lieu de ça, il continue à travailler, nourrit des tas de projets, avance et sa lamente sans arrêt sur cette chienne de vie qu'il se refuse pourtant à quitter.

Non, dans cet univers qui rassemble pas mal d'éléments issus de classiques de l'anticipation (Huxley, Orwell et Bradbury, en particulier ce dernier, puisque l'interdiction des livres est explicitement mentionnée dans "Oscar de Profundis"), la rockstar n'a rien, mais rien d'un héros providentiel, dont l'action salvatrice servirait une cause juste.

En fait, et c'est sans doute un des aspects les plus curieux du livre, Oscar de Profundis n'est pas un personnage d'avenir, au contraire, il a choisi de s'ancrer dans le passé : collectionneur fou de livres, de disques, de films, autant de choses introuvables, mais également de cadavres, puisqu'il a entrepris de rassembler dans une nécropole les grandes figures culturelles mondiales mortes et oubliées depuis longtemps.

Il concentre tout cela pour lui, sans chercher à le mettre à disposition du plus grand monde, ni à infléchir la position d'un Etat-monde qui a visiblement choisi de faire table rase du passé, et sans doute pas seulement en matière culturelle. Il semble vivre comme hors du temps, sans se soucier de tout ce qui se passe autour de lui, de ce monde qui dégénère.

Il y a chez Oscar de Profundis quelque chose du Néron de Sienkiewicz, jouant de la lyre devant Rome en train de brûler. Uniquement préoccupé de son mal-être, pressé de quitter Montréal dont les vieux démons viennent le hanter de nouveau, Oscar de Profundis, star décadente d'un monde en train de s'effondrer, peut-il changer, avoir une révélation ?

Catherine Mavrikakis installe un décor et un contexte particulièrement sombres et angoissants. Le côté abstrait du pouvoir totalitaire qui tient ce monde dans sa poigne d'acier ajoute à cela. Les gueux survivent en attendant qu'on s'en prenne encore à eux, qu'on les éradique, puisque l'on comprend que le projet est vraiment dans l'air.

La société est irrémédiablement coupée en deux, aucun espoir de passer de l'un à l'autre des cercles, gueux d'un côté, nantis de l'autre. Et l'impression que l'objectif est de créer une espèce d'eldorado dans lequel les gueux n'auront non seulement plus leur place, mais que leur disparition est une condition sine qua non à la réussite du projet...

Catherine Mavrikakis joue avec les codes de la dystopie, je l'ai évoqué un peu plus haut. Elle construit le décor de son roman de manière très classique par rapport aux romans de ce genre (qu'ils soient classés en littérature blanche ou en science-fiction), mais ensuite, elle propose une histoire dont les tenants et les aboutissants ont de quoi mettre le lecteur très mal à l'aise.

Jusqu'à un final qui m'a glacé. Pas parce qu'il offre un point de vue apocalyptique, mais pour d'autres raisons que je ne peux dévoiler ici, évidemment. C'est, pour moi, un des grands intérêts de ce livre, clairement pas à lire un soir de déprime, mais qui nous entraîne dans une mécanique imparable, celle du pire.

Le livre occupe une place importante dans le roman, un peu malgré lui. Je l'ai dit plus haut, cette société totalitaire a interdit le livre, le livre papier, en tout cas. Mais, comme le numérique n'est accessible qu'aux nantis, qui ont sans doute bien d'autres chats à fouetter, c'est une interdiction de fait à laquelle on assiste.

Oscar est un homme cultivé. Il n'amasse pas seulement les trésors, il en jouit aussi, mais pour un plaisir égoïste qui se limite à la beauté des mots. Leur porté, leur puissance sont confinées à son cercle proche, puisqu'il vit dans une tour d'ivoir. Ces éléments forts que recèle le livre, c'est chez un autre personnage qu'il va falloir aller les chercher.

Il s'appelle Adrian, il est libraire, profession surprenante dans un monde qui a banni l'objet livre. Mais, justement, lui résiste, encore et toujours, en toute connaissance de cause et averti des dangers. Il n'est pas un des personnages principaux du livre, mais son rôle est très important, car il est celui qui va réussir à véritablement communiquer avec Oscar. A faire vibrer sa corde sensible.

Entre Oscar et Adrian, dans un contexte très particulier qu'il vous faudra découvrir, la conversation s'installe et la passion du livre, des mots, des écrivains s'installe. Elle est puissante, cette passion, elle offre quelque chose d'intangible et sans commune valeur : le rêve, l'évasion... Nécessaire, mais probablement pas suffisant pour changer les choses de manière plus large et plus durable.

Pour autant, ce sont des personnages-miroirs que révère Oscar de Profundis : Jay Gatsby, d'une part, Harry Haller, le personnage principal du "Loup de steppes", de Hermann Hesse. Pas vraiment une littérature joyeuse et utopique, mais au contraire, pessimiste et désabusée. A l'image parfaite de l'histoire mise en scène par Catherine Mavrikakis.

samedi 11 février 2017

Le cercle des serial killers disparus.

Retrouver une série qu'on a un peu perdue de vue, c'est toujours intéressant. En 2007, son premier volet avait été couronné par le prestigieux prix du Quai des Orfèvres, puis deux autres thrillers avaient suivi (dont "Dent pour dent", évoqué sur ce blog) avant une éclipse. Plus de quatre années entre "Déjeuner sur l'herbe" et ce nouveau roman, "Copier n'est pas jouer", dont nous allons parler aujourd'hui. Un long laps de temps, et un changement d'éditeur. Frédérique Molay, la créatrice de cette série construite autour de Nicolas Sirsky, patron de la Crim' au 36, quai des Orfèvres, a quitté Fayard pour... Amazon Publishing. Une vraie curiosité, la filiale édition du géant américain n'étant installée en France que depuis assez peu de temps. Mais, simplement, l'envie de retrouver Sirsky et son équipe, pour une nouvelle enquête prometteuse.



A quelques jours du pont de l'Ascension, Nicolas Sirsky, le patron de la Crim', la brigade criminelle, basée au mythique 36, quai des Orfèvres, espère goûter un repos bien mérité en ce doux weekend de mai. Mais, un flic comme lui ne dételle jamais et, lorsque son téléphone sonne, il abandonne l'idée d'un pique-nique dominical en amoureux avec la femme qu'il aime, Caroline.

Direction le bureau. Et pas pour rien. Une affaire qui promet d'être éprouvante, la découverte au Square du Temple, en plein coeur de Paris, du corps d'une petite fille. Celui qui l'a transporté là a fait preuve d'une violence et d'un sadisme qui révoltent même les durs à cuire du 36. Le hic, c'est que l'assassin n'a pas laissé d'indice derrière lui...

Sirsky mène ses hommes avec son charisme habituel. Il est urgent de comprendre ce qui s'est passé, d'autant que certains détails, révélés à l'autopsie ont de quoi laisser très perplexe... L'idée d'un criminel machiavélique et certainement capable de récidiver se dessine, même si l'objectif est bien sûr de le mettre hors d'état de nuire au plus vite.

Pas le temps de souffler. Dès le lendemain, deuxième découverte macabre. La victime est un adolescent, retrouvé dans une salle de son collège. La scène est horrible, un vrai massacre. "Taillé en pièces", c'est l'expression qu'utilise son subordonné pour décrire les faits à Sirsky... En moins de 24 heures, cela fait beaucoup.

Difficile d'imaginer un lien entre ces affaires, les modes opératoires sont très différents et, en dehors de la jeunesse des deux victimes, rien ne colle. Mais la coïncidence est énorme et les hommes du 36 sont non seulement sur la brèche, mais obligés de mener de front ces deux éprouvantes enquêtes. Avec toujours aussi peu d'éléments matériels à exploiter.

Impossible de passer à l'action, il faut ronger son frein et se contenter d'un travail d'investigation précis mais difficile. Mais qui donne des fruits. Reste à comprendre ces indices minimes, comme des cailloux laissés derrière lui par un Poucet dément. Quant au tueur, il s'amuse, produit ses effets, nargue les enquêteurs, se moque ouvertement d'eux...

Alors qu'il se pose de plus en plus de questions sur son couple, inquiet du comportement de Caroline, et que son ado de fils, Dimitri, le préoccupe de plus en plus, Nicolas Sirsky doit pourtant se concentrer sur son enquête. Il doit retrouver un tueur capable de tout et qui leur promet un bain de sang s'ils ne réussissent pas à anticiper ses prochains faits et gestes.

On pédale dans la semoule, au 36, on est surtout terriblement vexé de se laisser ainsi berner par un tueur cynique qui se fait appeler "le Maître du jeu". Et l'on n'a pas envie de se retrouver face à de nouvelles scènes de crime aussi horribles... Pourtant, tous le savent, chaque nouveau crime permettra d'affiner les recherches. Affreux constat...

Combien y aura-t-il de morts avant que Sirsky et ses hommes ne parviennent à déchiffrer les intentions du tueur ? Combien de temps faudra-t-il pour cerner un meurtrier qui semble avoir élaboré son plan avec une minutie diabolique qui ne ressemble pas vraiment aux agissements d'un tueur en série classique ? L'arrêteront-ils, tout simplement ?

Quel rythme ! Ce thriller est vraiment mené tambour battant, un page-turner redoutable d'efficacité, effrayant, captivant, déroutant, aussi. Attention, dans les lignes qui viennent, on va entrer dans certains détails que vous pourriez ne pas avoir envie de connaître avant de lire "Copier n'est pas jouer", soyez prévenus.

Au coeur de ce thriller, la figure du serail killer. Oui, je sais, le sujet est battu et rebattu, difficile de se démarquer dans ce domaine. Mais Frédérique Molay a trouvé un angle assez original. Dans le cours du livre, on apprend que cette expression, "serial killer", est assez récente, créée dans les années 1970 par Robert Ressler, agent du FBI.

Régulièrement, se pose la question de savoir s'il s'agit d'un phénomène strictement américain. Si les critères mis en évidence par le FBI pour profiler les serial killers agissant sur le territoire américain peuvent être transposés ailleurs dans le monde. Une sorte de protectionnisme criminel, assez troublant, comme si, dans ce domaine aussi, l'Amérique voulait affirmer sa prédominance...

Pourtant, les assassins multiples ne connaissent pas de frontières, l'Europe, et certainement tous les continents, ont connu leur lot de tueurs agissant selon un rituel bien défini. Une macabre nomenclature qui est pourtant au coeur de "Copier n'est pas jouer", où de sinistres hommages sont rendus à des figures criminelles de la vieille Europe.

C'est en effet la conclusion la plus importante à laquelle Sirsky et ses équipes parviennent : ils ont affaire à un imitateur, quelqu'un qui s'inspire de tueurs célèbres (et, malheureusement, particulièrement prolifiques) pour tuer en plein Paris... Là encore, il existe un mot anglais pour ce genre de tueur : le copycat.

Et une appellation qui, elle aussi, est sujet à controverse. Pas la même que pour le serial killer, puisque c'est l'existence même des copycats qui est remise en cause par certains spécialistes : un tueur en série agit par lui-même, pour lui-même, à sa manière et pas à celle d'un autre, question d'ego, hypertrophié chez ces meurtriers multiples.

Alors ? Qui est donc le tueur que recherche Sirsky ? Un tueur en série, un copycat, un assassin parfaitement sensé qui joue avec les enquêteurs comme le chat avec une souris ? Parce qu'il est clair qu'il n'imite pas un, mais bien un cénacle de tueurs en série... D'où le titre de ce billet, gentiment provocateur, que j'ai choisi.

L'image du serial killer comme croquemitaine contemporain (une de mes marottes, j'en parle souvent sur ce blog) transparaît aussi dans le cours de l'enquête. Il me semble même me souvenir que le mot est écrit quelque part dans le roman. Bref, Frédérique Molay propose une variation très intéressante sur ce sujet casse-gueule, car souvent traité.

Laissons la trame principale de côté pour nous intéresser au personnage central : Nicolas Sirsky. Jeune quadra, occupant un poste de prestige, à la tête de la brigade criminelle. Une pression folle, une autorité naturelle et une présence sur le terrain qui lui valent le respect de ses hommes. Il reste un flic, avant tout, il n'est pas un rond-de-cuir.

Il est beau, fort, compétent, pas du tout énervant, donc, bref, c'est un héros, un vrai. Oui, c'est vrai qu'on est pas loin du cliché, mais, après tout, le genre du thriller réclame cela. Pourtant, s'il se montre très sûr de lui dans sa vie professionnelle, même lorsque la pression s'accroît terriblement, dans sa vie privée, c'est plus compliqué.

On découvre ses doutes, évoqués plus haut : son inquiétude pour son couple et la difficulté à communiquer avec Caroline est un des fils conducteurs de la trame secondaire. Pour être franc, on se doute de son aboutissement, mais Sirsky a sans doute trop de craintes en tête pour envisager ce dénouement-là.

Et puis, il y a son fils, Dimitri. Adolescent, désormais, avec tout ce que cela implique, une mère absente, un père qui y tient comme à la prunelle de ses yeux et une belle-mère qui a su instaurer une vraie complicité. Mais, Nicolas est un père anxieux, au point d'être limite étouffant pour le garçon. Il en est touchant, notre super flic, sans cesse en train de se demander si son rejeton va bien.

Il gère l'entrée dans l'adolescence de Dimitri comme il peut, avec son activité si prenante, il redoute de négliger son fils, de ne pas réussir à le protéger contre les dangers de ce monde et cela le ronge sans arrêt. J'ai eu l'air d'ironiser, parce que le décalage entre le flic dur et intraitable et le papa poule est assez amusant, avec un Dimitri qui vit simplement sa vie.

Mais, dans ce contexte, avec ces deux premiers crimes sordides qui viennent forcément s'incruster dans l'esprit du chef de la Crim', on se met à la place de Sirsky : Dimitri pourrait lui aussi tomber sur le genre de monstres qu'il est chargé de poursuivre... Une inquiétude d'autant plus forte que, lors de son enquête précédente, la famille Sirsky s'était retrouvée au coeur de la tempête...

Je ne vais pas bouder mon plaisir, j'ai lu avec appétit cette nouvelle enquête de Nicolas Sirsky, qui réserve pas mal de surprises. "Copier n'est pas jouer" est habilement mené, le lecteur est captivé et se laisse prendre à cette enquête épineuse, complexe et ultra-violente. Mais, je vais quand même tempérer mon enthousiasme par un bémol.

Il ne concerne pas l'intrigue et son dénouement en eux-mêmes, mais le final du livre. Je l'ai trouvé très abrupt, très frustrant. Je ne pense pas qu'un développement autour du meurtrier aurait été de trop, bien au contraire. Certains éléments à son sujet aurait, me semble-t-il, mérité d'être creusé un peu. Peut-être est-ce plus le boulot du juge Becker, qui forme un sacré tandem avec Sirsky.

Mais, pour le lecteur que je suis, il aurait été intéressant d'aller plus loin, d'ajouter une vraie dimension psychologique à cette histoire. C'est mon ressenti, je l'ai vu partagé par d'autres, mais on peut aussi ne pas être en phase avec ce souhait. L'action, juste l'action. Je crois pourtant que terminer en approfondissant la question de ce tueur bien particulier n'aurait pas nui au rythme de "Copier n'est pas jouer".

Cela ne remet rien en cause, et je viens de voir sur les réseaux sociaux que Frédérique Molay travaillait d'arrache-pied à la prochaine enquête de Nicolas Sirsky que je serai ravi de découvrir lorsqu'elle sera en librairie. Pour profiter d'une nouvelle montée d'adrénaline aux côtés des flics du 36 et de leur chef, qui devraient d'ailleurs bientôt déménager, me semble-t-il...

vendredi 10 février 2017

"Ceci n'est pas un conte de fées ! C'est la vérité ! C'est une tragédie !"

Si le thriller d'actions, pur et dur, a tendance à un peu me lasser, je me rends compte que, depuis quelques temps, j'apprécie de plus en plus les romans noirs, plus posés, reposant sur des ressorts plus psychologiques, des personnages plus épais. Et je suis servi, avec une nouvelle vague de romanciers américains qui reviennent eux aussi à ce genre plus épuré. Après David Joy ("Là où les lumières se perdent"), déjà évoqué sur ce blog, les éditions Sonatine nous proposent de découvrir "Cet été-là", premier roman traduit en français (par Fabrice Pointeau) de Lee Martin. Un roman à la construction originale qui participe pleinement à l'ambiance pesante et au malaise que ressent le lecteur, privé de repères, à la merci des révélations des personnages. On perçoit le coeur du drame, il ne fait aucun doute, mais tout ce qui s'est passé autour de ces événements dramatiques ne se dévoile que petit à petit, pour nous proposer une véritable tragédie contemporaine.



1972, dans une petite ville de l'Indiana, paisible, endormie. Un drame terrible survient. Katie, 9 ans, se volatilise un soir d'été, au début juillet, alors qu'elle s'est rendue à vélo à la bibliothèque pour rapporter les livres qu'elle avait empruntés. Ses parents, son frère, Junior, s'inquiètent vite de ne pas la voir revenir, mais on ne retrouve que son vélo, abandonné en centre-ville...

Ce que l'on suit, ce n'est pas l'enquête de police pour retrouver Katie, comme on pourrait l'imaginer. Non, d'emblée, on assiste à des témoignages directs. Différents protagonistes interviennent, s'adressant au lecteur, ou en tout cas à un interlocuteur invisible. On croise les déclarations recueillies à l'époque des faits, mais ce sont surtout des confessions ultérieures qui retiennent l'attention.

Des années ont passées depuis la disparition de Katie, peut-être trente ans. L'époque n'est plus la même et pourtant, les acteurs restent douloureusement marqués par les événements. Ils se souviennent, replongent dans cette période qui a bouleversé leurs existences et acceptent de révéler ce qu'ils ont tu jusque-là.

Difficile d'en dire plus, à la fois sur les faits, mais aussi sur les intervenants eux-mêmes, car on se doute bien qu'ils n'ont pas été choisis au hasard. On n'est pas en train d'interroger des témoins qui ont suivi les choses de loin, mais des acteurs directs de ce qui s'est passé cet été-là. Reste à comprendre de quoi il retourne exactement.

Le lecteur est dans le flou total. Que s'est-il passé au juste ? On n'en sait rien. Jusqu'à ce que les différents narrateurs se dévoilent et commencent à raconter ce qu'ils savent. Et n'ont pas oublié, malgré le temps qui a passé. Leurs récits se complètent, installant un climat oppressant, dérangeant et de plus en plus troublant au fil des chapitres.

Car l'impression qui enfle au fur et à mesure, c'est que ces personnages-là ont quelque chose à se reprocher. Tous. Mais, quoi, cela reste à définir, à comprendre. Et cela va se faire, dans un crescendo émotionnel tout à fait prenant. Ce n'est pas l'action, assez limité, ou les effets, discrets, mais bien cette tension de plus en plus palpable que la narration fait monter comme une mayonnaise.

Mais, le livre ne repose pas que sur les témoignages directs. Certains chapitres, eux, retrouvent une narration plus classique, avec un regard extérieur, un récit plus factuel qui resitue les événements dans leur contexte et nous offre, par-là même, une chronique d'une ville de l'Amérique profonde au début des années 1970 (portée par une play-list très intéressante et originale).

Ces chapitres, presque des interludes, installent aussi dans la seconde partie du livre une chronologie plus stricte, afin de reconstituer les événements de ce début de mois de juillet. Pour qu'on découvre, progressivement, la réalité des faits et le fin mot de l'histoire. Mais, pour que les personnages aient choisi de se taire aussi longtemps, c'est qu'il y a sans doute anguille sous roche...

Et l'on se retrouve avec, en main, un roman qui reprend la construction des tragédies et des opéras : les arias, c'est-à-dire les témoignages directs des protagonistes majeurs, et les choeurs, ces passages où l'on passe d'une mise au point macro à un plan plus large. L'ensemble est non seulement cohérent mais nous entraîne jusqu'à un climax assez inattendu.

On jongle, on échafaude des hypothèses, on se dit "c'est lui" ou "non, c'est l'autre", on cherche l'individu qui... On imagine telle situation où... On cherche à lire entre les lignes, à faire la part des choses dans ce que l'on découvre. Les langues, en se déliant, révèlent des faces très sombres et la morale est une victime collatérale de tout cela.

Cette manière d'aborder les événements à travers ces confessions nous donnent des points de vue qui font froid dans le dos. Tant la lucidité de certains personnages (Henry Dees, par exemple) que la naïveté d'autres (je pense ici à Clare) contribuent à créer ce malaise chez le lecteur. A qui peut-on se fier ? Chacun des intervenants ne nous expose-t-il pas sa part de monstruosité ?

Oui, ces personnages ont quelque chose de confusément malsain, qui va prendre des contours plus clairs au gré de leurs paroles. On grimace de dégoût au récit des travers des uns et des autres, en particulier d'un des personnages aux penchants sordides et à la lâcheté assumée, on reste incrédule devant certaines concessions faites, la confiance donnée sans restriction, l'omerta...

Mais, chacun laisse aussi transparaître des faiblesses qui, si elles ont du mal à toucher le lecteur étant donné le contexte, apportent d'autres facettes à ces personnages. En particulier un terrible sentiment de solitude qui les écrase, les uns et les autres. Une solitude qui préexistait mais dans laquelle ils se sont reclus ensuite, prisonnier de leurs secrets.

Lee Martin, à travers certains personnages, abordent la question de la dépendance affective et de ce que l'on commet ou de ce que l'on accepte pour ne pas perdre cet appui, cet autre qui permet de briser la solitude. Il évoque aussi le désir, irrépressible, interdit, contenu mais qui possèdent une attraction à laquelle on ne peut se soustraire.

Mais on pourrait également parler de la jalousie et de la manipulation. Le voilà, le carré terrible qui réunit les narrateurs de ce roman à plusieurs voix. Une effroyable équation à multiples inconnues, mais un élément central qui n'est autre que Katie. La seule qui, dans cette affaire, n'a pas son mot à dire, déclencheur malgré elle d'un drame aux ramifications tragiques.

Autour de cette disparition inexpliquée, se nouent des relations tordues, perverses, douloureuses. Des pactes plus ou moins tacites pour que n'émergent pas ces côtés obscurs qui sont la charpente de ce roman et que le lecteur découvre, aux premières loges. Et c'est cela qui fait froid dans le dos : ce long silence, aux antipodes de toute notion de justice ou de morale.

On ne sort pas indemne de cette lecture. On se sent assez sale, là encore en raison du choix narratif de l'auteur. Autrement dit de celui à qui on laisse le dernier mot. Le sentiment qui dérange, c'est l'absence d'empathie, finalement. Les regrets exprimés sont égoïstes, égocentriques, bien loin des aveux contrits que l'on serait en droit d'attendre.

"Cet été-là" est noir, cette histoire absorbe la lumière, entraîne le lecteur dans cet enfer microcosmique, c'est vrai, mais dévorant. Lee Martin efface tous les repères, tant dans le récit des faits lui-même (du moins, dans la première partie), dans la contextualisation des personnages qui mentent, dissimulent, atténuent leur rôle, mais aussi dans le simple clivage entre bien et mal.

Ce fait divers remet tout en cause, jusqu'à un système de valeurs (contestables, comme tout système, mais équilibré) malmené d'un bout à l'autre. Aux héros sans peur et sans reproche du thriller traditionnel, Lee Martin revient aux fondamentaux du roman noir, avec des antihéros faillibles et même, plus que cela, incapables de prendre leurs responsabilités. D'assumer leurs actes.

J'ai dévoré ce roman noir, j'ai souffert au sort de Katie et j'ai haï ces êtres pusillanimes et vils qui ont croisé sa route. Il y a dans ce roman une atroce absurdité qui préside à l'enchaînement des faits, aux confessions dont nous sommes les accoucheurs malgré nous. Et de cette absurdité naît l'horreur, des comportements terriblement humains naît le malaise.

L'ambiance est particulièrement réussie, je me répète peut-être, mais on est pris à la gorge très vite et le fait de n'avoir aucun élément particulier et des soupçons qui se multiplient font qu'on a très envie de comprendre. De cerner enfin le rôle des uns et des autres. Et de remédier à un élément très fort, qui transparaît : l'oubli.

En effet, si les personnages impliqués ont traîné comme un boulet le souvenir de ce qui s'est passé, de ce qu'ils ont fait (ou de ce qu'ils n'ont pas fait, d'ailleurs). En revanche, cette ville de l'Indiana, paisible, endormie, où le drame à eu lieu, s'est empressé d'oublier. De se rendormir après avoir été secoué.

Décidément, avec Lee Martin, on découvre des facettes bien peu glorieuses de l'espèce humaine.