jeudi 28 février 2019

"Nous sommes nombreux, Myriame. Et nous sommes la Ville".

On a beau être éclectique dans ses choix de lectures, certains genres vous résistent sans véritable espoir de les voir céder un jour. Pour moi, c'est le cas de la romance... Les quelques tentatives pour découvrir ce genre particulier n'ont pas été très fructueuses, c'est ainsi, ce n'est pas pour moi. Pourtant, quand j'ai entendu dire que Catherine Dufour, une des plumes les plus acérées de la SF francophone, allait s'y essayer, j'ai eu envie de retenter ma chance. "Entends la nuit", paru en grand format aux éditions L'Atalante, est donc une romance, et même une romance paranormale. Mais si la romancière s'en approprie les codes, elle propose une histoire à sa façon, avec une héroïne forte et courageuse, un style plein de cynisme, mais aussi une certaine désillusion, et des thèmes qui sortent de la simple histoire d'amour impossible pour devenir volontiers politiques. Paris y est un personnage à part entière et offre un cadre parfait pour un final très spectaculaire, mais aussi assez sombre...



Myriame a 25 ans et, au moment d'entrer dans ce qu'on appelle la vie active, elle a préféré quitter la France, et une vie familiale difficile, pour s'installer à Amsterdam, où elle n'a pas vécu l'existence que pouvait lui permettre le master en communication qu'elle a en poche. Une jeunesse en marge d'une société qui ne la fascinait pas vraiment.

Jusqu'à ce qu'elle décide de rentrer. Parce que même si la relation qu'elle entretient avec sa mère est compliquée, agitée, elle est plus importante que le reste. Sa mère ne va pas bien. Une sale maladie qu'elle a vaincue, mais qui l'a laissée sur la paille. Et, à son âge, il semble difficile de retrouver un boulot désormais.

Alors, c'est elle qui a pris les choses en main : elle a décroché un job dans une boîte parisienne. Rien de bien excitant, il s'agit de faire de la veille informatique, mais cela lui permettra de gagner suffisamment pour prendre sa mère en charge aussi longtemps que nécessaire. Il lui faudra prendre sur elle, certainement, mais elle finira par s'y faire, elle n'en doute pas.

Voilà comment elle se retrouve à la Zuidertorten, c'est le nom de l'entreprise, assise pendant des heures devant un écran d'ordinateur. Rien de bien sorcier, même si les logiciels changent d'une société à l'autre, ils sont très proches et Myriame ne devrait pas avoir de mal à les maîtriser. Et vogue la galère !

Côté collègues, ça se goupille pas mal non plus. Il y a bien Iko (diminutif d'Ikovna), sa supérieure hiérarchique à l'ai revêche, mais les autres sont plutôt cool. Et, rapidement, Myriame se lie avec un petit groupe de veilleurs, comme elle : Sacha, Mei, Awa ou encore Ahmet, qui lui est comptable. On n'a pas trop le temps de s'amuser, on échange quelques mots autour d'un café et on reprend le boulot.

Le seul truc qui chiffonne la jeune femme, c'est qu'on les surveille... Dans les bécanes, un logiciel baptisé "Pretty Face" joue les Big Brother. Officiellement, il ne s'agit pas de garder à l'oeil le personnel, mais d'un outil de cohésion, mais dans les faits, c'est bien un moyen pour les cadres de vérifier en permanence que personne ne tire au flanc...

Comme méthode de management, c'est moyen, mais Myriame est toute nouvelle, difficile de la ramener à ce sujet... Et puis, les patrons n'ont pas l'air super abordables. Elle les a aperçus à la cafétéria, une des rares fois où ils ont quitté leur domaine réservé, le sixième étage de l'immeuble haussmmannien occupé par la Zuidertorten.

Une femme, deux hommes, une allure étrange qui fait dire à Mei en rigolant qu'ils ont l'air de vampires. Mais, c'est un autre personnage qui va retenir l'attention de Myriame. Un visage vu au milieu de la mosaïque de "Pretty Face", un teint livide, une chevelure rousse, encore un mec qui semble sorti tout droit d'un roman de fantasy !

Un dialogue muet s'installe au fil des jours entre Myriame et cet étrange personnage... qui s'avère être un autre de ses supérieurs hiérarchiques. Un certain Duncan, présence discrète, mais omniprésente, qui semble vouloir prendre la petite nouvelle sous son aile et lui apporter une aide matérielle précieuse : lui assurer un contrat solide, lui proposer un logement...

Tout ça pourrait fleurer bon (enfin, façon de parler) le harcèlement sexuel. Exactement le genre de  comportement qui devrait agacer et même plus Myriame, qui a si longtemps rejeter ce système. Et pourtant, cet étrange badinage semble lui convenir et elle se prend à ce drôle de jeu, une séduction mutuelle avec ce mystérieux dandy...

Le hic, c'est qu'en se renseignant sur son étrange bienfaiteur, Myriame va faire quelques découvertes du genre à vous refroidir illico. Ou au contraire, à aiguiser votre curiosité. Car, celui qui se présente sous le nom de Duncan et le titre de comte d'Angus... est mort depuis plus d'un siècle... Mais c'est qui, ce mec-là ? Highlander ?

Comme d'habitude, pardon si vous trouvez que je détaille trop (mais ce n'est pas vraiment le cas, en fait), il est important de bien planter le décor. Rien n'est anodin, dans tout cela, on va le comprendre au fil du récit. Au fil de cette histoire improbable qui va se nouer entre Myriame, la jeune recrue un peu rebelle, et cet actionnaire moins inaccessible que les autres.

Un élément manque pourtant : qui est vraiment Duncan ? Et c'est l'un des grands intérêts de ce roman, ainsi qu'une des excellentes idées qu'on y trouve. Plutôt que de reprendre de vieux pots pour y concocter sa propre soupe, Catherine Dufour imagine autre chose, innove, surprend, aussi. Et nous propose quelque chose de très original.

Ah, ah, je vous sens intrigués, là... Mais ne comptez pas sur moi pour en dire plus à ce sujet, si vous voulez savoir qui est Duncan, lisez "Entends la nuit". Mais que cela ne nous empêche pas d'évoquer ce roman qui n'est justement pas qu'une romance, parce que c'est justement la volonté de Catherine Dufour d'aller au-delà de ce que proposent les titres phares du genre.

Elle l'explique d'ailleurs très bien sur son blog, alors plutôt que de la paraphraser et de vous faire croire que ces passionnantes informations sont de mon cru, je préfère vous renvoyer à ce billet introductif. Et en plus, Catherine Dufour propose un voyage en images à travers son livre, qui rappellera quelque chose à ceux d'entre vous qui me suivent sur les réseaux sociaux...

Le blog de Catherine Dufour.

Vous y découvrirez donc la vision cash de la romance par une écrivaine engagée, qui n'oublie pas que quel que soit le contexte, il y a forcément quelque part une dimension sociale, et donc politique. Amusant, au passage, de noter que la référence shakespearienne mise en avant par Catherine Dufour n'est pas "Roméo et Juliette", comme on pourrait s'y attendre, mais "Richard III".

Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le sujet de cette tragédie n'a pas grand-chose à voir avec l'amour, même contrarié. C'est une pièce sur le pouvoir, un pouvoir absolu qu'on cherche à atteindre par des moyens absolus, jusqu'à y laisser sa famille, sa vie, son âme... Je ne dis pas que "Roméo et Juliette" n'est pas une pièce violente, mais les causes de ces violences diffèrent radicalement.

D'une certaine manière, "Entends la nuit" est également un roman sur le pouvoir, celui qu'exerce un actionnaire sur les salariés qui font tourner ses entreprises. Duncan, comme les autres actionnaires que l'on croise dans le livre, sont des souverains modernes, ayant quasiment droit de vie et de mort sur leurs sujets, le salarié devenant une sorte de vassal.

La relation entre Myriame et Duncan repose donc sur la séduction, mais aussi sur cette lutte de classe, d'une certaine manière. C'est d'ailleurs là que le passé de Myriame prend son importance : son choix premier, c'est de fuir ce système, de choisir une vie libérée de toutes ces contingences, de rejeter le fonctionnement d'une société capitaliste.

Son retour n'est pas un reniement, c'est une urgence : elle ne le fait pas pour elle, mais bien pour venir en aide à sa mère. Et toute sa relation avec Duncan va être marquée par cet aspect : bien sûr, il y a une attraction entre les deux personnages, mais Myriame est aussi en conflit avec ce que représente l'homme, ce qu'elle croit percevoir de lui au départ...

L'histoire d'amour qui naît, s'épanouit, connaît des hauts et des bas, des périodes heureuses, d'autres nettement plus compliquées, tout cela est influencée par ces questions politiques et idéologiques, qui permettent à Catherine Dufour de faire de la romance un vecteur de critique d'un système qui, on l'aura aisément compris, ne lui plaît pas.

Mais cette relation est aussi tourmentée, turbulente, difficile parce que le fossé entre les deux personnages va au-delà de cette simple question d'appartenance à une classe, et même à une caste. Là encore, en soi, c'est un élément classique du genre : la notion de danger que représente une telle relation, parce que l'un des deux amoureux incarne une force brute, une violence difficile à contrôler.

Bien sûr, on songe au vampire, qui doit refréner son instinct et son appétit pour pouvoir entretenir sa relation avec un ou une humaine. Catherine Dufour joue d'ailleurs avec cette idée du vampire, ne serait-ce que dans l'apparence des personnages bizarres pour qui travaille Myriame. Mais là encore, c'est différent, car Duncan n'est justement pas un non-vivant, détaché de tout par la force des choses.

Duncan est un possesseur, il incarne un pouvoir, une institution, une histoire, qu'on pourrait presque écrire avec un h majuscule. En un mot comme en cent, il a des responsabilités, et elles dépassent largement une amourette, qui plus est avec une simple humaine. Cela va imposer des choix aux deux personnages, différents de ce qu'on peut trouver habituellement, dans le cas des vampires, pour reprendre cet exemple.

Vous le verrez, les tensions qui s'instaurent entre Myriame et Duncan s'étalent selon tout une gamme qui va de l'érotisme et du sexe, quand même, ne faisons pas l'impasse là-dessus, à la colère, féroce et impressionnante. C'est un amour qui devra s'arracher de haute lutte, et le terme d'impossible, qui fait un peu cliché, je le reconnais, est pourtant ici adéquat.

J'ai évoqué Shakespeare, l'autre référence, c'est celle que l'on trouve dans le titre du roman : "Entends la nuit" (non, ce n'est pas une version alternative d'une chanson de Johnny...), c'est un clin d'oeil au dernier vers d'un sonnet de Baudelaire, qui me rajeunit d'une bonne trentaine d'années, l'époque à laquelle je l'ai appris : "Recueillement".

Je ne saurais que trop vous conseiller de le lire ou de le relire, si vous avez également eu l'occasion de l'étudier en classe, plutôt après la lecture du roman, car c'est l'ensemble de ce texte qui ouvre des pistes de réflexion autour du roman de Catherine Dufour... De la douleur initiale, que l'on voudrait plus tranquille, jusqu'à cette nuit qui marche...

Et l'élément majeur qui va faire écho, c'est la ville, même si on retrouve pas mal d'éléments du sonnet dans le roman. La ville, oui. Paris, au premier chef, même si elle n'est pas l'unique décor du roman. La ville... et ce qui la constitue. La ville comme un corps et les bâtiments comme des organes. La ville comme lieu de pouvoir, et les bâtiments comme l'expression de ce pouvoir.

Sur la page de blog que j'évoquais plus haut, Catherine Dufour vous propose des images des principaux lieux marquants de son roman, à l'exception du principal, la fameuse "Tour du Midi", la Zuidertorte, qui est le fruit de son imaginaire, même s'il existe des équivalents. Beaucoup de choses se passent dans cet immeuble, et pas seulement dans la partie réservée aux bureaux.

Et puis, il y a ces autres lieux, dont certains ont derrière eux une longue histoire, et qui vont devenir le cadre d'épisodes souvent forts dans la quête de Myriame pour comprendre dans quoi elle a mis les pieds, et un peu plus. La balade vaut le coup d'oeil, avec des points de vue fort intéressants et des scènes mémorables.

Je vais être franc, la première partie du roman m'a semblé longue... Décidément, je ne suis vraiment pas un lecteur de romance... J'avais hâte de savoir où ce jeu de séduction allait mener. Et puis, d'un seul coup, tout s'enclenche, et l'on entre dans une toute autre phase, nettement plus sombre, nettement plus violente, aussi, et carrément spectaculaire.

Cela devient extrêmement visuel, avec un côté gothique, des clins d'oeil à différentes oeuvres, qui ont elle aussi utilisé Paris et ses monuments (on pense, par exemple, au "Fantôme de l'opéra" ; accrochez-vous, vertige assuré, et pas juste le vertige de l'amour, wo-hohohoho) et la ville s'impose de toute sa force, de toute sa majesté brute, de toute son imposante présence...

Il faudrait parler longuement du style de Catherine Dufour, sa gouaille, son ironie mordante, son humour teinté de cynisme, aussi. Le franc-parler de Myriame est un vrai plaisir de lecture et reflète la force du personnage de Myriame autant que ses convictions affirmées. Ne la cherchez pas, son sens de la repartie est acéré comme une lame, et elle sait parfaitement la manier.

Enfin, il reste un élément à évoquer dans ce billet déjà bien long... C'est l'héroïne. J'en ai déjà dit pas mal à propos de Myriame, mais tout cela est aussi ce qui la met à part de ces héroïnes de romance, au mieux un peu nunuches ou soumises, au pire, insupportables... Myriame a ce côté adulte et responsable qui manque bien souvent à ces demoiselles.

Elle n'a peut-être pas toutes les rênes en main, mais elle n'est pas non plus démunie dans se relation face à Duncan. C'est une vraie joute, un vrai duel, et le caractère de la jeune femme s'affirme tout au long de cette histoire, jusqu'au dénouement où des choix vont s'imposer à elle et où elle va prendre son destin en main en bousculant tout.

Son parcours n'est pas linéaire. De la curiosité initiale, aux questionnements qui vont suivre, de l'attirance qui monte, à la peur, réelle, qu'elle va expérimenter en découvrant qui elle a face à elle, elle reprend très vite ses esprits, même lorsqu'elle doit affronter des situations extraordinaires et fortement déstabilisantes.

C'est une femme de tête, déterminée, qui ne se résigne pas face aux événements contraires, face à ce qui lui est imposé par le sort, et pas seulement lui, d'ailleurs. Elle se bat, on peut se dire qu'il y a quelque chose de désespéré dans sa démarche, et pourtant, c'est cela qui la rend plus forte et belle encore. C'est cela qui fait d'elle, définitivement, une héroïne...

jeudi 21 février 2019

"Le point commun de nos rencontres, c'est l'alcool ou un mec ou les deux. Inutile de faire l'article sur les meufs que je fréquentais à l'époque, mais disons qu'avant de rencontrer la Meute, j'étais entourée d'une belle brochette de connasses".

A l'heure où l'on découvre l'existence de "boys'clubs", rassemblement de jeunes mecs utilisant leurs forces vives pour pourrir la vie de leur prochain (surtout quand c'est une prochaine, d'ailleurs), sort un roman qui est l'absolue antithèse de tout cela. Certaines, certains trouveront peut-être ce lancement un peu tiré par les cheveux, et pourtant, j'assume, notre roman du soir est une forme de réponses à ceux qui pensent qu'ils sont nés pour dominer. "La Meute" est le premier roman de la journaliste Sarah Koskievic (en grand format aux éditions Plon) et sous ses airs fort légers, porté par la devise "sexe, drogue et rock'n'roll", on découvre un roman bien plus fort, bien plus profond qui devrait vous mettre une bonne claque au passage. Les meufs de la Meute sont déjantées, attachantes autant qu'énervantes, fusionnelles, mais capables de faire des étincelles quand elles se fritent, pleines de cicatrices sous leur allure bravache et poussées par une joie teintée de désespoir...


Ce matin-là, Olivia a rendez-vous à Roissy, où elle doit retrouver sa copine Elly, pour accueillir une revenante : cela fait un an qu'Isadora a quitté Paris pour New York, où elle a entamé une carrière d'actrice. Oh, pas encore une carrière de star, mais ses copines et elle sont persuadées que ça viendra, et vite. Elle a tout d'une star !

A elles trois, elles représentent une bonne moitié de ce groupe qu'elles ont formé quelques années auparavant, un groupe de meufs, comme elles disent, et qu'elles ont sobrement baptisé la Meute. Inséparables, toujours là pour faire la fête, se saouler, draguer des mecs, mais aussi quand ça va moins bien et qu'il faut se remonter le moral et regarder l'avenir, ce sont des BFF.

Les autres s'appellent Louise, la plus âgée de la Meute, fringante quinquagénaire qui pourrait rappeler Kim Cattral dans "Sex and the City", Rosalie et Romane, la plus jeune de la bande et aussi la dernière à l'avoir intégrée. Six femmes indissociables depuis un bon moment maintenant qui entendent bien profiter à fond de ces retrouvailles.

Car, on a beau former une meute, être des amies plus proches que les membres d'une famille, tout n'est pas simple et force est de constater qu'elles se sont un peu éloignées les unes des autres. Pas nécessairement par choix, mais parce que c'est la vie. Alors, ce jour-là, elles comptent bien faire revivre la Meute et faire profiter à tout Paris de leurs hurlements !

"La Meute", ce n'est toutefois pas juste le récit de cette journée mémorable qui s'annonce, de ces retrouvailles qui s'annoncent joyeuses, mais pas forcément idylliques. En parallèle, ce sont cinq années qui vont être retracées, justement depuis la rencontre inattendue avec Romane, afin de nous expliquer pourquoi les liens si étroits qui les unissaient ont fini par se distendre.

Et, petit à petit, le lecteur découvre l'histoire de ces jeunes femmes complètement déjantées, écumant les boîtes parisiennes pour y picoler, et pas qu'un peu, y draguer, et éviter de rentrer seules, y prendre quelques drogues, pour le fun, s'y montrer et assumer totalement ce qu'elles sont et surtout, surtout essayer d'imposer leur volonté aux mecs comme ces derniers ont l'habitude de le faire dans cette société patriarcale.

Les meufs de la Meute sont libres et entendent le faire savoir en toutes circonstances. Et tant pis si, en réalité, elles ne possèdent peut-être pas tout à fait la même assurance et les mêmes certitudes que dans le contexte particulier des nuits parisiennes. Le reste, c'est un combat individuel que chacune essaye de mener à sa manière.

Et en particulier celui d'Olivia, alias Liv, qui est la narratrice de la trame principale du livre, celle des retrouvailles, tandis que les flashback sont racontés à la troisième personne, même si Olivia en reste le point central. D'ailleurs, ce quinquennat qui nous est raconté commence par sa rupture avec Ethan, un mec à qui elle a laissé les rênes et qui l'avait peu à peu éloignée de ses amies.

Ce point de départ, c'est une sorte de renaissance pour elle, un premier retour vers ces copines qu'elle a négligées pour l'amour d'un type qui n'en valait pas la peine. Et l'on découvre effectivement toute la dimension toxique de cette relation dans ce premier retour en arrière. Si Olivia a sans doute le caractère le plus rude de la Meute, si elle est la plus individualiste (égoïste ?)  du lot, c'est sans doute aussi parce qu'elle a beaucoup souffert.

Avant d'aller plus loin, un élément important : les meufs de la Meute ne sont pas de jet-setteuses. Leur vie nocturne n'est pas leur raison sociale, elles ont une vie, le jour, gagne leur vie sans plus, n'apparaissent pas dans les pages glacées des magazines people et se foutent bien de tout ça. Les soirées, les boîtes, l'alcool, la poudre, la musique, c'est pour évacuer tout le reste et être enfin soi.

Une libération, une émancipation d'un carcan social étouffant pour des jeunes femmes, qui évoluent toutes dans des milieux différents, selon des modes de vie différents, envisageant l'avenir chacune à sa manière, mais jamais sans les autres membres de la Meute. L'union fait la force, ensemble, elles sont invincibles. Peut-être même heureuses...

Et ces retrouvailles autour de Romane, qui fête ses trente ans, la jeunette, doivent être l'occasion de faire revivre la Meute, de lui redonner toute sa place dans leurs vies redevenues un peu ternes, d'effacer les frictions passées et retrouver la complicité et la joie d'être ensemble. Seules contre le reste du monde !

Pour moi, cette lecture commence par un paradoxe : en lisant la quatrième de couverture, j'ai eu très envie de lire ce premier roman, tout en ayant à l'esprit le fait que je ne suis sans doute pas le coeur de cible. Pas seulement parce que je suis un homme, ça joue aussi, mais parce que je suis aux antipodes des filles de la Meute, le genre à préférer passer sa soirée pépère chez lui avec un livre.

Il y avait donc une vraie curiosité à me lancer dans cette lecture. Premières impressions : ce ne sera pas une lecture très longues. Le livre fait environ 160 pages, les caractères sont assez gros, il y a de l'interlignage entre les paragraphes... Il y aura donc un signe assez simple : si j'accroche bien, il sera lu rapidement, peut-être d'une traite.

Deuxième impression, la plume de Sarah Koskievic. Là encore, j'étais curieux de voir quel registre elle avait adopté. Et son écriture est en phase avec son sujet : c'est un roman sur les femmes de la génération-je-sais-plus-quelle-lettre-de-la-fin-de-l'alphabet-mais-du-genre-qui-rapporte-un-max-de-points-au-Scrabble, on n'est pas dans les salons de Mme de Sévigné.

Alors oui, ça peut paraître un peu trop branchouille, trop vulgos, peut-être un peu trop proche de l'oral, mais c'est cette langue que parlent les personnages entre elles, c'est la langue de la Meute et c'est très bien ainsi. Elle ne mâchent d'ailleurs jamais leurs mots, Olivia la première, et c'est aussi cette franchise, parfois excessive, qui a certainement contribuer à sceller leur amitié.

Mais, dans le même temps, un jeu s'instaure entre l'auteur, la narratrice et le lecteur, une sorte de connivence. Cette langue fleurie, c'est aussi un des signes d'appartenance de la Meute, un signe de leur émancipation, de la liberté qu'elles s'arrogent et qu'on ne leur laisserait pas exprimer ailleurs de cette façon. Ni même sans doute d'une autre.

Reste que le lecteur doit se faire à ce style particulier, assez inhabituel. L'anglicisme y abonde, les références musicales aussi, fort variées, d'ailleurs, on y reviendra. On est spectateur de la complicité de ces femmes, sans forcément être acceptés au sein du groupe. Mais, c'est bon enfant et, aussi agaçantes peuvent-elles être, les membres de la Meute savent gagner notre sympathie.

Typiquement, c'est un livre qui aura ses fans et d'autres qui ne supporteront pas. J'imagine assez mal des avis médians à propos d'un roman comme celui-ci. Mais il est clair qu'il s'agit d'une histoire générationnelle qui parlera donc sans doute à pas mal de trentenaires, car elles pourraient bien se reconnaître en Liv et ses copines.

Et puis, il y a l'ambiance... Tout commence à Roissy par une scène de joie quasi hystérique, le genre qui permet de se taper l'affiche devant tous les voyageurs en plein jet-lag, attendant que leur bagage arrive sur ce fichu tourniquet... On s'attend alors à un roman d'amitié, un roman d'amitié entre filles, un roman qui devrait lorgner vers ce qu'on appelle désormais "le feel-good".

On va bien se marrer, ça va être girly et sexy à la fois, et on verra bien où ça nous mènera. Sauf que, rapidement, le côté joyeux et potache est vite nuancé. Parce que la vie n'est pas marrante, que le boulot, les mecs, la famille, la vie quotidienne, l'argent et même les copines, c'est pas toujours marrant et facile.

On abandonne vite l'idée d'avoir en main une comédie, voire une comédie romantique, non, "La Meute", c'est autre chose. C'est un regard sur la société des années 2010 lorsqu'on est femme, jeune, libre, qu'on a envie de vivre comme on l'entend, sans entrave ni contrainte. Et que tout semble fait pour vous en empêcher.

En substance : faire ce qu'elles veulent, c'est leur droit. Un droit durement gagné, et le mot durement est sans doute encore faible. Les membres de la Meute ne se laisse pas faire, par qui que ce soit, et toute faiblesse est payée cash, comme on peut le constater, par exemple, avec les traces laissées dans l'esprit et dans la vie d'Olivia par sa relation avec Ethan.

Non, vraiment, "La Meute" n'a rien d'une comédie légère, ce qui ne veut pas dire qu'on ne s'amuse pas à les suivre. Je vous conseille cette scène dans laquelle les filles, bien éméchées, chantent à tue-tête en pleine rue d'un paisible quartier parisien, le premier tube de "Christine and the Queen", en essayant, tant bien que mal, de reproduire la chorégraphie. J'ai bien ri.

Du "feel-good", peut-être, on peut en débattre, mais pas nunuche, voilà !

Derrière les frasques, les rigolades, les engueulades, c'est pourtant un portrait bien plus sombre qui se dessine. Celui d'une génération qui peine à trouver des repères, à avancer sereinement vers l'avenir, faute de perspectives, faute de savoir à qui se fier vraiment. Olivia le dit en conclusion d'une tirade où elle compare les aspirations d'Isadora aux siennes : "Moi, je cherchais un mec imparfait, sur lequel on peut lire les chapitres de sa vie".

Il y a incontestablement chez Olivia un désenchantement profondément ancré et qui ne date pas d'hier. Qui explique aussi sans doute les soubresauts dans ses relations aux autres membres de la Meute, son côté plus bourru, plus rancunier, d'une certaine manière. Olivia essaye d'afficher en permanence un détachement trop cool, quelle que soit la situation.

Mais c'est une façade, une manière de cacher un mal-être qui n'avait pas commencé avec Ethan (au contraire, ce mec est un symptôme de plus de ce mal-être), un manque de confiance en soi, une peur viscérale de la solitude et de l'ennui, d'une vie rangée, "il se marièrent et eurent beaucoup d'enfants"... Pour Liv, c'est évident, la vie n'a rien d'un conte de fée, pas même cette happy end.

Je me focalise beaucoup sur Olivia, personnage central du livre, c'est vrai, mais qui n'est pas plus un symbole de la Meute que les autres membres. Au contraire, ce sont aussi leurs différences, qu'il s'agisse du caractères, des ambitions, des aspirations ou des goûts, qui font qu'elles s'entendent si bien. Et parfois aussi, se déchirent.

Le côté sombre du roman n'est pas juste une sensation. Le récit lui-même va en ce sens, car ces cinq dernières années qui nous sont retracées, ont été marquées par des événements qui les ont toutes durement éprouvées. Et, derrière la joie et l'impatience des retrouvailles, il reste quelques accrocs qui n'ont pas encore été raccommodés.

J'ai été très intéressé par tous ces aspects, peut-être plus que par les personnages et leurs histoires. Encore une fois, j'ai beaucoup réfléchi au fait que je n'étais certainement pas le lecteur idéal pour ce roman. A aucun moment je n'ai envisagé d'abandonner, j'ai horreur de ça, c'est très irrespectueux envers les écrivains, mais je me demandais ce que j'allais pouvoir dire.

Et puis, la fin est arrivée. Je n'ai rien vu venir. J'ai pris une claque monumentale qui a eu le mérite d'effacer d'un coup tous les doutes. Il fallait que je parle de ce livre, absolument. Il fallait que j'en parle, malgré ses défauts, mais quel premier roman n'en a pas, malgré ses aspects clivants, pour employer un néologisme à la mode, malgré le fait que je ne sois pas le coeur de cible.

Oui, j'ai pris ce dénouement en pleine gueule et je suis resté groggy. Et plus encore après avoir lu l'épilogue. Jusque-là, j'avais souri aux extravagances en tous genres de ces sympathiques fofolles si "attachiantes", mais j'ai terminé avec les yeux qui piquaient. Je l'ai caché, je suis un mec, quand même, mais j'ai salement accusé le coup. Et c'est pour ce genre de revirement que j'aime lire.

Les meufs de la Meute, puisqu'elles s'appellent souvent elles-mêmes de cette façon, auraient pu me laisser indifférent, m'amuser le temps de la lecture et puis, hop, une fois refermé, elles auraient été illico oubliées... Je suis bien un mec, à écrire des trucs pareils, tiens... Et puis, elles ont sans doute obtenu d'avoir leurs noms gravés dans ma mémoire pour longtemps.

Louise, Elly, Isadora, Romane, Rosalie et Olivia...

Des filles qui se battent pour ne pas seulement pouvoir exister, mais pour être ce qu'elles veulent, pour vivre comme elles le veulent, pour emmerder ceux (et celles) qui les jugent, pour sucer jusqu'à la dernière goutte de joie de chaque instant, pour faire abstraction de ce triste monde dans lequel elles évoluent, pour se sentir enfin en confiance, sentiment que seules les autres meufs de la Meute leur offrent.

Parmi les références musicales du roman, on ne trouve pas le "Girls just want to have fun", de Cindy Lauper, c'est curieux, mais un titre sort du lot, et vous comprendrez mieux pourquoi en lisant le livre. Une chanson qui est sortie au début des années 1980, alors qu'elles étaient encore toutes petites pour certaines, ou même pas née. De mémoire, Olivia dit que leur univers musical, c'est 2-Pac et France Gall.

Mais pas n'importe quel titre de France Gall : en lisant le texte de "Résiste", je me suis rendu compte à quel point il collait à l'histoire des meufs de la Meute, à quel point ce simple mot, cet impératif lancé comme un encouragement, était une devise idéale pour elles. Oui, chaque instant, les meufs de la Meute résistent, prouvent qu'elles existent.

Et elles sont sûrement nombreuses à vouloir en faire de même.


"Les Ménades couraient en longs cheveux épars Et chantaient Évius, Bacchus et Thyonée, Et Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée, Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms. Et la voix des rochers répétait leurs chansons" (André Chénier).

En ce début d'année 2019, les éditions Rivages ont misé, pour leur collection de littérature générale, sur des textes courts. Après "Tête de Tambour" et "L'Autre Côté", voici un troisième roman très bref, une longue nouvelle, en fait, qui semble déstabiliser nombre de lecteurs... Pourtant, la romancière qui le signe s'est fait une spécialité de nous emmener là où on ne l'attend pas, pour des exercices de style percutants et extrêmement visuels, ce qui est encore le cas ici. Après le roman post-apocalyptique, le roman de sabre (et en "vieux français", qui plus est) ou encore le western, pour ne citer que ceux que j'ai lus, Céline Minard nous emmène avec "Bacchantes" au coeur du casse du siècle. En une centaine de pages, elle nous entraîne dans une histoire joyeuse, turbulente et pourtant proche du désespoir. Un peu comme les étapes que fait traverser l'ivresse. Et pour cause, puisqu'il s'agit de braquer la plus merveilleuse des caves à vin au monde... Et avec panache !



Ethan Coetzer est inquiet. Il pourrait l'être en raison du temps qui s'assombrit sérieusement, un typhon d'une puissance inédite étant annoncé pour les tout prochains jours sur la baie de Hong-Kong. Mais, si cet ancien ambassadeur d'Afrique du Sud reconverti dans les affaires, et quelles affaires !, est si préoccupé à cet instant, c'est pour une raison bien différente...

Depuis qu'il a quitté la diplomatie, Coetzer s'est installé dans l'ancienne enclave britannique en Chine et y a fondé une petite entreprise qui ne connaît pas la crise : ECWC. Une société de vitiviniculture qui s'est hissé rapidement au rang de référence mondiale dans ce domaine. Et offre désormais ses services à quelques-uns des plus grands collectionneurs de vin au monde.

Pourquoi cet engouement ? Parce que Coetzer a trouvé l'endroit idéal pour stocker les plus grands crus, les plus beaux millésimes jamais produits : d'anciens bunkers construits par l'armée britannique, lorsque Hong-Kong appartenait encore à la Couronne. Une fois aménagés, ces lieux offrent une température et un taux d'humidité constants, mais aussi une sécurité parfaite pour de tels trésors.

Enfin presque...

Car quelqu'un est entré dans le bunker lambda, et c'est pour ça que Coetzer est inquiet. Très inquiet. Pour les bouteilles qui se trouvent à l'intérieur, pour son business si lucratif, pour sa réputation jusqu'ici immaculée... Et peut-être pour d'autres choses encore... Il se demande bien qui a pu commettre un tel acte, et surtout comment...

Personne n'a rien vu venir et la troupe d'intervention qui a été mobilisée à l'extérieur ne peut pas faire grand-chose. Certes, il faudra que la situation se décante avant que le typhon ne frappe la mégapole, mais d'ici là, la balle est dans le camp de celui, de ceux, nul ne le sait encore, qui a entrepris ce braquage des plus audacieux.

Le siège a commencé, des moyens humains et technologiques gigantesques sont mobilisés H24 pour saisir toute occasion de collecter des informations, voire d'intervenir dans des conditions optimales (comprenez : sans danger pour les bouteilles désormais considérées comme des otages). En vain. La tension ne cesse de croître et Coetzer en mène de moins en moins large...

Jusqu'à ce que la porte blindée, enfin, s'entrouvre. On dépose une bouteille à l'extérieur. On la pousse du pied, afin de pouvoir refermer la porte. A l'extérieur, les souffles sont suspendus et tous sont figés de stupeur. Car le pied aperçu est chaussé d'un luxueux escarpin noir... Se pourrait-il que les malfaiteurs tant craint soient... des malfaitrices ?

Céline Minard est une écrivaine fort singulière, qui nous emmène toujours là où on ne l'attend pas. C'est surtout une romancière qui apprécie les exercices de style, jouer avec les codes des genres sur lesquels elle travaille. Je ne l'imaginais pas s'attaquer ainsi au braquage, genre qui est tout de même abondamment traités en littérature comme au cinéma (le second adaptant souvent le premier).

Mais, j'étais curieux de voir comment elle allait aborder ce sujet, sous quel angle, avec quelle philosophie, dirons-nous. Première surprise, on se retrouve face à un tout petit livre ! A peine plus grand qu'un poche et peu épais. On l'ouvre, et là encore, on découvre une taille de caractère assez grande, un interlignage marqué... De quoi frustrer les amateurs de textes fleuves !

"Bacchantes" est donc une longue nouvelle, qui débute in media res et nous emmène au coeur de cette période si particulière de la plus bizarre des prises d'otages. Certains seront peut-être choqués que j'emploie ce mot, mais les braqueuses, allez, on peut le dire, usent des bouteilles qui les entourent exactement de cette manière.

Certaines sont "libérées", d'autres sont "sacrifiées", comme le feraient des braqueurs de banques avec la clientèle et les employés de l'agence dont ils entendent vider les coffres. Et il faut reconnaître à ces mystérieuses gangsters un véritable sens de l'originalité qui confine au ludique. Elles sont en position de force et le savent. Et elles jouent avec les forces de l'ordre qui les assiègent...

Je dois dire que c'est un des aspects les plus sympas de ce livre : la personnalité pour le moins surprenante de ces braqueuses, que je vais vous laisser découvrir. Ce que l'on peut dire, c'est qu'elles ont une vraie capacité à attirer la sympathie du lecteur par leurs frasques, leurs provocations permanentes, leur jeu insolent et désespéré à la fois...

Céline Minard détourne non seulement des codes, mais aussi à travers ses personnages, un trio qui pourrait être classique, mais qui devient tout à fait original et pas uniquement parce qu'il s'agit de femmes. Chacune correspond à un archétype précis. Et chacune à sa façon brave la masculinité triomphante qu'on est plus habitué à rencontrer dans ce contexte.

Et cela nous amène à une autre forme de jeu présente dans ce roman, celle autour de Bacchus, le dieu du vain et de l'ivresse. Eh oui, forcément, il est un peu chez lui dans ces anciens bunkers reconvertis en caves à vin. A moins qu'il ne s'y sente justement pas si à l'aise, puisque les bouteilles entreposées là ne sont pas forcément destinées à être bues...

Le roman s'appelle donc "Bacchantes", comme les prêtresses voués au culte du dieu (ici, le dieu roman, leur équivalent dans la culture grecque étant les ménades, évoquées par André Chénier dans son poème "Bacchus", cité en titre de ce billet). Elles étaient mises à l'honneur lors de fêtes pour le moins turbulentes : les bacchanales.

Pas besoin de vous expliquer tout cela en long en large et en travers, il n'y a rien d'extraordinaire jusque-là. Des femmes entourées de bouteilles de vin, le parallèle est sans surprise. Mais, Céline Minard n'a pas envie de s'arrêter là : lorsque la porte s'ouvre et que le pied fait glisser cette première bouteille, c'est le coup d'envoi de sa bacchanale.

Alors que le temps ne cesse de se gâter, imposant à tous les acteurs de cette histoire un compte à rebours impitoyable, dont on attend aussi de voir comment il interviendra, on danse dans le bunker, une fête un tantinet macabre, à laquelle les braqueuses vont donner un tour formidable, malicieusement décadent, presque pasolinien...

Mais bien sûr, on ne peut pas croire que Céline Minard s'est limitée à la définition stricte des bacchantes et des bacchanales... Dans notre langue moderne, des acceptions plus péjoratives ou familières sont apparues concernant ces termes et là encore, la romancière joue avec, les intègre à son histoire.

La bacchante, c'est une femme débauchée, et la bacchanale, c'est une orgie, disons les choses clairement. Or, les personnages de Céline Minard sont une réponse à ces appellations : débauchées ? Non, libres, totalement libres et heureuses de l'être. Quant à l'orgie, je dois dire qu'il y a quelque chose de délicieux dans les questions que se posent les personnages extérieurs au bunker sur ce qui se passe à l'intérieur...

L'imagination, bien alimentée par les braqueuses, d'ailleurs, tourne à plein régime, chez Coetzee, en particulier, qui, au moindre bruit, au moindre souffle, au moindre geste, se liquéfie un peu plus... Le lecteur est le spectateur privilégié des facéties de ces braqueuses pas ordinaires, qui mènent la danse et mettent en scène leur histoire elles-mêmes.

Petit à petit, on s'approche de questions qui fâchent autour de ce livre, qui semble accueilli assez fraîchement par nombre de lecteurs. De manière assez surprenante à mes yeux, car je dois dire que je me suis beaucoup amusé à lire ce court texte, plein de vie et franchement spectaculaire, nourri d'influences diverses, dont Tarantino n'est pas la moindre, et extrêmement visuel.

Alors, oui, on entre de plain-pied dans l'histoire, ce n'est pas un "Ocean's three" où la préparation du coup est aussi importante que sa réalisation. Oui, Céline Minard s'affranchit d'un certain réalisme, mais ce n'est pas son but, je ne le crois pas. Oui, la brièveté du texte a quelque chose de frustrant et cette histoire se suffit à elle-même, sans grandes réflexions, juste l'action pour l'action...

Mais, dans le même temps, on a des personnages mémorables, un contexte d'une grande originalité, des idées formidables (je n'évoquerais, et sans entrer dans le détail, qu'une formidable tenue qu'on croirait sortie de la garde-robe de "Priscilla folle du désert", dans une version vinicole), un côté indéniablement graphique, entre l'approche du typhon, ce décor improbable et ces personnages grand-guignolesques.

Ah, voilà, j'ai peut-être donné une clé qui peut expliquer ces réticences : oui, "Bacchantes" est un roman grand-guignolesque, et c'est un genre à part entière qui ne mérite pas qu'on le regarde en se pinçant le nez. Céline Minard jongle avec tragédie et comédie, les mariant dans une espèce de sarabande macabre et désespérée.

On a l'impression que les braqueuses ont fait table rase de leur passé et que leur avenir n'a pas franchement d'importance. Si ça passe, alors, elles peuvent espérer profiter de leur forfait, si ça casse, quelle importance ? "Après nous le déluge" est une formule qui colle parfaitement à ce livre, puisque, justement, le déluge est attendu...

C'est justement parce que ce n'est pas tout à fait un roman noir, un roman à suspense, que "Bacchantes" est un roman intéressant. Là encore, Céline Minard détourne les codes et fait de son casse une sorte de blague de potaches, des espèces de Villon du XXIe siècle qui se lancent d'abord dans des mauvais coups pour se marrer.

Enfin, j'ai vu passer quelques commentaires disant qu'il n'y a pas de morale dans cette histoire... Je ne suis pas d'accord avec ça : en s'attaquant à des super-riches, dont un bon nombre sont sans doute des nouveaux riches, qui ont fait fortune avec les méthodes contemporaines qu'on critique et dénonce assez souvent, elles font oeuvre morale.

Elles s'attaquent qui plus est à ces fortunes par un angle inattendu : celui du superflu. Le vin, valeur refuge, il fallait y penser. Et puis, sans être forcément des Robins des Bois, car il ne s'agit pas de prendre aux riches pour donner à ceux qui ont besoin, il y a quelque chose d'aussi superflu dans leur démarche que dans ce qu'elles ont choisi d'attaquer...

La morale, si l'on doit absolument en faire ressortir une, elle est là, dans cette attaque frontale vers la richesse dans ce qu'elle a de plus m'as-tu-vu, de plus inutile aussi (je ne bois pas de vin, je ne suis pas oenologue et c'est sans doute pour cela que je ne comprends pas qu'on ne consomme pas ces nectars). Ce n'est pas juste au portefeuille qu'on vise, c'est aussi à l'orgueil qu'on veut infliger de sales blessures.

Enfin, la dimension féministe n'est pas négligeable : les femmes sont les maîtresses de cérémonie de ce curieux spectacle, des deux côtés de la porte du bunker, puisque c'est aussi une femme qui commande côté force d'intervention. Quant aux propriétaires, mais j'extrapole peut-être, je n'ai pas lu les fichiers clients de la boîte de Coetzer, il me semble qu'ils sont probablement une large majorité d'hommes...

Allez, je ne vais pas plus loin, je ne persuaderais sans doute pas les déçus, quant aux autres, ceux qui n'ont pas encore lu le livre ou restent indécis, faites-vous votre opinion propre. "Bacchantes" est un bonbon littéraire qui se lit d'une traite, vivant et spectaculaire, jusque dans son final fort mouvementée et racontée de manière brillante, comme un split-screen, ou plutôt une espèce de fondu enchaîné infernal.

J'attendais que Céline Minard me surprenne, et ça a encore été le cas avec ce casse enivrant. Ne cherchons pas midi à quatorze heures, ne réclamons pas des réponses à des questions qui ne sont pas posées, et c'est manifestement la volonté de l'écrivaine de ne pas les poser. Jubilons simplement de voir ces trois femmes déjantées et n'ayant rien à perdre damer le pion à tous, peut-être même au typhon...

samedi 16 février 2019

"Quand on ne peut pas faire l'aigle, on fait le limaçon. On peut monter haut en rampant, faut pas croire. La nature est bien faite pour ça, faut pas avoir d'orgueil, et c'est tout, pas de fierté, savoir bien jouer le blaireau".

Après deux romans autobiographiques, "Quartier Charogne" et "La Ballade du mauvais garçon", Nan Aurousseau a quitté la maison d'édition qui l'a révélé, Stock. Sans doute parce que la mort de Jean-Marc Roberts, avec qui il entretenait une relation humaine et professionnelle très étroite, marquait la fin d'un cycle. Et pour entamer un nouveau chapitre, il a posé sa plume et sa gouaille aux éditions Buchet-Chastel, pour qui il est retourné à la fiction pure et dure (et drôle, et noire, très noire) avec un court roman qui vient de sortir en poche chez Folio : "Des coccinelles dans des noyaux de cerise", quel titre ! Et comme toujours chez Aurousseau, ce sont les petits truands, les caves, les demi-sel, ceux qui ne seront jamais invités à la table de l'aristocratie des voyous qui l'intéressent. Et le narrateur de ce roman n'échappe pas à cette règle. Mais, attention aux apparences, les limaçons ont parfois des serres d'aigle...


François n'est pas né sous une bonne étoile. Sa mère a été tué alors qu'elle cambriolait un appartement par le propriétaire des lieux. Le hic, c'est que François était... dans le ventre de la jeune femme... A l'hôpital, on n'a rien pu faire pour sauver la mère, mais on s'est débrouillé pour qu'il puisse survivre jusqu'au terme de la grossesse et vivre normalement.

Depuis, il voue une haine féroce à la terre entière. Une mère décédée, un père inconnu, il a connu les familles d'accueil, et ça ne s'est pas toujours bien passé. Pas étonnant que, très tôt, il ait dérapé et franchi la ligne jaune... Un garçon comme lui, avec un tel passif dès le premier jour de sa vie, ne peut que plonger dans la délinquance.

Mais François connait ses limites. Il sait qu'il n'est pas équipé pour être un caïd, un ténor du grand banditisme. Alors, il s'est toujours limité à des délits de petite envergure, faciles à mettre en place (sa spécialité, c'est ce que le code pénal appelle "le vol avec ruse") et qui n'attirent pas trop l'attention. Bon, parfois, on se trompe et on finit en cabane, ce sont les risques du métier.

La dernière fois, il a pris dix-huit mois ferme pour sa dernière arnaque en date. Un séjour à Fresnes dans une cellule pas franchement tout confort. Avec lui, un vieux Gaulois, tombé également pour une broutille. Mais, après dix mois, les deux codétenus voient débarquer dans leur home pas vraiment sweet home un troisième prisonnier.

Et pas n'importe qui, cette fois, c'est une pointure qui les rejoint. Il s'appelle Medhi et c'est une légende du banditisme, le genre dont les exploits font la une des journaux. S'il se retrouve là, c'est parce qu'il attend un nouveau procès. François et son pote sont tout sucre, tout miel, il ne faut surtout pas déplaire à ce type, qui peut attirer bien des problèmes, dedans ou dehors...

Alors, François se montre sympa, serviable, le codétenu idéal, et puis surtout, il évite de trop la ramener, de trop parler, il sait que ça n'attire que des ennuis quand on ouvre trop sa gueule. Chacun à sa place, François ne sera jamais du calibre de Medhi, alors il se contente de faire ce qu'il fait à chaque fois qu'il a du temps à perdre : sculpter. Au début, il sculptait des grains de riz.

Et puis, avec le temps, la vue baisse, vous savez ce que c'est. Alors, il a laissé tomber les grains de riz et s'est rabattu sur les noyaux de cerise, qu'il transforme en deux temps, trois mouvements en coccinelle. Ca plaît bien, ces trucs-là, on lui en demande souvent, alors il sculpte en attendant d'être remis en liberté.

Dehors, on l'attend. Une femme. Oh, ni la plus belle, ni la plus maligne, mais elle sera là, fidèle, il n'a aucun doute là-dessus. Et ça tombe bien, parce qu'il aura besoin d'elle une fois dehors. Pas tout de suite, il va d'abord se faire oublier, se la couler douce avec sa compagne, comme un vieux couple qui se retrouve... Et ça lui donnera le temps de réfléchir, aussi.

Parce que François a des projets. De Grands Projets !

Et parce qu'on ne se méfie jamais assez des mecs qui sculptent des coccinelles dans des noyaux de cerises...

Ah, François... Je n'ai pas encore précisé que François était le narrateur du livre. Le seul maître à bord, qui peut distiller son récit comme il l'entend, en distillant les informations à son rythme, en jouant de la digression, en remâchant ses vieilles rancoeurs contre à peu près tout le monde. Et en dévoilant son jeu petit à petit.

Comme il l'a toujours fait, il se met d'emblée en position inférieure. La modestie, la discrétion... Et surtout jouer les blaireaux avec tact. Et ça, François le fait parfaitement, pour s'y être entraîné depuis longtemps. Alors, on se demande ce qui va bien pouvoir tomber sur le coin de la figure de ce pauvre gars, qui a tout du loser absolu.

Il faut reconnaître que ce court roman (moins de 170 pages dans l'édition Folio) est sacrément bien construit. Et que François (à moins qu'il faille dire Nan ?) connaît bien son affaire pour nous mener par le bout du nez. Petit à petit, on va comprendre que le pauvre type qui n'a rien trouvé de mieux pour survivre que de s'en prendre à plus faible que lui (ou à moins attentif) est peut-être plus malin qu'il n'y paraît.

Evidemment, je ne vais rien vous expliquer, puisqu'on se fait balader gentiment dès les premières lignes, cette grossesse terrible, cette naissance atroce, ce signe du destin qui prédestine à être un cave toute son existence... Et parce qu'il faut découvrir étape par étape les méandres de l'esprit fichtrement (oui, fichtrement si je veux !) torturé de ce garçon...

Il y a dans cette histoire un mélange de sordide et de jubilatoire, comme si François bichait de nous raconter son dernier mauvais coup. Il démarre tout doucement et, à la force du poignet, il fait monter la sauce. En bon alchimiste qui a mené ses recherches à l'écart de tous les regards, il nous expose son grand oeuvre et il en jouit. A chaque mot. A chaque étape.

C'est glauque, mais c'est glauque ! Et plus ça va, plus c'est glauque... Ca démarre un peu comme une version d' "Affreux, sales et méchants" transposée sur les bords de Marne (et même la Marne, il l'exècre, François...), et puis tout s'emballe et tout devient nettement moins bon enfant... Parce que, mine de rien, c'est un roman super violent qu'on a en main.

Malgré cela, on se marre bien. Est-ce le personnage de François, qui cabotine gentiment comme un acteur de stand-up, un peu bourru, certes, mais fort habile à mener la danse sans marcher sur les pieds de personne ? Est sa gouaille, son français si fleuri (ah, j'en vois qui cochent : non seulement c'est sale, mais c'est violent et en plus c'est grossier... Risque d'apoplexie...) ?

Depuis "Bleu de chauffe", il y a déjà près de 15 ans, la plume de Nan Aurousseau a marqué les esprits. Celle d'un p'tit gars des faubourgs, qui n'a jamais ouvert un Littré, mais connu la prison. Il emploie une langue imagée, riche en formules, parfois argotique. Pourtant, avec François, il va au-delà. Ce ne sont plus seulement les mots d'un petit voyou, c'est un gars qui crache sa haine à chaque syllabe.

Et ça se ressent, il se lâche, François. Avec des formules, là encore, comme celle qui sert de titre à ce billet, et d'autres, nettement moins gracieuses, mais tout aussi imagées. Chez François, tout est épais, sauf la carrure. Mais ses mots le sont et n'épargnent personne. A se demander si ce ne sont pas ses armes de prédilection pour distribuer des horions à tout ce qui bouge.

Mais c'est peut-être aussi un énième leurre, une autre forme de camouflage : quoi de mieux que les mots, qui plus est employés avec parcimonie, pour se faire passer pour un limaçon, un vrai blaireau, et ne susciter la méfiance chez personne ? Et si ça ressemble à un blaireau, alors c'est qu'il y a de fortes chances que ça soit un blaireau. CQFD.

Nan Aurousseau assemble tout cela, construction de son intrigue, narration à la première personne (cela ajoute forcément du sel, de la force, de la roublardise), langage musclé et surtout un sale, très sale personnage qu'il se délecte de nous faire découvrir. Un mec qui ne respecte rien ni personne, parce qu'il a le sentiment que rien ni personne ne l'a respecté au cours de sa chienne de vie.

Le lecteur, lui, s'amuse de cette monstruosité qui apparaît au fil des chapitres (enfin, s'il rentre dans le jeu de Nan Aurousseau, ce qui ne sera peut-être pas le cas de tout le monde), il se régale de cet humour noir manié tantôt à la louche, tantôt avec la précision d'un sculpteur transformant les noyaux de cerise en coccinelles...

Ah, avant de refermer ce billet, un dernier élément qui m'a également bien amusé : au coeur de cette histoire, j'ai cru reconnaître certains éléments qui m'ont rappelé un des dossiers d'un véritable fait divers, et pas n'importe lequel, l'un des plus marquants de ce début de XXIe siècle. Rien que ça. Nan Aurousseau s'en inspire très librement, précisons-le.

Je n'avais plus lu un livre de Nan Aurousseau depuis un moment, et j'ai retrouvé un vrai plaisir de lecture à ce mélange de noir, d'humour, de portraits au scalpel de personnages en marge, jamais épargnés par l'existence et revanchards à leur façon. C'est-à-dire souvent sans se soucier des règles et de la morale.

Et comme son nouveau roman, "les Amochés", sort en parallèle de la sortie poche de "Des coccinelles dans des noyaux de cerise", il se pourrait bien qu'on reparle bientôt sur ce blog de Nan Aurousseau et de ses histoires pas comme les autres. De sa plume, de sa gouaille (j'aime ce mot), de son humour noir et désabusé, mais aussi de la vraie humanité qui se dégage de ses écrits.

vendredi 15 février 2019

"Elle songea que la paix régnait dans le monde – pourrait régner. Mais uniquement là où l'amour n'est pas féroce. Là où se trouvait l'amour entre mère, pères et enfants, la paix était impossible".

Cette citation ne rend sans doute pas tout à fait compte de la forme de notre du livre du jour (on reviendra sur cette question, d'ailleurs), mais en revanche, elle colle parfaitement au fond de cette histoire, de ces histoires entremêlées. Avec, au coeur de tout cela, un merveilleux personnage, hors norme, à la fois fragile et d'une force inouïe, une femme pleine de ressources et de surprises, une dure à cuire, même si ça ne saute pas forcément aux yeux. "Céline", de Peter Heller (en grand format aux éditions Actes Sud ; traduction de Céline Leroy), est à la fois un polar, un road-trip, une quête personnelle, un livre plein d'humour, mais aussi de violence, sans oublier une dimension politique très critique... Bref, un roman qu'on a peine à classer, mais qui offre aux lecteurs une grande variété d'émotions. Vous ne connaissez pas encore Céline Watkins ? Dépêchez-vous de la rencontrer, vous ne serez pas prêts d'oublier cette femme d'exception !



Céline Watkins est issue d'une famille de la haute société new-yorkaise. Une famille dont elle est le vilain petit canard, ou du moins celle qui a choisi de mener sa vie comme elle l'entendait. Aujourd'hui, elle vit près du pont de Brooklyn et partage sa vie entre une passion pour la sculpture (un art d'ailleurs assez morbide) et sa profession, qui peut surprendre...

En effet, Céline est détective privée. Bon, on s'attendait à plus surprenant, me direz-vous. Peut-être, mais Céline a 68 ans, et son physique, déjà naturellement frêle a souffert des abus d'alcool et surtout de tabac auxquels elle l'a soumis trop longtemps. La voilà affligé d'un emphysème qui lui laisse penser que ses jours sont comptés.

D'ailleurs, lorsque s'ouvre le roman, elle est loin d'être au meilleur de sa forme. Nous sommes à l'été 2002 et, lors des deux étés précédents, elle a perdu ses deux soeurs et vu s'effondrer les tours du World Trade Center. Autant de signes qu'elle a interprétés comme des signes d'une fin prochaine pour elle aussi.

Mais, lorsqu'elle reçoit la visite de Gabriela, femme d'une grande beauté, mais qu'elle sent profondément malheureuse, elle décide de sortir de sa torpeur et de s'intéresser à son cas. Gabriela pourrait être sa fille, et ce n'est pas le moindre des arguments qui va pousser Céline à redevenir la détective pleine de détermination qu'elle a longtemps été.

Céline a toujours choisi les affaires qu'elles acceptaient avec le plus grand soin : elle ne s'est jamais intéressé aux crimes de sang, aux adultères, aux histoires sordides qu'on rencontre dans bien des romans noirs. Elle a toujours envisagé son métier comme une tâche noble, lui permettant de venir en aide à ceux qui en avait le plus besoin.

C'est d'ailleurs cette réputation qui a poussé Gabriela à venir vers elle et à lui raconter son histoire. Une histoire très douloureuse, qu'elle va mettre du temps à relater en entier. Après avoir perdu sa mère quand elle était enfant, Gabriela a vécu avec un père très souvent absent (il était photographe pour "National Geographic"), rongé par la dépression au point de la délaisser...

Et puis, un jour, il a disparu... Officiellement, il a été victime d'une attaque d'ours, alors qu'il faisait un reportage au parc de Yellowstone. C'était il y a près de 20 ans, Gabriela n'était qu'une étudiante qui essayait de se débrouiller comme elle pouvait. Aujourd'hui, mère de famille, femme plus assurée, elle doute. Elle doute que son père ait été victime d'un ours et elle voudrait savoir ce qui lui est arrivé.

Céline accepte cette enquête qui s'annonce d'ores et déjà difficile, à cause du temps qui a passé. Mais, elle s'y lance avec passion. Pas directement, toutefois : c'est d'abord à Denver qu'elle se rend, avec son conjoint, le taciturne Pete, qui est également son meilleur allié dans ses enquêtes. Regardez une carte et vous verrez qu'aller de New York au Montana via Denver, ce n'est pas le plus direct.

Mais, il y a une raison à cela : à Denver, vit le fils de Céline, Hank. Et Hank possède un camping-car qui sera parfait pour mener l'enquête. Et voilà donc Céline et Pete dans ce véhicule qu'on n'imagine pas conduit par une détective privée. Pour un voyage au milieu de paysages aux antipodes de la skyline de Big Apple, une nature sauvage et incroyablement belle.

Un voyage qui va permettre aux deux compagnons de réfléchir à tout ce qu'ils savent de cette affaire et d'échafauder des hypothèses. Leur tandem fonctionne depuis longtemps, Pete est la moitié analytique et rationnelle du duo, Céline préférant laisser son intuition travailler. Elle est également la force de frappe de leur duo, eh oui...

Car, sous ses airs fragiles de vieille dame malade, il y a une fervente partisane du second amendement à la constitution : Céline est férue d'armes à feu, et sait bien s'en servir. Ce qui ne sera pas un luxe, car, rapidement, cette enquête qui paraissait d'abord assez tranquille, va prendre un tour inattendu et dangereux. Comme si le sort du père de Gabriela n'intéressait pas que sa fille...

Pardon, j'ai pas mal détaillé ce résumé, peut-être trop, mais "Céline" est un roman très riche, puisqu'il embrasse des aspects très différents. On pourrait d'ailleurs discuter un moment sur le fait de savoir s'il s'agit ou non d'un polar. Chez Actes Sud, on le publie dans la collection de littérature générale, sous le label "Lettres anglo-américaines", et pas en Actes noir, le choix est clair.

Or, on a bien au coeur de cette histoire une enquête menée par des détectives privés, une intrigue véritable qui se déploie et la tension et la menace qui vont crescendo... On a là autant d'éléments qui pourraient nous indiquer qu'on a en main un roman noir. Mais ce ne sont pas les seuls ingrédients qui sont présents, et c'est vrai que cela complique la donne.

A commencer par cet improbable road-trip, du Colorado au Montana, au coeur d'une Amérique sauvage que l'on essaye de préserver : on découvre les paysages de nombreux parcs nationaux, des décors majestueux et imposants, mais aussi une faune très présente, pas seulement les ours, puisque cet animal a un rôle particulier dans l'histoire, mais toutes les espèces des grandes plaines.

Le voyage est magnifique, on en prend plein les yeux, du Colorado au Montana, en passant par le Wyoming, si cher à Craig Johnson. D'autres lieux sont également évoqués au cours du roman, avec cette particularité qu'ils sont éloignés des grands centres urbains et qu'on découvre une Amérique assez différente que celle que l'on connaît à travers le cinéma ou les séries.

Et puis ce voyage se fait à la vitesse modérée du camping car, donc pas vraiment avec le rythme qu'on peut attendre d'un polar ou d'un thriller. En revanche, ce voyage n'est pas vain, il permet de découvrir, outre ces décors, n'y revenons pas, nos deux personnages principaux, Céline et Pete. Et, vous devez vous en douter, puisque le roman porte son prénom, particulièrement Céline.

Je dois dire que ce couple a fait ma joie, rien que par le décalage qu'ils offrent entre ce que l'on voit d'eux et ce qui motive leur voyage. Un paisible couple de retraités en vacances à travers le continent ? Que nenni ! Un sacré duo, mélange d'amour, de complicité, d'excentricité, aussi. Il y a quelque chose chez Céline et Pete des Beresford, imaginés par Agatha Christie (et un soupçon de Ma Dalton, pour Céline).

Ils sont aussi différents qu'on peut l'être, d'un côté la très volubile Céline, de l'autre, le taiseux Pete, qui parle peu, et jamais pour ne rien dire, mais sait se montrer d'une redoutable efficacité pour découvrir des informations importantes. Et entre eux, cette infinie tendresse qui unit les vieux couples, cette inquiétude permanente de l'un envers l'autre...

Ils sont tour à tour drôles et profondément touchants, remarquablement méthodiques, se protégeant l'un l'autre, chacun ayant finalement une mission bien définie en cas de coup dur. On a l'impression de les connaître depuis longtemps et l'on se dit, au fil de l'histoire, qu'on aimerait bien les revoir en action dans de nouvelles enquêtes...

Mais les connaît-on si bien que cela ? C'est un des autres aspects centraux du roman de Peter Heller : la vie mouvementée de Céline Watkins. Il y a la trame centrale, avec cette enquête qui les mène jusqu'au parc de Yellowstone, et puis il y a des intrigues secondaires, qui concernent directement Céline, sa famille, sa jeunesse.

L'une de ces trames est composée de flash-back, qui vont nous conter des épisodes précis de sa vie, mais aussi de ses proches, en particulier sa mère. L'autre est une enquête, également, mais je ne vais pas en dire plus sur cette partie-là, à vous de la découvrir. Reste que ces fils narratifs-là nous ramènent au coeur du sujet et au titre de ce billet.

Car le thème principal de "Céline", au-delà de toute réflexion sur l'étiquette (ah, les étiquettes, ce passe-temps si français !), c'est bien cela : la famille, et en particulier la relation entre les parents et les enfants. D'abord, à travers l'histoire si violente de Gabriela, dont les détails vont apparaître au fil du récit et donner une épaisseur, une force et une dignité remarquables à ce personnage.

Et puis, il y a Céline... Entre elle et Gabriela, un étrange jeu de miroirs va se mettre en place, qui va donner au lecteur l'opportunité d'envisager ce roman autrement, mais surtout de voir sous un angle nouveau les décisions de Céline et son soudain intérêt pour Gabriela, alors qu'elle semblait avoir renoncé à presque tout...

Chut, n'allons pas plus loin, il y a dans "Céline" différents secrets qu'il ne faut pas éventer dans ce billet. C'est aussi le cas de la question politique, que j'évoquais en préambule. Là encore, au début du roman, rien ne laisse présager ce que vont découvrir Céline et Pete, et en particulier cette question qu'on croirait sortie d'un roman de Robert Ludlum ou de R.J. Ellory, par exemple...

Je dois dire que Peter Heller, même s'il prend des gants, frappe fort. Il faut essayer de lire un peu entre les lignes, mais cela reste assez flou. J'ai essayé de recouper ce que j'ai compris, mais je n'ai pas réussi à le recouper. Je me suis peut-être trompé, pourtant, je suis assez sûr de moi, et c'est une information qui mériterait qu'on creuse (sauf s'il s'agit d'une simple licence romanesque).

Tout cela a l'air bien sérieux, mais l'intérêt de ce roman, c'est qu'il se déroule aussi dans une atmosphère pleine d'humour, entre répliques vachardes et rencontres improbables. On a droit, au fil du voyage de Céline et Pete, à une galerie de personnages secondaires qui vaut le détour et permet à l'auteur de proposer des situations qui donnent le sourire.

De Céline offrant un moulin à café à un pauvre campeur obligé de boire de l'instantané dégueu à la confrontation avec des bikers dans un rade perdus au milieu de nulle part, il y a quelques moments de gloire qui valent la lecture et resteront en tête longtemps. Tout cela dévoile la personnalité sarcastique et provocatrice de Céline Watkins, ce qui la rend encore plus sympathique.

Au fil des pages, des chapitres, au fil des événements, présents et passés, on apprend à mieux connaître Céline, on appréhende mieux sa personnalité profonde et complexe, le personnage qu'elle s'est façonné (et qui, d'ailleurs, par un certain cynisme désabusé, la relie à la grande tradition des détectives privés littéraires) pour mieux protéger sa fragilité.

Il y a, sous le vernis des apparences, derrière la dure à cuire qui ne s'en laisse compter par personne et peut vous plomber en moins de deux si vous la cherchez vraiment, une Céline blessée, incomplète, mais aussi pleine de culpabilité et de remords. Seul Pete a conscience de cela, sans pour autant tout savoir de ce qui hante sa compagne.

On pourrait se limiter à son côté grande gueule, bagarreuse, dure à cuire au grand coeur, mais ce serait insuffisant, parce que cette Céline-là n'est pas la Céline toute entière. Parce que ce qui la constitue, c'est cet ensemble de force et de fragilité, force mentale et fragilité physique, quand en réalité, les choses sont bien plus complexes.

Une complexité, ou plutôt une richesse, qui fait de Céline un personnage remarquable, portant allègrement sur ses épaules ce livre rudement bien construit, captivant et dépaysant. Et là encore, réduire le roman à Céline serait une erreur, c'est aussi par sa complémentarité avec Pete, certes plus en retrait, qu'elle peut exercer sa profession. Ils sont yin et yang...

Amusant pour le lecteur qui lit la version en langue française, de noter que le couple principal se prénomme Pete et Céline, comme l'auteur et sa traductrice... On peut imaginer qu'entre un auteur et celles et ceux qui sont chargés de transmettre leurs textes à ceux qui ne peuvent les lire dans leur langue d'origine, il puisse exister une complicité aussi étroite qu'entre les personnages.

On oscille sans cesse entre sourire et tension, entre moments légers et périodes plus rudes, entre tourisme et traque. Céline orchestre tout cela de main de maître, en joueuse d'échecs cherchant à anticiper les coups d'un adversaire trop peu discret pour que cela soit honnête et réussissant à le mettre en échec, en attendant l'occasion du mat.

On quitte ces personnages à regret, en espérant secrètement (ou publiquement, puisque j'en parle ici), que Peter Heller nous invitera à les retrouver. Peut-être, cette prochaine fois, pour une ultime enquête qui touchera Céline de bien plus près que toutes celle qu'elle a traitées jusque-là. Et qui lui permettront de boucler la boucle.

De trouver, enfin, la paix...

jeudi 14 février 2019

"L'amour ne pleure jamais comme pleure le sang".

Encore un roman sur les sujets de l'exil et des réfugiés et encore un nouveau point de vue pour les aborder. Un roman aux airs de tragédie, pas seulement parce que le sujet est grave, mais parce que sa construction même n'est pas sans rappeler ce genre théâtral, avec des personnages luttant contre un destin souvent défavorable et des conflits intérieurs qui les rongent. "L'Année des nuages", de Lilyane Beauquel (qui vient de sortir chez Gallimard), est un roman d'amour dans le chaos, un amour d'une force inouïe... et pourtant insuffisante à rendre heureux ces jeunes hommes et femmes, parce qu'ils ne sont pas les seuls à disposer de leur existence. Un roman sensuel et violent, avec des élans oniriques, porté par des personnages en clair-obscur et la figure solaire de Nora. Une histoire qui propose une réflexion troublante sur les racines, ce qu'elles doivent ou peuvent être...

Adam est originaire de Syrie, pays qu'il a quitté quand la situation commençait à devenir trop dangereuse. Grâce au travail d'une association humanitaire, il est venu s'installer en France, à Montpellier, où il suit des études de médecine. Il participe d'ailleurs activement à la vie estudiantine, où son histoire fait toujours parler lors des soirées.

Dans l'Hérault, Adam a rencontré Chloé, avec qui il vit. On va plutôt parler d'une colocation, car leur relation, au plus grand dépit de la jeune femme, reste platonique. Entre eux, le désir grandit, les signaux se multiplie, mais Adam refuse de franchir le pas qui le sépare de Chloé, de lui donner ce qu'elle attend de lui.

Et il y a une raison à cela : Nora. Adam et elle vivait une merveilleuse histoire d'amour en Syrie, malgré les grincements de dents de sa famille à elle, puisqu'elle était destinée à un autre. Un amour qui très vite a pris une ampleur extraordinaire. Une vraie passion que rien ne semblait pouvoir atteindre, si ce n'est cette effroyable guerre civile.

Adam est parti seul, avec un grand projet en tête : trouver la maison parfaite, celle qui abritera leur amour quand Nora viendra le rejoindre. Car elle viendra, il en est certain. Et, en attendant ces retrouvailles qui marqueront leur nouveau départ, en attendant d'avoir trouvé le nid idéal, Adam travaille, prépare ses examens, fait la fête... Et pense à Nora...

Bien sûr, il y a Chloé, ravissante, charmante, une jeune femme dont il serait sans doute très amoureux en d'autres circonstances, mais il est certain de vivre quelque chose d'unique avec Nora et il ne veut surtout pas risquer de gâcher cette histoire exceptionnelle. Alors, il joue le jeu du flirt avec Chloé, mais sans vraiment s'intéresser à elle.

Et il attend Nora, pensant à elle à chaque instant, à chaque décision qu'il prend, à chaque geste qu'il fait, même le plus anodin. Sans se douter de la frustration croissante de Chloé, qui se trouve face à une rivale invisible contre laquelle elle ne peut rien. Elle se doute que même s'il finit par céder à son désir, il ne sera jamais vraiment à elle...

Mais Nora ne vient pas. Et un jour, Adam aperçoit un visage connu dans le centre-ville de Montpellier. Un visage qu'il connaît d'autant mieux qu'on l'a souvent confondu avec son propriétaire, lorsqu'il vivait en Syrie... Le garçon s'appelle Jad, et il était un ami d'Adam et de Nora, lorsque leur vie en Syrie était encore pleine d'insouciance.

Cette arrivée va bouleverser Adam et plus encore ses projets, parce qu'elle est inattendue, parce qu'elle repousse forcément celle de Nora. Parce que ce que Jad raconte de la situation de son pays, de sa fuite et de son périple pour le retrouver est franchement inquiétant. Parce qu'il a des nouvelles de Nora, qui n'est pas partie et a choisi de lutter sur son sol natal...

Je ne vais pas aller plus loin concernant le résumé, car présenter les personnages emmène déjà assez loin, il ne faudrait pas en dire trop, un peu comme le fait la quatrième de couverture. Car Lilyane Beauquel dresse le portrait de chacun au fur et à mesure que l'histoire se déploie. Les détails sur les uns et les autres apparaissent alors pour nous permettre de mieux comprendre certaines choses.

"L'Année des nuages", c'est bien un roman d'amour, mais aussi un roman sur le désir. La sensualité est très présente, le sexe aussi, même s'il ne faut pas vous faire des idées, petits polissons ! Et pourtant, l'histoire centrale unit un homme et une femme désormais séparés par des milliers de kilomètres et une effroyable guerre.

J'ai toujours l'impression qu'on a une vision réductrice de la sensualité. Pour moi, il faut prendre le mot au sens large, c'est-à-dire tout ce qui touche aux sens, et pas seulement au figuré. Dans "L'Année des nuages", le chaud et le froid, mais aussi les odeurs, en particulier celle d'une nature qui s'éveille, sont importants, stimulants...

L'amour d'Adam pour Nora est incroyablement touchant, car il transcende tout. Même le pire. Même l'absence. Comme je l'ai dit, Nora est la seule habitante de son esprit, ce qui est assez troublant, d'ailleurs, car on peut facilement y voir une forme d'égoïsme, ainsi qu'une indifférence, pas seulement pour les autres, mais aussi pour ce qui se déroule dans son pays natal.

Adam en entend parler, de la Syrie. On le plaint, mais on le critique, aussi, parce qu'il a fui au lieu de prendre ses responsabilités. Parce qu'il est venu en France au lieu de résister... Lors des soirées étudiantes, il entend souvent ces critiques, qui ne sont pas le fait de la romancière, d'ailleurs, c'est un discours qui traverse notre pays, émises par des étudiants qui n'ont jamais connu la guerre.

Il n'est pas la peine de débattre dans ces conditions, alors il laisse dire, sans doute judicieusement. Ou bien n'imprime-t-il pas ces mots, aussitôt écrasés par ses pensées à destination de Nora, qui agissent comme la mémoire tampon d'un ordinateur. Comment pourraient-ils comprendre, de toute façon, eux qui se réclament d'une résistance vieille de 80 ans et dont ils ne savent pas grand-chose, en fait.

Mais, bientôt, c'est la personne qui compte le plus pour lui qui le met face à cette situation : Nora n'est pas partie, Nora lutte, Nora résiste. Avec ses armes à elle, qui ne sont pas sans rappeler Gerda Taro, que nous évoquions dans un billet précédent. Nora ne se bat pas seulement pour elle, elle se bat pour un pays, son pays natal, sa culture, ses racines.

Elle se bat aussi pour que ce pays accède à une certaine liberté, pas uniquement sur le plan politique, mais qu'il se détache un peu du passé, des traditions. Sans les renier, sans briser les courroies de transmission, non, mais pour vivre avec son temps. Nora, c'est une jeune femme moderne et libre, affranchie d'une culture où le destin des femmes est loin de toujours leur appartenir.

Nora est une femme qui aime provoquer, séduire, défier les pouvoirs, qu'il s'agisse de la dictature ou de la structure patriarcale de la société syrienne. Et elle se moque bien des critiques, des possibles retours de bâton. Elle s'accroche à cette terre natale, à cette vie imparfaite et dangereuse, car c'est là que doit s'accomplir son destin.

A l'opposé, Adam est parti. Mais non seulement il a opté pour l'exil, mais il semble très vite avoir coupé les ponts avec son pays d'origine, avec ses racines. Je ne vois pas, contrairement à ce que sous-entendent certains étudiants, qu'il y ait quelque lâcheté là-dedans. Non, je crois qu'Adam vit dans un monde qui lui appartient, où seule Nora est accepté.

Il y a, en cours de roman, quelques allusions aux Mille-et-une nuits, au Prince des Songes, et Adam est d'abord un rêveur. Un jeune homme dont le voeu le plus cher est d'offrir à celle qu'il aime une vie parfaite, comme un prince charmant sorti tout droit d'un conte. Ou plutôt, espérant quitter ce monde bien sombre pour entrer dans un conte, dans son conte.

Pour Adam, il n'y a que le bonheur de Nora qui compte. Cela peut sembler un peu cucul, ingénu au possible, mais il y a une telle sincérité et un tel dévouement dans la démarche du jeune réfugié qu'on accepte vite son comportement, même s'il peut lui attirer quelques moqueries et s'il blesse la pauvre Chloé, qui se heurte à ce sentiment hors norme.

Dans l'esprit d'Adam, un élément symbolise ce rêve : la maison. La maison idéale, la maison du bonheur, même à fort loyer, il serait preneur (hum... désolé...). Au contraire de Nora, le passé n'a plus vraiment d'importance, seul compte l'avenir, dont le point de départ se trouvera dans cette maison, quand il aura trouvé la perle rare, et que Nora l'aura rejoint.

Lui aussi rêve de racines, d'une certaine manière, mais Adam (prénom symbolique, dans cette optique) et Nora en serait l'origine, et non des successeurs, pérennisant une culture, une éducation, dans lesquelles ils auraient été façonnés. Adam aussi a donc une vision qui aspire à la liberté, même s'il ne la définit pas de la même manière que Nora, et même si les moyens pour y parvenir diffèrent.

Il y a quelques jours, j'évoquais dans le billet consacré au livre d'Emilie de Turckheim, "le Prince à la petite tasse", l'importance du symbole que représentait la cabane dans ce livre, lui aussi consacré à la question des réfugiés. En lisant "l'Année des nuages", j'ai donc retrouvé cet aspect et, vous le verrez, cette quête d'une maison traverse toute cette histoire.

Elle prend d'ailleurs différentes formes et l'on retrouve dans certaines visites quelques résonances avec ce que je disais plus haut : la transmission, la succession, les racines profondément enfouies dans un terroir, mais qui sont parfois comme des entraves qui empêchent de voler de ses propres ailes. En cela, la démarche d'Adam est, je trouve, louable, même si elle l'isole.

Il y a dans "L'Année des Nuages" un vrai jeu de miroir non seulement entre les personnages, mais aussi entre les deux pays qui sont au coeur du récit : France et Syrie. Parce qu'il est trop simple de considérer qu'il y aurait un paradis et un enfer. En écrivant cela, je caricature déjà, rien ne peut-être aussi tranché, blanc ou noir.

Bien sûr, la Syrie est aujourd'hui en ruines, mais son riche passé, sa riche culture perdurent, malgré tout, et l'espoir d'un jour y voir renaître une vie apaisée n'est pas abandonné. A l'inverse, la France n'est pas forcément un parfait havre de paix : l'accueil n'est pas notre fort et le regard que nous portons sur l'Autre, sur l'Etranger ne va pas en s'améliorant.

Je n'aborde pas cette question au hasard, vous l'aurez compris, et je ne vais pas la développer au-delà de ce paragraphe, car cela nous emmènerait directement dans le final de notre roman. Mais c'est aussi un signe de la présence permanente de la violence dans cette histoire, même si ce n'est pas a priori le sujet premier. En revanche, elle influe clairement sur le destin des uns et des autres.

Ah, le destin... Terminons ce billet ainsi, puisque j'ai ouvert en affirmant qu'on avait entre les mains une tragédie. Je persiste et je signe : aucun des quatre personnages centraux n'a vraiment son destin entre les mains, comme il sied aux personnages tragiques. Ils en sont les jouets, les trois Syriens, évidemment, du fait de la guerre qui ravage leur pays, et Chloé parce qu'elle est tombé amoureuse d'un homme qui ne lui rend pas ce sentiment.

Et chacun est agité par des questions existentielles profondes qui les rongent, les poussent parfois à agir de manière irrationnelle, ou du moins à faire ce que leur dictent leurs passions. Amour, colère, jalousie, tristesse, les émotions qui atteignent parfois des pics, entraînant les tensions derrière elles, sont présentes tout au long de ce roman assez bref (160 pages tout au plus).

On pourrait enfin ajouter cet aspect onirique, très racinien, qui occupe une place non négligeable dans "L'Année des nuages". Adam est un rêveur, je l'ai dit, cela semble naturel qu'il soit sujet à ces rêveries, ces songes, mais peut-il en garder toujours le contrôle, ou sera-t-il emporté dans des contrées au-delà du raisonnable...

Si ma mémoire ne me trahit pas, il y a pas mal de thèmes communs avec le précédent roman de Lilyane Beauquel que j'avais lu et évoqué sur ce blog, "L'Apaisement" : le rêve jusqu'à la déraison, la maison ou du moins le lieu idéal où se poser, la nature et une certaine solitude. Les contextes sont très différents, mais l'écriture tout en douceur est la même, sans pour autant éluder la violence, celle des sentiments autant que celle des actes...

On va finir en musique, avec un morceau qui vous surprendra sans doute par rapport à tout ce qui a été dit jusque-là. Rassurez-vous, je n'ai pas perdu l'esprit à mon tour, il y a une vraie justification à ce choix, mais je vous la laisse découvrir par vous-même en lisant "L'Année des nuages". Et profitez-en pour vous entraîner à prononcer ce fameux mot sans déraper !


mercredi 13 février 2019

"Je n'ai jamais appartenu à ces partis d'hommes (...) Sympathisante, pourquoi pas, mais certainement pas inféodée, docile, soumise, maniable, manipulable, j'aime trop l'indépendance (...) Pour les femmes, la lutte est toujours un double engagement".

Si vous ne l'avez pas encore compris, il va être question d'une femme, dans ce billet. Une femme dont le nom, comme tant d'autres avant et après elle, dans tant de domaines, est tombé dans l'oubli, alors que celui de l'homme avec qui elle travaillait, lui, est encore aujourd'hui une référence. Il aura fallu attendre 70 ans après sa mort pour qu'une découverte faite par hasard permette de lui redonner la place qu'elle mérite, sans pour autant que son nom arrive jusqu'à toutes les oreilles. Dans "Regarder", qui vient de paraître aux éditions Sabine Wespieser, Serge Mestre dresse le portrait de Gerda Taro, morte à 27 ans, elle a assisté à la montée des fascismes en Europe, en Allemagne, d'abord, puis en Espagne. Antifasciste, personnalité libre et engagée, elle va trouver une arme puissante pour lutter contre ce mal rampant : la photographie. Et devenir une des premières femmes photoreporters aux côtés de celui qui deviendra vite un des grands noms du métier : Robert Capa.



Au début de l'année 1933, Adolf Hitler devient chancelier en Allemagne et les nazis s'emparent du pouvoir par les urnes. Moins d'un mois après cet avènement, l'incendie du Reichstag est un prétexte idéal (et sans doute bien préparé) pour entamer la répression envers toutes les formes d'opposition au nouveau gouvernement.

Mais, ce brusque durcissement politique entraîne aussitôt des résistances. A Leipzig, Oskar et Karl Pohorylle, deux frères issus d'une famille juive originaire de Galicie, en Pologne, mais installée en Allemagne, réussissent un coup d'éclat en jetant du haut des bâtiments d'un grand magasin de la ville des tracts dénonçant la dictature qui s'installe.

Rapidement, la répression s'organise et la police frappe chez les Pohorylle. Mais, les deux frères ont déjà pris la fuite. Alors, c'est leur jeune soeur, Gerta, âgée de 23 ans, qu'on emmène pour interrogatoire. Elle va rester enfermée dix-sept jours, soumise à des interrogatoires réguliers et à des conditions de vie très dure. Sans jamais craquer.

Au contraire, elle va faire preuve, au cours de ces journées, d'une impressionnante bonne humeur et d'une gentillesse qui va lui gagner l'estime des autres détenues du quartier des femmes. Ce qui lui permettra d'être un peu protégée, non seulement face aux nazis, qui n'ont pas encore déployé toute leur férocité, mais aussi face à ses codétenues.

Dix-sept jour, c'est suffisant pour lui faire comprendre que la vie en Allemagne risque vite de devenir dangereuse pour quelqu'un comme elle. Alors, comme ses frères, elle décide de prendre le chemin de l'exil. Direction Paris, où elle découvre une espèce de vie de bohème auprès de l'importante communauté allemande qui a pris ses quartiers dans la capitale française.

Comme tous ses nouveaux amis, qui estiment que cette vie-là, aussi misérable soit-elle, vaut mieux que celle qu'ils auraient eu au même moment en Allemagne, Gerta gagne sa vie de petit boulot en petit boulot et dépense ses maigres gains dans les cafés du Quartier latin, de Saint-Germain-des-Prés ou de Montparnasse, tout en rêvant à des lendemains qui chantent.

Un jour de septembre 1934, un jeune homme rejoint le groupe. Il est originaire de Budapest, il a tout juste vingt ans et comme eux, il a dû fuir son pays. Il leur explique que, depuis deux ans déjà, il travaille comme reporter, quand on veut bien l'engager. Et vu son allure, le boulot se fait rare, et les cachets sont minces...

Bientôt, Gerta et André vont se rapprocher, s'installer ensemble et André va faire découvrir à Gerta les rudiments de la photographie. D'abord, la technique, le reste viendra avec l'expérience. Le reste, c'est le point de vue, l'oeil, ce qui permet de faire une photo qui ait du sens et qui marque les esprits. Et Gerta va se révéler très douée en la matière.

Mais, cela ne suffit pas à accroître leurs maigres revenus. Alors, Gerta a une idée : André Friedmann et Gerta Pohorylle n'arrivent pas à vendre leurs clichés de manière satisfaisante. En revanche, les photographes américains, eux, sont très demandés. Pourquoi ne pas se faire passer pour l'un d'entre eux, afin d'imposer leur signature ?

Ainsi, dans une chambre d'hôtel parisienne, naît Robert Capa, dont André et Gerta sont les secrétaires, les représentants. Et pour ne pas être en reste, Gerta devient Gerda Taro. Des noms de guerre, de guerre contre le fascisme, ennemi désigné, que Gerda entend combattre toujours et partout jusqu'à ce qu'il crève.

Ensemble, ils vont former un tandem prolifique et couvrir le nouveau foyer qui vient d'apparaître au sud de l'Europe : l'Espagne, où le général Franco entend renverser la République. Ils vont raconter ce conflit en images, du côté des troupes républicaines, témoins des dissensions et de la désorganisation qui minent ceux qui devraient s'unir contre les fascistes, et se placer au plus près des combats...

"Regarder" n'est pas une biographie romanesque, mais le portrait de cette femme exceptionnelle, libre et déterminée, engagée et luttant contre le fascisme jusqu'à y laisser sa vie. Ce n'est pas non plus à proprement parler un roman historique, car l'auteur intervient à plusieurs reprises dans le cours de récit pour donner des précisions sur les personnages, qui concernent les périodes ultérieures.

Car nombreux sont les personnages côtoyés par Gerda qui auront un destin, une carrière, une notoriété, même. Elle est membre d'une génération montante, d'une jeunesse qui ne veut pas se laisser étouffer par les dictatures en train de dévorer l'Europe, mais qui devront pour la plupart, attendre l'après-guerre pour pouvoir s'imposer.

En fait, on pourrait dire que ce livre, ce sont des instantanés. Des épisodes qui, mis bout à bout, racontent le destin fulgurant d'une jeune femme que rien ne semblait destiner à cela. Sans les événements de Leipzig, qui sait ce qu'aurait fait Gerta Pohorylle. Aurait-elle même eu le temps de fuir l'Allemagne ?

En choisissant l'exil, sans jamais se résigner ni renoncer à se battre, elle va modifier radicalement le cours de son existence et faire la rencontre décisive, celle d'André, que le monde va connaitre sous le nom de Robert Capa. Une relation mouvementée, avec des moments très forts, des disputes et même des ruptures, une collaboration professionnelle qui aurait sans doute elle aussi fini par diverger.

Car la rencontre avec Capa est sans doute autant le moment décisif de la vie de Gerda que sa malédiction... En inventant Robert Capa, elle ne réalise pas tout de suite qu'elle se condamne à l'ombre quand la lumière se concentrera sur lui. Deux photographes, mais une unique signature, celle de l'homme. Et Gerda devient seulement la Capa's girl (surnom que va lui donner Hemingway).

Mais, comme elle le dit si bien avant même de quitter l'Allemagne, quelques jours après être sortie des prisons nazies, elle n'a pas l'intention de rejoindre une structure, ici un parti politique, car ce sont des partis d'hommes. Elle se veut libre, indépendante en tout domaine, dans sa vie professionnelle, comme dans sa vie sentimentale et amoureuse.

Personne ne la contraint, personne ne l'entrave, personne ne l'empêche de vivre et d'être. Pas plus Robert Capa que les autres... Lorsqu'elle meut, en 1937, il y a de l'eau dans le gaz entre Capa et elle. Il n'est d'ailleurs pas en Espagne à ce moment-là. Et l'on peut encore se demander ce qu'elle serait devenue si elle avait vécu. La signature "Photo Taro" se serait-elle imposée avec la même puissance que "Photo Capa" ?

Au lieu de cela, elle a disparu. Physiquement, mais aussi professionnellement... Et Serge Mestre dresse alors un portrait fort ambigu de Robert Capa : un amoureux transi, qui ne se remettra jamais de la mort de Gerda, lit-on partout, mais qui ne rendra jamais à César / Gerda ce qui lui appartenait. Pire, les photos de Gerda vont disparaître pendant 70 ans et les voir réapparaître relève du miracle.

A ce point, je sors un peu du cadre strict du roman pour évoquer ce que l'on appelle "la valise mexicaine". En 1939, deux ans après la mort de Gerda, Capa fuit Paris en catastrophe devant la déferlante nazie. Juif et communiste, il sait que s'il reste là, il subira ce que tant d'autres vont subir de la part de ces barbares.

Il abandonne derrière lui une valise, remplie de clichés. On parle de 3000 à 4000 photographies, prises pendant la Guerre d'Espagne. Certaines ont été prises par lui, les autres par Gerda Taro et par leur ami commun, David Seymour, qui signait alors sous le pseudonyme de Chim. La suite, c'est une histoire qui mériterait qu'on en fasse un roman.

Car ces photos ne vont pas être détruites, elles vont voyager, et voyager pendant longtemps. En fait, elles vont réapparaître au Mexique, à la fin de l'année 2007. Evidemment, des personnes connaissaient leur existence auparavant, mais sans la rendre publique. Elles sont alors remises à Cornell, le frère de Robert Capa, lui aussi photographe. Cela se passe quelques mois avant sa mort.

En 1974, Cornell avait fondé à New York, où il s'était installé, l'International Center of Photography, une fondation qui regroupe un musée dédié à la photo, une école et un centre de recherches. C'est donc naturellement à cette institution qu'il a confié la fameuse valise et son précieux contenu, afin de le répertorier et de valoriser son contenu. Pour jeter un oeil à ces photos, cliquez !



Refermons la parenthèse, revenons à "Regarder", ce roman au titre si fort. Car il s'agit bien de cela : regarder pour fixer sur la pellicule les moments les plus marquants, les plus forts, regarder pour transmettre, pour informer, regarder pour combattre, promouvoir la liberté. Regarder les événements au plus près pour les donner à voir à ceux qui sont loin.

"Gerda a senti dès le premier jour (...)que rien n'était plus subjectif qu'une photographie, que l'objectivité ne faisait pas partie du monde du photographe, que bien photographier c'était prendre parti, c'était dire son opinion, et que la photo était une opinion", écrit Serge Mestre. La photo comme engagement politique, pour Gerda, c'était une évidence, dans ce contexte si particulier des années 1930.

Serge Mestre, d'ailleurs fils de républicains espagnols venus s'installer en France pour échapper au franquisme, ce qui explique sans doute son intérêt pour Gerda Taro et pour son engagement de tous les instants, dresse un portrait flamboyant d'une jeune femme que rien ne semblait pouvoir arrêter, pleine de vie et de joie, mais aussi de colère et de rage.

Une femme libre, je l'ai déjà écrit, bouillonnante, sans cesse en mouvement, redoutant par-dessus tout l'ennui, qui la gagnait très vite. Et cela valait aussi pour les hommes qui lui plaisaient, Capa compris. Un personnage formidable, à l'énergie contagieuse, qui a parfaitement retenu la leçon de celui qui l'a formée et affiché clairement son ambition d'être au plus près des événements...

Son fort caractère a marqué les esprits de tous ceux qui l'ont croisée et que l'on rencontre, brièvement, dans le cours du roman. J'ai déjà cité Hemingway, on peut y ajouter Saint-Exupéry, qui ne partageait pas les mêmes idées politiques, mais la salua respectueusement, Aragon, qui l'embaucha, ou encore José Bergamin, Rafael Alberti et son épouse Maria Teresa Leon...

De la même manière, elle marque les esprits du lecteur qui, comme ça a été mon cas, la découvre. Serge Mestre, il faut d'ailleurs le signaler, n'est pas le premier à évoquer Gerda Taro. François Maspero, dès 2006, avant la découverte de la valise espagnole, lui consacre un portrait, et à l'automne dernier, les éditions Actes Sud ont publié "la Fille au Leica", d'Helena Janeczek.

Figure marquante de son époque, elle fascine donc encore de nos jours des personnalités très différentes, aux horizons variés. Et désormais, son talent est universellement reconnu, son travail est salué par tous pour sa qualité et ce qu'elle permet de découvrir de la Guerre d'Espagne. A travers elle, ce sont aussi ces anonymes qui revivent, ces visages, ces regards, ces gestes. Ces sourires, aussi, avant le pire...

Gerda Taro.
Je pourrais en finir avec cette photo, mais je voudrais avant de conclure évoquer un ou deux aspects de "Regarder" qui ne concernent pas seulement le personnage de Gerda. D'abord, la plongée dans l'époque, et en particulier ces années 1930, qui ne cessent d'osciller entre espoirs et désillusions, entre aspirations à la paix et montée des violences.

On remarquera d'ailleurs que l'optimisme domine largement : tout cela ne peut pas durer, force reviendra nécessairement à la raison et les fascismes tomberont. Oui, mais à quel prix... Et même si les champs de bataille sont un formidable terrains d'expression pour ces reporters qui sont de vraies têtes brûlées (Capa lui-même sautera sur une mine en Indochine), ils espèrent une paix de plus en plus hypothétique.

L'autre aspect, c'est la photographie, qui entre dans une nouvelle ère à cette période : les appareils sont de moins en moins encombrants et le temps d'exposition a sérieusement diminué. ces progrès permettent aux photoreporters de travailler et d'être au plus près, on y revient encore et toujours, des événements. Le Leica III, apparu en 1933, va d'ailleurs vite équiper ceux qui vont faire émerger cette profession.

Et le choix du Leica est tout aussi logique, par les avancées qu'offre cette société allemande, que symbolique, puisque Ernst Leitz II, à la tête de l'entreprise au début des années 1930, et sa fille sauveront des centaines de juifs, des employés et leurs familles. Quand on vous dit que la photo était une arme contre les fascismes...

Et puis, le dernier mot concerne un élément qui m'a amusé dans "Regarder" : le recours récurrent aux onomatopées, le fameux "clic ziiip" que faisait justement ces appareils, lorsqu'on appuyait sur le déclencheur et que la pellicule avançait. Oh que tout cela doit sonner de manière délicieusement désuète à celles et ceux qui ne jurent désormais que par le numérique...

Serge Mestre, qui utilise ce petit truc avec parcimonie, je vous rassure, ne donne donc pas seulement à voir (on croise certaines descriptions de photos qui ont marqué les mémoire, d'autres qui étaient dans la valise mexicaine), mais aussi à entendre, parce que ce simple bruit est incroyablement évocateur, une espèce de madeleine de Proust auditive.

Et parce que ce bruit apparemment anodin est celui qui vient s'opposer aux armes lourdes qui se déchaînent...