Vous l'avez peut-être oublié, mais depuis 2012, notre monde a pris fin. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les Mayas. Enfin, leur calendrier. Enfin, certaines personnes un peu plus pessimistes que la moyenne qui ont décrété que ce calendrier annonçait la fin du monde... Bref... Mais, avouez que si je vous dis le mot Mayas, certains répondront "abeille" et ils peuvent sortir tout de suite, quant à un bon nombre d'autres, ils évoqueront sans doute cette histoire de calendrier. Voici un roman qui joue avec les mythes et légendes de la civilisation maya, sans tomber dans ce cliché facile du calendrier. "L'oeil de Chaac", premier roman d'Emma Lanero, publié dans la collection jeunesse "Electrogène" aux éditions Guf Stream, est un thriller fantastique qui nous fait voyager entre l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale à la recherche, non pas d'un diamant vert, mais d'un objet d'un tout autre genre. Et un poil plus dangereux...
Le professeur Davis est un archéologue américain, spécialiste de la civilisation maya. Il serait même sans doute le plus grand spécialiste au monde de ce domaine, s'il n'avait pas cessé, depuis près de 40 ans, tout travail sur le terrain après une expédition qui a mal tourné, près du site de Copan, à la frontière du Honduras et du Guatemala.
Depuis, il n'a plus quitté son université et, s'il a poursuivit ses travaux, en particulier dans la compréhension des glyphes mayas, obtenant des résultats remarquables, il n'a jamais pu se débarrasser de ces douloureux souvenirs. L'alcool venant s'ajouter au désespoir, sa réputation s'est nettement altérée dans le petit monde de l'archéologie.
Keith est un jeune Irlandais tout juste sorti de prison. Lors d'un deal autour d'un trafic d'armes à Caracas, il est le seul survivant d'une fusillade. L'affaire a salement dégénéré, subitement, quand ses propres partenaires lui ont tiré dessus... Oh, Keith sait bien pourquoi ils ont agi ainsi, il le redoutait, même. Mais, ce massacre, il ne s'y attendait pas.
Et ce n'est pas tout. Dans le coaltar, il est kidnappé par une bande d'Indiens qui l'emmène dans un village, sur le territoire d'un parc national. Et, manifestement, si l'on en croit les intentions de ses ravisseurs, le fait d'avoir survécu à la fusillade n'est qu'un sursis... Pourtant, il va encore s'en tirer, de justesse, et se lancer, sans en avoir encore conscience, dans une incroyable aventure.
Kaya est une jeune indienne au destin peu ordinaire. Alors qu'elle n'était qu'une petite enfant, un raid de l'armée a détruit son village natal, permettant aux promoteurs de s'approprier une nouvelle parcelle de forêt tropicale. Kaya a alors été confiée à une tribu qui a décidé d'en faire une chamane. C'est ce qui explique les tatouages qui couvrent la totalité de son corps.
Ce qui n'était pas une vocation est devenue peu à peu un rôle qu'elle a accepté. Il ne lui reste plus qu'à terminer son initiation pour devenir chamane et envisager la suite de son existence en lien étroit avec la nature et apportant son savoir à un village. A condition qu'elle se débarrasse de certaines entraves qui l'empêchent d'avancer dans cette direction. A commencer par Aru...
Aru a connu exactement le même parcours que Kaya. Mais le jeune homme n'a pas du tout accepté que d'autres décident de son sort. Lui refuse de devenir chamane et il a trouvé une toute autre activité : racketter, souvent violemment, les orpailleurs qui essayent de trouver de l'or dans les résidus des mines locales.
Aru est donc devenu un voyou, et quelqu'un de plutôt dangereux, que la police recherche. Ce qui ne l'empêche pas de veiller jalousement sur Kaya, qu'il empêche de voler de ses propres ailes. Mais les événements vont pousser Kaya à quitter Aru. Et ce que la jeune femme craignait va se produire : il va tout faire pour la rattraper...
Gabriel est un collectionneur averti. Il a toujours collectionné quelque chose, depuis l'enfance. Mais, désormais adulte et possédant une fortune colossale, il a préféré délaisser de prometteuses études pour se consacrer à cette passion dévorante de la "collectionnite". Ou plutôt, il a décidé de faire mieux que son père dans ce domaine. Par tous les moyens.
Et, vous le découvrirez, les moyens en question ne concernent pas que la façon d'acquérir de nouvelles pièces rares, mais aussi le choix de collectionner des artefacts tout à fait... particuliers. Cette fois, il lorgne un objet qui pourrait être le sommet de toutes ses collections. D'abord, parce que tout le monde pense qu'il s'agit d'un mythe, ensuite, parce que sa valeur est inestimable...
Enfin, parlons de Xingu. Lui aussi est indien, descendant de cette civilisation maya, mystérieusement éteinte avant même l'arrivée des Européens sur le continent. Il tient un bar dans la jungle vénézuélienne, dans lequel viennent boire mineur et chercheurs d'or, bien loin de son pays natal, le Guatemala. Un exil volontaire, mais qui n'a pas apaisé son esprit.
Car, en partant vers le sud, dans ce coin perdu où il est peu probable qu'on le retrouve, Xingu a emporté avec lui des souvenirs qui lui donnent encore le frisson, tant d'années après... Et ces souvenirs ne sont pas les seuls secrets que cache cet homme, le lecteur aura l'occasion de le découvrir tout au long du roman.
Voilà, j'ai choisi d'entamer ce billet en vous parlant des personnages plus que de l'histoire. Et encore, ils sont juste esquissé, avec un minimum de liens établis entre eux. Il manque toutefois un dernier personnage, si je puis le qualifier ainsi. Il s'agit d'un objet, une sphère, à l'histoire bien sombre et au pouvoir dévastateur... N'en disons pas trop, c'est le coeur de l'intrigue.
Pourquoi ne pas vous en dire plus sur l'histoire ? Eh bien, parce que j'ai tout de même dégagé six personnages qui apparaissent au fil du roman et qui, par leurs interactions, vont tisser la trame de ce thriller fantastique. Difficile, à mes yeux de trop les mettre en lien, car, si certains apparaissent immédiatement, d'autres vont s'établir dans le cours de l'histoire.
Et puis, un dernier mot. Un petit bémol qui concerne le roman lui-même, mais qui est peut-être surtout le fait de l'adulte que je suis, dont l'âme d'adolescent est aussi endormie qu'Hibernatus dans ses glaces... Plus sérieusement, il y a deux éléments qui sont donnés au début du roman et qui ont fait tilt chez moi, m'amenant à comprendre d'emblée un des éléments forts du récit.
Plus tard, je me suis rendu compte que mon hypothèse était erronée, mais que ce que j'avais pressenti dès les premières pages apparaissait bien par la suite. Maintenant, je ne crois pas que ce soit un élément rédhibitoire non plus, ni que cela dérange plus que cela le jeune public qui est celui visé par ce roman, donc, laissons cela et revenons à nos moutons.
L'idée de "l'Oeil de Chaac" est assez classique et joue avec des recettes de films d'aventures, d'horreur ou catastrophes. Amusant, d'ailleurs, de voir que le fameux objet est un moment appelé "la Chose", ce qui n'est pas sans rappeler un film de John Carpenter. Entre légendes mayas, poursuite dans la jungle (au milieu de paysages splendides) et danger imminent, il n'y a aucun temps mort.
Mais la force de ce roman c'est, comme je l'ai dit en préambule, d'éviter l'écueil du calendrier maya et de sa malédiction censée nous tomber dessus, et le ciel avec, à intervalles réguliers, au gré des délires millénaristes. Non, Emma Lanero nous offre une intrigue qui repose sur tout autre chose, bien plus intéressant et reposant sur d'autres aspects.
Là encore, je ne vais pas entrer dans le détail de ce qui se passe, des premiers chapitres qui nous amènent lentement des origines à l'époque contemporaine. Emma Lanero joue habilement avec des événements réels pour les intégrer à son histoire, et cela fonctionne, si l'on excepte cette légère réserve déjà évoquée.
J'ai pris un réel plaisir à la lecture de ce roman, avec quelques enchaînements que j'ai trouvés un peu rapides, parfois, mais ne pinaillons pas. C'est une histoire qui va vite, qui vous embarque et vous entraîne, au rythme qui ne décroît pas et dont la dimension fantastique suit un crescendo qui offre pas mal de surprises au lecteur.
Ajoutez à cela une écriture très visuelle, qui donne une vraie vie à l'ensemble. J'ai lu ici et là des commentaires évoquant le cinéma, à propos de ce style, pour moi, "l'Oeil de Chaac" m'a plus fait penser à une bande dessinée, allez savoir pourquoi. Peut-être parce que les poursuites m'ont rappelé des lectures anciennes, comme Ric Hochet, par exemple (oui, je vous parle d'un temps... je sais...).
Et puis, parmi les thèmes centraux de cette histoire, il y a la Nature, avec ou sans majuscule, et la relation que l'homme entretient avec elle. Les questions environnementales sont au centre de bien des préoccupations, et ici, c'est l'enjeu. On est dans une région du monde que tout cela concerne de près, avec des peuples autochtones attachés à cette nature luxuriante, profondément enracinées, sans jeu de mots.
Il y a la nature, et puis, il y a les ambitions humaines, la cupidité, l'exploitation des ressources terrestres, débridée, irraisonnée... Il y a un monde contemporain qui ne s'embarrasse plus vraiment de morale, encore moins de spiritualité... Il y a de vieilles croyances, des légendes enfouies, des récits qu'on se raconte à la veillée pour se faire peur...
Tout cela fait partie des ingrédients dont dispose Emma Lanero pour son histoire, dans laquelle la nature devient un personnage à part entière. Peut-être serez-vous d'ailleurs frappé comme je l'ai été (et je ne suis pas le seul) par son omniprésence... Vous allez me dire, si on se course en pleine jungle, forcément, la nature est là, tout autour... Certes, certes...
Mais, ce n'est pas tout. Surveillez les animaux... Insectes, papillons, arthropodes, autres bestioles du même genre que l'on rencontre et que l'on suit, presque façon "Microcosmos". Ils sont là, bien présents, à des moments apparemment anodins, ou au contraire, au comble de la tension, ils sont là et ils s'imposent à nous, comme des témoins. Comme des observateurs...
Emma Lanero conclut son roman par une série d'annexes, dans lesquelles elle revient sur les références, en particulier en matière spirituelle, qui nourrissent son livre, exemples à l'appui. Ce sont des précisions très intéressantes qui viendront enrichir la lecture, que l'on soit adolescent ou adulte, mais qui remettent également en perspective cette relation de l'Homme à la Nature.
Derrière l'intrigue de thriller, derrière le danger permanent qui guette les personnages (et un danger qui n'est pas seulement humain), s'élabore une quête initiatique aux objectifs différents selon les personnages. Accomplissement, rédemption, transmission... Il y a aussi tout cela dans "L'Oeil de Chaac", et pas seulement pour faire joli, mais aussi pour que nous en tirions quelques enseignements.
A l'arrivée, ce fut un très bon moment de lecture, en particulier la première partie, dans laquelle j'ai évolué sans jamais me dire que je lisais un roman jeunesse. Je l'ai bien plus ressenti dans la seconde moitié, même si j'ai accroché jusqu'au bout, ne serait-ce que pour voir comment l'auteure allait intégrer à son histoire l'événement que je pressentais.
Un bon divertissement qui mérite qu'on dépasse le simple aspect thriller fantastique pour considérer les dimensions plus profondes. Et puis, il y a cette culture maya, finalement plutôt sous-utilisée dans la littérature, tous genres confondus, et qui nous emmène dans quelque chose de dépaysant et d'évocateur sans être didactique ou empesé. Pas mal pour un premier roman !
J'ai grandi avec Ric Hochet, Gil Jourdan, Blake et Mortimer, Alix.....Bien vu Joyeux Drille! Merci pour cette chronique fort intéressante et très fouillée
RépondreSupprimerEmma Lanero