mercredi 20 mars 2019

"Ils échangèrent un sourire complice. C'était inhabituel et dangereux, mais au moins c'était amusant".

Une découverte, aujourd'hui. A plusieurs titres, parce qu'il s'agit d'une jeune maison d'édition et d'une romancière que beaucoup d'entre vous vont découvrir. Et puis, un plaisir de lecteur pour qui apprécie ce genre si particulier du roman de cape et d'épée. Dans le cas présent, c'est servi à la sauce fantasy, mais les ingrédients de ce genre très ludiques sont tous là : combats, panaches, complot, trahisons, amitié... Et même un méchant qui fait plus penser à ceux de James Bond qu'au cardinal de Richelieu... "Dans l'ombre des Miroirs", de Marge Nantel (en format poche aux éditions 1115), est aussi l'occasion de découvrir un personnage qui serait parfait pour fonder une série, le baron Jon Malakine. Le genre de personnage qui rend l'existence moins banale, moins monotone ; un homme insaisissable, d'une sérénité à toute épreuve, plein de surprises et possédant malgré tout un vrai côté sombre... Un héros ? Peut-être, mais pas forcément au sens où on l'entend...


Gil de Sabhe, aristocrate sans fortune, s'est très jeune dédié aux métiers des armes. Car, à Askaar, il n'y a jamais très loin à aller pour trouver une guerre. Dans sa jeunesse, il s'est formé auprès des meilleures guildes d'assassins, mais c'est finalement la carrière de mercenaire qu'il a embrassée. C'est un excellent soldat, un bretteur fort habile qu'on n'hésite pas aussi à embaucher comme garde du corps.

De retour à Cardane, il décide de rendre visite à son meilleur ami, Canopée, qui lui est devenu l'un des assassins les plus réputés du pays. Celui à qui l'on confie les contrats les plus délicats, celui à qui l'on demande, quand c'est nécessaire, de faire disparaître en toute discrétion les empêcheurs de tourner en rond, qu'ils soient puissants ou non.

Et justement, ce soir-là, Canopée est au boulot. Un contrat pour un riche commerçant de la ville, le genre de mission ordinaire, sur le papier, mais qui a pris un tour tout à fait inattendu, et convenons-en, fort désagréable. Quelque chose qui ressemble à un piège pour se débarrasser de lui, dont Canopée ne s'est tiré que parce qu'il est le meilleur dans son domaine.

Mais le voilà avec six cadavres encombrants, surtout quand sa besogne est avant tout de se montrer discret... Et pas mal de questions en tête, car décidément, cette mission anodine ne s'est pas du tout déroulée comme prévu. Canopée espère que le Maître de sa guilde aura quelques réponses à lui donner, et c'est accompagné de Sabhe qu'il se rend chez lui.

Au lieu de ça, la situation s'aggrave encore : voila Canopée accusé d'avoir tué son commanditaire ! Surprise totale, l'assassin n'y est pour rien, et cette nouvelle le décontenance, lui qui ne se laisse pas désarçonné facilement. Tout cela sent de plus en plus mauvais, Canopée s'est fait piéger dans les grandes largeurs et il n'aime pas ça du tout.

Soit il mourait dans l'embuscade, et on en parlait plus, soit il s'en sortait, mais se retrouvait accusé, au risque d'ôter tout crédit à sa guilde... Dans tous les cas, il est perdant, et son Maître le sait. Alors, pour éviter tout malaise, ce dernier offre une porte de sortie à Canopée : une mission dans une autre ville, à Rill, pour se débarrasser d'un homme dans la plus grande discrétion.

Dans ce contexte, la mission n'enchante guère Canopée. Et puis, Rill, c'est un ennui mortel, pire que l'exil ! Mais, il ne peut guère faire autrement, la situation est brusquement devenue trop instable à Cardane. Alors, il accepte la mission, ainsi que la proposition de Sabhe de l'accompagner. Mais, avant de partir, un petit tour chez ce commanditaire assassiné s'impose...

Ce serait bien mal connaître Canopée que de penser qu'il puisse partir en laissant derrière lui cette histoire trouble. C'est sa réputation qui est en jeu et, une fois le contrat à Rill réalisé, il reviendra à Cardane régler ses comptes avec ceux qui ont cherché à lui nuire... Des ennemis encore invisibles qu'il espère bien démasquer en fouillant la maison du mort...

Ce qu'ignorent encore Canopée et Sabhe, c'est que le complot dans lequel ils se retrouvent impliqués bien malgré eux, est bien plus vaste qu'ils ne le pensent. Et surtout, que le contrat que Canopée doit remplir à Rill va s'avérer bien moins évident qu'ils ne le croient. La faute à la victime désignée : un certain Jon Malakine, baron de son état...

Restons-en là pour le résumé, on reviendra sur la personnalité de Malakine un peu plus loin, mais je vous laisse découvrir les éléments qui vont sérieusement compliquer la tâche de Canopée et de Sabhe, qui lui, joue les accompagnateurs, les inspecteurs des travaux finis. Une bonne partie du roman repose sur la rencontre entre Canopée, Sabhe et Malakine, et la relation qui va s'instaurer.

Mais, avant d'aller plus loin, il convient d'évoquer le contexte dans lequel cette histoire se déroule. Askaar est un royaume humain, dans lequel la magie existe. Elle a même longtemps servi à protéger le territoire d'encombrants voisins avec lesquels les frictions étaient monnaie courante. En clair, longtemps Askaar a été en guerre avec ces ennemis héréditaires.

Il y a d'une part le Royaume elfe de Pierre de Lune, des adversaires redoutables, et de l'autre, un royaume composé d'Ogres et d'Orcs, à la force physiques impressionnante, à défaut d'avoir une très grande intelligence. Chacun à leur manière, ces deux camps incarnent une menace latente pour Askaar, qui a usé de tous les moyens pour se protéger.

Et la magie en a fait partie : elle a servi à créer ce qu'on appelle les Disques. Un dispositif qui a permis de "mettre sous cloche" le royaume, en tout cas de protéger efficacement ses frontières et de décourager toute tentative d'invasion. Un système d'une très grande puissance qui, hélas, a fini par être dévoyé par ceux qui régnaient alors sur Askaar.

En s'appuyant sur sur les Disques, c'est un pouvoir despotique qui a pris progressivement forme. Les opposants ont été traqués, éliminés, parfois. Mais, face à cette situation, la contestation a grandi et, quatre ans avant l'histoire qui est au coeur de ce roman, une révolution a éclaté. Le pouvoir a été renversé et les Disques ont été détruits.

A la tête du mouvement, un jeune seigneur rebelle, Sinewanda, qui est aujourd'hui à la tête du royaume après avoir pris part à la chute des Disques, un épisode qui nous est raconté en prélude du roman. Si cette révolution a ramené une certaine liberté dans le royaume, elle l'a aussi fragilisé, puisque la protection assurée par les Disques n'existe plus.

Et voilà donc le retour des menaces extérieures, des conflits frontaliers et des craintes de voir les Elfes, les Orcs ou les deux déferler vers Askaar... C'est peu dire que le très populaire Sinewanda a de gros soucis et que lourde est la tête qui porte la couronne. Et ces inquiétudes, on va le comprendre, ne sont pas les seules choses à peser sur ses épaules...

"Dans l'ombre des miroirs" est bien un roman de fantasy, c'est incontestable. La magie, si elle a été plus ou moins éradiquée, existe bel et bien, on s'en sert encore, ne serait-ce que pour communiquer grâce aux miroirs, eh oui, les voilà, les miroirs du titre. Et le royaume d'Askaar va devoir gérer les questions posées par les Elfes et les Ogres, seuls les premiers offrant une sortie diplomatique...

Mais, le roman de Marge Nantel est aussi un pur roman de cape et d'épée, dans la lignée des classiques du genre. Amusant, d'ailleurs, de voir se former le groupe autour de Malakine, curieusement plus proche d'un Cyrano que d'un D'Artagnan, avec Canopée et Sabhe, mais aussi Cyal, que je n'ai pas encore évoqué, mais dont le rôle est fondamental dans ce qui va se passer.

A eux quatre, ils vont former un groupe en marge de tout, hétéroclite et reposant sur une base précaire, le lecteur comprend aisément pourquoi, mais uni par une espèce d'alchimie inexplicable qui laisse penser qu'ensemble, ils peuvent aller loin, affronter bien des dangers et se muer en justiciers capables d'enrayer les plus sombres complots.

Ah, Jon Malakine... Evidemment, Gil de Sabhe est le personnage central du livre, c'est son point de vue que l'on suit essentiellement, mais celui qui immédiatement, dès son apparition, marque les esprits, c'est bien cet étrange Jon Malakine, personnage excentrique, déjanté, presque, se fichant des convenances et des étiquettes, totalement imprévisible.

En d'autres circonstances, il serait l'incarnation du cool, mais c'est un peu anachronique comme perception, ici. Nul ne sait vraiment ce qui passe par la tête de Jon Malakine. Parfois, lui-même semble ne pas trop le savoir, d'ailleurs, mais jamais il ne s'énerve ou ne s'affole, sûr de ses forces, de ses talents, aussi. De son sens de l'improvisation.

Malakine, c'est un joueur. On a le sentiment qu'à chaque situation, il essaye de tirer une espèce de plaisir qui rappelle celui d'un joueur de poker ayant réussi son bluff. Mais un joueur dont la mise est quasiment toujours sa propre vie. Et aussi celle de ceux qui l'accompagnent, Canopée et Sabhe vont vite le comprendre... Une sympathique tête brûlée.

Mais surtout, un personnage possédant une grande part de mystère... Qui est-il vraiment ? Difficile de le savoir, comme il est difficile de comprendre pourquoi on a demandé à Canopée de l'éliminer, et de le faire le plus discrètement possible... L'identité de Malakine, son rôle sur l'échiquier délicat de la politique tourmentée d'Askaar devient vite un des enjeux de cette histoire.

Et, dans son sillage, cette part d'ombre qui accompagne forcément le mystère : doit-on ranger Jon Malakine dans les gentils, les méchants ou est-il à ce point un électron libre que ce classement simpliste n'est pas fait pour lui ? Il a ce charisme impressionnant, qui fascine jusqu'aux gros durs que sont Sabhe et Canopée (ce sont eux qui échangent le sourire complice du titre et s'amusent dans cette histoire pourtant fort périlleuse), mais aussi le lecteur.

Un charisme qui donnerait aussi envie de le suivre plus longtemps... J'ignore s'il est dans les intentions de Marge Nantel de travailler à nouveau autour de ce personnage et du royaume d'Askaar, mais le lecteur que je suis ne serait pas contre (oh, la belle litote !) de nouvelles aventures et une série autour de Malakine. Ne serait-ce que pour essayer de mieux le cerner, qui sait ?

"Dans l'ombre des miroirs", c'est un vrai plaisir de lecteur pour qui a biberonné les livres d'Alexandre Dumas dans sa jeunesse, pour cette génération, à laquelle j'appartiens, qui a aussi grandi en regardant "La Dernière séance", qui proposait régulièrement les films de cape et d'épée, avec un Jean Marais qui aurait certainement fait un merveilleux Malakine.

Dumas, bien sûr, il est la figure tutélaire, et je l'ai dit, par certains aspects, on songe aux "Trois mousquetaires". Mais, on est sans doute encore plus proche de ce que fait un Pierre Pevel, quelque part entre Wielstadt et "Les Lames du Cardinal". Un jeu, car à l'image de son personnage, la romancière elle aussi joue et s'amuse, on le ressent, qui marie la fantasy et la cape et l'épée avec efficacité.

Tout cela est très plaisant et s'installe dans un univers très sombre, et pas seulement parce qu'il est souvent nocturne. Il y a, à Askaar, bien des secrets et des non-dits. C'est un terrain idéal pour les complots de toutes sortes, y compris là où on ne les attend pas forcément... Il y a de l'aventure, des rebondissements, des émotions fortes, un brin d'humour, d'excellents personnages.

Car, comme toujours avec ce genre de livres, il y a aussi des méchants qui claquent. Si Canopée et Sabhe, de par leur fonction, ou même Malakine sont des personnages qui ne rentrent pas aisément dans des cases, du moins celle qu'une morale classique définit, d'autres en revanche, sont clairement étiquetés "méchants".

Je pense à un assassin tenace et créatif, cynique et déterminé que l'on va suivre dans sa sinistre besogne, mais n'en disons pas plus à son sujet, mais aussi à celui que je vais appeler "l'homme à la pipe", puisque c'est à peu près tout ce que l'on sait de lui... Il apparaît régulièrement, cerveau du complot en marche (tiens, entre le cerveau et la pipe, j'aurais bien vu David Niven dans ce rôle), observant, agissant dans l'ombre.

Je le disais en introduction, il a quelque chose d'un méchant de James Bond, d'un Blofeld sans son chat, un chef d'orchestre occulte aux visées bien sombres, et qu vient même donner au roman une touche politique dont la portée dépasse le cadre de la fantasy : une figure porteuse d'un nationalisme mortifère, prêt à toutes les manigances pour s'imposer et imposer sa tutelle totalitaire...

Voici donc un roman et une romancière à découvrir, grâce à la jeune maison lyonnaise 1115, agence de voyages littéraires, comme elle se présente. Ici, le contrat est rempli et c'est une enseigne que les amateurs de SFFF vont apprendre à connaître, car leurs publications méritent le coup d'oeil. Avec le choix de publier directement en poche (si les petits caractères vous effraient, optez pour le numérique), et donc d'offrir des prix raisonnables.

J'enlève ma casquette de commercial, ce n'est pas mon rôle et je n'ai rien à y gagner. En revanche, insister sur le travail effectué par une jeune structure pleine d'envie et d'ambition, là oui. Dans ce marché si difficile de l'édition, où l'on ne se fait jamais une place aisément, voici une adresse à retenir et à soutenir. Et dont nous reparlerons bientôt, en SF ou en fantasy.

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