mercredi 19 septembre 2012

Maman est en voyage d'affaires...

Voilà près de 10 ans, que le temps passe vite, j'achetai un livre dont le titre m'intriguait : "autobiographie d'une courgette". Un très bon moment de lecture, plein d'émotions, allant du rire aux larmes. Avec, au coeur de l'histoire, les questions du deuil et de la solitude posée à un jeune enfant. Aujourd'hui, par la grâce d'un célèbre réseau social, j'ai eu l'occasion d'avoir quelques discussions intéressantes avec Gilles Paris, auteur de ce roman, et, de fil en aiguille, l'envie de lire son dernier livre, "Au pays des kangourous" (en grand format aux éditions Don Quichotte). Grand merci à vous, Gilles, pour ces échanges et pour ce livre.


Couverture Au pays des kangourous


Simon, 9 ans, est un petit garçon timide, curieux et rêveur. Il vit avec son papa, Paul, écrivain mais pas romancier, non, Paul écrit les livres des autres, qui oublient toujours de le remercier en citant son nom, et avec sa maman, Carole, cadre supérieure chez Danone, véritable working girl qui a choisi de faire passer sa carrière avant tout.

Preuve de cette ambition, Carole a accepté un poste qui l'oblige à passer la majeure partie de son temps en Australie, le pays des kangourous, comme l'appelle Simon. Un pays qui attire tellement Carole qu'elle y passe de plus en plus de temps, laissant son époux et son fils à Paris, loin d'elle... Il faut reconnaître que, même lorsqu'elle est là, Carole ne manifeste pas un enthousiasme débordant envers sa famille...

Simon, narrateur du roman, est témoin de disputes de plus en plus fortes entre ses parents et lui-même se sent un peu délaissé par cette mère qui ne s'est jamais vraiment occupée de lui. Et qui, les responsabilités aidant, semble s'éloigner de son foyer un peu plus chaque jour.

Jusqu'au jour où, semble-t-il, son travail au pays des kangourous l'accapare tellement qu'elle ne revient plus. Une absence qui intrigue Simon mais qui chamboule plus encore son père. Un matin, en se levant, l'enfant trouve son père allongé dans la cuisine, la tête dans le lave-vaisselle. Et Paul se montre manifestement peu désireux de quitter cette posture peu ordinaire et quelque peu gênante...

Simon appelle alors à sa rescousse Lola, sa grand-mère paternelle, une femme plutôt originale, pour ne pas dire extravagante, qui va le prendre sous son aile pendant "l'absence" de son père. Le jeu de mots est facile, mais derrière lui se cache une douloureuse réalité : Paul a sombré dans une profonde dépression. Fini la lueur vert feuille dans le regard devenu gris terne, finies les attentions et les gestes affectueux envers Simon, finies les grasses matinées dominicales et les après-midis DVD...

Entre le départ de sa mère, qu'on imagine définitif, et la défaillance de son père, ce sont tous les repères du garçonnet qui s'effondrent d'un bloc. Et, à 9 ans, difficile de comprendre le monde qui vous entoure. Alors quand tout ce qui vous permettait d'avancer, ou presque, tout ce qui vous protégeait et vous permettait de vivre sans crainte ni souci disparaît, c'est toute votre existence qui change, qui devient inquiétante, impossible à anticiper...

Ses planches de salut sont sa grand-mère Lola, chez qui il va habiter pendant que son père est hospitalisé, et les amies de celles-ci, une bande de "vieilles dames" indignes, amatrices d'ésotérisme et complètement loufoques, que Simon appelle (affectueusement ?) les sorcières.

Et puis, il y a Lily. Cette petite fille étrange aux yeux violets que Simon rencontre à chacune de ses visites à son père. Elle semble régner sur ces hôpitaux telle une princesse de contes de fée et prend le pauvre Simon, perturbé, perdu, sous son aile. Elle le rassure, lui qui voit en elle la soeur qu'il aurait rêvé d'avoir, lui assure que tout cela n'est qu'un état passager, non permanent, que tout reviendra bientôt à la normale.

A propos de Lily et de ses apparitions, on peut se poser énormément de questions. Mais, sans doute chaque lecteur a-t-il un avis personnel sur le sujet, donc, je ne vous influencerai pas... Elle est le lien entre la réalité et l'imaginaire dans lequel Simon a l'habitude de se réfugier lorsque la réalité devient trop pesante. Car, régulièrement, il s'évade dans des rêves qu'il nous raconte, des rêves d'une naïveté touchante, où il revisite les  cahots de sa jeune vie à sa sauce.

Lancé dans une vie de Bohême, l'enfant s'accroche à tout ce qui peut lui sembler stable, immobile, gravé dans le marbre. Difficile, pourtant, de prendre pour devise cette magnifique phrase prononcée par Lily : "je vérifie que rien ne change, c'est rassurant". Il va falloir quelques mois de tourbillon avant que la vie de Simon, et celle de son père, ne retrouve des mers plus calmes... Avec une douloureuse vérité à la clef, mais aussi, de nouvelles pages à écrire, à commencer par ce dixième anniversaire qui approche...

Bien sûr, si vous avez lu "Autobiographie d'une Courgette", vous trouverez dans "Au pays des kangourous", pas mal de points communs. A commencer par les thèmes centraux de ces histoires : la façon dont un jeune enfant affronte la disparition d'un de ces parents, rapidement suivi par l'abandon (absolument pas volontaire, précisons-le) du second parent.

A chaque fois, le regard enfantin sur ces situations difficiles engendre un cocktail d'émotions qui va du sourire aux larmes. Bien sûr, il est terriblement touchant, le petit Simon, désemparé devant ce monde de grandes personnes qu'il ne comprend pas. Mais il est aussi en perte totale de repères à un âge où l'on a bien besoin des guides que sont nos parents. Sa mère est au Pays des Kangourous, son père à l'hôpital, et ce n'est guère le mode de vie un peu foutraque de Lola, sa grand-mère, amoureuse d'un forain, qui améliorera la situation.

Sans jouer, une nouvelle fois, les psys de bazar, on peut légitimement se demander quelle part de lui Gilles Paris a mis de lui-même dans ses romans. La douleur qu'on y sent serre le coeur, mais le talent de romancier de Paris, c'est de "l'enfouir" sous la naïveté rafraîchissante du garçon, que ce soit Icare, surnommé Courgette, ou Simon.

Plutôt que d'aborder de front les délicates questions du deuil et de la dépression, comme on le voit parfois dans la littérature contemporaine, mais plus encore dans ces témoignages de célébrités qui envahissent les gondoles et les rayonnages des librairies, Gilles Paris a choisi ce biais original et qui allège considérablement l'atmosphère qu'est le regard de l'enfant. Pour autant, il ne met pas sous le tapis les vrais problèmes auxquels ses personnages sont confrontés, c'est bien ce prisme de l'ingénuité qui modifie la perception des choses.

Une méthode qui donne une grande impression de tendresse. Ce petit Simon, on a envie de le dorloter. Je crois que si j'étais à la place du père et de la grand-mère de Simon, je serais, comme eux, bien embêté pour lui expliquer la situation. Les mots de résolvent pas les situations, pire, ils peuvent les aggraver... Simon ne comprend pas ce qui arrive à son père, ni sa maladie, ni la "grosse bêtise" qu'il va commettre (heureusement sans succès) au cours de son hospitalisation, et il sera bien temps, quand il sera lui-même adulte, de réfléchir plus sérieusement à tout cela. Peut-être ira-t-il même alors au Pays des Kangourous pour y comprendre ce qui y attirait tant sa maman ?

En attendant, il s'agit de préserver l'enfance de Simon et voilà à quoi s'évertuent Lola, son forain et les sorcières. Voilà aussi le véritable rôle de la mystérieuse Lily, permettre d'évoquer avec des mots d'enfants des choses indicibles...

Une tâche complexe, car tout rêveur et gentil que soit Simon, c'est aussi un enfant inquiet, attentif à ceux qu'il aime, avec un regard aiguisé sur ce qui compose sa vie quotidienne. Et trouver son papa la tête dans le lave-vaisselle, même s'il ne comprend pas bien pourquoi, il sait tout de suite que ça n'a rien de normal.

Il faudra du temps et beaucoup d'amour pour que la vie de Simon retrouve son cours de long fleuve tranquille. Enfin, pas tout à fait, car d'autres changements se profilent, mais ceux-là, pour le meilleur.

"Au pays des kangourous" a beau traiter de sujets graves, difficiles, on n'en sort pas moins avec des étoiles dans les yeux (peut-être même de couleur vert feuille) mais aussi plein de sujets de réflexion. J'ai déjà employé le mot tendresse, mais ce roman en transpire, il y a aussi de beaux moments de joie, comme cette virée à la Foire du Trône avec les sorcières ou ces souvenirs de pique-niques en famille au Bois de Boulogne...

Mais ce que j'en retiens, c'est que le bonheur, c'est simple comme de toutes petites attentions, de tous petits gestes. Une main qui enserre un menotte, un baiser sur le front... Et que, face aux coups durs, aux embûches que la vie semble prendre plaisir à semer sous nos pas, il est important, fondamental, de conserver son âme d'enfant, bien au chaud, quelque part dans son coeur.


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