La belgitude. Un néologisme pour définir une véritable exception culturelle. Celle de nos voisins d'Outre-Quiévrain, comme on dit, comprenez, les Belges. Une espèce de folie douce (enfin, pas toujours), gentiment absurde mais carrément délirante. Nouvelle preuve avec une romancière à la réputation assez excentrique, Nadine Monfils. Son roman "les vacances d'un serial killer" est sorti chez Pocket récemment, un court roman, puisqu'il compte à peine 250 pages, mais une succession de scènes grand-guignolesque, avec un vocabulaire au combien fleuri qui fera le délice des fans de San Antonio, dont Nadine Monfils se pose en digne héritière.
La famille Destrooper se prépare à partir en vacances. Des vacances au bord de la mer ! Des vacances dont rêve Alfonse, le pater familias, tout accaparé qu'il est en temps ordinaire par sa rentable usine de boulettes sauce lapin. Des vacances en famille, avec sa douce épouse, la très coquette (et assez voyante, il faut bien le dire) Josette, et leurs deux enfants adolescents, Steven, passionné de vidéo, et Lourdes, fan de hip hop...
Alfonse, son truc, c'est plutôt le tuning... Sa voiture, il l'a customisée du pare-chocs avant jusqu'au pot d'échappement, une merveille rutilante qui en jette grave... Son jouet, son bébé... Tout fier, l'Alfonse, de partir en vacances au volant de son bolide. Seul hic, la caravane qu'il doit traîner derrière... Oh, pas la caravane familiale, non, les Destrooper ont réservé dans une pension de famille avec vue sur la Mer du Nord, un vrai paysage de carte postale, il en est certain. Non, cette caravane, c'est le domicile principal de sa belle-mère, Mémé Cornemuse. Une vieille carne un brin pique-assiette, qu'il ne peut pas souffrir... Mais, comment la laisser seule aussi près d'une maison qu'elle serait capable de vider en leur absence ?
Alors, l'équipage hétéroclite et énervé des Destrooper s'ébranle, direction les rivages ensoleillés (on peut toujours y croire...) de la Mer du Nord, les plages interminables, l'eau... frisquette, la détente, la joie de vivre, en un mot, le bonheur... Enfin, ça, c'est en théorie, parce qu'en pratique, ces vacances vont bien vite tourner au cauchemar complet...
Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas... Dès le départ, tout se goupille de travers : le sac à main de Josette lui est arraché par la fenêtre de la voiture par un motard ; dedans, toutes les économies familiales... Oups... Puis, la caravane de Mémé Cornemuse se détache sans prévenir, sans que personne ne s'en rende compte... Ensuite, le cambrioleur motard est repéré dans une station-service, bonne occasion pour récupérer les sous, en vain... Mais le motard, lui, gît bientôt dans son sang dans les toilettes de la station-service... Re-oups...
Même pas arrivés et déjà des vacances gâchées... Bigre ! Pendant que Mémé Cornemuse se lance dans l'auto-stop (avec des méthodes... hum... toutes personnelles...) afin de rejoindre la station balnéaire et sa famille, le gros des Destrooper, lui, galère pour trouver la pension... Bizarre, ils sont dans la bonne ville, mais rien sur le front de mer... Finalement, après avoir tourné, tourné, tourné, ils découvrent leur lieu de villégiature, une espèce de ruine pas du tout face à la mer... Pas du tout jouasse, l'Alfonse... On s'est bien payé sa tête en lui conseillant chaleureusement l'endroit...
Vous l'aurez compris, ces vacances familiales vont tourner à la cata générale pour la famille Destrooper, Mémé Cornemuse faisant des siennes, sa "légère" nymphomanie reprenant le dessus sur son apparence de paisible mamie... Débarque un évadé au pedigree sanglant laissé dans son sillage... Les cadavres vont alors s'entasser, de la caravane aux alentours de la pension, le pauvre Alfonse va en voir de toutes les couleurs jusqu'à y perdre beaucoup...
Ajoutez un billet de loterie, un propriétaire de pension véreux et escroc sur les bords, un travesti, un amant, des robinets qui fuient, une boule de cristal, j'en passe et des meilleurs et vous avez là l'arsenal complet d'un roman qui déclenche des éclats de rire à chaque page ou presque...
Au final, mais je vous laisse découvrir l'ensemble de ces hilarantes péripéties, ces vacances auront raison du fragile équilibre de la famille Destrooper. Aucun d'entre eux ne sortira indemne de ces aventures, qui leur sont arrivées à l'insu de leur plein gré, reconnaissons-le. La vie de chacun des membres en sera affectée, pas forcément positivement, loin de là, même... Et les dunes autour de Blankenberge, paisible station balnéaire au bord de la calme mer du nord, recèlent désormais bien des secrets sous forme de corps ensevelis à la va-vite...
Vous l'aurez compris, il n'y a rien de sérieux dans cette histoire, écrite pour faire rire, malgré l'horreur de certaines situations, tournées au grotesque par un style impeccable qu'un Michel Audiard ou un Frédéric Dard, je le redis, n'auraient sans doute pas désavoué. Evidemment, il faut rentrer dans cet univers déjanté, où la finesse n'est pas toujours la qualité qui prime, même si Monfils ne tombe pas dans le scabreux, malgré les outrances des situations qu'elle offre.
Oui, un roman qui fleure bon un humour bien noir où la famille Destrooper, fleuron de la culture beauf d'un bout à l'autre de l'arbre généalogique. Bien sûr, la caricature est faite à gros traits, mais c'est aussi la règle de ce jeu de massacre, et il faut saluer la qualité des portraits des personnages, aucun n'étant épargné par la férocité de cette plume que j'ai découverte avec grand plaisir (oui, je suis aussi un peu cruel, comme lecteur, gnark, gnark, gnark !).
Au jeu des références, difficile de ne pas songer aux Bidochons en découvrant Alfonse et Josette... Entre le pansu à casquette Ricard, fan de tuning et, soyons honnête, passablement crétin, et sa moitié, outrageusement maquillée, habillée avec une sobriété toute relative, romantique comme une adolescente attendant le prince charmant (et les siens, de princes, sont gratinés !)... Leurs enfants sont des chiffes molles, mais, paradoxalement, plutôt débrouillards. On s'attache plutôt à eux (même si une bonne paire de claques pourrait tomber de temps à autre sans trouver à y redire) et on a envie de leur souhaiter d'échapper bientôt à un environnement familial tout sauf épanouissant...
Reste Mémé Cornemuse, ainsi surnommée pour son amour immodéré des Ecossais, et non pour son art consommé en matière de (bag)pipes, comme on pourrait y croire au fil des pages... Mémé Cornemuse, pour moi, c'est LE personnage de ce roman, le plus drôle, le plus délirant, le plus surprenant, parce que la vieille bique cache bien son jeu. Impitoyable Tatie Danielle, joyeusement obsédée sexuelle et infatigable dans ce domaine (bien plus endurante que ses amants, en tout cas), elle va mater tout son monde, les mettre à sa pogne, qu'ils soient membres de sa famille, automobiliste en goguette, maîtresse d'automobiliste en goguette et même... serial killer évadé de prison...
L'impitoyable grand-mère va faire du dégât dans tout ce beau monde, contribuant allègrement à pourrir un peu plus les vacances de son gendre abhorré, qui n'en demandait pas tant... D'autant que devant tant de vicissitudes et d'évènements contraires et contrariants, ledit gendre va finir par craquer... Un moment d'égarement si ce n'est fatal (stricto sensu), en tout cas désastreux pour son avenir pourtant radieux d'industriel prospère de l'agro-alimentaire...
J'ai employé plus haut l'expression "jeu de massacre", j'aurais pu dire chamboule-tout, aussi... Après un départ paisible, ça va dézinguer sévère, parfois à la surprise générale, de l'exécution pure et simple aux méthodes plus "raffinées" visant à éliminer des personnes devenues un peu encombrantes... Une série de forfaits à vous déboussoler un honnête assassin récidiviste, tout juste évadé de prison, ennemi public numéro 1 recherché par toutes les forces de l'ordre de Belgique et qui n'aspire qu'à passer un moment peinard dans un coin reculé où on l'oubliera...
Il en est presque à plaindre, le pauvre gars, malgré son expérience et ses tendances homicides difficilement contenues... S'il avait su dans quel asile de fous il allait mettre les pieds, sans doute aurait-il regagné sa cellule vitesse grand V pour s'y rendre sans aucune résistance... Mais voilà, il a mis le doigt dans un engrenage qui va inexorablement le broyer... Sachez-le, on n'est jamais à l'abri de tomber sur pire être humain que soi !
Bon, je ne vais pas bouder mon plaisir, je me suis beaucoup amusé à dévorer ce court roman, lu en quelques heures, avec son style truculent, ses situations désopilantes, même lorsqu'elles se révèlent sanglantes et meurtrières... On est dans la lignée d'un "C'est arrivé près de chez vous", mais j'ai dans la tête l'image d'un François Damiens qui me semblerait parfait dans le rôle du pauvre Alfonse, parfait kéké plongeant dans la déchéance...
Avec "les vacances d'un serial killer", j'ai découvert un écrivain, Nadine Monfils, que je relirai forcément un jour. Et je l'espère, avec autant de plaisir que pour cette première expérience.
Continuez, Nadine, continuez, de telles lectures, jubilatoires, font un bien fou, par les temps qui courent, aussi mornes que les plaines de Belgique où Napoléon s'enlisa définitivement avec ses armées...
On sent effectivement dans le ton que tu emplois combien la lecture de ce court roman a été jouissive et que tu n'as pas boudé ton plaisir. En tout, cas ton avis me donne très envie de découvrir cette auteure. Merci
RépondreSupprimerdésolée pour la faute "tu emploiEs" biensûr. Et la "," est après le "cas"... groumpf, j'ai les doigts ou les yeux qui se croisent moi :p
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